Language of document : ECLI:EU:C:2020:390

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 28 mai 2020 (1)

Affaires jointes C597/18 P, C598/18 P, C603/18 P et C604/18 P

Conseil de l’Union européenne

contre

Dr K. Chrysostomides & Co. LLC,

et les autres parties dont les noms figurent dans l’annexe I (2)

Commission européenne,

Banque centrale européenne (BCE),

Eurogroupe

Union européenne (C597/18 P)

et

Conseil de l’Union européenne

contre

Eleni Pavlikka Bourdouvali,

et les autres parties dont les noms figurent dans l’annexe II (3)

Commission européenne,

Banque centrale européenne (BCE),

Eurogroupe

Union européenne (C598/18 P)

et

Dr K. Chrysostomides & Co. LLC,

et les autres parties dont les noms figurent dans l’annexe I (C603/18 P)

Eleni Pavlikka Bourdouvali,

et les autres parties dont les noms figurent dans l’annexe II

(C604/18 P)

contre

Conseil de l’Union européenne

Commission européenne,

Banque centrale européenne (BCE),

Eurogroupe,

Union européenne (C603/18 P et C604/18 P)

« Pourvoi – Responsabilité non contractuelle – Politique économique et monétaire – Programme de soutien à la stabilité de Chypre – Eurogroupe – Nature juridique – Compétence des juridictions de l’Union »






1.        Quelle est la nature juridique de l’Eurogroupe ? Comment cet organisme se positionne-t-il dans le cadre constitutionnel complexe de l’Union économique et monétaire (UEM) ? L’Eurogroupe peut-il être qualifié d’« institution » au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE ? Partant, les juridictions de l’Union sont‑elles compétentes en matière de recours en indemnité formés, conformément à cette disposition, contre l’Eurogroupe concernant d’éventuels dommages causés par des actes prétendument préjudiciables pris par cet organisme ?

2.        Telles sont les questions soulevées dans les présentes conclusions qui portent sur deux pourvois formés par le Conseil de l’Union européenne (4), soutenu par la Commission européenne, contre deux arrêts du Tribunal (ci‑après les « arrêts attaqués ») (5), dans lesquels ce dernier a rejeté les exceptions d’irrecevabilité soulevées par le Conseil concernant des recours en indemnité introduits, entre autres, contre l’Eurogroupe.

3.        Les affaires relatives aux deux pourvois susmentionnés du Conseil, sur lesquelles se concentrent les présentes conclusions, conformément au souhait de la Cour, sont jointes à deux autres affaires relatives à des pourvois (6) introduits par des titulaires de dépôts ou des actionnaires de deux banques chypriotes (mentionnés dans les annexes I et II, ci‑après les « requérants en première instance »), également dirigés contre les arrêts attaqués. Ceux-ci demandent l’annulation desdits arrêts en ce que le Tribunal a rejeté les recours en indemnité qu’ils avaient introduits contre le Conseil, la Commission, la Banque centrale européenne (BCE) et l’Eurogroupe concernant les dommages prétendument causés par une série d’actes adoptés par ces derniers, parmi lesquels figurent certaines déclarations de l’Eurogroupe (7).

4.        Les présentes affaires revêtent une importance constitutionnelle indéniable. Elles offrent à la Cour la possibilité de préciser la nature juridique de l’Eurogroupe, organisme doté d’une influence politique certes importante, mais qui constitue, dans le cadre constitutionnel/institutionnel européen, l’organisme qui est peut-être le plus sujet à controverse et le moins facile à classer.

I.      Le cadre juridique

5.        L’article 137 TFUE dispose que « [l]es modalités des réunions entre ministres des États membres dont la monnaie est l’euro sont fixées par le protocole sur l’Eurogroupe ».

6.        Le protocole no 14 sur l’Eurogroupe annexé au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci‑après le « protocole no 14 ») énonce, dans son préambule, que : « LES HAUTES PARTIES CONTRACTANTES, DÉSIREUSES de favoriser les conditions d’une croissance économique plus forte dans l’Union européenne et, à cette fin, de développer une coordination sans cesse plus étroite des politiques économiques dans la zone euro, CONSCIENTES de la nécessité de prévoir des dispositions particulières pour un dialogue renforcé entre les États membres dont la monnaie est l’euro, en attendant que l’euro devienne la monnaie de tous les États membres de l’Union, SONT CONVENUES des dispositions […] » visées aux articles 1er et 2 de ce protocole.

7.        L’article 1er du protocole no 14 dispose que « [l]es ministres des États membres dont la monnaie est l’euro se réunissent entre eux de façon informelle. Ces réunions ont lieu, en tant que de besoin, pour discuter de questions liées aux responsabilités spécifiques qu’ils partagent en matière de monnaie unique. La Commission participe aux réunions. La Banque centrale européenne est invitée à prendre part à ces réunions, qui sont préparées par les représentants des ministres chargés des finances des États membres dont la monnaie est l’euro et de la Commission ».

8.        L’article 2 du protocole no 14 prévoit que « [l]es ministres des États membres dont la monnaie est l’euro élisent un président pour deux ans et demi, à la majorité de ces États membres ».

II.    Les faits

9.        Les antécédents du litige sont exposés avec précision aux points 10 à 46 des arrêts attaqués, auxquels je renvoie pour de plus amples détails.

10.      Aux fins des présentes conclusions, il suffit de rappeler que, pendant la crise financière qui a commencé l’année 2011, un certain nombre de banques ayant leur siège à Chypre, dont Cyprus Popular Bank et la Bank of Cyprus, ont rencontré de graves difficultés financières au cours de l’année 2012.

11.      Intervenant au soutien de son système bancaire, la République de Chypre a présenté, au mois de juin 2012, une demande d’assistance financière au président de l’Eurogroupe, qui a abouti à la négociation d’un protocole d’accord, dans le cadre d’un programme d’ajustement macroéconomique, entre la Commission, en liaison avec la BCE et le Fonds monétaire international (FMI), et les autorités chypriotes.

12.      Ce protocole d’accord a été approuvé le 24 avril 2013 par le conseil des gouverneurs du mécanisme européen de stabilité (MES), a été signé le 26 avril 2013 et a été approuvé le 30 avril 2013 par le Parlement chypriote.

13.      Le 25 avril 2013, le Conseil a adopté, en vertu de l’article 136, paragraphe 1, TFUE, la décision 2013/236/UE, adressée à Chypre, portant mesures spécifiques pour restaurer la stabilité financière et une croissance durable (8).

14.      Tant au cours de la période précédant l’adoption du protocole d’accord qu’après sa signature et son approbation, l’Eurogroupe a fait plusieurs déclarations publiques concernant l’assistance financière en faveur de la République de Chypre.

15.      Plus précisément, par déclaration du 25 mars 2013, l’Eurogroupe a, entre autres, annoncé la conclusion d’un accord sur les éléments essentiels d’un futur programme macroéconomique d’ajustement soutenu par tous les États membres dont la monnaie est l’euro, ainsi que par la Commission, la BCE et le FMI. Par déclaration du 13 mai 2013, l’Eurogroupe a salué la décision du Conseil des gouverneurs du MES d’approuver la première partie de l’aide et a confirmé que la République de Chypre avait mis en œuvre les mesures convenues dans le protocole d’accord du 26 avril 2013. Par déclaration du 13 septembre 2013, l’Eurogroupe s’est notamment félicité, d’une part, de la conclusion de la première mission de contrôle de la Commission, de la BCE et du FMI et, d’autre part, du fait que la Bank of Cyprus était sortie de la procédure de résolution.

III. La procédure devant le Tribunal et les arrêts attaqués

16.      Par des recours introduits devant le Tribunal respectivement le 20 décembre 2013 (affaire T‑680/13) et le 1er décembre 2014 (affaire T‑786/14), les requérants en première instance ont engagé les actions en indemnité mentionnées au point 3 des présentes conclusions à l’encontre, entre autres, de l’Eurogroupe.

17.      Au cours de la procédure devant le Tribunal, le Conseil, la Commission et la BCE ont soulevé, par actes séparés (9), des exceptions d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal.

18.      Par les arrêts attaqués, le Tribunal a rejeté les recours introduits par les requérants en première instance et les a condamnés aux dépens.

IV.    Conclusions des parties

19.      Dans les affaires C‑597/18 P et C‑598/18 P, qui font l’objet des présentes conclusions, le Conseil demande à la Cour d’annuler les parties des arrêts attaqués dans lesquelles le Tribunal a rejeté les exceptions d’irrecevabilité qu’il a soulevées concernant les recours en indemnité introduits à l’encontre de l’Eurogroupe et de condamner les requérants en première instance aux dépens.

20.      Dans les affaires susmentionnées, les requérants en première instance demandent à la Cour de rejeter les pourvois formés par le Conseil et de le condamner aux dépens.

21.      La Commission demande à la Cour d’accueillir les pourvois formés par le Conseil et de condamner les requérants en première instance aux dépens des deux instances.

22.      La République de Finlande, admise à intervenir au soutien des conclusions du Conseil par ordonnance du président de la Cour du 21 février 2019, demande à la Cour d’accueillir les pourvois formés par le Conseil et d’annuler les arrêts attaqués en ce qu’ils déclarent recevables les recours en indemnité formés par les requérants en première instance à l’encontre de l’Eurogroupe.

V.      Analyse des pourvois

23.      Les pourvois introduits par le Conseil, qui font, comme cela a été dit, l’objet des présentes conclusions, contestent le raisonnement suivi par le Tribunal dans les arrêts attaqués (respectivement aux points 106 à 114 de l’arrêt dans l’affaire T‑680/13 et aux points 102 à 110 de l’arrêt dans l’affaire T‑786/14) et la conclusion subséquente selon laquelle l’Eurogroupe doit être qualifié d’« institution » au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, de manière à ce que les actes dommageables pris par ce dernier puissent être imputés à l’Union.

