Language of document : ECLI:EU:T:2015:116

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

26 février 2015 (*)

« Aides d’État – Retraites – Aide portant sur la réforme du mode de financement des retraites des fonctionnaires de l’État rattachés à France Télécom – Réduction de la contrepartie à verser à l’État par France Télécom – Décision déclarant l’aide compatible avec le marché intérieur sous certaines conditions – Avantage »

Dans l’affaire T‑135/12,

République française, représentée initialement par Mme E. Belliard, MM. G. de Bergues, J. Gstalter et J. Rossi, puis par MM. D. Colas Diégo et R. Coesme, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. B. Stromsky, L. Flynn et D. Grespan, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2012/540/UE de la Commission, du 20 décembre 2011, concernant l’aide d’État C 25/08 (ex NN 23/08) – Réforme du mode de financement des retraites des fonctionnaires de l’État rattachés à France Télécom mise à exécution par la République française en faveur de France Télécom (JO 2012, L 279, p. 1),

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. G. Berardis, président, O. Czúcz (rapporteur) et A. Popescu, juges,

greffier : Mme S. Bukšek Tomac, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 septembre 2014,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

 Cadre juridique national

1        Les mesures faisant l’objet de la présente affaire consistent dans les changements introduits en 1996 dans le régime des charges supportées par Orange, alors dénommée France Télécom, en ce qui concerne le paiement des retraites de son personnel ayant le statut de fonctionnaire.

2        Ce régime, qui avait été établi lors de la création, en 1990, de France Télécom en tant qu’entreprise distincte de l’administration de l’État, par la loi n° 90-568, du 2 juillet 1990, relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications (JORF du 8 juillet 1990, p. 8069, ci-après la « loi de 1990 »), a été modifié par la loi n° 96-660, du 26 juillet 1996, relative à l’entreprise nationale France Télécom (JORF du 26 juillet 1996, p. 11398, ci-après la « loi de 1996 »). Le nouveau régime a été instauré à l’occasion, d’une part, de la constitution de France Télécom en société anonyme ainsi que de la cotation en Bourse et de l’ouverture d’une partie croissante de son capital, et, d’autre part, de l’ouverture totale à la concurrence des marchés où elle opérait, en France et dans les autres États membres de l’Union européenne.

3        Pour ce qui concerne les responsabilités afférentes au financement des prestations sociales du personnel ayant le statut de fonctionnaire public, la loi de 1996 a modifié la contrepartie que l’article 30 de la loi de 1990 imposait à France Télécom de verser au Trésor public pour la liquidation et le service des pensions de ses fonctionnaires effectués par l’État (ci-après la « mesure litigieuse »).

4        La loi de 1990 prévoyait que France Télécom était astreinte à verser au Trésor public, en contrepartie de la liquidation et du service des pensions allouées à ses fonctionnaires, le montant de la retenue effectuée sur le traitement de l’agent, dont le taux était fixé par l’article L. 61 du code des pensions civiles et militaires de retraite français, et une contribution complémentaire permettant la prise en charge intégrale des dépenses de pensions concédées et à concéder à ses agents retraités.

5        France Télécom participait aussi aux régimes dits de « compensation » et de « surcompensation », prévoyant des transferts visant à assurer l’équilibre entre les régimes de retraite des fonctionnaires d’autres entités publiques.

6        La loi de 1996 a modifié la contrepartie prévue à l’article 30 de la loi de 1990 selon les modalités exposées ci-après. Premièrement, France Télécom était astreinte à verser la retenue effectuée sur le traitement de l’agent, dont le montant restait inchangé par rapport à la loi de 1990. Deuxièmement, elle était soumise à une « contribution employeur à caractère libératoire » remplaçant la contribution employeur précédente. Cette nouvelle contribution était fondée sur un « taux d’équité concurrentielle » lui-même fondé sur une égalisation du niveau des cotisations sociales et fiscales obligatoires, assises sur les salaires, entre France Télécom et les autres entreprises du secteur des télécommunications relevant du droit commun des prestations sociales, pour ceux des risques qui sont communs aux salariés de droit privé et aux fonctionnaires de l’État et excluant les risques non communs aux salariés de droit privé et aux fonctionnaires de l’État (notamment le chômage et les créances des salariés en cas de redressement judiciaire ou de liquidation de l’entreprise). Troisièmement, France Télécom était soumise à une « contribution forfaitaire exceptionnelle », qui a été fixée par la loi n° 96-1181, du 31 décembre 1996, portant loi de finances pour 1997 (JORF du 31 décembre 1996, p. 19490), à 37,5 milliards de francs français (équivalant à 5,7 milliards d’euros). Cette dernière contribution incluait, d’une part, le montant des provisions annuelles (3,6 milliards d’euros) que France Télécom avait constituées jusqu’en 1996 afin de faire face à la charge des retraites futures des fonctionnaires alors prévues et, d’autre part, un montant complémentaire (2,1 milliards d’euros).

7        La loi de 1996 a, en outre, exclu France Télécom du champ d’application des régimes de compensation et de surcompensation.

 Procédure administrative et décision attaquée

8        Par une plainte datée du 4 octobre 2002, complétée le 16 janvier 2003, la Commission des Communautés européennes a été saisie d’allégations selon lesquelles la République française avait mis à exécution une aide en faveur de France Télécom qui aurait allégé partiellement les charges financières de cette dernière, notamment celles liées au financement des retraites. En 2004, la République française a communiqué à la Commission des informations que celle-ci lui avait demandées concernant la plainte. Les plaignants ont fourni des informations complémentaires relatives à la plainte en 2004 et en 2006.

9        Par lettre du 20 mai 2008, la Commission a informé la République française de sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE (ci-après la « décision d’ouverture ») à l’encontre de l’aide en cause. La République française a présenté ses observations le 18 juillet 2008.

10      La décision d’ouverture a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 21 août 2008 (JO C 213, p. 11). La Commission a invité les intéressés à présenter leurs observations sur l’aide en cause.

11      Pendant la procédure formelle d’examen, plusieurs échanges d’information ont eu lieu entre, d’une part, la Commission et, d’autre part, la République française, France Télécom, les plaignants et un opérateur de télécommunications.

12      Le 20 décembre 2011, la Commission a adopté la décision 2012/540/UE, concernant l’aide d’État C 25/08 (ex NN 23/08) – Réforme du mode de financement des retraites des fonctionnaires de l’État rattachés à France Télécom mise à exécution par la République française en faveur de France Télécom (JO 2012, L 279, p. 1, ci-après la « décision attaquée »), qui déclare l’aide en cause compatible avec le marché intérieur sous certaines conditions.

