Language of document : ECLI:EU:C:1998:496

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

22 octobre 1998 (1)

«TVA — Article 26 de la sixième directive TVA — Régime des agences devoyage et organisateurs de circuits touristiques — Entreprises hôtelières — Forfaitcomprenant le séjour et le voyage — Base de calcul de la marge»

Dans les affaires jointes C-308/96 et C-94/97,

ayant pour objet des demandes adressées à la Cour, en application de l'article 177du traité CE, par la High Court of Justice (England & Wales), Queen's BenchDivision (Royaume-Uni), et le VAT and Duties Tribunal, London (Royaume-Uni),et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant ces juridictions entre

Commissioners of Customs & Excise

et

T. P. Madgett et R. M. Baldwin, agissant sous le nom commercial «The HowdenCourt Hotel» (C-308/96),

et entre

T. P. Madgett et R. M. Baldwin, agissant sous le nom commercial «The HowdenCourt Hotel»

et

Commissioners of Customs & Excise (C-94/97),

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 26 de la sixièmedirective 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation deslégislations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires — Systèmecommun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1),

LA COUR (cinquième chambre),

composée de MM. J.-P. Puissochet, président de chambre, J. C. Moitinho deAlmeida, C. Gulmann (rapporteur), L. Sevón et M. Wathelet, juges,

avocat général: M. P. Léger,


greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

—    pour MM. Madgett et Baldwin (C-308/96 et C-94/97), par M. Jeremy Woolf,barrister, mandaté par Rice-Jones & Smiths, solicitors,

—    pour le gouvernement du Royaume-Uni (C-308/96), par Mme Lindsey Nicoll,du Treasury Solicitor's Department, en qualité d'agent, assistée de MM.Stephen Richards et Hugh Davies, barristers,

—    pour le gouvernement du Royaume-Uni (C-94/97), par Mme Lindsey Nicoll,assistée de MM. Nicholas Paines, QC, et Hugh Davies,

—    pour le gouvernement allemand (C-308/96), par M. Ernst Röder,Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, en qualité d'agent,

—    pour le gouvernement allemand (C-94/97), par MM. Ernst Röder et Claus-Dieter Quassowski, Regierungsdirektor au ministère fédéral de l'Économie,en qualité d'agent,

—    pour le gouvernement hellénique (C-308/96), par M. FokionGeorgakopoulos, conseiller juridique adjoint auprès du Conseil juridique del'État, et Mme Anna Rokofyllou, conseiller du ministre adjoint des Affairesétrangères, en qualité d'agents,

—    pour le gouvernement suédois (C-308/96 et C-94/97), par M. Erik Brattgård,departementsråd au département du commerce extérieur du ministère desAffaires étrangères, en qualité d'agent,

—    pour la Commission des Communautés européennes (C-308/96), par MM.Nicholas Khan et Enrico Traversa, membres du service juridique, en qualitéd'agents,

—    pour la Commission des Communautés européennes (C-94/97), par MM.Richard Lyal, membre du service juridique, en qualité d'agent, et EnricoTraversa,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de MM. Madgett et Baldwin, représentés parMM. Jeremy Woolf et Peter Burton, solicitor, du gouvernement du Royaume-Uni,représenté par Mme Dawn Cooper, du Treasury Solicitor's Department, en qualitéd'agent, assistée de MM. Nicolas Paines et Stephen Richards, du gouvernementallemand, représenté par M. Ernst Röder, du gouvernement hellénique, représentépar M. Fokion Georgakopoulos et Mme Anna Rokofyllou, et de la Commission,représentée par MM. Nicholas Khan et Enrico Traversa, à l'audience du 5 février1998,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 30 avril 1998,

rend le présent

Arrêt

1.
        Par ordonnance du 16 novembre 1995, parvenue à la Cour le 23 septembre 1996,la High Court of Justice (England & Wales), Queen's Bench Division, a posé, envertu de l'article 177 du traité CE, deux questions préjudicielles relatives àl'interprétation de l'article 26 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relativesaux taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée:assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

2.
    Par ordonnance du 26 février 1997, parvenue à la Cour le 3 mars 1997, le VATand Duties Tribunal, London, a posé, en vertu de l'article 177 du même traité, deuxquestions préjudicielles relatives à l'interprétation de cette même disposition de lasixième directive.

