Language of document : ECLI:EU:C:2011:332

ORDONNANCE DE LA COUR (cinquième chambre)

23 mai 2011 (*)

«Article 6, paragraphe 1, TUE – Article 35 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne –Détention et vente de tabacs manufacturés à fumer – Dispositions nationales autorisant le prélèvement de droits d’accises sur les produits du tabac – Incompétence manifeste de la Cour»

Dans les affaires jointes C‑267/10 et C‑268/10,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le tribunal de première instance de Namur (Belgique), par décisions du 24 mars 2010, parvenues à la Cour le 28 mai 2010, dans les procédures

André Rossius (C‑267/10),

Marc Collard (C‑268/10)

contre

État belge – Service public fédéral Finances,

en présence de:

État belge – Service public fédéral Défense,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. J.‑J. Kasel, président de chambre, M. M. Safjan (rapporteur) et Mme M. Berger, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. A. Calot Escobar,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, TUE et de l’article 35 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «charte des droits fondamentaux»).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant MM. Rossius, d’une part, et Collard, d’autre part, à l’État belge – Service public fédéral Finances, au sujet du paiement par ceux-ci de droits d’accises afférents à la détention et à la vente en Belgique du surplus des cigarettes fournies à leur unité de l’armée belge.

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

3        Il ressort des décisions de renvoi que chaque unité militaire belge participant à une mission à l’étranger peut se faire fournir des cigarettes à un prix hors taxe et revendre celles-ci aux membres de son personnel sur le terrain. Si, au terme de sa mission, cette unité se trouve confrontée à un surplus de cigarettes, elle peut soit les retourner au fournisseur, soit les revendre à une autre unité militaire en partance pour une mission à l’étranger.

4        En l’occurrence, dans le cadre d’une mission de maintien de la paix dans un État tiers ayant débuté le 17 juillet 1999, l’unité militaire à laquelle appartiennent MM. Rossius et Collard, ressortissants belges, a obtenu des cartouches de cigarettes qui, destinées à l’exportation, n’étaient pas munies des bandelettes fiscales prévues pour la détention et la vente en Belgique. Cette mission ayant été interrompue précocement le 15 août 1999, l’unité militaire concernée est rentrée en Belgique avec un stock important desdites cartouches de cigarettes.

5        Avec l’accord de ses supérieurs hiérarchiques, M. Collard, chargé de la gestion de ce stock de cigarettes, a commencé à vendre des cartouches à des militaires appartenant à son unité. Également avec l’accord de ses supérieurs hiérarchiques et à l’invitation de M. Collard, M. Rossius a acheté à ce dernier des cartouches de cigarettes et en a revendu une partie à des militaires appartenant à son unité en partance pour des missions à l’étranger, l’autre partie étant destinée à sa consommation personnelle.

6        À la suite d’un contrôle, l’administration des douanes et accises a dressé des procès-verbaux à l’encontre de MM. Rossius et Collard, respectivement les 2 et 3 février 2005, pour détention et mise à la consommation sur le territoire belge de tabacs manufacturés sans paiement des droits et des taxes y afférents, en application de la loi du 10 juin 1997 relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (Moniteur belge du 1er août 1997, p. 19836, ci-après la «loi du 10 juin 1997»).

7        En conséquence, l’administration des douanes et accises a réclamé à MM. Rossius et Collard, par des titres exécutoires respectivement des 21 mars et 17 janvier 2006, le paiement de droits d’accises et de droits d’accises spéciales.

8        Estimant n’avoir agi qu’en leur qualité de militaires chargés par leurs supérieurs hiérarchiques d’écouler le stock de cigarettes en cause au principal, sans faire personnellement commerce des marchandises concernées, MM. Rossius et Collard ont introduit une action en contestation de ces droits d’accises et droits d’accises spéciales, respectivement devant le tribunal de première instance de Liège (Belgique), le 24 avril 2006, et devant le tribunal de première instance de Mons (Belgique), le 22 septembre 2006. Ces deux affaires ont été renvoyées devant le tribunal de première instance de Namur.

9        MM. Rossius et Collard ont appelé en intervention forcée et en garantie l’État belge – Service public fédéral Défense, lequel souligne qu’ils ont agi suivant les directives qui leur ont été données et au su de leur hiérarchie.

10      La juridiction de renvoi indique que, l’État belge – Service public fédéral Finances ayant formé dans chacune de ces affaires une demande incidente visant à faire valider le paiement des droits d’accises et des droits d’accises spéciales, elle envisage de rejeter comme irrecevables ces demandes incidentes pour défaut d’intérêt légitime à agir. La juridiction de renvoi ajoute que de telles décisions d’irrecevabilité ne seront effectivement opposables à l’État belge que si elles sont reconnues conformes au droit de l’Union.

