Language of document : ECLI:EU:C:2013:294

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 8 mai 2013 (1)

Affaires jointes C‑204/12 à C‑208/12

Essent Belgium NV

contre

Vlaamse Reguleringsinstantie voor de Elektriciteits- en Gasmarkt

[demandes de décision préjudicielle
formées par le rechtbank van eerste aanleg te Brussel (Belgique)]

«Libre circulation des marchandises – Mesures d’effet équivalent à une restriction quantitative – Directive 2001/77/CE – Régimes nationaux de soutien aux énergies renouvelables – Obligation faite aux fournisseurs d’électricité d’acquérir des certificats verts – Interdiction de prise en compte des garanties d’origine en provenance d’autres États membres de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen»





1.        L’instauration d’un régime de soutien à l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables qui octroie des certificats verts aux producteurs d’électricité verte établis dans une région déterminée et impose aux distributeurs d’électricité de remettre chaque année un nombre de certificats verts correspondant à un quota, en leur interdisant d’utiliser des garanties d’origine délivrées dans un autre État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen (EEE), est-elle compatible avec la libre circulation des marchandises et l’interdiction des discriminations?

2.        Telle est, en substance, la question principale posée par les présentes demandes de décision préjudicielle qui portent, également, sur l’interprétation des dispositions de la directive 2001/77/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 septembre 2001, relative à la promotion de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables sur le marché intérieur de l’électricité (2), et de la directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 96/92/CE (3).

3.        Intervenant dans une zone d’interférence et de confrontation potentielle entre deux forces très puissantes de la construction européenne, la libre circulation des marchandises et la protection de l’environnement, les présentes affaires paraissent, de prime abord, contraindre la Cour à se livrer à un exercice difficile et périlleux de conciliation et de recherche d’un équilibre entre ces objectifs qui ont tous deux une valeur fondamentale.

4.        Toutefois, la Cour n’aura pas, selon nous, à se consacrer à cet exercice, car la réglementation nationale en cause, en ce qu’elle interdit la prise en compte des garanties d’origine en provenance de l’étranger, n’a pas et ne peut avoir pour objectif la protection de l’environnement.

5.        Dans les présentes conclusions, nous soutiendrons que si l’article 5 de la directive 2001/77 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation interne de soutien aux énergies renouvelables, telle que celle en cause au principal qui, en octroyant des certificats verts aux producteurs d’électricité verte dans une région déterminée et en imposant aux distributeurs d’électricité de remettre chaque année un nombre de certificats verts correspondant à un quota, exclut la prise en compte des garanties d’origine délivrées dans un autre État membre de l’Union ou de l’EEE, en revanche, les articles 28 CE et 11 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (4), s’opposent à une telle réglementation, qui entrave, de façon discriminatoire, le commerce entre les États membres sans être justifiée par des exigences impératives relevant de la protection de l’environnement.

I –    Le droit applicable

A –    Le droit de l’Union

1.      La directive 2001/77

6.        Arrêtée, selon son considérant 1, afin de contribuer à la protection de l’environnement et au développement durable, de générer des emplois sur place, de renforcer la cohésion sociale, de contribuer à la sécurité des approvisionnements et d’accélérer la réalisation des objectifs fixés dans le protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, adopté le 11 décembre 1997 (5) et approuvé au nom de la Communauté européenne par la décision 2002/358/CE (6), la directive 2001/77 a fixé des objectifs indicatifs nationaux de production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables, afin d’atteindre une part globale de 22 % en 2010.

7.        Les considérants 10, 11 et 14 à 16 de la directive 2001/77 étaient ainsi rédigés:

«(10) En vertu de la présente directive, les États membres ne sont pas tenus de reconnaître que l’acquisition d’une garantie d’origine auprès d’autres États membres ou l’achat correspondant d’électricité constitue une contribution au respect d’un quota national obligatoire. Toutefois, pour faciliter les échanges d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables et pour accroître la transparence pour le choix du consommateur entre l’électricité produite à partir de sources d’énergie non renouvelables et l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables, la garantie d’origine de cette électricité est requise. Les régimes prévus pour la garantie d’origine n’entraînent pas par nature le droit de bénéficier des mécanismes de soutien nationaux instaurés dans différents États membres. Il importe que toutes les formes d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables soient couvertes par de telles garanties d’origine.

(11)      Il importe de bien distinguer les garanties d’origine des certificats verts échangeables.

[...]

(14)      Les États membres appliquent différents mécanismes de soutien des sources d’énergie renouvelables au niveau national, notamment des certificats verts, une aide à l’investissement, des exonérations ou réductions fiscales, des remboursements d’impôt ou des régimes de soutien direct des prix. Un moyen important pour réaliser l’objectif de la présente directive est de garantir le bon fonctionnement de ces mécanismes, jusqu’à ce qu’un cadre communautaire soit mis en œuvre, de façon à conserver la confiance des investisseurs.

(15)      Il est prématuré d’arrêter un cadre communautaire concernant les régimes de soutien, étant donné l’expérience limitée des régimes nationaux et la part actuellement assez faible de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables dont le prix est soutenu dans la Communauté.

(16)      Après une période transitoire suffisante, il est toutefois nécessaire d’adapter les régimes de soutien aux principes du marché intérieur de l’électricité en expansion. [...]»

8.        L’article 1er de la directive 2001/77 disposait que celle-ci «a pour objet de favoriser une augmentation de la contribution des sources d’énergie renouvelables dans la production d’électricité sur le marché intérieur de l’électricité et de jeter les bases d’un futur cadre communautaire en la matière».

9.        Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive:

«Les États membres prennent des mesures appropriées pour promouvoir l’accroissement de la consommation d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables conformément aux objectifs indicatifs nationaux visés au paragraphe 2. Ces mesures doivent être proportionnées à l’objectif à atteindre.»

10.      L’article 4 de ladite directive, intitulé «Régimes de soutien», énonçait:

«1.      Sans préjudice des articles 87 et 88 du traité [CE], la Commission évalue l’application des mécanismes mis en œuvre dans les États membres par lesquels un producteur d’électricité bénéficie, sur la base d’une réglementation édictée par les autorités publiques, d’aides directes ou indirectes, et qui pourraient avoir pour effet de limiter les échanges, en tenant compte du fait que ces mécanismes contribuent à la réalisation des objectifs visés aux articles 6 et 174 du traité [CE].

2.      La Commission présente, au plus tard le 27 octobre 2005, un rapport [...] accompagné, le cas échéant, d’une proposition de cadre communautaire relatif aux régimes de soutien de l’électricité produite à partir de sources renouvelables.

Tout cadre proposé devrait:

[...]

b)      être compatible avec les principes du marché intérieur de l’électricité;

[...]»

11.      L’article 5 de la directive 2001/77, intitulé «Garantie d’origine de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables», prévoyait:

«1.      Au plus tard le 27 octobre 2003, les États membres font en sorte que l’origine de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables puisse être garantie comme telle au sens de la présente directive, selon des critères objectifs, transparents et non discriminatoires définis par chaque État membre. Ils veillent à ce que des garanties d’origine soient délivrées à cet effet en réponse à une demande.

[...]

3.      Les garanties d’origine:

–        mentionnent la source d’énergie à partir de laquelle l’électricité a été produite, spécifient les dates et lieux de production et, dans le cas des installations hydroélectriques, précisent la capacité,

–        ont pour but de permettre aux producteurs d’électricité utilisant des sources d’énergie renouvelables d’établir que l’électricité qu’ils vendent est produite à partir de sources d’énergie renouvelables.

4.      Les garanties d’origine délivrées conformément au paragraphe 2 devraient être mutuellement reconnues par les États membres, exclusivement à titre de preuve des éléments visés au paragraphe 3. Tout refus de reconnaître des garanties d’origine comme une telle preuve, notamment pour des raisons liées à la prévention des fraudes, doit se fonder sur des critères objectifs, transparents et non discriminatoires. [...]»

12.      La directive 2001/77 a été intégrée à l’accord EEE par décision du Comité mixte de l’EEE no 102/2005, du 8 juillet 2005, entrée en vigueur le 1er septembre 2006, qui modifie l’annexe IV (Énergie) dudit accord (7).

13.      Les articles 2, 3, paragraphe 2, et 4 à 8 de la directive 2001/77 ont été supprimés avec effet au 1er avril 2010 par la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE (8). Cette directive a abrogé en son entier la directive 2001/77 avec effet au 1er janvier 2012.

