ARRÊT DE LA COUR
2 décembre 1997(1)
[234s«Directive 69/335/CEE Droits d'enregistrement des sociétés Délais
procéduraux nationaux»[s
Dans l'affaire C-188/95,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177
du traité CE, par l'Østre Landsret (Danemark) et tendant à obtenir, dans le litige
pendant devant cette juridiction entre
Fantask A/S e.a.
et
Industriministeriet (Erhvervsministeriet),
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de la directive 69/335/CEE du
Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les
rassemblements de capitaux (JO L 249, p. 25), telle que modifiée, en dernier lieu,
par la directive 85/303/CEE du Conseil, du 10 juin 1985 (JO L 156, p. 23),
LA COUR,
composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. Gulmann,
H. Ragnemalm et M. Wathelet, présidents de chambre, G. F. Mancini, J. C.
Moitinho de Almeida, P. J. G. Kapteyn, J. L. Murray, D. A. O. Edward, J.-P.
Puissochet (rapporteur), G. Hirsch, P. Jann et L. Sevón, juges,
avocat général: M. F. G. Jacobs,
greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,
considérant les observations écrites présentées:
- pour Fantask A/S, par Me Thomas Rørdam, avocat à Copenhague,
- pour Norsk Hydro Danmark A/S, Tryg Forsikring skadesforsikringsselskab
A/S et Tryg Forsikring livsforsikringsselskab A/S, par Mes Kai Michelsen,
Claus Høeg Madsen et Henning Aasmul-Olsen, avocats à Copenhague,
- pour Aalborg Portland A/S, par Me Karen Dyekjær-Hansen, avocat à
Copenhague,
- pour Forsikrings-Aktieselskabet Alka, Robert Bosch A/S, Uponor A/S,
Uponor Holding A/S et Pen-Sam ApS e.a., par Mes Vagn Thorup, Henrik
Stenbjerre, Jørgen Boe et Lau Normann Jørgensen, du cabinet Kromann et
Münter, avocats à Copenhague,
- pour le gouvernement danois, par M. Peter Biering, chef de division au
ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, assisté de Me Karsten
Hagel-Sørensen, avocat à Copenhague,
- pour le gouvernement français, par Mme Catherine de Salins, sous-directeur
à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères,
et M. Frédéric Pascal, chargé de mission à la même direction, en qualité
d'agents,
- pour le gouvernement suédois, par M. Erik Brattgård, conseiller au
département du commerce extérieur du ministère des Affaires étrangères,
en qualité d'agent,
- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. John E. Collins, Assistant
Treasury solicitor, en qualité d'agent, assisté de Mme Eleanor Sharpston,
barrister,
- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. Anders C.
Jessen et Enrico Traversa, membres du service juridique, en qualité
d'agents, assistés de Mes Susanne Helsteen et Jens Rostock-Jensen, du
cabinet Reumert et Partnere, avocats à Copenhague,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de Fantask A/S, représentée par Me Preben
Jøker Thorsen, avocat à Copenhague, de Norsk Hydro Danmark A/S, de Tryg
Forsikring skadesforsikringsselskab A/S et de Tryg Forsikring livsforsikringsselskab
A/S, représentées par Me Henning Aasmul-Olsen, d'Aalborg Portland A/S,
représentée par Me Lars Hennenberg, avocat à Copenhague, de Forsikrings-Aktieselskabet Alka, de Robert Bosch A/S, d'Uponor A/S, d'Uponor Holding A/S
et de Pen-Sam ApS e.a., représentés par Me Henrik Peytz, avocat à Copenhague,
d'Industriministeriet (Erhvervsministeriet), représenté par Me Karsten Hagel-Sørensen, du gouvernement danois, représenté par M. Peter Biering, du
gouvernement français, représenté par M. Gautier Mignot, secrétaire des affaires
étrangères à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires
étrangères, en qualité d'agent, du gouvernement italien, représenté par M. Danilo
Del Gaizo, avvocato dello Stato, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté
par M. John E. Collins, assisté de Mme Eleanor Sharpston, et de la Commission,
représentée par MM. Anders C. Jessen et Enrico Traversa, assistés de Mes Jens
Rostock-Jensen et Hans Henrik Skjødt, avocat à Copenhague, à l'audience du 29
avril 1997,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 26 juin 1997,
rend le présent
Arrêt
- Par ordonnance du 8 juin 1995, parvenue à la Cour le 15 juin suivant, l'Østre
Landsret a posé, en application de l'article 177 du traité CE, huit questions
préjudicielles relatives à l'interprétation de la directive 69/335/CEE du Conseil, du
17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de
capitaux (JO L 249, p. 25), telle que modifiée, en dernier lieu, par la directive
85/303/CEE du Conseil, du 10 juin 1985 (JO L 156, p. 23, ci-après la «directive»).
- Ces questions ont été soulevées dans le cadre de litiges opposant la société Fantask
A/S (ci-après «Fantask») et plusieurs autres sociétés ou groupes de sociétés à
l'Industriministeriet (Erhvervsministeriet) [ministère de l'Industrie danois (ministère
du Commerce)] à propos des droits perçus à l'occasion de l'immatriculation de
nouvelles sociétés anonymes et sociétés à responsabilité limitée et lors de
l'enregistrement d'augmentations de capital dont celles-ci font l'objet.
