Language of document : ECLI:EU:C:2012:490

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

19 juillet 2012 (*)

«Manquement d’État – Directive 2001/82/CE – Médicaments vétérinaires – Procédure décentralisée en vue de l’octroi d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament vétérinaire dans plusieurs États membres – Médicaments génériques similaires aux médicaments de référence déjà autorisés – Refus de validation de la demande par un État membre – Composition et forme du médicament»

Dans l’affaire C‑145/11,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 25 mars 2011,

Commission européenne, représentée par M. A. Marghelis, Mmes M. Šimerdová et O. Beynet, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République française, représentée par MM. G. de Bergues, S. Menez et Mme R. Loosli-Surrans, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, M. J. Malenovský (rapporteur), Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász et D. Šváby, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 mars 2012,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en refusant de valider deux demandes d’autorisation de mise sur le marché des médicaments vétérinaires CT-Line 15 % Premix et CT-Line 15 % Oral Powder dans le cadre de la procédure décentralisée prévue par la directive 2001/82/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires (JO L 311, p. 1), telle que modifiée par la directive 2004/28/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004 (JO L 136, p. 58, ci-après la «directive 2001/82»), la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 32 et 33 de cette directive.

 Le cadre juridique

2        Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 90/167/CEE du Conseil, du 26 mars 1990, établissant les conditions de préparation, de mise sur le marché et d’utilisation des aliments médicamenteux pour animaux dans la Communauté (JO L 92, p. 42):

«Les États membres prescrivent qu’un aliment médicamenteux pour animaux ne peut être fabriqué, pour ce qui est de la composante médicamenteuse, qu’à partir d’un prémélange médicamenteux autorisé.

Par dérogation au premier alinéa, les États membres peuvent [...]:

–        sous réserve de conditions spécifiques prévues par l’autorisation de mise sur le marché du prémélange médicamenteux autorisé, autoriser des produits intermédiaires qui sont préparés à partir d’un prémélange médicamenteux autorisé [...] et d’un ou de plusieurs aliments pour animaux et qui sont destinés à la fabrication ultérieure d’aliments médicamenteux prêts à l’emploi.

[...]

[...]»

3        L’article 1er de la directive 2001/82 prévoit:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

[...]

5)      prémélange pour aliments médicamenteux:

tout médicament vétérinaire préparé à l’avance en vue de la fabrication ultérieure d’aliments médicamenteux;

6)      aliments médicamenteux:

tout mélange de médicament(s) vétérinaire(s) et d’aliment(s) préparé préalablement à sa mise sur le marché et destiné à être administré aux animaux sans transformation, en raison des propriétés curatives ou préventives ou des autres propriétés du médicament [...];

[...]»

4        Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de ladite directive, celle-ci «s’applique aux médicaments vétérinaires, incluant les prémélanges pour aliments médicamenteux».

5        L’article 3, point 1, de la directive 2001/82 énonce que celle-ci ne s’applique pas aux aliments médicamenteux tels que définis par la directive 90/167.

6        L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/82 dispose:

«Aucun médicament vétérinaire ne peut être mis sur le marché d’un État membre sans qu’une autorisation de mise sur le marché n’ait été accordée par les autorités compétentes de cet État membre conformément à la présente directive ou qu’une autorisation de mise sur le marché n’ait été délivrée conformément au règlement (CE) n° 726/2004 [du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO L 136, p. 1)].

[...]»

7        Aux termes de l’article 12, paragraphes 1 et 3, point j), de cette directive:

«1.      En vue de l’octroi d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament vétérinaire ne relevant pas de la procédure instituée par le règlement [n° 726/2004], une demande doit être introduite auprès de l’autorité compétente de l’État membre concerné.

[...]

3.      Le dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché doit comprendre l’ensemble des informations administratives et de la documentation scientifique nécessaires pour démontrer la qualité, la sécurité et l’efficacité du médicament vétérinaire. Ce dossier doit être présenté conformément à l’annexe I et contenir en particulier les informations suivantes:

[...]

j)      résultats des essais:

–        pharmaceutiques (physico-chimiques, biologiques ou microbiologiques),

–        d’innocuité et d’études de résidus,

–        précliniques et cliniques,

–        tests évaluant les risques que le médicament pourrait présenter pour l’environnement. Cet impact est étudié et, au cas par cas, des dispositions particulières visant à le limiter sont envisagées».

