Language of document : ECLI:EU:C:2018:881

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

7 novembre 2018 (*)

« Manquement d’État – Directive 2006/123/CE – Articles 15 à 17 – Article 49 TFUE – Liberté d’établissement – Article 56 TFUE – Libre prestation des services – Système national de paiement mobile – Monopole »

Dans l’affaire C‑171/17,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 5 avril 2017,

Commission européenne, représentée par M. V. Bottka et Mme H. Tserepa-Lacombe, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Hongrie, représentée par MM. M. Z. Fehér et G. Koós, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de la septième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, Mme K. Jürimäe (rapporteure), MM. C. Lycourgos, E. Juhász et C. Vajda, juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : M. I. Illéssy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 mars 2018,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 juin 2018,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en introduisant et en maintenant en vigueur le système national de paiement mobile régi par la nemzeti mobil fizetési rendszerről szóló 2011. évi CC. törvény (Magyar Közlöny 2011/164) (loi n° CC de 2011, relative au système national de paiement mobile, ci-après la « loi n° CC ») et par le 356/2012. (XII. 13.) Korm. rendelet a nemzeti mobil fizetési rendszerről szóló törvény végrehajtásáról (décret gouvernemental n° 356/2012, portant exécution de la loi relative au système national de paiement mobile, ci-après le « décret gouvernemental n° 356/2012), la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 15, paragraphe 2, sous d), et de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36), ainsi que, à titre subsidiaire, en vertu des articles 49 et 56 TFUE.

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

2        Les considérants 8, 17, 70 et 72 de la directive 2006/123 énoncent :

« (8)      Les dispositions de la présente directive concernant la liberté d’établissement et la libre circulation des services ne devraient s’appliquer que dans la mesure où les activités en cause sont ouvertes à la concurrence, de manière à ce qu’elles n’obligent pas les États membres à libéraliser les services d’intérêt économique général ou à privatiser des entités publiques proposant de tels services, ni à abolir les monopoles existants pour d’autres activités ou certains services de distribution.

[...]

(17)      La présente directive ne vise que les services fournis en échange d’une contrepartie économique. Les services d’intérêt général ne sont pas couverts par la définition de l’article [57 TFUE] et ne relèvent donc pas du champ d’application de la présente directive. Les services d’intérêt économique général sont des services qui sont fournis en contrepartie d’une rémunération et entrent par conséquent dans le champ d’application de la présente directive. Toutefois, certains services d’intérêt économique général, notamment dans le domaine des transports, sont exclus du champ d’application de la présente directive et certains autres services d’intérêt économique général, par exemple ceux pouvant exister dans le domaine des services postaux, font l’objet d’une dérogation à la disposition sur la libre prestation des services établie par la présente directive. [...]

[...]

(70)      Aux fins de la présente directive, et sans préjudice de l’article [14 TFUE], des services ne peuvent être considérés comme des services d’intérêt économique général que s’ils sont fournis en application d’une mission particulière de service public confiée au prestataire par l’État membre concerné. L’attribution de cette mission devrait se faire au moyen d’un ou de plusieurs actes, dont la forme est déterminée par l’État membre concerné, et devrait définir la nature exacte de la mission attribuée.

[...]

(72)      Les services d’intérêt économique général sont chargés de missions importantes liées à la cohésion sociale et territoriale. Le processus d’évaluation prévu dans la présente directive ne devrait pas faire obstacle à l’accomplissement de ces missions. Les exigences requises pour accomplir de telles missions ne devraient pas être affectées par ledit processus ; en même temps, il convient de remédier aux restrictions injustifiées à la liberté d’établissement. »

3        L’article 1er de cette directive dispose :

« [...]

2.      La présente directive ne traite pas de la libéralisation des services d’intérêt économique général, réservés à des organismes publics ou privés, ni de la privatisation d’organismes publics prestataires de services.

3.      La présente directive ne traite pas de l’abolition des monopoles fournissant des services, ni des aides accordées par les États membres qui relèvent des règles [de l’Union] en matière de concurrence.

La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres de définir, conformément au droit [de l’Union], ce qu’ils entendent par services d’intérêt économique général, la manière dont ces services devraient être organisés et financés conformément aux règles relatives aux aides d’État ou les obligations spécifiques auxquelles ils doivent être soumis.

[...] »

4        L’article 2, paragraphe 2, de ladite directive dispose :

« La présente directive ne s’applique pas aux activités suivantes :

a)      les services d’intérêt général non économiques ;

[...]

i)      les activités participant à l’exercice de l’autorité publique conformément à l’article [51 TFUE] 

[...] »

5        L’article 4, point 7, de la même directive définit la notion d’« exigence » comme « toute obligation, interdiction, condition ou limite prévue dans les dispositions législatives, réglementaires ou administratives des États membres ou découlant de la jurisprudence, des pratiques administratives, des règles des ordres professionnels ou des règles collectives d’associations professionnelles ou autres organisations professionnelles adoptées dans l’exercice de leur autonomie juridique ».

6        L’article 15 de la directive 2006/123, intitulé « Exigences à évaluer », prévoit :

« 1.      Les États membres examinent si leur système juridique prévoit les exigences visées au paragraphe 2 et veillent à ce que ces exigences soient compatibles avec les conditions visées au paragraphe 3. Les États membres adaptent leurs dispositions législatives, réglementaires ou administratives afin de les rendre compatibles avec ces conditions.

2.      Les États membres examinent si leur système juridique subordonne l’accès à une activité de service ou son exercice au respect de l’une des exigences non discriminatoires suivantes :

[...]

d)      les exigences autres que celles relatives aux matières couvertes par la directive 2005/36/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO 2005, L 255, p. 22),] ou que celles prévues dans d’autres instruments [de l’Union], qui réservent l’accès à l’activité de service concernée à des prestataires particuliers en raison de la nature spécifique de l’activité ;

[...]

3.      Les États membres vérifient que les exigences visées au paragraphe 2 remplissent les conditions suivantes :

a)      non-discrimination : les exigences ne sont pas directement ou indirectement discriminatoires en fonction de la nationalité ou, en ce qui concerne les sociétés, de l’emplacement de leur siège statutaire ;

b)      nécessité : les exigences sont justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général ;

c)      proportionnalité : les exigences doivent être propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et d’autres mesures moins contraignantes ne doivent pas permettre d’atteindre le même résultat.

