Language of document : ECLI:EU:T:2015:583



ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

1er septembre 2015 (*)

« Référé – Accès aux documents des institutions – Règlement (CE) no 1049/2001 – Documents transmis par les autorités françaises à la Commission dans le cadre de la procédure prévue par la directive 98/34/CE – Opposition de la France à la divulgation des documents – Décision d’accorder à un tiers l’accès aux documents – Demande de sursis à exécution – Urgence – Fumus boni juris – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑344/15 R,

République française, représentée par MM. F. Alabrune, G. de Bergues, D. Colas et F. Fize, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. J. Baquero Cruz et Mme F. Clotuche‑Duvieusart, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision GESTDEM 2014/6064, du 21 avril 2015, concernant une demande confirmative d’accès à des documents en vertu du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), par laquelle la Commission a accordé l’accès à deux documents émanant des autorités françaises qui lui avaient été transmis dans le cadre de la procédure prévue par la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO L 204, p. 37),

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        La directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO L 204, p. 37), telle que modifiée, organise une procédure d’échange d’informations entre les États membres et la Commission européenne concernant les initiatives nationales visant l’établissement de normes ou des règlements techniques, d’une part, et les services de la société de l’information, d’autre part.

2        La notification à la Commission de tout projet de règle technique destiné à régir ces marchandises ou services figurant dans le champ d’application de la directive 98/34 est, en principe, obligatoire (article 8, paragraphe 1, de la directive 98/34). En pratique, la Commission se charge de transmettre ledit projet à chacun des États membres et de l’insérer dans une base de données publique. Tout projet notifié peut être examiné par les États membres, la Commission et les opérateurs économiques afin de détecter les éléments potentiellement protectionnistes et d’entreprendre une action pour les éliminer. Pour permettre cet examen, un délai minimal de trois mois doit, en principe, s’écouler entre la communication du projet de règle technique et son adoption. Pendant cette période de statu quo, la Commission et les États membres qui estiment que le projet crée des obstacles injustifiés à la libre circulation des marchandises, à la libre circulation des services ou à la liberté d’établissement des opérateurs de services peuvent soumettre des observations ou des avis circonstanciés à l’État membre notifiant. L’émission d’un avis circonstancié proroge ladite période de statu quo d’un certain nombre de mois en fonction de l’objet du projet de règles techniques (voir article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive 98/34). L’État membre concerné fait, en principe, rapport à la Commission sur la suite qu’il a l’intention de donner à ses avis circonstanciés et la Commission commente cette réaction (voir article 9, paragraphe 2, de la directive 98/34).

3        Dans le cadre de la procédure d’information prévue par la directive 98/34, la République française a notifié à la Commission, le 21 janvier 2014, une proposition de loi visant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres et habilitant le gouvernement français à modifier par ordonnance les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d’édition. Cette proposition de loi avait pour objet de réglementer les ristournes applicables par les détaillants de livres dans le but d’empêcher une pratique qui consistait à combiner le rabais maximum de 5 % sur les livres prévu par la réglementation française avec la 1ivraison gratuite.

4        La Commission a transmis à la République française, le 27 février 2014, une demande d’informations complémentaires, à laquelle le gouvernement français a répondu par courrier du 11 mars 2014.

5        Conformément à l’article 9, paragraphe 2, de la directive 98/34, le gouvernement autrichien a émis un avis circonstancié sur le projet de norme technique le 9 avril 2014. La Commission a, quant à elle, également émis un avis circonstancié relatif à ce même projet le 15 avril 2014. Le gouvernement français a répondu à ces deux avis circonstanciés par courrier du 17 juin 2014.

6        En l’absence de nouvelles communications de la part de la Commission ou du gouvernement autrichien, la mesure envisagée par la République française a été adoptée sous la forme de la loi 2014‑779, du 8 juillet 2014, encadrant les conditions de la vente à distance des livres et habilitant le Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d’édition (JORF du 9 juillet 2014, page 11363).

7        Le 15 décembre 2014, une demande d’accès aux réponses susmentionnées du gouvernement français des 11 mars et 17 juin 2014 (ci‑après les « documents litigieux ») a été adressée à la Commission. Consulté par celle‑ci sur une éventuelle divulgation desdits documents, le gouvernement français a indiqué qu’il s’y opposait. En conséquence, la Commission a refusé d’accorder l’accès aux documents litigieux.

