Language of document : ECLI:EU:C:2013:72

ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

7 février 2013 (*)

«Article 99 du règlement de procédure – Concurrence – Accords entre entreprises – Article 81 CE – Exemption par catégories d’accords verticaux – Règlement (CE) n° 2790/1999 – Article 5, sous b) – Obligation de non-concurrence imposée à l’acheteur au terme d’un contrat de franchise – Locaux et terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat»

Dans l’affaire C‑117/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Audiencia Provincial de Burgos (Espagne), par décision du 15 février 2012, parvenue à la Cour le 5 mars 2012, dans la procédure

La Retoucherie de Manuela SL

contre

La Retoucherie de Burgos SC,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. E. Jarašiūnas, président de chambre, MM. A. Ó Caoimh et C. G. Fernlund (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, sous b), du règlement (CE) n° 2790/1999 de la Commission, du 22 décembre 1999, concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, [CE] à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (JO L 336, p. 21).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant La Retoucherie de Manuela SL (ci-après le «franchiseur») à La Retoucherie de Burgos SC (ci-après le «franchisé») au sujet de l’exécution d’un contrat de franchise.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 1er du règlement (CEE) n° 4087/88 de la Commission, du 30 novembre 1988, concernant l’application de l’article [81, paragraphe 3, CE] à des catégories d’accords de franchise (JO L 359, p. 46), prévoyait pour certains accords de franchise une exemption de l’interdiction prévue à l’article 81, paragraphe 1, CE.

4        L’article 3, paragraphe 1, dudit règlement était libellé comme suit:

«Les obligations suivantes imposées au franchisé ne font pas obstacle à l’application de l’article 1er, dans la mesure où elles sont nécessaires pour protéger les droits de propriété industrielle ou intellectuelle du franchiseur ou pour maintenir l’identité commune et la réputation du réseau franchisé:

[...]

c)      ne pas exercer, directement ou indirectement, une activité commerciale similaire dans un territoire où il concurrencerait un membre du réseau franchisé, y compris le franchiseur; cette obligation peut être imposée au franchisé après la fin de l’accord pour une période raisonnable n’excédant pas un an, dans le territoire où il a exploité la franchise».

5        Conformément à son article 9, second alinéa, le règlement n° 4087/88 a cessé d’être applicable à partir du 1er janvier 2000, qui est la date de l’entrée en vigueur du règlement n° 2790/1999 en vertu de l’article 13, premier alinéa, de celui-ci.

6        Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 2790/1999:

«Conformément à l’article 81, paragraphe 3, [CE], et sous réserve des dispositions du présent règlement, l’article 81, paragraphe 1, [CE] est déclaré inapplicable aux accords ou pratiques concertées qui sont conclus entre deux ou plus de deux entreprises dont chacune opère, aux fins de l’accord, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution, et qui concernent les conditions dans lesquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens ou services (ci-après dénommés ‘accords verticaux’).

La présente exemption s’applique dans la mesure où ces accords contiennent des restrictions de concurrence tombant sous le coup de l’article 81, paragraphe 1, [CE] (ci-après dénommées ‘restrictions verticales’).»

7        L’article 5 dudit règlement énonce:

«L’exemption prévue à l’article 2 ne s’applique à aucune des obligations suivantes contenues dans des accords verticaux:

a)      toute obligation directe ou indirecte de non-concurrence, dont la durée est indéterminée ou dépasse cinq ans; une obligation de non-concurrence tacitement renouvelable au-delà d’une période de cinq ans doit être considérée comme ayant été conclue pour une durée indéterminée; cette limitation de la durée à cinq ans n’est toutefois pas applicable lorsque les biens ou services contractuels sont vendus par l’acheteur à partir de locaux et de terrains dont le fournisseur est propriétaire ou que le fournisseur loue à des tiers non liés à l’acheteur, à condition que la durée de ces obligations de non-concurrence ne dépasse pas la période d’occupation des locaux et des terrains par l’acheteur;

b)      toute obligation directe ou indirecte interdisant à l’acheteur, à l’expiration de l’accord, de fabriquer, d’acheter, de vendre ou de revendre des biens ou des services, sauf si cette obligation:

–        concerne des biens ou des services qui sont en concurrence avec les biens ou services contractuels et

–        est limitée aux locaux et aux terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat et

–        est indispensable à la protection d’un savoir-faire transféré par le fournisseur à l’acheteur,

à condition que la durée d’une telle obligation de non-concurrence soit limitée à un an à compter de l’expiration de l’accord; la présente obligation ne porte pas atteinte à la possibilité d’imposer, pour une durée indéterminée, une restriction à l’utilisation et à la divulgation d’un savoir-faire qui n’est pas tombé dans le domaine public;

[...]»

