Language of document : ECLI:EU:C:2020:425

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

4 juin 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière d’obligations alimentaires – Règlement (CE) no 4/2009 – Article 41, paragraphe 1 – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (UE) no 1215/2012 – Article 24, paragraphe 5 – Titre déclaré exécutoire, constatant une créance alimentaire – Action en opposition à exécution – Compétence de la juridiction de l’État membre d’exécution »

Dans l’affaire C‑41/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Amtsgericht Köln (tribunal de district de Cologne, Allemagne), par décision du 14 janvier 2019, parvenue à la Cour le 23 janvier 2019, dans la procédure

FX

contre

GZ, représentée légalement par sa mère,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, Mme L. S. Rossi (rapporteure), MM. J. Malenovský, F. Biltgen et N. Wahl, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : Mme M. Krausenböck, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 novembre 2019,

considérant les observations présentées :

–        pour FX, par Me H. W. Junker, Rechtsanwalt,

–        pour GZ, représentée légalement par sa mère, Mme B.,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller, M. Hellmann et U. Bartl, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement polonais, par MM. B. Majczyna et R. Stańczyk ainsi que par Mme S. Żyrek, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes ainsi que par Mmes P. Barros da Costa, L. Medeiros et S. Duarte Afonso, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin et Mme M. Heller, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 février 2020,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation, d’une part, du règlement (CE) no 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires (JO 2009, L 7, p. 1), et, d’autre part, de l’article 24, paragraphe 5, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant FX, domicilié en Allemagne, à sa fille mineure GZ, représentée légalement par sa mère et domiciliée en Pologne, au sujet de la compétence de la juridiction de renvoi pour statuer sur l’action par laquelle FX a formé opposition à l’exécution de la créance alimentaire dont il est le débiteur.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement no 4/2009

3        Les considérants 9 à 11, 30 et 44 du règlement no 4/2009 sont libellés comme suit :

« (9)      Un créancier d’aliments devrait être à même d’obtenir facilement, dans un État membre, une décision qui sera automatiquement exécutoire dans un autre État membre sans aucune autre formalité.

(10)      Afin d’atteindre cet objectif, il est opportun de créer un instrument communautaire en matière d’obligations alimentaires regroupant les dispositions sur les conflits de juridictions, les conflits de lois, la reconnaissance et la force exécutoire, l’exécution, l’aide judiciaire et la coopération entre autorités centrales. 

(11)      Le champ d’application du présent règlement devrait s’étendre à toutes les obligations alimentaires découlant des relations de famille, de parenté, de mariage ou d’alliance, et ce afin de garantir une égalité de traitement entre tous les créanciers d’aliments. Aux fins du présent règlement, la notion “d’obligation alimentaire” devrait être interprétée de manière autonome.

[...]

(30)      Afin d’accélérer l’exécution d’une décision rendue dans un État membre lié par le protocole [sur la loi applicable aux obligations alimentaires, signé le 23 novembre à La Haye, approuvé, au nom de la Communauté européenne, par la décision 2009/941/CE du Conseil, du 30 novembre 2009 (JO 2009, L 331, p. 17),] dans un autre État membre, il y a lieu de limiter les motifs de refus ou de suspension de l’exécution qui pourront être invoqués par le débiteur en raison du caractère transfrontalier de la créance alimentaire. Cette limitation ne devrait pas porter atteinte aux motifs de refus ou de suspension prévus par le droit national qui ne sont pas incompatibles avec ceux énumérés dans le présent règlement, tels que l’acquittement de la dette par le débiteur au moment de l’exécution ou la nature insaisissable de certains biens. 

[...]

(44)      Le présent règlement devrait modifier le règlement (CE) no 44/2001 [du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1),] en remplaçant les dispositions de celui-ci applicables en matière d’obligations alimentaires. Sous réserve des dispositions transitoires du présent règlement, les États membres devraient, en matière d’obligations alimentaires, appliquer les dispositions du présent règlement sur la compétence, sur la reconnaissance, la force exécutoire et l’exécution des décisions et sur l’aide judiciaire à la place de celles du règlement (CE) no 44/2001 à compter de la date d’application du présent règlement. »

4        L’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 4/2009 prévoit :

« Le présent règlement s’applique aux obligations alimentaires découlant de relations de famille, de parenté, de mariage ou d’alliance. »

5        L’article 2 de ce règlement dispose :

« 1.      Aux fins du présent règlement on entend par :

1)      “décision” : une décision en matière d’obligations alimentaires rendue par une juridiction d’un État membre, quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, telle qu’arrêt, jugement, ordonnance ou mandat d’exécution [...] 

