Language of document : ECLI:EU:T:2009:33

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

11 février 2009 (*)

« Aides d’État – Secteur de l’énergie – Indemnisation des coûts irrécupérables – Décision déclarant l’aide compatible avec le marché commun – Obligation pour l’entreprise bénéficiaire de rembourser au préalable une aide antérieure déclarée illégale – Ressources d’État – Avantage – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑25/07,

Iride SpA, établie à Turin (Italie),

Iride Energia SpA, établie à Turin,

représentées par Mes L. Radicati di Brozolo, M. Merola et C. Bazoli, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme E. Righini et M. G. Conte, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet l’annulation de la décision 2006/941/CE de la Commission, du 8 novembre 2006, relative à l’aide d’État C 11/06 (ex N 127/05) que la République italienne entend mettre à exécution en faveur de l’AEM Torino (JO L 366, p. 62), sous forme de subventions destinées à rembourser les coûts irrécupérables dans le secteur de l’énergie, dans la mesure où, d’une part, elle conclut qu’il s’agit d’une aide d’État et où, d’autre part, elle subordonne la compatibilité de l’aide avec le marché commun à la condition que l’AEM Torino rembourse les aides illégales antérieures accordées dans le cadre du régime en faveur des entreprises dites « municipalisées »,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCEDES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de Mmes I. Pelikánová (rapporteur), président, K. Jürimäe et M. S. Soldevila Fragoso, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er juillet 2008,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Les requérantes, Iride SpA et Iride Energia SpA, sont, respectivement, la société holding du groupe Iride et sa filiale intervenant dans le secteur des énergies électrique et thermique. Ce groupe est issu de la fusion, intervenue le 31 octobre 2005, entre l’AEM Torino SpA et AMGA SpA. Les requérantes sont devenues bénéficiaires des mesures en cause dans la présente affaire à la suite des apports à la fusion effectués par l’AEM Torino, qui détenait les installations ciblées par lesdites mesures.

 Aides antérieures

2        À la suite d’une plainte déposée en 1997, la Commission a, le 5 juin 2002, adopté la décision 2003/193/CE, relative à une aide d’État aux exonérations fiscales et prêts à des conditions préférentielles consentis par l’Italie à des entreprises de services publics dont l’actionnariat est majoritairement public (JO L 77, p. 21, ci‑après la « décision sur les exonérations fiscales »). Dans cette décision, la Commission a constaté que les exonérations fiscales et les prêts consentis par la République italienne en faveur des entreprises dites « municipalisées », sont illégales et incompatibles avec le marché commun et a ordonné le recouvrement de ces aides auprès des entreprises bénéficiaires. Par arrêt du 1er juin 2006, Commission/Italie (C‑207/05, non publié au Recueil), la Cour a constaté que, en n’ayant pas exécuté la décision sur les exonérations fiscales, la République italienne avait manqué à ses obligations.

3        Le 18 juillet 2000, les autorités italiennes ont notifié à la Commission, conformément à l’article 88, paragraphe 2, CE, une aide d’État relative au remboursement des coûts non récupérables (dits « coûts échoués »), à la suite de la transposition de la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 décembre 1996, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (JO 1997, L 27, p. 20), en faveur du groupe ENEL et d’autres sociétés auxquelles avaient été cédées d’anciennes installations de l’ENEL. L’AEM Torino détenait une participation de 8 % dans le capital social de l’une de ces sociétés, Edipower SpA. La Commission a déclaré cette aide compatible avec le marché commun, au sens de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, par décision du 1er décembre 2004 (ci-après la « décision ENEL »), en application de sa communication sur la méthodologie pour l’analyse des aides d’État liées à des coûts échoués.

 Mesure litigieuse

4        Le 21 mars 2005, les autorités italiennes ont notifié à la Commission, conformément à l’article 88, paragraphe 2, CE, une nouvelle aide d’État relative au remboursement des coûts échoués en faveur de l’AEM Torino (ci-après la « mesure litigieuse »).

5        La mesure litigieuse était définie par une série de dispositions nationales. Ainsi, le décret du ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat du 26 janvier 2000 (GURI n° 27, du 3 février 2000), relatif aux frais généraux afférents au réseau électrique, dispose, à l’article 2, paragraphe 1, sous a), que fait partie de ces frais généraux l’« indemnisation des entreprises productrices-distributrices pour les coûts échoués ».

6        Pour ce qui concerne le financement de l’indemnisation accordée au titre des coûts échoués, l’Autorità per l’energia elettrica e il gas (Autorité pour l’énergie électrique et le gaz, ci-après l’« AEEG ») a ouvert, par décision n° 238/00, du 28 décembre 2000 (supplément ordinaire à la GURI n° 4, du 5 janvier 2001), un compte spécifique auprès de la caisse de péréquation pour le secteur de l’électricité (ci-après la « CCSE »), alimenté par le produit de l’application d’une composante déterminée (« A 6 ») du tarif électrique, mise à la charge de l’ensemble des clients finaux.

7        Enfin, par décret du ministre de l’Économie et des Finances du 10 mars 2005, les coûts échoués ont été fixés, en ce qui concerne l’AEM Torino, à un montant de 16 338 000 euros.

 Procédure précontentieuse

8        Dans les mois qui ont suivi la notification de la mesure litigieuse, la Commission a adressé une série de demandes d’information aux autorités italiennes afin de vérifier si l’AEM Torino avait bénéficié d’aides d’État illégales et incompatibles avec le marché commun et, dans l’affirmative, si l’AEM Torino avait respecté son obligation de restitution. Ces demandes faisaient référence, en particulier, aux aides ayant fait l’objet de la décision sur les exonérations fiscales.

9        En l’absence de réponse satisfaisante selon elle, la Commission a ouvert, par décision du 4 avril 2006, la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE en ce qui concerne la mesure litigieuse (ci-après la « décision d’ouverture »). Dans cette décision, la Commission a précisé, premièrement, que, à son avis, la mesure litigieuse constituait une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, deuxièmement, que cette aide était conforme aux critères indiqués dans la communication sur les coûts échoués mais, troisièmement, que, en l’état, cette aide ne pouvait pas être déclarée compatible avec le marché commun, dans la mesure où l’AEM Torino avait vraisemblablement bénéficié d’aides d’État illégales et incompatibles avec le marché commun et n’ayant pas encore été restituées.

10      La décision d’ouverture a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne du 17 mai 2006 (JO C 116, p. 2). Dans cette décision, la Commission a invité les parties intéressées à présenter leurs observations dans un délai d’un mois à partir de cette publication. Aucune observation n’a toutefois été présentée à la Commission, ni par les autorités italiennes, ni par l’AEM Torino, ni par des tiers intéressés.

11      Par décision 2006/941/CE, du 8 novembre 2006, relative à l’aide d’État C 11/06 (ex N 127/05) que la République italienne entend mettre à exécution en faveur de l’AEM Torino (JO L 366, p. 62, ci-après la « décision attaquée »), la Commission a clôturé la procédure au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE. Dans cette décision, elle a considéré, en substance, que la mesure litigieuse constituait une aide compatible avec le marché commun, mais que l’aide ne pouvait cependant être consentie avant que la République italienne ne lui ait présenté la preuve que l’AEM Torino n’avait pas été bénéficiaire des aides visées dans la décision sur les exonérations fiscales, ou, le cas échéant, la preuve que l’AEM Torino avait remboursé avec les intérêts de retard lesdites aides.

 Procédure et conclusions des parties

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 janvier 2007, les requérantes ont introduit le présent recours.