8        L’article 13, paragraphe 1, de ladite directive prévoit:

«Par dérogation à l’article 12, paragraphe 3, premier alinéa, point j) [...], le demandeur n’est pas tenu de fournir les résultats des essais d’innocuité et d’études des résidus, ni des essais précliniques et cliniques s’il peut démontrer que le médicament est un générique d’un médicament de référence qui est ou a été autorisé au sens de l’article 5 depuis au moins huit ans dans un État membre ou dans la Communauté.»

9        Selon l’article 31, paragraphe 1, de la directive 2001/82:

«Il est institué un groupe de coordination en vue d’examiner toute question relative à l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament vétérinaire dans deux États membres ou plus, conformément aux procédures prévues au présent chapitre. [...]»

10      L’article 32 de cette directive énonce:

«1.      En vue de l’octroi d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament vétérinaire dans plus d’un État membre, le demandeur présente une demande basée sur un dossier identique dans ces États membres. Le dossier comprend l’ensemble des informations administratives et de la documentation scientifique et technique prévues aux articles 12 à 14. Les informations présentées contiennent également une liste des États membres concernés par la demande.

Le demandeur demande à l’un de ces États membres d’agir en qualité d’État membre de référence et de préparer un rapport d’évaluation concernant le médicament vétérinaire, conformément aux paragraphes 2 ou 3.

Le cas échéant, le rapport d’évaluation contient une analyse aux fins de l’article 13 ou de l’article 13 bis, paragraphe 3.

2.      Si le médicament vétérinaire a déjà reçu une autorisation de mise sur le marché au moment de la demande, le ou les États membres concernés reconnaissent l’autorisation octroyée par l’État membre de référence. [...]

3.      Si le médicament vétérinaire n’a pas reçu une autorisation de mise sur le marché au moment de la demande, le demandeur demande à l’État membre de référence de préparer un projet de rapport d’évaluation, un projet de résumé [des] caractéristiques du produit et un projet d’étiquetage et de notice. L’État membre de référence élabore ces projets dans un délai de 120 jours à compter de la réception de la demande valide et les transmet aux États membres concernés et au demandeur.

4.      Dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la réception des documents visés aux paragraphes 2 et 3, les États membres concernés approuvent le rapport d’évaluation, le résumé des caractéristiques du produit, ainsi que l’étiquetage et la notice, et en informent l’État membre de référence. Ce dernier constate l’accord général, clôt la procédure et en informe le demandeur.

5.      Chaque État membre dans lequel une demande a été introduite conformément au paragraphe 1 adopte une décision en conformité avec le rapport d’évaluation, le résumé des caractéristiques du produit, l’étiquetage et la notice tels qu’approuvés, dans un délai de trente jours à compter de la constatation de l’accord.»

11      Aux termes de l’article 33, paragraphes 1 à 4, de la directive 2001/82:

«1.      Si, dans le délai visé à l’article 32, paragraphe 4, un État membre ne peut approuver le rapport d’évaluation, le résumé des caractéristiques du produit, ainsi que l’étiquetage et la notice, en raison d’un risque potentiel grave pour la santé humaine ou animale ou pour l’environnement, il motive sa position de manière détaillée et communique ses raisons à l’État membre de référence, aux autres États membres concernés et au demandeur. Les éléments du désaccord sont immédiatement communiqués au groupe de coordination.

Au cas où un État membre auprès duquel une demande a été introduite invoque les motifs visés à l’article 71, paragraphe 1, il n’est plus considéré comme un État membre concerné aux fins du présent chapitre.

2.      La Commission adopte des lignes directrices qui définissent le risque potentiel grave pour la santé humaine ou animale ou pour l’environnement.

3.      Au sein du groupe de coordination, tous les États membres visés au paragraphe 1 déploient tous leurs efforts pour parvenir à un accord sur les mesures à prendre. Ils offrent au demandeur la possibilité de faire connaître son point de vue oralement ou par écrit. Si, dans un délai de soixante jours à compter de la communication des éléments de désaccord au groupe de coordination, les États membres parviennent à un accord, l’État membre de référence constate l’accord, clôt la procédure et en informe le demandeur. L’article 32, paragraphe 5, s’applique.