[...]

4)      “État membre d’origine” : l’État membre dans lequel [...] la décision a été rendue [...]

5)      “État membre d’exécution” : l’État membre dans lequel est demandée l’exécution de la décision [...]

[...] »

6        L’article 3 dudit règlement énonce :

« Sont compétentes pour statuer en matière d’obligations alimentaires dans les États membres :

a)      la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, ou

b)      la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle, [...]

[...] »

7        L’article 8 du même règlement, intitulé « Limite aux procédures », dispose, à son paragraphe 1 :

« Lorsqu’une décision a été rendue dans un État membre ou dans un État partie à la convention [sur le recouvrement international des aliments destinés aux enfants et à d’autres membres de la famille, conclue le 23 novembre à La Haye, approuvée au nom de l’Union européenne, par la décision 2011/432/UE du Conseil, du 9 juin 2011 (JO 2011, L 192, p. 39),] où le créancier a sa résidence habituelle, le débiteur ne peut introduire une procédure pour modifier la décision ou obtenir une nouvelle décision dans un autre État membre tant que le créancier continue à résider habituellement dans l’État dans lequel la décision a été rendue. »

8        Le chapitre IV du règlement no 4/2009, intitulé « Reconnaissance, force exécutoire et exécution des décisions », est divisé en trois sections et s’applique, notamment, à l’exécution des décisions en matière d’obligations alimentaires. Conformément à l’article 16 du règlement no 4/2009, la section 1, qui regroupe les articles 17 à 22 de ce règlement, s’applique aux décisions rendues dans un État membre lié par le protocole sur la loi applicable aux obligations alimentaires, la section 2, qui comprend les articles 23 à 38 dudit règlement, s’applique aux décisions rendues dans un État membre non lié par ce protocole, tandis que la section 3, qui regroupe les articles 39 à 43 du même règlement, contient des dispositions communes à toutes les décisions.

9        L’article 41 du règlement no 4/2009, intitulé « Procédure et conditions d’exécution », qui figure à la section 3 du chapitre IV de ce règlement, énonce :

« 1.      Sous réserve des dispositions du présent règlement, la procédure d’exécution des décisions rendues dans un autre État membre est régie par le droit de l’État membre d’exécution. Une décision rendue dans un État membre qui est exécutoire dans l’État membre d’exécution y est exécutée dans les mêmes conditions qu’une décision rendue dans cet État membre d’exécution.

[...] »

10      L’article 42 dudit règlement dispose :

« En aucun cas une décision rendue dans un État membre ne peut faire l’objet d’une révision quant au fond dans l’État membre dans lequel la reconnaissance, la force exécutoire ou l’exécution est demandée. »

11      L’article 64, paragraphe 2, du règlement no 4/2009 prévoit :

« Le droit d’un organisme public d’agir à la place d’une personne à laquelle des aliments sont dus ou de demander le remboursement de prestations fournies au créancier à titre d’aliments est soumis à la loi qui régit l’organisme. »

 Le règlement no 1215/2012

12      Le considérant 10 du règlement no 1215/2012 énonce :

« Il est important d’inclure dans le champ d’application matériel du présent règlement l’essentiel de la matière civile et commerciale, à l’exception de certaines matières bien définies, en particulier les obligations alimentaires, qui devraient être exclues du champ d’application du présent règlement à la suite de l’adoption du règlement [no 4/2009]. »

13      L’article 1er du règlement no 1215/2012 dispose :

« 1.      Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. [...]

2.      Sont exclus de son application :

[...]

e)      les obligations alimentaires découlant de relations de famille, de parenté, de mariage ou d’alliance ;

[...] »

14      L’article 24 du règlement no 1215/2012, qui figure à la section 6 du chapitre II de ce dernier, intitulée « Compétences exclusives », prévoit :

« Sont seules compétentes les juridictions ci-après d’un État membre, sans considération de domicile des parties :

[...]