4.      Les paragraphes 1, 2 et 3 ne s’appliquent à la législation dans le domaine des services d’intérêt économique général que dans la mesure où l’application de ces paragraphes ne fait pas échec à l’accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui leur a été confiée.

[...] »

7        L’article 16, paragraphe 1, de cette directive est libellé comme suit :

« Les États membres respectent le droit des prestataires de fournir des services dans un État membre autre que celui dans lequel ils sont établis.

L’État membre dans lequel le service est fourni garantit le libre accès à l’activité de service ainsi que son libre exercice sur son territoire.

Les États membres ne peuvent pas subordonner l’accès à une activité de service ou son exercice sur leur territoire à des exigences qui ne satisfont pas aux principes suivants :

a)      la non-discrimination : l’exigence ne peut être directement ou indirectement discriminatoire en raison de la nationalité ou, dans le cas de personnes morales, en raison de l’État membre dans lequel elles sont établies ;

b)      la nécessité : l’exigence doit être justifiée par des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de santé publique ou de protection de l’environnement ;

c)      la proportionnalité : l’exigence doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. »

8        L’article 17, point 1, de ladite directive dispose que l’article 16 de cette dernière ne s’applique pas aux services d’intérêt économique général (ci-après les « SIEG ») qui sont fournis dans un autre État membre notamment dans les secteurs cités à cet article 17, point 1.

B.      Le droit hongrois

1.      La loi n° CC

9        La loi n° CC a modifié le cadre juridique des services de paiement mobile avec effet au 1er avril 2013, mais avec effet obligatoire uniquement à partir du 2 juillet 2014.

10      L’article 1er, sous d), de cette loi dispose :

« Aux fins de la présente loi, on entend par :

[...]

d)      système de paiement mobile : tout système dans lequel le client achète le service par l’intermédiaire d’un système de commercialisation électronique accessible sans rattachement à un point fixe, à l’aide d’un moyen de télécommunication, d’un dispositif numérique ou d’un autre outil informatique ».

11      L’article 2 de ladite loi énonce :

« Est réputé être un service faisant l’objet d’une commercialisation centralisée et mobile

a)      le service public de stationnement (parking) conformément à la loi relative à la circulation routière ;

b)      la mise à disposition du réseau routier à des fins de circulation en contrepartie d’une redevance d’utilisation ou d’un péage ;

c)      le service de transport de voyageurs fourni par un prestataire majoritairement contrôlé par l’État ou par une administration locale, sous forme de service public,

[...]

d)      tout service ne relevant pas des catégories énumérées aux points a) à c) ci-dessus, fourni par un organisme majoritairement contrôlé par l’État ou par une administration locale, sous forme de service public. »

12      L’article 3 de la même loi prévoit :

« (1)      Le prestataire est tenu de garantir la commercialisation du service qui fait l’objet d’une commercialisation centralisée et mobile – à l’exception du service visé à l’article 2, sous d) – via un système de paiement mobile.

(2)      Le prestataire satisfait à l’obligation qui lui incombe en vertu du paragraphe 1 en faisant appel au système national uniforme (ci-après le système national de paiement mobile) exploité par l’organisme désigné par le gouvernement (ci-après l’organisme national de paiement mobile),

a)      détenu à 100 % par l’État, ou

b)      détenu à 100 % par un organisme lui-même contrôlé à 100 % par l’État.

(3)      Si le prestataire commercialise le service visé à l’article 2, sous d), via un système de paiement mobile, il ne peut procéder à cette commercialisation qu’en recourant au système national de paiement mobile.

(4)      L’exploitation du système national de paiement mobile est un service public au sujet duquel le ministre chargé de l’informatique et l’organisme national de paiement mobile concluent entre eux un accord de service public.

(5)      L’exploitation du système national de paiement mobile est une activité économique exclusive de l’État, que l’organisme national de paiement mobile mène à bien sans qu’un contrat de concession soit conclu.

[...] »

2.      Le décret gouvernemental n° 356/2012

13      Le décret gouvernemental n° 356/2012, entré en vigueur le 1er avril 2013, contient les dispositions d’exécution de la loi n° CC.

14      L’article 8 de ce décret dispose :

« (1)      Sauf disposition contraire, la redevance à payer par le client en tant que redevance pour le produit de paiement mobile correspond à la redevance que le client devrait payer s’il avait acheté le service en ne passant pas par le système national de paiement mobile. Le prestataire peut encourager l’acquisition de la prestation en tant que produit de paiement mobile au moyen de ristournes.

(2)      Outre la redevance pour le produit de paiement mobile conformément au paragraphe 1, le client paie à l’organisme national de paiement mobile une redevance de confort du montant indiqué ci-dessous, pour les services précisés :

a)      50 forints [hongrois (HUF)] par transaction dans le cadre de la commercialisation du service public de stationnement (parking),

b)      50 [HUF] par transaction dans le cadre de la commercialisation du droit d’utilisation visé à l’article 33/A de la loi n° I de 1988 sur la circulation routière,

[...]

(3)      L’organisme national de paiement mobile facture la redevance de confort – si l’achat du service faisant l’objet d’une commercialisation centralisée et mobile aboutit – au client en même temps que la redevance correspondant au service faisant l’objet d’une commercialisation centralisée et mobile.