13      Dans la décision attaquée, la Commission a constaté que la mesure litigieuse constituait une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

14      En ce qui concerne, notamment, l’appréciation de l’avantage économique, la Commission a établi que la mesure litigieuse octroyait un avantage économique à France Télécom, en ce qu’elle imposait une charge nouvelle et lourde pour l’État concernant la liquidation et le service des pensions allouées aux fonctionnaires de France Télécom, en réduisant la contrepartie que France Télécom avait versée auparavant.

15      À cet égard, la Commission, d’une part, au considérant 105 de la décision attaquée, a calculé le montant de l’aide en question comme étant la différence annuelle entre la contribution employeur à caractère libératoire versée par France Télécom en application de la loi de 1996 et les charges qu’elle aurait versées en application de la loi de 1990, et, d’autre part, au considérant 113 de la décision attaquée, a considéré que le versement de la contribution forfaitaire exceptionnelle avait réduit le montant de l’aide dont bénéficiait France Télécom.

16      La Commission a également établi que la mesure litigieuse était sélective du fait qu’elle concernait uniquement France Télécom et qu’elle faussait ou menaçait de fausser la concurrence parce qu’elle permettait à France Télécom de disposer d’un bilan comptable allégé qui lui permettait de se développer sur les marchés des services de télécommunications qui étaient graduellement ouverts à la concurrence, en France et dans d’autres États membres.

17      La Commission a ensuite procédé à une évaluation de la compatibilité de la mesure litigieuse avec le marché intérieur, au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et a conclu que celle-ci ne respectait pas le principe de proportionnalité, en ce qu’elle ne permettait pas une égalisation des conditions de concurrence. Selon la Commission, la contrepartie financière versée par France Télécom en faveur de l’État n’égalait pas toutes les charges sociales qui grevaient le budget des concurrents de France Télécom.

18      Partant, la Commission a établi que, pour satisfaire au critère de conformité avec l’intérêt commun prévu à l’article 107, paragraphe 3, TFUE, la compatibilité avec le marché intérieur de l’aide en cause requérait que la contribution employeur à caractère libératoire à verser par France Télécom soit calculée et prélevée de manière à égaliser les niveaux de l’ensemble des charges sociales et fiscales obligatoires, assises sur les salaires, entre France Télécom et les autres entreprises du secteur des télécommunications relevant du droit commun des prestations sociales, en prenant en compte aussi les risques non communs aux salariés de droit privé et aux fonctionnaires employés par France Télécom. Cette contribution devait être prélevée sur France Télécom à partir du jour où le montant de la contribution forfaitaire exceptionnelle, capitalisé au taux d’actualisation résultant de l’application de la communication de la Commission concernant la méthode de fixation des taux de référence et d’actualisation (JO 1996, C 232, p. 10, ci-après la « communication sur les taux de référence »), aurait atteint le montant des contributions et charges que France Télécom aurait dû payer au titre de l’article 30 de la loi de 1990.

19      Le dispositif de la décision attaquée est libellé comme suit :

« Article premier

L’aide d’État résultant de la réduction de la contrepartie à verser à l’État pour la liquidation et le service des pensions allouées, en application du code des pensions civiles et militaires de retraite, aux fonctionnaires de France Télécom en application de la [loi de 1996] modifiant la [loi de 1990] est compatible avec le marché intérieur, aux conditions prévues à l’article 2.

Article 2

La contribution employeur à caractère libératoire, due par France Télécom au titre de l’article 30, point c), de la [loi de 1990], est calculée et prélevée de manière à égaliser les niveaux de l’ensemble des charges sociales et fiscales obligatoires assises sur les salaires entre France Télécom et les autres entreprises du secteur des télécommunications relevant du droit commun des prestations sociales.

Pour remplir cette condition, au plus tard dans les sept mois suivant la notification de la présente décision, la République française :

a)      modifie l’article 30 de la [loi de 1990] et les textes règlementaires ou autres pris pour son application de sorte que l’assiette de calcul et le prélèvement de la contribution employeur à caractère libératoire, due par France Télécom, ne soient pas limités aux seuls risques communs aux salariés de droit privé et aux fonctionnaires de l’État mais incluent également les risques non communs ;

b)      prélève sur France Télécom, à partir du jour où les montants de la contribution exceptionnelle instaurée par la [loi de 1996] capitalisés au taux d’actualisation résultant de l’application de la [communication sur les taux de référence] applicable en l’espèce égalent le montant des contributions et charges que France Télécom aurait continué de payer au titre de l’article 30 de la [loi de 1990] dans sa rédaction initiale, une contribution employeur à caractère libératoire calculée selon les modalités précisées au point a), en prenant en considération les risques communs et non communs aux salariés de droit privé et aux fonctionnaires de l’État.

Article 3

1. Dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, la République française communique à la Commission une description détaillée des mesures déjà prises et prévues pour se conformer à la présente décision. Elle informe notamment la Commission :

a)      de l’état d’avancement des modifications des dispositions législatives et réglementaires visées à l’article 2 ;

b)      des montants définitifs de compensations et contributions pour l’année 2011 et de ceux prévus, le cas échéant, pour 2012, au regard, notamment, du solde éventuel des montants capitalisés de la contribution exceptionnelle ;

c)      des montants de la contribution employeur à caractère libératoire calculés selon les modalités précisées à l’article 2 pour les échéances à venir, dans l’attente de la modification de la législation ;

d)      des paiements de la contribution employeur intervenus après que les montants de la contribution exceptionnelle instaurée par la [loi de 1996] capitalisés au taux d’actualisation résultant de l’application de la [communication sur les taux de référence] applicable en l’espèce ont cessé de neutraliser les effets de la réforme de 1996.

2. La République française tient la Commission informée de l’avancement des mesures nationales prises pour mettre en œuvre la présente décision. Elle transmet immédiatement, sur simple demande de la Commission, toute information sur les mesures déjà prises et prévues pour se conformer à la présente décision.

Article 4

La République française est destinataire de la présente décision. »

 Procédure et conclusions des parties

20      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 mars 2012, la République française a introduit le présent recours.

21      La décision attaquée a également fait l’objet d’un recours déposé au greffe du Tribunal le 22 août 2012 par Orange, dans l’affaire T‑385/12, Orange/Commission.

22      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la neuvième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

23      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 11 septembre 2014.