5)      en matière d’exécution des décisions, les juridictions de l’État membre du lieu de l’exécution. »

 Le droit allemand

 La ZPO

15      L’article 767 de la Zivilprozessordnung (code de procédure civile), dans sa version applicable au litige au principal (BGBl. 2007 I, p. 1781, ci-après la « ZPO »), intitulé « Action en opposition à exécution », énonce :

« (1)      Il appartient au débiteur de soulever, dans le cadre d’une action introduite devant la juridiction de première instance, les exceptions qui concernent la créance constatée dans la décision.

(2)      Ces exceptions ne sont recevables que si les motifs sur lesquels elles se fondent ne sont intervenus qu’après la clôture de la procédure orale, au cours de laquelle les exceptions auraient dû être soulevées, conformément aux dispositions du présent code, et pour autant qu’elles ne peuvent plus être soulevées par voie d’opposition.

(3)      Le débiteur doit soulever dans sa requête l’ensemble des exceptions qu’il était en mesure de faire valoir à la date de l’introduction de l’action. »

 Le FamFG

16      L’article 120 du Gesetz über das Verfahren in Familiensachen und in den Angelegenheiten der freiwilligen Gerichtsbarkeit (loi relative à la procédure en matière familiale et dans les affaires relevant de la juridiction gracieuse, ci-après le « FamFG »), intitulé « Exécution », dispose :

« (1)      L’exécution en matière matrimoniale et en matière familiale est régie par les dispositions [de la ZPO] relatives à l’exécution forcée.

[...] »

 L’AUG

17      L’article 40 de l’Auslandsunterhaltsgesetz (loi sur le recouvrement des créances alimentaires dans les relations avec les États étrangers), du 23 mai 2011 (BGBl. 2011 I, p. 898, ci-après l’« AUG »), énonce :

« (1)      Si l’exécution doit être autorisée en vertu du titre, le tribunal décide que le titre doit être pourvu de la formule exécutoire [...] »

18      L’article 66 de l’AUG, intitulé « Action en opposition à exécution », prévoit :

« (1)      Si un titre étranger est exécutoire sans procédure d’exequatur en vertu du règlement no 4/2009 ou est déclaré exécutoire en vertu dudit règlement [...], le débiteur peut soulever des exceptions visant la créance elle-même dans le cadre d’une procédure en application des dispositions combinées de l’article 120, paragraphe 1, [du FamFG] et de l’article 767 [de la ZPO]. Si le titre est une décision de justice, cela vaut uniquement si les motifs sur lesquels s’appuient les exceptions ne sont intervenus qu’après l’adoption de la décision.

[...]

(3)      L’action au titre des dispositions combinées de l’article 120, paragraphe 1, [du FamFG] et de l’article 767 [de la ZPO] doit être engagée auprès de la juridiction qui a été saisie de la demande d’apposition de la formule exécutoire. [...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

19      Par une décision du Sąd Okręgowy w Krakowie [tribunal régional de Cracovie (Pologne)] du 26 mai 2009, FX a été condamné au paiement, en faveur de sa fille mineure, GZ, d’une pension alimentaire mensuelle d’un montant de 100 euros environ, à compter, rétroactivement, du mois de juin 2008.

20      À la suite d’une demande de GZ du 20 juillet 2016, l’Amtsgericht Köln (tribunal de district de Cologne, Allemagne) a, par une ordonnance du 27 juillet 2016, décidé d’apposer la formule exécutoire sur la décision précitée du Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie).

21      Sur le fondement de ce titre déclaré exécutoire, GZ, représentée légalement par sa mère, a engagé une procédure d’exécution forcée contre FX en Allemagne. Contestant cette procédure, FX a, le 5 avril 2018, introduit, devant l’Amtsgericht Köln (tribunal de district de Cologne), une action en opposition à exécution, en application de l’article 767 de la ZPO.

22      À l’appui de son action, FX a fait valoir que la dette alimentaire en cause au principal a déjà été acquittée soit directement jusqu’à l’année 2010, soit, depuis le mois de décembre 2010, par l’intermédiaire du Fonds des pensions alimentaires (Pologne), auquel FX aurait remboursé les sommes versées à GZ, dans la mesure de ses capacités financières. FX a soutenu que, en tout état de cause, la majeure partie de cette créance était éteinte.

23      La juridiction de renvoi émet, en premier lieu, des doutes quant à la question de savoir si l’action en opposition à exécution introduite devant elle par FX relève de sa compétence internationale.

