Language of document : ECLI:EU:T:2012:134

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

21 mars 2012(*)

« Aides d’État — Directive 92/81/CEE — Droits d’accises sur les huiles minérales — Huiles minérales utilisées comme combustible pour la production d’alumine — Exonération de l’accise — Conformité de l’exonération avec une décision d’autorisation du Conseil en vertu de l’article 8, paragraphe 4, de la directive 92/81 — Présomption de légalité des actes de l’Union — Sécurité juridique — Bonne administration »

Dans les affaires jointes T‑50/06 RENV, T‑56/06 RENV, T‑60/06 RENV, T‑62/06 RENV et T‑69/06 RENV,

Irlande, représentée initialement par M. D. O’Hagan, puis par Mme E. Creedon, en qualité d’agents, assistés de M. P. McGarry, barrister,

partie requérante dans l’affaire T‑50/06 RENV,

République française, représentée par MM. G. de Bergues et J. Gstalter, en qualité d’agents,

partie requérante dans l’affaire T‑56/06 RENV,

République italienne, représentée par MM. G. Aiello, G. De Bellis et S. Fiorentino, avvocati dello Stato,

partie requérante dans l’affaire T‑60/06 RENV,

Eurallumina SpA, établie à Portoscuso (Italie), représentée par M. R. Denton et Mme L. Martin Alegi, solicitors,

partie requérante dans l’affaire T‑62/06 RENV,

Aughinish Alumina Ltd, établie à Askeaton (Irlande), représentée par M. J. Handoll et Mme C. Waterson, solicitors,

partie requérante dans l’affaire T‑69/06 RENV,

contre

Commission européenne, représentée par MM. V. Di Bucci, N. Khan, D. Grespan et Mme K. Walkerová, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2006/323/CE de la Commission, du 7 décembre 2005, concernant l’exonération du droit d’accise sur les huiles minérales utilisées comme combustible pour la production d’alumine dans la région de Gardanne, dans la région du Shannon et en Sardaigne, mise en œuvre respectivement par la France, l’Irlande et l’Italie (JO 2006, L 119, p. 12),

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),

composé de Mme I. Pelikánová (rapporteur), président, M. V. Vadapalas, Mme K. Jürimäe, MM. K. O’Higgins et M. van der Woude, juges,

greffier : M. N. Rosner, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 septembre 2011,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

 Alumine

1        L’alumine (ou oxyde d’aluminium) est une poudre blanche principalement utilisée dans les fonderies pour produire de l’aluminium. Elle est extraite de la bauxite par un procédé de raffinage dont la dernière étape est la calcination. L’alumine calcinée est utilisée à plus de 90 % pour la fusion de l’aluminium. Le reste est soumis à de nouvelles transformations et est utilisé dans des applications chimiques. Il existe deux marchés de produits distincts, à savoir celui de l’alumine métallurgique et celui de l’alumine chimique. De l’huile minérale peut être utilisée comme combustible pour la production d’alumine.

2        Il n’y a qu’un seul producteur d’alumine en Irlande, en Italie et en France. Il s’agit, respectivement, d’Aughinish Alumina Ltd (ci-après « AAL »), établie dans la région du Shannon, d’Eurallumina SpA, établie en Sardaigne, et d’Alcan Inc., établie dans la région de Gardanne. Des producteurs d’alumine sont également présents en Allemagne, en Espagne, en Grèce, en Hongrie et au Royaume-Uni.

 Directives relatives aux droits d’accises sur les huiles minérales

3        La directive 92/81/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur les huiles minérales (JO L 316, p. 12), définit les règles relatives aux droits d’accises sur les huiles minérales.

4        Selon l’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la directive 92/81, les États membres appliquent aux huiles minérales une accise harmonisée conformément à cette directive et ils fixent les taux d’accises conformément à la directive 92/82/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taux d’accises sur les huiles minérales (JO L 316, p. 19).

5        L’article 8, paragraphe 4, de la directive 92/81 permet au Conseil d’autoriser un État membre à introduire des exonérations de l’accise harmonisée, autres que celles explicitement prévues par cette directive. Il énonce ce qui suit :

« Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser un État membre à introduire des exonérations ou des réductions supplémentaires pour des raisons de politiques spécifiques.

Tout État membre souhaitant introduire une telle mesure en informe la Commission et lui communique également toutes les informations pertinentes ou nécessaires. La Commission informe les autres États membres de la mesure proposée dans un délai d’un mois.

Le Conseil est réputé avoir autorisé l’exonération ou la réduction proposée si, dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle les autres États membres ont été informés conformément au deuxième alinéa, ni la Commission ni aucun État membre n’a demandé que cette question soit examinée par le Conseil. »

6        Aux termes de l’article 8, paragraphe 5, de la directive 92/81 :

« Si la Commission considère que les exonérations ou réductions visées au paragraphe 4 ne peuvent plus être maintenues, notamment pour des raisons de concurrence déloyale ou de distorsion dans le fonctionnement du marché intérieur ou pour des motifs liés à la politique communautaire de protection de l’environnement, elle présente au Conseil des propositions appropriées. Le Conseil statue à l’unanimité sur ces propositions. »

7        L’article 6 de la directive 92/82 a fixé le taux minimal de l’accise sur le fioul lourd que les États devaient appliquer, à partir du 1er janvier 1993, à 13 euros par 1 000 kg.

8        La directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (JO L 283, p. 51), a abrogé les directives 92/81 et 92/82 avec effet au 31 décembre 2003.

9        Conformément à son article 2, paragraphe 4, sous b), deuxième tiret, la directive 2003/96 ne s’applique pas aux utilisations de produits énergétiques à double usage. Selon cette même disposition, un produit énergétique est à double usage lorsqu’il est destiné à être utilisé à la fois comme combustible et pour des usages autres que ceux de carburant ou de combustible. L’utilisation de produits énergétiques pour la réduction chimique et l’électrolyse ainsi que dans les procédés métallurgiques est considérée comme un double usage. Aussi, depuis le 1er janvier 2004, il n’y a plus de taux minimal d’accise sur le fioul lourd utilisé pour la production d’alumine.

10      En outre, l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2003/96 prévoit que, sous réserve d’un examen préalable du Conseil, sur la base d’une proposition de la Commission des Communautés européennes, les États membres sont autorisés à continuer d’appliquer les niveaux réduits de taxation ou les exonérations énumérés à l’annexe II jusqu’au 31 décembre 2006. Les points 6, 7 et 8 de cette annexe II visent, notamment, l’exonération de droits d’accises du fioul lourd utilisé comme combustible dans la production d’alumine respectivement dans la région de Gardanne (France), la région du Shannon (Irlande) et en Sardaigne (Italie).

 Décisions du Conseil adoptées sur la base de l’article 8, paragraphe 4, de la directive 92/81

11      L’Irlande, la République italienne et la République française procèdent à des exonérations du droit d’accise sur les huiles minérales utilisées pour la production d’alumine, respectivement depuis 1983, depuis 1993 et depuis 1997 (ci-après l’« exonération irlandaise », l’« exonération italienne » et l’« exonération française » ou, prises ensemble, les « exonérations litigieuses »).

12      L’exonération irlandaise a été introduite en droit irlandais par le Statutory instrument no 126/1983, Imposition of Duties (no 265) (Excise Duty on Hydrocarbon Oils) Order, 1983 [ordonnance sur l’imposition de droits (no 265) (droit d’accise sur les huiles d’hydrocarbure)], du 12 mai 1983. Elle a, ensuite, été inscrite à la section 100, paragraphe 1, sous e), du Finance Act, 1999 (loi de finance de 1999). Son application dans la région du Shannon a été autorisée par la décision 92/510/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, autorisant les États membres à continuer à appliquer à certaines huiles minérales utilisées à des fins spécifiques les réductions de taux d’accise ou les exonérations d’accises existantes, conformément à la procédure prévue à l’article 8, paragraphe 4, de la directive 92/81 (JO L 316, p. 16). Cette autorisation a été réexaminée et prorogée par le Conseil jusqu’au 31 décembre 1998 par sa décision 97/425/CE, du 30 juin 1997, autorisant les États membres à appliquer ou à continuer à appliquer à certaines huiles minérales utilisées à des fins spécifiques les réductions de taux d’accise ou les exonérations d’accises existantes, conformément à la procédure prévue à la directive 92/81 (JO L 182, p. 22). Elle a de nouveau été prorogée par le Conseil jusqu’au 31 décembre 2000 par sa décision 1999/880/CE, du 17 décembre 1999, autorisant les États membres à appliquer ou à continuer à appliquer à certaines huiles minérales utilisées à des fins spécifiques les réductions de taux d’accise ou les exonérations d’accises existantes, conformément à la procédure prévue à la directive 92/81 (JO L 331, p. 73).

13      L’exonération italienne a été introduite en droit italien par le decreto legislativo 26 ottobre 1995 no 504, Testo unico delle disposizioni legislative concernenti le imposte sulla produzione e sui consumi e relative sanzioni penali e amministrative (décret législatif no 504, du 26 octobre 1995, Texte unique des dispositions législatives relatives aux taxes sur la production, la consommation et les sanctions pénales et administratives en la matière, supplément ordinaire à la GURI no 279, du 29 novembre 1995). Son application en Sardaigne a été autorisée jusqu’au 31 décembre 1994 par la décision 93/697/CE du Conseil, du 13 décembre 1993, autorisant certains États membres à appliquer ou à continuer à appliquer à certaines huiles minérales utilisées à des fins spécifiques des réductions ou des exonérations d’accise conformément à la procédure prévue à l’article 8, paragraphe 4, de la directive 92/81 (JO L 321, p. 29). Cette autorisation a été prorogée une première fois par le Conseil jusqu’au 31 décembre 1996 par sa décision 96/273/CE, du 22 avril 1996, autorisant certains États membres à appliquer ou à continuer à appliquer à certaines huiles minérales utilisées à des fins spécifiques des réductions ou des exonérations d’accise selon la procédure prévue à l’article 8, paragraphe 4, de la directive 92/81 (JO L 102, p. 40). Elle a été prorogée une deuxième fois par le Conseil jusqu’au 31 décembre 1998 par la décision 97/425. L’autorisation a été prorogée une troisième fois par le Conseil jusqu’au 31 décembre 1999 par la décision 1999/255/CE, du 30 mars 1999, autorisant certains États membres, conformément à la directive 92/81, à appliquer ou à continuer à appliquer à certaines huiles minérales des réductions de taux d’accise ou des exonérations d’accises, et portant modification de la décision 97/425 (JO L 99, p. 26). Elle a été prorogée une quatrième fois par le Conseil jusqu’au 31 décembre 2000 par sa décision 1999/880.