- La loi n° 468, du 29 septembre 1917, première loi relative aux sociétés anonymes
(Lovtidende A 1917, p. 1117), a rendu obligatoire l'inscription des sociétés
anonymes et de leurs augmentations de capital dans un registre des sociétés. Cette
inscription était soumise au paiement de droits dont il appartenait au ministre
compétent de fixer les taux. Déjà profondément remaniée une première fois en
1930, cette loi a fait l'objet d'une révision générale par la loi n° 370, du 13 juin
1973, relative aux sociétés anonymes (Lovtidende A 1973, p. 1025). Le même jour,
a été adoptée la loi n° 371 relative aux sociétés à responsabilité limitée, qui prévoit,
en ce qui concerne ces dernières, des formalités d'enregistrement analogues à celles
en vigueur pour les sociétés anonymes (Lovtidende A 1973, p. 1063).
- L'article 154, paragraphe 3, de la loi relative aux sociétés anonymes et l'article 124,
paragraphe 3, de la loi relative aux sociétés à responsabilité limitée habilitaient
initialement le ministre compétent à fixer les taux des droits d'enregistrement pour
ces deux catégories de sociétés.
- Depuis l'intervention de la première loi sur les sociétés anonymes, et jusqu'en 1992,
la structure des droits perçus lors de l'enregistrement des nouvelles sociétés et des
augmentations de capital dont celles-ci font l'objet n'a pas évolué. Elle est
composée d'un droit de base, fixe, et d'un droit complémentaire, calculé
proportionnellement au montant du capital nominal souscrit. Leurs taux ont, en
revanche, été modifiés à plusieurs reprises.
- Au cours de la période comprise entre le 1er janvier 1974 et le 1er mai 1992, le droit
de base a varié entre 500 et 1 700 DKR pour l'inscription d'une nouvelle société
anonyme et d'une nouvelle société à responsabilité limitée et entre 200 et 900 DKR
pour l'enregistrement d'une augmentation de capital, pour l'une et l'autre catégorie
de sociétés. Pendant la même période, le droit complémentaire s'est élevé à 4 o/oo
du capital souscrit, en cas d'inscription d'une nouvelle société, et à 4 o/oo de
l'augmentation de capital, dans ce dernier cas.
- Le «registre des sociétés anonymes» (ci-après le «registre»), institué par la loi n°
468, précitée, constituait une direction du ministère du Commerce, en charge de
l'enregistrement des déclarations concernant les sociétés anonymes ainsi que, à
partir de 1974, les sociétés à responsabilité limitée. Par la loi n° 851, du 23
décembre 1987, portant notamment modification de la loi relative aux sociétés
anonymes et de la loi relative aux sociétés à responsabilité limitée (Lovtidende A
1987, p. 3229), le registre est devenu l'Erhvervs- og Selskabsstyrelsen (direction du
commerce et des sociétés, ci-après «Styrelsen»). Outre l'exécution des tâches
d'enregistrement, la fixation et la perception des droits y afférents, Styrelsen
participe à l'élaboration de la législation portant sur le droit des sociétés et le droit
des affaires et veille à son application. Elle exerce en outre diverses activités de
conseil et d'information.
- A la suite d'un rapport de la Cour des comptes du Danemark qui, constatant les
importants excédents des recettes sur les dépenses de Styrelsen, auxquels la
perception du droit complémentaire avait donné lieu, mettait en doute la validité
de ce dernier au regard du droit danois, le droit complémentaire a été supprimé
par arrêté n° 301, du 30 avril 1992 (Lovtidende A 1992, p. 1149), à compter du 1er
mai 1992. Parallèlement, le droit de base a été porté à 2 500 DKR pour
l'inscription d'une nouvelle société anonyme et à 1 800 DKR pour l'inscription
d'une nouvelle société à responsabilité limitée. Pour l'enregistrement d'une
augmentation de capital, le montant à acquitter s'élève désormais, pour l'une et
l'autre catégorie de sociétés, à 600 DKR.
- C'est alors que la société Fantask et plusieurs sociétés ou groupes de sociétés ont
sollicité de Styrelsen le remboursement des montants qu'ils avaient dû acquitter,
entre 1983 et 1992, auprès de cette direction au titre du droit complémentaire.
Seule Fantask a réclamé en outre la restitution de la somme versée au titre du
droit de base.
- Leurs demandes de remboursement ayant été rejetées, les sociétés en cause ont
formé des recours contre le ministère de l'Industrie devant l'Østre Landsret. Dans
leurs recours, les sociétés requérantes ont notamment soutenu, à la lumière, en
particulier, de l'arrêt du 20 avril 1993, Ponente Carni et Cispadana Costruzioni
(C-71/91 et C-178/91, Rec. p. I-1915, ci-après l'«arrêt Ponente Carni»), que le droit
complémentaire et, dans le cas de Fantask, également le droit de base était
contraire aux articles 10 et 12 de la directive.
- C'est dans ces conditions que l'Østre Landsret a sursis à statuer et posé à la Cour
les huit questions préjudicielles suivantes:
«1) Le droit communautaire pose-t-il certaines exigences au regard de la notion
de 'caractère rémunératoire visée à l'article 12, paragraphe 1, sous e), de
la directive 69/335/CEE, ou les États membres peuvent-ils librement décider
ce qu'on doit entendre par 'rémunération d'un service particulier?