[...] »

15      L’article 24/A, paragraphe 1, dudit décret prévoit :

« Outre la redevance pour le produit de paiement mobile conformément à l’article 8, paragraphe 1, le revendeur paie à l’organisme national de paiement mobile une redevance de confort du montant indiqué ci-dessous, pour les services précisés :

a)      40 [HUF] par transaction dans le cadre de la commercialisation du service public de stationnement (parking),

b)      0 [HUF] par transaction dans le cadre de la commercialisation du droit d’utilisation de routes conformément à l’article 33/A de la loi n° I de 1988 sur la circulation routière,

c)      0 [HUF] par transaction dans le cadre de la commercialisation du droit d’utilisation de routes conformément à la loi relative au péage,

d)      0 [HUF] par transaction dans le cadre de la commercialisation d’un titre de transport public,

e)      75 [HUF] par transaction dans le cadre des services visés à l’article 2, sous d), de la loi n° CC. »

16      L’article 31 du même décret concerne la redevance de revente. Son paragraphe 1 est libellé comme suit :

« La redevance de revente est calculée sur la base du montant hors [taxe sur la valeur ajoutée] de la redevance à payer par le client conformément à l’article 8, paragraphe 1, et fixée à :

a)      10 % dans le cadre de la commercialisation du service public de stationnement (parking),

b)      5 % dans le cadre de la commercialisation du droit d’utilisation de routes conformément à l’article 33/A de la loi n° I de 1988 sur la circulation routière,

c)      5 % dans le cadre de la commercialisation d’un titre de transport,

d)      5 % dans le cadre de la commercialisation du droit d’utilisation de routes conformément à la loi relative au péage. »

II.    La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour

17      Le 14 décembre 2012, constatant que l’application de la loi n° CC et du décret gouvernemental n° 356/2012 allait conduire à l’exploitation, par une entreprise unique, contrôlée par l’État, d’un système national de paiement mobile, dont l’utilisation est obligatoire, la Commission a ouvert la procédure « EU Pilot » n° 4372/12/MARK, dans le cadre de laquelle elle a envoyé à la Hongrie une demande d’informations. Les autorités hongroises ont répondu à cette demande le 22 février 2013.

18      Ayant jugé cette réponse insuffisante et estimant que, par l’adoption de l’article 3, paragraphes 2 à 5, de la loi n° CC, la Hongrie avait manqué à ses obligations au titre des articles 15 et 16 de la directive 2006/123 ainsi que des articles 49 et 56 TFUE, la Commission a, le 21 novembre 2013, adressé une lettre de mise en demeure à cet État membre.

19      Par une lettre du 22 janvier 2014, la Hongrie a répondu à cette lettre de mise en demeure. Elle a fait valoir, premièrement, que les États membres disposent d’une large marge de manœuvre dans la définition des SIEG, que la Commission ne peut remettre en question qu’en cas d’erreur manifeste. Le système national de paiement mobile en cause serait un SIEG, dès lors qu’il présente certaines caractéristiques spécifiques par rapport à des activités économiques ordinaires, qu’il est accessible à tous et que les seules forces du marché ne parvenaient pas à fournir ce service de manière satisfaisante. Deuxièmement, grâce à une standardisation permettant l’uniformisation, l’individualisation et l’interopérabilité, la Hongrie satisferait aux exigences en matière de systèmes de paiement mobile, qui ont notamment été définies par la Commission dans son livre vert intitulé « Vers un marché européen intégré des paiements par carte, par Internet et par téléphone mobile » [COM(2011) 941 final]. Troisièmement, ce serait dans l’intérêt général, et non pour des raisons économiques, que cet État membre a soustrait les services offerts par la plateforme en cause au jeu de la concurrence. Le paiement mobile à l’emplacement de stationnement serait ainsi le seul mode de paiement qui permettrait un calcul de la redevance correspondant à la durée effective de stationnement. Quatrièmement, les prestataires privés qui offraient auparavant ce service n’auraient subi aucune perte que ledit État membre serait tenu de compenser, puisqu’ils pourraient continuer à exploiter de la même manière, en tant que revendeurs, ladite plateforme et l’infrastructure qu’ils avaient mises en place. Cinquièmement, ce ne serait qu’à travers une plateforme centrale, nationale et fondée sur un droit exclusif, qu’il serait possible de proposer un service uniforme et garanti aux clients. Sixièmement, la Hongrie fait valoir que le système national de paiement mobile en cause fonctionne comme un monopole fournissant des services. En vertu de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2006/123, un tel monopole échapperait au champ d’application de cette directive.

20      Le 11 juillet 2014, la Commission a émis un avis motivé dans lequel elle a maintenu la position qu’elle avait exprimée dans sa lettre de mise en demeure. La Hongrie a répondu à cet avis motivé par une lettre datée du 19 septembre 2014, en réitérant en substance les observations qu’elle avait formulées dans sa lettre du 22 janvier 2014.

21      N’étant pas satisfaite de la réponse des autorités hongroises, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

III. Sur le recours

A.      Observations liminaires

22      À titre liminaire, il y a lieu de relever que, depuis le 1er juillet 2014, Nemzeti Mobilfizetési Zrt., qui est intégralement détenue par Magyar Fejlesztési Bank, et à travers elle, par l’État hongrois, assure l’exploitation du système national de paiement mobile en cause, dont l’utilisation est obligatoire dans différents domaines d’application, à savoir le stationnement public, la mise à disposition du réseau routier à des fins de circulation, le transport de personnes par une entreprise étatique et les autres services offerts par un organisme étatique.

23      La Commission explique que la loi n° CC a créé un monopole national des services de paiement mobile, dans la mesure où Nemzeti Mobilfizetési Zrt. jouit d’un droit exclusif pour conclure des contrats avec les exploitants de parkings et pour vendre le droit d’utilisation du réseau routier. Il en résulterait une entrave à l’entrée sur le marché de gros des paiements mobiles, lequel aurait été ouvert précédemment à la concurrence.

24      Dans son recours, la Commission soutient, à titre principal, que, en raison de ce caractère restrictif, la loi n° CC et le décret gouvernemental n° 356/2012 instaurant un système national de paiement mobile enfreignent l’article 15, paragraphe 2, sous d), et l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2006/123. À titre subsidiaire, elle fait valoir que cette réglementation constitue une violation des articles 49 et 56 TFUE.

B.      Sur les dispositions applicables

1.      Argumentation des parties

25      S’agissant de l’applicabilité de la directive 2006/123, la Commission écarte la position soutenue par la Hongrie pendant la procédure précontentieuse, selon laquelle le système national de paiement mobile en cause serait devenu un SIEG qui ne relèverait pas du champ d’application de cette directive, conformément à l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de celle-ci.

26      Premièrement, l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de la directive 2006/123, lu en combinaison avec le considérant 8 de celle-ci, exclurait uniquement de cette directive les SIEG et les monopoles déjà existants. Or, la loi n° CC aurait accordé un droit exclusif à Nemzeti Mobilfizetési Zrt. après l’entrée en vigueur de ladite directive.