A.      Le raisonnement du Tribunal dans la partie pertinente des arrêts attaqués

24.      Dans les arrêts attaqués, le Tribunal a tout d’abord relevé que, conformément à la jurisprudence, le terme « institution » employé à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE englobe non seulement les institutions de l’Union énumérées à l’article 13, paragraphe 1, TUE, mais aussi tous les autres organes et organismes de l’Union institués par les traités et destinés à contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union (10).

25.      Le Tribunal a ajouté que la circonstance que la Cour ait jugé, dans l’arrêt du 20 septembre 2016, Mallis e.a./Commission et BCE (C‑105/15 P à C‑109/15 P, ci‑après l’« arrêt Mallis », EU:C:2016:702 ; voir, en particulier, point 61), que l’Eurogroupe ne pouvait être qualifié « d’organe ou d’organisme de l’Union » au sens de l’article 263 TFUE n’excluait pas la possibilité de le qualifier d’« institution » au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE. À cet égard, le Tribunal a rappelé qu’il résulte de la jurisprudence, d’une part, que le recours en annulation et le recours en indemnité sont des voies de recours différentes et autonomes, qui ont des fonctions distinctes et, d’autre part, que, pour que l’acte ou le comportement dommageable soit de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union, il n’est pas nécessaire que celui‑ci puisse aussi faire l’objet d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE (11)

26.      Le Tribunal en a déduit que l’identification des entités de l’Union qui peuvent être qualifiées d’« institutions » au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE doit s’opérer selon des critères propres à cette disposition, différents de ceux visés à l’article 263 TFUE. Par conséquent, le Tribunal est d’avis qu’il importe, à cette fin, de déterminer si l’entité de l’Union à laquelle l’acte ou le comportement incriminé est imputable a été instituée par les traités et est destinée à contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union (12).

27.      Le Tribunal a donc considéré que, l’article 137 TFUE et le protocole no 14 prévoyant l’existence, la composition, les modalités de réunion et les fonctions de l’Eurogroupe, cet organisme doit être considéré comme un organisme de l’Union formellement institué par les traités et destiné à contribuer à la réalisation de ses objectifs. Par conséquent, le Tribunal a conclu que les actes et les comportements de l’Eurogroupe dans l’exercice des compétences qui lui sont attribuées par le droit de l’Union sont imputables à l’Union (13).

28.      Enfin, le Tribunal a considéré que toute solution contraire se heurterait au principe de l’« Union de droit », en ce qu’elle permettrait la constitution, au sein de l’ordre juridique de l’Union, d’organismes dont les actes et les comportements ne peuvent engager la responsabilité de cette dernière (14).

B.      Brève synthèse des arguments des parties

29.      Dans ses pourvois, le Conseil soulève un moyen unique et soutient que la conclusion du Tribunal dans les arrêts attaqués, selon laquelle les actes de l’Eurogroupe peuvent engager la responsabilité non contractuelle de l’Union, est fondée sur plusieurs erreurs de droit.

30.      Tout d’abord, le Tribunal aurait mal interprété l’arrêt Mallis susmentionné et la jurisprudence citée dans les arrêts attaqués. En effet, il ne résulterait aucunement de cette jurisprudence que la simple référence à l’Eurogroupe, dans les traités, permettrait de considérer celui‑ci comme une « institution » au sens de l’article 340 TFUE. L’article 137 TFUE et le protocole no 14 auraient une portée purement recognitive et non constitutive de l’Eurogroupe, ce dernier ayant été institué en 1997 par le Conseil européen.

31.      Le Tribunal n’aurait pas pu constater que l’Eurogroupe est doté de la personnalité juridique ni, alternativement, qu’il dispose de compétences attribuées par les traités, comme l’exige la jurisprudence qu’il cite. La simple présence de dispositions sur l’existence et les règles de procédure d’une réunion informelle ne permettrait pas d’en déduire l’attribution de compétences. Par conséquent, le Tribunal aurait également violé le principe d’attribution consacré à l’article 5, paragraphe 2, TUE.

32.      Enfin, le défaut de compétence des juridictions de l’Union en matière de recours en indemnité formés contre l’Eurogroupe ne poserait pas de problèmes du point de vue du principe de protection juridictionnelle effective dans la mesure où les particuliers disposeraient d’autres possibilités de contrôle juridictionnel. En premier lieu, la Commission pourrait être considérée comme responsable de l’illégalité des actes du MES au sujet desquels elle a exercé des pouvoirs (15). En deuxième lieu, les particuliers pourraient saisir des juridictions nationales pour faire valoir leurs droits. En troisième lieu, les juridictions de l’Union auraient la possibilité de contrôler les actes du Conseil qui précèdent et préfigurent le contenu des conditions du MES (16).

33.      La Commission, intervenue au soutien du Conseil, considère, en premier lieu, que l’Eurogroupe ne relève pas ratione personae du champ d’application de l’article 340 TFUE dans la mesure où celui‑ci constituerait une réunion informelle des ministres des États membres dont la monnaie est l’euro et ne ferait donc pas partie du cadre institutionnel de l’Union. En second lieu, la Commission soutient que les articles 263 et 340 TFUE ont le même champ d’application ratione personae. Selon cette institution, le Tribunal n’aurait pas été en mesure d’étayer son raisonnement par des précédents jurisprudentiels établissant qu’un organisme dont les actes ne sont pas susceptibles de recours au titre de l’article 263 TFUE peut néanmoins être attrait en justice dans le cadre d’un recours en indemnité au titre de l’article 340 TFUE.

34.      Le gouvernement finlandais, intervenu également au soutien du Conseil, fait valoir que, bien que l’existence de l’Eurogroupe soit reconnue par les traités, la simple mention de ce dernier ne serait pas suffisante pour élever l’Eurogroupe au rang d’« institution » de l’Union.

35.      Les requérants en première instance soutiennent, en premier lieu, que l’arrêt Mallis susmentionné ne serait pas pertinent dans la mesure où celui‑ci concernait un recours en annulation et non un recours en responsabilité non contractuelle. Il résulterait de la jurisprudence que la recevabilité de l’action en responsabilité non contractuelle ne serait pas subordonnée à la condition que l’organisme ait le pouvoir d’adopter des actes contraignants. Exclure la possibilité d’un engagement de la responsabilité de l’Union pour les actes adoptés par l’Eurogroupe reviendrait à méconnaître le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective. En deuxième lieu, ceux‑ci contestent l’argument selon lequel l’Eurogroupe n’aurait pas été institué par les traités. En effet, son existence aurait été formalisée par le traité de Lisbonne, avec l’article 137 TFUE et le protocole no 14. En troisième lieu, l’Eurogroupe ne serait pas seulement un forum informel de discussion, mais aurait des responsabilités en matière d’élaboration des politiques économiques et budgétaires de l’Union. Enfin, lesdits requérants contestent l’idée selon laquelle les particuliers peuvent bénéficier de voies de recours alternatives pour obtenir une protection juridictionnelle, principalement pour deux raisons. La responsabilisation de la Commission dans l’exercice de ses pouvoirs ne saurait remplacer celle de l’Eurogroupe. En outre, la possibilité de saisir les juridictions nationales ne serait pas satisfaisante pour les particuliers, car seuls pourraient être attaqués les actes imputables aux autorités nationales et non ceux adoptés par les entités instituées par les traités.

C.      Analyse juridique

1.      Observations liminaires

36.      Les pourvois formés par le Conseil soulèvent la question de la possibilité de qualifier l’Eurogroupe d’« institution » au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE et, partant, de la compétence des juridictions de l’Union en matière de recours en indemnité introduits à l’encontre de cet organisme, conformément à cette disposition, concernant les dommages éventuels causés par des actes prétendument préjudiciables pris par celui‑ci.

37.      En ce qui concerne les recours en responsabilité non contractuelle de l’Union, il importe de rappeler qu’aux termes de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par elle‑même ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

38.      À cet égard, il convient de rappeler également que, conformément à une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution de l’Union, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement de l’institution et le préjudice invoqué (17).

39.      Il découle de la jurisprudence que la notion d’« institution » au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE est plus large que celle visée à l’article 13, paragraphe 1, TUE. En effet, le terme « institution » employé à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE ne doit pas être compris comme visant les seules institutions de l’Union au sens strict, telles qu’énumérées à l’article 13, paragraphe 1, TUE. Cette notion recouvre également, eu égard au système de responsabilité non contractuelle établi par les traités, tous les autres organismes de l’Union institués par les traités et destinés à contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union. Par conséquent, les actes pris par ces organismes dans l’exercice des compétences qui leur sont attribuées par le droit de l’Union sont imputables à l’Union, conformément aux principes généraux communs aux États membres visés à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE (18).

40.      Afin de vérifier si l’Eurogroupe peut ou non être qualifié d’« institution de l’Union » au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, de manière à ce que les conséquences dommageables de ses actes puissent être imputées à l’Union, il convient de comprendre la nature juridique de cet organisme et son positionnement dans le cadre institutionnel de l’UEM. À cette fin, je procéderai tout d’abord à une analyse de l’architecture constitutionnelle de l’UEM à la lumière de la jurisprudence de la Cour (section 2). J’analyserai ensuite l’Eurogroupe en tant que tel au regard de sa création, de ses fonctions et de son fonctionnement concret (section 3). Les éléments résultant de cette analyse permettront de déterminer la nature juridique de l’Eurogroupe et sa qualification constitutionnelle (section 4). Enfin, j’exposerai quelques considérations concernant les exigences liées au respect du principe de protection juridictionnelle effective (section 5).

2.      Architecture constitutionnelle de l’UEM

41.      Depuis sa création, l’UEM est caractérisée par une architecture constitutionnelle « asymétrique » en ce qui concerne les deux éléments dont elle est constituée, à savoir la politique monétaire et la politique économique (19). Cette asymétrie concerne la répartition des compétences et, par conséquent, la structure constitutionnelle et institutionnelle proprement dite.

