Language of document : ECLI:EU:T:2019:740

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (huitième chambre)

10 octobre 2019 (*)

« Recours en annulation – Politique économique et monétaire – Mécanisme de résolution unique des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement – Dispositif de résolution à l’égard de Banco Popular Español – Absence de valorisation définitive ex post de Banco Popular Español – Acte non susceptible de recours – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑599/18,

Aeris Invest Sàrl, établie à Luxembourg (Luxembourg), représentée par Mes R. Vallina Hoset, P. Medina Sánchez et A. Sellés Marco, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de résolution unique (CRU), représenté par Mme A. Valavanidou, MM. I. Georgiopoulos et E. Muratori, en qualité d’agents, assistés de Mes B. Meyring, S. Schelo, F. Málaga Diéguez, F. Fernández de Trocóniz Robles, T. Klupsch, M. Bettermann, S. Ianc et M. Rickert, avocats,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la « décision du CRU de ne pas effectuer une valorisation définitive ex post de Banco Popular Español, SA communiquée à la requérante par lettre du 14 septembre 2018 »,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé, lors des délibérations, de M. A. M. Collins, président, Mme M. Kancheva et M. G. De Baere (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        La requérante, Aeris Invest Sàrl, détenait des actions de Banco Popular Español, SA (ci-après « Banco Popular ») avant l’adoption d’un dispositif de résolution à l’égard de cette dernière sur le fondement du règlement (UE) no 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1).

 Sur la résolution de Banco Popular

2        Le 7 juin 2017, le Conseil de résolution unique (CRU) a adopté la décision SRB/EES/2017/08, concernant un dispositif de résolution à l’égard de Banco Popular (ci-après la « décision de résolution »).

3        Préalablement à l’adoption de la décision de résolution, une valorisation de Banco Popular a été réalisée conformément à l’article 20 du règlement no 806/2014. Cette valorisation comprend deux rapports qui sont annexés à la décision de résolution. Le premier rapport de valorisation (ci-après la « valorisation 1 »), daté du 5 juin 2017, a été rédigé par le CRU en application de l’article 20, paragraphe 5, sous a), du règlement no 806/2014 et avait pour objectif de fournir les éléments permettant de déterminer si les conditions de déclenchement d’une procédure de résolution, telles que définies à l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 806/2014, étaient réunies. Le deuxième rapport de valorisation (ci-après la « valorisation 2 »), daté du 6 juin 2017, a été rédigé par un expert indépendant, à savoir le cabinet Deloitte, en application de l’article 20, paragraphe 10, du règlement no 806/2014. Cette valorisation 2 avait pour but d’estimer la valeur de l’actif et du passif de Banco Popular, de fournir une estimation sur le traitement dont les actionnaires et les créanciers auraient bénéficié si Banco Popular avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité ainsi que de fournir les éléments permettant de prendre la décision concernant les actions et les titres de propriété à transférer et permettant au CRU de déterminer ce que constituaient des conditions commerciales aux fins de l’instrument de cession des activités.

4        À l’article 5, paragraphe 1, de la décision de résolution, le CRU a décidé que :

« [l]’instrument de résolution appliqué à Banco Popular consistera en une cession des activités en vertu de l’article 24 du règlement no 806/2014 par le transfert des actions à un acquéreur. La dépréciation et la conversion des instruments de fonds propres seront effectuées immédiatement avant l’application de l’instrument de cession des activités. »

5        L’article 6 de la décision de résolution concerne la dépréciation des instruments de fonds propres et l’instrument de cession des activités. À l’article 6, paragraphe 1, de cette décision, le CRU a indiqué quelles mesures il avait décidées en application de son pouvoir de dépréciation prévu à l’article 21 du règlement no 806/2014.