 Le droit espagnol

8        Aux termes de l’article 1er, paragraphe 4, de la loi 15/2007, relative à la protection de la concurrence (Ley 15/2007 de Defensa de la Competencia), du 3 juillet 2007 (BOE n° 159, du 4 juillet 2007, p. 28848):

«L’interdiction prévue au paragraphe 1 ne s’applique pas aux accords, décisions, recommandations collectives, pratiques concertées ou délibérément parallèles qui respectent les dispositions des règlements communautaires relatifs à l’application de l’article [81, paragraphe 3, CE] à certaines catégories d’accords, de décisions d’associations d’entreprises et de pratiques concertées, y compris lorsque les comportements en question ne peuvent affecter le commerce entre les États membres de l’[Union européenne].»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

9        Le 11 novembre 2004, le franchiseur et le franchisé ont conclu un contrat de franchise pour une durée de cinq ans (ci-après le «contrat»). Il ressort du dossier dont dispose la Cour que l’activité économique faisant l’objet de ce contrat peut être décrite comme l’offre de services de retouches de vêtements de confection.

10      La clause III.2 du contrat contient une obligation de non-concurrence libellée comme suit:

«Le franchisé s’engage à ne pas développer, directement ou indirectement, une activité identique ou similaire à l’activité objet du présent contrat, ou qui entre en concurrence avec cette dernière. [...] La présente clause de non-concurrence demeurera applicable pendant toute la durée du présent contrat et est justifiée par la protection nécessaire du savoir-faire ou ‘know-how’ et par la nécessité de maintenir l’identité, l’image et la réputation du réseau. La clause de non-concurrence sera également applicable pendant une durée d’une année après la fin du contrat pour quelque cause que ce soit, et ce dans le territoire concédé, cette exigence étant indispensable pour la protection du savoir-faire ou ‘know-how’. [...] Dans l’hypothèse où le franchisé ne respecterait pas les dispositions de la présente clause, il paiera au franchiseur la somme de 90 151,82 euros au titre de la clause pénale.»

11      La clause VII.B du contrat prévoit, à ses points 4 et 5, que le franchisé peut résilier le contrat si le franchiseur demande à être ou est déclaré en faillite ou s’il tombe sous le coup d’une cause statutaire ou légale de dissolution.

12      Le 29 avril 2009, le franchisé a unilatéralement résilié le contrat en invoquant deux motifs. Il s’agissait, d’une part, d’une cause de dissolution légale du franchiseur en raison de la réduction de son patrimoine à moins de la moitié de son capital social et, d’autre part, d’un manquement de ce dernier à ses obligations d’assistance technique et commerciale.

13      Le franchiseur a saisi le Juzgado de Primera Instancia n° 1 de Burgos d’une demande en réparation du préjudice prétendument subi par lui du fait de la résiliation anticipée du contrat, d’un montant estimé à 6 178,15 euros, ainsi que d’une demande de paiement d’une pénalité forfaitaire d’un montant de 90 151,82 euros pour manquement à la clause de non-concurrence.

14      Après le rejet de ce recours, le franchiseur a interjeté appel devant la juridiction de renvoi. Devant cette dernière, il conteste, d’une part, l’appréciation des preuves sur la base desquelles la juridiction de première instance a constaté l’inexécution de ses obligations contractuelles et, d’autre part, l’existence d’une cause de résiliation au sens de la clause VII.B, point 5, du contrat. Le franchiseur réitère ses demandes de condamnation du franchisé au paiement de 6 178,15 euros pour résiliation anticipée du contrat et de 90 151,82 euros pour violation de la clause de non-concurrence.