8        À la suite d’une demande confirmative d’accès au titre du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), la Commission a consulté, à nouveau, le gouvernement français le 3 mars 2015. Par courrier du 13 mars 2015, le gouvernement français a informé la Commission de son opposition à l’accès aux documents litigieux, en invoquant les exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 2, deuxième et troisième tirets, et paragraphe 5, du règlement no 1049/2001. Ces dispositions prévoient :

« 2.      Les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection :

–        […]

–        des procédures juridictionnelles et des avis juridiques,

–        des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit,

à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

[…]

5.      Un État membre peut demander à une institution de ne pas divulguer un document émanant de cet État sans l’accord préalable de celui‑ci. »

9        Le 21 avril 2015, la Commission a décidé de divulguer au tiers demandeur le contenu des documents litigieux, et ce malgré l’opposition manifestée par le gouvernement français (ci‑après la « décision attaquée »).

10      Le gouvernement français ayant manifesté son intention d’introduire un recours en annulation de la décision attaquée et d’assortir ce recours d’une demande de sursis à exécution, la Commission a indiqué, le 8 mai 2015, qu’elle ne divulguerait pas les documents litigieux tant que le Tribunal n’aurait pas statué sur la demande en référé.

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er juillet 2015, la République française a introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée. À titre principal, elle fait valoir que la décision attaquée doit être annulée pour violation de l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 1049/2001. À titre subsidiaire, elle considère que la décision attaquée doit être annulée pour violation de l’obligation de motivation en ce qui concerne la non‑application de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, de ce même règlement. À titre encore plus subsidiaire, elle estime que la décision attaquée doit être annulée pour violation de l’article 4, paragraphe 2, deuxième et troisième tirets, du règlement no 1049/2001.

12      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la République française a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal de surseoir à l’exécution de la décision attaquée.

13      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 16 juillet 2015, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        prendre acte de ce qu’elle s’en remet à sa sagesse quant à la question de déterminer si, dans la configuration particulière de la présente espèce, les conditions pour l’octroi du sursis à exécution sollicité sont réunies ;

–        réserver la décision sur les dépens de la présente procédure de référé pour la décision quant aux dépens de l’affaire principale.

 En droit

 Généralités

14      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure du Tribunal.

15      L’article 156, paragraphe 3, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec, EU:C:1996:381, point 30].

16      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec, EU:C:1995:257, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), EU:C:2007:209, point 25]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec, EU:C:2001:123, point 73).

17      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

18      S’agissant en l’occurrence du contentieux relatif à la protection provisoire d’informations prétendument confidentielles, il y a lieu de souligner, d’ores et déjà, que la Commission ne conteste pas, dans ses observations, que, pour conserver un effet utile à l’arrêt à intervenir dans l’affaire principale, une divulgation des documents litigieux pourrait devoir être provisoirement empêchée.

19      Dans cette optique, la Commission annonce que, en vue de protéger l’intérêt public à l’accès aux documents litigieux, elle demandera au Tribunal que l’affaire principale soit traitée selon une procédure accélérée au titre des articles 151 à 155 du règlement de procédure.

 Sur le fumus boni juris

20      Il convient de rappeler que plusieurs formules sont utilisées dans la jurisprudence pour définir, au gré des circonstances de l’espèce, la condition tenant au fumus boni juris (voir, en ce sens, ordonnance Commission/Atlantic Container Line e.a., point 16 supra, EU:C:1995:257, point 26).

21      Ainsi, il est satisfait à cette condition lorsque au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux, en ce qu’il révèle l’existence, au stade de la procédure de référé, d’une controverse juridique importante dont la solution ne s’impose pas d’emblée. En effet, la finalité de la procédure de référé étant de garantir la pleine efficacité de la décision à intervenir à l’issue du litige au fond, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le Tribunal, le juge des référés doit se borner à apprécier « à première vue » le bien‑fondé des moyens invoqués dans le cadre du litige au fond afin d’établir s’il existe une probabilité de succès du recours suffisamment grande [voir, en ce sens, ordonnances du 10 septembre 2013, Commission/Pilkington Group, C‑278/13 P(R), Rec, EU:C:2013:558, point 67 et jurisprudence citée, et du 8 avril 2014, Commission/ANKO, C‑78/14 P‑R, Rec, EU:C:2014:239, point 15 et jurisprudence citée].

22      En l’espèce, la République française considère, par son premier moyen, que la Commission a violé l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 1049/2001. En effet, le gouvernement français aurait dûment motivé son opposition à l’accès aux documents litigieux en faisant référence à deux exceptions prévues par le règlement no 1049/2001, à savoir la protection accordée aux procédures juridictionnelles par son article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, et la protection accordée aux objectifs des activités d’enquête par son article 4, paragraphe 2, troisième tiret, et en indiquant les raisons précises pour lesquelles une divulgation des documents litigieux porterait atteinte aux exceptions invoquées.