42.      En effet, s’agissant de la répartition des compétences, si, d’un côté, l’Union s’est vu conférer la compétence exclusive en matière de politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro (20), de l’autre, le contrôle des politiques économiques, y compris la politique budgétaire et fiscale, est resté de la compétence des États membres.

43.      En l’absence d’attribution d’une compétence à caractère général par un véritable transfert de pouvoirs, comme ce fut le cas de la politique monétaire, en matière de politique économique, l’Union se borne à exercer – en application des dispositions du chapitre 1, du titre VIII, de la troisième partie du traité FUE – des pouvoirs de coordination des politiques économiques des États membres (21), ainsi que, pour les seuls États membres dont la monnaie est l’euro, en vertu de dispositions particulières qui leur sont applicables, des pouvoirs de coordination et de surveillance de la discipline budgétaire et d’élaboration de lignes directrices de la politique économique (22).

44.      Cette asymétrie dans la répartition des compétences au sein de l’UEM s’est reflétée dans une asymétrie correspondante dans l’organisation constitutionnelle et institutionnelle de l’UEM, ce qui implique que l’UEM est régie par son propre équilibre institutionnel.

45.      En fait, alors que, pour l’exercice des compétences exclusives de l’Union en matière de politique monétaire, les traités prévoient un cadre institutionnel constitué de la BCE et du Système européen de banques centrales (SEBC) (23), le cadre d’ensemble est plus complexe en ce qui concerne la politique économique.

46.      En effet, la coordination des politiques économiques des États membres intervient dans un domaine impliquant nécessairement trois niveaux opérationnels distincts : le niveau national, celui de l’Union et le niveau intergouvernemental.

47.      Au niveau national est exercée la politique économique et fiscale pour laquelle les États membres restent compétents. Au niveau de l’Union a lieu la coordination des politiques économiques des États membres, et les pouvoirs de surveillance susvisés sont exercés pour les pays de la zone euro. Quant au niveau intergouvernemental, il a toujours été l’un des moyens privilégiés pour le développement de l’intégration économique entre les États et constitue encore aujourd’hui une voie parallèle qui recoupe parfois celle de l’Union.

48.      La complexité de la structure constitutionnelle de l’UEM évoquée précédemment s’est encore accentuée suite aux mesures prises en réponse à la crise financière. L’Union et les États membres sont effectivement intervenus à travers une série de mesures d’ajustement, qui ont été adoptées à la fois dans le cadre institutionnel et juridique de l’Union et en dehors de ce cadre.

49.      Alors que, dans le sillage du droit de l’Union, diverses mesures ont été prises pour éviter une nouvelle crise financière (24), en dehors du cadre institutionnel et juridique de l’Union, les États membres de la zone euro ont sensiblement renforcé leur coopération, au niveau intergouvernemental, notamment par la conclusion, le 2 février 2012, du traité instituant le mécanisme européen de stabilité (ci‑après le « traité MES ») et, le 2 mars 2012, du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (ci‑après le « pacte budgétaire »).

50.      Bien que ces mesures et, par conséquent, leur mise en œuvre se situent sur des plans juridiquement et institutionnellement différents, à savoir, d’une part, au niveau de l’Union, et, d’autre part, au niveau intergouvernemental à l’extérieur de la sphère juridique de l’Union, elles font néanmoins partie d’un cadre d’ensemble commun et sont étroitement liées les unes aux autres.

51.      La forte corrélation entre les mesures adoptées au niveau de l’Union et au niveau intergouvernemental a fait émerger, dans le cadre de l’UEM, des formes de coopération – qui étaient d’ailleurs apparues avant la crise – qui, se situant à la frontière entre ces deux niveaux, peuvent être qualifiées de méthode « semi-intergouvernementale ». Il s’agit en effet d’une coopération de nature intergouvernementale en ce sens qu’elle se déroule en dehors du cadre juridique et institutionnel de l’Union. Cependant, cette coopération comporte de forts éléments de connexion et d’interdépendance tant avec le droit qu’avec le cadre institutionnel de l’Union.

52.      Dès lors, sur le plan juridique, il existe un lien substantiel entre les actes adoptés par l’Union et les traités adoptés par les États membres au niveau intergouvernemental, en ce que, d’un côté, l’obligation pour un État membre de participer à ces traités découle directement de son statut dans le droit de l’Union (25) et que, de l’autre, ces actes contiennent des références législatives croisées (26).

53.      Sur le plan institutionnel, ces formes de coopération se caractérisent par un niveau élevé de participation des institutions de l’Union aux actes de nature intergouvernementale et vice versa. Ainsi, par exemple, la Commission et la BCE exercent des fonctions importantes dans le cadre du traité MES (27), tandis que la Commission est fortement impliquée dans la mise en œuvre des dispositions du pacte budgétaire (28).

54.      Dans une telle situation présentant une complexité et des interconnexions d’ordre constitutionnel et juridique, il peut donc se révéler quelque peu difficile de tracer une frontière claire entre les actes pris au niveau intergouvernemental et ceux pris au niveau de l’Union et, par conséquent, également entre les organismes intergouvernementaux et les organes de l’Union.

55.      Ces dernières années, la Cour a été appelée à plusieurs reprises à examiner, dans une série d’affaires découlant de situations liées à la crise financière, des questions relatives à l’architecture constitutionnelle de l’UEM. Dans sa jurisprudence, la Cour a toujours cherché à maintenir l’équilibre constitutionnel et institutionnel délicat résultant des choix opérés par les États membres.

56.      Ainsi, dans l’arrêt Pringle (29), la Cour, en assemblée plénière, a jugé que le traité MES était compatible avec le droit de l’Union. Dans cette affaire fondamentale, la Cour a précisé, entre autres, que le droit de l’Union n’empêchait pas les États membres, dans les domaines qui ne relèvent pas de la compétence exclusive de l’Union, de confier, aux institutions de cette dernière, des missions telles que la coordination d’une action collective entreprise par les États membres en dehors du cadre de l’Union, pour autant que ces missions ne dénaturent pas les attributions que les traités UE et FUE confèrent à ces institutions (30).

57.      Les arrêts rendus dans les affaires Ledra (31) et Mallis (32), dont la Cour a été saisie dans le même contexte factuel de la crise financière et bancaire chypriote que celui des affaires soumises au Tribunal ayant donné lieu aux arrêts attaqués, sont également essentiels.

58.      Plus particulièrement, dans l’arrêt Ledra, la Cour a eu l’occasion de préciser que le fait que les missions confiées à la Commission et à la BCE en vertu du traité MES ne comportent pas de pouvoir décisionnel propre et n’engagent que le MES lui‑même n’exempte pas ces institutions de la possibilité d’être attraites devant les juridictions de l’Union aux fins de la réparation des dommages causés par des comportements illicites dont elles se sont rendues coupables dans l’accomplissement de ces missions. En particulier, la Cour a souligné que, lorsqu’elle agit dans la sphère intergouvernementale, dans le cadre du traité MES, la Commission conserve son rôle de gardienne des traités, tel qu’il ressort de l’article 17, paragraphe 1, TUE (33).

59.      En revanche, dans l’arrêt Mallis, les requérants avaient contesté, par un recours en annulation, la déclaration de l’Eurogroupe du 25 mars 2013 précisément, sur laquelle sont fondés, entre autres, les recours en indemnisation des requérants dans les affaires soumises au Tribunal qui ont donné lieu aux arrêts attaqués. À cet égard, la Cour a jugé que cette déclaration ne pouvait pas être qualifiée de décision commune de la Commission et de la BCE et que la circonstance que la Commission et la BCE participent aux réunions de l’Eurogroupe ne modifiait pas la nature des déclarations de ce dernier et ne saurait conduire à considérer que celles‑ci seraient l’expression d’un pouvoir décisionnel de ces deux institutions de l’Union (34).

60.      En ce qui concerne spécifiquement l’Eurogroupe, la Cour a relevé, au point 61 de l’arrêt Mallis, « non seulement que le qualificatif “informel” est employé dans le libellé du protocole no 14 sur l’Eurogroupe annexé au traité FUE, mais également que l’Eurogroupe ne figure pas parmi les différentes formations du Conseil de l’Union européenne » (35), et donc, que « l’Eurogroupe ne peut ni être assimilé à une formation du Conseil ni être qualifié d’organe ou d’organisme de l’Union au sens de l’article 263 TFUE ».

61.      C’est dans l’architecture constitutionnelle complexe de l’UEM décrite précédemment, complétée par la jurisprudence pertinente de la Cour, que s’inscrit l’Eurogroupe.

3.      L’Eurogroupe

a)      L’institution de l’Eurogroupe et les raisons de sa création

62.      L’Eurogroupe a été formellement institué lors du Conseil européen de Luxembourg des 12 et 13 décembre 1997 (36). Dans la résolution adoptée à cette occasion, après avoir rappelé que « le Conseil Ecofin est au cœur de la coordination des politiques économiques des États membres et est habilité à statuer dans les domaines concernés », et que « [c]ette place déterminante du Conseil Ecofin au cœur du processus de coordination et de prise de décision en matière économique consacre l’unité et la cohésion de l’[Union] », le Conseil européen a déclaré que « [l]es ministres des États participant à la zone euro peuvent se réunir entre eux de façon informelle pour discuter de questions liées aux responsabilités spécifiques qu’ils partagent en matière de monnaie unique », et que « [l]a Commission ainsi que, le cas échéant, la B[CE] sont invitées à participer aux réunions ».

63.      La raison qui sous-tend la création de l’Eurogroupe réside dans une double nécessité qui fait suite à l’introduction de l’euro pour les États membres de l’Union qui partagent la monnaie unique. D’une part, la nécessité d’une plus grande efficacité dans la coordination des politiques économiques de ces États, en particulier, mais pas uniquement, d’un point de vue macroéconomique, et, d’autre part, la nécessité d’un lien entre politique monétaire et politique économique.