27      Deuxièmement, la Commission ne partage pas l’avis de la Hongrie selon lequel le service concerné peut être qualifié de SIEG. Néanmoins, même dans l’hypothèse où ce service pourrait être ainsi qualifié, la directive 2006/123 serait applicable, comme le confirmerait le fait qu’elle prévoit de nombreuses garanties et exceptions pour les SIEG, qui relèvent de son champ d’application. Ainsi, selon la Commission, l’article 16 de cette directive ne s’applique pas aux SIEG fournis dans un autre État membre, en vertu de l’article 17, point 1, de ladite directive. Par conséquent, s’il était établi qu’un service, tel que celui en cause, est un SIEG, l’article 15, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123 lui resterait applicable, de même que les articles 49 et 56 TFUE.

28      Troisièmement, la Commission soutient que la directive 2006/123 exclut de son champ d’application, en vertu de son article 2, sous a) et i), « les services d’intérêt général non économiques » et « les activités participant à l’exercice de l’autorité publique ». Toutefois, la Hongrie n’aurait pas nié que le service en cause constitue une activité économique et n’aurait pas non plus considéré que ce service participe à l’exercice de l’autorité publique.

29      Quatrièmement, la Commission fait valoir, par référence à la jurisprudence de la Cour, que, même si le service concerné devait, pour quelque raison que ce soit, effectivement être exclu du champ d’application de la directive 2006/123, la réglementation en cause devrait néanmoins respecter les articles 49 et 56 TFUE.

30      La Hongrie soutient que ni la directive 2006/123 ni les articles 49 et 56 TFUE ne sont applicables en l’espèce.

31      En effet, premièrement, l’exploitation du système national de paiement mobile en cause constituerait un SIEG. La Hongrie précise, à cet égard, que, en vertu de l’article 106, paragraphe 2, TFUE, de l’article 1er du protocole n° 26 sur les services d’intérêt général ainsi que de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2006/123, la définition des activités qui sont considérées comme constituant des SIEG relève de la compétence des États membres. La Hongrie rappelle, par ailleurs, en faisant référence à certaines communications de la Commission dans le domaine des aides d’État, que l’existence d’un SIEG requiert la présence de trois conditions, à savoir le fait que le service comporte des caractéristiques spécifiques par rapport aux autres activités économiques lui permettant d’être considéré comme constituant un SIEG, que le service est accessible à tous et que les seules forces du marché n’aboutissent pas à une fourniture satisfaisante de ce service.

32      Tout d’abord, la Commission ne contesterait pas que la deuxième de ces conditions est satisfaite.

33      Ensuite, en ce qui concerne la première de celles-ci, la Hongrie indique que le service de paiement mobile en cause est rattaché à l’utilisation de services publics, l’État ayant la responsabilité d’assurer que les usagers puissent accéder à ces services de manière uniforme, confortable, immédiate et abordable, indépendamment du lieu d’utilisation. Ce serait ainsi pour des raisons d’intérêt général et non pour des considérations économiques que la Hongrie aurait créé un système national de paiement mobile.

34      La Hongrie soutient également que le paiement mobile des redevances de stationnement ne saurait être considéré comme un service « de confort », ainsi que le soutiendrait la Commission. Il constituerait, au contraire, la seule solution prenant en compte les intérêts des utilisateurs, dans la mesure où ce moyen de paiement permettrait le calcul du montant de la redevance correspondant à la durée effective du stationnement. En tout état de cause, il ressortirait de l’arrêt du 12 février 2008, BUPA e.a./Commission (T‑289/03, EU:T:2008:29, point 188), que les prestations « de luxe » peuvent être qualifiées de SIEG.

35      Enfin, en ce qui concerne la troisième desdites conditions, la Hongrie soutient que le système antérieur ne permettait pas un fonctionnement satisfaisant du marché pour les consommateurs et pour les revendeurs, que ce soit en termes de conditions de marché ou de couverture géographique. Ainsi, cet État membre indique, notamment, que, avant la mise en place du système national de paiement mobile en cause, 23 exploitants de parkings ne proposaient pas le paiement mobile, si bien que l’affirmation de la Commission selon laquelle le plus gros opérateur du marché, EME Zrt., aurait été présent pendant l’année 2012 dans 90 % des parkings publics est inexacte.

36      Le système national de paiement mobile serait destiné à combler les lacunes du fonctionnement antérieur du marché. Il aurait pour objectif, d’une part, la mise en place d’une couverture de l’ensemble du territoire national et, d’autre part, la gestion de la plateforme technique par l’État hongrois, de la façon la plus optimale en termes de coûts et la plus uniforme possible. Le bon fonctionnement d’un système uniforme et interopérable exigerait la mise en place d’une plateforme unique dont la création ne serait possible que de façon centralisée, les opérateurs ne pouvant pas mettre en place une telle plateforme et n’ayant pas d’intérêt à le faire.

37      Deuxièmement, en ce qui concerne l’applicabilité de la directive 2006/123 à un SIEG, la Hongrie fait observer que cette directive se limite à prévoir qu’elle n’oblige pas les États membres à libéraliser les SIEG. Elle ne prévoirait pas qu’elle n’oblige pas les États membres à libéraliser les SIEG « existants ». L’argumentation de la Commission invoquée à ce sujet viderait de sa substance le droit des États membres de créer des SIEG.

38      La Hongrie maintient, dès lors, sa position selon laquelle, conformément à l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, les services en cause dans la présente affaire ne relèvent pas de son champ d’application. Une autre raison pour laquelle ladite directive ne serait pas applicable serait tirée du fait que, en vertu de son article 1er, paragraphe 3, elle ne traiterait pas de l’abolition des monopoles de services.

39      En tout état de cause, même si la directive 2006/123 était applicable, dans la mesure où le système national de paiement mobile en cause serait un SIEG, il conviendrait, conformément à l’article 15, paragraphe 4, de cette directive, de ne pas tenir compte de l’article 15, paragraphe 2, sous d), de celle-ci, invoqué par la Commission, car son application ferait échec à l’accomplissement de la mission qui a été confiée à ce système national.