23      Or, la Commission aurait procédé à une appréciation exhaustive des motifs pour lesquels le gouvernement français s’était opposé à la divulgation des documents litigieux. Ce faisant, elle aurait méconnu les limites du contrôle qu’elle devait opérer à l’égard de l’État membre conformément à la jurisprudence de la Cour. Dès lors que le gouvernement français avait dûment motivé son opposition à la divulgation par référence aux exceptions visées à l’article 4 du règlement no 1049/2001, la Commission n’aurait pu considérer ces arguments comme étant erronés, sans procéder à une analyse allant au‑delà d’un simple examen prima facie de ceux‑ci.

24      La Commission répond qu’elle était obligée, en vertu de l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 1049/2001, d’examiner si, compte tenu des circonstances de l’espèce et des règles de droit applicables, les motifs avancés par la République française au soutien de son opposition à la divulgation des documents litigieux, étaient de nature à justifier à première vue un tel refus. Elle précise que cette disposition institue un processus décisionnel ayant pour objet de déterminer si l’accès à un document doit être refusé en vertu de l’une des exceptions matérielles énoncées dans ses paragraphes 1 à 3. La Commission s’oppose à la thèse selon laquelle il suffirait de se référer, même sans fondement comme en l’espèce, à l’une ou à l’autre des exceptions prévues par l’article 4 du règlement no 1049/2001 pour contraindre l’institution de l’Union européenne à rejeter une demande d’accès à un document d’un État membre. En effet, cette thèse reviendrait à conférer à celui‑ci le droit de s’opposer de façon tout à fait discrétionnaire à la divulgation de ses documents.

25      La Commission ajoute que, loin d’avoir procédé à une analyse exhaustive des réponses du gouvernement français, elle a simplement constaté que les justifications avancées en termes d’exceptions au sens de l’article 4 du règlement no 1049/2001 étaient manifestement inapplicables. En effet, elle aurait constaté, d’une part, l’absence d’une « procédure juridictionnelle » en cours ou raisonnablement prévisible et, d’autre part, l’absence d’une « procédure d’enquête » encore ouverte, puisque la procédure prévue par la directive 98/34 avait été close. Enfin, elle aurait constaté l’absence d’un lien entre cette dernière procédure et une autre procédure d’enquête, telle qu’une procédure en manquement ouverte ou raisonnablement prévisible, la procédure prévue par la directive 98/34 ayant été close sans suite. Elle se serait donc bornée à vérifier prima facie l’existence de la justification avancée par le gouvernement français et à évaluer si elle ne comportait pas d’erreurs manifestes d’appréciation, sans analyser en détail le bien‑fondé de cette motivation.

26      À cet égard, d’une part, il y a lieu de rappeler que l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 1049/2001 confère aux États membres un statut privilégié par rapport aux autres détenteurs de documents, en prévoyant que tout État membre dispose, à la différence de ceux‑ci, de la faculté de demander à l’institution de ne pas divulguer un document qui émane de cet État sans son « accord préalable ». Or, l’exigence d’un accord préalable risquerait de rester lettre morte si, nonobstant l’opposition manifestée par l’État membre à la divulgation d’un tel document et alors même que l’institution ne dispose d’aucun « accord » dudit État, cette dernière demeurait néanmoins libre de divulguer le document concerné. En effet, une telle exigence serait dépourvue de tout effet utile, voire de toute signification, si la nécessité d’obtenir un accord préalable pour la divulgation dudit document dépendait en dernière analyse de la volonté discrétionnaire de l’institution détentrice de celui‑ci (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2007, Suède/Commission, C‑64/05 P, Rec, EU:C:2007:802, points 43 et 44).

27      D’autre part, l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 1049/2001 ne saurait non plus être interprété en ce sens qu’il investirait l’État membre concerné d’un droit de veto général et inconditionnel lui permettant de s’opposer discrétionnairement à la divulgation de documents qui émanent de lui et sont détenus par une institution, de sorte que l’accès à de tels documents cesserait d’être régi par les dispositions dudit règlement. Ainsi, l’article 4 du règlement no 1049/2001 n’autorise, en son paragraphe 5, l’État membre concerné à s’opposer à la divulgation de tels documents que sur le fondement des exceptions matérielles prévues par ses paragraphes 1 à 3 (voir, en ce sens, arrêt Suède/Commission, point 26 supra, EU:C:2007:802, points 75 et 99).