4.      Si, dans le délai de soixante jours, les États membres ne sont pas parvenus à un accord, l’Agence [européenne pour l’évaluation des médicaments] est immédiatement informée en vue de l’application de la procédure prévue aux articles 36, 37 et 38. Une description détaillée des questions sur lesquelles l’accord n’a pu se faire et les raisons du désaccord sont fournies à [cette Agence]. Une copie de ces informations est fournie au demandeur.»

12      L’annexe I de la directive 2001/82 énumère les exigences auxquelles doit être conforme le dossier accompagnant une demande d’autorisation de médicament vétérinaire. Le titre premier, deuxième partie, C, de cette annexe prévoit notamment que les monographies de la Pharmacopée européenne s’imposent pour tous les produits y figurant.

13      La monographie de la Pharmacopée européenne «Prémélanges pour aliments médicamenteux pour usage vétérinaire 01/2005:1037» prévoit que, sauf exception justifiée et autorisée, les instructions d’utilisation indiquent que la concentration du prémélange, présenté sous la forme de granulés ou de poudres dans l’aliment médicamenteux, est au minimum de 0,5 %.

 Les antécédents du litige et la procédure précontentieuse

14      Les produits CT-Line 15 % Premix et CT-Line 15 % Oral Powder sont des médicaments génériques à usage vétérinaire. Le premier de ceux-ci est un prémélange pour aliments médicamenteux dont le médicament de référence est le produit CTC 15 % Premix. Le second est une poudre orale dont le médicament de référence est le produit CTC 15 % Oral Powder. Ces deux médicaments de référence ont été autorisés en Irlande le 1er octobre 1988.

15      Le 10 mai 2007, la société Cyton a présenté des demandes d’autorisation relatives à ces médicaments génériques dans treize États membres, dont la France, dans le cadre de la procédure décentralisée prévue aux articles 32 et 33 de la directive 2001/82 (ci-après la «procédure décentralisée»). Cette société a choisi l’Irlande comme État membre de référence conformément à l’article 32, paragraphe 1, de cette directive.

16      Les autorités françaises ont refusé de valider ces demandes d’autorisation, c’est-à-dire de les considérer comme régulièrement déposées aux fins de l’application de la procédure décentralisée. S’agissant du produit CT-Line 15 % Premix, elles ont estimé que la demande d’autorisation relative à celui-ci ne pouvait être acceptée étant donné que le taux d’incorporation proposé pour ce produit était inférieur au taux prévu dans la Pharmacopée européenne. En ce qui concerne le produit CT‑Line 15 % Oral Powder, lesdites autorités ont justifié le refus de validation de la demande présentée par le fait que cette dernière indiquait que ledit produit devait être saupoudré sur l’alimentation, ce mode d’administration n’étant pas autorisé en France pour le traitement de bandes d’animaux.

17      Le 25 mai 2007, Cyton a décidé de retirer les demandes relatives auxdits médicaments qu’elle avait déposées auprès des autorités françaises. Les demandes déposées dans les autres États membres concernés ayant été validées, la procédure d’autorisation engagée dans ces derniers s’est poursuivie.

18      Le refus des autorités françaises de valider les demandes d’autorisation ayant donné lieu à une plainte, la Commission a adressé à la République française, le 6 juin 2008, une lettre de mise en demeure. Dans celle-ci, la Commission reprochait à cet État membre d’avoir utilisé la procédure de validation de la demande déposée conformément à l’article 32 de la directive 2001/82 pour soulever des questions relevant de l’évaluation scientifique. Selon la Commission, de telles questions ne doivent être abordées par un État membre concerné que dans le cadre de l’article 33, paragraphe 1, de la directive 2001/82 et aux fins de déclencher la procédure prévue aux articles 33 à 38 de cette directive.

19      Par une lettre du 12 août 2008, la République française a répondu à cette mise en demeure. Elle a confirmé avoir refusé de considérer les dossiers comme éligibles à la procédure décentralisée pour des motifs liés à la composition des médicaments en cause et au choix des formes pharmaceutiques présentées par le demandeur.