-

3.
    Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant MM. Madgettet Baldwin aux Commissioners of Customs & Excise au sujet de l'applicabilité àleur égard du régime prévu à l'article 26 de la sixième directive du fait qu'ilsproposent à leurs clients, dans le cadre de leur activité d'hôteliers, des voyages àforfait.

4.
    La sixième directive prévoit, en son article 11, A, paragraphe 1, sous a), que la based'imposition de TVA est constituée, pour la plupart des services, par «tout ce quiconstitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestatairepour ces opérations de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers...».

5.
    L'article 26 de la sixième directive, qui institue une exception au régime généralrelativement à la base imposable pour ce qui concerne certaines opérations desagences de voyages et des organisateurs de circuits touristiques, prévoit:

«1.    Les États membres appliquent la taxe sur la valeur ajoutée aux opérationsdes agences de voyages conformément au présent article, dans la mesure où cesagences agissent en leur propre nom à l'égard du voyageur et lorsqu'elles utilisent,pour la réalisation du voyage, des livraisons et des prestations de services d'autresassujettis. Le présent article n'est pas applicable aux agences de voyages quiagissent uniquement en qualité d'intermédiaire et auxquelles l'article 11, sous A,paragraphe 3, sous c), est applicable. Au sens du présent article, sont égalementconsidérés comme agences de voyages les organisateurs de circuits touristiques.

2.    Les opérations effectuées par l'agence de voyages pour la réalisation duvoyage sont considérées comme une prestation de service unique de l'agence devoyages au voyageur. Celle-ci est imposée dans l'État membre dans lequel l'agencede voyages a établi le siège de son activité économique ou un établissement stableà partir duquel elle a fourni la prestation de services. Pour cette prestation deservices est considérée comme base d'imposition et comme prix hors taxe, au sensde l'article 22, paragraphe 3, sous b), la marge de l'agence de voyages, c'est-à-direla différence entre le montant total à payer par le voyageur hors taxe à la valeurajoutée et le coût effectif supporté par l'agence de voyages pour les livraisons etprestations de services d'autres assujettis, dans la mesure où ces opérationsprofitent directement au voyageur.

3.    Si les opérations pour lesquelles l'agence de voyages a recours à d'autresassujettis sont effectuées par ces derniers en dehors de la Communauté, laprestation de services de l'agence est assimilée à une activité d'intermédiaireexonérée en vertu de l'article 15, point 14. Si ces opérations sont effectuées tantà l'intérieur qu'à l'extérieur de la Communauté, seule doit être considérée commeexonérée la partie de la prestation de services de l'agence de voyages qui concerneles opérations effectuées en dehors de la Communauté.

4.    Les montants de la taxe sur la valeur ajoutée qui sont portés en compte àl'agence de voyages par d'autres assujettis pour les opérations visées au paragraphe2 et qui profitent directement au voyageur ne sont ni déductibles, ni remboursablesdans aucun État membre.»

6.
    L'article 26 de la sixième directive est transposé dans la législation du Royaume-Uni par l'article 37 A du Value Added Tax Act 1983 (loi relative à la taxe sur lavaleur ajoutée) ainsi que par le Value Added Tax (Tour Operators) Order 1987

(règlement de 1987 relatif à la taxe sur la valeur ajoutée applicable auxorganisateurs de circuits touristiques). Les dispositions de la législation duRoyaume-Uni sont précisées dans la circulaire 709/5/88 des Commissioners ofCustoms & Excise, intitulée «Tour Operators' Margin Scheme» (régime concernantla marge applicable aux organisateurs de circuits touristiques, ci-après le «régimeTOMS»). Ce régime exige que le montant total perçu par l'organisateur d'unvoyage ou d'un circuit touristique soit ventilé entre les prestations acquises auprèsde tiers et les prestations propres par référence au coût effectif de chaquecomposant.