28      Il s’ensuit que l’institution saisie d’une demande d’accès à un document émanant d’un État membre et cet État doivent entamer un dialogue loyal concernant l’application éventuelle des exceptions prévues à l’article 4, paragraphes 1 à 3, du règlement no 1049/2001 et que l’État membre désireux de s’opposer à la divulgation du document en cause est tenu de motiver cette opposition au regard desdites exceptions. L’institution ne saurait en effet donner suite à l’opposition manifestée par cet État à une telle divulgation si la motivation avancée n’est pas articulée par référence aux exceptions énumérées audit article 4, paragraphes 1 à 3 (voir, en ce sens, arrêt Suède/Commission, point 26 supra, EU:C:2007:802, points 86 à 88).

29      S’agissant de l’étendue et de l’intensité du contrôle exercé par l’institution sur les motifs de non‑divulgation avancés par un État membre, il est de jurisprudence bien établie de la Cour que, avant de refuser l’accès à un document émanant d’un État membre, il incombe à l’institution concernée d’examiner si ce dernier a fondé son opposition sur les exceptions matérielles prévues à l’article 4, paragraphes 1 à 3, du règlement no 1049/2001 et s’il a dûment motivé sa position à cet égard. Dès lors, dans le cadre du processus d’adoption d’une décision de refus d’accès, l’institution doit s’assurer de l’existence d’une telle motivation et en faire état dans la décision adoptée par elle au terme de la procédure (voir, en ce sens, arrêt Suède/Commission, point 26 supra, EU:C:2007:802, point 99).

30      En revanche, ainsi que la Cour l’a souligné dans son arrêt du 21 juin 2012, IFAW Internationaler Tierschutz‑Fonds/Commission (C‑135/11 P, Rec, EU:C:2012:376, points 63 et 64), il n’appartient pas à l’institution saisie de procéder à une appréciation exhaustive de la décision d’opposition de l’État membre concerné, en effectuant un contrôle qui irait au‑delà de la vérification de la simple existence d’une motivation faisant référence aux exceptions visées à l’article 4, paragraphes 1 à 3, du règlement no 1049/2001. En effet, exiger une telle appréciation exhaustive pourrait aboutir à ce que, celle‑ci une fois effectuée, l’institution saisie puisse, à tort, procéder à la communication au demandeur du document en cause nonobstant l’opposition, dûment motivée, de l’État membre dont émane ce document.

31      Il convient de noter que, dans son arrêt du 14 février 2012, Allemagne/Commission (T‑59/09, Rec, EU:T:2012:75, points 51 à 53 et 57), invoqué par la Commission, le Tribunal a jugé que l’appréciation à opérer par l’institution consistait à déterminer si les motifs avancés par l’État membre au soutien de son opposition à la divulgation du document demandé étaient de nature à justifier, à première vue, un tel refus, aux fins de s’assurer que ces motifs n’étaient pas dépourvus de fondement, en précisant que cette appréciation ne se limitait pas à vérifier si la motivation présentée par l’État membre était erronée « sans aucun doute possible » ou si l’application des exceptions visées à l’article 4, paragraphes 1 à 3, du règlement no 1049/2001 s’imposait avec une telle évidence qu’elle ne permettait « aucun doute raisonnable ».

32      En l’espèce, la Commission admet expressément qu’elle a, d’une part, vérifié prima facie l’existence des motifs d’opposition avancés par la République française et, d’autre part, évalué si ces motifs ne faisaient pas apparaître des erreurs manifestes d’appréciation. En effet, le point 2.2 de la décision attaquée, intitulé « Évaluation prima facie de la Commission », indique, en ses quatrième à septième alinéas :

« [L]a Commission estime que le refus des autorités françaises articulé sur la base du deuxième tiret de l’article 4(2) n’apparait pas, prima facie, comme étant fondé en l’occurrence, eu égard à la motivation invoquée. En effet, il apparait que les documents dont l’accès est demandé ne sont pas étroitement liés à un contentieux existant ou raisonnablement prévisible à ce stade. Il est dès lors manifeste que les documents en question ne relèvent pas de l’exception invoquée par les autorités françaises et que leur divulgation ne saurait être entravée par ladite exception. En ce qui concerne le motif de refus de divulgation opposé par les autorités françaises sur base de l’exception relative à la protection des objectifs des activités d’enquête, prévue au troisième tiret de l’article 4(2), la Commission relève que la procédure de notification a été clôturée sans suite. La Commission n’a en effet pas ouvert d’enquête en vue d’une procédure d’infraction, suite à l’adoption et à la publication, au Journal officiel de la République française du 9 juillet 2014, de la loi française résultant du projet notifié. Or en vertu de la jurisprudence, il est constant que la Commission ne saurait se contenter d’invoquer l’ouverture éventuelle d’une procédure en manquement pour justifier, au titre de la protection de l’intérêt public, un refus d’accès à l’ensemble des documents visés par la demande d’un citoyen […]Dès lors, étant donné qu’il n’existe aucune enquête en cours, l’applicabilité de l’exception susmentionnée, à ce stade, parait purement hypothétique et son invocation semble, par conséquent, à première vue, comme non fondée en la circonstance. »

33      Ainsi, la Commission a, de toute évidence, fondé la décision attaquée sur l’arrêt Allemagne/Commission, point 31 supra (EU:T:2012:75).