2.      La directive 2003/54

14.      La directive 2003/54 fait partie du «second paquet énergie» adopté par le législateur de l’Union en vue de la libéralisation progressive d’un marché intérieur de l’électricité et du gaz.

15.      Le considérant 26 de la directive 2003/54 énonce:

«Le respect des obligations de service public est un élément essentiel de la présente directive, et il est important que des normes minimales communes, respectées par tous les États membres, soient fixées dans la présente directive, en prenant en compte les objectifs de protection des consommateurs, de la sécurité d’approvisionnement, de la protection de l’environnement et de l’égalité des niveaux de concurrence dans tous les États membres. Il est important que les exigences relatives au service public puissent être interprétées sur une base nationale, compte tenu des conditions nationales et dans le respect du droit communautaire.»

16.      Aux termes de l’article 3, paragraphes 1 et 2, de cette directive:

«1.      Les États membres, sur la base de leur organisation institutionnelle et dans le respect du principe de subsidiarité, veillent à ce que les entreprises d’électricité, sans préjudice du paragraphe 2, soient exploitées conformément aux principes de la présente directive, en vue de réaliser un marché de l’électricité concurrentiel, sûr et durable sur le plan environnemental, et s’abstiennent de toute discrimination pour ce qui est des droits et des obligations de ces entreprises.

2.      En tenant pleinement compte des dispositions pertinentes du traité [CE], en particulier de son article 86, les États membres peuvent imposer aux entreprises du secteur de l’électricité, dans l’intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d’approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix de la fourniture, ainsi que la protection de l’environnement, y compris l’efficacité énergétique et la protection du climat. Ces obligations sont clairement définies, transparentes, non discriminatoires et contrôlables et garantissent aux entreprises d’électricité de l’Union européenne un égal accès aux consommateurs nationaux. [...]»

17.      La directive 2003/54 a été intégrée à l’accord EEE par décision du Comité mixte de l’EEE no 146/2005, du 2 décembre 2005, entrée en vigueur le 1er juin 2007, qui modifie l’annexe IV (Énergie) dudit accord (9).

B –    Le droit de la Région flamande

1.      Le décret du 17 juillet 2000 relatif à l’organisation du marché de l’électricité

18.      Le décret relatif à l’organisation du marché de l’électricité (Vlaams decreet houdende de organisatie van de elektriciteitsmarkt), du 17 juillet 2000 (10), visait, notamment, à assurer la mise en œuvre des directives 2001/77 et 2003/54. Il a été abrogé par un décret du 8 mai 2009.

19.      L’article 2, point 17, du décret sur l’électricité définissait le «certificat [vert]» comme «un bien immatériel cessible faisant apparaître qu’un [producteur] a produit, au cours d’une année déterminée, une quantité déterminée d’électricité [verte], exprimée en kWh».

20.      L’article 22 de ce décret prévoyait que, «[p]our l’électricité [verte]dont le producteur démontre qu’elle a été produite en Région flamande [...], l’autorité de régulation délivre sur demande du producteur un certificat vert par tranche de 1 000 kWh».

21.      L’article 23, paragraphe 1, dudit décret disposait que «[t]out opérateur fournissant de l’électricité à des clients finals raccordés au réseau de distribution ou au réseau de transport est tenu de remettre à l’autorité de régulation, chaque année avant le 31 mars, le nombre de certificats [verts] déterminé en application du paragraphe 2».

22.      L’article 23 bis du même décret autorisait la vente d’électricité à des clients finals dans la Région flamande «dans la mesure où le fournisseur présente à la [Vlaamse Reguleringsinstantie voor de Elektriciteits- en Gasmarkt (11)] un nombre correspondant de certificats [verts]».

23.      L’article 24 du décret sur l’électricité prévoyait que le vlaamse regering (gouvernement flamand) (12) «arrête les modalités et les procédures en matière d’octroi de certificats [verts] et détermine les certificats pris en considération pour l’observation de l’obligation visée à l’article 23».

24.      L’article 25 du même décret prévoyait que, «sans préjudice de l’article 23, le gouvernement flamand est autorisé, après avis de l’autorité de régulation et compte tenu de l’existence de garanties égales ou équivalentes en matière d’octroi de pareils certificats, à accepter des certificats pour l’électricité [verte] qui n’est pas produite en Région flamande».

25.      L’article 37, paragraphe 2, dudit décret disposait que «l’amende administrative pour une infraction à l’article 23, paragraphe 1, est, [...] [à] partir du 31 mars 2005, [...] portée à 125 euros par certificat manquant».

2.      L’arrêté du gouvernement flamand du 5 mars 2004

26.      La mise en œuvre de l’article 24 du décret sur l’électricité est assurée par l’arrêté du gouvernement flamand du 5 mars 2004.

27.      Dans sa version initiale, cet arrêté comportait un article 15, paragraphe 1, qui disposait que, «[p]our satisfaire à l’obligation de certificats [verts], la VREG n’accepte que les certificats [verts] attribués pour l’électricité produite en Région flamande».

28.      À la suite d’une décision du Conseil d’État ordonnant la suspension de la mise en œuvre de l’article 15 de l’arrêté du gouvernement flamand du 5 mars 2004, un arrêté du 25 février 2005, applicable dans l’affaire C‑204/12, a modifié cet article en supprimant, dans le paragraphe 1, les mots «en Région flamande».

29.      En outre, dans sa version issue de l’arrêté modificatif du 8 juillet 2005, applicable dans les affaires C‑205/12 à C‑208/12, l’arrêté du gouvernement flamand du 5 mars 2004 comportait, également, les dispositions suivantes.

30.      L’article 1er, paragraphe 2, point 14, de cet arrêté définissait la «garantie d’origine» comme une «pièce justificative en vue de démontrer qu’une quantité d’électricité fournie aux clients [finals] provient de sources d’énergie renouvelables».

31.      L’article 13, paragraphes 2 et 3, dudit arrêté, qui figurait dans la section III, intitulée «Enregistrement des certificats [verts]», était libellé comme suit:

«§ 2. Au moins les données suivantes sont enregistrées par certificat [vert]:

[...]

6°      si le certificat [vert] est acceptable ou non pour satisfaire à l’obligation de certificats, telle que visée à l’article 15;

[...]

§ 3.      La mention, visée au § 2, 6°, est:

1°      ‘acceptable’, dans le cas où le certificat [vert] répond aux conditions de l’article 15, § 1er, [...]

2°      ‘inacceptable’, dans le cas où le certificat [vert] ne répond pas aux conditions de l’article 15, § 1er, [...]»

32.      L’article 15, paragraphe 3, du même arrêté disposait que «[l]es certificats [verts] utilisés comme garanties d’origine conformément aux dispositions de la sous-section III, peuvent encore être utilisés dans le cadre de l’obligation de remettre des certificats à la condition que la mention visée à l’article 13, § 2, 6°, [soit] ‘acceptable’».

33.      Les articles 15 bis et 15 quater de l’arrêté du 5 mars 2004, tel que modifié par l’arrêté du 8 juillet 2005, qui figuraient dans la sous-section III, intitulée «L’usage de certificats [verts] comme garantie d’origine», disposaient:

«Article 15 bis. § 1er.      Les certificats [verts] sont utilisés comme garantie d’origine lorsqu’ils sont présentés dans le cadre de la vente d’électricité à des clients [finals] comme étant de l’électricité provenant de sources d’énergie renouvelables [...]

[...]

Article 15 quater. § 1er.      Une garantie d’origine provenant d’une autre région ou d’un autre pays peut être importée en [Région flamande pour y être] utilisée comme garantie d’origine, à condition que [son] propriétaire [démontre à la VREG que les conditions suivantes sont remplies]:

[...]

§ 2.      Lorsque la garantie d’origine est importée d’une autre région ou d’un autre pays, [ses] données [...] sont enregistrées dans la banque de données centrale sous la forme d’un certificat [vert] avec les mentions suivantes:

1°      ‘inacceptable’ telle que visée à l’article 13, § 2, 6°;

[...]

Les certificats [verts] provenant d’une autre région ou d’un autre pays peuvent être enregistrés avec la mention ‘acceptable’ au cas où le gouvernement flamand décide d’accepter les certificats concernés par application de l’article 25 [du décret sur l’électricité].

Cet enregistrement [intervient après transmission à la VREG, par l’autorité compétente de l’autre région ou de l’autre pays, des données nécessaires de la garantie d’origine] et après que la garantie d’origine a été rendue définitivement inutilisable dans l’autre pays ou région.