20      Le 26 juin 2009, la Commission a adressé à la République française un avis motivé auquel cet État membre a répondu le 23 septembre 2009. Le 12 mai 2010, ledit État membre a fait parvenir à la Commission une réponse complémentaire dans laquelle il a souligné que le refus de valider les deux demandes d’autorisation en cause était fondé sur des préoccupations de santé publique qui ne pouvaient être mises en exergue dans le cadre de l’évaluation prévue par la procédure décentralisée. Ledit État membre a indiqué, à cet égard, que les deux produits concernés étaient des médicaments génériques et que la procédure décentralisée ne lui donnait pas la possibilité de formuler des commentaires liés à l’étude de toxicité.

21      N’ayant pas été convaincue par les éléments avancés par la République française, la Commission a décidé de saisir la Cour du présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

22      La Commission soutient que le rejet des demandes d’autorisation relatives aux médicaments en cause est fondé sur des motifs scientifiques liés à la composition de ces médicaments et au choix des formes pharmaceutiques présentées par le demandeur.

23      Cependant, la phase de validation ne saurait, selon la Commission, inclure des évaluations juridiques ou scientifiques de la demande présentée. Il ressortirait de l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2001/82 que cette phase sert à vérifier que le dossier est identique à ceux déposés dans tous les États membres concernés, qu’il est complet et qu’il inclut la liste desdits États membres. Lors de la phase de validation, cette directive ne permettrait pas aux États membres concernés, pour refuser de valider une demande d’autorisation, d’invoquer des motifs autres que ceux figurant à cette disposition. Ces États ne pourraient pas, notamment, examiner le contenu des documents présentés, non plus que leur conformité aux exigences techniques et scientifiques.

24      Une telle conclusion découlerait du raisonnement suivi par la Cour dans l’arrêt du 16 octobre 2008, Synthon (C-452/06, Rec. p. I-7681), qui concernait la procédure de reconnaissance mutuelle prévue par la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67) (ci-après la «procédure de reconnaissance mutuelle»), raisonnement qui s’appliquerait, par analogie, à la présente affaire, dès lors que cette procédure et la procédure décentralisée seraient fondées sur les mêmes principes.

25      Dans ce contexte, la Commission souligne que l’évaluation des documents présentés par le demandeur a été effectuée par l’État membre de référence choisi par celui-ci, en l’espèce, l’Irlande.

26      La République française soutient que, en refusant de valider les deux demandes d’autorisation concernées, les autorités compétentes n’ont pas manqué aux obligations qui leur incombaient en vertu des articles 32 et 33 de la directive 2001/82.

27      Premièrement, les motifs pour lesquels ces demandes ont été considérées comme invalides seraient fondés. En effet, il résulterait de la demande d’autorisation relative au produit CT-Line 15 % Premix que la composition de ce médicament, en ce qu’elle prévoit un taux d’incorporation à l’alimentation inférieur au taux minimal prévu par la Pharmacopée européenne, impliquerait le recours à des produits intermédiaires non autorisés en France. Or, il résulterait de l’article 3 de la directive 90/167 que le recours à de tels produits intermédiaires constitue une dérogation au principe selon lequel un aliment médicamenteux ne peut être fabriqué qu’à partir d’un prémélange médicamenteux autorisé et que les États membres ont la faculté d’autoriser ou non ces produits. Les autorités françaises auraient choisi de ne pas autoriser ces produits intermédiaires et, par conséquent, un prémélange médicamenteux qui impliquerait la fabrication de tels produits ne pourrait être autorisé en France.

28      En ce qui concerne le produit CT-Line 15 % Oral Powder, il résulterait de la demande d’autorisation relative à ce médicament qu’il doit être saupoudré directement sur l’alimentation. Cependant, un tel mode d’administration, qui aboutirait à la fabrication d’un aliment médicamenteux, serait incompatible avec les dispositions combinées des articles 3 de la directive 90/167 et 3, paragraphe 1, de la directive 2001/82, selon lesquelles un aliment médicamenteux ne peut être fabriqué qu’à partir d’un prémélange autorisé par cette dernière directive. En effet, si l’article 3 de la directive 90/167 prévoit une dérogation à cette règle de fabrication des aliments médicamenteux pour les produits intermédiaires, il n’en prévoirait aucune en ce qui concerne le saupoudrage direct du produit concerné sur l’alimentation.