2) Convient-il d'intégrer dans la base de calcul des droits perçus par un État
membre sous couvert de l'article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive
69/335/CEE, en liaison avec l'enregistrement de la constitution d'une société
anonyme ou d'une société à responsabilité limitée, ou avec l'augmentation
de leur capital social, les types de coûts suivants (ou, le cas échéant, certains
de ces coûts):
Les charges salariales et cotisations de retraite pour les employés ne
participant pas aux opérations d'enregistrement, tels que le personnel
administratif des services d'enregistrement ou autres organismes
chargés de tâches préparatoires dans le domaine juridique du droit
des sociétés et autres personnes morales?
Les frais exposés lors des opérations d'enregistrement d'autres actes
afférents au droit des sociétés et autres personnes morales pour
lesquels l'État membre a décidé qu'il ne serait pas acquitté de
redevance particulière?
Les frais exposés dans l'accomplissement de tâches autres que
l'enregistrement incombant aux services de l'enregistrement en
application de la législation sur les sociétés et autres personnes
morales, et de la législation apparentée, telles que la supervision des
comptes des sociétés et le contrôle de la comptabilité des sociétés?
Le service des intérêts et l'amortissement de l'ensemble des coûts
d'investissement se rattachant, de l'avis des services de
l'enregistrement, aux domaines juridiques du droit des sociétés (et
autres personnes morales) ainsi qu'aux domaines juridiques voisins?
Les frais exposés à l'occasion de missions qui sont sans rapport avecdes tâches d'enregistrement particulières?
Les frais exposés dans le cadre d'activités d'information au public et
d'orientation, sans rapport avec des tâches d'enregistrement
particulières, comme la tenue de conférences, la rédaction d'articles
et de brochures ainsi que la tenue de réunions avec les organisations
professionnelles ou autres groupements d'intérêts?
3) a) L'article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 69/335/CEE doit-il
être interprété en ce sens qu'un État membre est privé de la
possibilité de fixer des redevances standardisées, au moyen de règles
applicables sans limitation de durée?
b) Dans la négative, l'État membre a-t-il l'obligation d'ajuster chaque
année, ou à intervalles réguliers, le taux des droits?
c) Le fait que les droits soient fixés proportionnellement au montant du
capital annoncé aux fins de l'enregistrement exerce-t-il une influence
quelconque sur la réponse concernant les droits?
4) Les dispositions combinées de l'article 12, paragraphe 1, sous e), et de
l'article 10, paragraphe 1, de la directive 69/335/CEE doivent-elles être
interprétées en ce sens que le montant exigé en tant que contrepartie de
services particuliers, tels que l'enregistrement de la constitution ou de
l'augmentation du capital social d'une société anonyme ou d'une société à
responsabilité limitée, doit être calculé sur la base des frais réels exposés
dans le cadre du service particulier à savoir, l'enregistrement ou bien la
taxe afférente à un enregistrement donné peut-elle être fixée par exemple
à concurrence d'un droit de base majoré d'un droit (4 o/oo) au prorata de
l'apport nominal, de sorte que le montant de la taxe n'est pas fonction du
temps consacré par les services de l'enregistrement ni des autres frais
nécessairement exposés aux fins des opérations d'enregistrement?
5) Les dispositions combinées de l'article 12, paragraphe 1, sous e), et de
l'article 10, paragraphe 1, de la directive 69/335/CEE doivent-elles être
interprétées en ce sens que, s'agissant de calculer d'éventuels montants à
titre de remboursement, l'État membre doit partir du principe que la taxe
doit refléter les frais exposés en rapport avec le service particulier au
moment où la prestation est effectuée, ou l'État membre est-il en droit de
procéder à une évaluation globale à l'intérieur d'une période de temps plus
longue correspondant, par exemple, à un exercice financier ou bien à
l'intérieur d'une période correspondant, en droit national, au délai de
prescription des actions en remboursement des frais déjà acquittés?
6) Pour autant qu'il existe en droit national un principe général selon lequel,
s'agissant d'apprécier une demande en remboursement de droits indûment
perçus, on doit attacher de l'importance au fait que la perception a eu lieu
conformément à des règles qui ont été en vigueur durant une longue
période sans que ni les autorités ni quiconque aient été conscients de ce que
la perception de ces droits était dépourvue de base légale, le droit
communautaire s'oppose-t-il à ce que la demande de remboursement de
droits perçus contrairement à la directive 69/335/CEE puisse être écartée
en vertu d'un tel principe?
7) Le droit communautaire s'oppose-t-il à un état de droit prévalant sur le
plan national, suivant lequel les autorités d'un État membre, en tant que
partie dans des affaires ayant pour objet des demandes de remboursement
de droits perçus contrairement à la directive 69/335/CEE, font valoir avec
succès que les délais de prescription nationaux commencent à courir avec
la mise en oeuvre irrégulière de la directive 69/335/CEE?
8) Les dispositions combinées de l'article 10, paragraphe 1, et de l'article 12,
paragraphe 1, sous e), de la directive 69/335/CEE, telles qu'elles ont été
interprétées dans les questions précédentes, engendrent-elles des droits dont
les ressortissants des différents États membres puissent se prévaloir devant
les juridictions nationales?»
- Il convient tout d'abord de rappeler les finalités et le contenu de la directive tels
qu'ils ont été précisés dans l'arrêt Ponente Carni.