64.      Le Conseil, en tant qu’institution de l’Union composée de représentants de tous les États membres, ne pouvant répondre efficacement à ces besoins de coordination renforcée et de liaison – besoins ne s’imposant qu’à certains États membres de l’Union –, et l’intention n’étant pas de porter atteinte au cadre institutionnel fixé par les traités, ni d’affaiblir le rôle du Conseil lui‑même en tant qu’institution, il a été décidé de créer un forum exclusif, de nature intergouvernementale, pour les États membres de la zone euro, qui permette à ceux‑ci, au niveau de leurs ministres des Finances, d’échanger des points de vue sur des questions relatives à leurs intérêts, lesquels sont désormais étroitement liés en raison de l’introduction de la monnaie unique. Dès le départ, l’instauration de l’Eurogroupe reflétait donc la volonté des États membres de la zone euro de traiter de questions qui leur étaient spécifiques (ne concernant donc pas les autres États membres) et, pour ce faire, de se rencontrer de manière informelle en dehors du Conseil pour coordonner et harmoniser leurs positions, sans toutefois menacer l’intégrité du Conseil, qui est au cœur du processus décisionnel au niveau de l’Union en matière économique, ni l’indépendance de la BCE.

65.      S’il a donc été conçu comme un outil intergouvernemental de coordination entre un niveau strictement national et un niveau communautaire, l’Eurogroupe a néanmoins immédiatement acquis une importance politique majeure en devenant la principale référence de la coordination économique de la zone euro.

66.      L’Eurogroupe s’est réuni pour la première fois à Luxembourg le 4 juin 1998. Pendant les premières années de son existence, il a agi dans une sorte de zone juridique grise, bien que les travaux menés de manière informelle en son sein aient progressivement fait l’objet de mesures d’organisation visant à structurer ses activités et à doter cette instance d’un cadre plus rigoureux pour améliorer son fonctionnement. À cet égard, on peut par exemple citer la possibilité de publier des déclarations ou des communiqués de presse, le cas échéant (37), ou la décision, en 2004, de nommer un président permanent pour une période de deux ans (38).

b)      L’Eurogroupe après l’adoption du traité de Lisbonne : composition et fonctionnement

67.      Ce n’est qu’avec le traité de Lisbonne que l’Eurogroupe a été reconnu au niveau du droit primaire de l’Union, plus précisément à l’article 137 TFUE et dans le protocole no 14.

68.      L’article 137 TFUE se borne à renvoyer au protocole no 14 en ce qui concerne les modalités des réunions entre ministres des États membres dont la monnaie est l’euro.

69.      Le protocole no 14, au contraire, a un contenu plus substantiel. Tout d’abord, il rappelle, dans son préambule, l’objectif visant à favoriser les conditions d’une croissance économique plus forte dans l’Union et la nécessité y afférente de développer une coordination sans cesse plus étroite des politiques économiques dans la zone euro, et, par conséquent, de prévoir des dispositions particulières pour un dialogue renforcé entre les États membres de la zone euro, en attendant que l’euro devienne la monnaie de tous les États membres de l’Union. Il mentionne ensuite, à son article 1er, la composition de l’Eurogroupe en évoquant sa nature informelle ainsi que l’objectif des réunions, et prévoit la participation de la Commission et de la BCE ; à son article 2, il mentionne l’élection du président de l’Eurogroupe.

70.      Toutefois, l’Eurogroupe n’est pas uniquement cité au niveau du droit primaire de l’Union, mais également dans d’autres actes, que ce soit dans le droit dérivé de l’Union ou en dehors du cadre juridique de l’Union.

71.      Ainsi, au niveau du droit dérivé de l’Union, l’Eurogroupe est cité dans le règlement no 473/2013 (39) et dans le règlement sur le mécanisme de surveillance unique (40). Au niveau des actes adoptés dans la sphère intergouvernementale, l’Eurogroupe ou son président sont mentionnés à la fois dans le pacte budgétaire (41) et dans le traité MES (42).

72.      En ce qui concerne sa composition, comme cela est indiqué à l’article 1er du protocole no 14, l’Eurogroupe est composé des ministres (43) des États membres dont la monnaie est l’euro (44).

73.      Conformément à la troisième phrase de l’article 1er du protocole no 14, la Commission participe aux réunions de l’Eurogroupe. Par conséquent, après l’entrée en vigueur de ce protocole, la participation de la Commission est devenue obligatoire, ce qui n’était pas le cas auparavant, lorsque la Commission n’assistait aux réunions de l’Eurogroupe que sur invitation, même si, en pratique, il s’agissait d’une participation systématique (45).

74.      Conformément à la quatrième phrase de l’article 1er du protocole no 14, la BCE est, en revanche, « invitée » à prendre part à ces réunions. Concernant cette institution, l’adoption du traité de Lisbonne n’a donc pas changé le caractère facultatif de la participation – lié aux besoins d’indépendance de cette institution (46) – mais a rendu seulement obligatoire l’invitation aux réunions (47).

75.      Dans la pratique, sont également invités à participer aux réunions, le cas échéant, le directeur exécutif du MES et, pour les discussions sur les programmes économiques dans lesquels il est impliqué, le FMI (48).

76.      L’article 2 du protocole no 14 indique que les ministres des États membres dont la monnaie est l’euro élisent, à la majorité de ces États membres, un président de l’Eurogroupe pour deux ans et demi (49), lequel représente, en quelque sorte, le visage de l’Eurogroupe à l’extérieur (50).

77.      L’Eurogroupe se réunit habituellement une fois par mois, la veille de la session du Conseil Ecofin, mais d’autres réunions peuvent avoir lieu si nécessaire. Comme cela a été précisé lors de l’audience, l’Eurogroupe ne dispose pas de son propre secrétariat, mais a un soutien organisationnel évolutif qui s’appuie, pour les besoins logistiques liés à son fonctionnement, sur le secrétariat du Conseil ou, éventuellement, sur celui de la Commission. Les travaux de l’Eurogroupe sont préparés au sein du « groupe de travail “Eurogroupe” » (Eurogroup Working Group), instance préparatoire composée de représentants des États membres de la zone euro, du Comité économique et financier, de la Commission et de la BCE.

78.      Concernant l’objet des réunions, comme cela ressort de la deuxième phrase de l’article 1er du protocole no 14, les ministres des États membres dont la monnaie est l’euro se réunissent « pour discuter de questions liées aux responsabilités spécifiques qu’ils partagent en matière de monnaie unique » afin d’atteindre l’objectif, mentionné dans le préambule de ce protocole, visant à « développer une coordination sans cesse plus étroite des politiques économiques dans la zone euro » dans le cadre d’« un dialogue renforcé entre [c]es États membres ».

79.      Comme la Commission l’a relevé à l’audience, l’Eurogroupe peut discuter à la fois de questions qui relèvent du droit de l’Union et de questions qui se posent en dehors de ce cadre.

80.      Ainsi, par exemple, relèvent manifestement du champ d’application du droit de l’Union les discussions au sein de l’Eurogroupe concernant les projets de plans budgétaires soumis par les États membres ou l’examen des avis de la Commission concernant ces projets et l’examen de la situation et des perspectives budgétaires pour l’ensemble de la zone euro sur la base de l’évaluation globale réalisée par la Commission, conformément à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 5, du règlement no 473/2013. Il en va de même pour les discussions relatives au rapport sur l’accomplissement des missions attribuées à la BCE en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit, en application de l’article 20, paragraphes 2, 3, 4 et 6, du règlement sur le mécanisme de surveillance unique (51).

81.      En revanche, les activités menées par l’Eurogroupe en relation avec les sommets de la zone euro (Eurosummit), telles que prévues par le pacte budgétaire, s’inscrivent, par exemple, dans un cadre juridique intergouvernemental, qui est donc extérieur au droit de l’Union (52).

82.      En tout état de cause, il existe un niveau de flexibilité élevé en ce qui concerne l’objet des réunions, l’Eurogroupe étant libre de discuter de toute question qui, compte tenu de son impact sur la situation économique de la zone euro, nécessite une coordination entre les États membres de cette zone.

83.      Les résultats de la réunion sont présentés au public par le président de l’Eurogroupe en conférence de presse. L’Eurogroupe peut également faire des déclarations publiques écrites. Les déclarations, orales ou écrites, font part du résultat de l’accord politique informel conclu sur les questions débattues au sein de l’Eurogroupe.

c)      Le caractère informel de l’Eurogroupe

84.      L’une des caractéristiques fondamentales de l’Eurogroupe est sa nature informelle, exigence qui figurait déjà dans la résolution du Conseil européen de 1997 et qui est reprise textuellement à l’article 1er, première phrase, du protocole no 14.

85.      La mention expresse indiquant que les réunions de l’Eurogroupe se tiennent « de façon informelle » reflète la volonté de voir dans cette enceinte un forum de discussion politique, à participation restreinte (53), confidentielle et flexible afin de créer des conditions particulières qui, en facilitant les discussions entre ministres, contribuent de manière décisive à aplanir les différends et à résoudre les conflits potentiels, et favorisent ainsi la conclusion d’un accord politique.

86.      La raison qui sous-tend l’introduction de la caractéristique tirée du caractère informel réside dans la double exigence qui est liée à la finalité de la création et de l’existence même de l’Eurogroupe, telle qu’elle est indiquée aux points 63 à 65 des présentes conclusions. D’une part, cette condition répond à des exigences liées aux relations entre les États membres de la zone euro et les autres États membres, et à la volonté de ne pas affaiblir le Conseil Ecofin, qui est au cœur du pouvoir décisionnel en matière de coordination économique. C’est pourquoi l’Eurogroupe, en tant qu’organisme informel, a été conçu sans pouvoir décisionnel, ce que la Cour a d’ailleurs confirmé dans l’arrêt Mallis (54). D’autre part, la condition tirée du caractère informel répond au souci de garantir l’indépendance de la BCE vis-à-vis du pouvoir politique, en particulier des États membres. Le caractère informel est donc devenu une condition préalable au dialogue entre les autorités responsables de la politique monétaire et les autorités responsables de la politique économique de l’UEM.