24      La République française conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

25      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours non fondé ;

–        condamner la République française aux dépens.

 En droit

26      La République française invoque trois moyens à l’appui de son recours tirés, premièrement, de la violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, deuxièmement et à titre subsidiaire, de la violation de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et, troisièmement, d’une erreur manifeste d’appréciation quant à la fixation du taux d’actualisation de la contribution forfaitaire exceptionnelle.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en ce que la Commission a considéré que la mesure litigieuse était constitutive d’une aide d’État

27      Le présent moyen se subdivise en deux branches, tirées, pour la première, du fait que la Commission aurait erronément considéré que la réduction de la contrepartie à verser à l’État par France Télécom ne libérait pas cette dernière du désavantage structurel qu’elle supportait à la suite de l’entrée en vigueur de la loi de 1990 et que la mesure litigieuse lui accordait un avantage et, pour la seconde, invoquée à titre subsidiaire, du fait que la Commission aurait à tort considéré que France Télécom avait bénéficié d’un avantage à partir de 1996, en dépit du versement d’une contribution forfaitaire exceptionnelle par cette entreprise.

 Sur la première branche du premier moyen, tirée de ce que la Commission aurait erronément considéré que la réduction de la contrepartie à verser à l’État par France Télécom ne libérait pas cette dernière du désavantage structurel qu’elle supportait à la suite de l’entrée en vigueur de la loi de 1990 et de ce que la mesure litigieuse lui accordait un avantage

28      Au soutien de cette branche, la République française expose deux griefs, tirés, premièrement, d’une erreur de droit et de fait lors de l’identification de la situation de référence afin d’apprécier l’existence d’un avantage et, deuxièmement, d’une erreur de droit et de fait en ce que la Commission aurait considéré que la loi de 1996 ne libérait pas France Télécom d’un désavantage structurel qui résultait du mode de financement des retraites des fonctionnaires de l’État qui lui étaient rattachés, prévu par la loi de 1990.

29      La République française avance, en substance, que la mesure litigieuse ne constitue pas une aide d’État : cette mesure aurait libéré France Télécom du désavantage structurel imposé par la loi de 1990, désavantage qui devrait s’apprécier par rapport à la situation des concurrents de France Télécom sur le marché des services de télécommunications, qui sont normalement soumis au droit commun de la sécurité sociale.

30      Il y a donc lieu d’examiner si la mesure litigieuse pouvait, à bon droit, être qualifiée d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

31      L’article 107, paragraphe 1, TFUE dispose que, « [s]auf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».

32      La qualification d’aide incompatible avec le marché intérieur au sens de cette disposition requiert que toutes les conditions visées par celle-ci soient remplies.

33      En ce qui concerne l’existence d’un avantage, contestée en l’espèce, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, sont notamment considérées comme des aides les interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (arrêts du 23 mars 2006, Enirisorse, C‑237/04, Rec, EU:C:2006:197, point 42 ; du 8 décembre 2011, France Télécom/Commission, C‑81/10 P, Rec, EU:C:2011:811, point 16, et du 16 septembre 2013, British Telecommunications et BT Pension Scheme Trustees/Commission, T‑226/09 et T‑230/09, EU:T:2013:466, point 43).

34      La Cour a précisé que les coûts liés à la rémunération de leurs employés grèvent, par leur nature, le budget des entreprises, indépendamment de la question de savoir si ces coûts découlent ou non d’obligations légales ou d’accords collectifs (arrêt du 12 décembre 2002, Belgique/Commission, C‑5/01, Rec, EU:C:2002:754, point 39).

35      En outre, la notion d’avantage inhérente à la qualification d’une mesure d’aide d’État revêt un caractère objectif, indépendamment des motivations des auteurs de la mesure dont il s’agit. Ainsi, la nature des objectifs poursuivis par des mesures étatiques et leur justification sont dépourvues de toute incidence sur leur qualification d’aides d’État. Il ressort d’une jurisprudence constante que l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne fait pas de différence selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets (voir arrêt France Télécom/Commission, point 33 supra, EU:C:2011:811, point 17 et jurisprudence citée).

36      En l’occurrence, il est constant que, en réduisant les charges sociales instaurées au titre de la loi de 1990, la loi de 1996 a amélioré la situation juridique de France Télécom par rapport au régime précédent et a donc généré, en principe, un avantage au profit de cette dernière.

37      En premier lieu, il convient de relever qu’une mesure ne saurait être qualifiée d’aide d’État lorsqu’elle se limite à éviter que le budget du bénéficiaire de celle-ci soit grevé par une charge qui, dans une situation normale, n’aurait pas existé, au sens de l’arrêt Enirisorse, point 33 supra (EU:C:2006:197, points 43 à 49).

38      Toutefois, il y a lieu de constater que, dans les circonstances qui ont fait l’objet de l’affaire précitée, la mesure litigieuse s’insérait dans le cadre d’un régime tout à fait spécifique et dérogatoire, qui octroyait aux sociétés actionnaires de la société prétendument bénéficiaire une faculté exceptionnelle de retrait de cette dernière. Dans ce contexte législatif, la mesure litigieuse visait précisément à neutraliser l’avantage que lesdits actionnaires auraient obtenu de l’application dudit régime, en imposant, pour l’exercice de la faculté exceptionnelle de retrait, de renoncer à tout droit sur le patrimoine de la société et de procéder à l’apport des parts encore dues. La mesure évitait ainsi que l’application du régime exceptionnel grève le budget de la société en question d’une charge, à savoir le remboursement des actions des sociétés actionnaires, qui n’était pas prévue par le régime qui lui était normalement applicable. En d’autres termes, s’agissant d’un régime doublement dérogatoire par rapport au régime normal, la mesure litigieuse ne pouvait exister qu’en rapport avec le régime précédent et en fonction du seul objectif visant à neutraliser l’avantage que ce dernier octroyait aux actionnaires de la société en cause.

39      En outre, la jurisprudence a précisé, par la suite, qu’une mesure ne saurait échapper à la qualification d’aide d’État lorsque le bénéficiaire de celle-ci est soumis à une charge spécifique qui est distincte et sans rapport avec la mesure en question (voir, en ce sens, arrêts France Télécom/Commission, point 33 supra, EU:C:2011:811, point 43, et British Telecommunications et BT Pension Scheme Trustees/Commission, point 33 supra, EU:T:2013:466, points 48 à 52).