2.      Appréciation de la Cour

40      Dans la mesure où le recours de la Commission est fondé, à titre principal, sur la violation des dispositions de la directive 2006/123 relatives à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services, il y a lieu de répondre, dans un premier temps, à l’argument de la Hongrie selon lequel cette directive ne serait pas applicable en l’occurrence, conformément à l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de ladite directive, pour apprécier, dans un second temps, si les articles 15 et 16 de celle-ci sont applicables au service de paiement mobile en cause.

a)      Sur l’applicabilité de la directive 2006/123

41      Aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2006/123, cette dernière ne traite pas de la libéralisation des SIEG, réservés à des organismes publics ou privés, ni de la privatisation d’organismes publics prestataires de services. Il ressort également de l’article 1er, paragraphe 3, de ladite directive que celle-ci ne traite pas de l’abolition des monopoles fournissant des services ni des aides accordées par les États membres qui relèvent des règles de l’Union en matière de concurrence.

42      À cet égard, le considérant 8 de la directive 2006/123 précise que les dispositions de cette directive ne devraient s’appliquer que dans la mesure où les activités en cause sont ouvertes à la concurrence, de manière à ce qu’elles n’obligent pas les États membres à libéraliser les SIEG ou à privatiser des entités publiques proposant de tels services, ni à abolir les monopoles existants pour d’autres activités ou certains services de distribution.

43      Il s’ensuit que, comme le soutient la Commission, l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de la directive 2006/123 ne vise à exclure du champ d’application de cette directive que les SIEG, réservés à des organismes publics ou privés, ou les monopoles qui, contrairement à ceux instaurés par la loi n° CC et le décret gouvernemental n° 356/2012, existaient à la date à laquelle ladite directive est entrée en vigueur.

44      En outre, s’il est vrai que l’article 2, paragraphe 2, sous a) et i), de la même directive exclut de son champ d’application les services d’intérêt général non économiques ainsi que les activités participant à l’exercice de l’autorité publique, il est constant que le service en cause ne relève d’aucune de ces catégories.

45      Partant, il y a lieu d’écarter les arguments de la Hongrie, tirés de ce que la loi n° CC et le décret gouvernemental n° 356/2012 échapperaient, en vertu de l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de la directive 2006/123, au champ d’application de cette dernière.

b)      Sur l’applicabilité des articles 15 et 16 de la directive 2006/123

46      Dans la mesure où la Commission demande à la Cour de constater que le système national de paiement mobile régi par la loi n° CC et par le décret gouvernemental n° 356/2012 est contraire à l’article 15, paragraphe 2, sous d), et à l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2006/123, il est nécessaire de déterminer si, comme le fait valoir la Hongrie, le service de paiement mobile en cause peut être qualifié de SIEG.

47      En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 56 de ses conclusions, la directive 2006/123 contient des dispositions spécifiques en ce qui concerne l’application de ces dispositions aux SIEG, à savoir, d’une part, son article 15, paragraphe 4, et, d’autre part, son article 17.

48      En vertu de l’article 1er du protocole n° 26 sur les services d’intérêt général, les États membres disposent d’un large pouvoir discrétionnaire pour fournir, faire exécuter et organiser les SIEG d’une manière qui réponde autant que possible aux besoins des utilisateurs.

49      Ainsi, les États membres sont en droit, dans le respect du droit de l’Union, de définir l’étendue et l’organisation de leurs SIEG en tenant compte en particulier d’objectifs propres à leur politique nationale. À cet égard, les États membres disposent d’un large pouvoir d’appréciation, lequel ne peut être remis en cause par la Commission qu’en cas d’erreur manifeste (arrêt du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission, C‑66/16 P à C‑69/16 P, EU:C:2017:999, points 69 et 70).

50      En particulier, dans le cadre de la directive 2006/123, ce pouvoir d’appréciation a été réaffirmé par le législateur de l’Union, à l’article 1er, paragraphe 3, second alinéa, de cette directive, lequel énonce que ladite directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres de définir, conformément au droit de l’Union, ce qu’ils entendent par SIEG, la manière dont ces services devraient être organisés et financés conformément aux règles relatives aux aides d’État ou les obligations spécifiques auxquelles ils doivent être soumis.

51      Selon la jurisprudence de la Cour, un service est susceptible de revêtir un intérêt économique général lorsque cet intérêt présente des caractères spécifiques par rapport à celui que revêtent d’autres activités de la vie économique (voir, en ce sens, arrêts du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova, C‑179/90, EU:C:1991:464, point 27 ; du 18 juin 1998, Corsica Ferries France, C‑266/96, EU:C:1998:306, point 45 ; du 23 mai 2000, Sydhavnens Sten & Grus, C‑209/98, EU:C:2000:279, point 75, ainsi que du 3 mars 2011, AG2R Prévoyance, C‑437/09, EU:C:2011:112, points 71 et 72).

52      En outre, le considérant 70 de la directive 2006/123 précise que, pour pouvoir être qualifié de SIEG, un service doit être fourni en application d’une mission particulière de service public confiée au prestataire par l’État membre concerné.

53      À cet égard, la Commission fait valoir que la Hongrie a commis une erreur manifeste d’appréciation en qualifiant le service de paiement mobile en cause de SIEG. Toutefois, il convient de constater que les éléments sur lesquels cette institution se fonde ne suffisent pas à priver cette qualification de son caractère plausible.

54      Il y a lieu de relever que la Commission fait essentiellement valoir que, préalablement à la création d’un monopole national des services de paiement mobile, ces services étaient déjà offerts par des opérateurs actifs sur le marché. Elle estime que ce marché fonctionnait de manière satisfaisante, tout en admettant l’existence de certains problèmes, tenant notamment à l’absence de plateforme uniforme standardisée et d’interopérabilité.

55      Or, la seule circonstance qu’un service qualifié de SIEG par un État membre soit déjà fourni par des opérateurs présents sur le marché concerné ne suffit pas à démontrer que cette qualification est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

56      En effet, comme la Commission le souligne elle-même en se référant au point 48 de la communication de la Commission relative à l’application des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État aux compensations octroyées pour les prestations de services d’intérêt économique général (JO 2012, C 8, p. 4), le fait qu’un service soit déjà fourni sur le marché, mais dans des conditions insatisfaisantes et incompatibles avec l’intérêt général, tel que le définit l’État membre concerné, est susceptible de justifier la qualification de ce service de SIEG.