6        Ainsi, à l’article 6, paragraphe 1, de la décision de résolution, le CRU a décidé :

a)       d’abord, de déprécier le montant nominal du capital social de Banco Popular d’un montant de 2 098 429 046 euros, ce qui conduira à l’annulation de 100 % des actions de Banco Popular ;

b)       ensuite, de convertir la totalité du montant principal des instruments de fonds propres additionnels de catégorie 1 émis par Banco Popular et en circulation à la date de la décision de résolution en des actions nouvellement émises de Banco Popular, les « nouvelles actions I » ;

c)      ensuite, de déprécier à zéro la valeur nominale des « nouvelles actions I » ce qui conduira à l’annulation de 100 % de ces « nouvelles actions I » ;

d)      enfin, de convertir la totalité du montant principal des instruments de fonds propres de catégorie 2 émis par Banco Popular et en circulation à la date de la décision de résolution en des actions nouvellement émises de Banco Popular, les « nouvelles actions II ».

7        L’article 6, paragraphe 3, de la décision de résolution prévoit que ces mesures de dépréciation et de conversion sont fondées sur la valorisation 2, corroborée par les résultats d’un processus de vente transparent et ouvert réalisé par l’autorité de résolution espagnole, le Fondo de Reestructuración Ordenada Bancaria (FROB, fonds de restructuration ordonnée des établissements bancaires).

8        Dans l’article 6, paragraphe 5, de la décision de résolution, le CRU a indiqué qu’il exerçait les pouvoirs qui lui étaient conférés par l’article 24, paragraphe 1, sous a), du règlement no 806/2014, relatif à l’instrument de cession des activités, et a ordonné que les « nouvelles actions II » soient transférées à Banco Santander, SA, libres et quittes de tout droit ou privilège d’un tiers, en contrepartie du paiement d’un prix d’achat de un euro. Il est précisé que l’acquéreur a déjà consenti au transfert.

9        Le 7 juin 2017, la Commission européenne a adopté la décision (UE) 2017/1246, approuvant le dispositif de résolution à l’égard de Banco Popular (JO 2017, L 178, p.15).

10      Le même jour, le FROB a adopté les mesures nécessaires pour mettre en œuvre la décision de résolution, conformément à l’article 29 du règlement no 806/2014. Dans ce cadre, le FROB a donné son accord au transfert des nouvelles actions de Banco Popular issues de la conversion des instruments de fonds propres de catégorie 2 à Banco Santander.

11      Le 14 juin 2018, le CRU a reçu le rapport final du cabinet Deloitte sur la valorisation, prévue par l’article 20, paragraphes 16 et 17, du règlement no 806/2014, visant à déterminer si les actionnaires et créanciers affectés par le dispositif de résolution de Banco Popular auraient bénéficié d’un meilleur traitement si l’établissement avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité (ci-après la « valorisation 3 »).

12      Le 7 août 2018, le CRU a publié une communication concernant son « avis […] du 2 août 2018 relatif à sa décision préliminaire sur la nécessité d’accorder ou non un dédommagement aux actionnaires et aux créanciers qui ont fait l’objet des mesures de résolution concernant Banco Popular […] et au lancement de la procédure du droit d’être entendu (SRB/EES/2018/132) » (JO 2018, C 277 I, p. 1). La valorisation 3 était jointe en annexe de cet avis.

13      Dans cette communication, le CRU a indiqué :

« Il ressort du rapport sur la valorisation 3 qu’il n’existe pas de différence entre le traitement dont bénéficient réellement les actionnaires et créanciers affectés et celui dont ils auraient bénéficié si l’établissement avait été soumis à une procédure normale d’insolvabilité à la date de la résolution. Au vu de ce qui précède, le CRU, dans son avis, décide, à titre préliminaire, qu’il n’est pas tenu de verser un dédommagement aux actionnaires et créanciers affectés selon les termes de l’article 76, paragraphe 1, [sous] e), du règlement no 806/2014.