40      En l’espèce, il y a lieu de constater que le système de retraite des fonctionnaires découle d’un régime juridiquement distinct et clairement séparé du régime applicable aux salariés de droit privé, tels que les salariés des concurrents de France Télécom. Il n’apparaît pas, en particulier, que les cotisations concernant les coûts des pensions des fonctionnaires de l’État soient soumises au régime commun des contributions de retraite, ce qui permettrait de conclure que ce dernier constitue le régime normalement applicable en l’espèce. Par conséquent, il n’est pas possible de conclure que la mesure litigieuse vise à éviter que France Télécom soit soumise à une charge qui, dans une situation normale, ne devrait pas grever son budget au sens de l’arrêt Enirisorse, point 33 supra (EU:C:2006:197, points 43 à 49). Comme le souligne la Commission, et contrairement à la situation qui a fait l’objet de cet arrêt, la loi de 1990 n’introduisait pas un régime dérogatoire, les cotisations concernant les pensions des fonctionnaires n’étant pas soumises, auparavant, au régime commun des contributions de retraite.

41      En second lieu, s’agissant de l’argument de la République française tiré de la libération d’un désavantage structurel, même à supposer qu’un tel désavantage soit établi, il y a lieu de constater que le prétendu caractère compensatoire des avantages accordés ne permet pas d’écarter leur qualification d’aides au sens de l’article 107 TFUE.

42      Comme il ressort de la jurisprudence, ce n’est que dans la mesure où une intervention étatique doit être considérée comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises chargées d’un service d’intérêt économique général pour exécuter des obligations de service public, selon les critères établis par l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, Rec, EU:C:2003:415), que ladite intervention ne relève pas de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, Rec, EU:C:2011:368, points 90 à 92, et British Telecommunications et BT Pension Scheme Trustees/Commission, point 33 supra, EU:T:2013:466, point 71). Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

43      Au demeurant, il convient de souligner que l’appréciation d’un avantage sélectif dans les circonstances de l’espèce ne requiert pas la définition d’un cadre de référence tel que celui proposé par la République française. Au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, constituent des aides d’État les aides qui, notamment, favorisent « certaines entreprises ou certaines productions ». En l’occurrence, il ressort de l’intitulé même de la loi instaurant la mesure litigieuse, qui se lit « loi [de 1996] relative à l’entreprise nationale France Télécom », qu’elle ne concerne que cette dernière et qu’elle est, de ce fait, sélective, sans qu’il soit nécessaire, dans les circonstances de l’espèce, de vérifier ultérieurement si elle introduit des différenciations entre opérateurs se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif poursuivi par la mesure litigieuse, comme le prétend la République française.

44      Le critère de la comparaison du bénéficiaire avec d’autres opérateurs se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif poursuivi par la mesure trouve son origine et sa justification dans le cadre de l’appréciation du caractère sélectif de mesures d’application potentiellement générale (voir, en ce sens, arrêts du 15 décembre 2005, Italie/Commission, C‑66/02, Rec, EU:C:2005:768, point 99 ; du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas, C‑279/08 P, Rec, EU:C:2011:551, points 62 à 64, et du 29 mars 2012, 3M Italia, C‑417/10, Rec, EU:C:2012:184, points 38 à 42). Un tel critère n’est donc pas pertinent lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, d’apprécier le caractère sélectif d’une mesure ad hoc, qui ne concerne qu’une seule entreprise et qui vise à modifier certaines contraintes concurrentielles qui lui sont spécifiques.

45      Dès lors, dans les circonstances de l’espèce, l’appréciation de la sélectivité de la mesure litigieuse en fonction de son objectif irait à l’encontre du libellé même de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui se réfère à des mesures favorisant certaines entreprises, et irait également à l’encontre de la jurisprudence constante selon laquelle la nature des objectifs poursuivis par des mesures étatiques et leur justification sont dépourvues de toute incidence sur leur qualification d’aide d’État (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, Rec, EU:C:2008:757, points 84 et 85, et France Télécom/Commission, point 33 supra, EU:C:2011:811, point 17 et jurisprudence citée).

46      Il s’ensuit que la première branche du premier moyen doit être rejetée.

 Sur la seconde branche du premier moyen, invoquée à titre subsidiaire et tirée du fait que la Commission aurait considéré à tort que France Télécom avait bénéficié d’un avantage à partir de 1996 en dépit du versement d’une contribution forfaitaire exceptionnelle par cette entreprise

47      Au soutien de cette branche, la République française avance, en substance, que, dès lors que la charge qui résulte pour l’État de la réforme de 1996 a été neutralisée par le montant de la contribution forfaitaire exceptionnelle versée par France Télécom, la mesure litigieuse ne pouvait pas être qualifiée d’aide d’État à partir de 1996.

48      À cet égard, il convient de constater que c’est la loi de 1996 qui, d’une part, a réduit la contrepartie versée par France Télécom au titre de la loi de 1990 et, d’autre part, a compensé partiellement, par la contribution forfaitaire exceptionnelle, la charge financière qu’assumait l’État à la suite de la réduction de ladite contrepartie.

49      Il s’ensuit que la Commission pouvait, à juste titre, estimer que l’aide était accordée en application de la loi de 1996, et ce même si, en considération de la contribution forfaitaire exceptionnelle, l’aide en question aurait produit ses effets seulement à partir d’une date postérieure. Comme le souligne la Commission, il y a lieu de faire une distinction entre l’adoption de la mesure d’aide, en l’occurrence le nouveau système de financement des retraites, et l’octroi de l’aide à France Télécom (voir, en ce sens, arrêt France Télécom/Commission, point 33 supra, EU:C:2011:811, point 22).

50      En tout état de cause, il y a lieu de constater, comme le relève la Commission, que la présente seconde branche du premier moyen est inopérante, puisqu’elle n’est pas de nature à remettre en cause le dispositif de la décision attaquée.

51      En effet, il résulte d’une jurisprudence constante que seul le dispositif d’une décision est susceptible de produire des effets juridiques et, par voie de conséquence, de faire grief, quels que soient les motifs sur lesquels repose cette décision. En revanche, les appréciations formulées dans les motifs d’une décision ne sont pas susceptibles de faire, en tant que telles, l’objet d’un recours en annulation et ne peuvent être soumises au contrôle de légalité du juge de l’Union que dans la mesure où, en tant que motifs d’un acte faisant grief, elles constituent le support nécessaire du dispositif de cet acte, ou si, à tout le moins, ces motifs sont susceptibles de modifier la substance de ce qui a été décidé dans le dispositif de l’acte en question (voir ordonnance du 30 avril 2007, EnBW Energie Baden-Württemberg/Commission, T‑387/04, Rec, EU:T:2007:117, point 127 et jurisprudence citée).