29      Deuxièmement, la République française estime que la procédure décentralisée permet aux autorités compétentes d’invoquer les motifs susmentionnés au stade de la validation de la demande d’autorisation. En effet, contrairement à ce que soutient la Commission, cette procédure ne ferait pas obstacle à ce que des motifs tenant à la «conformité juridique» d’une demande d’autorisation d’un médicament vétérinaire soient opposés à ce stade. Or, les motifs invoqués par les autorités françaises seraient, effectivement, relatifs à la conformité juridique de la demande d’autorisation et non, comme le prétend la Commission, à l’évaluation scientifique du produit concerné. En outre, la Commission soutiendrait à tort que lesdites autorités auraient dû recourir à la procédure prévue à l’article 33, paragraphe 1, de la directive 2001/82, dès lors que cette procédure serait réservée au débat scientifique relatif aux risques présentés par le médicament vétérinaire concerné.

30      À cet égard, la République française fait valoir que, si les exigences prévues aux articles 3, paragraphe l, de la directive 90/167 et 3, paragraphe l, de la directive 2001/82 obéissent à des motifs de santé publique, de telles exigences ne sauraient pour autant être soumises à un débat scientifique dans le cadre de l’article 33 de la directive 2001/82. En effet, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 33, paragraphe 1, de cette directive, les débats d’ordre scientifique relatifs aux risques potentiels graves présentés par un médicament vétérinaire ne pourraient avoir lieu s’il subsiste un doute quant à la conformité au droit de l’Union ou au droit national de la demande d’autorisation du médicament concerné.

31      Troisièmement, en ce qui concerne la référence à l’arrêt Synthon, précité, qui porte sur la procédure de reconnaissance mutuelle, la République française considère que le raisonnement suivi par la Cour dans cet arrêt ne peut être appliqué à la présente affaire, qui concerne la procédure décentralisée.

 Appréciation de la Cour

32      Il convient d’emblée de constater que, dans la procédure décentralisée, applicable en l’espèce, les obligations des États membres sont strictement encadrées par l’article 32 de la directive 2001/82.

33      À cet égard, il ressort de l’article 32, paragraphe 1, de cette directive qu’une demande d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament vétérinaire soumise dans le cadre de la procédure décentralisée doit être considérée comme valide lorsqu’elle est fondée sur un dossier identique dans chacun des États membres concernés par la demande, lorsque ce dossier comprend l’ensemble des informations administratives et de la documentation scientifique et technique prévues aux articles 12 à 14 de la directive 2001/82 et lorsque les informations présentées contiennent une liste de ces États membres.

34      Ces exigences visent à assurer le respect des aspects formels d’une telle demande. En effet, conformément à l’article 32, paragraphe 3, de la directive 2001/82, l’évaluation des documents présentés par le demandeur est effectuée par l’État membre de référence qui est choisi par le demandeur. Cet État membre doit préparer le rapport d’évaluation et les États membres concernés ont l’obligation d’approuver ce rapport à moins qu’ils n’invoquent un risque potentiel grave pour la santé humaine ou animale ou pour l’environnement, ainsi que le prévoient les articles 32, paragraphe 4, et 33, paragraphe 1, de ladite directive.

35      Étant donné que le libellé de la directive 2001/82 ne contient aucune indication selon laquelle un État membre pourrait conditionner la validation de ladite demande au respect d’exigences supplémentaires, il y a lieu de considérer que la liste des exigences formelles énumérées au point 33 du présent arrêt a un caractère exhaustif.

36      Par conséquent, si une telle demande est conforme auxdites exigences, l’État membre concerné est tenu de la valider.

37      Cette conclusion est confirmée par les objectifs poursuivis par la directive 2001/82. En effet, une autre approche priverait les dispositions relatives à la procédure décentralisée de leur effet utile, puisque, si un État membre appelé à autoriser un médicament pouvait conditionner la validation de la demande qui lui est présentée à des exigences non prévues par la directive 2001/82, cela reviendrait à priver d’intérêt la procédure décentralisée instituée par le législateur de l’Union et à compromettre sérieusement la réalisation des objectifs visés par ladite directive, au nombre desquels figure, en particulier, la libre circulation des médicaments dans le marché intérieur.