34      Or, il semble incertain que le raisonnement, extensif, développé dans ledit arrêt du Tribunal, en ce qu’il a permis à la Commission d’examiner, ne serait‑ce que prima facie, le bien‑fondé de la motivation avancée par la République française au soutien de son opposition à une divulgation des documents litigieux, puisse être considéré comme cohérent avec l’arrêt IFAW Internationaler Tierschutz‑Fonds/Commission, point 30 supra (EU:C:2012:376), aux termes mêmes duquel « il n’appartient pas à l’institution saisie » d’effectuer un contrôle de la décision d’opposition de l’État membre concerné « qui irait au‑delà de la vérification de la simple existence d’une motivation faisant référence aux exceptions visées à l’article 4, paragraphes 1 à 3, du règlement no 1049/2001 ».

35      À cet égard, force est de relever que l’arrêt Allemagne/Commission, point 31 supra (EU:T:2012:75), s’il a acquis l’autorité de la chose jugée, est antérieur à l’arrêt IFAW Internationaler Tierschutz‑Fonds/Commission, point 30 supra (EU:C:2012:376). Par conséquent, le Tribunal ne pouvait évidemment pas tenir compte, dans la formulation de son approche extensive, de l’approche apparemment plus restrictive élaborée par la Cour. Par ailleurs, la Cour n’a pas eu l’occasion de se prononcer, entre‑temps, sur cette évolution jurisprudentielle. Elle n’a, notamment, pas encore examiné la question de savoir si l’approche du Tribunal pourrait éventuellement être rendue compatible avec celle de la Cour grâce à l’interprétation de la condition, établie par cette dernière, selon laquelle l’opposition exprimée par l’État membre doit être « dûment motivée » (arrêts Suède/Commission, point 26 supra, EU:C:2007:802, point 99, et IFAW Internationaler Tierschutz‑Fonds/Commission, point 30 supra, EU:C:2012:376, point 64).

36      Le juge des référés ne peut donc que constater que le débat mené entre les parties révèle l’existence, au stade de la procédure de référé, d’une controverse juridique importante dont la solution ne s’impose pas d’emblée, mais qui mérite un examen approfondi à effectuer par le juge du fond.

37      Au demeurant, même à supposer que la Commission ait été autorisée à procéder à l’examen prima facie du bien‑fondé de la motivation avancée par la République française au soutien de son opposition à une divulgation des documents litigieux, il ne semble pas, à première vue, que la Commission soit fondée à estimer, dans la décision attaquée, que les justifications avancées par la République française sur le fondement des exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 2, deuxième et troisième tirets, du règlement no 1049/2001 sont manifestement dénuées de toute pertinence.

38      À cet égard, il convient de relever que, le juge des référés devant exercer un contrôle prima facie au regard de la décision attaquée dans laquelle la Commission a, elle aussi, procédé à un examen prima facie du bien‑fondé des motifs avancés par la République française, l’appréciation de cette problématique implique un degré de contrôle doublement limité. Il s’ensuit que l’existence d’un fumus boni juris ne pourrait être exclue que dans l’hypothèse où l’inapplicabilité des exceptions invoquées par la République française serait si claire et évidente que leur invocation équivaudrait à un abus de procédure de la part de la République française (voir, par analogie, ordonnance du 10 juin 2014, Stahlwerk Bous/Commission, T‑172/14 R, EU:T:2014:558, point 50).

39      Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

40      En effet, s’il est vrai que la mesure qui a fait l’objet de la procédure au titre de la directive 98/34 a été adoptée en juillet 2014 sous la forme de la loi française 2014‑779 et que ni la Commission ni la République d’Autriche n’a entrepris, jusqu’à présent, de démarche visant à enclencher une procédure juridictionnelle de manquement d’État à l’encontre de la République française, il ne saurait être catégoriquement exclu que ladite loi française fasse l’objet d’une plainte de la part d’un particulier, susceptible de déboucher sur une procédure juridictionnelle, au sens de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, que ce soit devant le juge de l’Union ou le juge national, et que la demande d’accès aux documents litigieux à laquelle la Commission a fait droit dans la décision attaquée tende à étoffer une telle plainte, d’autant que l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1049/2001 dispense le demandeur de toute obligation de justifier sa demande d’accès. Dans cette perspective, la procédure principale soulève la question importante de savoir si et, le cas échéant, pendant quelle période, la République française peut raisonnablement exiger que les documents litigieux reçoivent un traitement confidentiel afin d’éviter qu’ils soient exploités pour entamer une procédure judiciaire.