15      Le franchisé soutient que la clause de non-concurrence est nulle, comme étant contraire à l’article 1er de la loi 15/2007 relative à la protection de la concurrence, sauf dans le cas où sont réunies les conditions d’exemption prévues par le règlement n° 2790/1999.

16      Selon la juridiction de renvoi, l’article 5, sous b), dudit règlement permet de considérer qu’une clause de non-concurrence d’une durée ne dépassant pas un an et qui se limite aux «locaux et aux terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat» est valide. Cette juridiction éprouve des doutes sur le sens du membre de phrase «locaux et [...] terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat». Elle se demande si cette formulation est limitée au local dans lequel est exploitée la franchise ou si elle a une portée plus large, étendue à l’intégralité du territoire visé par le contrat. Elle estime que, dans l’affaire au principal, la clause de non-concurrence est valide au regard du droit de l’Union selon la première interprétation, mais nulle selon la seconde.

17      La juridiction de renvoi considère qu’une analyse littérale de ladite disposition favorise la première interprétation, préconisée tant par le franchisé que par l’autorité nationale de la concurrence. Cette interprétation restrictive serait confortée par l’article 5, sous a), du règlement n° 2790/1999, dans lequel les termes «locaux et [...] terrains» semblent désigner le lieu à partir duquel sont vendus les biens et services contractuels et non pas le territoire concédé au franchisé.

18      Quant à l’interprétation extensive des termes «locaux et [...] terrains», préconisée par le franchiseur, la juridiction de renvoi relève qu’elle avait cours avant l’entrée en vigueur du règlement n° 2790/1999. En effet, selon l’article 3, sous c), du règlement n° 4087/88, les clauses de non-concurrence portant sur tout le territoire visé par le contrat étaient autorisées. Dans l’affaire au principal, le franchiseur défend cette conception large du membre de phrase «locaux et [...] terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat». Il fait valoir que le règlement n° 2790/1999 doit être interprété de manière à régir toutes les catégories d’accords verticaux, tant ceux qui portent sur des biens ou des services offerts à partir d’un local que ceux pour lesquels l’espace physique est moins important lorsque, comme dans le cas de la franchise, l’activité de l’agent s’étend à tout un territoire. Les termes «locaux et [...] terrains» pourraient ainsi être interprétés différemment selon qu’il s’agit d’une franchise de services ou d’un autre contrat, comme pour la distribution de pétrole dans les stations-service.

19      C’est dans ces circonstances que l’Audiencia Provincial de Burgos a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Le membre de phrase ‘locaux et [...] terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat’ contenu à l’article 5, sous b), du règlement n° 2790/1999 doit-il s’entendre comme se limitant au lieu ou à l’espace physique à partir duquel ont été vendus les biens ou ont été fournis les services pendant la durée du contrat, ou bien peut-il s’étendre à tout le territoire sur lequel l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat?

2)      Dans l’hypothèse où la Cour se prononcerait en faveur de la première interprétation, les termes ‘locaux et [...] terrains’ peuvent-ils désigner le territoire dans lequel le franchisé a opéré pendant la durée du contrat lorsque, en vertu du contrat de franchise, le franchisé se voit assigner un territoire déterminé?»

 Sur les questions préjudicielles

20      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, lorsqu’une question posée à titre préjudiciel est identique à une question sur laquelle la Cour a déjà statué, lorsque la réponse à une telle question peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée à titre préjudiciel ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

21      Il y a lieu de faire application de ladite disposition procédurale dans la présente affaire.

 Sur la recevabilité

22      Le gouvernement espagnol soutient que la demande de décision préjudicielle est irrecevable, car elle n’est pas nécessaire à la solution du litige au principal et revêt un caractère purement hypothétique. Pour que l’interprétation sollicitée puisse avoir une incidence sur l’issue du litige, il aurait fallu que la juridiction de renvoi ait au préalable examiné la validité des causes de résolution du contrat et l’existence d’un transfert de savoir-faire. Dans l’affaire au principal, il serait établi que le franchisé a développé son activité concurrente à partir du local où il exerçait auparavant son activité. Ce lieu serait donc, par définition, inclus dans les termes «locaux et [...] terrains», quelle que soit l’interprétation – large ou restrictive – de l’article 5, sous b), du règlement n° 2790/1999. Ce gouvernement fait valoir que l’autorité nationale de la concurrence a souligné le rapport ténu entre l’obligation de non-concurrence et l’objet de la procédure ainsi que la nécessité, pour la juridiction de renvoi, d’examiner en priorité s’il existe un transfert de savoir-faire par le franchiseur, cette circonstance conditionnant directement la validité d’une obligation de non-concurrence postcontractuelle.