24      D’une part, cette juridiction considère que si cette action devait être qualifiée d’action en matière d’obligations alimentaires, au sens de l’article 1er du règlement no 4/2009, elle ne posséderait aucune compétence internationale en vertu de ce règlement, seules les juridictions polonaises étant alors compétentes pour examiner l’exception que FX tire du paiement de la dette alimentaire en cause au principal.

25      À cet égard, la juridiction de renvoi fait observer qu’une partie de la doctrine allemande considère que l’action en opposition à exécution prévue à l’article 767 de la ZPO relève bien de la qualification d’action en matière d’obligations alimentaires, au sens du règlement no 4/2009, dès lors que les exceptions soulevées dans le cadre d’une telle action, notamment celles tirées du paiement ou du transfert de la créance, visent, en définitive, non pas la manière dont l’exécution forcée a été menée, examinée sous le seul angle du droit à l’exécution, mais le titre exécutoire en tant que tel. De même, la juridiction de renvoi souligne que cette action en opposition à exécution correspond, fonctionnellement, à une action tendant à la réduction de la créance d’aliments pour laquelle un titre exécutoire a été délivré, une telle demande de modification étant soumise, selon l’article 8 du règlement no 4/2009, aux critères de compétence énoncés dans ce dernier. Cette interprétation, défendue par une partie de la doctrine allemande, à laquelle la juridiction de renvoi se dit prête à souscrire, serait, selon elle, la seule compatible avec l’objectif poursuivi par ce règlement, à savoir garantir que le créancier d’aliments soit protégé et placé dans une position privilégiée sous l’angle des règles de compétences, sans, partant, qu’il soit conduit à devoir se défendre, devant les juridictions de l’État membre d’exécution de la créance pour laquelle un titre exécutoire a été délivré, contre une action en opposition à exécution ayant pour objet des exceptions de fond visant ladite créance.

26      D’autre part, la juridiction de renvoi fait observer que le législateur allemand est, à l’inverse, manifestement d’avis que les juridictions de l’État membre d’exécution d’une créance d’aliments sont compétentes pour statuer sur une action en opposition à exécution, telle que celle prévue à l’article 767 de la ZPO, dans laquelle le débiteur est autorisé à soulever des exceptions visant la créance elle-même. Selon la juridiction de renvoi, la doctrine dominante en Allemagne considère également qu’une telle action en opposition à exécution ne relève pas des actions en matière d’obligations alimentaires, au sens du règlement no 4/2009, au motif, notamment, que l’objectif de la protection juridique sollicitée viserait seulement l’exécution de la créance, alors que l’existence du titre d’origine resterait intacte.

27      Dans l’hypothèse où cette seconde position devrait prévaloir, la juridiction de renvoi se demande, en second lieu, si l’action en opposition à exécution engagée par FX devrait alors être qualifiée d’« action en matière d’exécution des décisions », au sens de l’article 24, paragraphe 5, du règlement no 1215/2012.

28      Selon cette juridiction, les arrêts du 4 juillet 1985, AS-Autoteile Service (220/84, EU:C:1985:302), et du 13 octobre 2011, Prism Investments (C‑139/10, EU:C:2011:653), ne permettraient pas, à eux seuls, de répondre à cette interrogation. En effet, ceux-ci auraient été prononcés dans le contexte réglementaire précédant l’entrée en vigueur du règlement no 4/2009. De plus, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, sous e), du règlement no 1215/2012, ce dernier ne s’appliquerait pas aux obligations alimentaires.

29      C’est dans ces conditions que l’Amtsgericht Köln (tribunal de district de Cologne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Lorsqu’elle est dirigée contre un titre étranger constatant une créance alimentaire, l’action en opposition à exécution prévue à l’article 767 de [la ZPO] est-elle une action en matière d’obligations alimentaires au sens du règlement [no 4/2009] ?

2)      En cas de réponse négative à la [première] question, l’action en opposition à exécution prévue à l’article 767 de [la ZPO], lorsqu’elle est dirigée contre un titre étranger constatant une créance alimentaire, est-elle une action en matière d’exécution des décisions, au sens de l’article 24, point 5, du règlement [no 1215/2012] ? »

 Sur les questions préjudicielles

30      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si relève du champ d’application du règlement no 4/2009 ou de celui du règlement no 1215/2012 ainsi que de la compétence internationale des juridictions de l’État membre d’exécution une action en opposition à exécution introduite par le débiteur d’une créance d’aliments, qui est dirigée contre l’exécution d’une décision rendue par une juridiction de l’État membre d’origine et ayant constaté cette créance.