Pour lui permettre de prendre sa décision finale sur la nécessité ou non d’accorder un dédommagement, le CRU invite par le présent avis les actionnaires et créanciers affectés à faire part de leur intérêt à exercer leur droit d’être entendus au regard de la décision préliminaire du CRU susmentionnée en suivant la procédure de consultation […] »

14      Le 28 septembre 2018, à la suite d’une fusion par absorption, Banco Santander a succédé à titre universel à Banco Popular.

 Sur les demandes de la requérante

15      Le 18 septembre 2017, la requérante a introduit un recours devant le Tribunal tendant à l’annulation de la décision de résolution à l’égard de Banco Popular ainsi que de la décision 2017/1246. Cette affaire a été enregistrée sous le numéro T‑628/17.

16      Le 4 mai 2018, la requérante a présenté au CRU une demande d’accès aux documents sur le fondement du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), concernant la valorisation 2 définitive ex post (ci-après la « valorisation définitive ex post ») et la valorisation 3 de Banco Popular, telles que prévues à l’article 20 du règlement no 806/2014.

17      Le 19 juin 2018, le CRU a répondu à cette demande en indiquant, d’une part, que le cabinet Deloitte lui avait transmis la valorisation 3 et qu’une version non-confidentielle serait préparée avant sa publication et, d’autre part, qu’il n’était pas en possession de la valorisation définitive ex post.

18      Le 30 juillet 2018, dans le cadre de la procédure dans l’affaire T‑628/17, en réponse à une mesure d’organisation de la procédure décidée par le Tribunal, le CRU a indiqué qu’il ne préparerait pas une valorisation 1 ex post et que la valorisation 2 ne serait pas suivie d’une valorisation définitive ex post, tout en précisant pour quels motifs. À cet égard, le CRU a mentionné que, « en raison des particularités du cas présent, [il était] arrivé à la conclusion qu’une valorisation [définitive] ex post ne servirait aucune finalité pratique dans le cadre de l’article 20, paragraphe 11, du règlement no 806/2014, ni ne mènerait à une décision de compensation prévue à l’article 20, paragraphe 12, du règlement no 806/2014 ». Il a relevé qu’une valorisation définitive ex post ne pouvait être requise lorsqu’elle ne pouvait pas atteindre ses objectifs et a expliqué pour quels motifs tel était le cas en l’espèce. Le CRU a précisé les motifs pour lesquels aucun des objectifs de l’article 20, paragraphes 11 et 12, du règlement no 806/2014 ne serait atteint par une valorisation définitive ex post et a conclu qu’effectuer une telle valorisation ne serait pas requis dans les circonstances de la présente affaire. Cette réponse a été signifiée à la requérante par le Tribunal le 2 août 2018.

19      Par lettre du 3 août 2018, la requérante a mis en demeure le CRU, sur le fondement de l’article 265 TFUE, de veiller à ce qu’une valorisation définitive ex post de Banco Popular, prévue par l’article 20, paragraphe 11, du règlement no 806/2014, soit effectuée par une personne indépendante.

20      Le 10 septembre 2018, la requérante a adressé au CRU une demande d’accès aux documents sur le fondement du règlement no 1049/2001, concernant toutes les communications entre le CRU et la Commission relatives à la valorisation définitive ex post prévue à l’article 20, paragraphe 11, du règlement no 806/2014, en particulier, celles informant la Commission de sa décision de ne pas procéder à cette valorisation et, le cas échéant, celles demandant son autorisation, ainsi que les réponses de la Commission, en précisant, le cas échéant, si une telle autorisation avait été accordée.