13      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée dans la mesure où elle qualifie d’aide d’État la mesure litigieuse, ainsi que dans la mesure où elle « suspend le versement de l’aide » jusqu’à ce que la République italienne ait fourni la preuve de la restitution, par l’AEM Torino, des aides faisant l’objet de la décision sur les exonérations fiscales ;

–        condamner la Commission aux dépens.

14      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

15      Les requérantes soulèvent deux moyens, tirés, d’une part, de la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE et, d’autre part, de l’illégalité de la « suspension du versement de l’aide ».

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE

16      Le premier moyen se subdivise en deux branches. Les requérantes contestent la qualification de la mesure litigieuse d’aide d’État, dans la mesure où la condition du financement par des ressources étatiques et la condition de l’octroi d’un avantage aux bénéficiaires ne seraient pas remplies.

17      En outre, les requérantes invoquent, dans le cadre de leur premier moyen, deux autres griefs, à savoir l’absence d’instruction et le défaut de motivation de la décision attaquée. Toutefois, ces griefs ne se rattachant pas, en réalité, à une violation de l’article 87, paragraphe 1, CE, ils seront examinés séparément, respectivement, comme troisième et quatrième moyens.

 Sur la première branche du premier moyen, relative à la condition du financement par des ressources étatiques

–       Arguments des parties

18      Les requérantes soutiennent, en substance, que la mesure litigieuse n’implique pas des ressources étatiques, mais n’entraîne que des transferts entre des acteurs économiques relevant du secteur privé, à savoir les consommateurs finaux d’électricité, d’une part, et les distributeurs d’électricité, d’autre part.

19      En effet, le système italien de couverture des coûts échoués se présenterait juridiquement comme prévoyant une obligation imposée par l’État à une catégorie de personnes privées, à savoir les consommateurs finaux d’électricité, de transférer certaines sommes à une autre catégorie de personnes privées, à savoir les entreprises bénéficiaires de l’indemnisation des coûts échoués. Les requérantes soulignent que, sous cet angle, le système en cause n’est pas différent d’une obligation d’achat à des prix minimaux préétablis qui échappe au champ d’application de l’article 87 CE, et ce même si, en l’espèce, le transfert des ressources financières entre les personnes privées est obligatoirement effectué par l’intermédiaire d’un compte ouvert auprès de la CCSE, et non directement.

20      Selon les requérantes, la CCSE n’exerce qu’une fonction de simple intermédiaire comptable entre les personnes privées sur lesquelles pèse l’obligation pécuniaire et les personnes bénéficiaires des sommes correspondantes, ce qui ne lui permettrait pas, même pas pour une brève période, de disposer des sommes déposées.

21      La Commission affirme que les sommes transférées constituent des ressources étatiques, puisque la CCSE, qui les encaisse et en assure la redistribution, est un organisme public et que l’État peut disposer des sommes ainsi collectées.

–       Appréciation du Tribunal

22      L’article 87, paragraphe 1, CE déclare incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

23      Or, en premier lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour que seuls les avantages accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État sont considérés comme des aides au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. En effet, la distinction établie dans cette disposition entre les « aides accordées par les États » et les aides accordées « au moyen de ressources d’État » ne signifie pas que tous les avantages consentis par un État constituent des aides, qu’ils soient ou non financés au moyen de ressources étatiques, mais vise seulement à inclure dans cette notion les avantages qui sont accordés directement par l’État ainsi que ceux qui le sont par l’intermédiaire d’un organisme public ou privé, désigné ou institué par cet État (voir arrêt de la Cour du 13 mars 2001, PreussenElektra, C‑379/98, Rec. p. I‑2099, point 58, et la jurisprudence citée).

24      En l’espèce, il est constant que les sommes en question dans le cadre de la mesure litigieuse étaient d’abord prélevées auprès de personnes privées, à savoir l’ensemble des consommateurs d’énergie, puis déposées sur un compte ouvert auprès de la CCSE, avant d’être ultérieurement transférées à l’AEM Torino, qui est une entreprise privée. Il n’est pas non plus contesté que la CCSE est un organisme public, désigné par l’État italien pour faire parvenir aux entreprises bénéficiaires l’indemnisation des coûts échoués.

25      En second lieu, s’agissant de la notion de ressources étatiques, il convient de rappeler qu’il découle de la jurisprudence de la Cour que l’article 87, paragraphe 1, CE englobe tous les moyens pécuniaires que les autorités publiques peuvent effectivement utiliser pour soutenir des entreprises, sans qu’il soit pertinent que ces moyens appartiennent ou non de manière permanente au patrimoine de l’État. En conséquence, même si les sommes correspondant à la mesure en cause ne sont pas de façon permanente en possession des autorités publiques, le fait qu’elles restent constamment sous contrôle public, et donc à la disposition des autorités nationales compétentes, suffit pour qu’elles soient qualifiées de ressources d’État (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 16 mai 2000, France/Ladbroke Racing et Commission, C‑83/98 P, Rec. p. I‑3271, point 50, et du 16 mai 2002, France/Commission, C‑482/99, Rec. p. I‑4397, point 37).

26      En l’espèce, les requérantes affirment que la mesure litigieuse s’apparente à celle qui était en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt PreussenElektra, précité, dans lequel la Cour a jugé que l’obligation, faite à des entreprises privées d’approvisionnement en électricité, d’acheter à des prix minimaux fixés l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables n’entraînait aucun transfert direct ou indirect de ressources d’État aux entreprises productrices de ce type d’électricité (point 59).

27      Or, il convient de relever que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt PreussenElektra, précité, au-delà de l’institution de l’obligation légale d’achat à un prix minimal, l’État n’avait joué aucun rôle dans la collecte et/ou la redistribution des fonds en cause : les sommes correspondant au prix d’achat étaient directement transférées entre des acteurs économiques relevant du secteur privé, à savoir les entreprises distributrices d’électricité, d’une part, et les producteurs d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables, d’autre part. En l’espèce, en revanche, le produit de l’application de la composante A 6 du tarif électrique est recouvré et géré sur un compte spécifique par la CCSE qui est un organisme public, avant d’être redistribué au bénéficiaire, à savoir l’AEM Torino.

28      Dès lors, eu égard à la jurisprudence citée au point 25 ci‑dessus, les sommes en cause doivent être qualifiées de ressources d’État, puisque non seulement elles sont constamment sous contrôle public, mais encore elles sont la propriété de l’État.

29      En effet, s’agissant, premièrement, du contrôle public, la Commission a relevé, sans être contredite par les requérantes, que la CCSE pouvait utiliser les sommes disponibles sur son compte A 6 pour couvrir temporairement un solde débiteur sur d’autres comptes. De plus, la Commission a cité un cas dans lequel les autorités italiennes avaient, par un décret ministériel, affecté une partie des sommes disponibles sur ledit compte à d’autres fins que celle pour laquelle elles avaient été déposées. Il y a donc lieu de rejeter l’argument des requérantes selon lequel la CCSE n’exercerait qu’une fonction de simple intermédiaire comptable et selon lequel le dépôt des sommes en cause sur ce compte de la CCSE ne lui permettrait pas, même temporairement, d’en disposer. Certes, les requérantes ont fait valoir que l’État italien n’avait pas, en l’occurrence, agi de sa propre initiative, mais dans le but de se conformer aux dispositions communautaires, et que le changement d’affectation de ces sommes par rapport à leur affectation initiale n’avait été que la conséquence de l’impossibilité de les restituer à ceux qui les avaient indûment versées. Toutefois, cela ne remet pas en cause la conclusion de la Commission à cet égard, selon laquelle l’État italien a la faculté, si cela s’avère nécessaire ou opportun, de disposer des sommes disponibles sur le compte A 6 de la CCSE, notamment en modifiant leur affectation.