[...]»

II – Les litiges au principal et les questions préjudicielles

34.      Essent Belgium NV (13), qui est fournisseur d’électricité a, entre l’année 2003 et l’année 2009, été soumise à l’obligation énoncée à l’article 23, paragraphe 1, du décret sur l’électricité de remettre, chaque année, avant le 31 mars, un certain nombre de certificats verts à l’autorité flamande de régulation du marché de l’électricité et du gaz, la VREG.

35.      Afin de satisfaire à ses obligations pour les années allant de 2005 à 2009, Essent a remis à la VREG, outre des certificats verts provenant de producteurs d’électricité établis en Régions flamande et wallonne ainsi que dans la Région de Bruxelles-capitale, des garanties d’origine provenant, pour l’année 2005, de producteurs établis au Pays-Bas et en Norvège, pour l’année 2006, de producteurs établis au Danemark et en Norvège et, pour les années 2007 à 2009, de producteurs établis en Norvège (14).

36.      Considérant que, dans la mesure où le gouvernement flamand n’avait pris aucune mesure d’exécution de l’article 25 du décret sur l’électricité, seuls les certificats verts attestant la production d’électricité en Région flamande pouvaient être acceptés, la VREG a, sur le fondement de l’article 37, paragraphe 2, de ce décret, infligé à Essent des amendes dont le montant s’est respectivement élevé à 542 125 euros au titre de l’année 2005, à 234 750 euros pour l’année 2006, à 166 125 euros pour l’année 2007, à 281 250 euros pour l’année 2008 et à 302 375 euros pour l’année 2009.

37.      Essent ayant introduit un recours contre ces décisions devant le rechtbank van eerste aanleg te Brussel (Belgique), cette juridiction a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Un régime national, tel que celui figurant dans [le décret sur l’électricité] mis en œuvre par [l’arrêté du gouvernement flamand du 5 mars 2004], tel que modifié par [l’arrêté du 25 février 2005] et par [l’arrêté du 8 juillet 2005], régime dans lequel:

–        les opérateurs fournissant de l’électricité aux clients finals raccordés au réseau de distribution ou au réseau de transmission ont l’obligation de remettre chaque année un certain nombre de certificats verts à l’autorité de régulation (article 23 du [décret sur l’électricité]),

–        les opérateurs fournissant de l’électricité aux clients finals raccordés au réseau de distribution ou au réseau de transmission se voient infliger une amende administrative par la [VREG] lorsqu’ils ont remis un nombre de certificats verts insuffisant pour répondre à un quota obligatoire de certificats verts (article 37, paragraphe 2, du [décret sur l’électricité]),

–        il est expressément précisé que les garanties d’origine provenant d’autres pays peuvent être acceptées à certaines conditions pour répondre au quota obligatoire (article 15 quater, paragraphe 2, de l’arrêté [du gouvernement flamand du 5 mars 2004, tel que modifié par l’arrêté du 8 juillet 2005] [(le présent tiret ne figure pas dans la question posée dans l’affaire C‑204/12)],

–        la [VREG] ne peut pas ou ne veut pas prendre en compte des garanties d’origine de Norvège [et des Pays-Bas] [(précision propre à la question posée dans l’affaire C‑204/12)] [et du Danemark] [(précision propre à la question posée dans l’affaire C‑205/12)] [et du Danemark/de la Suède] [(précision propre à la question posée dans l’affaire C‑206/12)] faute de mesures d’application du gouvernement flamand ayant reconnu que la remise de ces certificats est égale ou équivalente (article 25 du décret [sur l’électricité] et [i) s’agissant de l’affaire C‑204/12] article 15, paragraphe 1, de l’arrêté [du gouvernement flamand du 5 mars 2004 tel que modifié par l’arrêté du 25 février 2005], [ii) s’agissant des affaires C‑205/12 à C‑208/12] article 15 quater, paragraphe 2, de l’arrêté [du gouvernement flamand du 5 mars 2004 tel que modifié par l’arrêté du 8 juillet 2005]), sans que la [VREG] n’ait examiné concrètement cette égalité ou cette équivalence,

–        en fait, durant toute la période pendant laquelle le décret [sur l’électricité] était en vigueur, seuls les certificats attestant la production de [l’électricité] verte dans la Région flamande ont été pris en compte pour vérifier le respect du quota obligatoire alors que les opérateurs fournissant de l’électricité aux clients finals raccordés au réseau de distribution ou au réseau de transmission n’ont absolument pas eu la possibilité de démontrer que les garanties d’origine remises [provenant d’autres États membres de l’Union européenne (cette précision ne figure pas dans la question posée dans l’affaire C‑204/12)] répondaient à la condition voulant que des garanties égales ou équivalentes entourent l’attribution de ces certificats,

est-il conforme aux articles 28 CE et 11 de l’accord EEE et/ou aux articles 30 CE et 13 de l’accord EEE [(dans les affaires C‑207/12 et C‑208/12, la question vise uniquement les articles 11 et 13 de l’accord EEE)]?

2)      Le régime national visé [à la première question] est-il conforme à l’article 5 de la directive [2001/77] [(dans les affaires C‑207/12 et C‑208/12, cette deuxième question n’est posée que ‘dans la mesure où ladite disposition est pertinente pour l’EEE’)]?

3)      Le régime national visé [à la première question] est-il conforme aux principes d’égalité et de non-discrimination figurant notamment à l’article 18 TFUE [(affaires C‑204/12 à C‑206/12)], à l’article 4 de l’accord EEE [(affaires C‑207/12 et C‑208/12)] et à l’article 3 de la directive [2003/54] [(dans les affaires C‑207/12 et C‑208/12, la question ne porte sur ledit article 3 que ‘dans la mesure où cette disposition est pertinente pour l’EEE’)]?»

III – Notre analyse

A –    Observations liminaires

1.      Recevabilité des demandes de décision préjudicielle

38.      La VREG, le Vlaams Gewest (Région flamande) et la Vlaamse Gemeenschap (Communauté flamande) (15) contestent la recevabilité des demandes de décision préjudicielle soumises à l’appréciation de la Cour aux motifs, d’une part, que celle-ci n’est pas compétente pour interpréter le droit national ou se prononcer sur sa compatibilité avec le droit de l’Union et, d’autre part, que ces demandes seraient dépourvues de pertinence pour la résolution des litiges au principal dans la mesure où elles reposeraient sur une interprétation erronée du droit interne, la juridiction de renvoi ayant assimilé à tort les garanties d’origine et les certificats verts alors que l’article 25 du décret sur l’électricité n’englobe pas les garanties d’origine.

39.      Cette double argumentation n’emporte nullement notre conviction eu égard aux règles qui gouvernent la répartition des pouvoirs entre la Cour et les juridictions nationales dans le cadre du mécanisme de coopération établi par l’article 267 TFUE.

40.      En premier lieu, en vertu d’une jurisprudence constante, il appartient aux seules juridictions nationales, qui sont saisies du litige et doivent assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer. La présomption de pertinence qui s’attache aux questions posées à titre préjudiciel par les juridictions nationales ne peut être écartée que dans des cas exceptionnels et, notamment, lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée des dispositions du droit de l’Union visées dans ces questions n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal (16).

41.      En deuxième lieu, la Cour a précisé que la circonstance que la teneur littérale des questions posées à titre préjudiciel invite à se prononcer sur la compatibilité d’une disposition de droit interne avec le droit de l’Union n’empêche pas la Cour de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi en fournissant à celle-ci les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui lui permettront de statuer elle-même sur la compatibilité du droit interne avec le droit de l’Union (17).

42.      En troisième lieu, il importe de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’interprétation du droit national (18). En effet, il incombe à la Cour de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions de l’Union et les juridictions nationales, le contexte réglementaire dans lequel s’insère la question préjudicielle, tel que défini par la décision de renvoi.

43.      Or, en l’occurrence, la juridiction de renvoi, qui ne sollicite pas une interprétation du droit interne, éprouve des doutes quant à la compatibilité du régime régional de soutien à la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables avec diverses dispositions du droit de l’Union, tant primaire que dérivé, en raison du fait que ce régime empêche la prise en compte des garanties d’origine en provenance de l’étranger. La décision de renvoi désigne clairement les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est demandée, tout en expliquant le lien qu’elle établit entre cette interprétation et les règles internes concernées. En outre, elle identifie avec précision les dispositions du droit national applicables et les effets des modifications réglementaires intervenues au cours de l’année 2005. Nous noterons d’ailleurs que la description qui y est faite de l’objet des litiges au principal ainsi que du contexte réglementaire et factuel dans lequel s’inscrivent les questions posées a permis aux parties intéressées, au sens de l’article 23, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, de présenter utilement leurs observations.