52      En l’occurrence, l’article 1er de la décision attaquée se limite à constater que l’aide d’État, accordée en application de la loi de 1996, est compatible avec le marché intérieur aux conditions prévues à l’article 2 de ladite décision et ce dernier précise les conditions auxquelles la contribution employeur à caractère libératoire est calculée et prélevée aux fins d’assurer la compatibilité avec le marché intérieur de l’aide en cause.

53      En particulier, l’article 2, second alinéa, sous b), de la décision attaquée enjoint à la République française de prélever une contribution employeur à caractère libératoire, modifiée selon les indications prévues par le même alinéa, sous a), à partir du jour où les montants de la contribution forfaitaire exceptionnelle instaurée par la loi de 1996, capitalisés au taux d’actualisation établi par la décision attaquée, égalent le montant des contributions et charges que France Télécom aurait continué de payer au titre de l’article 30 de la loi de 1990 dans sa rédaction initiale.

54      Partant, force est de constater qu’une qualification différente de la contribution forfaitaire telle que celle proposée par la République française, à savoir la qualification d’aide d’État de la mesure litigieuse à partir du moment où celle-ci n’est plus compensée par la contribution forfaitaire exceptionnelle, à supposer qu’elle soit correcte, ne peut entraîner une reformulation du dispositif de la décision attaquée.

55      Il y a donc lieu de rejeter la seconde branche du premier moyen et, par conséquent, le premier moyen dans son intégralité.

 Sur le deuxième moyen, invoqué à titre subsidiaire et tiré de la violation de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE en ce que la Commission a subordonné la compatibilité avec le marché intérieur de la mesure litigieuse au respect de la condition posée à l’article 2 de la décision attaquée

56      Le présent moyen se subdivise en deux branches. La première est tirée du fait que la Commission aurait considéré à tort que le taux d’équité concurrentielle n’était pas atteint en l’espèce en raison de l’absence de prise en compte des risques non communs dans le calcul de la contrepartie versée par France Télécom à la suite de l’entrée en vigueur de la loi de 1996. La seconde branche, invoquée à titre infiniment subsidiaire, est tirée du fait que la Commission aurait commis des erreurs de droit et des erreurs manifestes d’appréciation, tout d’abord, en considérant que l’absence de prise en compte des risques non communs n’avait pas été compensée par la contribution forfaitaire exceptionnelle versée par France Télécom, ensuite, en refusant de prendre en compte la contribution forfaitaire exceptionnelle dans le cadre de la mise en balance des effets bénéfiques de l’aide identifiée et des effets négatifs de celle-ci et, enfin, en considérant que la contribution forfaitaire exceptionnelle ne couvrait pas l’insuffisance du taux d’équité concurrentielle jusqu’en 2043.

 Sur la première branche du deuxième moyen, tirée de ce que la Commission aurait violé l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE lorsqu’elle a considéré que le taux d’équité concurrentielle n’était pas atteint en l’espèce en raison de l’absence de prise en compte des risques non communs dans le calcul de la contrepartie versée par France Télécom à la suite de l’entrée en vigueur de la loi de 1996

57      Par cette branche, la République française reproche à la Commission d’avoir considéré que la contribution libératoire employeur et la contribution forfaitaire exceptionnelle versées par France Télécom n’assuraient pas une équité concurrentielle, en ce qu’elles ne couvraient pas les risques non communs entre salariés de droit privé et fonctionnaires de l’État, tels que le chômage ou le non-paiement des salaires en cas de redressement ou de liquidation de l’entreprise.

58      En substance, selon la République française, si le cadre de référence pour apprécier la compatibilité avec le marché intérieur de l’aide était limité, comme l’estime la Commission dans le contexte de la qualification de la mesure litigieuse, à la situation d’une entreprise publique ou privée qui emploierait du personnel fonctionnaire ayant gardé son statut, il conviendrait alors de considérer que les risques non communs susvisés ne sont pas encourus par les fonctionnaires rattachés à France Télécom, en raison de leur statut, et ne peuvent pas être inclus dans le calcul du taux d’équité concurrentielle.

59      Dans la décision attaquée, la Commission a examiné la compatibilité avec le marché intérieur de l’aide en cause au regard de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, les autres dérogations prévues à l’article 106, paragraphe 2, TFUE ou à l’article 107, paragraphes 2 et 3, TFUE n’ayant pas été invoquées ou étant manifestement dépourvues de pertinence dans le cas d’espèce.

60      Aux termes de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, peuvent notamment être considérées comme compatibles avec le marché intérieur les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun, condition qui doit être appréciée selon les critères de nécessité et de proportionnalité.

61      Il est de jurisprudence constante que le principe général posé par l’article 107, paragraphe 1, TFUE est celui de l’interdiction des aides d’État et que les dérogations à ce principe sont d’interprétation stricte (arrêts du 29 avril 2004, Allemagne/Commission, C‑277/00, Rec, EU:C:2004:238, point 20, et du 23 février 2006, Atzeni e.a., C‑346/03 et C‑529/03, Rec, EU:C:2006:130, point 79).

62      En outre, pour l’application de l’article 107, paragraphe 3, TFUE, la Commission bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordre économique et social, qui doivent être effectuées dans le contexte de l’Union. Dans ce cadre, le contrôle juridictionnel appliqué à l’exercice de ce pouvoir d’appréciation se limite à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi qu’au contrôle de l’exactitude matérielle des faits retenus et de l’absence d’erreur de droit, d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits ou de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2008, Allemagne e.a./Kronofrance, C‑75/05 P et C‑80/05 P, Rec, EU:C:2008:482, point 59 et jurisprudence citée). En particulier, il n’appartient pas au juge de l’Union de substituer son appréciation économique à celle de la Commission (arrêt du 15 juin 2005, Corsica Ferries France/Commission, T‑349/03, Rec, EU:T:2005:221, point 138).

63      Cependant, cela n’implique pas que le juge de l’Union doive s’abstenir de contrôler l’interprétation que la Commission effectue de données de nature économique. En effet, selon la jurisprudence de la Cour, celui-ci doit notamment vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Scott, C‑290/07 P, Rec, EU:C:2010:480, points 64 et 65).