30      S’agissant, deuxièmement, de la propriété des sommes déposées sur le compte A 6 de la CCSE, si les requérantes nient qu’elles appartiennent à la CCSE elle-même, elles n’ont pas expliqué pour autant, dans leurs écritures, à qui elles appartenaient, celles-ci se bornant à affirmer que les sommes en cause appartiennent toujours au « système électrique ». Lors de l’audience, à la suite d’une question posée par le Tribunal, les requérantes ont précisé que c’était les consommateurs finaux d’électricité qui restaient propriétaires desdites sommes.

31      Or, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation italienne) a jugé, dans l’arrêt (chambres civiles réunies) n° 11632/03, du 3 avril 2003, que la CCSE ne possédait pas de personnalité juridique distincte de celle de l’État italien et que c’était ce dernier qui devait être considéré comme étant le propriétaire des sommes versées à la CCSE. Aux points 4.3 à 4.7 dudit arrêt, la Corte suprema di cassazione a effectué une analyse approfondie de la question de la personnalité juridique de la CCSE, fondée sur un examen des dispositions légales applicables en la matière, ainsi que sur la jurisprudence relative aux cas semblables en droit italien. Elle a conclu que la CCSE était un organe étatique et que les sommes qui lui étaient versées, bien qu’elles proviennent de personnes privées et qu’elles soient destinées à des entreprises privées, étaient la propriété de l’État.

32      Les arguments avancés par les requérantes dans la réplique pour contester le bien-fondé de cet arrêt et sa portée pour la présente affaire n’emportent pas la conviction.

33      En premier lieu, les requérantes font valoir que la Corte suprema di cassazione était appelée, dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, à se prononcer sur des questions juridiques différentes de celles examinées dans le cas d’espèce. En effet, selon elles, la Corte suprema di cassazione avait statué sur la nature d’une infraction par laquelle les membres du Comité interministériel des prix italien (CIP) avaient porté atteinte, dans l’exercice de leurs fonctions, aux recettes publiques détenues par la CCSE. Dans ce contexte, elle aurait été animée par la volonté de punir en toute hypothèse les personnes en cause. Les principes énoncés par la Corte suprema di cassazione ne sauraient donc s’appliquer de manière abstraite à d’autres cas de figure, sans tenir compte du contexte dans lequel ils ont été énoncés.

34      Or, indépendamment du bien-fondé des suppositions des requérantes quant aux motifs sous-tendant l’arrêt en cause, les constatations de ce dernier sur la nature étatique des ressources en cause ne sauraient être réputés indissociables du fait que la Corte suprema di cassazione s’était prononcée dans une affaire relevant du droit pénal et non dans une affaire civile ou administrative. En effet, le droit pénal et, en particulier, les dispositions relatives à la fraude comptable, qui étaient en cause dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, ayant pour objet de protéger les droits que les personnes physiques ou morales tirent du droit civil ou du droit administratif, les ayants droit des comptes en question doivent en tout état de cause être déterminés sur le fondement du droit civil ou du droit administratif. Dès lors, les constatations de l’arrêt de la Corte suprema di cassazione relatifs à l’absence de personnalité juridique de la CCSE et à la propriété des fonds déposés sur les comptes gérés par elle ont vocation à être appliqués de manière générale, même en dehors du domaine pénal.

35      En deuxième lieu, les requérantes affirment que le cadre juridique applicable à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Corte suprema di cassazione a entre-temps été complètement modifié. À cet égard, elles citent, en particulier, la création, par une loi de 1995, de l’AEEG, à laquelle ont été attribuées les compétences précédemment exercées par le CIP, ainsi que la délibération n° 70/97 de l’AEEG, dans laquelle cette dernière aurait, pour la première fois, opéré une distinction nette entre le tarif électrique, y compris ses suppléments, et les recettes de l’État. Selon les requérantes, avant la libéralisation du secteur impliquant cette dernière modification, les différentes composantes du tarif électrique permettaient d’alimenter le budget de l’ENEL en tant qu’organisme public, ce qui amenait à les percevoir comme des ressources publiques, alors que, en vertu de dispositions légales datant de 1992, l’ENEL avait entre-temps été transformé en société anonyme.

36      Le Tribunal considère que ces arguments sont infirmés par ceux qui ont été avancés par la Commission. En effet, en ce qui concerne la reprise des tâches du CIP par l’AEEG, il paraît évident que, du moment que les compétences exercées n’ont pas changé, il importe peu de savoir si la détermination, la gestion et la destination des suppléments du tarif électrique incombent à une autorité administrative indépendante, telle que l’AEEG, ou à un comité interministériel, tel que le CIP. S’agissant du fait que l’ENEL, en tant que destinataire des suppléments du tarif électrique ayant fait l’objet de l’arrêt de la Corte suprema di cassazione, n’est plus un établissement public, ainsi que la Commission le relève à bon droit, il convient de constater que la juridiction suprême italienne a souligné que le fait que les sommes en cause sont destinées à l’indemnisation d’entreprises n’a aucune incidence en ce qui concerne leur appartenance à l’État. De même, il ressort dudit arrêt que le fait que l’AEEG a opéré une distinction entre, d’une part, les suppléments destinés à être affectés au budget général de l’État et, d’autre part, ceux qui sont versés sur un compte bloqué ouvert auprès de la CCSE et destinés à l’indemnisation d’entreprises n’exclut pas que les seconds deviennent la propriété de l’État une fois qu’ils sont versés à la CCSE.

37      Enfin, les requérantes contestent que l’on puisse déduire, comme l’a fait la Corte suprema di cassazione, que les fonds disponibles sur le compte A 6 de la CCSE sont des fonds publics du fait que la CCSE est assujettie au régime de comptabilité de l’État. En effet, la nature juridique des fonds ne dépendrait pas de la nature publique ou privée de l’organisme auprès duquel ils sont déposés. En tout état de cause, l’AEEG, qui pouvait choisir librement l’établissement bancaire auquel elle confiait la gestion du compte spécifique, aurait choisi la CCSE pour de simples raisons d’opportunité.

38      Il suffit de remarquer, à cet égard, que le Tribunal n’est pas compétent pour remettre en cause l’interprétation du droit national italien effectuée par la Corte suprema di cassazione.

39      Il s’ensuit que les sommes déposées sur le compte A 6 de la CCSE appartiennent à l’État italien et que ce dernier peut en disposer. Dès lors, conformément aux principes dégagés par la jurisprudence citée au point 25 ci‑dessus, elles doivent être qualifiées de ressources étatiques.

40      Par conséquent, il y a lieu de rejeter comme non fondée la première branche du premier moyen.

 Sur la seconde branche du premier moyen, relative à la condition de l’octroi d’un avantage

–       Arguments des parties

41      Les requérantes soutiennent que la mesure litigieuse ne remplit pas la condition relative à l’octroi d’un avantage pour l’entreprise bénéficiaire et que la Commission n’a donné aucune explication à cet égard dans la décision attaquée.

42      Selon elles, la mesure litigieuse permet aux entreprises bénéficiaires de récupérer des frais, qui sont des frais fixes relatifs à des investissements effectués conformément à des obligations imposées par l’État, avant la libéralisation du marché, et qu’elles ne parviennent pas à couvrir au moyen de leurs seules recettes, générées par la vente d’électricité sur le marché libéralisé. Dès lors, il ne s’agirait pas là d’un avantage économique, mais d’une mesure tendant à éviter que des entreprises ne soient pénalisées du seul fait de s’être conformées, avant la libéralisation du marché, aux indications stratégiques des autorités, situation qui équivaudrait à conférer un avantage aux entreprises concurrentes n’ayant pas eu à supporter de tels investissements non rentables.