11      C’est dans ces conditions que le tribunal de première instance de Namur a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, rédigées de façon identique dans les affaires C‑267/10 et C‑268/10:

«1)      Les dispositions suivantes du droit de l’Union européenne:

–        l’article 6 du traité de Lisbonne, du 13 décembre 2007, modifiant le traité sur l’Union européenne signé à Maastricht, le 7 février 1992, en vigueur depuis le 1er décembre 2009, aux termes duquel ‘[l]’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la [charte des droits fondamentaux], laquelle a la même valeur que les traités. [...]’, et

–        l’article 35 de la charte des droits fondamentaux [...], aux termes duquel ‘[t]oute personne a le droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux [...]. Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union’,

interprétées conformément aux grands principes sur lesquels repose l’Union européenne, tels que rappelés dans le préambule du traité de Lisbonne,

s’opposent-elles à ce qu’un État membre, en l’occurrence la Belgique, laisse persister sur son territoire la fabrication, l’importation, la promotion et la vente de tabacs manufacturés à fumer, alors que ce même État reconnaît officiellement que ces produits sont gravement nuisibles à la santé de ceux qui en font usage et identifiés comme étant la cause de nombreuses maladies invalidantes et de nombreux décès prématurés, ce qui devrait logiquement justifier leur prohibition?

2)      Les dispositions suivantes du droit de l’Union européenne:

–        l’article 6 du traité de Lisbonne [...], et

–        l’article 35 de la charte des droits fondamentaux [...],

interprétées conformément aux grands principes sur lesquels repose l’Union européenne, tels que rappelés dans le préambule du traité de Lisbonne,

s’opposent-elles à ce que les dispositions suivantes du droit belge:

–        la loi générale sur les douanes et accises coordonnée par arrêté royal du 18 juillet 1977 (Moniteur belge du 21 septembre 1977) et confirmée par la loi du 6 juillet 1978, article 1er (Moniteur belge du 12 août 1978);

–        la loi du 10 juin 1997 [...];

–        la loi du 3 avril 1997 relative au régime fiscal des tabacs manufacturés (Moniteur belge du 1er août 1997), modifiée par la loi du 26 novembre 2006 (Moniteur belge du 8 décembre 2006),

autorisent l’État belge, à considérer comme base taxable au titre de droits d’accise[s], les tabacs manufacturés à fumer, alors que:

d’une part, ledit État reconnaît officiellement que ces produits sont gravement nuisibles à la santé de ceux qui en font usage et identifiés comme étant la cause de nombreuses maladies invalidantes et de nombreux décès prématurés, ce qui devrait logiquement justifier leur disparition;

d’autre part, il contrarie lui-même, en procédant de la sorte, l’adoption de mesures susceptibles de provoquer efficacement cette disparition en privilégiant le rendement fiscal à tout effet réellement dissuasif?»

12      Par ordonnance du président de la Cour du 29 juin 2010, les affaires C‑267/10 et C‑268/10 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

 Sur la compétence de la Cour

13      En vertu des articles 92, paragraphe 1, et 103, paragraphe 1, de son règlement de procédure, lorsqu’elle est manifestement incompétente pour connaître d’une requête, la Cour, l’avocat général entendu, peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

 Sur la première question

14      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, TUE et l’article 35 de la charte des droits fondamentaux s’opposent à ce que le Royaume de Belgique laisse persister sur son territoire la fabrication, l’importation, la promotion et la vente de tabacs manufacturés à fumer.

15      Selon une jurisprudence constante, la compétence de la Cour est limitée à l’examen des seules dispositions du droit de l’Union. Il appartient au juge national d’apprécier la portée des dispositions nationales et la manière dont elles doivent être appliquées (arrêt du 1er juin 2006, innoventif, C‑453/04, Rec. p. I‑4929, point 29 et jurisprudence citée).

16      Par ailleurs, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, les dispositions de celle-ci s’adressent «aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union» et que, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, TUE, qui attribue une valeur contraignante à la charte des droits fondamentaux, et ainsi qu’il ressort de la déclaration sur la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, annexée à l’acte final de la conférence intergouvernementale qui a adopté le traité de Lisbonne, celle-ci ne crée aucune compétence nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences de cette dernière (ordonnance du 12 novembre 2010, Asparuhov Estov e.a., C‑339/10, non encore publiée au Recueil, point 12). L’attribution d’une valeur contraignante à la charte des droits fondamentaux n’emporte pas davantage de conséquences quant à la jurisprudence relative à la compétence de la Cour pour connaître d’une requête.