41      Du reste, cette même question semble également pertinente pour l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, en ce que l’exploitation des documents litigieux, redoutée par la République française, pourrait porter atteinte aux activités d’enquête accomplies par la Commission. Il est vrai que, dans son arrêt du 16 avril 2015, Schlyter/Commission (T‑402/12, Rec, sous pourvoi, EU:T:2015:209, points 53 et suivants), le Tribunal a considéré que la procédure prévue par la directive 98/34 ne relevait pas d’une activité d’enquête au sens de cette disposition. Cependant, ainsi que la République française le rappelle à juste titre, cet arrêt n’a pas encore acquis l’autorité de la chose jugée, puisqu’elle l’a frappé d’un pourvoi devant la Cour (affaire C‑331/15 P), ce que le juge du fond ne pourra pas ignorer.

42      De plus, le juge du fond sera appelé à examiner la cohérence de l’arrêt Schlyter/Commission, point 41 supra (EU:T:2015:209), avec l’arrêt du 25 septembre 2014, Spirlea/Commission (T‑306/12, Rec, sous pourvoi, EU:T:2014:816, point 45). Dans ce dernier arrêt, le Tribunal a considéré qu’une procédure de coopération spécifique entre la Commission et les États membres visant à résoudre d’éventuelles infractions au droit de l’Union de manière à éviter l’ouverture d’une procédure formelle en manquement pouvait être qualifiée d’activité d’enquête au sens de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001. Or, selon la République française, cette procédure de coopération est largement comparable à celle prévue par la directive 98/34, toutes deux présentant de fortes similitudes avec la phase précontentieuse d’une procédure en manquement. Enfin, le juge du fond devra se prononcer sur l’éventuelle pertinence, pour la solution du présent litige, de l’arrêt du 16 juillet 2015, ClientEarth/Commission (C‑612/13 P, Rec, EU:C:2015:486).

43      Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que la présente affaire soulève des questions juridiques inédites qui ne sauraient, à première vue, être considérées comme manifestement dénuées de pertinence, mais dont la solution mérite un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale.

44      Il y a donc lieu d’admettre l’existence d’un fumus boni juris en ce qui concerne le caractère confidentiel des documents litigieux.

45      Par ailleurs, la Commission a elle‑même reconnu que, dans une situation telle que celle de l’espèce, la décision de divulguer les documents litigieux devrait, en règle générale, être suspendue, à moins que le fumus boni juris soit totalement inexistant et que l’action juridictionnelle doive être qualifiée de manifestement abusive, ce qui ne saurait être prétendu en l’occurrence.

 Sur la mise en balance des intérêts

46      Selon une jurisprudence bien établie, la mise en balance des intérêts consiste pour le juge des référés à déterminer si l’intérêt de la partie qui sollicite les mesures provisoires à en obtenir l’octroi prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de l’acte litigieux, en examinant, plus particulièrement, si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l’exécution dudit acte serait de nature à faire obstacle à son plein effet, au cas où le recours principal serait rejeté (voir, en ce sens, ordonnances du 11 mai 1989, Radio Telefis Eireann e.a./Commission, 76/89 R, 77/89 R et 91/89 R, Rec, EU:C:1989:192, point 15, et du 26 juin 2003, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 R et C‑217/03 R, Rec, EU:C:2003:385, point 142).

47      S’agissant plus particulièrement de la condition selon laquelle la situation juridique créée par une ordonnance de référé doit être réversible, il y a lieu de noter que la finalité de la procédure de référé se limite à garantir la pleine efficacité de la future décision au fond [voir, en ce sens, ordonnance du 27 septembre 2004, Commission/Akzo et Akcros, C‑7/04 P(R), Rec, EU:C:2004:566, point 36]. Par conséquent, cette procédure a un caractère purement accessoire par rapport à la procédure principale sur laquelle elle se greffe (ordonnance du 12 février 1996, Lehrfreund/Conseil et Commission, T‑228/95 R, Rec, EU:T:1996:16, point 61), de sorte que la décision prise par le juge des référés doit présenter un caractère provisoire, en ce sens qu’elle ne saurait ni préjuger du sens de la future décision au fond ni la rendre illusoire en la privant d’effet utile (ordonnances du 17 mai 1991, CIRFS e.a./Commission, C‑313/90 R, Rec, EU:C:1991:220, point 24, et du 12 décembre 1995, Connolly/Commission, T‑203/95 R, Rec, EU:T:1995:208, point 16).