21      Par lettre du 14 septembre 2018 (ci-après la « lettre attaquée »), le CRU a répondu à la mise en demeure de la requérante du 3 août 2018. Le CRU a indiqué qu’il « souhaitait informer [la requérante] que, eu égard aux particularités de l’espèce (à savoir l’utilisation de l’instrument de cession des activités pour réaliser la cession des actions), le CRU considér[ait] qu’une valorisation ex post ne servirait aucune finalité pratique dans le cadre de l’article 20, paragraphe 11, du règlement no 806/2014, ni ne mènerait à une décision de compensation prévue à l’article 20, paragraphe 12, du règlement no 806/2014 » et que, dès lors, une valorisation définitive ex post ne serait pas réalisée. Le CRU a rappelé qu’il avait déjà exprimé cette opinion dans le cadre de la mesure d’organisation de la procédure dans l’affaire T‑628/17 et que la requérante avait donc déjà été informée de cette position et de sa motivation.

22      Le 4 octobre 2018, le CRU a répondu à la demande d’accès aux documents de la requérante du 10 septembre 2018, ainsi qu’à une demande d’accès aux documents datant du 16 août 2018 concernant les documents internes ou préparatoires du CRU relatifs à la valorisation définitive ex post et aux communications entre le CRU et l’évaluateur indépendant, le cabinet Deloitte, relatives à cette même valorisation. D’une part, le CRU a refusé l’accès aux documents internes, aux communications entre lui et la Commission et aux réponses de la Commission relatifs à la valorisation définitive ex post sur le fondement de l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1049/2001. D’autre part, le CRU à transmis à la requérante la lettre qu’il avait adressée au cabinet Deloitte le 2 août 2018 concernant la valorisation définitive ex post.

23      Dans cette lettre du 2 août 2018, le CRU a indiqué au cabinet Deloitte :

« Après un examen attentif du cadre légal, le CRU considère, au regard des circonstances de la résolution de Banco Popular, qu’il n’est pas nécessaire de préparer une valorisation définitive ex post visée à l’article 20, paragraphe 11, du règlement no 806/2014, notamment, dans la mesure où la réalisation d’une telle valorisation ne saurait avoir d’effet sur la cession de Banco Popular à Banco Santander, laquelle a déterminé le prix du marché de Banco Popular en tant qu’entité dans le cadre d’une procédure ouverte, juste et transparente. »

 Procédure et conclusions des parties

24      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 octobre 2018, la requérante a introduit le présent recours.

25      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a demandé qu’il soit statué sur le présent recours selon une procédure accélérée, conformément à l’article 152 du règlement de procédure du Tribunal. Le 23 octobre 2018, le CRU a déposé ses observations sur cette demande. Par décision du 20 novembre 2018, le Tribunal (huitième chambre) a rejeté la demande de procédure accélérée.

26      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 5 juillet 2019, la requérante a produit une nouvelle preuve, au titre de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure.

27      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la lettre attaquée ;

–        condamner le CRU aux dépens.

28      Le CRU conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        en toute état de cause, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

29      Selon l’article 129 du règlement de procédure, sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal peut, à tout moment, d’office, les parties principales entendues, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée sur les fins de non-recevoir d’ordre public.

30      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide de statuer sans poursuivre la procédure.

31      Le CRU fait valoir, à titre principal, que le recours est irrecevable. Le CRU considère que, premièrement, la requérante n’est pas directement et individuellement concernée par la lettre attaquée, deuxièmement, que la lettre attaquée ne produit pas d’effets juridiques qui affecteraient défavorablement les intérêts de la requérante et, troisièmement, que la requérante n’a pas d’intérêt à agir.

32      S’agissant du caractère attaquable de la lettre attaquée, le CRU soutient que la lettre attaquée ne produit pas d’effets juridiques susceptibles d’affecter défavorablement la requérante et ne peut donc pas faire l’objet d’un recours en annulation sur le fondement de l’article 263 TFUE.

33      La requérante fait valoir que la lettre attaquée constituerait une prise de position du CRU, en réponse à sa mise en demeure du 3 août 2018, au titre de l’article 265 TFUE, l’invitant à veiller à ce qu’une valorisation ex post de Banco Popular soit effectuée et que la seule voie de recours ouverte serait un recours en annulation. À cet égard, elle soutient que la lettre attaquée est un acte produisant des effets juridiques et affectant ses intérêts dans la mesure où elle fixe définitivement la position du CRU concernant la possibilité d’augmentation de la valeur de la contrepartie versée, conformément à l’article 20, paragraphe 12, du règlement no 806/2014. La lettre attaquée ne serait suivie d’aucun autre acte relatif à cette compensation susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation.