44.      Les demandes de décision préjudicielle doivent dès lors être déclarées recevables.

2.      Application de l’accord EEE et de son annexe IV (Énergie)

45.      S’agissant de l’accord EEE, nous nous limiterons à rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, il appartient à la Cour de veiller à ce que les règles de cet accord identiques en substance à celles du traité FUE soient interprétées de manière uniforme à l’intérieur des États membres (19).

B –    Réponse aux questions

46.      Par ses questions qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5 de la directive 2001/77 ou, le cas échéant, les articles 28 CE et 30 CE ainsi que les articles 11 et 13 de l’accord EEE ou, encore, le principe de non-discrimination figurant, notamment, aux articles 12 CE, 4 de l’accord EEE et 3 de la directive 2003/54 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale de soutien aux énergies renouvelables, telle que celle en cause au principal, qui exclut la prise en compte des garanties d’origine délivrées dans un autre État membre de l’Union ou de l’EEE.

1.      Interprétation de la directive 2001/77

47.      Deux interprétations antagonistes des dispositions de la directive 2001/77 s’affrontent.

48.      D’un côté, VREG e.a. et la Commission, se fondant sur la distinction entre le système de reconnaissance des garanties d’origine institué par cette directive pour assurer la libre circulation de l’électricité verte et celui des certificats verts instaurés dans le cadre de régimes de soutien nationaux, réfutent toute incompatibilité entre le dispositif flamand et ladite directive.

49.      Selon la Commission, il découle des considérants 10 et 11 de la directive 2001/77 que le système des garanties d’origine mis en place par l’article 5 de cette directive pour faciliter les échanges d’électricité et pour accroître la transparence pour les consommateurs en permettant d’établir que l’électricité a été produite à partir de sources d’énergie renouvelables doit être distingué de celui des certificats verts instauré par certains régimes de soutien nationaux au sens de l’article 4 de ladite directive. Ces certificats verts, qui n’obéissent pas à un régime harmonisé, visent, pour leur part, à subventionner la production d’électricité verte en offrant aux producteurs d’électricité un complément de revenu couvrant le surcoût qu’implique une telle production. À la différence des garanties d’origine, ils constituent des titres négociables pouvant être échangés sur un marché secondaire où les producteurs sont mis en concurrence. Il en ressort que les garanties d’origine n’entraînent aucun droit à bénéficier de tels régimes nationaux de soutien et que les États membres ne sont pas tenus de reconnaître les garanties d’origine provenant d’autres États membres en tant que contribution au respect des quotas nationaux.

50.      Développant une argumentation également fondée sur la distinction entre les garanties d’origine et les certificats verts, VREG e.a. récusent l’application de l’article 5 de la directive 2001/77, relatif aux premières, au profit de l’article 4 de cette directive, relatif aux régimes de soutien. Selon VREG e.a., les garanties d’origine, destinées à promouvoir les échanges d’électricité verte et à accroître la transparence, ont une finalité différente de celle des certificats verts, qui sont des instruments contribuant au respect du quota national obligatoire de fourniture d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables. Constatant, toutefois, que la juridiction de renvoi a expressément limité sa question préjudicielle à l’examen de la compatibilité de la réglementation interne par rapport à l’article 5 de la directive 2001/77, VREG e.a. exposent, à cet égard, que le système de garanties d’origine existant en Région flamande est compatible avec les conditions énoncées dans ladite disposition.

51.      De l’autre côté, Essent et le gouvernement néerlandais soutiennent la position inverse au motif que le régime litigieux exclut la prise en compte des garanties d’origine en provenance d’autres États membres, alors qu’une telle exclusion ne serait admise, en vertu de l’article 5, paragraphe 4, de la directive 2001/77, que sur le fondement de critères objectifs, transparents et non discriminatoires.

52.      Il s’ensuit que, de leur point de vue, la réglementation flamande n’est pas compatible avec le principe de reconnaissance mutuelle des garanties d’origine.

53.      Nous n’éprouvons guère d’hésitation sur cette question, dont il convient de rechercher la réponse, conformément aux méthodes d’interprétation de la Cour, en examinant successivement le libellé, l’économie générale et les objectifs de la directive 2001/77.

54.      L’article 5, paragraphe 3, de cette directive prévoit que les garanties d’origine qui mentionnent la source d’énergie à partir de laquelle l’électricité a été produite, en spécifiant les dates et les lieux de production, ont pour but de permettre aux producteurs d’électricité d’établir que l’électricité qu’ils vendent est produite à partir de sources d’énergie renouvelables. L’article 5, paragraphe 4, de ladite directive consacre le principe de la reconnaissance mutuelle des garanties d’origine, mais limite la portée de cette reconnaissance en prévoyant que les garanties doivent être reconnues «exclusivement à titre de preuve». La présence de l’adverbe «exclusivement» matérialise l’intention du législateur de l’Union de limiter les effets de la reconnaissance mutuelle à la preuve de l’origine verte de l’électricité produite.

55.      Le considérant 10 de la directive 2001/77 précise, en outre, que les États membres ne sont pas tenus de reconnaître que l’acquisition d’une garantie d’origine auprès d’autres États membres ou l’achat correspondant d’électricité constitue une contribution au respect d’un quota national obligatoire et que les régimes prévus pour la garantie d’origine n’entraînent pas, par nature, le droit de bénéficier des mécanismes de soutien nationaux.

56.      Il s’ensuit que la directive 2001/77 n’impose pas la prise en compte des garanties d’origine émanant de producteurs étrangers au titre d’un régime de soutien national, tel que celui en cause au principal, reposant sur la délivrance de certificats verts.

57.      Cette interprétation littérale est corroborée par les enseignements tirés de l’analyse de l’économie générale de la directive 2001/77. Il est en effet constant que celle-ci établit une distinction nette entre le système des garanties d’origine et les mécanismes nationaux de soutien aux énergies renouvelables, auxquels elle consacre deux articles distincts. Tandis que l’article 4 de la directive 2001/77 se borne à prévoir une évaluation par la Commission de l’application des mécanismes de soutien mis en œuvre dans les États membres, en mentionnant expressément que ces mécanismes peuvent avoir pour effet de limiter les échanges compte tenu du fait qu’ils contribuent à la réalisation des objectifs visés aux articles 6 et 174 du traité CE, l’article 5 de cette même directive définit et réglemente les garanties d’origine, conçues comme étant destinées à faciliter les échanges d’électricité verte, afin d’en assurer la reconnaissance mutuelle. Il en ressort que les garanties d’origine et les certificats verts constituent, au sens de la directive 2001/77, deux instruments juridiques distincts et différents.

58.      L’interprétation que nous proposons est, enfin, confirmée par les objectifs de la directive 2001/77, tels qu’ils ressortent, notamment, de ses considérants. Celle-ci ne recherche pas une harmonisation complète de la législation dans le secteur de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables. Elle se limite à fixer des objectifs indicatifs nationaux de consommation, mais laisse aux États membres le libre choix quant à la nature et au contenu des mesures à adopter pour atteindre ces objectifs, lesdits États disposant ainsi d’une large marge d’appréciation. Selon ses considérants 14 à 16, la directive 2001/77 instaure un régime de transition pendant lequel les États membres pourront appliquer différents mécanismes de soutien, dont celui des certificats verts, pour lesquels il est considéré comme «prématuré» d’arrêter un cadre communautaire. Or, obliger les États membres à admettre les garanties d’origine dans le cadre des régimes de soutien reviendrait à limiter leur marge de manœuvre en la matière, alors que telle n’a manifestement pas été l’intention du législateur de l’Union.

59.      Tout concorde donc pour considérer que la directive 2001/77, qui fait des garanties d’origine et des certificats verts deux instruments juridiques distincts et différents, n’impose pas, par elle-même, l’assimilation des premières aux seconds dans le cadre des régimes nationaux de soutien à la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables.

60.      Il importe, par conséquent, d’examiner si les articles 28 CE et 30 CE ainsi que l’article 11 de l’accord EEE font obstacle à une réglementation nationale, telle que celle des litiges au principal.