57      Tel est notamment le cas lorsque cet État membre estime, dans le cadre de la marge d’appréciation qui lui appartient, que le marché ne permet pas de répondre aux objectifs de continuité et d’accès au service qu’il a définis.

58      Or, en l’occurrence, la Hongrie fait valoir que le système national de paiement mobile en cause, qu’elle qualifie de SIEG, vise à pallier l’incapacité du marché à assurer la couverture de ce service sur l’ensemble du territoire national, dans des conditions uniformes pour l’ensemble des utilisateurs dudit service. En couvrant l’ensemble du territoire national, le service de paiement mobile tend à être accessible à toute la population hongroise indépendamment de la rentabilité liée à la région desservie. En outre, ce système vise à assurer le paiement mobile de services revêtant un intérêt économique général, tels que le stationnement public et le transport public de personnes, et contribue donc à la satisfaction d’un intérêt économique général.

59      À cet égard, il y a lieu de constater que la Commission se borne à affirmer que, contrairement à ce que soutient la Hongrie, ce marché fonctionnait de manière satisfaisante et qu’il serait probablement conduit à se développer, sans toutefois fournir d’élément de nature à étayer ces affirmations.

60      Dans ces conditions, la Commission n’a apporté aucun élément susceptible de démontrer que ledit État membre avait commis une erreur manifeste d’appréciation en qualifiant ledit service de paiement mobile de SIEG.

61      Partant, aux fins de l’application, en l’occurrence, des dispositions de la directive 2006/123, il y a lieu de considérer que, s’agissant, premièrement, de la liberté d’établissement, la conformité de la réglementation hongroise concernée à la directive 2006/123 doit être appréciée en tenant compte de l’article 15, paragraphe 4, de cette directive.

62      À cet égard, il y a lieu, toutefois, de préciser que, contrairement à ce que fait valoir la Hongrie, cette disposition n’exclut pas automatiquement les SIEG du champ d’application de l’article 15 de la directive 2006/123. En effet, le paragraphe 4 de cet article 15 prévoit que les paragraphes 1, 2 et 3 dudit article ne s’appliquent à la législation dans le domaine des SIEG que dans la mesure où leur application ne fait pas échec à l’accomplissement, en droit comme en fait, de la mission particulière qui leur a été confiée.

63      S’agissant, deuxièmement, de la libre prestation des services, il convient de relever que, conformément à l’article 17, point 1, de la directive 2006/123, l’article 16 de cette directive ne s’applique pas aux services d’intérêt économique général qui sont fournis dans un autre État membre. Il convient dès lors d’examiner, comme le demande la Commission à titre subsidiaire, la réglementation hongroise en cause au regard de l’article 56 TFUE.

3.      Sur les griefs invoqués

a)      Argumentation des parties

64      La Commission considère que l’introduction et le maintien en vigueur du système national de paiement mobile en cause, en application de la loi n° CC et du décret gouvernemental n° 356/2012, violent l’article 15, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123 et l’article 56 TFUE.

65      Premièrement, s’agissant de l’effet restrictif de la loi n° CC et du décret gouvernemental n° 356/2012, la Commission considère que l’exploitation de ce système national de paiement mobile est devenue un monopole de l’État, excluant la possibilité pour les autres prestataires de paiement mobile et de téléphonie mobile d’exercer leur activité sur le marché concerné. L’introduction de ce système entraverait ainsi l’accès au marché de gros du paiement mobile, indépendamment des modalités de fourniture du service.

66      Deuxièmement, la Commission admet que certains des éléments avancés par la Hongrie au cours de la procédure précontentieuse pour justifier l’introduction dudit système national de paiement mobile, notamment la protection des consommateurs et des destinataires de services ainsi que la loyauté des transactions commerciales et la lutte contre la fraude, peuvent être considérés comme des raisons impérieuses d’intérêt général. La Commission estime, toutefois, que ces raisons ne sont pas de nature à justifier les restrictions induites par la loi n° CC, car elles ne satisfont pas aux exigences en matière de nécessité et de proportionnalité.

67      Troisièmement, pour ce qui est de la nécessité et de la proportionnalité, la Commission soutient que l’intervention de l’État hongrois n’était pas nécessaire. En effet, la nature insatisfaisante du fonctionnement antérieur du marché, tant en matière de stationnement public qu’en matière de mise à disposition du réseau routier à des fins de circulation, n’est nullement prouvée. Si la Commission ne nie pas que la standardisation présente certains avantages pour l’extension des services de paiement mobile, elle considère néanmoins que la création d’un monopole de l’État n’était pas la seule ni la meilleure manière d’atteindre cet objectif.

68      En outre, la Commission considère que l’intervention de l’État hongrois est disproportionnée. En effet, d’autres mesures moins restrictives auraient été de nature à résoudre les problèmes signalés par les autorités hongroises en ce qui concerne le fonctionnement du marché. Ainsi, notamment, la standardisation et l’interopérabilité auraient pu être atteintes par voie législative, tout en préservant la structure existante du marché. De même, un nouvel organisme appartenant à l’État aurait pu être institué, sans qu’il dispose de droits exclusifs. Il aurait également été possible de mettre en place un système de concessions pour l’exploitation de la plateforme du système national de paiement mobile en cause ou encore de ne créer un monopole que pour une durée limitée.

69      La Hongrie fait valoir que, conformément à l’article 106, paragraphe 2, TFUE, les articles 49 et 56 TFUE ne sont pas applicables. En outre, le système de paiement mobile concerné serait un monopole d’État qu’il conviendrait d’examiner sur la base de l’article 37 TFUE, et non pas sur la base des autres dispositions du traité FUE. Dans l’hypothèse où la Cour considérerait néanmoins que les articles 49 et 56 TFUE sont applicables, la Hongrie soutient que ces dispositions n’ont pas été violées.