- Comme il ressort de son préambule, la directive tend à promouvoir la liberté de
circulation des capitaux, considérée comme essentielle à la création d'une union
économique ayant des caractéristiques analogues à celles d'un marché intérieur. La
poursuite d'une telle finalité suppose, en ce qui concerne la taxation frappant les
rassemblements de capitaux, la suppression des impôts indirects jusqu'alors en
vigueur dans les États membres et l'application, à leur place, d'un impôt perçu une
seule fois dans le marché commun et d'un niveau égal dans tous les États membres.
- Dès lors, la directive prévoit la perception d'un droit d'apport sur les capitaux
rassemblés qui, selon ses sixième et septième considérants, doit, pour ne pas
perturber la circulation des capitaux, être harmonisé à l'intérieur de la
Communauté en ce qui concerne non seulement ses taux, mais aussi sa structure
(arrêt du 27 juin 1979, Conradsen, 161/78, Rec. p. 2221, point 11). Ce droit
d'apport est régi par les dispositions des articles 2 à 9 de la directive.
- L'article 3 détermine les sociétés de capitaux auxquelles sont applicables les
dispositions de la directive, au nombre desquelles figurent, notamment, les sociétés
anonymes et les sociétés à responsabilité limitée de droit danois.
- Les articles 4, 8 et 9 énumèrent, sous réserve des dispositions de l'article 7, les
opérations soumises au droit d'apport et celles qui peuvent être exonérées par les
États membres. Selon les dispositions de l'article 4, paragraphe 1, sous a) et c), la
constitution d'une société de capitaux et l'augmentation du capital social d'une
société de capitaux au moyen de l'apport de biens de toute nature figurent
respectivement au nombre des opérations soumises au droit d'apport.
- La directive prévoit également, conformément à son dernier considérant, la
suppression d'autres impôts indirects présentant les mêmes caractéristiques que le
droit d'apport ou le droit de timbre sur les titres dont le maintien risquerait de
remettre en cause les buts poursuivis. Ces impôts indirects, dont la perception est
interdite, sont énumérés aux articles 10 et 11 de la directive. L'article 10 dispose:
«En dehors du droit d'apport, les États membres ne perçoivent, en ce qui concerne
les sociétés, associations ou personnes morales poursuivant des buts lucratifs,
aucune imposition, sous quelque forme que ce soit:
...
c) pour l'immatriculation ou pour toute autre formalité préalable à l'exercice
d'une activité, à laquelle une société, association ou personne morale
poursuivant des buts lucratifs peut être soumise en raison de sa forme
juridique».
- Les dispositions de l'article 12, paragraphe 1, de la directive établissent une liste
exhaustive des taxes et droits autres que le droit d'apport qui, par dérogation aux
articles 10 et 11, peuvent frapper les sociétés de capitaux à l'occasion des
opérations visées par ces dernières dispositions (voir, en ce sens, arrêt du 2 février
1988, Dansk Sparinvest, 36/86, Rec. p. 409, point 9). L'article 12 de la directive
vise, en son paragraphe 1, sous e), les «droits ayant un caractère rémunératoire».
Sur les cinq premières questions
- Par ses cinq premières questions, auxquelles il convient de répondre conjointement,
la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 12, paragraphe 1, sous e),
de la directive doit être interprété en ce sens que, pour revêtir un caractère
rémunératoire, les montants des droits perçus à l'occasion de l'immatriculation des
sociétés anonymes et des sociétés à responsabilité limitée et lors de l'enregistrement
des augmentations de capital dont ces sociétés font l'objet doivent être calculés sur
la base du seul coût des formalités en cause ou s'ils peuvent être fixés de manière
à couvrir l'ensemble ou une partie des dépenses de l'administration en charge de
ces opérations.
- Dans la mesure où les dispositions de l'article 12 de la directive dérogent, en
particulier, aux interdictions posées par son article 10, il convient d'examiner au
préalable si les droits litigieux relèvent de l'une ou l'autre de ces interdictions.
- L'article 10 de la directive, lu à la lumière de son dernier considérant, prohibe
notamment les impôts indirects qui présentent les mêmes caractéristiques que le
droit d'apport. Sont ainsi visées, parmi d'autres, les impositions qui, quelle que soit
leur forme, sont dues pour la constitution d'une société de capitaux et
l'augmentation de son capital [article 10, sous a)], ou pour l'immatriculation ou
toute autre formalité préalable à l'exercice d'une activité, à laquelle une société
peut être soumise en raison de sa forme juridique [article 10, sous c)]. Cette
dernière interdiction se justifie par le fait que, si les impositions en cause ne
frappent pas les apports de capitaux en tant que tels, elles sont néanmoins perçues
en raison des formalités liées à la forme juridique de la société, c'est-à-dire de
l'instrument utilisé pour rassembler des capitaux, de sorte que leur maintien
risquerait de mettre également en cause les buts poursuivis par la directive (arrêt
du 11 juin 1996, Denkavit Internationaal e.a., C-2/94, Rec. p. I-2827, point 23).
- En l'espèce, le droit de base et le droit complémentaire, en tant qu'ils sont
acquittés à l'occasion de l'immatriculation des nouvelles sociétés anonymes et
sociétés à responsabilité limitée, sont directement visés par l'interdiction posée par
l'article 10, sous c), de la directive. Une conclusion analogue s'impose également
lorsque ces droits sont dus pour l'enregistrement des augmentations de capital dont
ces sociétés font l'objet dès lors qu'ils sont aussi perçus en raison d'une formalité
essentielle liée à la forme juridique des sociétés en cause. Sans constituer
formellement une procédure préalable à l'exercice de l'activité des sociétés de
capitaux, l'enregistrement des augmentations de capital n'en conditionne pas moins
l'exercice et la poursuite de cette activité.