43      D’après les requérantes, les coûts échoués ne sont pas des frais qui grèvent normalement le budget des entreprises, au sens de la jurisprudence communautaire relative aux aides d’État, dès lors que, dans une situation normale d’un marché ouvert à la concurrence, aucune entreprise n’aurait effectué les investissements ayant donné lieu aux coûts échoués. Il ne saurait donc être question d’un avantage découlant de la mesure litigieuse, mais plutôt de l’élimination d’un désavantage concurrentiel résultant de l’application du régime précédent.

44      Les requérantes font donc valoir que la Commission aurait dû démontrer que la mesure litigieuse allait au-delà de la simple couverture des coûts échoués et constituait un avantage supplémentaire pour les bénéficiaires. Or, cela serait exclu en l’espèce, puisque les sommes à percevoir par elles auraient été calculées sur la base de la différence entre les frais fixes de l’installation et les recettes qui pourraient être obtenues de la vente d’électricité.

45      La Commission fait valoir que, puisque la mesure litigieuse consiste dans le transfert à l’AEM Torino d’une somme de 16 338 000 euros qui ne représente pas la contrepartie de prestations fournies à l’État ou à la collectivité, mais qui est destinée à couvrir des coûts devant normalement être supportés par ladite entreprise, il s’agit d’un avantage au sens du droit communautaire des aides d’État.

–       Appréciation du Tribunal

46      Selon une jurisprudence constante, afin d’apprécier si une mesure étatique constitue une aide d’État, il convient de déterminer si l’entreprise bénéficiaire reçoit un avantage économique qu’elle n’aurait pas reçu dans des conditions normales de marché (arrêts de la Cour du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C‑39/94, Rec. p. I‑3547, point 60, et du 29 juin 1999, DM Transport, C‑256/97, Rec. p. I‑3913, point 22 ; arrêt du Tribunal du 13 juin 2000, EPAC/Commission, T‑204/97 et T‑270/97, Rec. p. II‑2267, point 66).

47      En l’espèce, il est constant que la mesure litigieuse prévoit le transfert à l’AEM Torino d’un montant de 16 338 000 euros. La question qui se pose est donc celle de savoir si ce transfert est un avantage économique que cette entreprise n’aurait pas reçu dans des conditions normales de marché, comme l’affirme la Commission, ou bien s’il ne s’agit que du rétablissement, pour l’AEM Torino, de conditions normales de marché par rapport aux entreprises concurrentes n’ayant pas eu à supporter des coûts échoués, comme le font valoir les requérantes.

48      La réponse à cette question dépend de l’interprétation donnée à la notion de « conditions normales de marché », dans le contexte de la libéralisation du marché de la production d’électricité. Selon la Commission, les modifications intervenues dans ce contexte font partie des évolutions auxquelles les opérateurs économiques devaient s’attendre dans les conditions normales de marché, ou, à tout le moins, lesdits opérateurs ne pouvaient avoir aucune confiance légitime en ce qui concerne le maintien du cadre réglementaire existant. En revanche, les requérantes soutiennent, en substance, que les conditions normales de marché impliquent la stabilité du cadre réglementaire, ou, à tout le moins, la protection de la confiance qu’elles ont placée dans une telle stabilité, notamment lorsque les entreprises se sont vues incitées, sinon obligées par l’État, à procéder à certains investissements, comme cela aurait été le cas en l’espèce.

49      Le Tribunal considère que c’est l’avis de la Commission qui emporte la conviction.

50      En effet, dans un État démocratique, de même que dans une économie de marché, le cadre réglementaire est à tout moment susceptible d’être modifié. Étant donné l’orientation générale de la politique économique de la Communauté européenne dans le sens d’une ouverture des marchés nationaux et de la favorisation du commerce entre États membres, cela vaut d’autant plus dans des cas où, comme en l’espèce, le cadre réglementaire antérieur prévoyait le cloisonnement national et/ou régional d’un marché, de manière à créer des situations de monopole. Il s’ensuit que l’ouverture d’un marché préalablement cloisonné, tel qu’elle est opérée dans le cadre de la directive 96/92, ne saurait être qualifiée d’anomalie par rapport aux conditions normales de marché.

51      Il y a donc lieu de constater que la modification du cadre réglementaire dans le secteur de l’électricité intervenue à la suite de la directive 96/92 s’inscrit dans les conditions normales de marché et que, lorsque l’AEM Torino a effectué les investissements ayant donné lieu aux coûts échoués en cause, elle a pris des risques normaux, qui sont inhérents à d’éventuelles modifications de la législation, comme l’a fait valoir la Commission.

52      Certes, il est vrai que, dans tout système relevant de l’État de droit, les entreprises, comme tout individu, ont droit à la protection de leur confiance légitime. Toutefois, en l’espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner si les requérantes pouvaient légitimement prétendre à la protection de la confiance qu’elles avaient placée dans la stabilité du cadre réglementaire relatif au secteur de l’électricité.

53      En effet, premièrement, comme la Commission l’a relevé à juste titre, les requérantes n’ont fourni aucun élément de nature à étayer leur affirmation selon laquelle les autorités italiennes les auraient obligées à consentir les investissements ayant donné lieu aux coûts échoués visés par la mesure litigieuse.

54      Deuxièmement, une protection de la confiance que les requérantes avaient placée dans la stabilité du cadre réglementaire relatif au secteur de l’électricité a de fait été assurée en l’espèce, la Commission ayant considéré, dans la décision attaquée, que la mesure litigieuse constituait une aide d’État en principe compatible avec le marché commun, sous la seule réserve du remboursement préalable des aides visées dans la décision sur les exonérations fiscales. Cette admission de la compatibilité de la mesure litigieuse s’inscrit dans la ligne de conduite annoncée par la Commission dans sa communication relative à la méthodologie d’analyse des aides d’État liées à des coûts échoués, dans laquelle elle a indiqué qu’elle pourrait avoir « une attitude favorable à l’égard de ces aides dans la mesure où la distorsion de la concurrence est contrebalancée par leur contribution à la réalisation d’un objectif communautaire que les forces du marché ne pourraient atteindre », et qu’elle considérait que « les aides visant à compenser les coûts échoués peuvent en principe bénéficier de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous c), [CE] ».

55      Or, dès lors que les requérantes ont bénéficié d’une protection effective de la confiance qu’elles avaient placée dans la stabilité du cadre réglementaire relatif au secteur de l’électricité, elles ne sauraient être admises à prétendre voir cette protection mise en œuvre d’une certaine manière plutôt que d’une autre, à savoir par le biais d’une exclusion de la mesure litigieuse de la notion d’aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE plutôt que par une déclaration de compatibilité de cette mesure, en vertu de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE.

56      Il s’ensuit qu’il y a également lieu de rejeter comme non fondée la seconde branche du premier moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré d’un défaut d’instruction

 Arguments des parties

57      Les requérantes soulèvent un moyen tiré du défaut d’instruction quant à la qualification d’aide d’État de la mesure litigieuse.

58      La Commission oppose l’irrecevabilité du troisième moyen.

 Appréciation du Tribunal

59      Selon l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la requête introductive d’instance doit contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l’appui. La requête doit, de ce fait, expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé, de sorte que sa seule énonciation abstraite ne répond pas aux exigences du règlement de procédure (voir arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T‑224/00, Rec. p. II‑2597, point 36, et la jurisprudence citée).