34      Selon une jurisprudence constante, constituent des actes ou des décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation, au sens de l’article 263 TFUE, les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci (voir arrêt du 26 janvier 2010, Internationaler Hilfsfonds/Commission, C‑362/08 P, EU:C:2010:40, point 51 et jurisprudence citée, et ordonnance du 21 avril 2016, Borde et Carbonium/Commission, C‑279/15 P, non publiée, EU:C:2016:297, point 37 et jurisprudence citée).

35      Pour déterminer si un acte produit des effets de droit obligatoires, il y a lieu de s’attacher à sa substance. Ces effets doivent être appréciés en fonction de critères objectifs, tels que le contenu de cet acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier, ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteur (voir arrêt du 25 octobre 2017, Slovaquie/Commission, C‑593/15 P et C‑594/15 P, EU:C:2017:800, point 47 et jurisprudence citée, et ordonnance du 28 juin 2018, Roumanie/Commission, T‑478/15, non publiée, EU:T:2018:405, point 31 et jurisprudence citée).

36      Selon une jurisprudence constante, il ne suffit pas qu’une lettre ait été envoyée par une institution de l’Union à son destinataire, en réponse à une demande formulée par ce dernier, pour qu’elle puisse être qualifiée de décision susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation (voir arrêt du 14 décembre 2006, Allemagne/Commission, T‑314/04 et T‑414/04, non publié, EU:T:2006:399, point 37 et jurisprudence citée ; arrêt du 9 octobre 2018, Mass Response Service/Commission, T‑885/16, non publié, EU:T:2018:666, point 40).

37      Il y a lieu de constater que la requérante fait valoir que la lettre attaquée contiendrait la décision du CRU de ne pas procéder à une valorisation définitive ex post de Banco Popular et qu’elle produit, à ce titre, des effets juridiques de nature à affecter ses intérêts.

38      Afin de déterminer si la lettre attaquée en ce qu’elle contiendrait la décision du CRU de ne pas procéder à la valorisation définitive ex post de Banco Popular constitue un acte attaquable, il convient d’examiner si cette décision produit des effets juridiques obligatoires de nature à affecter la situation juridique de la requérante.

39      Cet examen suppose de déterminer si la situation juridique de la requérante serait affectée par la valorisation définitive ex post de Banco Popular.

40      Il ressort de l’article 20, paragraphe 11, du règlement no 806/2014 :

« Une valorisation qui ne respecte pas toutes les exigences fixées au[x] paragraphe[s] 1 et 4 à 9 est considérée comme provisoire jusqu’à ce qu’une personne indépendante visée au paragraphe 1 ait effectué une valorisation respectant pleinement lesdites exigences. Cette valorisation définitive ex post est effectuée dans les meilleurs délais. Elle peut être réalisée soit indépendamment de la valorisation visée aux paragraphes 16, 17 et 18, soit en même temps que ladite valorisation et par la même personne indépendante, mais tout en restant distincte.

La valorisation définitive ex post vise les objectifs suivants :

a)       faire en sorte que toute perte subie sur les actifs d’une entité visée à l’article 2 soit pleinement prise en compte dans la comptabilité de l’entité concernée ;

b)      fournir les éléments permettant de décider sur la reprise des créances ou l’augmentation de la valeur de la contrepartie versée, conformément au paragraphe 12 du présent article. »