48      Il s’ensuit nécessairement que l’intérêt défendu par une partie à la procédure de référé n’est pas digne de protection lorsque cette partie demande au juge des référés d’adopter une décision qui, loin de présenter un caractère purement provisoire, aurait pour effet de préjuger du sens de la future décision au fond et de la rendre illusoire en la privant d’effet utile.

49      En l’espèce, le Tribunal sera appelé à statuer, dans le cadre du litige principal, sur le point de savoir si la décision attaquée – par laquelle la Commission a rejeté la demande de confidentialité de la République française et manifesté son intention de divulguer à un tiers les documents litigieux – doit être annulée pour méconnaissance de la nature confidentielle des documents litigieux au titre de l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 1049/2001. À cet égard, il est évident que, pour conserver l’effet utile d’un arrêt annulant la décision attaquée, la République française doit être en mesure d’éviter que la Commission ne procède prématurément à une divulgation desdits documents. Or, un arrêt d’annulation serait rendu illusoire et privé d’effet utile si la présente demande en référé était rejetée, ce rejet ayant pour conséquence de permettre à la Commission la divulgation immédiate des documents litigieux et donc de facto de préjuger du sens de la future décision au fond, à savoir un rejet du recours en annulation.

50      Il s’ensuit que l’intérêt à un rejet de la demande en référé doit céder devant l’intérêt défendu par la République française, d’autant plus que l’octroi du sursis à exécution sollicité ne reviendrait qu’à maintenir le statu quo pour une période limitée, alors que rien ne permet d’affirmer qu’une divulgation prématurée des documents litigieux répondrait à un besoin impérieux.

 Sur l’urgence

51      Selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve sérieuse qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours principal sans avoir à subir personnellement un préjudice de cette nature (voir ordonnance du 19 septembre 2012, Grèce/Commission, T‑52/12 R, Rec, EU:T:2012:447, point 36 et jurisprudence citée).

52      La présente demande en référé émanant de la République française, il convient de rappeler que les États membres sont responsables des intérêts considérés comme généraux sur le plan national. Par conséquent, ils peuvent en assurer la défense dans le cadre d’une procédure de référé et demander l’octroi de mesures provisoires en alléguant, notamment, que la mesure contestée risque de compromettre sérieusement l’accomplissement de leurs missions étatiques (voir, en ce sens, ordonnance Grèce/Commission, point 51 supra, EU:T:2012:447, point 37 et jurisprudence citée).

53      Il convient donc d’examiner si la République française est parvenue à établir qu’une exécution immédiate de la décision attaquée risquerait de lui causer un préjudice grave et irréparable du fait, notamment, qu’elle affecterait sérieusement l’accomplissement de ses missions étatiques.

54      Dans ce cadre, la République française fait valoir que, en cas de rejet de la demande en référé, l’arrêt rendu par le Tribunal au terme de la procédure principale serait privé de toute efficacité, ce qui lui causerait un préjudice grave et irréparable. En effet, dès que les documents litigieux seraient devenus publics, aucune mesure ne pourrait remettre les choses dans leur état antérieur.

55      Quant à la gravité du préjudice causé par une divulgation des documents échangés dans le cadre de la procédure prévue par la directive 98/34, la République française soutient que, même après la clôture de cette procédure, la publicité serait de nature à fermer la voie à une solution du conflit sensée et garante du droit, permettant difficilement aux décideurs politiques de revenir sur les positions adoptées et rendant une solution amiable impossible. En outre, selon la République française, la confiance nécessaire au dialogue entre la Commission et les États membres ne pourrait être rétablie si la confidentialité à laquelle l’État membre peut s’attendre était irrémédiablement perdue. Le nombre croissant de demandes d’accès venant du monde économique aux documents échangés entre la Commission et les États membres dans le cadre de la directive 98/34 aurait pour effet d’exercer une pression irrésistible sur l’espace de discussion qui s’établit dans le cadre de cette directive et priverait cette procédure de son efficacité.

56      La République française considère enfin que ce préjudice, dans la mesure où il ne saurait faire l’objet d’une réparation pécuniaire, est nécessairement irréparable.