60      En l’espèce, les requérantes n’ont développé ce moyen ni dans leurs écritures, ni à l’audience, de sorte que la seule indication relative au troisième moyen donnée par elles consiste en son énonciation abstraite, dans l’intitulé de leur premier moyen. Si elles ont indiqué lors de l’audience, à la suite d’une question du Tribunal, que le développement de ce moyen devrait être trouvé dans leurs développements relatifs aux autres moyens, il convient de rappeler qu’il n’appartient pas au Tribunal d’aller rechercher dans l’ensemble des éléments invoqués au soutien d’un moyen si ces éléments peuvent également être utilisés au soutien d’un second moyen (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Roquette Frères/Commission, T‑322/01, Rec. p. II‑3137, point 209).

61      Il s’ensuit que le troisième moyen doit être rejeté comme irrecevable.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’un défaut de motivation

 Arguments des parties

62      Les requérantes font valoir que la décision attaquée est irrégulière parce que ni celle-ci ni la décision d’ouverture ne contiennent une explication des raisons qui ont amené la Commission à conclure que la mesure litigieuse constitue une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. Les prétendues carences de motivation affectant la décision attaquée ne sauraient être compensées par la référence qui y est faite à la décision ENEL. En effet, cette décision n’aurait pas concerné les mesures adoptées en faveur des entreprises dites « municipalisées », qui sont en cause en l’espèce.

63      Enfin, les requérantes estiment que, même à vouloir prendre en considération la décision ENEL aux fins de la motivation de la décision attaquée, il existe de graves vices de motivation. En particulier, le système italien de couverture des coûts échoués y serait analysé de manière imprécise et les conclusions tirées par la Commission à partir de la jurisprudence de la Cour relative aux taxes parafiscales seraient erronées.

64      Premièrement, la Commission rappelle que le gouvernement italien, destinataire de la décision attaquée, a notifié la mesure litigieuse au titre de l’article 88, paragraphe 3, CE en la qualifiant d’aide d’État, tout comme dans le cas des aides ayant donné lieu à la décision ENEL. Dans la décision attaquée, elle se serait donc limitée à confirmer la qualification juridique donnée par le gouvernement italien. Deuxièmement, dans la décision attaquée, la Commission aurait globalement confirmé les conclusions préliminaires énoncées dans la décision d’ouverture, sur laquelle ni la République italienne ni l’AEM Torino n’auraient formulé d’observations. Troisièmement, le cadre juridique de la mesure litigieuse serait identique à celui de la décision ENEL, ce que la Commission aurait expressément précisé dans la décision attaquée.

65      Dans ces circonstances, la Commission estime que le contexte, bien connu tant par le gouvernement italien que par l’AEM Torino, à la lumière duquel la motivation de la décision attaquée doit être appréciée, comprend non seulement la décision d’ouverture, mais aussi la décision ENEL, dont la motivation permettrait de comprendre clairement le raisonnement ayant conduit à conclure que la mesure litigieuse était financée par des ressources étatiques. Par ailleurs, étant donné que ni les autorités italiennes ni l’AEM Torino n’avaient présenté d’observations sur les conclusions préliminaires contenues dans la décision d’ouverture, la Commission considère que la décision attaquée pouvait être motivée de manière sommaire.

 Appréciation du Tribunal

66      Selon une jurisprudence constante, la motivation d’un acte doit être adaptée à la nature de celui-ci et doit faire apparaître clairement le raisonnement de l’institution qui en est l’auteur, de manière à permettre aux intéressés d’en comprendre le fondement et au juge d’en contrôler le bien-fondé, sans cependant qu’il soit exigé qu’elle spécifie tous les éléments de droit et de fait pertinents, puisque la question de savoir si elle satisfait à l’article 253 CE s’apprécie compte tenu tant du libellé de cet acte que de son contexte juridique et factuel (voir arrêt du Tribunal du 15 juin 2005, Regione autonoma della Sardegna/Commission, T‑171/02, Rec. p. II‑2123, point 73, et la jurisprudence citée).

67      En l’espèce, s’agissant de la décision attaquée elle-même, il est vrai que, dans celle-ci, la Commission se limite, en ce qui concerne la qualification d’aide d’État de la mesure litigieuse, à la seule phrase selon laquelle elle « a constaté que la mesure en examen d[evait] être considérée comme une aide d’État ».

68      Toutefois, il convient de souligner que la décision attaquée a été adoptée dans un contexte bien connu tant du gouvernement italien que des requérantes et qu’elle se place dans une pratique décisionnelle constante.

69      À cet égard, en premier lieu, il y a lieu de relever que le gouvernement italien a lui‑même, dans sa notification du 21 mars 2005 (voir point 4 ci‑dessus), qualifié d’aide d’État la mesure litigieuse.

70      En deuxième lieu, il convient de constater que, en l’espèce, le contexte juridique et factuel de la décision attaquée comprend, outre la décision d’ouverture, la décision ENEL, à laquelle il est expressément fait référence au point 5 de la décision d’ouverture et au considérant 5 de la décision attaquée. En particulier, la Commission a indiqué, au considérant 5 de la décision attaquée, que la mesure litigieuse « se fond[ait] sur une mesure analogue approuvée par la Commission », en précisant qu’il s’agissait de la mesure ayant fait l’objet de la décision ENEL.

71      Or, la décision ENEL contient, au point 3.1, un énoncé détaillé des raisons pour lesquelles la Commission a estimé que les mesures qui en faisaient l’objet étaient des aides d’État. Elle y a expliqué, pour chacune des conditions énoncées à l’article 87, paragraphe 1, CE, en quoi elle les estimait remplies s’agissant de la mesure en cause. Ces explications sont plutôt brèves en ce qui concerne les critères de sélectivité, de l’affectation des échanges entre États membres et de l’avantage octroyé aux bénéficiaires, mais sont plus approfondies en ce qui concerne le critère du financement au moyen de ressources d’État, ce qui reflète les différences de degré de difficulté dans l’appréciation de chacun de ces critères pour ladite mesure. Le Tribunal considère que ces développements constituent, en tant que tels, une motivation suffisante au regard de la jurisprudence citée au point 66 ci-dessus.

72      Toutefois, puisqu’il ne s’agit pas d’une motivation relative à la mesure litigieuse, mais de celle relative à une autre mesure, qui présente certes un caractère similaire, il convient également de vérifier la pertinence de cette motivation pour l’appréciation de la mesure litigieuse, compte tenu des différences entre les deux mesures en cause. En effet, les requérantes contestent que la décision ENEL puisse être prise en considération au titre de la motivation de la décision attaquée, puisqu’elle ne concerne pas les mesures en faveur des entreprises dites « municipalisées », qui sont en cause en l’espèce, mais uniquement des mesures en faveur d’autres entreprises, à savoir celles appartenant au groupe ENEL et d’autres sociétés ayant repris d’anciennes installations de l’ENEL (voir point 3 ci-dessus).

73      À cet égard, il y a lieu de constater que les mesures en cause dans l’affaire ayant donné lieu à la décision ENEL et dans celle ayant donné lieu à la décision attaquée reposent sur les mêmes bases juridiques en droit italien, ainsi que cela ressort du point 2.1 de la décision ENEL et du point 4 de la décision d’ouverture. Il y a également lieu de relever que les entreprises bénéficiaires appartiennent au même secteur économique, à savoir celui de la production et/ou de la distribution d’électricité, que lesdites mesures sont destinées, dans les deux cas, à couvrir les coûts échoués liés à la libéralisation du marché de l’électricité, à la suite de la transposition de la directive 96/92, et que les modalités de collecte et de distribution des sommes en cause sont identiques, puisque, dans les deux cas, lesdites sommes sont collectées auprès de l’ensemble des consommateurs finaux d’énergie par application de la même composante A 6 du tarif électrique, puis gérées par la CCSE sur un compte spécifique, avant d’être ultérieurement versées aux entreprises bénéficiaires de la mesure.