2.      Interprétation des règles relatives à la libre circulation des marchandises

61.      De l’avis de la juridiction de renvoi, qui se réfère à l’arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (20), l’obligation qui incombe aux fournisseurs d’électricité établis dans la Région flamande d’acheter des certificats verts flamands s’analyse, à première vue, comme une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation. Le rechtbank van eerste aanleg te Brussel fait, en outre, observer, en se référant au contenu de la lettre adressée le 25 juillet 2001 par la Commission au Royaume de Belgique à l’occasion de la notification de la réglementation litigieuse au titre des dispositions des traités relatives aux aides d’État, que les autorités flamandes s’étaient alors expressément engagées, «pour ne pas enfreindre les règles régissant le marché intérieur, [...] à donner aux importateurs d’électricité la possibilité de prouver qu’ils ont importé de l’électricité verte».

62.      Selon VREG e.a., la juridiction de renvoi présumerait de manière erronée que les garanties d’origine sont des marchandises au sens de l’article 28 CE, alors que ces garanties ne pourraient recevoir une telle qualification, eu égard à leur caractère accessoire et immatériel. Seule l’électricité elle-même pourrait être qualifiée de marchandise, mais le point de savoir si la réglementation flamande entrave la libre circulation de l’électricité verte ne ferait pas l’objet de la question préjudicielle. En tout état de cause, le régime litigieux ne créerait pas d’entrave, puisque l’électricité verte produite à l’étranger pourrait être librement importée en Région flamande. Quant aux certificats verts en provenance d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE, ils ne seraient pas en cause dans les affaires au principal et ne constitueraient pas non plus des marchandises.

63.      Enfin, à supposer qu’une entrave à la libre circulation des marchandises puisse être relevée, VREG e.a. estiment que celle-ci est justifiée par des exigences impératives tenant à la protection de l’environnement et que la réglementation flamande constitue une mesure non discriminatoire, appropriée et proportionnée.

64.      La Commission fait d’abord valoir que si l’électricité doit, conformément à la jurisprudence de la Cour, être qualifiée de marchandise au sens des articles 28 CE et 11 de l’accord EEE, il n’en va pas de même pour les garanties d’origine, qui ont un caractère accessoire par rapport à l’électricité dont elles facilitent l’échange. Tout en considérant, par ailleurs, qu’une réglementation telle que celle en cause au principal, qui combine le système des certificats verts avec celui de quotas obligatoires, ne peut être assimilée au régime qui était en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt PreussenElektra, précité, dans la mesure où les distributeurs d’électricité conservent la liberté de s’approvisionner en électricité verte provenant d’autres États membres ou de pays de l’EEE, la Commission n’exclut pas que cette réglementation en cause soit au moins potentiellement susceptible d’avoir un effet restrictif sur la libre circulation des marchandises.

65.      La Commission estime, toutefois, que cette entrave est justifiée par l’objectif de la protection de l’environnement. Elle soutient, en ce sens, que la réglementation en cause au principal contribue à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, favorise une approche régionale de la pollution, conformément au principe de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement, et est conforme à l’obligation, mise à la charge des États membres par la directive 2001/77, de fixer des objectifs indicatifs nationaux de consommation d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables, l’Union cherchant ainsi à faire en sorte que tous les États membres contribuent d’une façon équilibrée et proportionnelle à la réalisation des objectifs européens en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

66.      Soulignant l’absence d’harmonisation des mécanismes de soutien public aux sources d’énergie renouvelables, la Commission ajoute que, compte tenu des différences que présentent les États membres sur les plans climatique et géographique, il y a lieu d’éviter que la pollution ne se concentre sur les régions où il est plus ardu de produire de l’électricité verte en raison d’un manque de richesses naturelles et de faire en sorte que des aides nationales ciblées puissent stimuler, également dans ces régions, une production locale d’électricité verte. Selon elle, l’ouverture du soutien public à tous les producteurs étrangers pourrait entraîner un afflux vers les régimes nationaux qui offrent les conditions les plus généreuses, ce qui compromettrait le respect de l’obligation qui incombe à tous les États membres d’atteindre leurs objectifs nationaux.

67.      Essent, qui observe que, en vertu de la jurisprudence de la Cour, l’électricité doit être considérée comme une marchandise (21), expose que la réglementation en cause a été adoptée en méconnaissance de l’interdiction des restrictions quantitatives à l’importation et des mesures d’effet équivalent. Le refus, exclusivement fondé sur l’origine géographique, de prendre en considération les garanties d’origine émanant d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE, sans examen de leur équivalence avec les certificats verts délivrés en Région flamande, entraverait l’importation d’électricité verte.

68.      La requérante au principal estime qu’une telle mesure ne peut être justifiée par l’objectif de protection de l’environnement, dès lors que les garanties d’origine étrangères poursuivent, sous cet angle, le même objectif que les certificats verts, à savoir un accroissement de la production et de la consommation d’énergie verte sur le marché intérieur. Elle ajoute que l’objectif d’encourager la production locale ne saurait être admis comme justification, car cette finalité ne ressort pas du décret sur l’électricité et serait même contraire à l’objectif, affiché dans l’exposé des motifs dudit décret, d’encourager le développement des sources d’énergie renouvelables d’une manière «conforme au marché». Encourager la production locale reviendrait, de surcroît, à effectuer une discrimination sur le fondement de l’origine au profit des producteurs flamands.

69.      Pour répondre à la question posée, nous décomposerons notre raisonnement en trois étapes en recherchant, en premier lieu, si les règles relatives à la libre circulation des marchandises sont applicables, puis en examinant, en deuxième lieu, si la réglementation en cause tombe sous le coup de l’interdiction des entraves et en appréhendant, en troisième lieu, les justifications possibles.

a)      Applicabilité des règles relatives à la libre circulation des marchandises

70.      Il convient de rappeler, à titre liminaire, que, en l’absence d’harmonisation, par la directive 2001/77, des régimes de soutien aux énergies renouvelables, les États membres restent tenus de respecter les libertés fondamentales consacrées par les traités, au nombre desquelles figure la liberté de circulation des marchandises.

71.      Pour que celle-ci soit applicable, il faut que la réglementation nationale ait un impact sur la circulation d’une marchandise au sens où l’entend le traité CE. Avant de déterminer si tel est le cas dans les affaires au principal, il nous semble nécessaire de revenir brièvement sur le fonctionnement du système de certificats verts institué par la réglementation flamande.

72.      Nous rappellerons tout d’abord que les politiques de promotion des énergies renouvelables peuvent faire appel à plusieurs instruments, tels les systèmes de prix d’achat garantis, les mécanismes d’enchères ou les dispositifs de certificats verts. Introduits dans plusieurs États membres, ces derniers obéissent à des règles de fonctionnement qui se caractérisent par leur hétérogénéité (22).

73.      S’agissant plus particulièrement de la réglementation flamande en cause dans les affaires au principal, le système de certificats verts, introduit à compter du 1er janvier 2001, repose sur un double mécanisme d’attribution de certificats verts aux producteurs d’électricité utilisant des sources d’énergie renouvelables et d’instauration parallèle de quotas obligatoires pesant sur les distributeurs d’électricité.

74.      D’une part, des certificats verts sont attribués aux producteurs d’électricité pour une quantité prédéfinie d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables ou par des centrales de cogénération de qualité. Ces certificats pouvant être vendus, le mécanisme valorise la production d’électricité verte en permettant aux producteurs d’être rémunérés non seulement par la vente d’électricité sur le réseau, mais également par la vente de certificats sur le marché.

75.      D’autre part, pèse sur les distributeurs d’électricité une obligation d’achat d’un certain quota de certificats verts calculé en fonction de la quantité totale d’électricité qu’ils vendent aux consommateurs. Les distributeurs qui ne pourraient pas présenter le quota de certificats verts exigé chaque année sont tenus de payer une amende administrative, d’un montant progressif, correspondant de facto à un prix plafond, étant précisé que le produit des amendes sert à alimenter un fond destiné à soutenir des projets de développement des énergies vertes.

76.      De toute évidence, ce système, qui est présenté comme ayant pour objectif de stimuler la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables en Région flamande, est susceptible d’avoir un impact sur l’importation d’électricité verte en provenance de l’étranger. Dans cette optique, nous estimons qu’il n’est pas nécessaire d’établir que les garanties d’origine ou les certificats verts sont par eux-mêmes des marchandises au sens de l’article 28 CE. Il suffit de constater qu’il ressort indubitablement de la jurisprudence de la Cour, qui a donné une définition large de la notion de marchandise (23), que l’électricité doit être qualifiée comme telle (24), en sorte que sa circulation, conformément à l’article susmentionné, ne doit pas en principe être empêchée.