7.
    MM. Madgett et Baldwin exploitent le Howden Court Hotel, situé à Torquay, dansle Devon, en Angleterre. 90 % des clients de l'hôtel, originaires principalement dunord de l'Angleterre, achètent un «forfait», c'est-à-dire acquittent un prix fixecomprenant: i) l'hébergement en demi-pension, ii) le transport en autocar à partirde plusieurs points de ramassage dans le nord de l'Angleterre et iii) une excursiond'une journée en autocar pendant leur séjour à l'hôtel. MM. Madgett et Baldwinacquièrent les services de transport auprès de tiers. Les autres clients de l'hôtel sechargent eux-mêmes de leur voyage aller-retour. Ils ne bénéficient pas del'excursion touristique et paient un prix différent.

8.
    MM. Madgett et Baldwin considèrent que l'article 26 de la sixième directive ne leurest pas applicable au motif qu'ils sont hôteliers et non pas organisateurs de circuitstouristiques. Ils indiquent, en outre, que, en utilisant les principes généraux dedétermination de la base d'imposition de la sixième directive, les déclarations deTVA trimestrielles n'ont exigé de M. Madgett qu'une demi-journée de travail alorsque, en prévoyant une série d'exercices de sous-ventilation, les calculs indiqués dansle régime TOMS exigeraient un important travail supplémentaire.

9.
    Les Commissioners of Customs & Excise estiment cependant que le régime TOMSs'applique également aux hôteliers proposant à leurs clients des voyages à forfaitcontenant tant des éléments que l'opérateur fournit lui-même (ci-après les«prestations propres») que des éléments acquis auprès de tiers, en sorte qu'ils ontconsidéré, dans les avis d'imposition portant sur la période du 1er mai 1988 au 31octobre 1993, que MM. Madgett et Baldwin devaient être taxés selon ce régime.

10.
    Dans ces conditions, MM. Madgett et Baldwin ont introduit un recours devant leVAT and Duties Tribunal, qui a jugé que l'article 26 de la sixième directive ne leurétait pas applicable. Les Commissioners of Customs & Excise ont interjeté appelde cette décision devant la High Court of Justice, qui a décidé de surseoir à statueret de poser à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes (affaire C-308/96):

«1)    Quels sont les critères permettant de déterminer si les opérations effectuéespar un assujetti sont des opérations effectuées par une 'agence de voyages‘ou par un 'organisateur de circuits touristiques‘ soumises aux dispositionsde l'article 26 de la directive 77/388/CEE, du 17 mai 1977, en matière

d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes surle chiffre d'affaires (sixième directive sur la taxe sur la valeur ajoutée)? Plusparticulièrement, les dispositions en cause sont-elles applicables auxopérations effectuées par une personne qui, bien que n'étant pas un 'travelagent‘ ('agence de voyages‘) ou un 'tour operator‘ ('organisateur decircuits touristiques‘) au sens généralement donné en anglais à ces termes,fournit aux voyageurs des prestations de services que fournissentgénéralement des agences de voyages ou des organisateurs de circuitstouristiques?

2)     Eu égard à la réponse à la première question, les dispositions en causes'appliquent-elles à des opérations du type de celles dont il s'agit dans laprésente espèce où les propriétaires d'un hôtel au sud de l'Angleterreproposent aux clients pour un prix forfaitaire unique, dans le cadre de leuractivité d'hôteliers, un séjour d'une semaine à l'hôtel, le transport en carentre l'hôtel et certains endroits au nord de l'Angleterre, ainsi que, surplace, une visite touristique en car au cours de leur séjour à l'hôtel (letransport étant acheté par les propriétaires de l'hôtel auprès d'une sociétéde location de cars)?»

11.
    Au cours de la procédure devant la High Court of Justice, MM. Madgett etBaldwin ont soulevé un nouveau moyen selon lequel la méthode de ventilationprescrite dans le régime TOMS serait contraire à la sixième directive. Ce point nefaisant pas l'objet de l'appel pendant devant la High Court, la procédure devant leVAT and Duties Tribunal a été rouverte.