57      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le préjudice allégué en l’espèce résulte de la divulgation d’informations prétendument confidentielles. Or, aux fins d’apprécier la nature grave et irréparable de ce préjudice, le juge des référés doit nécessairement partir de la prémisse selon laquelle les informations prétendument confidentielles le sont effectivement, conformément aux allégations formulées par la République française aussi bien dans le recours au fond que dans le cadre de la procédure de référé [voir, en ce sens, ordonnances Commission/Pilkington Group, point 21 supra, EU:C:2013:558, point 38, et du 28 novembre 2013, EMA/AbbVie, C‑389/13 P(R), EU:C:2013:794, point 38].

58      Par conséquent, il convient de considérer, pour les besoins du présent examen de l’urgence, que les documents litigieux revêtent un caractère confidentiel, conformément au raisonnement de la République française selon lequel leur divulgation violerait l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 1049/2001, en ce qu’elle s’est utilement référée aux exceptions visées à l’article 4, paragraphe 2, deuxième et troisième tirets, de ce règlement. Selon ce raisonnement de la République française, dont la pertinence doit être admise comme prémisse, la procédure prévue par la directive 98/34, qui relève d’une activité d’enquête au sens de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, dudit règlement, présente de fortes similarités avec la phase précontentieuse de la procédure en manquement, en ce qu’elle comporte une phase de dialogue entre l’État membre et la Commission ayant pour objectif de permettre une négociation et, le cas échéant, un rapprochement à l’amiable des positions divergentes en ce qui concerne la bonne application du droit de l’Union. Cet objectif ne pourrait être atteint que dans un climat de stricte confiance mutuelle entre la Commission et l’État concerné. Or, une divulgation de documents échangés lors de cette procédure ruinerait la confiance mutuelle et réduirait quasi à zéro toute chance de parvenir à un accord. Dans ces circonstances, une divulgation des documents litigieux, émis par la République française dans sa confiance légitime à ce que la Commission leur réserverait le traitement confidentiel requis, serait susceptible de porter atteinte à la stratégie de défense que cet État membre pourrait être amené à adopter dans une procédure juridictionnelle entamée, le cas échéant, à la suite d’une exécution immédiate de la décision attaquée par le tiers demandeur devant le juge national ou le juge de l’Union et ayant pour objet la conformité au droit de l’Union de la loi française 2014‑779 (voir point 40 ci‑dessus).

59      Il apparaît qu’une telle défense de la loi en question fait partie des missions étatiques dont est investie la République française et qu’une divulgation des documents litigieux porterait sérieusement atteinte à cette mission. Or, le juge des référés, obligé de partir de la prémisse qui vient d’être exposée, ne saurait nier la gravité du préjudice que la République française subirait en termes d’atteinte portée à l’accomplissement de ses missions étatiques.

60      Il en va de même du caractère irréparable de ce préjudice.

61      En effet, ainsi que la République française l’a relevé à juste titre, s’agissant de la divulgation d’informations dont la confidentialité doit être présumée, il est évident qu’une annulation postérieure, par le Tribunal, de la décision attaquée n’aurait pas pour effet d’éliminer le préjudice subi en raison de cette divulgation et ainsi de remettre les choses en leur état antérieur. Le préjudice allégué en l’espèce n’étant pas d’ordre pécuniaire, il ne saurait notamment être réparé par la voie d’une compensation financière grâce à une action indemnitaire dirigée contre la Commission (voir, en ce sens, ordonnance EMA/AbbVie, point 57 supra, EU:C:2013:794, points 45 et 46).

62      Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de constater que la condition relative à l’urgence est remplie en l’espèce, le risque de la survenance, pour la République française, d’un préjudice grave et irréparable étant établi à suffisance de droit.

63      Par ailleurs, la Commission reconnaît elle‑même que, compte tenu de la configuration procédurale particulière du présent contentieux – à savoir la divulgation immédiate des documents litigieux en cas de rejet de la demande en référé –, un préjudice grave et irréparable serait porté à la position procédurale de la République française. En effet, une divulgation de ces documents reviendrait à priver l’affaire principale de son objet et aurait nécessairement des effets définitifs excédant l’objet normal, provisoire, de la procédure de référé.

64      En conséquence, toutes les conditions étant réunies à cet effet, il y a lieu de faire droit à la demande de sursis à l’exécution de la décision attaqué.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Il est sursis à l’exécution de la décision GESTDEM 2014/6064 de la Commission européenne, du 21 avril 2015, concernant une demande confirmative d’accès à des documents en vertu du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, par laquelle la Commission a accordé l’accès à deux documents émanant des autorités françaises, qui lui avaient été transmis dans le cadre de la procédure prévue par la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 1er septembre 2015.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : le français.