77.      Venons-en maintenant à l’examen d’une éventuelle restriction.

b)      Existence d’une restriction à la libre circulation des marchandises

78.      Il convient, liminairement, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce au sein de l’Union doit être considérée comme une mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives au sens de l’article 28 CE (25). Il y a lieu, dès lors, de déterminer l’effet qu’une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, est susceptible d’avoir sur la libre circulation de l’électricité.

79.      Nous ne contestons pas qu’un tel régime n’empêche pas les distributeurs d’électricité d’importer de l’électricité verte en provenance d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE. Cependant, il reste que ce régime est susceptible d’entraver, fût-ce indirectement, la circulation de l’électricité verte.

80.      En effet, d’une part, le système avantage économiquement les producteurs d’électricité verte établis en Région flamande par rapport aux autres producteurs d’électricité verte, puisque la vente des certificats verts leur permet de bénéficier de recettes supplémentaires qui s’ajoutent à celles tirées de la vente d’électricité.

81.      D’autre part, ce système est de nature à dissuader les distributeurs d’électricité d’importer de l’électricité verte dont la provenance est établie par des garanties d’origine, puisque l’importation de cette électricité ne pourra être prise en compte pour atteindre les quotas qui leur sont imposés, de sorte qu’ils devront, parallèlement à l’achat de cette électricité, dont le prix peut être déjà plus coûteux que celui de l’électricité produite à partir de sources conventionnelles, acquérir des certificats verts flamands.

82.      Il s’ensuit que la réglementation nationale litigieuse, qui favorise la commercialisation d’électricité verte produite en Région flamande et restreint dans la même mesure les potentialités d’importation d’électricité verte, doit être considérée comme une mesure ayant un effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation.

83.      Cette mesure comporte, de surcroît, des effets discriminatoires puisqu’elle réserve l’avantage procuré par la vente de certificats verts à la production d’électricité flamande par rapport à la production d’électricité verte en provenance d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE.

84.      À supposer que les arguments de VREG e.a. doivent être interprétés comme mettant en cause la similarité entre l’électricité verte importée d’autres États membres, dont la provenance est attestée par une garantie d’origine, et l’électricité verte produite en Région flamande, dont la provenance est garantie par un certificat vert, il convient de souligner que VREG e.a. ne prétendent pas que les certificats verts flamands offriraient une garantie supplémentaire quant à la démonstration de l’origine verte de l’électricité produite. La réglementation flamande, qui définit le certificat vert comme un document faisant apparaître qu’un producteur a produit, au cours d’une année déterminée, une quantité déterminée d’électricité écologique (26), admet que les certificats peuvent être utilisés comme garantie d’origine. De l’aveu même de VREG e.a. lors de l’audience, la seule différence entre les certificats verts et les garanties d’origine tient en ce que les certificats verts sont délivrés à des producteurs qui produisent en Région flamande. En d’autres termes, l’électricité garantie par un certificat vert n’est pas «plus verte» que l’électricité certifiée par une garantie d’origine, la seule différence entre les deux tenant à leur provenance géographique.

85.      Il reste à voir si cette entrave discriminatoire est justifiée ou non.

c)      Justification de l’entrave à la libre circulation des marchandises

i)      Principe

86.      La Cour a déjà eu l’occasion d’affirmer à plusieurs reprises que la protection de l’environnement constitue un objectif d’intérêt général justifiant des restrictions aux libertés consacrées par les traités. Elle a même consacré en la matière une jurisprudence originale, en affichant une faveur marquée pour la protection de l’environnement.

87.      Selon l’approche traditionnelle généralement suivie par la Cour en ce qui concerne la possibilité de justifier des restrictions au commerce au sein de l’Union, seules des mesures qui sont indistinctement applicables à des marchandises ou à des prestations de services quelle qu’en soit l’origine peuvent être justifiées par des exigences impératives liées à l’intérêt général. En revanche, si la mesure est discriminatoire, elle ne peut être justifiée que par une disposition dérogatoire expresse (27). Or, la protection de l’environnement, qui a fait l’objet d’une consécration récente en droit de l’Union, ne figure pas parmi les raisons d’intérêt général énumérées à l’article 30 CE, lesquelles ne peuvent être étendues à des cas autres que ceux limitativement prévus, mais constitue une raison impérative d’intérêt général reconnue par la Cour. En conséquence, cet objectif ne pourrait, en principe, justifier que des mesures non discriminatoires.

88.      Néanmoins, la jurisprudence a connu une inflexion, conduisant à élargir la possibilité d’invoquer des objectifs ne figurant pas à l’article 30 CE pour justifier des restrictions nationales à la libre circulation des marchandises (28). Cette évolution de la jurisprudence s’est faite en deux étapes principales.

89.      La première est constituée par l’affaire dite «des déchets wallons» (29), dans laquelle était en cause la législation belge qui prohibait le traitement, en Wallonie, des déchets en provenance d’un autre État membre ou d’une autre région que la Région wallonne. Dans cette affaire, la Cour, après avoir qualifié les déchets de marchandises et rappelé que les exigences impératives n’entrent en ligne de compte que s’agissant de mesures indistinctement applicables aux produits nationaux et importés, a jugé que, compte tenu de la «particularité des déchets» (30) qui doivent être éliminés aussi près que possible du lieu de leur production en application du principe de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement, «les mesures contestées ne sauraient être considérées comme discriminatoires» (31).

90.      Une seconde étape est franchie avec les arrêts du 14 juillet 1998, Aher-Waggon (32), et PreussenElektra, précité. Ce dernier arrêt concernait l’obligation faite aux fournisseurs d’électricité d’acheter de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables à des prix minimaux. Alors que cette mesure ne paraissait pas indistinctement applicable puisqu’elle favorisait clairement les producteurs nationaux d’électricité verte, auprès desquels les opérateurs économiques avaient l’obligation de s’approvisionner, la Cour, sans examiner la question de savoir si la mesure était directement discriminatoire, a estimé qu’elle était justifiée par ses objectifs environnementaux, puisqu’elle contribuait à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, par son objectif de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ainsi que de préservation des végétaux et par les caractéristiques particulières de l’électricité.

91.      La poursuite d’un objectif environnemental peut donc avoir pour conséquence soit de neutraliser le caractère discriminatoire, pourtant avéré, d’une mesure nationale, soit de dispenser purement et simplement de rechercher si la mesure est discriminatoire ou non.

92.      Si nous ne pouvons que nous réjouir de cette évolution qui consacre l’intégration des préoccupations environnementales dans le cadre du marché intérieur, il reste que nous regrettons que l’exception à la règle selon laquelle seules des dispositions dérogatoires expresses peuvent justifier une mesure discriminatoire n’apparaisse pas, explicitement, dans la jurisprudence de la Cour, mais découle plutôt, subrepticement, de raisonnements au cas par cas obéissant à des logiques différentes. Il est nécessaire, selon nous, de clarifier la situation en reconnaissant formellement la possibilité d’invoquer la protection de l’environnement comme justification des mesures qui entravent la libre circulation des marchandises, quand bien même elles seraient discriminatoires. Nous voyons à cette consécration explicite trois séries d’avantages.

93.      Premièrement, cette reconnaissance nous paraît dictée par un souci de sécurité juridique, car elle présenterait l’avantage de lever les doutes qui peuvent subsister quant à la possibilité d’invoquer la protection de l’environnement en tant qu’exigence impérative d’intérêt général pour justifier une mesure discriminatoire.

94.      Deuxièmement, l’absence de vérification du caractère discriminatoire des mesures constitutives d’entraves nous paraît présenter l’inconvénient majeur d’interdire de faire varier l’intensité du contrôle juridictionnel auquel ces mesures sont soumises afin de vérifier si elles sont propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint. Or, nous pensons que les mesures discriminatoires, particulièrement celles qui contreviennent à un principe aussi fondamental que celui de l’interdiction des discriminations directes en fonction de la nationalité, doivent être soumises à une exigence de proportionnalité renforcée.

95.      Troisièmement, nous voyons surtout dans cette reconnaissance expresse l’occasion de consacrer la place éminente de la protection de l’environnement dans l’ordre juridique de l’Union et de poursuivre ainsi l’évolution commencée avec l’arrêt du 7 février 1985, ADBHU (33), qui avait fait de la protection de l’environnement «un des objectifs essentiels de la Communauté». Le développement durable figure désormais parmi les objectifs de l’Union énoncés à l’article 3 TUE (34), dont le point 3 énonce que «l’Union œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur [...] un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement». En outre, la recherche d’un niveau élevé de protection de l’environnement est érigée par l’article 191 TFUE, auquel correspond l’article 174 CE, et l’article 37 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en objectif de l’Union. De surcroît, aux termes de l’article 11 TFUE, auquel correspond l’article 6 CE, «[l]es exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable».