12.
    Au cours de cette dernière procédure, MM. Madgett et Baldwin ont fait valoir quela disposition prescrivant une ventilation du prix acquitté par le voyageur entre lescomposants du forfait qui sont acquis auprès de tiers et ceux qui sont desprestations propres sur la base des coûts effectifs n'est ni rationnelle ni logique. LesCommissioners of Customs & Excise ont soutenu que, en disposant que la margedes organisateurs de circuits touristiques doit être calculée sur la base du coûteffectif aussi bien pour des prestations acquises auprès de tiers que pour desprestations propres, le régime TOMS est conforme aux dispositions de l'article 26de la sixième directive.

13.
    Dans ces circonstances, le VAT and Duties Tribunal a décidé de surseoir à statueret de poser à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes (affaire C-94/97):

«S'il est décidé dans l'affaire C-308/96 que les dispositions de l'article 26 de lasixième directive s'appliquent aux opérations en cause dans la présente affaire,

1)    Dans une interprétation correcte de l'article 26, sur quelle base la marge del'organisateur de circuits touristiques doit-elle être calculée, lorsque cetorganisateur effectue dans le cadre d'une transaction unique un service auvoyageur, lequel est partiellement fourni par d'autre assujettis ('acquis

auprès de tiers‘) et partiellement fourni par l'organisateur de circuitstouristiques lui-même à partir de ses propres ressources ('prestationspropres‘)?

    

2)    Plus particulièrement, l'article 26 doit-il être interprété dans le sens

    a)     qu'il exige que le montant total perçu par l'organisateur de circuitstouristiques du voyageur soit ventilé entre les prestations acquisesauprès de tiers et les prestations propres par référence aux coûts descomposants; ou

    

    b)     qu'il autorise les États membres à exiger la ventilation par référenceà de tels coûts i) de manière générale ou ii) dans le cas d'opérationsde même nature que celles en cause dans la présente affaire; ou

    c)     qu'il permet que cette ventilation s'effectue conformément auxprincipes normaux relatifs à la détermination de la base d'imposition,conformément à l'article 11?»

14.
    Par ordonnance du président de la Cour du 11 décembre 1997, ces deux affairesont été jointes aux fins de la procédure orale et de l'arrêt.

Sur les questions posées par la High Court of Justice

15.
        Par ses questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la High Court of Justicedemande en substance si l'article 26 de la sixième directive s'applique à un hôtelierqui, contre le paiement d'un forfait, propose à ses clients, outre l'hébergement, letransport aller-retour entre l'hôtel et certains points de ramassage éloignés et uneexcursion en autocar au cours du séjour, lesquels services de transport sont acquisauprès de tiers.

16.
    MM. Madgett et Baldwin font valoir que, pour qu'un opérateur économique soitsoumis au régime particulier de l'article 26 de la sixième directive, il est nécessairequ'il soit une «agence de voyages» ou un «organisateur de circuits touristiques».Ces expressions visent les assujettis dont l'activité consiste à organiser, au profit devoyageurs, la fourniture de prestations d'hébergement ou de transport, ou d'autresprestations de voyage, en utilisant les prestations d'autres personnes, acquises pourle bénéfice direct du voyageur. Ces expressions ne viseraient pas des assujettis quiachètent, comme éléments accessoires d'une autre activité, des prestations devoyage pour le bénéfice direct de voyageurs. Ils estiment que leurs efforts sontessentiellement concentrés sur le service offert à la clientèle de l'hôtel et letransport n'est fourni que pour leur commodité, en vue de les inciter à y séjourner.Le transport devrait alors être considéré comme étant purement accessoire à leuractivité d'hôteliers.