41      L’article 20, paragraphe 12, du règlement no 806/2014 prévoit :

« Au cas où l’estimation de la valeur de l’actif net d’une entité visée à l’article 2 telle qu’elle résulte de la valorisation définitive ex post est supérieure à l’estimation résultant de la valorisation provisoire de l’actif net de ladite entité, le CRU peut exiger que l’autorité de résolution nationale :

a)       exerce son pouvoir de relever la valeur des créances des créanciers ou des propriétaires d’instruments de fonds propres pertinents qui ont été dépréciées en application de l’instrument de renflouement interne ;

b)      donne instruction à un établissement-relais ou à une structure de gestion des actifs de verser une contrepartie supplémentaire à un établissement soumis à une procédure de résolution en ce qui concerne les actifs, droits ou engagements, ou, s’il y a lieu, aux propriétaires des titres de propriété pour ce qui concerne lesdits titres de propriété. »

42      Premièrement, s’agissant de l’objectif visé à l’article 20, paragraphe 11, sous a), du règlement no 806/2014, il convient de relever que, en application de la décision de résolution, à la suite de l’exercice du pouvoir de dépréciation et de conversion des instruments de fonds propres de Banco Popular, toutes les actions de Banco Popular ont été transférées à Banco Santander en application de l’instrument de cession des activités. Dès lors, il appartenait à Banco Santander de s’assurer que toute perte éventuelle subie soit prise en compte dans la comptabilité, lors de la consolidation des actifs et du passif de Banco Popular.

43      Deuxièmement, s’agissant de l’objectif visé à l’article 20, paragraphe 11, sous b), du règlement no 806/2014, il ressort de cette disposition qu’elle doit être lue à la lumière de l’article 20, paragraphe 12, du règlement no 806/2014.

44      Ainsi, à l’issue de valorisation définitive ex post, l’article 20, paragraphe 12, du règlement no 806/2014 prévoit que, si l’estimation résultant de cette valorisation est supérieure à celle résultant de la valorisation provisoire, le CRU peut demander à l’autorité de résolution nationale soit de relever la valeur des créances des créanciers ou des propriétaires d’instruments de fonds propres pertinents qui ont été dépréciées en application de l’instrument de renflouement interne, soit de donner instruction à un établissement-relais ou à une structure de gestion des actifs de verser une contrepartie supplémentaire à un établissement soumis à une procédure de résolution.

45      Cette disposition indique expressément les hypothèses dans lesquelles une compensation (par une augmentation de la valeur des créances ou le versement d’une contrepartie supplémentaire) peut être accordée à l’issue d’une valorisation définitive ex post. Cette compensation s’applique uniquement lorsque le dispositif de résolution appliqué à l’entité est soit l’instrument de renflouement interne de l’article 27 du règlement no 806/2014, soit l’instrument de l’établissement-relais de l’article 25 du règlement no 806/2014, soit l’instrument de séparation des actifs de l’article 26 du règlement no 806/2014.

46      Or, ces instruments de résolution n’ont pas été appliqués en l’espèce. En effet, il convient de rappeler que l’instrument de résolution adopté à l’égard de Banco Popular est l’instrument de cession des activités prévu à l’article 24 du règlement no 806/2014 et que l’application de cet instrument a conduit à la vente de la totalité de Banco Popular à Banco Santander.

47      L’instrument de cession des activités appliqué à Banco Popular ne fait pas partie des cas visés par l’article 20, paragraphe 12, du règlement no 806/2014 dans lesquels une compensation peut être versée à la suite d’une valorisation définitive ex post.

48      En outre, il y a lieu de constater que l’article 20, paragraphe 12, du règlement no 806/2014 ne permet pas l’indemnisation des anciens actionnaires et créanciers d’une entité dont les instruments de fonds propres ont été entièrement convertis, dépréciés et transférés à un tiers.

49      À cet égard, c’est à tort que la requérante soutient que la valorisation ex post affecte directement la situation juridique des anciens actionnaires de Banco Popular et que, si l’estimation de la valeur de marché de Banco Popular était supérieure à celle résultant de la valorisation 2, ces derniers auraient droit à une compensation conformément à l’article 20 du règlement no 806/2014.