31      À cet égard, il importe, en premier lieu, de relever qu’il résulte en particulier des considérants 10 et 11, de l’article 1er, paragraphe 1, ainsi que de l’article 2 du règlement no 4/2009 que ce dernier constitue un instrument de l’Union européenne regroupant, notamment, les dispositions sur les conflits de juridictions, les conflits de lois, la reconnaissance et la force exécutoire ainsi que l’exécution des décisions juridictionnelles en matière d’obligations alimentaires découlant des relations de famille, de parenté, de mariage et d’alliance.

32      Par cet instrument, le législateur de l’Union a entendu remplacer les dispositions en matière d’obligations alimentaires figurant dans le règlement no 44/2001 par des dispositions qui, compte tenu de l’urgence particulière qui s’attache au règlement des créances alimentaires, allègent la procédure devant le juge de l’exécution et la rendent ainsi plus rapide (arrêt du 9 février 2017, S., C‑283/16, EU:C:2017:104, point 32). À cet effet, le règlement no 4/2009 contient un chapitre IV, intitulé « Reconnaissance, force exécutoire et exécution des décisions », qui régit, en particulier, l’exécution des décisions des juridictions des États membres en matière d’obligations alimentaires.

33      Le règlement no 4/2009 constitue ainsi une lex specialis en ce qui concerne, notamment, les questions de compétence, de loi applicable, de reconnaissance, ainsi que d’exécution des décisions juridictionnelles dans le domaine spécifique des obligations alimentaires, ce que confirme, au demeurant, le règlement no 1215/2012, qui a abrogé le règlement no 44/2001. En effet, il résulte de l’article 1er, paragraphe 2, sous e), du règlement no 1215/2012, lu à la lumière du considérant 10 de ce dernier, que sont exclues du champ d’application matériel de ce règlement les obligations alimentaires découlant de relations de famille, de parenté, de mariage et d’alliance à la suite de l’adoption du règlement no 4/2009.

34      Par conséquent, ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, relevé aux points 39 et 40 de ses conclusions, un litige, tel que celui au principal, introduit devant une juridiction d’un État membre (l’État membre d’exécution), qui a pour objet l’exécution d’une décision, déclarée exécutoire dans cet État membre, rendue par une juridiction d’un autre État membre (l’État membre d’origine), en matière d’obligations alimentaires découlant d’une relation de famille, relève du champ d’application du règlement no 4/2009, en particulier de celui du chapitre IV de ce dernier.

35      La circonstance qu’une juridiction nationale soit, à l’instar de la juridiction de renvoi, saisie d’une action en opposition à l’exécution de la décision d’une juridiction de l’État membre d’origine ayant constaté une créance alimentaire ne modifie pas cette appréciation. En effet, ainsi que la Cour l’a jugé, l’action en opposition à exécution prévue à l’article 767 de la ZPO entretient un lien étroit avec la procédure d’exécution (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 1985, AS-Autoteile Service, 220/84, EU:C:1985:302, point 12). Partant, lorsqu’une telle action se greffe sur une demande visant à faire exécuter une décision en matière d’obligations alimentaires, elle relève, tout comme cette dernière, du champ d’application du règlement no 4/2009.

36      S’agissant, en second lieu, des doutes qu’éprouve la juridiction de renvoi quant à sa compétence internationale, en tant que juridiction de l’État membre d’exécution de la créance alimentaire, pour statuer sur une action en opposition à exécution telle que celle en cause au principal, il importe de relever que, bien que le règlement no 4/2009 contienne, à son chapitre IV, une série de dispositions relatives à l’exécution des décisions en matière d’obligations alimentaires, aucune de ces dispositions ne vise expressément la compétence au stade de l’exécution.

37      Toutefois, parmi les dispositions de la section 3 du chapitre IV du règlement no 4/2009, intitulée « Dispositions communes », figure l’article 41, paragraphe 1, de ce dernier, aux termes duquel, d’une part, sous réserve des dispositions de ce règlement, la procédure d’exécution des décisions rendues dans un autre État membre est régie par le droit de l’État membre d’exécution et, d’autre part, une décision rendue dans un État membre qui est exécutoire dans l’État membre d’exécution y est exécutée dans les mêmes conditions qu’une décision rendue dans cet État membre d’exécution.