17.
    Les gouvernements du Royaume-Uni, allemand, hellénique et suédois ainsi que laCommission soutiennent que le critère permettant de déterminer si les opérationseffectuées par un assujetti sont des opérations soumises aux dispositions de l'article26 de la sixième directive est celui de savoir si les prestations de services en causesont du type de celles visées par cette disposition, même si l'assujetti n'est pas uneagence de voyages ou un organisateur de circuits touristiques au sens généralementdonné à ces termes. Dans ces conditions, les opérations effectuées par MM.Madgett et Baldwin relèveraient du champ d'application de l'article 26 de lasixième directive étant donné qu'ils fournissent des prestations de services en leurpropre nom, offrant aux clients un forfait unique qui inclut le voyage etl'hébergement et utilisant à cet effet un service de car fourni par une tiercepersonne en vertu d'une opération qui profite directement aux voyageurs.

18.
    A cet égard, il y a lieu, tout d'abord, de rappeler que les services fournis par lesagences de voyages et les organisateurs de circuits touristiques se caractérisent parle fait que, le plus souvent, ils se composent de multiples prestations, notammenten matière de transport et d'hébergement, qui se réalisent tant à l'intérieur qu'àl'extérieur du territoire de l'État membre où l'entreprise a son siège ou unétablissement stable. L'application des règles de droit commun concernant le lieud'imposition, la base d'imposition et la déduction de la taxe en amont se heurterait,en raison de la multiplicité et de la localisation des prestations fournies, à desdifficultés pratiques pour ces entreprises, qui seraient de nature à entraverl'exercice de leur activité. C'est afin d'adapter les règles applicables au caractèrespécifique de cette activité que le législateur communautaire a institué auxparagraphes 2, 3, et 4 de l'article 26 de la sixième directive un régime particulierde TVA (voir arrêt du 12 novembre 1992, Van Ginkel, C-163/91, Rec. p. I-5723,points 13 à 15).

19.
    Or, bien que le régime particulier des marges prévu à l'article 26 de la sixièmedirective soit principalement motivé par l'existence de problèmes liés auxprestations de voyage qui impliquent des services dans plus d'un État membre,cette disposition s'applique également, selon son libellé, aux prestations de serviceseffectuées à l'intérieur d'un seul État membre.

20.
    Ensuite, il convient de constater que les raisons sous-jacentes au régime particulierapplicable aux agences de voyages et aux organisateurs de circuits touristiques sontégalement valables dans l'hypothèse où l'opérateur économique n'est pas uneagence de voyages ou un organisateur de circuits touristiques au sens généralementdonné à ces termes, mais effectue des opérations identiques dans le cadre d'uneautre activité, telle que l'activité hôtelière.

21.
    En effet, une interprétation réservant l'application de l'article 26 de la sixièmedirective aux seuls opérateurs économiques qui sont des agences de voyages ou desorganisateurs de circuits touristiques au sens généralement donné à ces termesaurait pour effet que des prestations identiques relèveraient de dispositionsdifférentes selon la qualité formelle de l'opérateur économique.

22.
    Enfin, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 32 de ses conclusions, fairedépendre l'application du régime particulier prévu à l'article 26 de la sixièmedirective d'une qualification préalable de l'opérateur porterait atteinte à l'objectifde cette disposition, créerait une distorsion de concurrence entre les opérateurs etcompromettrait l'application uniforme de la sixième directive.

De

23.
    Dès lors, il convient de constater que le régime de l'article 26 de la sixièmedirective s'applique aux opérateurs économiques qui organisent en leur propre nomdes voyages ou des circuits touristiques et qui, pour fournir les prestations deservices généralement attachées à ce type d'activité, recourent à des tiers assujettis,même s'ils ne bénéficient pas formellement de la qualité d'agence de voyages oud'organisateur de circuits touristiques.

24.
    Cependant, il est courant, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 36 deses conclusions, que des opérateurs économiques, tels que des hôteliers, fournissantdes services habituellement liés à des voyages, soient amenés à utiliser desprestations acquises auprès de tiers, lesquelles, d'une part, occupent,comparativement aux opérations d'hébergement, une part moins importante dumontant du forfait et, d'autre part, relèvent de missions traditionnellement dévoluesà de tels opérateurs. Ces prestations acquises auprès de tiers ne constituent doncpas pour la clientèle une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans de meilleuresconditions du service principal de cet opérateur.