87.      D’ailleurs, des questions telles que les stratégies fiscales ou budgétaires ou les perspectives de croissance économique ne requièrent pas toujours des décisions immédiates, mais impliquent plutôt un dialogue régulier et un échange de vues continu qui permet à chaque ministre d’approfondir, en toute confidentialité, l’analyse de la situation de son propre État membre, notamment dans le contexte européen, et, par conséquent, les choix possibles auxquels il est confronté.

88.      L’Eurogroupe exerce néanmoins une influence significative à tous les niveaux de la gouvernance de l’UEM, comme cela s’est d’ailleurs vu récemment (55) : au niveau de l’Union, en ce qu’il peut déterminer les décisions du Conseil Ecofin grâce à une position coordonnée des États membres de la zone euro au sein du Conseil lui‑même ; à ce niveau, l’Eurogroupe joue également un rôle politique très important dans les domaines mentionnés au point 80 des présentes conclusions ; au niveau national, grâce à la possibilité de coordonner des mesures ou des actions entreprises au niveau national par les différents États membres ; et au niveau intergouvernemental, par exemple, dans la mesure où les ministres participant à l’Eurogroupe sont également membres du conseil des gouverneurs du MES (56).

89.      Toutefois, l’influence de l’Eurogroupe reste purement politique. En effet, en tant qu’organisme de nature informelle, l’Eurogroupe non seulement ne dispose pas de compétences propres, mais il n’a pas non plus le pouvoir de sanctionner le non‑respect, par ses participants, de la mise en œuvre des objectifs politiques convenus. Les ministres participant aux réunions sont toujours juridiquement libres de s’écarter, dans les organes décisionnels de l’Union, nationaux ou intergouvernementaux, des accords politiques conclus au sein de l’Eurogroupe. La capacité de l’Eurogroupe à influencer la gouvernance économique dépend de sa capacité à susciter le respect volontaire des positions communes. En d’autres termes, le résultat des discussions au sein de l’Eurogroupe doit être réellement consensuel (57).

90.      En outre, l’absence de compétences propres implique que les accords politiques conclus au sein de l’Eurogroupe soient nécessairement mis en œuvre par le biais d’actes adoptés dans d’autres enceintes, qu’il s’agisse d’actes de l’Union, des États membres ou d’instances intergouvernementales extérieures au cadre juridique de l’Union, telles que le MES.

4.      La nature juridique de l’Eurogroupe

91.      Dans le cadre constitutionnel complexe précédemment décrit et à la lumière de la caractérisation de l’Eurogroupe effectuée dans la section précédente, quelle est sa nature juridique ?

92.      Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’analyser les dispositions pertinentes des traités à la lumière du rôle joué par l’Eurogroupe dans l’architecture constitutionnelle particulière de l’UEM. À cet égard, étant donné qu’il ne fait aucun doute que l’Eurogroupe a été conçu comme un organisme de nature intergouvernementale extérieur au cadre institutionnel et juridique de l’Union (58), l’interprétation des dispositions pertinentes du droit primaire de l’Union aura pour but de vérifier si le traité de Lisbonne a effectué une simple reconnaissance de cet organisme ou s’il entendait changer sa nature juridique, de sorte que, étant désormais inclus dans ce cadre institutionnel et juridique de l’Union, l’Eurogroupe puisse être considéré comme une institution au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE.

93.      Dans cette perspective, d’un point de vue littéral, il convient de noter, d’une part, que tant l’article 137 TFUE que les dispositions du protocole no 14 ont conservé la dénomination de « groupe » de l’organisme – sans le requalifier, donc, de « conseil » ou de « comité » – et surtout, d’autre part, qu’ils citent expressément les réunions « de façon informelle » des « ministres des États membres dont la monnaie est l’euro » (59). Cette formulation reprend presque littéralement celle utilisée dans la résolution du Conseil européen de 1997 (60).

94.      Outre la qualification d’« informelles » des réunions, qui est liée à la fonction spécifique de l’Eurogroupe, sur laquelle je vais revenir (61), je pense que la référence explicite aux ministres des États membres indique que, lorsqu’ils prennent part aux réunions de l’Eurogroupe, les participants agissent en leur qualité de ministres nationaux.

95.      Cette lecture est, à mon avis, corroborée par la phrase suivante de la même disposition qui indique que les réunions portent sur la discussion de « questions liées aux responsabilités spécifiques qu’ils partagent en matière de monnaie unique ». L’utilisation de cette terminologie montre que les responsabilités faisant l’objet des réunions incombent aux ministres, en raison de leur compétence au niveau national, et ne sont pas transférées au forum dans le cadre duquel ils se réunissent, même si ces responsabilités, dont chacun des participants est investi au niveau national, se recoupent en raison de la création de la monnaie unique.

96.      L’interprétation littérale, qui n’est certainement pas décisive en tant que telle dans un cas comme celui‑ci, semble cependant révéler l’intention des rédacteurs du traité de Lisbonne de prendre acte de l’existence de l’Eurogroupe en tant que forum de discussion au niveau intergouvernemental, plutôt que d’en faire un organisme de l’Union à part entière.

97.      Cette interprétation semble confirmée, d’un point de vue systématique (62), par une comparaison entre la terminologie utilisée à l’article 137 TFUE et dans le protocole no 14, et celle utilisée dans d’autres dispositions des traités. En effet, la terminologie utilisée concernant l’Eurogroupe diffère clairement, en premier lieu, de celle utilisée pour la composition du Conseil à l’article 16, paragraphe 2, TUE, selon lequel « le Conseil est composé d’un représentant de chaque État membre au niveau ministériel » (63). La disposition concernant le Conseil fait donc référence non aux ministres nationaux agissant en cette qualité, mais au Conseil en tant qu’institution de l’Union composée de représentants de chaque État membre.

98.      En second lieu, les termes utilisés à l’article 137 TFUE et dans le protocole no 14 diffèrent également clairement de ceux utilisés à l’article 136, paragraphe 2, et à l’article 138, paragraphe 3, TFUE, lesquels ont trait aux délibérations relatives aux mesures concernant exclusivement les États membres dont la monnaie est l’euro (64). Ces règles prévoient en effet que « seuls les membres du Conseil représentant les États membres dont la monnaie est l’euro prennent part au vote » (65). L’article 15 du règlement no 472/2013 est, en outre, libellé dans les mêmes termes, et l’article 139, paragraphe 4, TFUE, lu en combinaison avec le paragraphe 1 de ce même article, va dans le même sens.

99.      L’utilisation de terminologies aussi différentes confirme, à mon avis, que lorsque les rédacteurs du traité de Lisbonne ont voulu faire référence aux représentants des États membres dont la monnaie est l’euro, agissant au sein d’une institution ou d’un organe de l’Union, ils ont utilisé des termes différents de ceux qui sont employés pour l’Eurogroupe.

100. Par ailleurs, d’un point de vue historique, la lecture des actes de la Convention sur l’avenir de l’Europe qui est à l’origine des dispositions en cause ne fait pas ressortir la volonté d’inclure l’Eurogroupe dans le cadre institutionnel de l’Union, mais contient plutôt des indications contraires (66).

101. D’un point de vue téléologique, il résulte de l’analyse de la genèse et de la fonction de l’Eurogroupe dans l’architecture constitutionnelle de l’UEM, effectuée précédemment, que la mention de l’Eurogroupe à l’article 137 TFUE et dans le protocole no 14 vise à formaliser la reconnaissance d’une entité préexistante et extérieure au cadre institutionnel de l’Union. Grâce à cette reconnaissance, les institutions de l’Union ont également été formellement autorisées, par des dispositions de droit primaire, à participer à ce forum, et la Commission spécifiquement, dont la participation est devenue obligatoire, et la BCE, pour laquelle l’invitation est devenue obligatoire. Par ailleurs, en l’absence de création d’un organe décisionnel autonome pour les États membres de la zone euro, cette reconnaissance a permis, en répondant aux besoins des autres États membres, de ne pas porter atteinte au rôle fondamental du Conseil en matière de coordination économique.

102. Le caractère externe au cadre juridique de l’Union permet à l’Eurogroupe de conserver son caractère informel, qui est une condition essentielle de sa fonction. En effet, celui‑ci permet à l’Eurogroupe d’œuvrer comme un forum de discussion politique, dans lequel il est possible de concilier des intérêts complexes et donc de faire émerger des compromis entre les États membres dont la monnaie est l’euro.

103. Comme cela a déjà été souligné, l’Eurogroupe fonctionne comme un instrument de coordination, comme un « pont » entre les différents niveaux à l’intérieur desquels se déroule la gouvernance de l’UEM, à savoir le niveau national, le niveau de l’Union, pour lequel la coordination se fait concrètement par la participation de la Commission et de la BCE à ses réunions, et le niveau intergouvernemental en dehors du cadre juridique de l’Union.

104. En particulier, la participation obligatoire de la Commission, qui conserve son rôle de gardienne des traités, tel qu’il ressort de l’article 17, paragraphe 1, du TUE (67), vise, entre autres, à garantir que les activités de ce forum de discussion se déroulent en conformité avec le droit de l’Union auquel celles‑ci sont liées. En outre, en vertu du principe d’égalité de traitement des États membres, la Commission a l’obligation d’être neutre, et capable d’offrir une meilleure vue d’ensemble des problèmes inhérents à la zone euro et un dialogue plus équilibré entre les différents acteurs concernés (68). Quant à la participation de la BCE, elle répond à la nécessité, déjà évoquée, d’assurer un lien entre politique économique et politique monétaire au sein de l’UEM (69), tout en respectant l’indépendance de la BCE.