64      En l’occurrence, s’agissant de la compatibilité avec le marché intérieur de la mesure litigieuse, après avoir estimé, aux considérants 129 à 137 de la décision attaquée, que ladite mesure était conforme à un objectif d’intérêt commun et était nécessaire pour atteindre l’objectif susvisé, la Commission en a apprécié la proportionnalité en rapport avec la contrepartie financière versée par France Télécom. Aux considérants 138 à 143 de la décision attaquée, la Commission a estimé que la contribution libératoire ne permettait pas d’atteindre un taux d’équité concurrentielle, du fait que le taux appliqué à France Télécom n’intégrait que les cotisations correspondant aux risques communs entre employés de droit privé et fonctionnaires de l’État et, de ce fait, excluait les cotisations correspondant aux risques non communs.

65      Il a lieu de constater, tout d’abord, que le choix du régime applicable aux entreprises concurrentes comme paramètre de référence pour la compatibilité avec le marché intérieur de la mesure litigieuse est approprié au regard de l’objectif en cause, qui est d’éviter que la mesure n’altère les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.

66      En outre, comme le souligne à bon droit la Commission, le taux d’équité concurrentielle n’est pas destiné à couvrir les risques auxquels sont effectivement exposés les fonctionnaires employés par France Télécom. En effet, ce taux repose sur une fiction et est conçu pour assurer que France Télécom supporte le même niveau de coûts pour les charges sociales que ses concurrents, y compris les charges qui ne grèvent pas le budget de France Télécom en raison de son statut particulier, telles que celles concernant le risque de chômage et l’assurance de garantie des salaires.

67      Par ailleurs, le fait que le cadre de référence que la Commission a utilisé pour l’appréciation de la compatibilité avec le marché intérieur de la mesure litigieuse soit différent du cadre de référence utilisé dans la qualification d’aide d’État de ladite mesure ne saurait remettre en question la validité de l’appréciation de la Commission en l’espèce.

68      En effet, la Commission n’est pas obligée d’utiliser les mêmes critères d’appréciation pour la qualification d’une mesure d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et pour l’appréciation de la compatibilité avec le marché intérieur d’une telle aide au sens de l’article 107, paragraphe 3, TFUE.

69      À cet égard, il y a lieu de distinguer entre, d’une part, les critères qui permettent d’établir si une mesure étatique octroie un avantage à une entreprise et donc constitue, pourvu que les autres conditions soient remplies, une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et, d’autre part, les critères qui permettent d’établir si une mesure, dont la nature d’aide d’État a été établie, altère les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun, afin d’en apprécier la compatibilité avec le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 3, TFUE, ce qui implique que les distorsions de concurrence soient limitées au minimum nécessaire.

70      En effet, selon une jurisprudence constante, la notion d’aide d’État, telle qu’elle est définie dans le traité, présente un caractère juridique et doit être interprétée sur la base d’éléments objectifs, le juge de l’Union devant, en principe et compte tenu tant des éléments concrets du litige qui lui est soumis que du caractère technique ou complexe des appréciations portées par la Commission, exercer un contrôle entier en ce qui concerne la question de savoir si une mesure entre dans le champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêts British Aggregates/Commission, point 45 supra, EU:C:2008:757, point 111, et du 28 mars 2012, Ryanair/Commission, T‑123/09, Rec, EU:T:2012:164, point 75), tandis que, pour l’application de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, la Commission jouit d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordre économique et social qui doivent être effectuées dans le contexte de l’Union (arrêts du 24 février 1987, Deufil/Commission, 310/85, Rec, EU:C:1987:96, point 18, et Corsica Ferries France/Commission, point 62 supra, EU:T:2005:221, point 137).

71      Partant, la République française n’a pas démontré que la Commission avait commis une erreur de droit en considérant que le taux d’équité concurrentielle n’était pas atteint, en raison de l’absence de prise en compte des risques non communs dans le calcul de la contrepartie versée par France Télécom.

72      Il y a donc lieu de rejeter la première branche du deuxième moyen.

 Sur la seconde branche du deuxième moyen, invoquée à titre infiniment subsidiaire et tirée d’une violation de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, en ce que la Commission aurait refusé d’apprécier l’insuffisance du taux d’équité concurrentielle au regard du versement d’une contribution forfaitaire exceptionnelle par France Télécom et conclu que cette entreprise n’avait pas été mise en situation d’équivalence complète avec ses concurrents jusqu’en 2043

73      Au soutien de cette branche, la République française expose, en substance, trois griefs, tirés, premièrement, du fait que la Commission aurait commis une erreur de droit en considérant que l’absence de prise en compte des risques non communs n’avait pas été compensée par la contribution forfaitaire exceptionnelle, deuxièmement, du fait que la Commission aurait commis une erreur de droit et des erreurs manifestes d’appréciation en refusant de prendre en compte la contribution forfaitaire exceptionnelle dans le cadre de la mise en balance des effets positifs et négatifs de l’aide en cause et, troisièmement, du fait que la Commission aurait commis une erreur de droit et des erreurs manifestes d’appréciation en considérant que la contribution forfaitaire exceptionnelle ne couvrait pas l’insuffisance du taux d’équité concurrentielle jusqu’en 2043.

–       Sur le premier grief, tiré d’une erreur de droit en ce que la Commission aurait considéré que l’absence de prise en compte des risques non communs n’avait pas été compensée par la contribution forfaitaire exceptionnelle versée par France Télécom

74      En substance, la République française reproche à la Commission de ne pas avoir estimé que la contribution forfaitaire exceptionnelle versée par France Télécom avait compensé les charges liées aux risques non communs.

75      Or, aux considérants 152 et suivants de la décision attaquée, la Commission a estimé qu’il n’était pas justifié de prendre en considération le montant de la contribution forfaitaire exceptionnelle pour le mettre en rapport avec l’insuffisance du taux de contribution libératoire qui, seule, ne couvrait pas le taux d’équité concurrentielle. En revanche, aux considérants 177 et suivants de la décision attaquée, la Commission a tenu compte des effets de la contribution forfaitaire exceptionnelle, en estimant que celle-ci avait neutralisé les effets de l’aide pour une période d’environ quinze ans et que, partant, il était justifié de ne pas exiger de France Télécom qu’elle paie une contribution complémentaire assurant un taux d’égalité concurrentielle pour la période 1997-2010.