25.
    Il convient de constater que, dans de telles conditions, les prestations acquisesauprès de tiers restent purement accessoires par rapport aux prestations propreset qu'il n'y a pas lieu de taxer l'opérateur économique conformément à l'article 26de la sixième directive.

26.
    Or, à cet égard, il y a lieu d'observer que, dès lors qu'un hôtelier propose à sesclients de manière habituelle, outre l'hébergement, des prestations sortant desmissions traditionnellement dévolues aux hôteliers et dont la réalisation ne peutêtre dénuée de répercussion sensible sur le forfait pratiqué, telles que le voyagejusqu'à l'hôtel à partir de points de ramassage éloignés, de telles prestations nepeuvent pas être assimilées à des prestations de services purement accessoires.

27.
    Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre aux questions posées parla High Court of Justice que l'article 26 de la sixième directive s'applique à unhôtelier qui, contre le paiement d'un forfait, propose de manière habituelle à sesclients, outre l'hébergement, le transport aller-retour entre l'hôtel et certains pointsde ramassage éloignés et une excursion en autocar au cours du séjour, lesquelsservices de transport sont acquis auprès de tiers.

Sur les questions posées par le VAT and Duties Tribunal

28.
    Par ses questions, qu'il convient d'examiner ensemble, le VAT and Duties Tribunaldemande en substance comment calculer la marge imposable au sens de l'article26 de la sixième directive lorsqu'un opérateur économique soumis aux dispositionsde cette disposition effectue, contre le paiement d'un prix forfaitaire, des opérationscomposées en partie de prestations propres et en partie de prestations acquisesauprès de tiers.

29.
    Afin de répondre à cette question, il y a lieu, tout d'abord, de vérifier si, lorsquedes forfaits se composent de prestations mixtes, l'article 26 s'applique uniquementaux prestations acquises auprès de tiers ou à l'ensemble des prestations. Il y a lieuensuite d'examiner la méthode de calcul de la partie du forfait relative à laprestation propre.

30.
    S'agissant de la première partie de la question, MM. Madgett et Baldwin, lesgouvernements du Royaume-Uni et allemand ainsi que la Commission font valoirque le régime particulier prévu à l'article 26 de la sixième directive ne s'appliquequ'aux prestations acquises auprès de tiers.

31.
    En revanche, le gouvernement suédois considère qu'il convient d'appliquer l'article26 également à la prestation propre.

32.
    A cet égard, il y a lieu, d'abord, de rappeler que, selon l'article 26, paragraphe 1,de la sixième directive, le régime y prévu s'applique aux opérations des agences devoyages lorsque sont utilisées, pour la réalisation du voyage, des livraisons et desprestations de services d'autres assujettis et que, selon le paragraphe 2 de cettedisposition, la base d'imposition consiste en la différence entre le montant total àpayer par le voyageur hors TVA et le coût effectif supporté par l'agence devoyages pour les livraisons et les prestations de services d'autres assujettis.

33.
    Ensuite, il convient de constater que l'article 26 de la sixième directive ne faitaucune référence aux prestations propres et que l'objectif essentiel de cettedisposition est d'éviter les difficultés qui découleraient pour les opérateurséconomiques des principes généraux de la sixième directive relatifs aux opérationsimpliquant la fourniture de prestations acquises auprès de tiers.

34.
    Enfin, il y a lieu de rappeler que le régime prévu à l'article 26 constitue uneexception au régime normal de la sixième directive et ne doit être appliqué quedans la mesure nécessaire pour atteindre son objectif.

35.
    Dans ces conditions, il convient de constater que le régime particulier prévu àl'article 26 de la sixième directive s'applique uniquement aux prestations acquisesauprès de tiers.

36.
    S'agissant de la seconde partie de la question, MM. Madgett et Baldwin ainsi quela Commission font valoir que le calcul du prix pour les prestations propres devraitêtre fondé sur la valeur de marché conformément aux principes normaux de

détermination de la base d'imposition prévus à l'article 11 de la sixième directive.En l'espèce, la valeur de marché de l'hébergement serait le prix des chambrespratiqué par l'hôtel aux clients n'utilisant pas le forfait.