38      Ladite conclusion est, par ailleurs, corroborée par l’arrêt Synthon, précité, dont il découle que les États membres ne peuvent refuser de valider une demande de reconnaissance mutuelle que pour des motifs énumérés à l’article 28 de la directive 2001/83 (voir, en ce sens, arrêt Synthon, précité, points 27 et 28).

39      Or, s’il est vrai que cet arrêt porte sur la procédure de reconnaissance mutuelle prévue par la directive 2001/83 et sur l’article 28 de cette directive, alors que la présente affaire concerne la procédure décentralisée prévue par la directive 2001/82 et l’article 32 de cette dernière, il convient, toutefois, de relever, d’une part, que ces deux directives visent le même objectif, à savoir assurer la libre circulation des médicaments dans le marché intérieur, et, d’autre part, que les articles 28 de la directive 2001/83 et 32 de la directive 2001/82 sont rédigés en termes similaires. Dans ces conditions, l’interprétation de l’article 28 de la directive 2001/83 donnée par la Cour dans ledit arrêt est transposable, par analogie, à l’article 32 de la directive 2001/82, contrairement à ce que soutient la République française.

40      En l’espèce, cet État membre ne conteste pas que les demandes d’autorisation de mise sur le marché des médicaments vétérinaires CT-Line 15 % Premix et CT-Line 15 % Oral Powder étaient conformes aux exigences rappelées au point 33 du présent arrêt.

41      Dans ces conditions, ainsi qu’il découle du point 36 du présent arrêt, il convient de constater que les autorités françaises compétentes étaient tenues de valider ces demandes.

42      Cette conclusion n’est pas infirmée par l’argument de la République française selon lequel ces autorités pouvaient refuser de valider lesdites demandes au motif qu’elles ne respectaient pas l’exigence d’une «conformité juridique» avec le droit national et le droit de l’Union.

43      En effet, ainsi qu’il résulte du libellé de l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2001/82, chacune des exigences énumérées à cette disposition et celles-ci prises ensemble ne visent qu’à assurer le respect des aspects formels des demandes, afin que ces dernières soient présentées d’une manière complète et identique dans tous les États membres concernés. En revanche, ces exigences ne portent pas sur le contenu des documents présentés. Ainsi, ces dernières doivent être interprétées comme ne permettant pas aux États membres concernés de se prévaloir, lors de la phase de validation des demandes, de motifs de fond, quelle que soit leur nature. De tels motifs ne sont susceptibles d’être invoqués, ainsi qu’il a été rappelé au point 34 du présent arrêt, que dans le cadre de la procédure prévue à l’article 33 de la directive 2001/82, c’est-à-dire postérieurement à la phase de validation.

44      Étant donné que le motif invoqué par les autorités françaises compétentes porte sur le contenu des documents présentés et comporte des éléments d’évaluation de fond, l’argument de la République française doit être écarté.

45      La conclusion figurant au point 41 du présent arrêt n’est pas davantage infirmée par l’argument de cet État membre selon lequel le refus de validation était justifié au motif que les autorités compétentes auraient été empêchées d’invoquer des motifs liés à la protection de la santé publique dans le cadre de la procédure décentralisée, dès lors que les produits concernés étaient des médicaments génériques et non des médicaments originaux.

46      À cet égard, il suffit de relever que la directive 2001/82 n’établit pas de différence, en ce qui concerne les exigences rappelées au point 33 du présent arrêt, entre les médicaments originaux et les produits génériques. Conformément à l’article 13, paragraphe 1, de ladite directive, la distinction opérée entre ces deux types de produits ne porte que sur les documents devant être joints à la demande d’autorisation.

47      Par conséquent, ledit argument doit également être écarté.

48      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en refusant de valider deux demandes d’autorisation de mise sur le marché des médicaments vétérinaires CT-Line 15 % Premix et CT-Line 15 % Oral Powder dans le cadre de la procédure décentralisée prévue par la directive 2001/82, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 32 et 33 de cette directive.

 Sur les dépens

49      En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1)      En refusant de valider deux demandes d’autorisation de mise sur le marché des médicaments vétérinaires CT-Line 15 % Premix et CT-Line 15 % Oral Powder dans le cadre de la procédure décentralisée prévue par la directive 2001/82/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires, telle que modifiée par la directive 2004/28/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 32 et 33 de cette directive.

2)      La République française est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.