105. La constatation du caractère externe de l’Eurogroupe au cadre institutionnel de l’Union n’est pas, à mon avis, remise en cause par le fait que cet organe est mentionné par des dispositions du droit dérivé de l’Union. En effet, ces dispositions ne prévoient pas une attribution de pouvoirs spécifiques à l’Eurogroupe, mais lui permettent de recevoir des informations et de mener des discussions éclairées sur des questions concernant les politiques économiques de la zone euro ou présentant un intérêt pour la monnaie unique. Ces dispositions incluent certes l’Eurogroupe dans des mécanismes de surveillance (oversight) et de responsabilité (accountability) prévus par le droit de l’Union, mais répondent, conformément à l’approche semi-intergouvernementale mentionnée aux points 51 à 53 des présentes conclusions, à la nécessité de lier les compétences de l’Union aux politiques économiques qui restent de la compétence des États membres.

106. En conclusion, il résulte à mon avis de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’Eurogroupe doit être considéré comme un organisme reflétant une forme particulière d’intergouvernementalisme présent dans l’architecture constitutionnelle de l’UEM (70). Conçu comme un organe purement intergouvernemental, dans le cadre complexe de la coordination des politiques économiques des États membres relevant de l’UEM, cet organisme assure une fonction de liaison entre la sphère étatique et celle de l’Union. Le traité de Lisbonne a reconnu l’existence de cet organisme extérieur au cadre juridique de l’Union et a formalisé la participation de la Commission et de la BCE à ses travaux, mais n’entendait pas modifier sa nature juridique, qui est étroitement liée à son rôle de « pont » entre les États membres et l’Union.

107. Il résulte de tous ces éléments que, l’Eurogroupe étant un organisme extérieur au cadre institutionnel et juridique de l’Union, les juridictions de l’Union ne sont pas compétentes pour connaître des recours en indemnité formés contre cet organisme, conformément à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, concernant les éventuels dommages causés par des actes prétendument préjudiciables pris par l’Eurogroupe. Il s’ensuit que, le Tribunal ayant reconnu cette compétence dans les arrêts attaqués, ces arrêts sont entachés d’une erreur de droit et doivent être annulés dans la mesure où ils reconnaissent la compétence des juridictions de l’Union en matière de recours en indemnité introduits contre l’Eurogroupe.

108. Cette conclusion n’est pas remise en cause par des considérations relatives au principe de l’État de droit (ou de l’Union de droit, selon la terminologie utilisée par le Tribunal) au regard des exigences liées au respect du principe de protection juridictionnelle effective. J’aborderai cette question dans la prochaine section.

5.      Le principe de protection juridictionnelle effective

109. Dans les arrêts attaqués, le Tribunal a considéré que la non‑reconnaissance de l’Eurogroupe en tant qu’entité de l’Union se heurterait au principe de l’« Union de droit » en ce qu’elle permettrait l’établissement, au sein de l’ordre juridique de l’Union, d’organismes dont les actes et les comportements ne pourraient engager la responsabilité de cette dernière (71).

110. Le principe de protection juridictionnelle effective constitue un principe général du droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, qui a été consacré par les articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et qui est à présent affirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (72).

111. La conclusion sur la nature juridique de l’Eurogroupe qui exclut sa qualification en tant qu’institution au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, n’affecte pas la pleine application du principe de protection juridictionnelle effective et ne s’oppose pas à l’idée de l’« Union de droit ». En effet, les justiciables sont assurés de bénéficier de la protection juridictionnelle en ce qu’ils peuvent agir en responsabilité non contractuelle contre les institutions qui adoptent les actes et les comportements transposant et élaborant les conclusions de l’Eurogroupe.

112. Comme cela est indiqué au point 90 des présentes conclusions, les accords politiques conclus au sein de l’Eurogroupe, compte tenu de son absence de compétences formelles, se concrétisent et sont mis en œuvre par le biais d’actes et d’activités d’autres organismes, qui soit relèvent de l’Union, soit sont extérieurs à son cadre juridique. L’activité de l’Eurogroupe est donc préalable à l’adoption de comportements imputables à différents organismes. L’Eurogroupe intervient à un stade, qui, aussi important soit-il, s’inscrit dans un « decision making process » plus large.

113. Le fait que l’Eurogroupe ne soit pas qualifié d’« institution » au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE n’exclut pas la responsabilité de l’Union, si les conditions rappelées au point 38 des présentes conclusions sont réunies, en ce qui concerne les mesures par lesquelles le Conseil et la Commission ont mis en œuvre les décisions de l’Eurogroupe. Les particuliers peuvent agir en réparation du dommage, conformément à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE à l’encontre des instances de l’Union, généralement le Conseil, qui mettent en œuvre les accords conclus au sein de l’Eurogroupe.

114. Ainsi, concernant en particulier la présente affaire, les requérants en première instance ont eu tout d’abord la possibilité d’intenter une action contre le Conseil, pour demander une indemnisation liée à l’adoption de la décision 2013/236 (du moins en ce qui concerne certaines mesures qu’elle prévoit), ainsi que contre la Commission et la BCE pour l’examen de la mise en œuvre du programme d’ajustement macroéconomique pour Chypre au titre de l’article 1er, paragraphe 2, de cette décision (73).

115. En outre, en vertu des principes énoncés dans l’arrêt Ledra, les requérants ont eu la possibilité d’engager une action en justice contre la Commission et la BCE pour obtenir réparation du préjudice éventuellement subi par les prétendus comportements illicites de ces institutions lors de la négociation et de la signature du protocole d’accord du 26 avril 2013 (74).

116. C’est ainsi qu’a été garantie la possibilité pour les requérants d’agir en réparation des dommages qu’ils auraient subis du fait de l’exécution de ce qu’ils définissent comme « le plan d’action [fixé] » dans la déclaration de l’Eurogroupe du 25 mars 2013 (75).

117. Un recours en indemnité contre l’Eurogroupe n’ajouterait pas grand-chose à cette possibilité de protection. S’il était recevable en vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, il viserait en tout état de cause à imputer à l’Union les éventuels comportements préjudiciables de cet organisme. En effet, l’Eurogroupe n’a évidemment pas de personnalité juridique (76), alors que l’Union est la seule entité, avec la BCE (77), qui a une personnalité juridique propre. En conséquence, les dommages éventuels causés par des comportements de l’Eurogroupe seraient imputés à l’Union. Le résultat ne serait pas différent si l’Union pouvait, comme je l’ai souligné, être appelée à répondre des comportements du Conseil et de la Commission qui mettent en œuvre les décisions de l’Eurogroupe.

118. Il convient encore de tenir compte de la participation de la Commission aux réunions de l’Eurogroupe.

119. À cet égard, je note tout d’abord que, pour déterminer si une atteinte aux droits des particuliers, qui doit résulter d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (78), peut ou non être imputée à une institution de l’Union en vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, il est essentiel d’identifier précisément le comportement imputable à cette institution qui a joué un rôle déterminant dans la violation. Il convient donc d’examiner, au regard de l’enchaînement des événements, si, dans l’hypothèse où l’institution en question aurait décidé d’agir différemment, cela évite que la violation en question ne se matérialise.

120. S’agissant spécifiquement des déclarations de l’Eurogroupe, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que des déclarations de ce type, faisant état des résultats des discussions qui ont eu lieu en son sein et des accords politiques qui y sont conclus, ne sont pas l’expression d’un pouvoir décisionnel de la Commission (79) et ne peuvent donc pas, en tant que telles, être imputées à cette institution.

121. Toutefois, la Cour a également souligné qu’il ressort de l’article 17, paragraphe 1, TUE que la Commission « promeut l’intérêt général de l’Union » et « surveille l’application du droit de l’Union » (80), et qu’elle conserve son rôle de gardienne des traités, tel qu’il ressort de cette disposition, y compris lorsqu’elle agit en dehors du cadre juridique de l’Union (81).

122. À cet égard, il convient de relever que les réunions de l’Eurogroupe ont pour objet de permettre une coordination sans cesse plus étroite des politiques économiques dans la zone euro. Par sa participation à ces réunions, laquelle est devenue obligatoire après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Commission apporte une contribution substantielle aux discussions qui se déroulent au sein de l’Eurogroupe et aux activités de ce dernier. Dans ces conditions, il convient de considérer que, par sa participation aux réunions au sein de cet organisme, la Commission promeut l’intérêt général de l’Union (82).

123. Dans ces circonstances, lorsque la Commission participe aux réunions de l’Eurogroupe, elle ne saurait, par son comportement, contribuer à une violation des règles de l’Union (83).

124. À cet égard, je rappelle que, même lorsqu’elles agissent en dehors du cadre de l’Union, les institutions de l’Union sont néanmoins tenues d’observer scrupuleusement le droit de l’Union, et la charte des droits fondamentaux leur est toujours applicable (84).

125. La participation obligatoire de la Commission aux réunions de l’Eurogroupe, dans le cadre duquel elle conserve le rôle susmentionné de gardienne des traités, tel qu’il ressort de l’article 17, paragraphe 1, TUE, et les fonctions qu’elle y exerce lui permettent de vérifier la compatibilité des activités de l’Eurogroupe avec le droit de l’Union et, en particulier, avec la Charte (85).

126. Au vu de ce qui précède, il n’est pas exclu que, dans des circonstances exceptionnelles, puissent être considérées comme imputables à la Commission les conséquences préjudiciables de son éventuelle inaction dans le contrôle de la conformité des décisions de l’Eurogroupe au droit de l’Union (86). Cela ajoute un niveau supplémentaire d’effectivité à la protection juridictionnelle garantie aux particuliers.

6.      Considérations finales

127. À mon avis, il ressort de l’analyse effectuée que c’est à tort que le Tribunal a reconnu sa compétence en matière de recours en indemnité introduits, conformément à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, contre l’Eurogroupe. Par conséquent, les arrêts attaqués doivent être annulés dans la mesure où ils reconnaissent au Tribunal une telle compétence.