37.
    En revanche, le gouvernement allemand soutient que la ventilation entre la partiedu voyage qui relève du régime particulier de l'article 26 et celle à laquelle l'article26 ne s'applique pas devrait en principe être effectuée selon le rapportproportionnel entre les coûts effectifs supportés pour les prestations acquisesauprès de tiers et ceux exposés pour les prestations propres. La partie du prix duvoyage relative aux prestations propres pourrait cependant être déterminée d'uneautre manière dans certains cas, si cela conduit à un résultat adéquat.

38.
    Le gouvernement du Royaume-Uni explique que, selon le régime TOMS, qu'ilconsidère comme étant compatible avec l'article 26 de la sixième directive,l'opérateur doit calculer le coût total qu'il supporte en fournissant des forfaits, cecoût étant composé, d'une part, des sommes payées par lui pour les prestationsacquises auprès de tiers et, d'autre part, du coût qu'il supporte en fournissant sesprestations propres. Le coût total est alors soustrait du montant total perçu pourproduire la marge totale. Cette marge est ensuite divisée en marge sur lesprestations acquises auprès de tiers et en marge sur les prestations propres, dansla proportion des dépenses afférentes aux prestations acquises auprès de tiers parrapport au coût des prestations propres. Afin d'assurer une application uniformede la taxe, les mêmes règles devraient trouver application indépendamment de laproportion que représentent, dans le forfait, les prestations propres et lesprestations acquises auprès de tiers. L'article 26 prévoyant un système de taxationde l'élément acquis auprès de tiers par référence à la marge, c'est-à-dire ladifférence entre le coût effectif et le revenu, il n'y aurait pas de raison de s'écarterde ce principe en ce qui concerne la prestation propre.

39.
    Il y a lieu, d'abord, de relever que l'article 26 de la sixième directive, dans lamesure où il n'envisage pas l'hypothèse de la fourniture d'un forfait comprenantà la fois des prestations acquises auprès de tiers et des prestations propres, nedéfinit pas de critères permettant d'isoler la marge des prestations acquises auprèsde tiers du montant des prestations propres.

40.
    Dans ce contexte, il convient de rappeler que la sixième directive prévoit, en sonarticle 11, A, paragraphe 1, sous a), que la base d'imposition de la TVA estconstituée, pour la plupart des services, par tout ce qui est reçu en contrepartie duservice effectué. Selon une jurisprudence constante, la contrepartie est interprétéecomme étant ce qui est réellement reçu, et non une valeur estimée selon descritères objectifs (voir arrêt du 23 novembre 1988, Naturally Yours Cosmetics,230/87, Rec. p. 6365, point 16).

41.
    Or, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 65 de ses conclusions, il résultede l'existence d'un prix forfaitaire couvrant à la fois des prestations acquises auprès

de tiers — et donc couvertes par l'article 26 — et des prestations propres — qui nesont pas couvertes par cette disposition — que la contrepartie, au sens de l'article11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive ne peut pas être utiliséecomme base d'imposition pour des prestations propres fournies dans le cadre duforfait.

42.
    Dès lors, il y a lieu de déterminer l'unité de référence qu'il convient d'utilisercomme alternative à la contrepartie afin d'isoler la partie du forfait relative à laprestation propre. A cet égard, deux voies sont possibles, l'une fondée sur les coûtseffectifs comme dans le cadre du régime TOMS, et l'autre fondée sur la valeur demarché.

43.
    Dans cette perspective, il y a lieu d'observer, en premier lieu, ainsi que l'a fait M.l'avocat général au point 71 de ses conclusions, que la méthode des coûts effectifsutilisée par le gouvernement du Royaume-Uni pourrait poser un problème du faitque rien ne permet de supposer que les marges respectives des prestationscomposant le forfait sont proportionnelles à la part qu'occupent leurs coûtsrespectifs.