50      Par cet argument, la requérante soutient en substance que, si une valorisation définitive ex post de Banco Popular était effectuée, elle pourrait prétendre à une reprise de ses créances ou à l’augmentation de la valeur de la contrepartie versée par Banco Santander.

51      Or, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de la résolution de Banco Popular, les instruments de fonds propres additionnels de catégorie 1 ont été convertis en actions, entièrement dépréciés et annulés et les instruments de fonds propres de catégorie 2 ont été convertis, dépréciés et entièrement transférés à Banco Santander. Il en résulte que les anciens actionnaires de Banco Popular ne sont plus actionnaires de cette entité à la suite de l’adoption de la décision de résolution.

52      Il en résulte que, à la suite de l’exercice du pouvoir de dépréciation et de conversion des instruments de fonds propres de Banco Popular, puis du transfert de l’ensemble des actions résultant de cet exercice à Banco Santander, la requérante n’est plus titulaire d’instruments de fonds propres de Banco Popular susceptibles de faire l’objet d’une compensation sur le fondement de l’article 20, paragraphe 12, du règlement no 806/2014.

53      Ainsi, c’est à tort que la requérante soutient, dans la requête, que la lettre attaquée empêche qu’elle puisse avoir accès à la valorisation définitive ex post d’une banque « dont elle est actionnaire » ou, dans la réplique, qu’elle souhaite obtenir une telle valorisation afin de faire valoir ses droits « en tant qu’actionnaire de Banco Popular ».

54      À cet égard, il y a lieu de distinguer la valorisation 3 prévue à l’article 20, paragraphe 16, du règlement no 806/2014 de la valorisation définitive ex post.

55      L’article 20, paragraphe 16, du règlement no 806/2014 prévoit :

« Afin de déterminer si les actionnaires et les créanciers auraient bénéficié d’un meilleur traitement si l’établissement soumis à une procédure de résolution avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité, le CRU veille à ce qu’une valorisation soit réalisée par une personne indépendante visée au paragraphe 1 aussitôt que la ou les mesures de résolution ont été exécutées. Cette valorisation est distincte de celle effectuée au titre des paragraphes 1 à 15. »

56      L’article 20, paragraphes 17 et 18, du règlement no 806/2014 précise :

« 17. La valorisation visée au paragraphe 16 établit :

a)      le traitement dont auraient bénéficié les actionnaires et les créanciers ou les systèmes pertinents de garantie des dépôts si un établissement soumis à une procédure de résolution à l’égard duquel une ou plusieurs mesures de résolution ont été exécutées avait été soumis à une procédure normale d’insolvabilité au moment où la décision sur la mesure de résolution a été prise ;

b)      le traitement réel dont les actionnaires et les créanciers ont fait l’objet dans le cadre de la résolution d’un établissement soumis à une procédure de résolution ; et

c)      s’il existe une différence entre le traitement visé au point a) du présent paragraphe et celui visé au point b) du présent paragraphe.

18. La valorisation visée au paragraphe 16 :

a)       part de l’hypothèse qu’un établissement soumis à une procédure de résolution à l’égard duquel une ou plusieurs mesures de résolution ont été exécutées aurait été soumis à une procédure normale d’insolvabilité au moment où la décision sur la mesure de résolution a été prise ;

b)       part de l’hypothèse que la ou les mesures de résolution n’ont pas été exécutées ;

c)       ne tient pas compte de l’apport éventuel d’un soutien financier public exceptionnel à un établissement soumis à une procédure de résolution. »

57      Ainsi, le règlement no 806/2014 distingue clairement entre les deux valorisations qui sont effectuées postérieurement à la résolution, soit, d’une part, la valorisation définitive ex post prévue à l’article 20, paragraphe 11, du règlement no 806/2014 et, d’autre part, la valorisation 3 visée à l’article 20, paragraphe 16, du même règlement.