74      De plus, la connexité entre les deux mesures est également attestée par le fait que la Commission a souligné, au point 2.1 de la décision ENEL, que les coûts échoués des entreprises dites « municipalisées », parmi lesquelles elle cite expressément l’AEM Torino, allaient faire l’objet d’une réglementation nationale séparée et que cette dernière ferait l’objet d’une notification et d’une décision ultérieures. De même, au point 5 de la décision d’ouverture, la Commission se réfère expressément au fait que les coûts échoués relatifs aux entreprises dites « municipalisées » n’avaient pas, à l’époque, fait l’objet de la décision ENEL.

75      Il résulte de ce qui précède que les deux mesures présentent un tel degré de connexité et de similitude que la motivation donnée pour la qualification d’aide d’État de l’une fait apparaître avec une clarté suffisante le raisonnement suivi par la Commission en ce qui concerne celle de l’autre, de manière à permettre aux requérantes d’en comprendre le fondement et au Tribunal d’en contrôler le bien-fondé, en application de la jurisprudence citée au point 66 ci‑dessus. Il apparaît d’ailleurs que les requérantes ont été en mesure d’assurer leur défense sur la base des documents et des informations à leur disposition, puisqu’elles contestent in extenso, dans la requête, les motifs de la décision ENEL.

76      Enfin, dans la mesure où les requérantes font valoir que, même à vouloir prendre en considération la décision ENEL aux fins de la motivation de la décision attaquée, le système italien de couverture des coûts échoués n’y serait analysé que de manière imprécise et des conclusions erronées y seraient tirées, il y a lieu de rappeler que le défaut ou l’insuffisance de motivation constitue un moyen tiré de la violation des formes substantielles, distinct, en tant que tel, du moyen pris de l’inexactitude des motifs de la décision attaquée, dont le contrôle relève de l’examen du bien-fondé de cette décision (arrêt du Tribunal du 7 novembre 1997, Cipeke/Commission, T‑84/96, Rec. p. II‑2081, point 47). Or, cet argument des requérantes ne se rapporte qu’à l’exactitude quant au fond des motifs. Dès lors, il ne saurait remettre en cause le fait que la Commission a satisfait à son obligation de motivation dans la décision attaquée.

77      Il y a donc lieu de rejeter le quatrième moyen comme non fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiré de l’illégalité de la « suspension du versement de l’aide »

78      Le deuxième moyen soulevé par les requérantes se subdivise en deux branches tirées, respectivement, de l’absence de pertinence des arrêts de la Cour du 15 mai 1997, TWD/Commission (C‑355/95 P, Rec. p. I‑2549), et du Tribunal du 13 septembre 1995, TWD/Commission (T‑244/93 et T‑486/93, Rec. p. II‑2265, ci-après la « jurisprudence Deggendorf »), pour l’examen du cas d’espèce et de l’absence d’évaluation de la distorsion de concurrence résultant du cumul des aides antérieures avec la mesure litigieuse.

 Sur la première branche du deuxième moyen, concernant la pertinence de la jurisprudence Deggendorf

–       Arguments des parties

79      Les requérantes soutiennent, en substance, que la « suspension du versement » d’une aide d’État en application de la jurisprudence Deggendorf, précitée, présuppose la réunion de trois conditions : premièrement, les aides perçues doivent avoir été déclarées illégales, deuxièmement, leur récupération doit avoir été ordonnée et, troisièmement, la société bénéficiaire doit s’être abstenue d’exécuter cette injonction. Or, en l’espèce, dans la décision sur les exonérations fiscales, la Commission n’aurait fait que condamner un régime d’aides, sans toutefois identifier les entreprises bénéficiaires et sans fixer les montants précis que celles-ci devaient rembourser. Il n’existerait donc pas d’ordre de récupération auquel les requérantes ne se seraient pas conformées.

80      Elles ajoutent qu’elles ne sauraient être tenues pour responsables du retard éventuellement injustifié que la République italienne aurait pris pour ordonner la récupération des aides visées dans la décision sur les exonérations fiscales. Selon les requérantes, si l’on acceptait qu’un tel retard puisse justifier la « suspension du versement » d’une nouvelle aide compatible selon la jurisprudence Deggendorf, cela reviendrait à donner à cette mesure un contenu clairement répressif nullement voulu par les juges, et ce en l’absence de tout fondement juridique en droit communautaire.

81      La Commission fait valoir, premièrement, qu’elle n’a pas à examiner le comportement adopté par l’entreprise bénéficiaire au regard d’un ordre de recouvrement, mais celui de l’État membre concerné et, deuxièmement, qu’elle a estimé que, en l’espèce, l’AEM Torino avait bénéficié d’aides illégales et incompatibles avec le marché commun que l’État italien était tenu de récupérer. La Commission rappelle, à cet égard, que la République italienne a été condamnée par la Cour pour ne pas avoir récupéré, dans les délais prescrits, les aides relevant du régime sur les exonérations fiscales (arrêt Commission/Italie, précité).

–       Appréciation du Tribunal

82      Il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que l’article 88, paragraphe 2, premier alinéa, CE confère à la Commission la responsabilité de mettre en œuvre, sous le contrôle du juge communautaire, une procédure spéciale organisant l’examen permanent et le contrôle des aides que les États membres ont l’intention d’instituer (arrêts de la Cour du 14 février 1990, France/Commission, C‑301/87, Rec. p. I‑307, point 16, et du 4 février 1992, British Aerospace et Rover/Commission, C‑294/90, Rec. p. I‑493, point 10). En particulier, dans le domaine de l’appréciation de la compatibilité avec le marché commun des aides selon l’article 87, paragraphe 3, CE, la Commission jouit d’un large pouvoir d’appréciation, dont l’exercice implique des évaluations d’ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire (arrêt France/Commission, précité, point 49). Lorsque la Commission examine la compatibilité d’une aide d’État avec le marché commun, elle doit prendre en considération tous les éléments pertinents, y compris, le cas échéant, le contexte déjà apprécié dans une décision antérieure, ainsi que les obligations que cette décision antérieure a pu imposer à un État membre (arrêt de la Cour du 3 octobre 1991, Italie/Commission, C‑261/89, Rec. p. I‑4437, point 20).

83      Dans la jurisprudence Deggendorf, la Cour en a déduit que la Commission n’outrepassait pas le pouvoir d’appréciation dont elle dispose lorsque, saisie d’un projet d’aide qu’un État membre se propose d’octroyer à une entreprise, elle prend une décision déclarant cette aide compatible avec le marché commun, mais sous la réserve du remboursement préalable par l’entreprise d’une ancienne aide illégale, et ce en raison de l’effet cumulé des aides en question (voir, en ce sens, arrêt du 15 mai 1997, TWD/Commission, précité, points 25 à 27).

84      Le raisonnement suivi par les requérantes procède d’une interprétation erronée de l’arrêt du 15 mai 1997, TWD/Commission, précité, et d’une méconnaissance des caractéristiques de la procédure de contrôle des aides d’État, en ce qu’il consiste à appréhender cette procédure sous l’angle d’une relation entre l’entreprise bénéficiaire et la Commission, et non sous l’angle de celle existant en réalité à cet égard entre l’État membre et la Commission. Cette approche erronée amène les requérantes à considérer que, selon ladite jurisprudence, la décision déclarant incompatibles les aides antérieures illégales et ordonnant leur récupération a pour objet les aides que les entreprises bénéficiaires ont effectivement reçues et que celles-ci n’ont pas restituées.