76      En l’espèce, il convient de constater que, comme il ressort de la lecture combinée des alinéas c) et d) de l’article 30 de la loi de 1990, tel que modifiée par la loi de 1996, la contribution employeur à caractère libératoire était conçue afin d’« égaliser les niveaux de charges sociales et fiscales obligatoires assises sur les salaires » entre France Télécom et ses concurrents, tandis que les mêmes dispositions ne prévoyaient rien au regard de la finalité de la contribution forfaitaire exceptionnelle.

77      Partant, le libellé de la loi de 1996 ne s’oppose pas à l’interprétation de la Commission selon laquelle la contribution forfaitaire exceptionnelle ne constitue pas une charge sociale à l’instar de la contribution employeur à caractère libératoire, mais poursuit d’autres objectifs, tels que rappelés aux considérants 166 et suivants de la décision attaquée.

78      Il s’ensuit que la Commission n’a pas commis d’erreur de droit en considérant que l’absence de prise en compte des risques non communs dans la contribution employeur à caractère libératoire ne pouvait être compensée par la contribution forfaitaire exceptionnelle.

79      Partant, il y a lieu de rejeter le premier grief.

–       Sur le deuxième grief, tiré d’une erreur de droit et d’erreurs manifestes d’appréciation en ce que la Commission a refusé de prendre en compte la contribution forfaitaire exceptionnelle dans le cadre de la mise en balance des effets positifs et négatifs de l’aide en cause

80      La République française avance, en substance, que, étant donné que la contribution forfaitaire exceptionnelle a réduit les effets négatifs de l’aide en cause, la Commission devait, dans le cadre de l’examen de la compatibilité avec le marché intérieur de la mesure litigieuse, considérer que les contreparties versées par France Télécom avaient nécessairement assuré une équité concurrentielle, même si le taux d’équité concurrentielle n’intégrait pas la prise en charge des risques non communs.

81      À cet égard, il y a lieu de constater, tout d’abord, que la Commission n’a pas exigé, contrairement à ce que prétend la République française, que la charge en cause compense ou neutralise les effets de la mesure litigieuse pour en apprécier la compatibilité avec le marché intérieur. La Commission s’est contentée d’exiger le paiement d’une cotisation permettant d’assurer un taux d’équité concurrentielle entre France Télécom et ses concurrents.

82      Aux considérants 177 et suivants de la décision attaquée, la Commission a pris en compte le versement de la contribution forfaitaire exceptionnelle dans l’évaluation de la mesure litigieuse, en estimant que celle-ci avait neutralisé les effets de l’aide pour une période d’environ quinze ans et que, partant, il était justifié de ne pas exiger de la République française le paiement d’une contribution complémentaire assurant un taux d’égalité concurrentielle pour la période en question.

83      Partant, même si la contribution forfaitaire exceptionnelle avait permis de diminuer les effets négatifs de l’aide, comme le prétend la République française, il ne peut pas en être déduit, de façon automatique, que la Commission aurait dû considérer que les contreparties versées par France Télécom avaient nécessairement assuré une équité concurrentielle. Les allégations de la République française à cet égard ne sont pas confortées par des éléments aptes à démontrer l’existence d’une erreur de droit ou d’une erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission.

84      Ensuite, il convient de rejeter l’argument de la République française selon lequel la Commission aurait privilégié, dans son analyse sur la compatibilité avec le marché intérieur de la mesure litigieuse, l’objectif spécifique de la contribution forfaitaire exceptionnelle, à savoir celui de constituer une contrepartie financière de la charge imposée à l’État, par rapport à l’objectif général de la loi de 1996, à savoir celui de rapprocher les niveaux de charges sociales et fiscales obligatoires assises sur les salaires entre France Télécom et les autre entreprises du secteur des télécommunications relevant du droit commun des prestations sociales.

85      En effet, ainsi que cela ressort du point 78 ci-dessus, la République française n’a pas démontré que la Commission avait commis une erreur de droit ni des erreurs manifestes d’appréciation en considérant que, contrairement à la contribution employeur à caractère libératoire, la contribution forfaitaire exceptionnelle ne constituait pas une charge sociale, ce qui était d’ailleurs justifié à la lumière du libellé de l’article 30 de la loi de 1996.

86      Enfin, doit être rejeté l’argument de la République française tiré des prétendues analogies avec la décision 2008/204/CE de la Commission, du 10 octobre 2007, concernant les aides d’État accordées par la France en ce qui concerne la réforme du mode de financement des retraites des fonctionnaires de l’État rattachés à la Poste (JO 2008, L 63, p. 16), et plus particulièrement du fait que, dans cette affaire, la Commission aurait estimé qu’une contribution forfaitaire exceptionnelle comparable à celle versée par France Télécom pouvait couvrir le taux d’équité concurrentielle.

87      À cet égard, il suffit de rappeler, comme le souligne à juste titre la Commission, que c’est dans le seul cadre de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE que doit être appréciée la légalité d’une décision de la Commission constatant qu’une aide ne répond pas aux conditions d’application de cette dérogation, et non à l’aune d’une prétendue pratique antérieure (voir, en ce sens, arrêts du 30 septembre 2003, Freistaat Sachsen e.a./Commission, C‑57/00 P et C‑61/00 P, Rec, EU:C:2003:510, point 53, et du 21 juillet 2011, Freistaat Sachsen et Land Sachsen-Anhalt/Commission, C‑459/10 P, EU:C:2011:515, point 38).

88      De surcroît, il y a lieu de constater que, aux considérants 152 à 165 de la décision attaquée, la Commission a exclu que, à l’époque des réformes respectives les concernant, La Poste et France Télécom se soient trouvées dans une situation factuelle et juridique similaire.

89      S’agissant, notamment, de l’argument selon lequel la Commission aurait apprécié différemment la contribution forfaitaire exceptionnelle dans les deux cas de figure, la Commission a fait valoir que la condition imposant la réattribution de la contribution forfaitaire exceptionnelle de La Poste avait été fixée après qu’elle ait ouvert la procédure formelle d’examen, ce qui lui permettait d’apprécier cette contribution à l’égard du taux d’équité concurrentielle, tandis que l’imposition d’une contribution forfaitaire exceptionnelle dans le cas de France Télécom était intervenue bien avant et hors du contexte de la procédure entamée par la Commission.

90      Dès lors, la République française n’ayant pas démontré que, en l’espèce, la Commission avait dépassé la marge de son pouvoir d’appréciation ou commis une erreur de droit, il y a lieu de rejeter le deuxième grief.