23      Il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que celles-ci portent sur l’interprétation du droit de l’Union et que l’interprétation fournie par la Cour peut se révéler utile à la juridiction nationale pour la solution du litige dont elle est saisie, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir en ce sens, notamment, arrêts du 15 décembre 1995, Bosman, C‑415/93, Rec. p. I‑4921, point 59, et du 12 octobre 2010, Rosenbladt, C‑45/09, Rec. p. I‑9391, point 32).

24      Selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2007, van der Weerd e.a., C‑222/05 à C‑225/05, Rec. p. I‑4233, point 22 et jurisprudence citée).

25      En l’occurrence, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée par la juridiction de renvoi ne serait pas nécessaire à cette dernière pour résoudre le litige dont elle est saisie.

26      Dès lors, la demande de décision préjudicielle est recevable.

 Sur le fond

27      Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, sous b), du règlement n° 2790/1999 doit être interprété en ce sens que le membre de phrase «locaux et [...] terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat» vise uniquement les lieux à partir desquels les biens ou services contractuels sont offerts à la vente ou s’il vise, plus généralement, l’ensemble du territoire dans lequel ces biens ou services peuvent être vendus au titre d’un contrat de franchise.

28      Le franchisé, les gouvernements espagnol et grec ainsi que la Commission européenne, qui ont soumis des observations écrites à la Cour, considèrent qu’il convient de retenir une interprétation restrictive de l’article 5, sous b), du règlement n° 2790/1999, selon laquelle les «locaux et [...] terrains» visés à cette disposition sont uniquement constitués des points de vente à partir desquels les biens ou services contractuels ont été vendus par l’acheteur et ne s’étendent pas au territoire qui a pu lui être concédé.

29      Afin de répondre à la question posée, il convient de considérer que les termes «locaux» et «terrains» figurant à l’article 5, sous b), du règlement n° 2790/1999 doivent être interprétés, d’une part, selon leur sens ordinaire tout en tenant compte du contexte dans lequel ils s’insèrent et, d’autre part, à la lumière de l’objet ainsi que de la finalité de ce règlement. Ainsi, le mot «locaux» (respectivement «local» et «premises» dans les versions en langues espagnole et anglaise visées par la juridiction de renvoi) doit être compris, conformément à son sens commun au regard du contexte de cet article, comme se référant à une partie distincte d’un immeuble. Le mot «terrains», à savoir «terrenos» et «land» dans les mêmes versions linguistiques, doit être compris comme se référant à une parcelle de terre. En revanche, le mot «territoire» (respectivement «territorio» et «territory» dans lesdites versions), auquel le franchiseur cherche, dans l’affaire au principal, à assimiler les termes «locaux et [...] terrains», doit être compris comme se référant à une zone géographique déterminée. Ces différences sémantiques ne permettent pas de considérer que ces termes peuvent être interprétés comme désignant un territoire.

30      La juridiction de renvoi estime cependant que l’adjonction du mot «terrains» à celui de «locaux» par l’emploi de la conjonction «et» peut suggérer une portée plus large que celle résultant de la constatation effectuée au point précédent. Il apparaît toutefois, à la lumière des différentes versions linguistiques du règlement n° 2790/1999, que l’utilisation conjointe des termes «locaux et [...] terrains» ne révèle aucune ambiguïté de nature à remettre en cause cette constatation. Au contraire, le législateur de l’Union a pris soin de distinguer, d’une part, la situation des clauses contractuelles contenant des restrictions de concurrence applicables au territoire concédé en se référant, à l’article 4, sous b), du même règlement, à la notion de «restrictions concernant le territoire dans lequel [...] l’acheteur peut vendre les biens ou services contractuels», respectivement dans les versions en langue espagnole et anglaise «la restricción del territorio en el que el comprador pueda vender los bienes o servicios contractuales» et «the restriction of the territory into which [...] the buyer may sell the contract goods or services», et, d’autre part, la situation des obligations de non-concurrence, lesquelles, pour bénéficier de l’exemption par catégories, doivent avoir un champ géographique restreint non pas au territoire concédé, mais aux seuls locaux et terrains à partir desquels les biens contractuels sont vendus.