70      En effet, premièrement, les règles relatives au système national de paiement mobile ne seraient pas discriminatoires, dès lors que la loi n° CC et le décret gouvernemental n° 356/2012 contiendraient des règles uniformes pour tous les prestataires se trouvant dans des situations comparables. La Hongrie précise, à ce titre, qu’il n’est possible d’évoquer l’existence de discriminations que si les entreprises sont soumises à des réglementations différentes selon leurs lieux d’origine ou d’établissement ou selon leur origine nationale ou étrangère.

71      Deuxièmement, les motifs avancés par la Hongrie en tant qu’objectif et justification du système national de paiement mobile en cause, notamment la protection des consommateurs et la loyauté des transactions commerciales ou la lutte contre la fraude, auraient été reconnus, par la jurisprudence de la Cour, en tant que raisons impérieuses d’intérêt général.

72      Troisièmement, la mise en place et le maintien dudit système national de paiement mobile auraient été nécessaires et seraient conformes au principe de proportionnalité.

73      Tout d’abord, la Hongrie fait valoir que, avant le 1er juillet 2014, le marché concerné ne fonctionnait pas de manière satisfaisante. L’ensemble du territoire national n’aurait pas été couvert et il n’y aurait eu ni interopérabilité ni exploitation sous forme de plateforme. Le marché aurait ainsi été constitué de systèmes fragmentés et fermés.

74      Ensuite, selon la Hongrie, la mise en place de ce système national de paiement mobile est de nature à stimuler la concurrence et à permettre la fourniture d’une prestation de services satisfaisante.

75      Enfin, la Hongrie rejette l’argument de la Commission selon lequel les systèmes fragmentés qui existaient antérieurement pourraient s’intégrer par le jeu d’obligations instituées par la réglementation, de la coopération ou de la concurrence sur le marché, en faisant remarquer que cette hypothèse n’est étayée par aucun exemple à l’échelle internationale. En tout état de cause, cet État membre souligne que, le service concerné relevant des collectivités locales, il aurait fallu recourir à des procédures de passation de marchés publics. Cela aurait eu pour effet, d’une part, la mise en place du système de paiement mobile des stationnements uniquement dans les endroits où le prestataire pouvait espérer obtenir des recettes importantes, si bien qu’une couverture de l’ensemble du territoire national n’aurait pu être assurée, et, d’autre part, que des prestataires différents se seraient vu attribuer les marchés par les différentes collectivités locales, ce qui aurait engendré une absence totale d’interopérabilité.

b)      Appréciation de la Cour

1)      Sur le grief tiré d’une violation de l’article 15, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123

76      Il convient de rappeler que les États membres sont tenus, en vertu de l’article 15, paragraphe 1, première phrase, de la directive 2006/123, d’examiner si leur système juridique prévoit une ou plusieurs des exigences visées à l’article 15, paragraphe 2, de cette directive et, dans l’affirmative, de veiller à ce que celles-ci soient compatibles avec les conditions de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité prévues à l’article 15, paragraphe 3, de ladite directive. Selon l’article 15, paragraphe 1, seconde phrase, de la même directive, les États membres doivent adapter leurs dispositions législatives, réglementaires ou administratives afin de les rendre compatibles avec ces conditions (arrêt du 30 janvier 2018, X et Visser, C‑360/15 et C‑31/16, EU:C:2018:44, point 129).

77      En premier lieu, la notion d’« exigence », figurant à l’article 15, paragraphe 2, de la directive 2006/123, doit être entendue, conformément à l’article 4, point 7, de cette directive, comme visant, notamment « toute obligation, interdiction, condition ou limite prévue dans les dispositions législatives, réglementaires ou administratives des États membres » (voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2018, X et Visser, C‑360/15 et C‑31/16, EU:C:2018:44, point 119).

78      Au rang des exigences devant ainsi être évaluées, figurent, notamment, ainsi qu’il résulte de l’article 15, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123, celles qui réservent l’accès à l’activité de service concernée à des prestataires particuliers en raison de la nature spécifique de l’activité concernée et qui ne sont ni relatives aux matières couvertes par la directive 2005/36 ni prévues dans d’autres instruments de l’Union.

79      En l’occurrence, il y a lieu de constater que, comme le fait valoir la Commission, le système national de paiement mobile régi par la loi n° CC et le décret gouvernemental n° 356/2012 constitue une exigence, au sens de l’article 15, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123. En effet, il est constant que ce système réserve l’accès à l’activité de fourniture de services de paiements mobile à Nemzeti Mobilfizetési Zrt., par l’institution d’un monopole au profit de cette entreprise publique, sans que ce monopole constitue une exigence relative aux matières couvertes par la directive 2005/36 ou une exigence prévue dans d’autres instruments de l’Union.

80      S’agissant, en deuxième lieu, des conditions cumulatives énumérées à l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123, celles-ci portent, premièrement, sur le caractère non discriminatoire des exigences concernées, qui ne peuvent être directement ou indirectement discriminatoires en fonction de la nationalité ou, en ce qui concerne les sociétés, en fonction de l’emplacement de leur siège statutaire, deuxièmement, sur leur caractère nécessaire, à savoir qu’elles doivent être justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général, et, troisièmement, sur leur proportionnalité, lesdites exigences devant être propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et d’autres mesures moins contraignantes ne devant pas permettre d’atteindre le même résultat.

81      À cet égard, il y a lieu de relever que, en l’occurrence, l’exigence instituée par la loi n° CC et le décret gouvernemental n° 356/2012 n’est pas de nature à satisfaire à la condition tenant à l’absence de mesures moins contraignantes pour atteindre l’objectif poursuivi.

82      En effet, il y a lieu de relever que la Hongrie a reconnu qu’il existait des mesures moins contraignantes et restrictives de la liberté d’établissement que celles découlant de la loi n° CC et du décret gouvernemental n° 356/2012, permettant d’atteindre les objectifs invoqués par le gouvernement hongrois tels que, par exemple, un système de concessions fondé sur une procédure ouverte à la concurrence en lieu et place du monopole confié à Nemzeti Mobilfizetési Zrt..

83      Les conditions énoncées à l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123 étant cumulatives, ce constat suffit pour établir le non-respect de cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 23 février 2016, Commission/Hongrie, C‑179/14, EU:C:2016:108, points 69 et 90).