- En ce qui concerne l'interprétation de la notion de droit ayant un caractère
rémunératoire qui figure à l'article 12 de la directive, les gouvernements danois et
suédois soutiennent que cette notion couvre également des droits dont le montant
est calculé de manière à compenser non seulement les coûts des formalités
d'enregistrement directement en cause, mais aussi l'ensemble des dépenses de
l'administration perceptrice qui sont liées, en particulier, à l'élaboration et
l'application de la législation en matière de droit des sociétés.
- Le gouvernement danois fait plus particulièrement valoir que la directive n'a pas
procédé à une harmonisation des législations des États membres concernant les
droits ayant un caractère rémunératoire visés à l'article 12, paragraphe 1, sous e),
dont la définition continue de relever du droit des États membres. Le pouvoir
d'appréciation reconnu à ces derniers ne serait cependant pas totalement
discrétionnaire dans la mesure où l'évaluation des coûts supportés par
l'administration en charge des enregistrements devrait être établie, d'après l'arrêt
Ponente Carni, de façon raisonnable. C'est ainsi que, contrairement à ce qui était
le cas dans cette dernière affaire, un État membre ne saurait prendre en compte,
pour le calcul des droits, des dépenses dépourvues de tout lien avec la gestion du
droit des sociétés.
- Selon Fantask et les autres sociétés requérantes au principal qui ont déposé des
observations ainsi que la Commission, il ressort au contraire de l'arrêt Ponente
Carni que la notion de droit à caractère rémunératoire revêt une portée
communautaire et qu'un tel droit doit nécessairement être calculé sur la base du
seul coût de l'opération d'enregistrement dont il constitue la contrepartie. Un droit
fixé proportionnellement au capital souscrit, comme le droit complémentaire, ne
saurait dès lors, par sa nature même, relever de la dérogation prévue à l'article 12,
paragraphe 1, sous e), de la directive. Si un État membre est en droit de fixer à
l'avance, sans limitation de temps et sur la base d'une évaluation forfaitaire du coût
des opérations d'enregistrement, le montant des droits rémunératoires, il doit
procéder périodiquement, par exemple chaque année, à un réexamen de ces
derniers de manière à s'assurer que ceux-ci ne dépassent toujours pas les frais
encourus.
- Il convient de relever, à cet égard, que les termes «droits ayant un caractère
rémunératoire» font partie d'une disposition de droit communautaire qui ne
renvoie pas au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée. Enoutre, les buts de la directive seraient remis en cause si les États membres avaient
toute faculté de maintenir des impositions présentant les mêmes caractéristiques
que le droit d'apport en les qualifiant eux-mêmes de droits à caractère
rémunératoire. Il s'ensuit que l'interprétation des termes en cause dans leur
généralité ne saurait être laissée à la discrétion de chaque État membre (voir arrêt
du 15 juillet 1982, Felicitas, 270/81, Rec. p. 2771, point 14).
- Au demeurant, la Cour a déjà jugé, dans l'arrêt Ponente Carni, points 41 et 42, que
la distinction entre les impositions interdites par l'article 10 de la directive et les
droits ayant un caractère rémunératoire implique que ces derniers comprennent les
seules rétributions, perçues lors de l'immatriculation, dont le montant est calculé
sur la base du coût du service rendu. Une rétribution dont le montant serait dénué
de tout lien avec le coût de ce service particulier ou dont le montant serait calculé
non en fonction du coût de l'opération dont elle est la contrepartie, mais en
fonction de l'ensemble des coûts de fonctionnement et d'investissement du service
chargé de cette opération devrait être regardée comme une imposition relevant de
la seule interdiction instituée par l'article 10 de la directive.
- Il résulte de ce qui précède qu'un droit perçu à l'occasion de l'immatriculation des
sociétés anonymes et des sociétés à responsabilité limitée et lors des augmentations
de capital dont celles-ci font l'objet ne saurait revêtir un caractère rémunératoire
au sens de l'article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive si son montant est
calculé de manière à couvrir des dépenses du type de celles énumérées par la
juridiction de renvoi dans les trois premiers tirets de sa deuxième question. Les
dépenses en cause sont en effet sans rapport avec les opérations d'enregistrement
dont les droits litigieux constituent la contrepartie. Toutefois, pour les raisons
évoquées par M. l'avocat général aux points 37 et 45 de ses conclusions, il peut être
admis qu'un État membre ne perçoive de droits que pour les opérations
d'enregistrement les plus importantes et qu'il répercute sur eux les coûts
d'opérations mineures effectuées gratuitement.
- En ce qui concerne la fixation du montant des droits à caractère rémunératoires,
la Cour a observé dans l'arrêt Ponente Carni, point 43, qu'il peut être difficile de
déterminer le coût de certaines opérations comme l'immatriculation d'une société.
L'évaluation de ce coût ne peut, dans un tel cas, être que forfaitaire et doit être
établie de façon raisonnable en prenant, notamment, en compte le nombre et la
qualification des agents, le temps passé par ces agents ainsi que les divers frais
matériels nécessaires à l'accomplissement de cette opération.