85      Or, il y a lieu de rappeler que les décisions adoptées par la Commission dans le domaine des aides d’État ont pour seuls et uniques destinataires les États membres concernés [voir l’article 25 du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 88 CE (JO L 83, p. 1), ainsi que l’arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 45]. Par conséquent, dans le cadre de sa prise en considération de tous les éléments pertinents, y compris du contexte déjà apprécié dans une décision antérieure, ainsi que des obligations qu’elle a pu imposer à un État membre dans cette décision antérieure, en application de la jurisprudence citée ci‑dessus (arrêt Italie/Commission, précité, point 20), la Commission examine uniquement les obligations de l’État membre concerné contenues dans une telle décision, et non celles pouvant, le cas échéant, en découler pour la société bénéficiaire. De même, comme la Commission le souligne à bon droit, elle n’adresse jamais, en matière d’aides d’État, des ordres de restitution à des entreprises, mais toujours aux États membres qui doivent, à leur tour, imposer aux entreprises bénéficiaires la restitution des sommes perçues.

86      À cet égard, les faits de l’espèce ne diffèrent donc pas de ceux de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 mai 1997, TWD/Commission, précité. En particulier, dans les deux affaires, la Commission a constaté que l’État membre concerné avait accordé des aides incompatibles avec le marché commun, sans qu’elle ait donné son accord préalable, et a ordonné leur récupération auprès des entreprises bénéficiaires, ordre auquel les États membres en cause n’avaient pas donné suite.

87      La seule différence entre les deux affaires réside dans le fait que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 mai 1997, TWD/Commission, précité, l’aide antérieure illégale était une aide individuelle ayant fait l’objet d’une décision à l’attention de l’État membre concerné ordonnant la récupération d’aides chiffrées avec exactitude auprès d’un unique bénéficiaire, alors que, en l’espèce, les aides antérieures illégales en cause relevaient d’un régime d’exonérations fiscales dont le bénéfice exact pour les entreprises bénéficiaires n’a, en raison du manque de coopération des autorités italiennes, pas pu être déterminé et chiffré dans la décision sur les exonérations fiscales.

88      Or, cette différence ne saurait justifier de ne pas appliquer, en l’espèce, la solution retenue dans la jurisprudence Deggendorf. Tout d’abord, comme la Commission le fait valoir, cette jurisprudence répond à la nécessité d’éviter l’effet cumulé des aides non remboursées et des aides envisagées qui conférerait à l’entreprise un avantage concurrentiel illicite qui fausserait la concurrence dans une mesure contraire à l’intérêt communautaire (arrêt du 13 septembre 1995, TWD/Commission, précité, point 83). Cette nécessité est la même, qu’il s’agisse d’une aide individuelle ou d’une aide octroyée en vertu d’un régime d’aides.

89      Il convient encore de souligner, à cet égard, que l’absence d’indications exactes, par la Commission, quant aux entreprises bénéficiaires d’un régime illégal et quant aux montants exacts que celles-ci ont perçus n’affecte pas la validité d’un ordre de recouvrement ni ne constitue un obstacle à son exécution dans la mesure où, d’une part, l’État membre concerné est le mieux placé pour obtenir ces données et, d’autre part, la Commission est habilitée, en cas d’absence de coopération de l’État membre concerné, à prendre une décision sur le fondement des informations dont elle dispose (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 janvier 2004, Fleuren Compost/Commission, T‑109/01, Rec. p. II‑127, points 48 à 51, et la jurisprudence citée).

90      En l’espèce, la Commission fait valoir, sans être contredite par les requérantes, que, dans l’affaire ayant donné lieu à la décision sur les exonérations fiscales, malgré ses demandes réitérées, ni la République italienne ni l’AEM Torino n’ont saisi l’occasion de soumettre des éléments relatifs à la situation particulière de cette dernière en ce qui concerne la récupération des aides en cause. Notamment, elles n’auraient jamais soumis des éléments indiquant que l’AEM Torino n’était pas, pour des raisons propres à son cas particulier, tenue à un tel remboursement. En conséquence, la Commission aurait déduit des éléments dont elle disposait que l’AEM Torino avait bénéficié d’aides illégales et incompatibles avec le marché commun et que la procédure de remboursement avait débuté mais n’était pas terminée.

91      Par ailleurs, si les requérantes font valoir que l’analyse de leur situation individuelle était un préalable nécessaire pour pouvoir ordonner la restitution des aides antérieures, force est de constater que cette tâche incombait à la République italienne dans le cadre de la procédure de récupération au niveau national. En effet, la Cour a jugé que, en matière de récupération d’aides octroyées en vertu d’un régime d’aides, l’obligation pour un État membre de calculer le montant précis des aides à récupérer, en particulier lorsque ce calcul dépend d’éléments d’information qui n’ont pas été communiqués par lui à la Commission, s’inscrit dans le cadre plus large de l’obligation de coopération loyale liant mutuellement la Commission et les États membres dans la mise en oeuvre des règles du traité en matière d’aides d’État. De même, dans le cas où un État membre a des doutes sur l’identité des destinataires des ordres de restitution, il peut soumettre ces problèmes à l’appréciation de la Commission (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 13 juin 2002, Pays-Bas/Commission, C‑382/99, Rec. p. I‑5163, points 91 et 92). Les critiques des requérantes à l’égard de l’absence d’analyse de leur situation individuelle auraient donc dû être adressées à la République italienne, et non à la Commission.

92      En revanche, l’abstention irrégulière de la République italienne de se conformer à ses obligations à cet égard, attestée, en l’espèce, par la Cour dans l’arrêt Commission/Italie, précité, ne saurait empêcher la Commission de tirer des éléments à sa disposition toutes les conséquences qui s’imposent au regard de la compatibilité de nouvelles aides que la République italienne se propose d’octroyer à la même entreprise. En effet, toute autre solution reviendrait à récompenser les États membres qui, après avoir octroyé des aides illégales, ne respectent de surcroît pas leur devoir de coopération loyale et priverait ainsi d’efficacité le système de contrôle des aides d’État.

93      Il s’ensuit que la première branche du deuxième moyen doit être rejetée comme non fondée.

 Sur la seconde branche du deuxième moyen, relative à l’absence d’évaluation de l’effet de distorsion de concurrence résultant du cumul des aides antérieures et de la mesure litigieuse

–       Arguments des parties

94      Les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission a méconnu son obligation de démontrer les effets potentiellement négatifs sur la concurrence d’un cumul des aides antérieures illégales et de la nouvelle aide, ainsi que son obligation d’identifier le marché sur lequel ces effets se produiraient.

95      Selon elles, c’était à la Commission qu’il incombait d’expliquer pour quelles raisons les nouvelles aides, qui sont en elles-mêmes compatibles avec le marché commun, ne pouvaient pas être versées dans la mesure où elles étaient susceptibles d’engendrer une distorsion de la concurrence si elles étaient cumulées avec les aides antérieures non restituées. Les requérantes rejettent toute tentative de la Commission de leur faire supporter la charge de la preuve de l’effet cumulé des aides et de subordonner ainsi le bénéfice des dérogations visées à l’article 87, paragraphe 3, CE à une condition supplémentaire. En effet, le sens de la jurisprudence Deggendorf ne serait pas de soumettre l’autorisation de l’aide à une condition formelle nouvelle, qui ne serait pas prévue dans le traité CE ni dans le droit dérivé et qui serait, partant, illégale.

96      D’après les requérantes, il ne saurait être accepté que la Commission renonce à effectuer une telle analyse sous prétexte qu’elle ne dispose pas de tous les éléments nécessaires à cette fin. Le fait que la Commission n’était pas en mesure de déterminer le montant des prétendues aides antérieures illégales résulterait de son choix de ne pas examiner la situation individuelle des entreprises concernées dans la décision sur les exonérations fiscales et d’adopter de façon abstraite une décision sur un régime d’aides. Les défaillances éventuelles dans la mise en œuvre d’une telle décision au niveau national n’autoriseraient pas la Commission à en faire le reproche aux bénéficiaires en se prévalant de la jurisprudence Deggendorf dans le cadre de l’examen d’autres aides.