84      En troisième lieu, il y a lieu de relever que, en vertu du paragraphe 4 de l’article 15 de la directive 2006/123, les paragraphes 1, 2 et 3 de cet article ne s’appliquent à la législation dans le domaine des SIEG que dans la mesure où l’application de ces paragraphes ne fait pas échec à l’accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui leur a été confiée.

85      Dans ce contexte, il convient donc d’interpréter ledit article 15 en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale imposant une exigence, au sens de son paragraphe 2, sous d), pour autant que ladite exigence est nécessaire à l’exercice, dans des conditions économiquement viables, de la mission particulière de service public qui est en cause (voir, en ce sens, arrêts du 3 mars 2011, AG2R Prévoyance, C‑437/09, EU:C:2011:112, point 76, et du 8 mars 2017, Viasat Broadcasting UK/Commission, C‑660/15 P, EU:C:2017:178, point 29).

86      Or, à cet égard, si le gouvernement hongrois se prévaut du fait que le service national de paiement mobile régi par la loi n° CC et le décret gouvernemental n° 356/2012 constitue un SIEG, ce gouvernement n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles il estimait que l’accomplissement de la mission particulière dont ce service a la charge nécessitait la création d’un monopole en conférant des droits exclusifs à Nemzeti Mobilfizetési Zrt., alors même qu’il a admis qu’il existait des mesures moins restrictives que l’institution de ce monopole, de nature à permettre l’accomplissement de cette mission, rendant ainsi impossible un contrôle, même marginal, par la Cour.

87      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de considérer que le grief tiré de la violation de l’article 15, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123 doit être accueilli. Il n’y a pas lieu, par conséquent, d’examiner le grief tiré de la violation de l’article 49 TFUE.

2)      Sur le grief tiré de la violation de l’article 56 TFUE

88      En premier lieu, il est de jurisprudence constante qu’une réglementation nationale, telle que la loi n° CC et le décret gouvernemental n° 356/2012, qui soumet l’exercice d’une activité économique à un régime d’exclusivité en faveur d’un seul opérateur public ou privé, constitue une restriction à la libre prestation des services (voir, en ce sens, arrêt du 23 février 2016, Commission/Hongrie, C‑179/14, EU:C:2016:108, point 164 et jurisprudence citée).

89      Cette restriction ne peut être justifiée, à moins qu’elle réponde à des raisons impérieuses d’intérêt général, qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif d’intérêt général qu’elle poursuit et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (voir, en ce sens, arrêt du 23 février 2016, Commission/Hongrie, C‑179/14, EU:C:2016:108, point 166 et jurisprudence citée).

90      À cet égard, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les motifs avancés par le gouvernement hongrois pour justifier la restriction à la libre prestation des services résultant de l’octroi d’un monopole à Nemzeti Mobilfizetési Zrt., il y a lieu de constater que, pour les raisons évoquées au point 82 du présent arrêt, la mesure concernée apparaît, en tout état de cause, disproportionnée, dès lors qu’il est constant qu’il existait des mesures moins contraignantes et restrictives de la libre prestation des services que celles découlant de la loi n° CC et du décret gouvernemental n° 356/2012 permettant d’atteindre les objectifs poursuivis.

91      S’agissant de l’argument de la Hongrie selon lequel, en vertu de l’article 106, paragraphe 2, TFUE, l’instauration du système de paiement mobile en cause échapperait à l’article 56 TFUE au motif que ce système constituerait un SIEG, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 106, paragraphe 2, TFUE, les entreprises chargées de la gestion de SIEG sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur est impartie.

92      À cet égard, conformément à la jurisprudence de la Cour, il incombe à l’État membre qui invoque l’article 106, paragraphe 2, TFUE de démontrer que l’ensemble des conditions d’application de cette disposition sont réunies (arrêt du 29 avril 2010, Commission/Allemagne, C‑160/08, EU:C:2010:230, point 126 et jurisprudence citée).

93      Or, ainsi qu’il a été relevé au point 86 du présent arrêt, le gouvernement hongrois n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles il estimait que l’accomplissement de la mission particulière dont le service concerné a la charge nécessitait la création d’un monopole en accordant des droits exclusifs à Nemzeti Mobilfizetési Zrt., alors même qu’il a admis qu’il existait des mesures moins restrictives que l’institution de ce monopole, de nature à permettre l’accomplissement de cette mission.

94      Il s’ensuit que l’argumentation de la Hongrie fondée sur l’article 106, paragraphe 2, TFUE doit être écartée.

95      En second lieu, en ce qui concerne l’argument de la Hongrie tiré de l’applicabilité en l’espèce de l’article 37 TFUE, il suffit de rappeler que cet article vise les échanges de marchandises et ne peut donc pas concerner un monopole de prestation de services qui n’a pas d’incidence sur les échanges de marchandises entre les États membres (voir, en ce sens, arrêts du 30 avril 1974, Sacchi, 155/73, EU:C:1974:40, point 10, et du 4 mai 1988, Bodson, 30/87, EU:C:1988:225, point 10).

96      Il découle des considérations qui précèdent qu’il y a lieu d’accueillir le grief tiré d’une violation de l’article 56 TFUE.

97      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en introduisant et en maintenant en vigueur le système national de paiement mobile régi par la loi n° CC et par le décret gouvernemental n° 356/2012, la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 15, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123 et de l’article 56 TFUE.

98      Le recours doit être rejeté pour le surplus.

IV.    Sur les dépens

99      En vertu de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. La Commission et la Hongrie ayant succombé chacune, respectivement, sur un ou plusieurs chefs de demande, il convient de décider qu’elles supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

1)      En introduisant et en maintenant en vigueur le système national de paiement mobile régi par la nemzeti mobil fizetési rendszerről szóló 2011. évi CC. törvény (loi n° CC de 2011, relative au système national de paiement mobile) et par le 356/2012. (XII. 13.) Korm. rendelet a nemzeti mobil fizetési rendszerről szóló törvény végrehajtásáról (décret gouvernemental n° 356/2012, portant exécution de la loi relative au système national de paiement mobile), la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 15, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur, et de l’article 56 TFUE.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La Commission européenne et la Hongrie supportent leurs propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : le hongrois.