38      Il découle implicitement et nécessairement de cette disposition du règlement no 4/2009 qu’une action qui entretient un lien étroit avec la procédure d’exécution d’une décision rendue par une juridiction de l’État membre d’origine et ayant constaté une créance alimentaire, telle que l’action en opposition à exécution en cause au principal, relève, tout comme la demande en exécution elle-même de ladite décision, de la compétence des juridictions de l’État membre d’exécution.

39      À cet égard, il serait notamment contraire aux objectifs, rappelés au point 32 du présent arrêt, de simplicité et de célérité poursuivis par le règlement no 4/2009, en particulier par le système dans lequel s’inscrit l’article 41, paragraphe 1, de ce règlement, que, ayant été saisie par un créancier d’aliments afin de faire exécuter une décision déclarée exécutoire dans l’État membre d’exécution, la juridiction compétente de ce dernier doive constater en toute hypothèse son incompétence pour statuer sur une action en opposition à exécution, au profit de la juridiction de l’État membre d’origine, au motif que cette dernière, en tant que juridiction de l’État membre de résidence du créancier, est, en vertu de l’article 3, paragraphe b), du règlement no 4/2009, la mieux placée pour assurer la protection de celui-ci.

40      En effet, d’une part, la Cour a jugé que la proximité entre la juridiction compétente et le créancier d’aliments ne constitue pas le seul objectif poursuivi par le règlement no 4/2009 (arrêt du 18 décembre 2014, Sanders et Huber, C‑400/13 et C‑408/13, EU:C:2014:2461, point 40). Ce dernier vise également à assurer une bonne administration de la justice, non seulement du point de vue d’une optimisation de l’organisation juridictionnelle, mais aussi au regard de l’intérêt des parties, qu’il s’agisse du demandeur ou du défendeur, de bénéficier, notamment, d’un accès facilité à la justice et d’une prévisibilité des règles de compétence (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2014, Sanders et Huber, C‑400/13 et C‑408/13, EU:C:2014:2461, point 29).

41      D’autre part, l’obligation qui serait faite à la juridiction de l’État membre d’exécution de décliner en toute hypothèse sa compétence pour statuer sur une action en opposition à exécution, telle que celle en cause au principal, au profit de la juridiction de l’État membre d’origine ayant constaté la créance d’aliments, aurait pour conséquence non pas de rendre le plus facile possible le recouvrement des créances alimentaires internationales, conformément à l’un des principaux objectifs poursuivis par le règlement no 4/2009, mais, au contraire, d’allonger et d’alourdir excessivement la procédure, et d’entraîner, pour les parties, une perte de temps et des charges supplémentaires non négligeables (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2014, Sanders et Huber, C‑400/13 et C‑408/13, EU:C:2014:2461, point 41).

42      Il en résulte qu’une juridiction de l’État membre d’exécution, saisie d’une demande d’exécution d’une décision rendue par une juridiction de l’État membre d’origine et ayant constaté une créance alimentaire, est compétente en vertu du règlement no 4/2009, en particulier de l’article 41, paragraphe 1, de ce dernier, pour statuer sur une action en opposition à exécution lorsque celle-ci présente un lien étroit avec la demande d’exécution introduite devant elle.

43      Il convient d’ajouter, à cet égard, que, dans l’affaire au principal, l’action en opposition à exécution est fondée sur l’affirmation du requérant selon laquelle il aurait déjà en grande partie acquitté la dette d’aliments en cause soit directement, soit indirectement, par l’intermédiaire du Fonds des pensions alimentaires.

44      S’il est du ressort de la Cour de fournir les éléments d’interprétation du règlement no 4/2009 utiles à la juridiction de renvoi en rapport avec un tel motif d’opposition, il appartient exclusivement à cette juridiction d’apprécier les faits ainsi que les éléments de preuve rapportés par les parties au principal à l’appui de leurs prétentions.