31      Une interprétation littérale et restrictive s’impose d’autant plus dans l’affaire au principal que la disposition concernée a un caractère dérogatoire par rapport à la règle générale énoncée à l’article 5, sous b), du règlement n° 2790/1999, selon laquelle le bénéfice de l’exemption par catégories prévue à l’article 2 de ce règlement n’est pas étendu aux obligations de non-concurrence dont les effets perdurent après l’expiration du contrat. En outre, un règlement d’exemption par catégories tel que le règlement n° 2790/1999 doit être interprété de façon restrictive afin d’éviter que ses effets ne s’étendent à des accords ou à des situations qu’il n’est pas destiné à couvrir (voir, en ce sens, arrêts du 24 octobre 1995, Bayerische Motorenwerke, C‑70/93, Rec. p. I‑3439, point 28, et du 28 avril 1998, Javico, C‑306/96, Rec. p. I‑1983, point 32).

32      Au demeurant, une interprétation restrictive est conforme à la logique du règlement n° 2790/1999. Le législateur de l’Union a en effet considéré que, en raison de leurs effets sur le marché, des obligations de non-concurrence peuvent se voir reconnaître le bénéfice de l’exemption par catégories sous réserve du respect de conditions visant, notamment, à en limiter les effets dans l’espace et dans le temps. Ainsi, s’agissant des obligations de non-concurrence pendant la durée du contrat, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé, s’agissant de l’article 5, sous a), de ce même règlement, que la double condition tenant à la propriété ou à la location tant du terrain que des locaux par le fournisseur a été adoptée à la suite d’une procédure de consultation publique dans le but d’éviter que la durée maximale de cinq ans fixée par ce règlement pour ces obligations puisse être contournée en scindant les droits sur les biens immobiliers à partir desquels l’activité de l’acheteur est exercée (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2009, Pedro IV Servicios, C‑260/07, Rec. p. I‑2437, points 58, 64 et 65, ainsi que ordonnance du 3 septembre 2009, Lubricarga, C‑506/07, point 44).

33      Quant à l’article 5, sous b), du règlement n° 2790/1999, il prévoit, à titre tout à fait exceptionnel, que des obligations de non-concurrence imposées directement ou indirectement au-delà de l’expiration du contrat peuvent bénéficier de l’exemption par catégories, pour autant qu’elles satisfont aux conditions suivantes. Premièrement, ces obligations doivent concerner des biens ou services en concurrence avec les biens ou services contractuels. Deuxièmement, elles doivent avoir un champ géographique limité aux «locaux et aux terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat». Troisièmement, ces obligations de non-concurrence doivent être indispensables à la protection d’un savoir-faire transféré par le fournisseur à l’acheteur. Quatrièmement, leurs effets dans le temps ne peuvent dépasser un an à compter de l’expiration du contrat.

34      Il s’ensuit que, à l’expiration du contrat, seules les obligations de non-concurrence dont les effets sont limités aux points de vente des biens ou des services contractuels peuvent remplir la troisième de ces conditions. Cette interprétation est conforme à celle de l’article 5, sous a), du règlement n° 2790/1999, qui ne s’applique également qu’aux points de vente, tels que des stations-service (arrêt Pedro IV Servicios, précité, point 64). Inversement, les clauses de non-concurrence qui s’étendent à l’ensemble du territoire concédé ne bénéficient pas, à l’expiration du contrat, de l’exemption par catégories.