128. En l’espèce, je pense que, conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour, l’état du dossier permet à la Cour de se prononcer définitivement sur cet aspect du différend. En effet, il résulte des conclusions exposées aux points 106 et 107 des présentes conclusions que les exceptions d’irrecevabilité soulevées par le Conseil en première instance concernant l’Eurogroupe doivent être accueillies.

129. Enfin, en ce qui concerne les dépens, si la Cour partage mon analyse, les requérants en première instance succomberont dans les affaires C‑597/18 P et C‑598/18 P et devront être condamnés aux dépens de ces deux affaires, tandis que la République de Finlande supportera ses propres dépens (87).

VI.    Conclusion

130. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer comme suit :

1)      Les arrêts du Tribunal de l’Union européenne du 13 juillet 2018, K. Chrysostomides & Co. e.a./Conseil e.a. (T‑680/13, EU:T:2018:486), Bourdouvali e.a./Conseil e.a. (T‑786/14, EU:T:2018:487) sont annulés en ce qu’ils rejettent les exceptions d’irrecevabilité soulevées par le Conseil de l’Union européenne concernant l’Eurogroupe.

2)      Les recours introduits en première instance par K. Chrysostomides & Co. e.a. et Bourdouvali e.a. sont irrecevables dans la mesure où ils sont dirigés contre l’Eurogroupe.

3)      K. Chrysostomides & Co. e.a. et Bourdouvali e.a. sont condamnés aux dépens des procédures de pourvoi dans les affaires C‑597/18 P et C‑598/18 P.

4)      La République de Finlande supportera ses propres dépens.


1      Langue originale : l’italien.


2      La liste des autres parties n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.


3      La liste des autres parties n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.


4      Conseil/K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P) et Conseil/Bourdouvali e. a. (C‑598/18 P).


5      Arrêts du 13 juillet 2018, K. Chrysostomides & Co. e.a./Conseil e.a. (T‑680/13, EU:T:2018:486), Bourdouvali e. a./Conseil e. a. (T‑786/14, non publié, EU:T:2018:487).


6      K. Chrysostomides & Co. e. a./Conseil e.a. (C‑603/18 P) et Bourdouvali e. a./Conseil e. a. (C‑604/18 P).


7      Voir, dans le détail, points 75 à 79 et 71 à 75 des arrêts attaqués, respectivement, dans les affaires T‑680/13 et T‑786/14.


8      JO 2013, L 141, p. 32.


9      Voir points 50 à 55 des arrêts attaqués.


10      Points 106 (affaire T‑680/13) et 102 (affaire T‑786/14) des arrêts attaqués.


11      Points 107 à 110 (affaire T‑680/13) et 103 à 106 (affaire T‑786/14) des arrêts attaqués et jurisprudence citée.


12      Points 111 et 112 (affaire T‑680/13) ainsi que 107 et 108 (affaire T‑786/14) des arrêts attaqués. Voir la jurisprudence mentionnée à la note 18 des présentes conclusions.


13      Points 113 (affaire T‑680/13) et 109 (affaire T‑786/14) des arrêts attaqués.


14      Points 114 (affaire T‑680/13) et 110 (affaire T‑786/14) des arrêts attaqués.


15      Le Conseil fait référence aux points 56 à 60 de l’arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e. a./Commission et BCE (C‑8/15 P à C‑10/15 P, ci‑après l’« arrêt Ledra », EU:C:2016:701).


16      Le Conseil fait référence au règlement (UE) no 472/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2013, relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres de la zone euro connaissant ou risquant de connaître de sérieuses difficultés du point de vue de leur stabilité financière (JO 2013, L 140, p. 1), en particulier à son article 7.


17      Arrêt Ledra, point 64 et jurisprudence citée.


18      Voir, à cet égard, arrêt du 2 décembre 1992, SGEEM et Etroy/BEI (C‑370/89, EU:C:1992:482, points 12 à 16), et arrêt du Tribunal du 10 avril 2002, Lamberts/Mediateur (T‑209/00, EU:T:2002:94, point 49), confirmé par la Cour dans l’arrêt du 23 mars 2004, Mediateur/Lamberts (C‑234/02 P, EU:C:2004:174).


19      L’instauration d’une structuration asymétrique de l’UEM figurait déjà dans le « Rapport Delors » (Rapport sur l’Union économique et monétaire dans la Communauté européenne), rendu public le 12 avril 1989, dont les préconisations ont été largement mises en œuvre par le Conseil européen de Madrid des 26 et 27 juin 1989, lequel prévoyait la réalisation de l’UEM en trois étapes (voir, à cet égard, entre autres, points 16, 17 et 19 de ce rapport).


20      Voir article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE.


21      Voir article 5, paragraphe 1, TFUE.


22      Voir article 5, paragraphe 1, second alinéa, et chapitre 4 du titre VIII de la troisième partie du traité FUE.


23      Voir, à cet égard, chapitre 2 du titre VIII de la troisième partie du traité FUE, la section 6 du chapitre 1 du titre I de la sixième partie du traité FUE, ainsi que le protocole no 4 sur les statuts du SEBC de banques centrales et de la BCE. À cet égard, voir également les conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Gauweiler e. a. (C‑62/14, EU:C:2015:7, points 107 et suiv.).


24      Il est fait référence à deux séries de mesures : en premier lieu, les mesures adoptées en 2011 dans le cadre du « Six-Pack » (pour plus de détails et de références, voir le document de la Commission européenne Memo/11/898 du 12 décembre 2011) ; en second lieu, la réforme adoptée en 2013, appelée « Two-Pack », qui visait à renforcer l’intégration économique et la convergence entre les États membres de la zone euro [règlement no 472/2013, cité à la note 16 des présentes conclusions, et règlement (UE) no 473/2013 (UE) du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2013, établissant des dispositions communes pour le suivi et l’évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro (JO 2013, L 140, p. 11)]. Ces mesures font actuellement l’objet d’une révision et de débats (voir communiqué de presse de la Commission du 5 février 2020, IP/20/170).


25      Voir, notamment, le considérant 7 du préambule du traité MES.


26      Voir, notamment, l’article 13, paragraphe 3, du traité MES et l’article 2 du pacte budgétaire, lesquels ont reconnu la primauté du droit de l’Union. Voir, à l’inverse, notamment le règlement no 472/2013 qui cite à plusieurs reprises le traité MES.


27      Voir, à cet égard, arrêt du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, ci‑après l’« arrêt Pringle », EU:C:2012:756, points 156 et 157), dans lequel la Cour énumère, avec les références législatives respectives, les missions attribuées à la Commission et à la BCE par le traité MES.


28      Voir article 3, paragraphe 2, article 5, paragraphes 1 et 2, 6, 7, 8, et article 12, paragraphes 1 et 4, du pacte budgétaire.


29      Voir note 27 des présentes conclusions.


30      Voir, en particulier, points 55 à 70 et 155 à 169 de l’arrêt Pringle.


31      Voir note 15 des présentes conclusions.


32      Voir point 25 de l’arrêt Mallis.


33      Points 53 à 60 et, en particulier, point 59 de l’arrêt Ledra.


34      Voir points 57 à 60 de l’arrêt Mallis.


35      Telles qu’énumérées à l’annexe I du règlement intérieur de celui‑ci, adopté par la décision du Conseil 2009/937/UE, du 1er décembre 2009 (JO 2009, L 325, p. 35), dont la liste est visée à l’article 16, paragraphe 6, TUE.


36      Résolution du Conseil européen du 13 décembre 1997 sur la coordination des politiques économiques au cours de la troisième phase de l’union économique et monétaire sur les articles 109 et 109 b du traité CE (JO 1998, C 35, p. 1 ; ci‑après la « résolution du Conseil européen de 1997 », voir, en particulier, point 6).


37      La première déclaration de l’Eurogroupe a été publiée le 8 mai 2000 (voir Agence Europe, no 7712 des 8 et 9 mai 2000, p. 9).


38      Au cours des premières années, l’Eurogroupe était présidé par la présidence tournante du Conseil, sauf lorsque celle-ci était exercée par un pays n’appartenant pas à la zone euro, auquel cas le premier pays de la zone euro qui aurait assuré la présidence du Conseil prenait le relais.


39      Voir note 24 des présentes conclusions. Voir, en particulier, considérants 16, 23, 34 et article 6, paragraphe 1, article 7, paragraphes 3 et 5, article 8, paragraphe 1, et, concernant le président de l’Eurogroupe, article 15, paragraphe 1 de ce règlement. Le règlement no 472/2013 mentionne le groupe de travail « Eurogroupe » et son président (voir point 76 des présentes conclusions).


40      Voir article 20, paragraphes 2, 3 et 6, du règlement (UE) no 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63).


41      Voir, en particulier, l’article 12, paragraphe 4, qui attribue à l’Eurogroupe la mission d’assurer les préparatifs et le suivi des sommets de la zone euro (Euro summit), et indique que le président de l’Eurogroupe peut y être invité à ce titre.


42      Voir, à cet égard, le considérant 11 et l’article 5, paragraphe 2, qui prévoit la possibilité que le conseil des gouverneurs décide d’être présidé par le président de l’Eurogroupe, et paragraphes 3 et 7, sous b).


43      À cet égard, il convient de relever, comme cela sera exposé plus en détail au point 97 des présentes conclusions, que tant le libellé de l’article 137 TFUE que celui de l’article 1er, première phrase, du protocole no 14, se distinguent de celui de l’article 16, paragraphe 2, TUE en ce qui concerne la composition du Conseil, lequel prévoit un représentant de chaque État membre au « niveau ministériel ». Cette différence textuelle signifie qu’en raison du « caractère exclusif » de l’Eurogroupe, ce qui n’est pas le cas du Conseil, seuls les vrais ministres, et non les sous-secrétaires, peuvent participer aux réunions de cette assemblée. Bien que cela ne soit pas précisé, ce sont généralement les ministres des Finances des États membres dont la monnaie est l’euro qui y participent en raison de leur compétence.