96.      Élever explicitement la protection de l’environnement au rang d’une exigence impérative d’intérêt général pouvant être invoquée pour justifier des mesures qui restreignent les libertés de circulation, fussent-elles discriminatoires, contribuerait, à notre sens, à assurer sa prévalence sur d’autres considérations.

97.      La justification théorique de cette solution nous paraît pouvoir être trouvée dans le principe d’intégration, qui implique que les objectifs environnementaux, dont la Cour a souligné le caractère à la fois transversal et fondamental (35), soient pris en compte dans la définition et la mise en œuvre des politiques et des actions de l’Union. Si ce principe n’impose pas de donner systématiquement la priorité à la protection de l’environnement, il implique, en revanche, que l’objectif environnemental puisse être systématiquement mis en balance avec les autres objectifs fondamentaux de l’Union (36).

98.      Il convient donc de rechercher si la réglementation flamande qui, selon nous, constitue une entrave discriminatoire à la liberté de circulation des marchandises peut être justifiée par des impératifs tenant à la protection de l’environnement.

ii)    Application à la réglementation nationale litigieuse

99.      Revenons successivement sur chacune des justifications avancées.

100. Nous commencerons par les justifications qui se rattachent à l’arrêt PreussenElektra, précité. Dans cet arrêt, la Cour s’est appuyée sur le caractère progressif de la libéralisation du marché de l’électricité, qui «laisse subsister des entraves aux échanges d’électricité entre États membres» (37) ainsi que sur la nature de l’électricité qui est telle que, «une fois admise dans le réseau de transport ou de distribution, il est difficile d’en déterminer l’origine et notamment la source d’énergie à partir de laquelle elle a été produite» (38). La Cour a aussi pris en compte le fait que la réglementation allemande contribuait à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

101. Selon nous, l’évolution du contexte juridique entourant tant le marché intérieur de l’électricité que la promotion des énergies renouvelables ne permet plus de retenir les deux premières justifications.

102. Nous noterons, en premier lieu, que l’arrêt PreussenElektra, précité, a été rendu avant que ne fût adoptée la directive 2003/54, qui marque une étape supplémentaire dans la libéralisation du marché de l’électricité afin, notamment, de lutter contre le cloisonnement des marchés.

103. Nous constatons, en second lieu, que la justification tirée de l’impossibilité de déterminer l’origine de l’électricité ne peut plus être valablement avancée aujourd’hui, puisque l’instauration des garanties d’origine par la directive 2001/77 a, précisément, eu pour objet de permettre de garantir l’origine renouvelable de l’électricité produite (39).

104. La justification tirée de la contribution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ne nous paraît pas plus convaincante, puisque l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables dans un autre État membre de l’Union ou de l’EEE contribuerait à la diminution des émissions de gaz en Région flamande dans la même proportion que l’électricité produite dans cette région à partir de sources d’énergie renouvelables (40).

105. La Commission invoque également le nécessaire respect du principe de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement. Cependant, nous ne pensons pas que ce principe, qui implique, dans un objectif de prévention des atteintes à l’environnement, de corriger les pollutions à la source, en utilisant des procédés et des produits moins nocifs, et qui justifie, en conséquence, un traitement local des déchets (41), pourrait être valablement invoqué pour justifier une discrimination à l’encontre de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables dans d’autres États membres.

106. La raison d’être de l’impossibilité pour les distributeurs de fournir des garanties d’origine en provenance de l’étranger ne paraît pas non plus pouvoir être trouvée dans l’objectif d’assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique. Dans son aspect externe, c’est-à-dire à l’égard des sources d’énergie conventionnelles en provenance de pays tiers, la sécurité d’approvisionnement n’est manifestement pas en cause. Il n’est pas plus établi que la sécurité d’approvisionnement interne risquerait d’être compromise, d’autant que l’amélioration de celle-ci peut passer, notamment, par le développement des interconnexions entre les réseaux qui, en favorisant la diversification des approvisionnements, permettent de compenser les limites que présentent les énergies renouvelables par rapport à l’objectif de garantir la continuité de la fourniture en électricité (42).

107. L’argument tiré de ce que la directive 2001/77 a défini des objectifs nationaux dont le respect pourrait être compromis en cas d’ouverture du soutien public à tous les producteurs étrangers d’électricité verte ne nous paraît pas non plus convaincant.

108. Dans sa communication au Conseil et au Parlement européen concernant la part des sources d’énergie renouvelables dans l’Union européenne (43), la Commission, après avoir précisé que si les objectifs nationaux étaient définis en termes de consommation d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables, la consommation d’électricité était définie comme la production nationale augmentée des importations et diminuée des exportations, a indiqué qu’un État membre pouvait inclure une contribution sous la forme d’une importation en provenance d’un autre État membre, sous réserve de l’acceptation expresse de l’État exportateur et de l’absence de double comptabilisation.

109. La Commission a donc admis la possibilité de prendre en compte l’électricité verte importée pour vérifier si l’objectif de l’État membre d’importation est atteint. Dans ces conditions, nous ne voyons pas comment l’importation d’électricité verte en provenance de l’étranger pourrait compromettre la réalisation des objectifs nationaux.

110. Si nous sommes sensible à la préoccupation d’éviter une répartition inégale entre les États des installations de production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables, nous estimons toutefois que la protection de l’environnement relève d’une politique commune de l’Union. La protection de l’environnement ne fait d’ailleurs pas l’objet d’une appréhension purement nationale, mais elle bénéficie d’une dynamique européenne, notamment en matière de lutte contre le changement climatique (44). Il convient, dès lors, de tenir également compte des avantages susceptibles de résulter des échanges d’électricité verte au sein de l’Union. Si l’impact réel de tels échanges est difficilement mesurable, il est permis de penser qu’ils pourraient contribuer à faire baisser le coût des énergies renouvelables en permettant une localisation plus rationnelle de la production.

111. Deux autres considérations essentielles rejoignent notre conviction que la protection de l’environnement ne peut pas justifier la réglementation litigieuse.

112. En premier lieu, la distinction entre les garanties d’origine et les certificats verts, dont VREG e.a. se sont évertuées à démontrer la clarté et l’importance, est, en réalité, très fortement brouillée tant dans la réglementation que dans la pratique flamande (45). En effet, le certificat vert a valeur de garantie d’origine, puisqu’il peut être utilisé dans la vente d’électricité à des clients finals. En outre, comme l’ont reconnu lors de l’audience VREG e.a. elles-mêmes, la garantie d’origine peut, comme le certificat vert, être vendue séparément de l’électricité. Le certificat vert et la garantie d’origine sont donc opportunément conçus comme les deux volets d’un même instrument, selon une conception très éloignée de la logique originelle de la directive 2001/77. Paradoxalement, le certificat, qu’il soit ou non rebaptisé en garantie d’origine, peut être librement exporté et venir, ainsi, s’intégrer dans les systèmes d’aide aux énergies renouvelables étrangers, tandis que, à l’inverse, l’importation des instruments étrangers est prohibée.

113. Il convient d’ailleurs de noter combien la pratique observée par la VREG apparaît critiquable en ce qu’elle consiste, en réalité, à transformer pour la seule utilité du système régional en cause une garantie d’origine en certificat vert, puisque c’est en tant que certificat vert qu’elle les enregistre dans le but de les utiliser éventuellement comme tels si le besoin s’en faisait sentir et uniquement sur décision de sa part. Il n’en reste pas moins que ces certificats verts potentiellement utilisables ont un prix, celui qu’ils avaient en tant que garanties d’origine, dont le montant, tel que cela nous a été exposé lors de l’audience, est, toutes choses égales par ailleurs, notablement inférieur à celui d’un certificat vert «normal». Il en résulte que ce mode de fixation du prix échappe à ce qui aurait dû être son mode de fixation normal, à savoir la confrontation entre l’offre et la demande sur le marché secondaire des certificats verts dont le jeu régulier se trouve donc perturbé par cette pratique. La Commission a indiqué dans ses écritures et confirmé lors de l’audience que huit États membres pratiquaient le système des certificats verts. Cela donne donc une idée de l’importance de la perturbation ainsi apportée par le système sous examen.