35      Ainsi que le souligne la juridiction de renvoi, il est possible que l’application de l’article 5, sous b), du règlement n° 2790/1999 conduise à reconnaître le bénéfice de l’exemption par catégories à l’égard d’une clause interdisant pendant un an après l’expiration du contrat la poursuite, à partir des mêmes locaux, d’une activité en concurrence avec les biens ou services contractuels, mais à exclure un tel bénéfice si cette interdiction s’étend à d’autres locaux, même voisins. Une telle situation, loin d’être paradoxale ou illogique, est conforme à la finalité de ce règlement qui est de limiter strictement le champ d’application de l’exemption par catégories aux seules obligations de non-concurrence dont le législateur de l’Union a estimé qu’elles répondent aux conditions énoncées à l’article 81, paragraphe 3, CE.

36      Enfin, est dépourvu de pertinence le fait que, s’agissant du cas spécifique des contrats de franchise, le règlement n° 4087/88, à son article 3, sous c), octroyait le bénéfice de l’exemption par catégories à des obligations de non-concurrence s’étendant à tout le territoire concédé. En effet, ce règlement a cessé d’être applicable à compter de la date de l’entrée en vigueur du règlement n° 2790/1999, elle-même antérieure à la date de la conclusion du contrat en cause au principal. Par ailleurs, l’article 5, sous b), de ce dernier règlement ne comportant aucune disposition propre aux contrats de franchise, il n’y a pas lieu, aux fins de l’interprétation de cet article, de tenir compte de la spécificité de ce type de contrats et d’opérer une distinction non prévue par le règlement n° 2790/1999.

37      Par conséquent, il découle de ces éléments que, conformément à l’article 5, sous b), du règlement n° 2790/1999, une obligation de non-concurrence qui interdit à l’acheteur, après l’expiration du contrat, de vendre des biens ou des services contractuels en dehors des locaux et des terrains à partir desquels il a opéré pendant la durée de ce contrat ne bénéficie pas de l’exemption par catégories prévue à l’article 2 de ce règlement.

38      Il convient toutefois de rappeler que, lorsqu’un accord ne remplit pas toutes les conditions prévues par un règlement d’exemption, il ne tombe sous l’interdiction prévue à l’article 81, paragraphe 1, CE que s’il a pour objet ou pour effet de restreindre de manière sensible la concurrence dans le marché intérieur et s’il est de nature à affecter le commerce entre les États membres. Ce n’est que dans ce dernier cas, et à défaut de bénéficier d’une exemption individuelle en vertu du paragraphe 3 du même article, que ledit accord est nul de plein droit conformément au paragraphe 2 de celui-ci (arrêt Pedro IV Servicios, précité, point 68).

39      Il en résulte qu’un accord, même dans le cas où il contient des clauses telles que celles mentionnées par la juridiction de renvoi, qui ne remplissent pas les conditions fixées par un règlement d’exemption par catégories, est susceptible de ne pas relever du champ d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE. En outre, le fait qu’une clause ne relève pas d’une exemption par catégories ne préjuge pas de l’application éventuelle d’une exemption individuelle.

40      Il incombe donc à la juridiction de renvoi, qui est seule à avoir une connaissance directe du litige qui lui est soumis, d’apprécier les effets que le contrat produit sur la concurrence dans le marché intérieur et la manière dont il affecte le commerce entre les États membres. Ainsi, préalablement à l’examen des causes d’exemption par catégories prévues par le règlement n° 2790/1999 ou, le cas échéant, des causes d’exemption individuelle découlant de l’article 81, paragraphe 3, CE, cette juridiction doit vérifier, en priorité, si le contrat en cause au principal relève du champ d’application du droit de l’Union et, en particulier, de l’article 81 CE.

41      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 5, sous b), du règlement n° 2790/1999 doit être interprété en ce sens que le membre de phrase «locaux et [...] terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat» vise uniquement les lieux à partir desquels les biens ou services contractuels sont offerts à la vente et non pas l’ensemble du territoire dans lequel ces biens ou services peuvent être vendus au titre d’un contrat de franchise.

 Sur les dépens

42      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit:

L’article 5, sous b), du règlement (CE) n° 2790/1999 de la Commission, du 22 décembre 1999, concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, [CE] à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, doit être interprété en ce sens que le membre de phrase «locaux et [...] terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat» vise uniquement les lieux à partir desquels les biens ou services contractuels sont offerts à la vente et non pas l’ensemble du territoire dans lequel ces biens ou services peuvent être vendus au titre d’un contrat de franchise.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.