58      L’objectif de la valorisation 3 est de déterminer si les actionnaires et les créanciers auraient bénéficié d’un meilleur traitement si l’établissement soumis à une procédure de résolution avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité et éventuellement de leur accorder une indemnité.

59      À cet égard, l’article 76, paragraphe 1, sous e), du règlement no 806/2014 prévoit :

« Dans le cadre du dispositif de résolution, lors de l’utilisation des instruments de résolution pour des entités visées à l’article 2, le CRU peut recourir au Fonds uniquement dans la mesure nécessaire à l’application effective des instruments de résolution aux fins suivantes :

[…]

e)       dédommager les actionnaires ou créanciers si, à la suite d’une valorisation réalisée en vertu de l’article 20, paragraphe 5, ils ont subi des pertes plus importantes que celles qu’ils auraient subies, à la suite d’une valorisation effectuée en vertu de l’article 20, paragraphe 16, lors d’une liquidation selon une procédure normale d’insolvabilité […] »

60      En l’espèce, la requérante aurait potentiellement droit à une compensation à l’issue de la valorisation 3 et non pas de la valorisation définitive ex post.

61      Il ressort de ce qui précède que la situation juridique de la requérante ne serait pas affectée par la valorisation définitive ex post de Banco Popular et que, partant, la décision du CRU de ne pas procéder à cette valorisation ne produit pas d’effets juridiques obligatoires de nature à affecter la situation juridique de la requérante.

62      Dans la mesure où la requérante soutient que la lettre attaquée produit de tels effets en ce qu’elle contiendrait la décision du CRU, il y a lieu de conclure que la lettre attaquée n’est pas un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE.

63      Par ailleurs, la requérante soutient à tort que seule la possibilité d’introduire un recours à l’encontre de la lettre attaquée lui garantirait un droit à une protection juridictionnelle effective garanti à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

64      En effet, selon une jurisprudence constante, bien que la condition relative aux effets de droit obligatoires doive être interprétée à la lumière du droit à une protection juridictionnelle effective tel que garanti à l’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux, il suffit de rappeler que ce droit n’a pas pour objet de modifier le système de contrôle juridictionnel prévu par les traités, et notamment les règles relatives à la recevabilité des recours formés directement devant la juridiction de l’Union, ainsi qu’il découle également des explications afférentes à cet article 47, lesquelles doivent, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de cette charte, être prises en considération pour l’interprétation de celle-ci (voir arrêts du 25 octobre 2017, Roumanie/Commission, C‑599/15 P, EU:C:2017:801, point 68 et jurisprudence citée, et du 27 mars 2019, Canadian Solar Emea e.a./Conseil, C‑236/17 P, EU:C:2019:258, point 99 et jurisprudence citée).

65      Toutefois, il n’en demeure pas moins que, bien que la condition relative aux effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique doit être interprétée à la lumière du principe d’une protection juridictionnelle effective, une telle interprétation ne saurait aboutir à écarter cette condition sans excéder les compétences attribuées par le traité aux juridictions de l’Union (arrêts du 12 septembre 2006, Reynolds Tobacco e.a./Commission, C‑131/03 P, EU:C:2006:541, point 81, et du 25 octobre 2017, Slovaquie/Commission, C‑593/15 P et C‑594/15 P, EU:C:2017:800, point 80).

66      Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que le recours doit être rejeté comme irrecevable.

67      Par conséquent, il n’y a pas lieu de se prononcer sur la demande de mesures d’instruction présentée par la requérante dans la requête visant à ce que le Tribunal ordonne la production des communications entre le CRU et la Commission et entre le CRU et le cabinet Deloitte concernant la décision de ne pas effectuer de valorisation définitive ex post, ni sur la preuve nouvelle produite par la requérante.

 Sur les dépens

68      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du CRU.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      Aeris Invest Sàrl est condamnée aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 10 octobre 2019.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

A. M. Collins



*      Langue de procédure : le français.