- A cet égard, il convient de relever que, pour calculer les montants des droits à
caractère rémunératoire, un État membre est en droit de prendre en compte non
seulement les coûts, matériels et salariaux, qui sont directement liés à
l'accomplissement des opérations d'enregistrement dont ils constituent la
contrepartie, mais aussi, dans les conditions indiquées par M. l'avocat général au
point 43 de ses conclusions, la fraction des frais généraux de l'administration
compétente qui sont imputables à ces opérations. Ce n'est que dans cette mesure
que les dépenses énumérées par la juridiction de renvoi aux trois derniers tirets de
sa deuxième question peuvent être incluses dans la base de calcul des droits.
- Un droit, dont le montant augmente directement et sans limites en proportion du
capital nominal souscrit, ne saurait, par sa nature même, constituer un droit à
caractère rémunératoire au sens de la directive. En effet, même s'il peut exister,
dans certains cas, un lien entre la complexité d'une opération d'enregistrement et
l'importance des capitaux souscrits, le montant d'un tel droit sera généralement
sans rapport avec les frais concrètement exposés par l'administration lors des
formalités d'immatriculation.
- Enfin, ainsi qu'il résulte de l'arrêt Ponente Carni, point 43, le montant d'un droit
à caractère rémunératoire ne doit pas nécessairement varier en fonction des frais
réellement exposés par l'administration à l'occasion de chaque opération
d'enregistrement et un État membre est en droit de fixer à l'avance, sur la base des
coûts moyens d'enregistrement prévisibles, des droits standards pour
l'accomplissement des formalités d'inscription des sociétés de capitaux. Rien ne
s'oppose, en outre, à ce que les montants de ces droits soient établis pour une
durée indéterminée dès lors que l'État membre s'assure, à intervalles réguliers, par
exemple chaque année, qu'ils continuent de ne pas dépasser ses coûts
d'enregistrement.
- Il appartient à la juridiction nationale, sur le fondement des considérations qui
précèdent, d'examiner dans quelle mesure les droits litigieux revêtent un caractère
rémunératoire et de procéder, le cas échéant, sur cette base, à d'éventuels
remboursements.
- Il convient dès lors de répondre aux cinq premières questions que l'article 12,
paragraphe 1, sous e), de la directive doit être interprété en ce sens que, pour
revêtir un caractère rémunératoire, les montants des droits perçus à l'occasion de
l'immatriculation des sociétés anonymes et des sociétés à responsabilité limitée et
lors des augmentations de capital dont ces sociétés font l'objet doivent être calculés
sur la base du seul coût des formalités en cause, étant entendu que ces montants
peuvent également couvrir les dépenses engendrées par des opérations mineures
effectuées gratuitement. Pour calculer ces montants, un État membre est en droit
de prendre en compte l'ensemble des coûts liés aux opérations d'enregistrement,
y compris la fraction des frais généraux qui leur sont imputables. En outre, un État
membre a la faculté de prévoir des droits forfaitaires et d'établir leurs montants
pour une durée indéterminée, dès lors qu'il s'assure, à intervalles réguliers, que ces
montants continuent de ne pas dépasser le coût moyen des opérations en cause.
Sur la sixième question
- Par sa sixième question, la juridiction de renvoi vise à savoir si le droit
communautaire s'oppose à ce que des actions en remboursement de droits perçus
en violation de la directive puissent être rejetées au motif que l'imposition de ces
droits a procédé d'une erreur excusable des autorités de l'État membre dans la
mesure où les droits en cause ont été perçus pendant une longue période sans que
ni celles-ci ni les assujettis n'aient été conscients de leur illégalité.
- Selon une jurisprudence constante, l'interprétation que, dans l'exercice de la
compétence que lui confère l'article 177 du traité, la Cour donne d'une disposition
de droit communautaire éclaire et précise, lorsque besoin en est, la signification et
la portée de cette règle, telle qu'elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée
depuis le moment de son entrée en vigueur.
- Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge
à des rapports juridiques nés et constitués avant l'arrêt statuant sur la demande
d'interprétation, si, par ailleurs, les conditions permettant de porter devant les
juridictions compétentes un litige relatif à l'application de ladite règle se trouvent
réunies (arrêts du 27 mars 1980, Denkavit italiana, 61/79, Rec. p. 1205, point 16,
et du 13 février 1996, Bautiaa et Société française maritime, C-197/94 et C-252/94,
Rec. p. I-505, point 47).
- Toujours selon cette jurisprudence, le droit d'obtenir le remboursement des
sommes perçues en violation du droit communautaire est la conséquence et le
complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions communautaires
telles qu'elles ont été interprétées par la Cour (arrêt du 9 novembre 1983, San
Giorgio, 199/82, Rec. p. 3595, point 12). L'État membre est donc tenu, en principe,
de rembourser les taxes perçues en violation du droit communautaire (arrêt du 14
janvier 1997, Comateb e.a., C-192/95 à C-218/95, Rec. p. I-165, point 20).
- C'est ainsi que, si, en l'absence de réglementation communautaire en la matière,
ce remboursement ne peut être poursuivi que dans le cadre des conditions, de fond
et de forme, fixées par les différentes législations nationales, il n'en reste pas moins
que ces conditions ne sauraient être moins favorables que celles concernant des
réclamations semblables de nature interne ni rendre pratiquement impossible ou
excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique
communautaire (voir, notamment, arrêt du 14 décembre 1995, Peterbroeck, C-312/93, Rec. p. I-4599, point 12).
- Force est de relever qu'un principe général de droit national, selon lequel les
juridictions d'un État membre devraient rejeter les demandes de remboursement
de droits perçus en violation du droit communautaire, dès lors que ceux-ci ont été
perçus pendant une longue période sans que ni les autorités de cet État ni les
assujettis n'aient été conscients de leur illégalité, ne répond pas aux conditions qui
précèdent. En effet, l'application d'un tel principe serait, dans les circonstances
ainsi décrites, de nature à rendre excessivement difficile l'obtention du
remboursement de taxes contraires au droit communautaire. Elle aboutirait en
outre à favoriser les violations du droit communautaire qui se sont poursuivies sur
une longue période.
- Il convient dès lors de répondre à la sixième question que le droit communautaire
s'oppose à ce que des actions en remboursement de droits perçus en violation de
la directive puissent être rejetées au motif que l'imposition de ces droits a procédé
d'une erreur excusable des autorités de l'État membre dans la mesure où les droits
en cause ont été perçus pendant une longue période sans que ni celles-ci ni les
assujettis n'aient été conscients de leur illégalité.
Sur la septième question
- Par sa septième question, la juridiction nationale demande, en substance, si le droit
communautaire interdit à un État membre d'opposer aux actions en
remboursement de droits perçus en violation de la directive un délai de
prescription national tant que cet État membre n'a pas transposé correctement
cette directive.
- Il ressort de l'ordonnance de renvoi que, selon la législation danoise, le droit au
remboursement de toute une série de créances se prescrit au bout de cinq ans et
que ce délai court en principe à partir de la date d'exigibilité de la créance. A
l'expiration du délai, cette créance est normalement frappée de déchéance, à moins
que le débiteur ait entre-temps reconnu sa dette ou que le créancier ait introduit
une action en justice.
- Or, lorsque certaines des requérantes au principal ont présenté leurs demandes de
remboursement, le délai en cause était expiré, pour une partie au moins de leurs
réclamations.
- Les sociétés requérantes et la Commission se fondent sur l'arrêt du 25 juillet 1991,
Emmott (C-208/90, Rec. p. I-4269), pour considérer qu'un État membre ne saurait
se prévaloir d'un délai national de prescription tant que la directive, en
méconnaissance de laquelle des taxes ont été indûment perçues, n'a pas été
correctement transposée dans son droit national. Selon elles, jusqu'à cette date, les
justiciables ne sont pas en mesure de connaître la plénitude des droits qu'ils tirent
de la directive en question. Il en résulterait qu'un délai national de prescription ne
commence à courir que lorsque la transposition correcte de la directive est
intervenue.
- Les gouvernements danois, français et du Royaume-Uni considèrent, pour leur
part, qu'un État membre est en droit de se prévaloir d'un délai national de
prescription comme le délai en cause dès lors que celui-ci respecte les deux
conditions d'équivalence et d'effectivité posées par la jurisprudence de la Cour
(voir, notamment, arrêts San Giorgio et Peterbroeck, précités). Selon ces
gouvernements, l'arrêt Emmott, précité, doit être replacé dans le cadre des
circonstances tout à fait particulières de cette affaire, ce que la Cour aurait
d'ailleurs confirmé dans sa jurisprudence ultérieure.
- Ainsi que la Cour l'a rappelé au point 39 du présent arrêt, il appartient,
conformément à une jurisprudence constante, en l'absence de réglementation
communautaire en la matière, à l'ordre juridique interne de chaque État membre
de régler les modalités procédurales de l'action en répétition de l'indu, pour autant
que ces modalités ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours
similaires de nature interne ni ne rendent pratiquement impossible ou
excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique
communautaire.
- La Cour a ainsi reconnu la compatibilité avec le droit communautaire de la fixation
de délais raisonnables de recours à peine de forclusion dans l'intérêt de la sécuritéjuridique qui protège à la fois le contribuable et l'administration concernés. En
effet, de tels délais ne sauraient être considérés comme étant de nature à rendre
pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par
l'ordre juridique communautaire, même si, par définition, l'écoulement de ces délais
entraîne le rejet, total ou partiel, de l'action intentée (voir, en particulier, arrêts du
16 décembre 1976, Rewe, 33/76, Rec. p. 1989, point 5; Comet, 45/76, Rec. p. 2043,
points 17 et 18, et du 10 juillet 1997, Palmisani, C-261/95, non encore publié au
Recueil, point 28).
- A cet égard, le délai de prescription de cinq ans du droit danois doit être qualifié
de raisonnable (arrêt du 17 juillet 1997, Haahr Petroleum, C-90/94, non encore
publié au Recueil, point 49). En outre, il apparaît que ce délai s'applique
indifféremment aux recours fondés sur le droit communautaire et à ceux fondés sur
le droit interne.
- Il est vrai que, dans l'arrêt Emmott, précité, point 23, la Cour a jugé que, jusqu'au
moment de la transposition correcte d'une directive, l'État membre défaillant ne
peut exciper de la tardiveté d'une action judiciaire introduite à son encontre par
un particulier en vue de la protection des droits que lui reconnaissent les
dispositions d'une directive et qu'un délai de recours de droit national ne peut
commencer à courir qu'à partir de ce moment.