114. En second lieu, il ressort de manière évidente de la lettre adressée le 25 juillet 2001 par la Commission au Royaume de Belgique, quelle que soit la lecture surprenante qu’en a livrée la Commission lors de l’audience, que la réglementation flamande actuelle n’est pas conforme aux engagements pris par le gouvernement flamand à l’occasion de la notification de cette réglementation au titre des dispositions des traités relatives aux aides d’État. De notre côté, nous éprouvons une forte réticence à cautionner ce manquement à la parole donnée, que la protection de l’environnement ne saurait justifier.

115. Telles sont les raisons pour lesquelles nous considérons que si l’article 5 de la directive 2001/77 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation interne de soutien aux énergies renouvelables, telle que celle en cause au principal, qui exclut la prise en compte des garanties d’origine délivrées dans un autre État membre de l’Union ou de l’EEE, en revanche, les articles 28 CE et 11 de l’accord EEE s’opposent à une telle réglementation, qui entrave, de façon discriminatoire, le commerce entre les États membres, sans être justifiée par des exigences impératives relevant de la protection de l’environnement (46).

IV – Conclusion

116. Au vu des considérations qui précèdent, nous sommes d’avis de répondre comme suit au rechtbank van eerste aanleg te Brussel (Belgique):

L’article 5 de la directive 2001/77/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 septembre 2001, relative à la promotion de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables sur le marché intérieur de l’électricité, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation interne de soutien aux énergies renouvelables, telle que celle en cause au principal, qui octroie des certificats verts aux producteurs d’électricité verte établis dans une région déterminée et impose aux distributeurs d’électricité de remettre chaque année un nombre de certificats verts correspondant à un quota, en excluant la prise en compte des garanties d’origine délivrées dans un autre État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen. En revanche, les articles 28 CE et 11 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, s’opposent à une telle réglementation, qui entrave, de façon discriminatoire, le commerce entre les États membres de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen sans être justifiée par des exigences impératives relevant de la protection de l’environnement.


1 – Langue originale: le français.


2 – JO L 283, p. 33.


3 –      JO L 176, p. 37.


4 –      JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’«accord EEE».


5 – Décision 1/CP.3 «Adoption du protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques» (ci-après le «protocole de Kyoto»).


6 – Décision du Conseil du 25 avril 2002 relative à l’approbation, au nom de la Communauté européenne, du protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et l’exécution conjointe des engagements qui en découlent (JO L 130, p. 1).


7 – JO L 306, p. 34.


8 – JO L 140, p. 16.


9 – JO 2006, L 53, p. 43.


10 – Ci-après le «décret sur l’électricité».


11 – Ci-après la «VREG».


12 –      Ci-après le «gouvernement flamand».


13 –      Ci-après «Essent».


14 – La VREG expose que Essent a également remis en 2007 des garanties d’origine provenant de producteurs établis en Suède.


15 – Ci-après, ensemble, «VREG e.a.».


16 – Voir, notamment, arrêt du 21 juin 2012, Elsacom (C‑294/11, point 21 et jurisprudence citée).


17 – Voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2012, Varzim Sol (C‑25/11, point 28 et jurisprudence citée).


18 –      Voir, notamment, arrêt du 28 juin 2012, Caronna (C‑7/11, point 54).


19 – Voir, notamment, arrêts du 19 novembre 2009, Commission/Italie (C‑540/07, Rec. p. I‑10983, point 65), du 28 octobre 2010, Établissements Rimbaud (C‑72/09, Rec. p. I‑10659, point 20), et du 19 juillet 2012, A (C‑48/11, point 15).


20 –      C‑379/98, Rec. p. I‑2099, point 70.


21 –      Essent se réfère à l’arrêt du 27 avril 1994, Almelo (C‑393/92, Rec. p. I‑1477, point 28).


22 –      Voir, sur ces différents mécanismes et leur compatibilité avec les principes régissant le marché intérieur, Rousseau, S., «L’emprise de la logique marchande sur la promotion des énergies renouvelables au niveau communautaire», Revue internationale de droit économique, 2005, p. 231.


23 – Dans son arrêt du 10 décembre 1968, Commission/Italie (7/68, Rec. p. 617, 626), la Cour a défini les marchandises comme étant «les produits appréciables en argent et susceptibles, comme tels, de former l’objet de transactions commerciales». Voir également, dans le même sens, arrêt du 14 avril 2011, Vlaamse Dierenartsenvereniging et Janssens (C‑42/10, C‑45/10 et C‑57/10, Rec. p. I‑2975, point 68).


24 – Voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a. (C‑206/06, Rec. p. I‑5497, point 43 et jurisprudence citée).


25 –      Voir, notamment, arrêts du 11 juillet 1974, Dassonville (8/74, Rec. p. 837, point 5), et du 2 décembre 2010, Ker-Optika (C‑108/09, Rec. p. I‑12213, point 47).


26 – Voir article 25 du décret sur l’électricité.


27 – Voir, notamment, arrêt du 4 mai 1993, Distribuidores Cinematográficos (C‑17/92, Rec. p. I‑2239, point 16 et jurisprudence citée).


28 – Pour une analyse approfondie de la question, voir Vial, C., Protection de l’environnement et libre circulation des marchandises, Collection droit de l’Union européenne – Thèse, Bruylant, Bruxelles, 2006, p. 225 et suiv.


29 – Arrêt du 9 juillet 1992, Commission/Belgique (C‑2/90, Rec. p. I‑4431).


30 – Point 34.


31 – Point 36.


32 – C‑389/96, Rec. p. I‑4473, point 34.


33 – 240/83, Rec. p. 531, point 13.


34 – Voir, également, neuvième alinéa du préambule du traité UE.


35 – Voir arrêt du 13 septembre 2005, Commission/Conseil (C‑176/03, Rec. p. I‑7879, points 41 et 42).


36 –      Voir, en ce sens, Jans, H. J., et Vedder, H. H. B., European Environmental Law, 4e éd., European Law Publishing, Groningue, 2011, p. 23.


37 –      Point 78.


38 –      Point 79.


39 –      Même si, une fois injectée sur le réseau, son origine n’est plus décelable.


40 –      Voir, dans le même sens, point 236 des conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt PreussenElektra, précité.


41 – Il «implique qu’il appartient à chaque région, commune, ou autre entité locale de prendre les mesures appropriées afin d’assurer la réception, le traitement et l’élimination de ses propres déchets». Voir, en outre, arrêts Commission/Belgique, précité (point 34), et du 21 janvier 2010, Commission/Allemagne (C‑17/09, point 16).


42 – Voir, notamment, sur la disponibilité aléatoire des sources d’énergie renouvelables, à la fois sur un plan spatial et sur un plan temporel, Le Baut-Ferrarese, B., et Michallet, I., Droit des énergies renouvelables, Éditions Le Moniteur, 2008, p. 56 et 57.


43 – COM(2004) 366 final.


44 –      Ainsi le protocole de Kyoto prévoit-il pour la période allant de 2008 à 2012 un engagement global de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 8 % par rapport au niveau de l’année 1990 (voir article 3, paragraphe 1, et annexes I B et II de ce protocole).


45 – La directive 2009/28 ne contribue pas à clarifier l’état du droit. Selon le considérant 52 de cette directive, «[u]ne garantie d’origine peut être transférée d’un titulaire à un autre, indépendamment de l’énergie qu’elle concerne». Voir, également, Van der Elst, R., «Les défis de la nouvelle directive sur les énergies renouvelables et son impact sur le commerce intra et extracommunautaire», dans Droit européen de l’énergie, Helbing Lichtenhahn, Bâle, 2011, p. 179. Selon cet auteur, «la principale distinction entre les garanties d’origine et les certificats verts réside dans le fait qu’une garantie d’origine émise dans un État membre doit être reconnue par tous les autres États membres, ce qui n’est pas le cas des certificats verts».


46 – Nous estimons que la circonstance que les directives 2001/77 et 2003/54 ne soient entrées en vigueur, en ce qui concerne l’EEE, que respectivement le 1er septembre 2006 et le 1er juin 2007, n’a pas d’incidence sur la réponse proposée. Il appartiendra seulement au juge national, pour ce qui concerne les garanties norvégiennes remises par Essent avant le 1er septembre 2006, de vérifier si elles permettent d’identifier l’électricité verte dans des conditions équivalentes à celles des garanties d’origine prévues par la directive 2001/77.