17      En l’occurrence, d’une part, il ressort des décisions de renvoi que les litiges au principal portent sur le paiement, par des ressortissants belges, de droits d’accises pour la détention en Belgique de cigarettes qui avaient été fournies à un prix hors taxe à leur unité de l’armée belge, ainsi que pour la vente de ces cigarettes en Belgique à des ressortissants belges. Par conséquent, force est de constater que les éléments pertinents de ces litiges se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre.

18      D’autre part, dans le cadre des litiges au principal, la première question doit être comprise comme visant la réglementation nationale autorisant la détention et la vente de tabacs manufacturés à fumer. Or, à cet égard, il y a lieu de relever que le droit de l’Union ne régit pas la simple détention par un particulier de tabacs manufacturés à fumer au sein des États membres ou le fait d’autoriser la vente, en tant que telle, de ces produits au sein des États membres.

19      Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que la réglementation nationale en cause constitue une mesure de mise en œuvre du droit de l’Union ou que l’objet des litiges au principal présente d’autres éléments de rattachement à ce dernier.

20      Il en résulte que la compétence de la Cour pour répondre à la première question n’est pas établie (voir, en ce sens, ordonnance Asparuhov Estov e.a., précitée, point 14).

21      Partant, il y a lieu de faire application des articles 92, paragraphe 1, et 103, paragraphe 1, du règlement de procédure et de constater que la Cour est manifestement incompétente pour répondre à la première question posée dans chacune des affaires par le tribunal de première instance de Namur.

 Sur la seconde question

22      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, TUE et l’article 35 de la charte des droits fondamentaux s’opposent à ce que la législation belge autorise le Royaume de Belgique à soumettre à des droits d’accises les tabacs manufacturés à fumer.

23      Les dispositions du droit belge citées par la juridiction de renvoi sont, premièrement, la loi générale sur les douanes et accises coordonnée par arrêté royal du 18 juillet 1977 et confirmée par la loi du 6 juillet 1978, deuxièmement, la loi du 10 juin 1997 et, troisièmement, la loi du 3 avril 1997 relative au régime fiscal des tabacs manufacturés, modifiée par la loi du 26 novembre 2006.

24      À cet égard, il convient de relever que, dans le cadre de la procédure préjudicielle, la Cour n’est pas compétente pour statuer sur la compatibilité de dispositions du droit national avec les règles de droit de l’Union (voir, notamment, arrêts du 15 décembre 1993, Hünermund e.a., C‑292/92, Rec. p. I‑6787, point 8, ainsi que du 10 juin 2010, Fallimento Traghetti del Mediterraneo, C‑140/09, non encore publié au Recueil, point 22).

25      Il convient d’ajouter que, depuis une date antérieure aux faits des litiges au principal, le droit de l’Union prévoit que les tabacs manufacturés sont soumis à une accise harmonisée, sur le fondement de l’article 99 du traité CE, devenu article 93 CE, lui-même devenu article 113 TFUE.

26      Ainsi, notamment, la directive 95/59/CE du Conseil, du 27 novembre 1995, concernant les impôts autres que les taxes sur le chiffre d’affaires frappant la consommation des tabacs manufacturés (JO L 291, p. 40), définit les différentes catégories de produits soumis à accise ainsi que les modalités de calcul de celle-ci. Quant à la directive 92/79/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taxes frappant les cigarettes (JO L 316, p. 8), elle fixe le taux minimal de l’accise pour chaque catégorie de produits.

27      Par conséquent, dans le cadre de l’application du droit de l’Union, le Royaume de Belgique était tenu de percevoir des droits d’accises sur les tabacs manufacturés à fumer.

28      Cependant, il y a lieu de constater que les décisions de renvoi ne font pas mention des directives 95/59 et 92/79 ni d’autres actes du droit de l’Union prévoyant que les tabacs manufacturés à fumer sont soumis à une accise harmonisée. En outre, la juridiction de renvoi ne soulève à aucun moment la question de la validité de tels actes du droit de l’Union au regard de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, TUE ou de l’article 35 de la charte des droits fondamentaux.

29      Dans ces conditions, la seconde question doit être comprise comme visant à ce que la Cour statue sur la compatibilité de la législation belge relative aux droits d’accises sur les tabacs manufacturés à fumer avec l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, TUE et l’article 35 de la charte des droits fondamentaux.

30      Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 24 de la présente ordonnance, la Cour n’est pas compétente pour répondre à une telle question.

31      Dès lors, la Cour est également manifestement incompétente pour répondre à la seconde question posée dans chacune des affaires par le tribunal de première instance de Namur.

32      Il résulte de tout ce qui précède que la Cour est manifestement incompétente pour répondre aux questions posées par le tribunal de première instance de Namur.

 Sur les dépens

33      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:

La Cour de justice de l’Union européenne est manifestement incompétente pour répondre aux questions posées par le tribunal de première instance de Namur (Belgique) par décisions du 24 mars 2010.

Signatures


* Langue de procédure: le français.