44.
    Il convient de relever, en second lieu, que la valeur du marché — en l'espèce le prixdes chambres et la demi-pension pratiqués par l'hôtel lorsque les clients n'utilisentpas le forfait — en tant que critère à utiliser peut également comporter une partd'arbitraire dans la mesure où le prix de l'hébergement offert comme prestationpropre dans le cadre du forfait est considéré comme étant identique au prix del'hébergement lorsque celui-ci est proposé comme prestation unique.

45.
    Or, la méthode des coûts effectifs relative aux prestations propres nécessite unesérie d'exercices de sous-ventilation complexes et impose ainsi un important travailsupplémentaire à l'opérateur économique. En revanche, l'utilisation de la valeur demarché des prestations propres présente, ainsi que l'a relevé M. l'avocat généralau point 76 de ses conclusions, l'avantage de la simplicité étant donné qu'il n'estpas nécessaire de distinguer les différents éléments de la valeur des prestationspropres.

46.
    Dans ces circonstances — compte tenu du fait qu'en l'espèce il est constant que lecalcul de la TVA sur la marge des prestations acquises auprès de tiers en utilisantl'une ou l'autre alternative donne en principe une TVA identique — il ne peut pasêtre exigé d'un opérateur économique qu'il calcule la partie du forfaitcorrespondant à la prestation propre selon le principe des coûts effectifs lorsqu'ilest possible d'isoler cette partie du forfait sur la base de la valeur de marché desprestations analogues à celles faisant partie du forfait.

47.
    Au vu de ce qui précède, il convient de répondre aux questions posées par le VATand Duties Tribunal que l'article 26 de la sixième directive doit être interprété ence sens que, lorsqu'un opérateur économique soumis aux dispositions de cet articleeffectue, contre le paiement d'un prix forfaitaire, des opérations composées de

prestations de services fournies en partie par lui-même et en partie par d'autresassujettis, le régime de TVA prévu à cette disposition s'applique uniquement auxprestations de services fournies par des tiers. Il ne peut pas être exigé d'unopérateur économique qu'il calcule la partie du forfait correspondant à laprestation propre selon le principe des coûts effectifs lorsqu'il est possible d'isolercette partie du forfait sur la base de la valeur de marché des prestations analoguesà celles faisant partie du forfait.

Sur les dépens

48.
    Les frais exposés par les gouvernements du Royaume-Uni, allemand, hellénique etsuédois, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour,ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard desparties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridictionnationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par la High Court of Justice (England &Wales), Queen's Bench Division, et le VAT and Duties Tribunal, London, parordonnances des 16 novembre 1995 et 26 février 1997, dit pour droit:

1)    L'article 26 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977,en matière d'harmonisation des législations des États membres relativesaux taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeurajoutée: assiette uniforme, s'applique à un hôtelier qui, contre le paiementd'un forfait, propose de manière habituelle à ses clients, outrel'hébergement, le transport aller-retour entre l'hôtel et certains points deramassage éloignés et une excursion en autocar au cours du séjour, lesquelsservices de transport sont acquis auprès de tiers.

2)    L'article 26 de la sixième directive 77/388 doit être interprété en ce sensque, lorsqu'un opérateur économique soumis aux dispositions de cet articleeffectue, contre le paiement d'un prix forfaitaire, des opérations composéesde prestations de services fournies en partie par lui-même et en partie pard'autres assujettis, le régime de TVA prévu à cette disposition s'appliqueuniquement aux prestations de services fournies par des tiers. Il ne peutpas être exigé d'un opérateur économique qu'il calcule la partie du forfaitcorrespondant à la prestation propre selon le principe des coûts effectifslorsqu'il est possible d'isoler cette partie du forfait sur la base de la valeurde marché des prestations analogues à celles faisant partie du forfait.

Puissochet

Moitinho de Almeida
Gulmann

Sevón

Wathelet

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 octobre 1998.

Le greffier

Le président de la cinquième chambre

R. Grass

J.-P. Puissochet


1: Langue de procédure: l'anglais.