- Toutefois, comme l'a confirmé l'arrêt du 6 décembre 1994, Johnson (C-410/92, Rec.
p. I-5483, point 26), il découle de l'arrêt du 27 octobre 1993, Steenhorst-Neerings
(C-338/91, Rec. p. I-5475), que la solution dégagée dans l'arrêt Emmott était
justifiée par les circonstances propres à cette affaire, dans lesquelles la forclusion
aboutissait à priver totalement la requérante au principal de la possibilité de faire
valoir son droit à l'égalité de traitement en vertu d'une directive communautaire
(voir, également, arrêts Haahr Petroleum, précité, point 52, et du 17 juillet 1997,
Texaco et Olieselskabet Danmark, C-114/95 et C-115/95, non encore publié au
Recueil, point 48).
52. Il y a lieu dès lors de répondre à la septième question que, en son état actuel, le
droit communautaire n'interdit pas à un État membre, qui n'a pas transposé
correctement la directive, d'opposer aux actions en remboursement de droits perçus
en violation de cette directive un délai de prescription national qui court à compter
de la date d'exigibilité des droits en cause, dès lors qu'un tel délai n'est pas moins
favorable pour les recours fondés sur le droit communautaire que pour les recours
fondés sur le droit interne et qu'il ne rend pas pratiquement impossible ou
excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique
communautaire.
Sur la huitième question
- Par sa huitième question, la juridiction de renvoi demande si les dispositions
combinées des articles 10 et 12, paragraphe 1, sous e), de la directive engendrent
des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir devant les juridictions
nationales.
- Conformément à une jurisprudence constante, au cas où les dispositions d'une
directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et
suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer devant le juge
national à l'encontre de l'État, soit lorsque celui-ci s'abstient de transposer dans les
délais la directive en droit national, soit lorsqu'il en fait une transposition incorrecte
(voir, notamment, arrêt du 23 février 1994, Comitato di coordinamento per la
difesa della cava e.a., C-236/92, Rec. p. I-483, point 8).
- En l'espèce, il suffit de relever que l'interdiction posée par l'article 10 de la
directive de même que la dérogation à cette interdiction qui figure à l'article 12,
paragraphe 1, sous e), sont formulées en termes suffisamment précis et
inconditionnels pour pouvoir être invoquées par les justiciables devant leurs
juridictions nationales à l'encontre d'une disposition de droit national contraire à
cette directive.
- Il y a lieu, dès lors, de répondre à la huitième question que les dispositions
combinées de l'article 10 et de l'article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive
engendrent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir devant les
juridictions nationales.
Sur les dépens
- Les frais exposés par les gouvernements danois, français, italien, suédois, et du
Royaume-Uni, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui
ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un
remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le
caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
statuant sur les questions à elle soumises par l'Østre Landret, par ordonnance du
8 juin 1995, dit pour droit:
- L'article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 69/335/CEE du Conseil,
du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les
rassemblements de capitaux, telle que modifiée, en dernier lieu, par la
directive 85/303/CEE du Conseil, du 10 juin 1985, doit être interprété en ce
sens que, pour revêtir un caractère rémunératoire, les montants des droits
perçus à l'occasion de l'immatriculation des sociétés anonymes et des
sociétés à responsabilité limitée et lors des augmentations de capital dont
ces sociétés font l'objet doivent être calculés sur la base du seul coût des
formalités en cause, étant entendu que ces montants peuvent également
couvrir les dépenses engendrées par des opérations mineures effectuées
gratuitement. Pour calculer ces montants, un État membre est en droit de
prendre en compte l'ensemble des coûts liés aux opérations
d'enregistrement, y compris la fraction des frais généraux qui leur sont
imputables. En outre, un État membre a la faculté de prévoir des droits
forfaitaires et d'établir leurs montants pour une durée indéterminée, dès
lors qu'il s'assure, à intervalles réguliers, que ces montants continuent de
ne pas dépasser le coût moyen des opérations en cause.
2) Le droit communautaire s'oppose à ce que des actions en remboursement
de droits perçus en violation de la directive 69/335, telle que modifiée,
puissent être rejetées au motif que l'imposition de ces droits a procédé
d'une erreur excusable des autorités de l'État membre dans la mesure où
les droits en cause ont été perçus pendant une longue période sans que ni
celles-ci ni les assujettis n'aient été conscients de leur illégalité.
3) En son état actuel, le droit communautaire n'interdit pas à un État
membre, qui n'a pas transposé correctement la directive 69/335, telle que
modifiée, d'opposer aux actions en remboursement de droits perçus en
violation de cette directive un délai de prescription national qui court à
compter de la date d'exigibilité des droits en cause, dès lors qu'un tel délai
n'est pas moins favorable pour les recours fondés sur le droit
communautaire que pour les recours fondés sur le droit interne et qu'il ne
rend pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des
droits conférés par l'ordre juridique communautaire.
4) Les dispositions combinées de l'article 10 et de l'article 12, paragraphe 1,
sous e), de la directive 69/335, telle que modifiée, engendrent des droits
dont les particuliers peuvent se prévaloir devant les juridictions nationales.
Rodríguez Iglesias Gulmann Ragnemalm
Wathelet Mancini Moitinho de Almeida
Kapteyn Murray Edward Puissochet Hirsch Jann Sevón
|
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 décembre 1997.
Le greffier
Le président
R. Grass
G. C. Rodríguez Iglesias
1: Langue de procédure: le danois.