45      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 78 de ses conclusions, le motif tiré de l’acquittement de la dette figure parmi ceux généralement pris en considération au stade de l’exécution, ainsi que le souligne, par ailleurs, le considérant 30, deuxième phrase, du règlement no 4/2009, lequel énonce que l’acquittement de la dette par le débiteur au moment de l’exécution figure parmi les motifs de refus ou de suspension de l’exécution prévus par le droit national qui ne sont pas incompatibles avec ce règlement.

46      Lorsqu’une décision a été rendue dans un État membre où le créancier a sa résidence habituelle, un tel motif, invoqué à l’appui de l’action en opposition à exécution par le débiteur devant la juridiction de l’État membre d’exécution, ne vise ni à modifier cette décision ou à obtenir une nouvelle décision dans ce dernier État membre, au sens de l’article 8 du règlement no 4/2009, ni à solliciter la révision au fond de ladite décision dans ledit État membre, au sens de l’article 42 dudit règlement.

47      En effet, l’action en opposition à exécution qui repose sur ce motif est étroitement liée à la procédure d’exécution en ce qu’elle a uniquement pour objet de contester le montant à concurrence duquel la décision ayant constaté la créance d’aliments demeure susceptible d’exécution, sur la base des éléments de preuve fournis par le débiteur quant à l’acquittement allégué de sa dette, éléments dont il appartient à la juridiction de l’État membre d’exécution d’apprécier tant la recevabilité que le bien-fondé.

48      Au demeurant, dans l’affaire au principal, il résulte des dispositions de l’article 66 de l’AUG que le débiteur d’aliments ne peut soulever d’objections que sur le fondement de circonstances survenues après l’adoption de la décision ayant constaté la créance alimentaire. De telles dispositions excluent donc que des circonstances qui ont été invoquées par le débiteur de la créance d’aliments devant la juridiction de l’État membre d’origine, ou qui auraient pu l’être, puissent être valablement présentées à l’appui de l’action en opposition à exécution.

49      En outre, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 79 à 81 de ses conclusions, l’appréciation figurant aux points 46 et 47 du présent arrêt n’est pas infirmée par l’intervention, dans l’affaire au principal, d’un organisme public tel que le Fonds des pensions alimentaires, venant se substituer au débiteur à l’égard du créancier d’aliments.

50      En effet, dans une telle affaire, l’intervention d’un tel organisme, qui est d’ailleurs envisagée à l’article 64, paragraphe 2, du règlement no 4/2009, ne concerne que les modalités selon lesquelles la dette d’aliments est acquittée, ainsi que les éléments de preuve rapportés par le débiteur devant la juridiction de l’État membre d’exécution à l’appui de son allégation selon laquelle il a acquitté indirectement sa dette. Une telle intervention est dépourvue d’incidence sur le fond de la décision de la juridiction de l’État membre d’origine qui a constaté la créance d’aliments.

51      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées de la manière suivante :

–        Le règlement no 4/2009 doit être interprété en ce sens que relève de son champ d’application, ainsi que de la compétence internationale des juridictions de l’État membre d’exécution, une action en opposition à exécution introduite par le débiteur d’une créance d’aliments, qui est dirigée contre l’exécution d’une décision rendue par une juridiction de l’État membre d’origine et ayant constaté cette créance, qui est étroitement liée à la procédure d’exécution.

–        En application de l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 4/2009 et des dispositions du droit national pertinentes, il appartient à la juridiction de renvoi, en tant que juridiction de l’État membre d’exécution, de statuer sur la recevabilité et le bien-fondé des éléments de preuve rapportés par le débiteur de la créance d’aliments, visant à étayer l’allégation selon laquelle ce dernier a acquitté en grande partie sa dette.

 Sur les dépens

52      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

Le règlement (CE) no 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, doit être interprété en ce sens que relève de son champ d’application, ainsi que de la compétence internationale des juridictions de l’État membre d’exécution, une action en opposition à exécution introduite par le débiteur d’une créance d’aliments, qui est dirigée contre l’exécution d’une décision rendue par une juridiction de l’État membre d’origine et ayant constaté cette créance, qui est étroitement liée à la procédure d’exécution.

En application de l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 4/2009 et des dispositions du droit national pertinentes, il appartient à la juridiction de renvoi, en tant que juridiction de l’État membre d’exécution, de statuer sur la recevabilité et le bien-fondé des éléments de preuve rapportés par le débiteur de la créance d’aliments, visant à étayer l’allégation selon laquelle ce dernier a acquitté en grande partie sa dette.


Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.