14      L’exonération française a été introduite en droit français par l’article 6 de la loi de finances rectificative pour 1997 no 97‑1239, du 29 décembre 1997 (JORF du 30 décembre 1997, p. 19101). Son application dans la région de Gardanne a été autorisée jusqu’au 31 décembre 1998 par la décision 97/425 du Conseil. Cette autorisation a été prorogée une première fois par le Conseil jusqu’au 31 décembre 1999 par la décision 1999/255. Elle a été prorogée une deuxième fois par le Conseil jusqu’au 31 décembre 2000 par la décision 1999/880.

15      La décision 2001/224/CE du Conseil, du 12 mars 2001, relative aux taux réduits et aux exonérations de droits d’accise sur certaines huiles minérales utilisées à des fins spécifiques (JO L 84, p. 23), à savoir la dernière décision du Conseil concernant les exonérations litigieuses, proroge l’autorisation d’appliquer lesdites exonérations jusqu’au 31 décembre 2006. Aux termes de son considérant 5, cette décision « ne préjuge pas de l’issue d’éventuelles procédures relatives aux distorsions de fonctionnement du marché unique qui pourraient être intentées notamment en vertu des articles 87 [CE] et 88 [CE] » et « [e]lle ne dispense pas les États membres, conformément à l’article 88 [CE], de l’obligation de notifier à la Commission les aides d’État susceptibles d’être instituées ».

 Procédure administrative

16      Par lettre du 28 janvier 1983, l’Irlande a informé la Commission qu’elle s’apprêtait à mettre en œuvre un engagement qu’elle avait pris en avril 1970 envers les promoteurs d’un projet d’extraction de l’alumine à partir de la bauxite sur l’estuaire du Shannon, au bénéfice d’AAL, portant sur une exonération de droit d’accise sur le fioul lourd utilisé pour la production d’alumine. Par lettre du 22 mars 1983, la Commission a indiqué que cette exonération constituait une aide d’État devant être notifiée. Elle précisait également que si l’aide ne devait être mise en œuvre que maintenant, elle aurait pu considérer la lettre du 28 janvier 1983 comme une notification au sens de l’article 93, paragraphe 3, du traité CEE. Par lettre du 6 mai 1983, l’Irlande a demandé à la Commission de la considérer comme telle. La Commission n’a adopté aucune décision à la suite de cette correspondance.

17      Par lettres du 29 mai et du 2 juin 1998, la Commission a demandé des renseignements respectivement à la République italienne et à la République française afin de vérifier si l’exonération italienne et l’exonération française relevaient du champ d’application des articles 87 CE et 88 CE. À la suite d’un rappel de la Commission du 16 juin 1998, la République italienne a répondu le 20 juillet 1998. Après avoir demandé une prolongation du délai de réponse le 10 juillet 1998, accordée le 24 juillet 1998, la République française a répondu par lettre du 7 août 1998.

18      Par lettres du 17 juillet 2000, la Commission a demandé à la République française, à l’Irlande et à la République italienne de lui notifier les exonérations litigieuses. Les autorités françaises ont répondu par lettre du 4 septembre 2000. Par lettres du 27 septembre 2000, la Commission a rappelé sa demande à l’Irlande et à la République italienne et elle a invité ces dernières, ainsi que la République française, à lui fournir un complément d’information. Les autorités irlandaises ont répondu à cette dernière demande par lettre du 18 octobre 2000. À la suite d’un rappel de la Commission du 20 novembre 2000, les autorités italiennes et françaises y ont également répondu, respectivement les 7 et 8 décembre 2000.

19      Par les décisions C (2001) 3296, C (2001) 3300 et C (2001) 3295, du 30 octobre 2001, la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE respectivement à l’égard de l’exonération irlandaise, de l’exonération italienne et de l’exonération française. Ces décisions ont été notifiées à l’Irlande, à la République italienne et à la République française par lettres du 5 novembre 2001 et ont été publiées, le 2 février 2002, au Journal officiel des Communautés européennes (JO C 30, p. 17, p. 21 et p. 25).

20      La Commission a reçu des observations d’AAL, d’Eurallumina, d’Alcan et de l’Association européenne de l’aluminium. Celles-ci ont été communiquées à l’Irlande, à la République italienne et à la République française le 26 mars 2002.

21      Après avoir demandé une prolongation du délai par télécopie du 1er décembre 2001, accordée le 7 décembre 2001, l’Irlande a présenté ses observations par lettre du 8 janvier 2002. Par lettre du 18 février 2002, la Commission a demandé à l’Irlande de lui communiquer la preuve qu’elle avait souscrit un engagement contraignant à l’égard d’AAL avant son adhésion. L’Irlande a fait suite à cette demande par lettre du 26 avril 2002. La République italienne a présenté ses observations par lettre du 6 février 2002. Après avoir demandé une prolongation du délai de réponse par lettre du 21 novembre 2001, qui fut accordée le 29 novembre 2001, la République française a présenté ses observations par lettre du 12 février 2002.

 Décision attaquée

22      Le 7 décembre 2005, la Commission a adopté la décision 2006/323/CE, concernant l’exonération du droit d’accise sur les huiles minérales utilisées comme combustible pour la production d’alumine dans la région de Gardanne, dans la région du Shannon et en Sardaigne, mise en œuvre respectivement par la France, l’Irlande et l’Italie (JO 2006, L 119, p. 12, ci-après la « décision attaquée »).

23      La décision attaquée porte sur la période antérieure au 1er janvier 2004, date à laquelle la directive 2003/96 est devenue applicable. Elle étend néanmoins la procédure formelle d’examen à la période postérieure au 1er janvier 2004.

24      Le dispositif de la décision attaquée énonce notamment ce qui suit :

« Article premier

Les exonérations des droits d’accise sur les huiles minérales lourdes utilisées dans la production d’alumine accordées par la France, l’Irlande et l’Italie jusqu’au 31 décembre 2003 constituent des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, [CE].

Article 2

L’aide accordée entre le 17 juillet 1990 et le 2 février 2002, dans la mesure où elle est incompatible avec le marché commun, n’est pas récupérée parce que cette récupération serait contraire aux principes généraux du droit communautaire.

Article 3

L’aide, visée à l’article premier, accordée entre le 3 février 2002 et le 31 décembre 2003 est compatible avec le marché commun au sens de l’article 87, paragraphe 3, [CE] dans la mesure où les bénéficiaires acquittent un droit d’au moins 13,01 euros par 1 000 kg d’huile minérale lourde.

Article 4

L’aide […] accordée entre le 3 février 2002 et le 31 décembre 2003 est incompatible avec le marché commun au sens de l’article 87, paragraphe 3, [CE] dans la mesure où les bénéficiaires ne se sont pas acquittés d’un droit d’au moins 13,01 euros par 1 000 kg d’huile minérale lourde.

Article 5

1.      La France, l’Irlande et l’Italie prennent toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide incompatible visée à l’article 4 auprès de ses bénéficiaires.

[…]

5.      La France, l’Irlande et l’Italie ordonnent aux bénéficiaires de l’aide incompatible visée à l’article 4, dans les deux mois de la date de notification de la présente décision, de rembourser l’aide illégale majorée des intérêts. »

 Procédures devant le Tribunal et la Cour de justice

25      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal respectivement le 16 février 2006 (affaire T‑60/06), le 17 février 2006 (affaires T‑50/06 et T‑56/06) et le 23 février 2006 (affaires T‑62/06 et T‑69/06), les parties requérantes, la République italienne, l’Irlande, la République française, Eurallumina et AAL, ont introduit les présents recours en vue d’obtenir l’annulation totale ou partielle de la décision attaquée.

26      Par acte séparé, parvenu au greffe du Tribunal le 22 mars 2006, AAL a déposé une demande en référé, en vertu de l’article 242 CE, visant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de la décision attaquée dans la mesure où elle la concerne. Par ordonnance du 2 août 2006, Aughinish Alumina/Commission (T‑69/06 R, non publiée au Recueil), le président du Tribunal a rejeté cette demande et réservé les dépens.

27      En application de l’article 14 du règlement de procédure du Tribunal et sur proposition de la deuxième chambre, le Tribunal a décidé, les parties entendues, conformément à l’article 51 de ce même règlement, de renvoyer les présentes affaires devant une formation de jugement élargie.

28      Par ordonnance du 24 mai 2007, le président de la deuxième chambre élargie du Tribunal a, les parties entendues, joint les présentes affaires aux fins de la procédure orale, conformément à l’article 50 du règlement de procédure.

29      Par arrêt du 12 décembre 2007, Irlande e.a./Commission (T‑50/06, T‑56/06, T‑60/06, T‑62/06 et T‑69/06, non publié au Recueil), le Tribunal a joint les présentes affaires aux fins de l’arrêt. Il a annulé la décision attaquée au motif que, dans celle-ci, la Commission avait violé l’obligation de motivation que lui imposait l’article 253 CE, s’agissant de la non-application en l’espèce de l’article 1er, sous b), v), du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88] CE (JO L 83, p. 1). Par ailleurs, dans l’affaire T‑62/06, il a rejeté le recours pour le surplus, après avoir constaté l’irrecevabilité des chefs de conclusions par lesquels Eurallumina lui demandait soit de déclarer que l’exonération italienne, autorisée par la décision 2001/224, était légale jusqu’au 31 décembre 2006 et que toutes les sommes versées ou devant être versées par la République italienne jusqu’à cette date ou, au moins, jusqu’au 31 décembre 2003 ne devaient pas être considérées comme une aide d’État illégale ou qu’elles ne devaient pas être récupérées, soit de modifier les articles 5 et 6 de la décision attaquée.

30      Par requête en date du 26 février 2008, la Commission a introduit un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal.

31      Par arrêt sur pourvoi du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a. (C‑89/08 P, Rec. p. I‑11245), la Cour a annulé l’arrêt Irlande e.a./Commission, point 29 supra, en tant que celui-ci avait annulé la décision attaquée au motif que, dans celle-ci, la Commission aurait violé l’obligation de motivation, s’agissant de la non-application en l’espèce de l’article 1er, sous b), v), du règlement 659/1999 et qu’il avait condamné la Commission à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par les parties requérantes, y compris ceux afférents à la procédure de référé dans l’affaire T‑69/06 R. Elle a, en outre, renvoyé les affaires jointes T‑50/06, T‑56/06, T‑60/06, T‑62/06 et T‑69/06 devant le Tribunal et réservé les dépens.

32      À la suite de l’arrêt de renvoi et conformément à l’article 118, paragraphe 1, du règlement de procédure, les présentes affaires ont été attribuées à la deuxième chambre élargie, par décision du président du Tribunal du 18 décembre 2009.

33      Conformément à l’article 119, paragraphe 1, du règlement de procédure, les parties ont déposé leurs mémoires en observations écrites respectivement le 1er février 2010, pour l’Irlande, dans l’affaire T‑50/06 RENV, le 4 février 2010, pour la République italienne, dans l’affaire T‑60/06 RENV, le 12 février 2010, pour Eurallumina, dans l’affaire T‑62/06 RENV, le 16 février 2010, pour la République française, dans l’affaire T‑56/06 RENV, et pour AAL, dans l’affaire T‑69/06 RENV, et le 28 avril 2010, pour la Commission dans l’ensemble des présentes affaires. Dans son mémoire en observations écrites, la République française a indiqué, au vu de la position adoptée par la Cour dans son arrêt de renvoi, qu’elle renonçait à l’un des moyens soulevés dans sa requête, tiré d’une violation de l’obligation de motivation.

34      Par ordonnance du président de la deuxième chambre élargie du 1er mars 2010, les présentes affaires ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l’arrêt.

35      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la quatrième chambre et les présentes affaires ont été attribuées à la quatrième chambre élargie, par décision du 20 septembre 2010.

36      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 de son règlement de procédure, a invité les parties ainsi que le Conseil de l’Union européenne à répondre à certaines questions. Les parties et le Conseil ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

37      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 14 septembre 2011.

 Conclusions présentées par les parties dans l’instance après renvoi

38      Dans l’affaire T‑50/06 RENV, l’Irlande conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée, dans la mesure où elle concerne l’exonération irlandaise ;

–        condamner la Commission aux dépens.

39      Dans l’affaire T‑69/06 RENV, AAL conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée, dans la mesure où cette décision la concerne ;

–        condamner la Commission aux dépens.

40      Dans l’affaire T‑60/06 RENV, la République italienne conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée, dans la mesure où elle concerne l’exonération italienne ;

–        condamner la Commission aux dépens.

41      Dans l’affaire T‑62/06 RENV, Eurallumina conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la totalité de la décision attaquée ou ses articles 1er, 4 à 6 ou, à titre subsidiaire, ses articles 5 et 6, dans la mesure où cette décision ou ces articles la concerne ;

et/ou

–        déclarer que l’exonération italienne, autorisée par la décision 2001/224, est légale jusqu’au 31 décembre 2006 et que toutes les sommes versées ou devant être versées par la République italienne ne doivent pas être considérées comme une aide d’État illégale ou, au moins, ne doivent pas être récupérées ;

–        condamner la Commission aux dépens.

42      Dans l’affaire T‑56/06 RENV, la République française conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler dans son entier la décision attaquée ou, à titre subsidiaire, son article 5, dans la mesure où cette décision ou cet article concernent l’exonération française ;

–        condamner la Commission aux dépens.

43      Dans les présentes affaires, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours ;

–        condamner les parties requérantes aux dépens.

 En droit

 Sur les chefs de conclusions d’Eurallumina visant à obtenir certaines déclarations du Tribunal

44      Il n’y a plus lieu d’examiner les chefs de conclusions d’Eurallumina visant à ce que le Tribunal déclare que l’exonération italienne, autorisée par la décision 2001/224, est légale jusqu’au 31 décembre 2006 et que toutes les sommes versées ou devant être versées par la République italienne ne doivent pas être considérées comme une aide d’État illégale ou, au moins, ne doivent pas être récupérées. En effet, ces chefs de conclusions ont déjà été rejetés comme étant irrecevables par l’arrêt Irlande e.a./Commission, point 29 supra. Les dispositions dudit arrêt n’ayant pas été annulées sur ce point par l’arrêt Commission/Irlande e.a., point 31 supra, elles sont revêtues de l’autorité de la chose jugée.

 Exposé synthétique des moyens et des griefs soulevés par les parties requérantes

45      À l’appui de leurs conclusions en annulation, les parties requérantes invoquent, en substance, un ensemble de moyens et de griefs qui se recoupent partiellement, même si leur objet est formellement différent, puisque chacune d’entre elles ne conteste la décision attaquée qu’en tant que, s’agissant de la République italienne (affaire T‑60/06 RENV) et de Eurallumina (affaire T‑62/06 RENV), elle porte sur l’exonération italienne, que, s’agissant de l’Irlande (affaire T‑50/06 RENV) et d’AAL (affaire T‑69/06 RENV), elle porte sur l’exonération irlandaise et que, s’agissant de la République française (affaire T‑56/06 RENV), elle porte sur l’exonération française. Ces moyens et ces griefs sont tirés de violations du principe de sécurité juridique, du principe de présomption de validité et d’effet utile des actes de l’Union, du principe lex specialis derogat legi generali, du principe de bonne administration, du principe de l’estoppel, du principe du respect d’un délai raisonnable, du principe du respect de la confiance légitime ainsi que de violations de l’article 3, paragraphe 1, sous m), CE, de l’article 87, paragraphes 1 et 3, CE, de l’article 88 CE et de l’article 157 CE, des règles codifiées à l’article 1er, sous b), i), iii) et iv), du règlement no 659/1999, de l’article 14, paragraphe 1, et des articles 17 à 19 de ce même règlement, de l’article 18 de la directive 2003/96, lu en combinaison avec les dispositions de son annexe II, des règles régissant les aides pour la protection de l’environnement, en particulier le point 82, sous a), de l’encadrement communautaire des aides d’État pour la protection de l’environnement (JO 2001, C 37, p. 3), et des lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale (JO 1998, C 74, p. 9), ainsi que de la violation de l’obligation de motivation.

46      Premièrement, il importe de souligner, que les moyens et les griefs soulevés par les parties requérantes sont notamment dirigés contre le résultat auquel la Commission est parvenue, dans la décision attaquée, en appliquant les règles en matière d’aides d’État aux exonérations litigieuses. Les parties requérantes font, en substance, valoir que ce résultat ne pouvait légalement contredire les effets juridiques produits par les décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu par la décision 2001/224. Or, tel serait le cas de la décision attaquée, qui constate, ou repose sur le constat, que les exonérations litigieuses accordées par la République italienne, l’Irlande et la République française jusqu’au 31 décembre 2003 constituent des aides d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, et qui ordonne, dans la mesure de leur incompatibilité avec le marché commun, la récupération de ces aides auprès de leurs bénéficiaires alors que le Conseil avait autorisé les États membres concernés à appliquer lesdites exonérations jusqu’au 31 décembre 2006. En outre, AAL fait valoir que l’application des règles en matière d’aides d’État ne peut légalement conduire en l’espèce à un résultat qui contredit le but poursuivi par l’article 3, paragraphe 1, sous m), CE et l’article 157 CE, à savoir la défense et le renforcement de la compétitivité de l’industrie de l’Union. Or, la décision attaquée affaiblirait la compétitivité de l’industrie de l’Union dans le contexte international.

47      Deuxièmement, les moyens et les griefs soulevés par la République italienne, par la République française et par AAL sont, notamment, dirigés contre la décision attaquée en tant qu’elle qualifie ou qu’elle repose sur la qualification, par la Commission, d’aides d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, des exonérations litigieuses accordées jusqu’au 31 décembre 2003.

48      Troisièmement, les moyens et les griefs soulevés par la République italienne, par l’Irlande et par AAL sont notamment dirigés contre la décision attaquée en tant qu’elle qualifie ou qu’elle repose sur la qualification, par la Commission, d’aides nouvelles plutôt que d’aides existantes, au sens de l’article 88 CE, de l’exonération italienne et de l’exonération irlandaise accordées jusqu’au 31 décembre 2003, hormis, pour cette dernière, la période antérieure au 17 juillet 1990.

49      Quatrièmement, les moyens et les griefs soulevés par la République italienne sont notamment dirigés contre la décision attaquée en tant qu’elle constate que l’aide d’État prétendument accordée jusqu’au 31 décembre 2003 sur le fondement de l’exonération italienne ne peut pas être déclarée compatible avec le marché commun, au sens de l’article 87, paragraphe 3, CE, au motif qu’elle serait étroitement liée à la réalisation, par Eurallumina, d’objectifs en matière de protection de l’environnement ou qu’elle aurait facilité le développement économique de la Sardaigne.

50      Cinquièmement, les moyens et les griefs soulevés par les parties requérantes sont notamment dirigés contre la décision attaquée en tant qu’elle ordonne à la République française, à l’Irlande et à la République italienne de récupérer auprès de leurs bénéficiaires les aides d’États prétendument accordées jusqu’au 31 décembre 2003 sur le fondement des exonérations litigieuses.

51      En l’espèce, il est opportun d’examiner, tout d’abord, les moyens ou les griefs soulevés par les parties requérantes tirés, en substance, d’une application illégale des règles en matière d’aides d’État aux exonérations litigieuses accordées par la République italienne, l’Irlande et la République française jusqu’au 31 décembre 2003 sur le fondement des décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu de la décision 2001/224, et conformément à celles-ci.

 Sur les moyens et les griefs tirés de l’application illégale des règles en matière d’aides d’État à des exonérations accordées sur le fondement de décisions d’autorisation du Conseil et conformément à celles-ci

52      Dans l’affaire T‑50/06 RENV, par les deuxième et quatrième moyens, l’Irlande soutient notamment que la Commission a violé le principe de sécurité juridique et le principe de l’estoppel, dans la décision attaquée, en tant qu’elle a conclu à l’incompatibilité partielle avec le marché commun, au regard des règles en matière d’aides d’État, de l’exonération irlandaise accordée jusqu’au 31 décembre 2003, alors que ladite exonération avait été accordée sur le fondement des décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu de la décision 2001/224, et conformément à celles-ci. Elle observe que la Commission n’a jamais contesté la légalité des décisions d’autorisation du Conseil. Par ailleurs, par le quatrième moyen, l’Irlande fait notamment valoir que la Commission a violé, dans la décision attaquée, le principe de l’estoppel, en tant qu’elle a fait application des règles en matière d’aides d’État à l’exonération irlandaise trop longtemps après avoir eu connaissance de l’aide prétendument accordée sur le fondement de celle-ci.

53      Dans l’affaire T‑56/06 RENV, par le second moyen, la République française fait grief à la Commission d’avoir violé le principe de sécurité juridique, dans la décision attaquée, en tant qu’elle a ordonné la récupération de l’aide prétendument accordée entre le 3 février 2002 et le 31 décembre 2003 sur le fondement de l’exonération française, alors qu’elle avait été autorisée à appliquer ladite exonération par les décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu par la décision 2001/224.

54      Dans l’affaire T‑60/06 RENV, par le sixième moyen, la République italienne soutient que la Commission a notamment violé le principe de présomption de légalité des actes de l’Union, dans la décision attaquée, en tant qu’elle a ordonné la récupération de l’aide prétendument accordée entre le 3 février 2002 et le 31 décembre 2003 sur le fondement de l’exonération italienne, alors qu’elle avait été autorisée à appliquer ladite exonération par les décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu la décision 2001/224.

55      Dans l’affaire T‑62/06 RENV, par le deuxième moyen, Eurallumina fait grief à la Commission d’avoir violé le principe de sécurité juridique, le principe de présomption de légalité et d’effet utile des actes de l’Union et le principe lex specialis derogat legi generali, dans la décision attaquée, en tant qu’elle a conclu à l’incompatibilité partielle avec le marché commun, au regard des règles en matière d’aides d’État, de l’exonération italienne accordée jusqu’au 31 décembre 2003 alors que ladite exonération avait été accordée sur le fondement des décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu de la décision 2001/224, et conformément à celles-ci. Par ailleurs, par le troisième moyen, Eurallumina fait valoir que la Commission a violé le principe de bonne administration, dans la décision attaquée, en tant qu’elle a ordonné la récupération de l’aide prétendument accordée entre le 3 février 2002 et le 31 décembre 2003 sur le fondement de l’exonération italienne sans tenir compte de ce que la République italienne avait été autorisée à appliquer ladite exonération par les décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu par la décision 2001/224.

56      Dans l’affaire T‑69/06 RENV, par le deuxième moyen, AAL fait notamment grief à la Commission d’avoir violé le principe de sécurité juridique, le principe d’effet utile des actes de l’Union et le principe lex specialis derogat legi generali, ainsi que d’avoir commis un excès de pouvoir, dans la décision attaquée, en tant qu’elle a conclu à l’incompatibilité partielle avec le marché commun, au regard des règles en matière d’aides d’État, de l’exonération irlandaise accordée jusqu’au 31 décembre 2003, alors que ladite exonération avait été accordée sur le fondement des décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu de la décision 2001/224, et conformément à celles-ci. En outre, par le cinquième moyen, AAL fait valoir que la Commission a violé le principe de sécurité juridique, le principe du respect d’un délai raisonnable et le principe de bonne administration, dans la décision attaquée, dans la mesure où elle a fait application des règles en matière d’aides d’État à l’exonération irlandaise trop longtemps après avoir eu connaissance de ladite exonération. Enfin, par le quatrième moyen, AAL soutient que la Commission a notamment violé le principe de sécurité juridique en adoptant la décision attaquée, dans laquelle elle a ordonné la récupération de l’aide qui lui avait été prétendument accordée entre le 3 février 2002 et le 31 décembre 2003 sur le fondement de l’exonération irlandaise, alors que l’Irlande avait été autorisée à appliquer ladite exonération par les décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu par la décision 2001/224.

57      Dans les affaires T‑50/06 RENV, T‑56/06 RENV, T‑60/06 RENV, T‑62/06 RENV et T‑69/06 RENV, la Commission réfute l’ensemble des arguments des parties requérantes et conclut au rejet des moyens et des griefs tirés de l’application illégale, dans la décision attaquée, des règles en matière d’aides d’État à des exonérations accordées sur le fondement de décisions d’autorisation du Conseil et conformément à celles-ci.

58      Conformément au principe d’économie de la procédure, il apparaît opportun d’examiner, en premier lieu, les moyens et les griefs tirés de la violation du principe de sécurité juridique et/ou du principe de présomption de légalité des actes de l’Union. Par ces derniers, les parties requérantes reprochent, en substance, à la Commission, dans la décision attaquée, en décidant que les exonérations litigieuses accordées par la République italienne, l’Irlande et la République française jusqu’au 31 décembre 2003 constituent des aides d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, et en ordonnant, dans la mesure de leur incompatibilité avec le marché commun, la récupération de ces aides auprès de leurs bénéficiaires, d’avoir partiellement annihilé les effets juridiques produits par les décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu par la décision 2001/224, qui autorisaient les États membres concernés à appliquer lesdites exonérations jusqu’au 31 décembre 2006.

59      À cet égard, il convient de rappeler que les actes des institutions de l’Union jouissent, en principe, d’une présomption de légalité et produisent, dès lors, des effets juridiques aussi longtemps qu’ils n’ont pas été retirés, annulés dans le cadre d’un recours en annulation ou déclarés invalides à la suite d’un renvoi préjudiciel ou d’une exception d’illégalité (voir arrêt de la Cour du 5 octobre 2004, Commission/Grèce, C‑475/01, Rec. p. I‑8923, point 18, et la jurisprudence citée).

60      Par exception à ce principe, les actes entachés d’une irrégularité dont la gravité est si évidente qu’elle ne peut être tolérée par l’ordre juridique de l’Union doivent être réputés n’avoir produit aucun effet juridique, même provisoire, c’est-à-dire être considérés comme juridiquement inexistants. Cette exception vise à préserver un équilibre entre deux exigences fondamentales, mais parfois antagonistes, auxquelles doit satisfaire un ordre juridique, à savoir la stabilité des relations juridiques et le respect de la légalité (voir arrêt Commission/Grèce, point 59 supra, point 19, et la jurisprudence citée).

61      La gravité des conséquences qui se rattachent à la constatation de l’inexistence d’un acte des institutions de la Communauté postule que, pour des raisons de sécurité juridique, cette constatation soit réservée à des hypothèses tout à fait extrêmes (voir arrêt Commission/Grèce, point 59 supra, point 20, et la jurisprudence citée).

62      Il ressort, en outre, d’une jurisprudence constante que le principe de sécurité juridique vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit de l’Union (arrêts de la Cour du 10 avril 2003, Schulin, C‑305/00, Rec. p. I‑3525, point 58 et du 15 septembre 2005, Irlande/Commission, C‑199/03, Rec. p. I‑8027, point 69). À cette fin, il est essentiel que les institutions de l’Union respectent l’intangibilité des actes qu’elles ont adoptés et qui affectent la situation juridique et matérielle des sujets de droit, de sorte qu’elles ne pourront modifier ces actes que dans le respect des règles de compétence et de procédure (voir arrêt du Tribunal du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T‑229/94, Rec. p. II‑1689, point 113, et la jurisprudence citée). Toutefois, une violation du principe de sécurité juridique ne peut utilement être invoquée si le sujet de droit, dont la situation matérielle et juridique était affectée par l’acte en cause, n’a pas respecté les conditions formulées par celui-ci (voir arrêt du Tribunal du 25 mars 1999, Forges de Clabecq/Commission, T‑37/97, Rec. p. II‑859, point 98, et la jurisprudence citée). Le respect du principe de sécurité juridique requiert également que les institutions de l’Union évitent, par principe, les incohérences pouvant survenir dans la mise en œuvre des différentes dispositions du droit de l’Union, et ce tout particulièrement dans l’hypothèse où ces dispositions visent un même objectif, tel qu’une concurrence non faussée dans le marché commun (voir, en ce sens et par analogie, arrêt de la Cour du 15 juin 1993, Matra/Commission, C‑225/91, Rec. p. I‑3203, points 41 et 42, et arrêt du Tribunal du 31 janvier 2001, RJB Mining/Commission, T‑156/98, Rec. p. II‑337, point 112, et la jurisprudence citée).

63      Par ailleurs, dans la mesure où les présents moyens et griefs posent la question de l’articulation entre les règles en matière d’harmonisation des législations fiscales, notamment celles relatives aux droits d’accises, et les règles en matière d’aides d’État, il importe de rappeler ce qui suit.

64      À l’époque des faits, l’article 2 CE disposait, notamment, que la mission confiée à la Communauté passait « par l’établissement d’un marché commun ». Aux fins énoncées à l’article 2 CE, l’article 3, paragraphe 1, sous c) et g), CE prévoyait que l’action de la Communauté comportait, dans les conditions et selon les rythmes prévus par le traité CE, « un marché intérieur caractérisé par l’abolition, entre les États membres, des obstacles à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux » ainsi qu’« un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur ».

65      Le traité CE a doté la Communauté des moyens d’action destinés à éliminer différents types de distorsions qui nuisaient au bon fonctionnement du marché intérieur.

66      L’article 93 CE a pour objet d’atténuer les obstacles aux échanges résultant des disparités entre les systèmes fiscaux nationaux, même lorsque ceux-ci sont appliqués de manière non discriminatoire (arrêt de la Cour du 27 février 1980, Commission/Danemark, 171/78, Rec. p. 447, point 20). Il disposait, dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits, que « [l]e Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, arrêt[ait] les dispositions touchant à l’harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, aux droits d’accises et aux autres impôts indirects dans la mesure où cette harmonisation [était] nécessaire pour assurer l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur dans le délai prévu à l’article 14 ». En vertu de l’article 93 CE, le Conseil était ainsi habilité à rapprocher les législations nationales relatives aux droits d’accises dans la mesure de ce qui était nécessaire pour assurer l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 17 juin 1999, Socridis, C‑166/98, Rec. p. I‑3791, point 25, et conclusions de l’avocat général M. Mischo sous cet arrêt, Rec. p. I‑3793, point 53).

67      Il ressort des considérants, ainsi que de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 92/81, adoptée sur le fondement de l’article 93 CE, que cette dernière vise, par le biais d’une harmonisation des droits d’accises applicables aux huiles minérales, à mettre en œuvre la libre circulation des produits en cause et, ce faisant, à promouvoir le bon fonctionnement du marché intérieur (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2000, BP Chemicals/Commission, T‑184/97, Rec. p. II‑3145, point 61).

68      En outre, il découle du sixième considérant et de l’article 8, paragraphe 4, de la directive 92/81 que, dans les domaines couverts par l’harmonisation des droits d’accises applicables aux huiles minérales, des exonérations supplémentaires ne peuvent être adoptées unilatéralement par les États membres, mais nécessitent l’intervention du Conseil qui, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser les États membres, pour des raisons de politiques spécifiques, à appliquer de telles dérogations, lorsque et aussi longtemps que cela est compatible avec le bon fonctionnement du marché intérieur.

69      Le sixième considérant de la directive 92/81 précise ainsi qu’« il y a lieu de permettre aux États membres d’appliquer, s’ils le souhaitent, certaines autres exonérations ou taux réduits à l’intérieur de leur territoire, lorsque cela n’entraîne pas de distorsions de concurrence ». Il ressort de ce considérant que l’ensemble de l’article 8, paragraphe 4, de la directive 92/81 doit être interprété à la lumière des distorsions de concurrence que les mesures d’application de cette disposition sont susceptibles de créer (voir, en ce sens et par analogie, arrêt BP Chemicals/Commission, point 67 supra, point 62).

70      Cela est confirmé par le huitième considérant de la directive 92/81, qui expose la nécessité « d’instaurer une procédure d’examen de l’ensemble des exonérations ou taux réduits prévus par la présente directive afin de vérifier s’ils demeurent compatibles avec le bon fonctionnement du marché intérieur », ainsi que par l’article 8, paragraphe 5, de cette même directive, dont il découle que le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, réexamine ses décisions d’autorisation lorsque la Commission considère que les exonérations ou réductions autorisées ne peuvent plus être maintenues, notamment pour des raisons de concurrence déloyale ou de distorsion dans le fonctionnement du marché intérieur.

71      Les distorsions de concurrence qui proviennent des aides d’État sont examinées par la Commission dans le cadre d’un régime d’autorisation préalable de la Commission, sous le contrôle du juge de l’Union. En application de l’article 88, paragraphe 3, CE, les aides d’État sont en effet soumises à une procédure de notification obligatoire à la Commission. Cette procédure concerne toutes les aides d’État, y compris les aides fiscales. Les États membres ne peuvent mettre leurs projets à exécution sans attendre l’approbation de la Commission. La Commission examine la compatibilité des aides avec le marché intérieur, non pas en fonction des formes qu’elles peuvent revêtir, mais en fonction de leurs effets. Le principe d’incompatibilité avec le marché intérieur énoncé à l’article 87 CE s’applique, en effet, aux aides « sous quelque forme que ce soit », et notamment à certaines mesures fiscales. La Commission peut décider que l’État membre en cause modifie ou supprime les aides dont elle a constaté l’incompatibilité avec le marché intérieur. Lorsque les aides en cause ont déjà été mises en œuvre, en violation des règles de procédure, leur suppression implique en principe que l’État membre en cause récupère ces aides auprès de leurs bénéficiaires.

72      Il ressort des points 64 à 71 ci-dessus que les règles en matière d’harmonisation des législations fiscales nationales, notamment celles relatives aux droits d’accises, énoncées à l’article 93 CE et dans la directive 92/81, et les règles en matière d’aides d’État, prévues aux articles 87 CE à 89 CE, visent un même objectif, à savoir la promotion du bon fonctionnement du marché intérieur en luttant, notamment, contre les distorsions de concurrence. Eu égard à leur objectif commun, la mise en œuvre cohérente de ces différentes règles impose de considérer que, contrairement à ce que soutient la Commission, la notion de distorsion de concurrence revêt la même portée et le même sens en matière d’harmonisation des législations fiscales nationales et en matière d’aides d’État. De plus, il ressort des points 66 à 70 ci-dessus que les règles en matière d’harmonisation des législations fiscales nationales, notamment celles relatives aux droits d’accises, énoncées à l’article 93 CE et dans la directive 92/81, confèrent expressément aux institutions de l’Union, à savoir à la Commission, qui propose, et au Conseil, qui dispose, la responsabilité d’apprécier l’existence d’une éventuelle distorsion de concurrence, en vue d’autoriser ou non un État membre à appliquer ou à continuer d’appliquer une exonération de l’accise harmonisée, au titre de l’article 8, paragraphe 4, de la directive 92/81, ou l’existence d’une éventuelle concurrence déloyale ou distorsion dans le fonctionnement du marché intérieur justifiant de réexaminer une autorisation déjà délivrée sur le fondement de ce dernier article, conformément à l’article 8, paragraphe 5, de la directive 92/81. En cas d’appréciation négative à cet égard, il appartient à la Commission de proposer au Conseil de ne pas autoriser l’exonération demandée ou, le cas échéant, de supprimer ou de modifier l’autorisation d’exonération déjà délivrée. En cas d’appréciation différente du Conseil à cet égard, la Commission peut recourir aux pouvoirs qu’elle tire de l’article 230 CE pour introduire, devant le juge de l’Union, un recours en annulation contre la décision du Conseil d’autoriser une exonération ou de maintenir une autorisation d’exonération déjà délivrée en vue de faire contrôler l’absence objective de toute distorsion de concurrence, de toute concurrence déloyale ou de toute distorsion dans le fonctionnement du marché intérieur induite par cette exonération.

73      Enfin, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, la notion d’aide d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, répond à une situation objective et ne dépend pas du comportement ou des déclarations des institutions (voir, en ce sens, arrêt Commission/Irlande e.a., point 31 supra, point 72). L’article 87, paragraphe 1, CE déclare incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État, sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. Cette disposition vise ainsi les décisions des États membres par lesquelles ces derniers, en vue de la poursuite d’objectifs économiques et sociaux qui leur sont propres, mettent, par des décisions unilatérales et autonomes, des ressources à la disposition des entreprises ou d’autres sujets de droit, ou leur procurent des avantages destinés à favoriser la réalisation des objectifs économiques ou sociaux recherchés (arrêt de la Cour du 27 mars 1980, Denkavit italiana, 61/79, Rec. p. 1205, point 31, et arrêt du Tribunal du 5 avril 2006, Deutsche Bahn/Commission, T‑351/02, Rec. p. II‑1047, point 100).

74      Il s’ensuit que, pour que des avantages puissent être qualifiés d’aides au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, ils doivent, notamment, être imputables à l’État (voir arrêt de la Cour du 16 mai 2002, France/Commission, C‑482/99, Rec. p. I‑4397, point 24, et la jurisprudence citée ; arrêt du 5 avril 2006, Deutsche Bahn/Commission, point 73 supra, point 101), étant rappelé que la question de l’imputabilité d’une aide à un État est distincte de celle de savoir si l’aide a été octroyée au moyen de ressources d’État (voir arrêt du 5 avril 2006, Deutsche Bahn/Commission, précité, point 103, et la jurisprudence citée).

75      C’est à l’aune des règles rappelées aux points 59 à 74 ci-dessus qu’il y a lieu d’examiner si, comme le soutiennent les parties requérantes, la Commission a violé le principe de sécurité juridique et le principe de présomption de légalité des actes de l’Union, en tant qu’elle aurait illégalement annihilé certains effets juridiques produits par les décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu par la décision 2001/224, en appliquant, dans la décision attaquée, les règles en matière d’aides d’État aux exonérations litigieuses accordées jusqu’au 31 décembre 2003.

76      En l’espèce, la Commission ne conteste pas que la République italienne, l’Irlande et la République française se sont fondées sur les décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu sur la décision 2001/224, pour appliquer ou continuer à appliquer les exonérations litigieuses jusqu’au 31 décembre 2003 respectivement en Sardaigne, dans la région du Shannon et dans la région de Gardanne, et ce au bénéfice d’Eurallumina, d’AAL et d’Alcan. En effet, comme il a été observé au point 68 ci-dessus, ces décisions d’autorisation étaient une condition nécessaire pour que les États membres concernés puissent accorder légalement lesdites exonérations. En outre, comme il ressort du considérant 99 de la décision attaquée, la Commission admet que « les États membres […] étaient fondés à se fier au libellé des décisions 92/510/CEE, 93/697/CE, 96/273/CE, 97/425/CE, 1999/255/CE, 1999/880/CE et 2001/224/CE ».

77      Les décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu la décision 2001/224, autorisaient, en des termes clairs et dépourvus d’ambiguïté, la République italienne, l’Irlande et la République française à appliquer ou à continuer d’appliquer des exonérations de droits d’accises sur les huiles minérales utilisées comme combustible pour la production d’alumine respectivement en Sardaigne, dans la région du Shannon et dans la région de Gardanne, en dernier lieu, jusqu’au 31 décembre 2006, sous la seule réserve d’un éventuel examen anticipé du Conseil, sur la base d’une proposition de la Commission suivant la procédure prévue à l’article 8, paragraphe 5, de la directive 92/81 (voir point 6 ci-dessus). Pour autant qu’elles étaient assorties de certaines conditions restrictives d’ordre géographique et temporel, ces décisions avaient un effet contraignant à l’égard des États membres concernés, lequel a d’ailleurs été pris en compte par la Commission, aux considérants 17 et 63 de la décision attaquée.

78      Il n’est pas contesté que la République italienne, l’Irlande et la République française se sont pleinement conformées aux conditions restrictives d’ordre géographique et temporel fixées dans les décisions d’autorisation du Conseil. Elles n’ont appliqué ou continué à appliquer les exonérations litigieuses que dans les régions indiquées dans les décisions d’autorisation du Conseil, à savoir respectivement en Sardaigne, dans la région du Shannon et dans la région de Gardanne. En outre, elles ont accordé les exonérations litigieuses au cours de la période pendant laquelle les décisions d’autorisation du Conseil produisaient leurs effets, à savoir la période allant jusqu’au 31 décembre 2006.

79      Certes, la Commission soutient que les décisions d’autorisation du Conseil étaient une condition nécessaire, mais non suffisante, pour que les États membres concernés puissent accorder les exonérations litigieuses. Selon elle, ces décisions ne préjugeaient pas de ce que, si elles constituaient des aides d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, les exonérations litigieuses devaient lui être notifiées et être autorisées par elle, conformément à l’article 88 CE. Le caractère conditionnel des décisions d’autorisation du Conseil, par rapport à une application subséquente des procédures et des règles en matière d’aides d’État, serait attesté par le cinquième considérant de la décision 2001/224, qui se réfère expressément à d’éventuelles procédures et décisions de la Commission en vertu des articles 87 CE et 88 CE.

80      À cet égard, d’une part, il convient de relever que, comme la Commission l’a elle-même admis au considérant 97 de la décision attaquée, les décisions d’autorisation du Conseil antérieures à la décision 2001/224 « ne mentionn[aient pas] de contradiction possible avec les règles sur les aides d’État ni d’obligation de notification ». Partant, il ne peut être considéré que le Conseil aurait expressément subordonné les effets produits par lesdites décisions à la notification par les États membres concernés des exonérations litigieuses à la Commission, conformément à l’article 88 CE, et à l’adoption, par cette dernière, d’une décision de ne pas soulever d’objection ou d’une décision positive en matière d’aides d’État.

81      D’autre part, contrairement à ce que soutient la Commission, le considérant 5 de la décision 2001/224, tel qu’il est partiellement reproduit au point 15 ci-dessus, ne peut pas être analysé comme une manifestation expresse de la volonté du Conseil de subordonner les effets de son autorisation au respect, par les États membres concernés, de leur obligation de notifier les exonérations litigieuses à la Commission, conformément à l’article 88 CE, et à l’adoption, par cette dernière, d’une décision de ne pas soulever d’objection ou d’une décision positive à leur égard, et ce pour les raisons suivantes.

82      À titre principal, l’interprétation du considérant 5 de la décision 2001/224 défendue par la Commission a été, implicitement, mais nécessairement, infirmée par le Conseil dans sa réponse aux questions du Tribunal (voir point 36 ci-dessus). Invité à se prononcer sur le point de savoir si un examen des exonérations litigieuses au regard des règles en matière d’aides d’État se concluant, comme en l’espèce, par une décision finale négative de la Commission pouvait mettre un terme anticipé auxdites exonérations, malgré les termes de l’article 1er de la décision 2001/224, qui autorisaient la République italienne, l’Irlande et la République française à continuer d’appliquer les exonérations litigieuses jusqu’au 31 décembre 2006, celui-ci a répondu que, en l’absence de toute action de la Commission soit en exerçant les pouvoirs qu’elle tirait de l’article 230 CE, soit en faisant une nouvelle proposition au titre de l’article 8, paragraphe 4, de la directive 92/81, conformément à l’article 8, paragraphe 5, de cette même directive, « la décision 2001/224 demeurait valide et les États membres [concernés] étaient autorisés à se fonder sur l’autorisation délivrée dans celle-ci pour maintenir les exonérations litigieuses ». Il découle de cette réponse que le Conseil n’a pas eu la volonté de subordonner les effets de la décision 2001/224 à d’éventuelles procédures et décisions subséquentes de la Commission en matière d’aides d’État.

83      En tout état de cause, l’interprétation du considérant 5 de la décision 2001/224 et de la référence, dans ce considérant, à d’éventuelles procédures et décisions en vertu des articles 87 CE et 88 CE défendue par la Commission ne peut être retenue dans la mesure où elle aboutirait, dans les circonstances de l’espèce, à une mise en œuvre incohérente des règles en matière d’harmonisation des législations fiscales, notamment celles relatives aux droits d’accises, et des règles en matière d’aides d’État, qui serait contraire aux exigences découlant du respect du principe de sécurité juridique (voir point 62 ci-dessus).

84      En premier lieu, cette interprétation ne permet pas d’aboutir à une mise en œuvre cohérente des différentes règles de droit de l’Union dont l’application est invoquée en l’espèce, dans la mesure où, conformément aux règles exposées aux points 66 à 68 ci-dessus, les décisions d’autorisation successives du Conseil, adoptées à l’unanimité sur proposition de la Commission, reposaient sur une appréciation commune du Conseil et de la Commission, selon laquelle les exonérations litigieuses n’entraînaient pas de distorsion de concurrence et n’entravaient pas le bon fonctionnement du marché intérieur, ce dont il résultait que l’un des éléments de la définition des aides d’État, au sens de l’article 87 CE, à savoir qu’elles faussaient la concurrence, était a priori absent.

85      Cette appréciation commune du Conseil et de la Commission est confirmée par le quatrième considérant de la décision 92/510, aux termes duquel « la Commission et tous les États membres admettent que toutes ces exonérations [...] n’entraînent pas de distorsions de concurrence et qu’elles n’entravent pas le bon fonctionnement du marché intérieur », ainsi que par une considération similaire figurant au quatrième considérant de la décision 93/697 et de la décision 96/273.

86      Elle est, en outre, confirmée par l’arrêt Commission/Irlande e.a., point 31 supra (point 83), dans lequel la Cour constate que « la Commission avait estimé, lors de l’adoption par le Conseil des décisions d’autorisation des exonérations litigieuses, que celles-ci n’entraînaient pas de distorsion de la concurrence et n’entravaient pas le bon fonctionnement du marché intérieur ».

87      Elle est encore confirmée par le Conseil, dans sa réponse aux questions du Tribunal (voir point 36 ci-dessus), lorsqu’il indique que, « agissant sur la base des pouvoirs qui lui étaient conférés dans le cadre de l’article 93 CE, et partant ayant tenu compte de l’exigence du bon fonctionnement du marché intérieur, il a autorisé les trois États membres concernés, dans une situation connue de lui comme comprenant trois bénéficiaires spécifiques et trois autres opérateurs dans d’autres États, qui produisaient également de l’alumine, de continuer à appliquer [les exonérations litigieuses], dont le contenu, la portée et les effets étaient bien connus tant [de lui] que de la Commission, jusqu’à une date fixée ».

88      Par ailleurs, selon l’appréciation commune du Conseil et de la Commission, dans le cinquième considérant de la décision 97/425, dans le quatrième considérant de la décision 1999/255, dans le considérant 4 de la décision 1999/880 ainsi que, sous une formulation équivalente, dans le quatrième considérant de la décision 1999/255, il a été prévu que « la Commission examinera[it] régulièrement [...] les exonérations aux fins de garantir leur compatibilité avec le fonctionnement du marché intérieur et avec d’autres objectifs du traité [CE] ».

89      Enfin, la Commission a elle-même admis, au considérant 97 de la décision attaquée, que, au moment où les décisions d’autorisation, en dernier lieu la décision 2001/224, ont été adoptées par le Conseil, statuant à l’unanimité sur sa propre proposition, « [i]l sembl[ait] donc que l’un des éléments de la définition des aides d’État de l’article 87 du traité, à savoir qu’elles fauss[ai]ent la concurrence, [était] absent ».

90      Au vu de l’appréciation commune du Conseil et de la Commission qui a servi de fondement à toutes les décisions d’autorisation du Conseil, selon laquelle les exonérations litigieuses n’entraînaient pas de distorsion de concurrence et n’entravaient pas le bon fonctionnement du marché intérieur, il serait incohérent d’interpréter le cinquième considérant de la décision 2001/224 et la référence, dans ce considérant, à d’éventuelles procédures et décisions en vertu des articles 87 CE et 88 CE en ce sens que le Conseil aurait entendu subordonner les effets de la décision 2001/224 à d’éventuelles procédures et décisions de la Commission en matière d’aides d’État. En revanche, cette appréciation commune est cohérente avec l’interprétation inverse, selon laquelle le Conseil n’a pas entendu subordonner les effets de la décision 2001/224 au résultat d’éventuelles procédures et des décisions subséquentes en matière d’aides d’État.

91      En deuxième lieu, l’interprétation défendue par la Commission ne permet pas d’aboutir à une mise en œuvre cohérente des différentes règles de droit de l’Union dont l’application est invoquée en l’espèce, dans la mesure où la sélectivité sur le plan régional des exonérations litigieuses était un effet découlant directement des décisions d’autorisation du Conseil, qui avaient défini les conditions restrictives d’application des exonérations litigieuses sur le plan géographique. Comme la Commission l’a elle-même relevé aux considérants 17 et 63 de la décision attaquée, les exonérations litigieuses ne pouvaient, comme prévu dans les législations nationales en cause, être appliquées sur tout le territoire des États membres concernés, mais seulement dans les régions indiquées à l’annexe I de la décision 2001/224, à laquelle renvoyait l’article 1er, paragraphe 1, de cette même décision, et, comme il est indiqué au considérant 63 de la décision attaquée, elles « étaient sélectives sur le plan régional parce que les décisions [d’autorisation du Conseil] n’autorisaient les exonérations que dans certaines régions et les investisseurs potentiels qui souhaitaient faire des investissements dans la production d’alumine dans d’autres régions n’étaient pas assurés d’obtenir un traitement similaire ». Par conséquent, la sélectivité sur le plan régional de ces mesures ne pouvait, a priori, pas être imputée aux États membres concernés, mais était un effet découlant des décisions d’autorisation du Conseil.

92      Compte tenu du fait que la sélectivité sur le plan régional des exonérations litigieuses découlait non de décisions unilatérales et autonomes des États membres concernés, mais des décisions d’autorisation du Conseil, il serait incohérent d’interpréter le cinquième considérant de la décision 2001/224 et la référence qui y est faite à d’éventuelles procédures et décisions en vertu des articles 87 CE et 88 CE en ce sens que le Conseil aurait entendu subordonner les effets de la décision 2001/224 à d’éventuelles procédures et décisions de la Commission en matière d’aides d’État. En revanche, ce fait est cohérent avec l’interprétation inverse, selon laquelle le Conseil n’a pas entendu subordonner les effets de la décision 2001/224 au résultat d’éventuelles procédures et de décisions subséquentes en matière d’aides d’État.

93      En troisième lieu, l’interprétation défendue par la Commission ne permet pas d’aboutir à une mise en œuvre cohérente des différentes règles de droit de l’Union dont l’application est invoquée en l’espèce, dans la mesure où le non-respect par la République italienne, par l’Irlande et par la République française du taux d’accise minimal fixé par la directive 92/82, qui, pour la période considérée, s’élevait à 13 euros par 1000 kg, était conforme aux décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu à la décision 2001/224, qui autorisaient les États membres concernés à appliquer ou à continuer d’appliquer les exonérations litigieuses jusqu’au 31 décembre 2006. Comme la Commission l’a elle-même relevé au considérant 76 de la décision attaquée, « les trois exonérations [autorisées par le Conseil] étaient totales ». Elles se distinguaient ainsi des réductions de droits d’accises ou des applications de taux d’accises différenciés qui avaient été autorisées par les décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu par la décision 2001/224, à la condition expresse que les taux appliqués respectent les obligations prévues par la directive 92/82, et notamment les taux d’accises minimaux fixés par cette dernière. Par conséquent, le non-acquittement par Eurallumina, par AAL et par Alcan, avant le 31 décembre 2006, d’un droit correspondant au moins au taux d’accise minimal fixé par la directive 92/82, qui s’élevait, pour la période considérée, à 13 euros par 1000 kg, est imputable aux décisions du Conseil autorisant la République italienne, l’Irlande et la République française à continuer à appliquer, jusqu’à cette date, des exonérations totales de droits d’accises des huiles minérales utilisées comme combustibles dans la production d’alumine respectivement en Sardaigne, dans la région du Shannon et dans la région de Gardanne.

94      Au vu de la nature des mesures qu’il avait autorisées, à savoir des exonérations totales de droits d’accises, plutôt que des réductions de droits d’accises respectant le taux d’accise minimal fixé par la directive 92/82, il aurait été paradoxal que, par le considérant 5 de la décision 2001/224, le Conseil ait entendu exprimer sa volonté de subordonner les effets de ladite décision à une décision ultérieure de la Commission en matière d’aides d’État, telle la décision attaquée, aux termes de laquelle seules des réductions de droits d’accises, sous condition que les taux appliqués respectent le taux d’accise minimal de 13 euros par 1000 kg fixé par la directive 92/82 (voir considérant 76 et article 4 de la décision attaquée), pouvaient être légalement mises en œuvre par les États membres concernés. En revanche, la nature des mesures autorisées par le Conseil est cohérente avec l’interprétation inverse, selon laquelle ce dernier n’a pas entendu subordonner les effets de la décision 2001/224 au résultat d’éventuelles procédures et décisions subséquentes en matière d’aides d’État.

95      Il résulte des points 83 à 94 ci-dessus que le considérant 5 de la décision 2001/224 et la référence, dans ce considérant, à d’éventuelles procédures et décisions de la Commission en vertu des articles 87 CE et 88 CE ne peuvent, comme soutenu par la Commission, viser des cas où les États membres appliquent des réductions de taux d’accises ou des exonérations de droits d’accises en se conformant purement et simplement à une autorisation délivrée par une institution de l’Union (voir, en ce sens et par analogie, arrêts de la Cour Commission/Grèce, point 59 supra, points 15, 16, 24 et 25, et du 15 juillet 2010, Commission/Royaume-Uni, C‑582/08, Rec. p. I‑7195, points 47 à 52). En effet, une telle interprétation porterait atteinte à l’impératif d’assurer une mise en œuvre cohérente des différentes dispositions du droit de l’Union dont l’application est invoquée en l’espèce, impératif qui découle lui-même du principe de sécurité juridique (point 62 ci-dessus). Ledit considérant et ladite référence visent donc a priori des cas différents de ceux de l’espèce, où les États membres appliquent des réductions de taux d’accises ou des exonérations de taux d’accises en exerçant une marge d’appréciation qui leur a été réservée par le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 5 avril 2006, Deutsche Bahn/Commission, point 73 supra, point 113 ; voir, en ce sens et par analogie, arrêt Socridis, point 66 supra, points 19 et 20) ou en ne respectant pas les conditions expressément énoncées par ce dernier en vue de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, comme les taux d’accises minimaux fixés dans la directive 92/82.

96      Dès lors, la Commission n’est pas fondée à soutenir que, en continuant à appliquer les exonérations litigieuses au cours de la période allant jusqu’au 31 décembre 2003, la République italienne, l’Irlande et la République française ont méconnu une condition posée dans les décisions d’autorisation du Conseil, y compris dans la décision 2001/224, et qui subordonnait les effets produits par ces décisions au résultat d’éventuelles procédures et décisions subséquentes de la Commission en matière d’aides d’État.

97      Il s’ensuit que l’ensemble des conditions posées par les décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu par la décision 2001/224, ont été respectées par les États membres concernés, de sorte que ces derniers ont accordé les exonérations litigieuses jusqu’au 31 décembre 2003 non seulement en se fondant sur les décisions d’autorisation du Conseil, mais encore en se conformant purement et simplement aux conditions fixées par celles-ci.

98      De plus, il convient de rejeter les arguments de la Commission selon lesquels les décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu la décision 2001/224, ne pouvaient avoir, en tout état de cause, pour effet d’affranchir la République italienne, l’Irlande et la République française de leur obligation de respecter les procédures et les règles en matière d’aides d’État et selon lesquels le Conseil ne pouvait, dans l’exercice de ses compétences propres en matière d’harmonisation fiscale, empiéter sur sa compétence quasi exclusive en matière d’aides d’État. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée aux points 73 et 74 ci-dessus, les avantages que les exonérations litigieuses avaient éventuellement conférés à leurs bénéficiaires devaient, pour pouvoir être qualifiés d’aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, être imputables à une décision autonome et unilatérale des États membres concernés. Or, en l’espèce, ces derniers avaient accordé les avantages litigieux en se fondant sur les décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu de la décision 2001/224, et en respectant l’ensemble des conditions formulées par celles-ci. Comme l’ont observé à bon droit les parties requérantes, dans leurs réponses aux questions du Tribunal et lors de l’audience, lesdits avantages devaient donc être imputés à l’Union qui, par l’intermédiaire de l’une de ses institutions, avait autorisé la République italienne, l’Irlande et la République française à continuer à appliquer les exonérations litigieuses jusqu’au 31 décembre 2006 en considération de ce que, notamment, ces exonérations n’entraînaient pas de distorsions de concurrence.

99      Il s’ensuit que, aussi longtemps que les décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu la décision 2001/224, étaient en vigueur et n’avaient été ni modifiées par le Conseil, ni annulées par le juge de l’Union, la Commission ne pouvait pas, dans l’exercice même des pouvoirs quasi exclusifs qu’elle tirait des articles 87 CE et 88 CE, qualifier les exonérations litigieuses d’aides d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. En outre, dans la mesure où les obligations procédurales énoncées à l’article 88 CE découlaient de la qualification des mesures concernées d’aides d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, la Commission n’était pas fondée à faire grief aux États membres concernés de ne pas lui avoir notifié les exonérations litigieuses qu’ils avaient accordées, jusqu’au 31 décembre 2003, sur le fondement des décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu de la décision 2001/224, et dans le respect des conditions formulées par celles-ci.

100    Alors qu’une telle responsabilité lui revenait (voir point 72 ci-dessus), la Commission n’a jamais usé des pouvoirs qu’elle détenait pour obtenir une suppression ou une modification des décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu de la décision 2001/224, une annulation de ces mêmes décisions ou une déclaration d’invalidité de la directive 92/81, prise dans sa totalité ou en son seul article 8, paragraphe 4. La Commission a elle-même reconnu, au considérant 96 de la décision attaquée, que l’« on ne s’attendrait normalement pas à ce qu[’elle] soumette au Conseil des propositions incompatibles avec d’autres dispositions du traité sans mentionner cette possibilité, notamment lorsque les propositions portent sur une question très précise et visent un petit nombre de bénéficiaires, comme dans le cas d’espèce, et lorsque ces dispositions visent à éviter les distorsions de la concurrence dans la Communauté », ni « à ce qu[’elle] propose au Conseil d’autoriser la prorogation d’une exonération existante si elle devait trouver dans cette dernière une aide incompatible avec le marché commun ». De même, il n’y aurait pas lieu de s’attendre à ce que, au regard de l’obligation qui incombe à la Commission d’assurer une mise en œuvre cohérente des règles en matière d’aides d’État avec les autres dispositions du droit de l’Union applicables aux exonérations litigieuses (point 61 ci-dessus), celle-ci, si elle devait estimer que certains effets produits par les décisions d’autorisation du Conseil ou par la directive 92/81 étaient incompatibles avec les règles en matière d’aides d’État, s’abstienne d’exercer ses pouvoirs en vue d’obtenir la modification ou l’annulation partielle desdites décisions ou une déclaration d’invalidité de l’article 8, paragraphe 4, de la directive 92/81, sur le fondement duquel ces mêmes décisions avaient été adoptées.

101    Le fait que les exonérations litigieuses ne pouvaient, en l’espèce, être qualifiées d’aides d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, ne préjugeait pas de ce que celles-ci restaient régies par l’article 8, paragraphe 5, de la directive 92/81, de sorte qu’elles pouvaient être soumises à d’« éventuelles procédures relatives aux distorsions de fonctionnement du marché unique », comme le prévoyait le considérant 5 de la décision 2001/224. Le second paragraphe de l’article 1er de la décision 2001/224 confirme ainsi que l’autorisation délivrée par le Conseil expirait le 31 décembre 2006, « [s]ous réserve d’un examen anticipé du Conseil, sur la base d’une proposition de la Commission », conformément à la procédure prévue à l’article 8, paragraphe 5, de la directive 92/81. Or, il n’est pas contesté que, sur ce fondement, la Commission n’a jamais présenté au Conseil de proposition appropriée, fondée sur la considération selon laquelle les exonérations litigieuses ne pouvaient plus être maintenues, notamment pour des raisons de concurrence déloyale ou de distorsion dans le fonctionnement du marché intérieur.

102    De plus, la Commission n’a pas fait usage des pouvoirs qu’elle tirait de l’article 230 CE pour demander l’annulation de l’une ou de l’autre des décisions d’autorisation du Conseil, motif pris de ce que l’une ou l’autre aurait été entachée d’une erreur d’appréciation concernant l’absence objective de toute distorsion de concurrence, de toute concurrence déloyale ou de toute distorsion dans le fonctionnement du marché intérieur induite par les exonérations litigieuses. Elle n’a pas davantage soulevé, sur le fondement de l’article 241 CE (devenu article 277 TFUE), d’exception d’illégalité de la directive 92/81, prise dans sa totalité ou en son seul article 8, paragraphe 4. De fait, ni les décisions d’autorisation du Conseil, ni la directive 92/81 n’ont été, en tout ou partie, annulées ou déclarées invalides par le juge de l’Union.

103    Enfin, la Commission n’a jamais allégué, même dans ses écritures dans les présentes affaires, que les décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu la décision 2011/224, ou que la directive 92/81, prise dans sa totalité ou en son seul article 8, paragraphe 4, devaient être considérées comme des actes inexistants ou même seulement que lesdits actes étaient entachés d’illégalité.

104    Il s’ensuit que, comme l’a fait valoir à bon droit le Conseil dans sa réponse aux questions du Tribunal (voir point 36 ci-dessus), au moment où la Commission a adopté la décision attaquée, la décision 2001/224 existait et demeurait valide. Cette dernière décision, les décisions d’autorisation du Conseil qui l’avaient précédée ainsi que la directive 92/81, notamment son article 8, paragraphe 4, bénéficiaient de la présomption de légalité qui s’attachent à tout acte de l’Union. Elles produisaient tous leurs effets juridiques. Par conséquent, la République italienne, l’Irlande et la République française étaient autorisées à se fonder sur les décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu la décision 2001/224, pour continuer à appliquer les exonérations litigieuses respectivement en Sardaigne, dans la région du Shannon et dans la région de Gardanne, notamment, jusqu’au 31 décembre 2003. Ces décisions faisaient, en principe, obstacle à ce que, dans la décision attaquée, la Commission puisse imputer aux États membres concernés les exonérations litigieuses susmentionnées et, partant, à ce qu’elle puisse les qualifier d’aides d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, et en ordonner la récupération partielle, pour autant qu’elle les estimait incompatibles avec le marché intérieur, au sens de l’article 87, paragraphe 3, CE.

105    Dans les circonstances particulières de l’espèce, il y a lieu de constater que la décision attaquée, en ce qu’elle remet directement en cause la validité des exonérations litigieuses accordées par la République italienne, l’Irlande et la République française jusqu’au 31 décembre 2003, remet également en cause, indirectement, mais nécessairement, la validité des décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu la décision 2001/224, et des effets attachés à celles-ci. Ce faisant, elle viole le principe de sécurité juridique ainsi que le principe de présomption de légalité des actes de l’Union.

106    En conséquence, il y a lieu d’accueillir, dans les affaires jointes T‑50/06 RENV, T‑56/06 RENV, T‑60/06 RENV, T‑62/06 RENV et T‑69/06 RENV, les moyens ou les griefs tirés de la violation du principe de sécurité juridique et/ou du principe de présomption de légalité des actes de l’Union.

107    S’agissant, en second lieu, du grief tiré de la violation du principe de bonne administration, soulevé par Eurallumina dans l’affaire T‑62/06 RENV, il résulte de la jurisprudence que ce principe ne confère pas, par lui-même, de droits aux particuliers (arrêt du Tribunal du 6 décembre 2001, Area Cova e.a./Conseil et Commission, T‑196/99, Rec. p. II‑3597, point 43), sauf lorsqu’il constitue l’expression de droits spécifiques (arrêts du Tribunal du 4 octobre 2006, Tillack/Commission, T‑193/04, Rec. p. II‑3995, point 127, et du 13 novembre 2008, SPM/Conseil et Commission, T‑128/05, non publié au Recueil, point 127).

108    Il ressort des développements qui précèdent que, en adoptant la décision attaquée, la Commission a notamment porté atteinte à des exonérations de droits d’accises qui, comme il ressort des considérants 18, 20 et 63 de la décision attaquée, avaient été accordées par la République italienne à Eurallumina, pour son usine en Sardaigne, en application de l’autorisation délivrée par le Conseil dans la décision 2001/224. Or, aussi longtemps que les décisions d’autorisation du Conseil, en dernier lieu la décision 2001/224, étaient en vigueur et n’avaient été ni modifiées par le Conseil, ni annulées par le juge de l’Union, le principe de sécurité juridique ainsi que le principe de présomption de légalité des actes de l’Union faisaient obstacle à ce que la Commission adopte, dans l’exercice de ses pouvoirs quasi exclusifs en matière d’aides d’État, une décision contredisant les effets produits par la décision 2001/224 en remettant, notamment, en cause des droits spécifiques que la République italienne avait conférés à Eurallumina en application de cette dernière décision.

109    Il s’ensuit que, en adoptant la décision attaquée, sans tenir compte des droits spécifiques que la République italienne avait conférés à Eurallumina en application de la décision 2001/224 et qui, en tant qu’effets découlant de cette dernière décision, étaient juridiquement protégés par le principe de sécurité juridique et le principe de présomption de légalité des actes de l’Union, la Commission a également violé le principe de bonne administration.

110    Sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres moyens ou griefs soulevés par l’Irlande, dans l’affaire T‑50/06 RENV, par AAL, dans l’affaire T‑69/06 RENV, par la République italienne, dans l’affaire T‑60/06 RENV, par Eurallumina, dans l’affaire T‑62/06 RENV, et par la République française, dans l’affaire T‑56/06 RENV, il y a donc lieu d’annuler la décision attaquée en tant qu’elle constate, ou repose sur le constat, que les exonérations de droits d’accises sur les huiles minérales utilisées comme combustible pour la production d’alumine accordées par la République française, l’Irlande et la République italienne jusqu’au 31 décembre 2003 constituent des aides d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, et en tant qu’elle ordonne à la République française, à l’Irlande et à la République italienne de prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer lesdites exonérations auprès de leurs bénéficiaires dans la mesure où ces derniers ne se sont pas acquittés d’un droit d’accise d’au moins 13,01 euros par 1 000 kg d’huile minérale lourde.

 Sur les dépens

111    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

112    La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé dans l’affaire T‑69/06 R, conformément aux conclusions des parties requérantes.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La décision 2006/323/CE de la Commission, du 7 décembre 2005, concernant l’exonération du droit d’accise sur les huiles minérales utilisées comme combustible pour la production d’alumine dans la région de Gardanne, dans la région du Shannon et en Sardaigne, mise en œuvre respectivement par la France, l’Irlande et l’Italie, est annulée en tant qu’elle constate, ou repose sur le constat, que les exonérations de droits d’accises sur les huiles minérales utilisées comme combustible pour la production d’alumine accordées par la République française, l’Irlande et la République italienne jusqu’au 31 décembre 2003 constituent des aides d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, et en tant qu’elle ordonne à la République française, à l’Irlande et à la République italienne de prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer lesdites exonérations auprès de leurs bénéficiaires dans la mesure où ces derniers ne se sont pas acquittés d’un droit d’accise d’au moins 13,01 euros par 1 000 kg d’huile minérale lourde.

2)      La Commission européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par l’Irlande, dans l’affaire T‑50/06 RENV, par la République française, dans l’affaire T‑56/06 RENV, par la République italienne, dans l’affaire T‑60/06 RENV, par Eurallumina SpA, dans l’affaire T‑62/06 RENV, et par Aughinish Alumina Ltd, dans l’affaire T‑69/06 RENV, y compris ceux afférents à la procédure de référé dans l’affaire T‑69/06 R.

Pelikánová

Vadapalas

Jürimäe

O’Higgins

 

      Van der Woude

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 mars 2012.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Alumine

Directives relatives aux droits d’accises sur les huiles minérales

Décisions du Conseil adoptées sur la base de l’article 8, paragraphe 4, de la directive 92/81

Procédure administrative

Décision attaquée

Procédures devant le Tribunal et la Cour de justice

Conclusions présentées par les parties dans l’instance après renvoi

En droit

Sur les chefs de conclusions d’Eurallumina visant à obtenir certaines déclarations du Tribunal

Exposé synthétique des moyens et des griefs soulevés par les parties requérantes

Sur les moyens et les griefs tirés de l’application illégale des règles en matière d’aides d’État à des exonérations accordées sur le fondement de décisions d’autorisation du Conseil et conformément à celles-ci

Sur les dépens


* Langues de procédure : l’anglais, le français et l’italien.