44      Cependant, d’après le site Internet de l’Eurogroupe (https://www.consilium.europa.eu/it/council-eu/eurogroup), il est possible, dans la pratique, que celui‑ci se réunisse en « format inclusif », avec la participation aux discussions des ministres des autres États membres.


45      Le membre de la Commission chargé des affaires économiques et monétaires et de l’euro participe généralement à l’Eurogroupe, accompagné du directeur général de la Direction générale des affaires économiques et financières de la Commission.


46      Le caractère facultatif de la participation de la BCE s’explique par la nécessité de permettre à la BCE d’évaluer si une éventuelle participation à une réunion particulière peut ou non être compatible avec son indépendance. Dans la pratique, la BCE participe toujours aux réunions de l’Eurogroupe. Normalement, le président de la BCE participe aux réunions de l’Eurogroupe, mais il peut désigner un délégué conformément à l’article 13, paragraphe 2, du statut du Système européen de banques centrales et de la BCE (protocole no 4 annexé aux traités).


47      En effet, le protocole no 14 ne contient pas la locution « le cas échéant » qui figure dans la résolution du Conseil européen de 1997.


48      Cela résulte du site de l’Eurogroupe cité à la note 44 des présentes conclusions.


49      Le président est élu à la majorité simple des personnes habilitées à voter (les ministres de chaque État membre dont la monnaie est l’euro) et non, par conséquent, des participants.


50      Ni le protocole no 14 ni aucun autre document officiel public ne détaillent spécifiquement les fonctions du président de l’Eurogroupe. Cependant, il ressort de la page Internet de l’Eurogroupe que son président exerce les fonctions suivantes : il préside les réunions de l’Eurogroupe et en établit les ordres du jour ; il élabore le programme de travail à long terme de l’Eurogroupe ; il présente les résultats des travaux de l’Eurogroupe au grand public et aux ministres des pays de l’UE qui ne font pas partie de la zone euro ; il représente l’Eurogroupe dans les enceintes internationales (notamment le G7) ; il informe le Parlement européen des priorités de l’Eurogroupe (voir le site Internet de l’Eurogroupe cité à la note 44 des présentes conclusions). Conformément à l’article 5, paragraphe 2, susmentionné du traité instituant le MES, le président de l’Eurogroupe peut également être élu président du conseil des gouverneurs du MES, sur décision des membres du conseil des gouverneurs.


51      Voir note 40 des présentes conclusions.


52      Voir note 41 des présentes conclusions.


53      Dans la pratique, seuls participent aux réunions de l’Eurogroupe les ministres, le membre de la Commission et le président de la BCE, ainsi qu’un seul collaborateur, de sorte que le nombre total de participants est beaucoup plus limité (environ une quarantaine de personnes) que lors des réunions du Conseil Ecofin, auxquelles plus de 150 personnes peuvent assister.


54      Voir point 60 des présentes conclusions.


55      L’Eurogroupe s’est récemment vu confier la tâche d’élaborer les stratégies pour faire face aux conséquences économiques de l’épidémie de COVID-19. Voir déclaration commune des membres du Conseil européen du 26 mars 2020, point 14.


56      Voir article 5, paragraphe 1, du traité MES.


57      Pour une analyse intéressante du fonctionnement concret de l’Eurogroupe, avec une référence particulière au caractère informel des réunions, voir le travail d’Uwe Puetter, « The Eurogroup, How a Secretive Circle of Finance Ministers Shape European Economic governance », Manchester, Manchester University Press, 2006. À cet égard, voir, en particulier, p. 5.


58      Comme cela a été vu au point 62 des présentes conclusions, l’Eurogroupe a effectivement été institué initialement par un acte qui ne relève pas du système des sources de l’Union, par un organe, le Conseil européen, qui, au moment de sa création, se trouvait en dehors du cadre institutionnel de l’Union.


59      Voir, en particulier, article 1er, première phrase, du protocole no 14.


60      La différence linguistique la plus importante concerne le remplacement des termes « [l]es ministres […] peuvent se réunir entre eux de façon informelle » par l’utilisation de l’expression actuelle « les ministres […] se réunissent entre eux de façon informelle ». Toutefois, d’un point de vue littéral, cette modification tend plutôt, à mon avis, à confirmer l’interprétation suggérée dans les points suivants, selon laquelle le protocole no 14 n’autorise pas les ministres des États membres dont la monnaie est l’euro à se réunir, mais prend acte du fait que ceux‑ci se réunissent. La version en langue italienne correspond aux versions en langues française, allemande, néerlandaise et portugaise. La version en langue espagnole utilise le futur « mantendrán ». En revanche, la version en langue anglaise est plus ambiguë, car elle remplace les termes « may meet » par les termes « shall meet ». Cependant, le terme « shall », qui indique généralement une obligation, semble faire référence au caractère informel de la réunion (shall meet informally), qui, comme cela a été indiqué, est une caractéristique fondamentale de l’Eurogroupe (voir points 84 et suiv. des présentes conclusions).


61      Voir point 102 des présentes conclusions.


62      D’un point de vue systématique, on observe également, sans que cela soit un élément intrinsèquement décisif, mais plutôt indicatif, que, dans les traités, l’Eurogroupe n’est pas mentionné dans les institutions, mais dans le chapitre consacré aux dispositions spécifiques aux États membres dont la monnaie est l’euro et dans un protocole spécifique.


63      Mise en italique par mes soins.


64      L’article 136, paragraphe 2, TFUE a trait aux délibérations relatives aux mesures concernant exclusivement les États membres dont la monnaie est l’euro, visées au paragraphe 1 de ce même article. L’article 138, paragraphe 3, TFUE a trait aux délibérations relatives aux mesures, adoptées en vertu du paragraphe 2 de ce même article, pour assurer une représentation unifiée au sein des institutions et des conférences financières internationales pour les États membres dont la monnaie est l’euro.


65      Mise en italique par mes soins.


66      Voir, notamment, la « Contribution franco-allemande sur la gouvernance économique » (CONV 470/02), qui propose, d’une part, de « reconnaître l’existence de l’Eurogroupe, dans un protocole annexé au Traité » (mise en italique par mes soins) et, d’autre part, de créer un Conseil Euro-Ecofin composé exclusivement de représentants des États membres de la zone euro, comme cela a été proposé par la Commission (voir CONV 391/02). Cette seconde proposition, qui aurait, en substance, créé à l’intérieur de l’Union un organe décisionnel ad hoc pour les États membres dont la monnaie est l’euro, n’a pas été accueillie.


67      Voir, par analogie, voir point 59 de l’arrêt Ledra susmentionné.


68      En tant qu’instance de collecte et de traitement des informations nécessaires à l’exercice de la surveillance, la Commission joue également un rôle de synthèse des évolutions économiques communes et est particulièrement adaptée pour proposer des diagnostics communs relatifs à la situation économique de la zone euro. La Commission consulte l’Eurogroupe sur toutes les décisions importantes qui relèvent de sa responsabilité dans le domaine de l’UEM.


69      Voir points 63 à 68 des présentes conclusions.


70      L’Eurogroupe n’est certainement pas l’expression d’une forme de coopération renforcée entre États membres, car les conditions de l’article 20 TUE et des articles 326 à 334 TFUE ne sont pas remplies, et il ne semble pas non plus comparable à d’autres formes de coopération qui ont existé dans le passé, telles que la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures dans le cadre du traité de Maastricht.


71      Voir points 114 (affaire T‑680/13) et 110 (affaire T‑786/14) des arrêts attaqués.


72      Voir, entre autres, arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531, point 49).


73      Voir points 192 et 198 (affaire T‑680/13) ainsi que 191 et 197 (affaire T‑786/14) des arrêts attaqués.


74      Voir points 201 et 203 (affaire T‑680/13) ainsi que 200 et 202 (affaire T‑786/14) des arrêts attaqués et les points de l’arrêt Ledra qui y sont cités.


75      Voir point 20 du pourvoi formé par les requérants en première instance dans l’affaire C‑603/18 P.


76      Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Wathelet dans les affaires jointes Mallis e.a./Commission et BCE (C‑105/15 P à C‑109/15 P, EU:C:2016:294, point 63).


77      Voir article 47 TUE et article 282, paragraphe 3, TFUE.


78      Voir arrêt Ledra, point 65 et jurisprudence citée.


79      Voir arrêt Mallis, point 57.


80      Voir arrêt Pringle, point 163, et arrêt Ledra, point 57.


81      Voir, par analogie, arrêt Ledra, point 59.


82      Voir, par analogie, arrêt Pringle, point 164.


83      Voir, à cet égard, le point 69 des conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires jointes Ledra Advertising e.a./Commission et BCE (C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:290).


84      Voir arrêt Ledra, point 67, et conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires jointes Ledra Advertising e.a./Commission et BCE (C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:290, points 69 et 85). Voir également prise de position de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:675, point 176).


85      Voir, par analogie, arrêt Pringle, point 164. À cet égard, il convient toutefois de relever que, contrairement au cas du traité MES dans lequel l’article 13, paragraphes 3 et 4, attribue des tâches spécifiques et donc un pouvoir (devoir) de bloquer l’ensemble du processus d’adoption du comportement éventuellement préjudiciable [voir points 58 et 59 de l’arrêt Ledra et conclusions de l’avocat général Wathelet dans les affaires jointes Mallis e.a./Commission et BCE (C‑105/15 P à C‑109/15 P, EU:C:2016:294, point 82)], la Commission ne dispose pas de pouvoirs similaires dans le cadre de l’Eurogroupe.


86      Voir, par analogie, arrêt Ledra, point 64.


87      Conformément à l’article 184, paragraphe 2, à l’article 138, paragraphe 1, et à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, les deux derniers articles sont applicables aux procédures de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement.