Language of document : ECLI:EU:T:2012:421

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

13 septembre 2012(*)

« Concurrence – Abus de position dominante – Marché du whiskey irlandais – Décision de rejet d’une plainte – Défaut d’intérêt communautaire »

Dans l’affaire T‑119/09,

Protégé International Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni), représentée par Me D. Shefet, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. F. Castillo de la Torre, A. Biolan et Mme A. Antoniadis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Pernod Ricard SA, représentée par Mes A. Choffel et S. Hautbourg, avocats,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2009) 505 de la Commission, du 23 janvier 2009 (Affaire COMP/39414 – Protégé International/Pernod Ricard), prise en vertu de l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO L 123, p. 18), et rejetant, pour défaut d’intérêt communautaire, la plainte déposée par la requérante concernant des infractions à l’article 82 CE prétendument commises par Pernod Ricard,


LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de MM. A. Dittrich, président, M. Prek et Mme M. Kancheva (rapporteur), juges,

greffier : Mme J. Weychert, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er décembre 2011,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Protégé International Ltd, est une société de droit anglais prestataire de services de marketing. Parmi les clients au bénéfice desquels elle exerce son activité de conseil figurent les sociétés de droit anglais Lodestar Anstalt (ci-après « Lodestar ») et Avalon Group, Inc. (ci‑après « Avalon »). Celles-ci sont respectivement propriétaire et titulaire d’un contrat de licence portant sur les marques de whiskey irlandais Wild Geese, Wild Geese Rare Irish Whiskey et Wild Geese Irish Soldiers and Heroes.

2        L’intervenante, Pernod Ricard SA, est une société holding de droit français active dans le secteur de la production et de la distribution de spiritueux et de vins. Elle détient diverses filiales, dont la société de droit américain Austin Nichols & Co., Inc. (ci-après « Austin Nichols »), propriétaire de la marque Wild Turkey, et la société de droit irlandais Irish Distillers, productrice et fournisseuse de whiskey irlandais.

3        Entre 1997 et 2006, Lodestar a demandé l’enregistrement des marques Wild Geese, Wild Geese Rare Irish Whiskey et Wild Geese Irish Soldiers and Heroes auprès de diverses autorités nationales de propriété intellectuelle. Austin Nichols a, pour sa part, formé opposition à l’enregistrement de ces marques en faisant valoir l’existence d’un risque de confusion avec sa marque de whiskey américain Wild Turkey. Les procédures d’opposition ont été formées devant les autorités de propriété intellectuelle du Benelux, du Danemark, de la Grèce, de l’Irlande, de la Finlande et du Royaume-Uni ainsi que devant les autorités d’autres États tiers et devant l’Office d’enregistrement des marques et des dessins ou modèles de l’Union européenne.

4        Par ailleurs, au cours de l’année 2001, la requérante a engagé des négociations avec Irish Distillers en vue de la conclusion d’un contrat d’approvisionnement en whiskey irlandais. Les négociations entre les deux sociétés ont échoué et la requérante a, dès lors, conclu un accord d’approvisionnement avec un autre producteur de whiskey irlandais, la société Cooley Distillery.

5        Le 13 décembre 2006, la requérante a introduit une plainte auprès de la Commission des Communautés européennes sur la base de l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1). Cette plainte visait à dénoncer la prétendue violation de l’article 82 CE commise par l’intervenante.

6        Dans la plainte, la requérante a allégué, en premier lieu, que l’intervenante avait abusé de sa position dominante sur le marché du whiskey irlandais en entamant, par l’intermédiaire de sa filiale américaine Austin Nichols, des procédures d’opposition contre les marques Wild Geese, Wild Geese Rare Irish Whiskey et Wild Geese Irish Soldiers and Heroes. Elle a soutenu, en substance, que ces procédures n’avaient pour but que celui de retarder l’entrée sur le marché des produits vendus sous lesdites marques. En deuxième lieu, elle a fait valoir que l’intervenante avait abusé de sa position dominante en tentant de limiter, par le biais de sa filiale irlandaise Irish Distillers, la production et la vente de whiskey irlandais sous les marques Wild Geese et Wild Geese Rare Irish Whiskey. En particulier, la requérante a avancé qu’Irish Distillers avait essayé d’imposer, lors des négociations d’approvisionnement en 2001, une clause de territorialité afin de contrôler les territoires sur lesquels les produits de la requérante pouvaient être vendus. Or, le refus d’acceptation de cette clause par la requérante aurait entraîné l’échec des négociations entre les deux parties et l’aurait conduite à signer un contrat d’approvisionnement plus onéreux avec la société Cooley Distillery.

7        Par lettre du 5 mars 2007, l’intervenante a présenté ses observations sur la plainte.

8        Le 26 avril 2007, Lodestar et Avalon ont respectivement transmis à la requérante une procuration en vue de définir leurs situation et rapports juridiques. Il s’agit, notamment, de rapports qui existent, respectivement, depuis le 16 novembre 2000 avec Lodestar et depuis le 15 janvier 2001 avec Avalon. En particulier, par ladite procuration, Lodestar et Avalon ont donné pouvoir à la requérante pour « a) négocier les contrats de fourniture de whisky pour la production de whiskey irlandais sous les marques Wild Geese et Wild Geese Rare Irish Whiskey ; b) négocier tout autre contrat nécessaire à la production et à la commercialisation de Wild Geese et Wild Geese Rare Irish Whiskey ; c) assurer la défense des marques de whiskey Wild Geese et Wild Geese Rare Irish Whiskey, et d) ester en justice devant toute autorité ou juridiction nationale, communautaire ou internationale, afin d’assurer la protection des marques de whiskey Wild Geese et Wild Geese Rare Irish Whiskey ».

9        Par lettres des 27 avril, 27 juillet et 6 décembre 2007, et du 15 février 2008, la requérante a communiqué des renseignements complémentaires à la Commission.

10      Par lettre du 24 avril 2008, la Commission a informé la requérante, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) nº 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO L 123, p. 18), que, après un examen des éléments de fait et de droit avancés, elle estimait qu’il n’existait pas d’intérêt communautaire suffisant pour engager une enquête sur les infractions alléguées. La Commission a ensuite invité la requérante à présenter ses observations.

11      Par lettres des 4 juillet et 24 septembre 2008, la requérante a présenté ses observations.

12      Le 23 janvier 2009, la Commission a adopté la décision C (2009) 505 (Affaire COMP/39414 – Protégé International/Pernod Ricard), prise en vertu de l’article 7, paragraphe 2, du règlement nº 773/2004, par laquelle elle a rejeté la plainte de la requérante (ci-après la « décision attaquée »). En substance, la Commission a considéré qu’il n’existait d’intérêt communautaire suffisant pour poursuivre l’enquête ni en ce qui concerne l’allégation de la requérante relative aux procédures contentieuses de nature prétendument anticoncurrentielle ni en ce qui concerne l’allégation relative aux négociations ayant échoué sur le contrat d’approvisionnement de whiskey.

13      Les 8 et 9 octobre 2009, Avalon et Lodestar ont respectivement transmis à la requérante une procuration réitérant, en substance, le contenu des procurations transmises le 26 avril 2007.

 Procédure et conclusions des parties

14      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 mars 2009, la requérante a introduit le présent recours.

15      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 6 juillet 2009, Pernod Ricard a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission.

16      Par ordonnance du 12 janvier 2010, le président de la quatrième chambre du Tribunal a admis l’intervention de Pernod Ricard.

17      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 1er mars 2010, Pernod Ricard a déposé son mémoire en intervention au soutien des conclusions de la Commission.

18      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 26 avril 2010, la requérante a présenté ses observations sur le mémoire en intervention de Pernod Ricard.

19      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la septième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

20      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (septième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

21      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience qui s’est déroulée le 1er décembre 2011.

22      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler la décision attaquée.

23      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

24      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondé ;

–        condamner la requérante à supporter l’intégralité des dépens ainsi qu’à lui rembourser les frais qu’elle a dû exposer pour défendre ses intérêts dans le cadre de la présente procédure.

 En droit

 Sur la recevabilité

25      Sans formellement soulever une exception d’irrecevabilité, la Commission, soutenue par l’intervenante, conteste la recevabilité du recours. Elle fait valoir que le recours est manifestement irrecevable, car la requérante n’agirait pas en son nom propre, mais en tant que mandataire des sociétés Lodestar et Avalon. Elle agirait notamment sur la base de deux procurations visant des actions en justice liées à la protection des marques de ces deux sociétés et non des actions en justice devant le Tribunal en matière de droit de la concurrence. Partant, la requérante n’aurait pas d’intérêt à agir ou, à tout le moins, un tel intérêt ne serait pas justifié dans la requête.

26      Il convient de rappeler que le juge de l’Union est en droit d’apprécier, suivant les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond le recours, sans statuer préalablement sur le grief d’irrecevabilité soulevé par la partie défenderesse (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, Rec. p. I‑1873, points 51 et 52, et du 23 mars 2004, France/Commission, C‑233/02, Rec. p. I‑2759, point 26 ; arrêt du Tribunal du 12 juillet 2007, AEPI/Commission, T‑229/05, non publié au Recueil, point 25).

27      Dans les circonstances du cas d’espèce et dans un souci d’économie de la procédure, il y a lieu d’examiner d’emblée les conclusions en annulation de la requérante, sans statuer préalablement sur l’irrecevabilité invoquée par la Commission, le recours étant, en tout état de cause et pour les motifs exposés ci-après, dépourvu de fondement.

 Sur le fond

28      À l’appui de ses conclusions en annulation, la requérante invoque un moyen unique, tiré de l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation qui trouverait son origine dans l’insuffisance de l’instruction de la plainte effectuée par la Commission. Ce moyen est subdivisé en quatre branches. La première branche est tirée de ce que la Commission n’aurait pas défini le marché pertinent sur lequel elle aurait dû apprécier la position dominante de l’intervenante. La deuxième branche est tirée de ce que la Commission n’aurait pas examiné l’existence d’une position dominante détenue par l’intervenante sur un tel marché. La troisième branche est consacrée à démontrer l’existence d’un abus, au sens de l’article 82 CE, commis par l’intervenante. La quatrième branche met en cause l’appréciation effectuée par la Commission de l’intérêt communautaire à poursuivre l’examen de la plainte.

29      Il convient de relever que, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, la Commission a rejeté la plainte de la requérante au motif « qu’il n’exist[ait] pas d’intérêt communautaire suffisant pour poursuivre [l’]enquête relative aux infractions alléguées ». Dans la décision attaquée, la Commission n’a effectué, dès lors, ni un examen sur la définition du marché pertinent, ni sur la position dominante prétendument détenue par l’intervenante, ni sur les abus prétendument commis par l’intervenante sur le marché du whiskey irlandais.

30      Dans la mesure où les trois premières branches du moyen avancé par la requérante visent à faire valoir la prétendue existence d’une erreur manifeste d’appréciation lors de ces examens, elles doivent être rejetées comme étant inopérantes dans le cadre du présent recours. En effet, au vu du motif soutenant la décision attaquée, les trois premières branches du moyen avancé par la requérante ne sont pas en mesure de remettre en cause la légalité de ladite décision.

31      Il y a donc lieu de limiter le cadre du moyen unique avancé par la requérante à l’examen de la quatrième branche de ce moyen.

 Observations liminaires

32      Il ressort d’une jurisprudence constante que l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 ne confère pas à l’auteur d’une demande présentée en vertu dudit article le droit d’exiger de la Commission une décision définitive quant à l’existence ou non de l’infraction alléguée (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 18 octobre 1979, GEMA/Commission, 125/78, Rec. p. 3173, points 17 et 18, et du 4 mars 1999, Ufex e.a./Commission, C‑119/97 P, Rec. p. I‑1341, point 87 ; arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T‑24/90, Rec. p. II‑2223, point 75).

33      En effet, la Commission, investie par l’article 85, paragraphe 1, CE, de la mission de veiller à l’application des principes fixés par les articles 81 CE et 82 CE, est appelée à définir et à mettre en œuvre l’orientation de la politique communautaire de la concurrence. Afin de s’acquitter efficacement de cette tâche, elle est en droit d’accorder des degrés de priorité différents aux plaintes dont elle est saisie et dispose à cet effet d’un pouvoir discrétionnaire (arrêt Ufex e.a./Commission, précité, point 88, et arrêt de la Cour du 17 mai 2001, IECC/Commission, C‑449/98 P, Rec. p. I‑3875, point 36).

34      La Commission est notamment en droit de se référer à l’intérêt communautaire pour déterminer le degré de priorité à accorder aux différentes plaintes dont elle est saisie (arrêt Automec/Commission, précité, point 85, et arrêt du Tribunal du 13 décembre 1999, Européenne automobile/Commission, T‑9/96 et T‑211/96, Rec. p. II‑3639, point 28). La possibilité pour la Commission de rejeter une plainte pour défaut d’intérêt communautaire est par ailleurs explicitement reconnue au considérant 18 du règlement n° 1/2003 (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 16 janvier 2008, Scippacercola et Terezakis/Commission, T‑306/05, non publié au Recueil, point 93).

35      Le pouvoir discrétionnaire dont dispose la Commission à cet égard n’est cependant pas sans limites (arrêts Ufex e.a./Commission, précité, point 89, et Européenne automobile/Commission, précité, point 29).

36      En effet, d’une part, la Commission est tenue d’examiner attentivement l’ensemble des éléments de fait et de droit qui sont portés à sa connaissance par les plaignants (arrêts de la Cour du 11 octobre 1983, Schmidt/Commission, 210/81, Rec. p. 3045, point 19 ; du 28 mars 1985, CICCE/Commission, 298/83, Rec. p. 1105, point 18 ; du 17 novembre 1987, British American Tobacco et Reynolds Industries/Commission, 142/84 et 156/84, Rec. p. 4487, point 20).

37      D’autre part, la Commission est astreinte à une obligation de motivation lorsqu’elle refuse de poursuivre l’examen d’une plainte. La motivation devant être suffisamment précise et détaillée pour mettre le Tribunal en mesure d’exercer un contrôle effectif sur l’exercice par la Commission de son pouvoir discrétionnaire de définir des priorités, cette institution est tenue d’exposer les éléments de fait dont dépend la justification de la décision et les considérations juridiques qui l’ont amenée à prendre celle-ci (arrêts Ufex e.a./Commission, précité, points 90 et 91 ; Automec/Commission, précité, point 85, et Européenne automobile/Commission, précité, point 29).

38      De même, il importe de relever que le contrôle juridictionnel des décisions de rejet de plaintes ne doit pas conduire le Tribunal à substituer son appréciation de l’intérêt communautaire à celle de la Commission, mais vise à vérifier que la décision litigieuse ne repose pas sur des faits matériellement inexacts et qu’elle n’est entachée d’aucune erreur de droit ni d’aucune erreur manifeste d’appréciation ou de détournement de pouvoir (arrêt Automec/Commission, précité, point 80 ; arrêt du Tribunal du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission, T‑387/94, Rec. p. II‑961, point 46, et Européenne automobile/Commission, précité, point 29).

39      Par ailleurs, aux fins de l’appréciation de l’intérêt communautaire, il appartient à la Commission de mettre en balance l’importance de l’infraction prétendue pour le fonctionnement du marché commun, la probabilité de pouvoir établir son existence et l’étendue des mesures d’investigation nécessaires, en vue de remplir, dans les meilleures conditions, sa mission de surveillance du respect des articles 81 CE et 82 CE (voir, en ce sens, arrêt Automec/Commission, précité, point 86, et arrêt du Tribunal du 24 janvier 1995, Tremblay e.a./Commission, T‑5/93, Rec. p. II‑185, point 62).

40      En tout cas, l’évaluation de l’intérêt communautaire présenté par une plainte étant fonction des circonstances de chaque espèce, il ne convient ni de limiter le nombre de critères d’appréciation auxquels la Commission peut se référer ni de lui imposer le recours exclusif à certains critères (voir arrêt IECC/Commission, précité, point 46).

41      Enfin, la Commission n’est pas tenue de prendre position sur tous les arguments que les intéressés ont soumis à l’appui de leur plainte. Il suffit qu’elle expose les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (voir, en ce sens, arrêt AEPI/Commission, précité, point 61, et la jurisprudence citée).

42      En l’espèce, la Commission a considéré que les pratiques dénoncées dans la plainte de la requérante ne présentaient pas un intérêt communautaire suffisant pour justifier une enquête approfondie (voir point 2.1 de la décision attaquée). À ce propos, elle a estimé, d’une part, que la poursuite de l’instruction lui aurait imposé d’engager une enquête d’une ampleur disproportionnée (voir points 2.2.1 et 2.3.2 de la décision attaquée) et, d’autre part, que les juridictions nationales et/ou les autorités nationales de concurrence étaient mieux placées qu’elle pour examiner la plainte, notamment en ce qui concerne la première des infractions alléguées (voir point 2.2.2 de la décision attaquée).

43      Dans le cadre de la présente branche, la requérante avance essentiellement trois griefs. Le premier grief vise à contester les conclusions de la Commission concernant les procédures contentieuses de nature prétendument anticoncurrentielle. Le deuxième grief vise à mettre en question les conclusions de la Commission concernant les négociations ayant échoué sur le contrat d’approvisionnement de whiskey. Le troisième grief vise à reprocher à la Commission le fait de n’avoir procédé ni à la définition du marché pertinent ni à l’appréciation d’une position dominante détenue par l’intervenante sur le marché du whiskey irlandais dans le cadre de son examen de l’intérêt communautaire de la plainte de la requérante.

 Sur le premier grief, visant les conclusions de la Commission concernant les procédures contentieuses prétendument anticoncurrentielles

44      La requérante fait valoir que la Commission a conclu à tort au caractère disproportionné de la poursuite de l’enquête et remet en cause tant le caractère adéquat des critères sur lesquels la Commission s’est fondée pour aboutir à cette conclusion que l’appréciation effectuée par la Commission à leur égard. Par ailleurs, la requérante conteste l’assertion de la Commission selon laquelle les juridictions et/ou les autorités nationales de la concurrence étaient mieux placées qu’elle pour connaître des pratiques de nature prétendument anticoncurrentielle de l’intervenante.

45      La Commission, soutenue par l’intervenante, conteste les arguments de la requérante.

–       Sur le caractère disproportionné de la poursuite de l’enquête

46      À titre liminaire, il convient de relever que le constat du caractère disproportionné de l’enquête sollicitée par la requérante en ce qui concerne la première allégation avancée dans la plainte reposait sur trois critères (voir point 2.2.1 de la décision attaquée). En premier lieu, la Commission a considéré qu’il aurait été improbable de pouvoir établir l’existence de l’infraction dénoncée, à cause, notamment, de la difficulté de démontrer que les procédures d’opposition introduites par Austin Nichols étaient objectivement déraisonnables et qu’elles avaient pour seul objet de harceler la requérante. Elle a ajouté que l’infraction dénoncée n’aurait pas été immédiatement vérifiable, étant donné que plusieurs procédures étaient toujours en cours devant les autorités nationales compétentes. En deuxième lieu, elle a estimé que l’infraction alléguée n’aurait eu qu’un impact limité sur le fonctionnement du marché commun, étant donné qu’Austin Nichols n’avait introduit des procédures d’opposition que concernant un nombre restreint de marchés. En troisième lieu, la Commission a établi que la complexité de l’enquête qui devait être menée pour pouvoir établir l’existence de l’infraction exigeait des moyens supplémentaires non justifiés.

47      Il y a lieu de rejeter d’emblée l’argument de la requérante remettant en question l’utilisation par la Commission des trois critères précédents, dans la mesure où, conformément à l’arrêt Automec/Commission, précité, ces critères ont été considérés comme adéquats aux fins d’apprécier l’existence d’un intérêt communautaire suffisant pour poursuivre une enquête. À cet égard, le Tribunal considère que la requérante n’avance aucun motif ou aucune circonstance concrète justifiant la non-application de ces critères dans le cas d’espèce.

48      S’agissant de l’appréciation de la Commission à l’égard du premier critère utilisé, à savoir celui relatif à l’improbabilité de pouvoir établir l’existence de l’infraction alléguée, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, l’accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n’est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d’intenter une action en justice est susceptible de constituer un abus de position dominante au sens de l'article 82 CE (arrêts du Tribunal du 5 mars 1997, WWF UK/Commission, T‑105/95, Rec. p. II‑313, point 56, et du 17 juillet 1998, ITT Promedia/Commission, T‑111/96, Rec. p. II‑2937, point 60).

49      Afin de conclure qu’une action en justice peut constituer, en réalité, un abus de position dominante, deux conditions cumulatives doivent être réunies. En premier lieu, il faut que l’action ne puisse être raisonnablement considérée comme visant à faire valoir les droits de l’entreprise en cause et ne puisse dès lors servir qu’à harceler la partie adverse. En deuxième lieu, l’action doit être conçue dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer la concurrence (voir, en ce sens, arrêt ITT Promedia/Commission, précité, point 55). Ces deux conditions doivent être interprétées et appliquées restrictivement, de manière à ne pas tenir en échec l'application du principe général d’accès au juge (arrêt ITT Promedia/Commission, précité, point 61).

50      La requérante soutient que les deux conditions précédentes sont remplies en l’espèce et que, dès lors, il était probable que l’infraction dénoncée pût être démontrée. D’une part, il serait évident qu’il n’existe aucun risque de confusion entre les marques en conflit et que les procédures d’opposition ne visaient qu’à la harceler. D’autre part, ces procédures n’auraient eu pour but que celui de retarder l’entrée de ses marques sur le marché et de restreindre ainsi la concurrence.

51      Ces arguments ne sauraient être retenus.

52      En ce qui concerne la première condition, la requérante n’a pas réussi à démontrer que les procédures contentieuses concernées ne visaient pas à faire valoir les droits de propriété intellectuelle d’Austin Nichols, mais servaient uniquement à la harceler.

53      Premièrement, le caractère évident exprimé par la requérante quant à l’absence d’un risque de confusion entre ses marques et les marques d’Austin Nichols ne saurait être accueilli. En effet, et sans que cette appréciation conduise à se prononcer en quoi que ce soit sur les litiges en cause, le fait que les marques de la requérante Wild Geese, Wild Geese Rare Irish Whiskey et Wild Geese Irish Soldiers and Heroes, d’une part, et la marque d’Austin Nichols, Wild Turkey, d’autre part, partagent le même terme en première position, à savoir le terme « wild », ainsi que le fait que le whiskey est le produit désigné par toutes ces marques constituent des éléments objectifs susceptibles d’avoir créé un doute de la part d’Austin Nichols quant à l’existence d’un risque de confusion entre lesdites marques et de l’avoir amenée à entamer des procédures d’opposition contre l’enregistrement des marques de la requérante.

54      En outre, si la requérante fait valoir qu’aucun consommateur ne pourrait sérieusement confondre des marques désignant en tant que produit le whiskey irlandais, comme celles de la requérante, avec une marque désignant en tant que produit le whiskey américain, comme celle d’Austin Nichols, il convient de relever, aux seules fins du présent litige, que la perception des consommateurs à l’égard, notamment, des types de whiskey et la capacité de distinguer ces derniers conformément à leur origine peut varier selon les différents pays. Dans ces circonstances, à supposer même que les consommateurs d’un certain pays puissent distinguer aisément un whiskey irlandais d’un whiskey américain, comme cela serait, ainsi que la requérante le fait valoir, le cas en l’Irlande, la perception des consommateurs dans ce pays ne saurait être nécessairement la même que celle d’un consommateur dans un autre pays.

55      Par ailleurs, il y a lieu de rejeter l’argument de la requérante selon lequel le fait que la plupart des autorités nationales saisies des oppositions ont conclu à l’absence d’un risque de confusion en l’espèce confirmerait l’existence, ou à tout le moins, la probabilité de l’existence d’un abus.

56      En effet, il suffit de rappeler, à cet égard, que, aux fins de l’analyse de la première condition établie dans l’arrêt ITT Promedia/Commission, précité, il ne s’agit pas de déterminer si les droits que l’entreprise concernée faisait valoir au moment où elle a intenté son action en justice existaient effectivement, ou si celle-ci était fondée, mais de déterminer si une telle action avait pour but de faire valoir ce que l’entreprise, à ce moment-là, pouvait raisonnablement considérer comme étant ses droits (voir, en ce sens, arrêt ITT Promedia/Commission, précité, points 72 et 73).

57      Or, en l’espèce, même si certaines des autorités nationales devant lesquelles l’intervenante a formé opposition à l’encontre de la demande d’enregistrement des marques de la requérante ont conclu à l’absence de risque de confusion, cette circonstance ne saurait être déterminante aux fins de conclure que la première condition établie par l’arrêt ITT Promedia/Commission, précité, était remplie. Au contraire, il y a lieu de considérer que, au vu des éléments établis au point 53 ci-dessus, la Commission a estimé à bon droit que le caractère objectivement déraisonnable ou l’absence de fondement juridique que doit revêtir l’action en justice pour la considérer comme étant une pratique abusive n’était pas manifeste en l’espèce.

58      De plus, il importe de relever que, ainsi que le reconnaît la requérante, au moment de l’adoption de la décision attaquée, certaines autorités nationales compétentes en matière de propriété intellectuelle ne s’étaient pas prononcées sur l’opposition entamée par Austin Nichols devant elles. Dans ces circonstances, c’est à juste titre également que la Commission a estimé, dans la décision attaquée, que le caractère abusif des procédures d’opposition entamées par Austin Nichols n’était pas non plus immédiatement vérifiable.

59      Deuxièmement, il y a lieu de souligner que la prétendue absence de risque de confusion entre les marques de la requérante et la marque d’Austin Nichols n’est pas concluante en soi aux fins de déterminer si la première condition établie dans l’arrêt ITT Promedia/Commission, précité, était remplie dans un cas comme celui de l’espèce, cet arrêt exigeant, en outre, que la requérante démontre que l’action en justice n’avait pour but que de la harceler. Or, en l’espèce, la requérante n’a apporté aucune preuve susceptible de démontrer ce dernier aspect.

60      En particulier, il convient de rejeter l’argument de la requérante selon lequel l’absence d’opposition, de la part d’Austin Nichols, à l’encontre d’autres marques semblables à la marque Wild Turkey serait une preuve du caractère abusif des procédures entamées contre elle. À cet égard, il y a lieu de considérer que le simple fait qu’Austin Nichols n’ait pas entamé de procédures d’opposition contre d’autres marques de whiskey qui, selon la requérante, seraient semblables à la marque Wild Turkey, ne signifie pas que le but des procédures d’opposition contre cette dernière marque ait été celui de la harceler. Austin Nichols, en tant que titulaire de cette dernière marque, est en mesure de juger de l’opportunité de l’exercice d’actions en justice au regard de ses propres intérêts commerciaux et, partant, de déterminer les marques contre lesquelles elle considère comme opportun d’entamer des procédures d’opposition.

61      De même, force est de constater que la requérante n’étaye pas l’allégation avancée dans ses écritures selon laquelle le prétendu harcèlement de l’intervenante serait motivé, en réalité, par le refus de Lodestar et d’Avalon de lui céder l’exploitation de la marque Wild Geese.

62      Il s’ensuit que la première condition établie dans l’arrêt ITT Promedia/Commission, précité, n’est pas remplie en l’espèce.

63      En ce qui concerne la seconde condition, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il découle du point 49 ci-dessus, les deux conditions établies dans l’arrêt ITT Promedia/Commission, précité, sont cumulatives. Dans la mesure où la première condition n’est pas remplie en l’espèce, il est superflu de se prononcer sur le bien-fondé de la seconde.

64      En tout état de cause, il convient de relever que la requérante n’a pas non plus réussi à démontrer que les procédures contentieuses engagées contre ses marques Wild Geese, Wild Geese Rare Irish Whiskey et Wild Geese Irish Soldiers ans Heroes s’inscrivaient dans une stratégie ayant pour but d’éliminer la concurrence sur le marché.

65      À cet égard, la requérante soutient, notamment, que le nombre élevé de procédures engagées contre ses marques est suffisant pour constater une telle stratégie. À cet égard, elle avance que ces procédures ont eu pour effet de retarder l’entrée des produits vendus sous ses marques sur le marché du whiskey irlandais et de l’affaiblir financièrement.

66      Or, il suffit de rappeler que, ainsi qu’il a été établi au point 53 ci-dessus, des éléments objectifs justifiaient qu’Austin Nichols agisse pour protéger sa marque, le nombre de ces procédures n’étant pas, dès lors, déterminant en soi pour conclure, en l’espèce, à l’existence d’une stratégie anticoncurrentielle.

67      D’ailleurs, ainsi que la Commission l’indique à juste titre dans la décision attaquée, le fait qu’un détenteur de marques soit contraint d’engager plusieurs actions en opposition peut s’expliquer, d’une part, par le nombre de pays dans lesquels la demande de la marque litigieuse qu’il souhaite faire invalider a été introduite et, d’autre part, par l’absence d’harmonisation du droit des marques, qui nécessite l’introduction d’une procédure d’opposition devant chaque autorité nationale de propriété intellectuelle.

68      Il s’ensuit que la seconde condition établie dans l’arrêt ITT Promedia/Commission, précité, ici examinée à titre surabondant, n’est pas remplie en l’espèce.

69      Par conséquent, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant comme improbable que le premier comportement prétendument abusif dénoncé par la requérante dans la plainte pût être démontré.

70      S’agissant du deuxième critère utilisé par la Commission aux fins de fonder le caractère disproportionné de la poursuite de l’enquête, à savoir celui relatif à la capacité limitée de la pratique dénoncée à entraîner des dysfonctionnements importants dans le marché commun, la requérante se borne à faire valoir que la Commission aurait dû prendre en compte la dimension de l’intervenante et son pouvoir d’action sur le marché lors de son appréciation.

71      Cependant, il convient de rejeter un tel argument, dans la mesure où la requérante n’explique pas en quoi la taille de l’intervenante aurait pu avoir un impact quelconque sur le fonctionnement du marché commun. D’ailleurs, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, c’est la gravité des atteintes alléguées à la concurrence et la persistance de leurs effets, et, en particulier, leur durée, leur importance et leur incidence sur la situation de la concurrence dans l’Union que la Commission vérifie dans le cadre de l’analyse de la notion de dysfonctionnement important du marché et non la taille des entreprises ayant prétendument commis la violation (voir, en ce sens, arrêt AEPI/Commission, précité, points 52 et 53).

72      S’agissant du troisième critère utilisé par la Commission aux fins de fonder le caractère disproportionné de la poursuite de l’enquête, à savoir la complexité qu’aurait revêtu une telle poursuite et les moyens supplémentaires qu’elle aurait exigés, force est de constater que la requérante n’avance aucun argument de nature à remettre en cause l’appréciation, par la Commission, de ce critère.

73      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en concluant que la poursuite de l’enquête sollicitée par la requérante revêtait un caractère disproportionné.

–       Sur la considération tenant à ce que les juridictions et/ou les autorités nationales de la concurrence étaient mieux placées que la Commission pour examiner la plainte

74      Outre les trois critères examinés ci-dessus, la Commission a fondé, en l’espèce, le manque d’intérêt communautaire suffisant pour poursuivre l’enquête sollicitée par la requérante sur la considération tenant à ce que les juridictions et/ou les autorités nationales de la concurrence étaient mieux placées qu’elle pour connaître des pratiques de nature prétendument anticoncurrentielle de l’intervenante (voir point 2.2.2 de la décision attaquée). À cet égard, il y a lieu de relever que, dans la mesure où la requérante n’a pas réussi à démontrer l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation, de la part de la Commission, dans l’application des trois critères établis dans l’arrêt Automec/Commission, précité, dont, notamment, celui relatif à l’improbabilité de démontrer l’existence de l’infraction alléguée, l’examen du bien-fondé de la considération de la Commission concernant la plus grande pertinence de la saisine des autorités nationales pour examiner la plainte de la requérante reste superflu.

75      En tout état de cause, afin de contester l’appréciation de la Commission, la requérante fait valoir, en substance, que, étant donné que les comportements de l’intervenante affectaient plusieurs États membres, la Commission avait une meilleure perspective pour donner suite à l’enquête et pour apprécier l’existence d’une violation de l’article 82 CE.

76      Cet argument ne saurait être retenu.

77      En effet, il importe d’observer que, même si les abus allégués dans la plainte concernaient le territoire de plusieurs États membres, voire le territoire de l’Union européenne dans son ensemble, ainsi que la requérante le fait valoir, cette circonstance ne saurait être suffisante en soi pour conclure que la plainte revêtait un intérêt communautaire suffisant. S’il en allait autrement, la Commission serait tenue de donner suite à toute plainte concernant une prétendue infraction qui couvrirait plusieurs États membres, et cela indépendamment du caractère fondé ou non de la plainte.

78      D’ailleurs, il y a lieu de considérer que, eu égard, d’une part, au principe de territorialité en droit des marques, lequel implique que c’est le droit de l’État où la protection d’une marque est demandée qui détermine les conditions de cette protection et, d’autre part, à l’effet direct attaché à l’article 82 CE, c’est à bon droit que la Commission a considéré que les juridictions nationales étaient mieux placées qu’elle pour connaître des litiges relatifs aux infractions dénoncées dans la plainte.

79      En outre, il convient d’observer qu’il relève de la compétence des juridictions nationales, et non de la Commission, d’accorder des dommages et intérêts à la requérante en cas de constatation d’une violation de l’article 82 CE (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 20 septembre 2001, Courage et Crehan, C‑453/99, Rec. p. I‑6297, points 25 et 26, et la jurisprudence citée). Dans ces circonstances, si la requérante fait valoir qu’elle a dû assumer des dépenses très significatives en raison des abus prétendument commis par l’intervenante, ce sont précisément les juridictions nationales qui, conformément au droit interne, sont compétentes concernant l’octroi de dommages et intérêts pour les éventuels préjudices subis. En tout état de cause, il y a lieu d’observer, à l’instar de la Commission, que les coûts des procédures contentieuses nationales n’auraient pas pu être évités par son intervention, car l’éventuelle constatation de l’infraction alléguée aurait été effectuée au terme des procédures nationales en question, c’est-à-dire lorsque les coûts mentionnés auraient déjà été encourus. Il ne peut, dès lors, être conclu, contrairement à ce que soutient la requérante, que la poursuite de l’enquête de la part de la Commission aurait évité de tels coûts.

80      Au vu de ce qui précède, il convient, à titre surabondant, de conclure que la requérante n’a pas démontré que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que les juridictions nationales étaient mieux placées qu’elle pour connaître de la plainte.

81      Il résulte que le premier grief invoqué par la requérante doit être rejeté.

 Sur le deuxième grief, relatif aux négociations sur le contrat d’approvisionnement

82      La requérante conteste, en substance, la conclusion de la Commission selon laquelle la poursuite de l’enquête sollicitée par elle dans la plainte aurait revêtu un caractère disproportionné ainsi que le caractère adéquat des critères sur lesquels la Commission s’est fondée pour aboutir à cette conclusion. Elle s’oppose, en particulier, à l’appréciation de la Commission portant sur l’improbabilité de démontrer que l’intervenante aurait agi de manière abusive lors des négociations sur le contrat d’approvisionnement.

83      La Commission, soutenue par l’intervenante, conteste les arguments de la requérante.

84      À titre liminaire, il convient de relever que le constat du caractère disproportionné de l’enquête sollicitée par la requérante, en ce qui concerne la deuxième allégation avancée dans la plainte, a été arrêté par la Commission sur la base de trois critères, à savoir la probabilité insuffisante de pouvoir établir l’existence de l’infraction dénoncée, le fait que l’impact de l’infraction alléguée sur le fonctionnement du marché commun serait limité et la complexité de l’enquête qui devait être menée pour pouvoir établir l’existence de ladite infraction (voir point 2.3 de la décision attaquée). Ainsi qu’il a été établi au point 47 ci-dessus, il y a lieu de considérer que, dans la mesure où, conformément à l’arrêt Automec/Commission, précité, les trois critères précédents sont adéquats aux fins d’apprécier l’existence d’un intérêt communautaire suffisant pour poursuivre une enquête, l’argument de la requérante remettant en question leur utilisation par la Commission doit être rejeté.

85      Par ailleurs, si la requérante fait valoir qu’il était probable de démontrer que l’intervenante avait abusé de sa position dominante en tentant de limiter sa pénétration sur le marché du whiskey irlandais en lui refusant de l’approvisionner en whisky, notamment pour la marque Wild Geese, force est de constater, au contraire, que, ainsi que la Commission l’a observé à juste titre dans la décision attaquée, la circonstance que la requérante avait accédé audit marché par l’intermédiaire d’un autre distributeur de whiskey, à savoir Cooley Distillery, indiquait qu’il était improbable qu’une pratique abusive ait eu lieu de la part de l’intervenante. À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence, un refus de fourniture ne constitue une pratique abusive que s’il n’y a pas d’alternative pour accéder au produit et que si le refus est de nature à exclure toute concurrence (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 26 novembre 1998, Bronner, C‑7/97, Rec. p. I‑7791, points 40 et 41).

86      De même, si la requérante fait valoir que cela a impliqué la signature d’un contrat plus onéreux, il convient de souligner que, pour démontrer que le refus de fournir un produit constitue un abus de position dominante, il ne suffit pas de faire valoir que le nouveau système auquel il a été recouru n’est pas économiquement rentable et que cette autre solution implique le paiement de prix plus élevés (voir, en ce sens, arrêt Bronner, précité, point 45).

87      Enfin, il convient de relever que, ainsi que la Commission l’a fait observer à juste titre, rien ne permettait de conclure que les négociations engagées entre la requérante et Irish Distillers avaient échoué en raison de l’essai d’insertion, de la part de cette dernière société, d’une clause de territorialité, celles-ci pouvant avoir échoué pour des raisons purement commerciales. En effet, force est de constater que la requérante n’a pas apporté de preuves susceptibles de mettre en évidence le fait que l’intervenante ait forcé la requérante à accepter une clause de territorialité en sa faveur et que l’absence de conclusion d’un accord entre les deux parties n’était pas liée à d’autres circonstances, fréquentes dans le cadre d’une négociation. En particulier, à supposer même que l’intervenante ait introduit les termes « dans le territoire » dans le contrat négocié entre les parties, ainsi que la requérante tient à le souligner, cette circonstance n’est pas, en elle-même, le signe d’une pratique contraire à la concurrence. À cet égard, il convient de relever que la requérante admet que la notion de territoire, telle que mentionnée dans le projet de contrat, n’avait jamais été définie et qu’elle ne se référait à aucune délimitation géographique.

88      Par conséquent, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant comme improbable que la deuxième infraction dénoncée par la requérante dans la plainte pût être démontrée.

89      Par ailleurs, le Tribunal relève que, dans le cadre de ce deuxième grief, la requérante n’avance d’argument contestant la motivation, par la Commission, de la décision attaquée, ni en ce qui concerne l’appréciation selon laquelle l’impact sur le fonctionnement du marché commun serait limité ni en ce qui concerne la complexité de l’enquête qui devrait être menée pour pouvoir établir l’existence de l’infraction.

90      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en concluant que la poursuite de l’enquête sollicitée par la requérante revêtait un caractère disproportionné.

91      Il en résulte que le deuxième grief invoqué par la requérante doit être rejeté.

 Sur le troisième grief, tiré de ce que la Commission aurait dû procéder à la définition du marché pertinent et à celle de la position dominante de l’intervenante dans le cadre de la détermination de l’intérêt communautaire

92      La requérante reproche, en substance, à la Commission le fait de n’avoir procédé ni à la définition du marché pertinent ni à l’appréciation d’une position dominante détenue par l’intervenante sur le marché du whiskey irlandais dans le cadre de son examen de l’intérêt communautaire de la plainte de la requérante.

93      La Commission, soutenue par l’intervenante, conteste les arguments de la requérante.

94      Il y a lieu de considérer que, contrairement à ce que prétend la requérante, la circonstance que la Commission ne se soit pas prononcée, dans la décision attaquée, lors de son examen de l’intérêt communautaire, sur les éléments de preuve que la requérante avait soulevés dans la plainte, relatifs à la définition du marché pertinent et à l’existence d’une position dominante détenue par l’intervenante sur le marché du whiskey irlandais, n’amène pas à la conclusion que la décision attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

95      En effet, le grief de la requérante est inopérant, dans la mesure où la Commission avait déjà exclu l’existence d’une infraction probable de l’article 82 CE en se fondant sur l’absence de comportement abusif. Étant donné que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste en rejetant la probabilité que les comportements de l’intervenante dussent être qualifiés d’abusifs, elle n’était, par conséquent et par définition, pas tenue de se prononcer, dans la décision attaquée, sur les éléments de preuve soulevés par la requérante en ce qui concerne la définition du marché et l’existence d’une position dominante.

96      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission n’a commis aucune erreur manifeste d’appréciation en ne procédant ni à la définition du marché pertinent ni à l’appréciation d’une position dominante détenue par l’intervenante sur le marché du whiskey irlandais dans le cadre de son examen de l’intérêt communautaire de la plainte de la requérante.

97      Il résulte de ce qui précède que le troisième grief de la requérante doit être rejeté, ainsi que la quatrième branche dans son ensemble.

98      Partant, le recours doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

99      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. Dans le cas d’espèce, il y a lieu de condamner la requérante aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

100    Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, le Tribunal peut ordonner qu’une partie intervenante supportera ses propres dépens. En l’espèce, le Tribunal considère qu’il y a lieu de condamner l’intervenante à supporter ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Protégé International Ltd supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

3)      Pernod Ricard SA supportera ses propres dépens.

Dittrich

Prek

Kancheva

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 septembre 2012.

Signatures


* Langue de procédure : le français.