–       Sur le troisième grief, tiré d’une erreur de droit et d’erreurs manifestes d’appréciation en ce que la Commission a considéré que la contribution forfaitaire exceptionnelle ne couvrait pas l’insuffisance du taux d’équité concurrentielle jusqu’en 2043

91      La République française fait valoir, en substance, que la contribution forfaitaire exceptionnelle, associée aux autres contributions versées par France Télécom, aurait rendu l’aide en cause proportionnée à l’objectif poursuivi jusqu’en 2043. Selon la République française, si la Commission avait accepté d’apprécier si la contribution forfaitaire exceptionnelle couvrait l’insuffisance du taux d’équité concurrentielle, elle aurait conclu que la contribution forfaitaire exceptionnelle aurait couvert le taux d’équité concurrentielle jusqu’en 2043, et ce même sur la base du taux actualisé de 5,53 % retenu par la Commission.

92      Ce grief est lié aux deux précédents, dans la mesure où la République française reproche à la Commission de ne pas avoir apprécié la contribution forfaitaire exceptionnelle au regard du taux d’équité concurrentielle.

93      À cet égard, il y a lieu de constater que, aux considérants 152 et suivants de la décision attaquée, la Commission a expliqué les raisons pour lesquelles il n’était pas justifié de mettre en rapport l’insuffisance du taux de contribution libératoire avec la contribution forfaitaire exceptionnelle. En particulier, aux considérants 167 et 168 de la décision attaquée, la Commission a précisé que, par la contribution forfaitaire exceptionnelle, le législateur entendait assurer partiellement une compensation pour l’État de la charge financière qu’il assumait du fait de la loi de 1996 et ne cherchait pas à compenser la différence entre les charges sociales de France Télécom et celles, plus élevées, de ses concurrents, ce qui ressortait clairement du libellé de la loi de 1996, comme expliqué au point 76 ci-dessus.

94      Il y a donc lieu de constater que pour ce grief, à l’instar de ce qui concerne les deux autres griefs, la République française n’a pas démontré que la Commission avait commis une erreur de droit ou une erreur manifeste d’appréciation en n’ayant pas tenu compte de la contribution forfaitaire exceptionnelle dans l’appréciation du taux d’équité concurrentielle.

95      Partant, il y a lieu de rejeter le troisième grief et, par conséquent, le deuxième moyen dans son intégralité.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que la Commission a refusé de retenir un taux de 7 % comme taux d’actualisation de la contribution forfaitaire exceptionnelle

96      Par son troisième moyen, la République française fait valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation lorsqu’elle a refusé de retenir un taux de 7 % comme taux d’actualisation de la contribution forfaitaire exceptionnelle de 5,7 milliards d’euros, versée par France Télécom à l’État en 1997 par l’intermédiaire de l’Établissement public de gestion de la contribution exceptionnelle de France Télécom (EPGCEFT).

97      Elle avance que cette contribution forfaitaire exceptionnelle aurait, d’une part, permis à l’État d’éviter d’avoir à lever un montant équivalent d’obligations assimilables du Trésor (OAT) à quinze ans, qui à l’époque étaient rémunérées à un taux de 6,9 %, et, d’autre part, aurait contraint France Télécom à emprunter davantage, au taux moyen des émissions obligataires réalisées par l’entreprise en 1996, qui se situerait, lui aussi, autour de 7 %.

98      En l’espèce, il convient de constater que, au considérant 179 de la décision attaquée, la Commission a fixé un taux de référence pour l’actualisation des montants de la contribution forfaitaire exceptionnelle, qui a été versée au budget de l’État en 1997, en vue d’apprécier l’effet de compensation que cette contribution avait, pendant un certain temps, sur la prise en charge des pensions par l’État. Ce taux de référence, fixé à 5,53 %, a été élaboré sur la base de la communication sur les taux de référence.

99      La Commission a également vérifié s’il était approprié, en l’espèce, de se départir de la communication sur les taux de référence. Cette vérification a été faite, en particulier, par rapport au taux de 7 % proposé par les autorités françaises au cours de la procédure administrative et fondé, selon ces dernières, sur les taux des OAT à quinze ans et sur le taux relatif aux emprunts obligataires de France Télécom.

100    Aux considérants 180 à 183 de la décision attaquée, la Commission en a conclu qu’il n’était pas approprié en l’espèce d’utiliser une référence de taux différente de celle résultant de la communication sur les taux de référence et a rejeté les arguments avancés sur ce point par les autorités françaises au cours de la procédure administrative.

101    D’une part, les taux pour des OAT à quinze ans, qui par ailleurs auront été largement inférieurs à 7 %, étaient trop longs au regard de l’importance des flux de paiements annuels auxquels la contribution forfaitaire exceptionnelle aurait dû théoriquement faire face au cours de la période. Du reste, les autorités françaises avaient retenu des taux annuels d’actualisation inférieurs dans leurs observations sur la décision d’ouverture.

102    D’autre part, France Télécom avait financé la contribution forfaitaire exceptionnelle principalement par des émissions à court terme.

103    Or, il y a lieu de constater que l’objectif du taux d’actualisation élaboré par la Commission dans la communication sur les taux de référence est de mesurer l’avantage immédiat que représente pour l’entreprise une aide versée en plusieurs tranches. La République française n’a pas démontré que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en utilisant également ce taux pour établir jusqu’à quelle date la contribution forfaitaire exceptionnelle, versée par France Télécom en 1997, avait compensé les avantages découlant de la prise en charge par l’État des pensions des fonctionnaires employés par France Télécom.

104    En outre, dans la décision attaquée, la Commission a vérifié si l’application de la communication sur les taux de référence était appropriée en l’espèce et a exclu que d’autres raisons, notamment les arguments présentés par les autorités françaises au cours de la procédure administrative et rejetés par la Commission aux considérants 180 à 182 de la décision attaquée, justifient de se départir de cette communication.

105    La République française n’a pas démontré que les arguments opposés par la Commission afin d’écarter l’application du taux de 7 % –notamment le manque d’éléments permettant de fixer à quinze ans la durée du taux des OAT de référence, l’application des taux d’actualisation inférieurs dans les observations des autorités françaises ainsi que le financement du paiement de la contribution forfaitaire exceptionnelle par des dettes à court terme – révèlent une erreur manifeste d’appréciation.

106    Il y a donc lieu de rejeter également le troisième moyen.

107    Aucun des moyens invoqués par la République française n’étant fondé, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

108    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

109    La République française ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,


LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La République française supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

Berardis

Czúcz

Popescu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 février 2015.

Signatures


* Langue de procédure : le français.