97      La Commission estime avoir correctement appliqué en l’espèce la solution dégagée dans la jurisprudence Deggendorf. En particulier, elle aurait rappelé les doutes, qu’elle avait exprimés dans la décision d’ouverture en faisant référence à cette jurisprudence, relatifs au risque de distorsions de concurrence résultant de l’effet cumulé des anciennes aides et de la mesure litigieuse, et elle aurait constaté que ces doutes n’avaient été dissipés ni par la République italienne ni par l’AEM Torino. Selon la Commission, en l’absence d’éléments contraires fournis par la République italienne ou par l’AEM Torino, elle avait le droit de se fonder sur les éléments à sa disposition lors de l’adoption de la décision attaquée pour en conclure que ses doutes relatifs au risque inhérent à l’effet cumulé des aides en question subsistaient.

98      Selon la Commission, il ressort de l’arrêt du 15 mai 1997, TWD/Commission, précité (point 26), que l’absence d’effet cumulé d’une nouvelle aide avec des aides antérieures illégales non remboursées fait partie des conditions générales permettant de bénéficier de l’une des dérogations prévues par le traité en ce qui concerne la compatibilité des aides avec le marché commun. Dès lors, il conviendrait d’appliquer la jurisprudence constante selon laquelle il incombe à l’État membre concerné de fournir tous les éléments de nature à permettre à la Commission de vérifier que les conditions de la dérogation sollicitée sont remplies.

99      En outre, la Commission fait remarquer que, si la possibilité d’appliquer la solution retenue dans la jurisprudence Deggendorf dépendait du fait que les États membres aient terminé les procédures d’enquête et aient communiqué à la Commission les informations relatives au montant des aides reçues par les diverses entreprises bénéficiaires, cela priverait d’efficacité le système de contrôle des aides d’État, en « récompensant » les États membres qui ne respectent pas leur devoir d’information et de coopération loyale.

–       Appréciation du Tribunal

100    Tout d’abord, il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, l’État membre qui demande à pouvoir octroyer des aides en dérogation aux règles du traité est tenu à un devoir de collaboration envers la Commission, en vertu duquel il lui incombe, notamment, de fournir tous les éléments de nature à permettre à cette institution de vérifier que les conditions de la dérogation sollicitée sont remplies (arrêt de la Cour du 28 avril 1993, Italie/Commission, C‑364/90, Rec. p. I‑2097, point 20 ; arrêts du Tribunal du 15 décembre 1999, Freistaat Sachsen e.a./Commission, T‑132/96 et T‑143/96, Rec. p. II‑3663, point 140, et Regione autonoma della Sardegna/Commission, précité, point 129).

101    Cette obligation a été étendue au bénéficiaire potentiel d’une aide projetée. En effet, il a été jugé que, dès lors que la décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE contient une analyse préliminaire suffisante de la Commission exposant les raisons pour lesquelles elle éprouve des doutes quant à la compatibilité des aides en cause avec le marché commun, il revient à l’État membre et au bénéficiaire potentiel d’apporter les éléments de nature à démontrer que ces aides sont compatibles avec le marché commun et, éventuellement, de faire part de circonstances spécifiques relatives au remboursement d’aides déjà versées, dans le cas où la Commission viendrait à exiger celui-ci (arrêt Fleuren Compost/Commission, précité, point 45 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 18 novembre 2004, Ferriere Nord/Commission, T‑176/01, Rec. p. II‑3931, points 93 et 94, et, par analogie, arrêt de la Cour du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C‑74/00 P et C‑75/00 P, Rec. p. I‑7869, point 170).

102    Les requérantes font valoir que l’obligation pour l’État membre et l’entreprise bénéficiaire de fournir à la Commission les éléments de nature à démontrer la compatibilité de l’aide proposée ne saurait être étendue à l’effet cumulé des aides illégales antérieures et des nouvelles aides, puisque ce dernier critère ne fait pas partie des conditions des dérogations visées à l’article 87, paragraphe 3, CE.

103    Cet argument ne saurait être retenu. Tout d’abord, il ne saurait être considéré, au vu du libellé des arrêts du 15 mai 1997, TWD/Commission, précité, et du 13 septembre 1995, TWD/Commission, précité, que la Cour et le Tribunal ont entendu introduire une nouvelle condition pour la compatibilité avec le marché commun des aides d’État, différente de celles découlant de l’article 87, paragraphe 3, CE. Au contraire, ils ont clairement considéré que le critère de l’absence d’effet cumulé de l’aide nouvelle examinée avec des aides illégales et incompatibles antérieures non remboursées relevait de l’examen général de la compatibilité d’une aide auquel la Commission doit procéder, et ne constituait donc qu’un des éléments à prendre en considération par elle dans le cadre de l’application de cette disposition. En effet, le Tribunal a constaté, au point 56 de l’arrêt du 13 septembre 1995, TWD/Commission, précité, que, lorsque la Commission examine la compatibilité d’une aide d’État avec le marché commun, elle doit prendre en considération tous les éléments pertinents, y compris, le cas échéant, le contexte déjà apprécié dans une décision antérieure, ainsi que les obligations qu’elle a pu imposer à un État membre dans cette dernière décision. Il en a conclu que la Commission était compétente pour prendre en considération, d’une part, l’éventuel effet cumulé des anciennes aides et des nouvelles aides et, d’autre part, le fait que les anciennes aides, déclarées illicites, n’avaient pas été restituées. La Cour a ajouté, au point 26 de l’arrêt du 15 mai 1997, TWD/Commission, précité, que dans le domaine de l’article 87, paragraphe 3, CE, applicable dans les décisions litigieuses, la Commission jouissait d’un large pouvoir d’appréciation, dont l’exercice implique des évaluations d’ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire.

104    Il en résulte que l’obligation pesant sur l’État membre et sur l’entreprise potentiellement bénéficiaire d’aides nouvelles d’apporter à la Commission les éléments de nature à démontrer que ces aides sont compatibles avec le marché commun (voir la jurisprudence citée au point 100 ci-dessus) s’étend également à la nécessité d’établir l’absence d’effet cumulé de l’aide nouvelle avec des aides antérieures illégales et incompatibles avec le marché commun et non remboursées.

105    Il reste à examiner si la condition énoncée par ladite jurisprudence est remplie en l’espèce, en examinant si la décision d’ouverture contient une analyse préliminaire suffisante exposant les raisons pour lesquelles la Commission a éprouvé des doutes quant à la compatibilité des aides en cause avec le marché commun.

106    À cet égard, il y a lieu de constater que la Commission a expliqué en détail, aux points 31 et suivants de la décision d’ouverture, les raisons pour lesquelles elle entendait, en application de la solution dégagée par la jurisprudence Deggendorf, subordonner la compatibilité de l’aide litigieuse à la restitution préalable des aides illégales relevant du régime des exonérations fiscales.

107    Elle a notamment relevé, aux points 35 et 37 de ladite décision, que les autorités italiennes n’avaient pas été en mesure d’indiquer le montant des sommes devant être restituées par l’AEM Torino, ni les conditions et échéances de leur paiement et que, dans ces conditions, elle estimait ne pas être en mesure d’apprécier l’effet cumulé des anciennes aides avec la nouvelle et les distorsions du marché commun qui, le cas échéant, en résulteraient.

108    Il appartenait donc à la République italienne, ainsi qu’à l’AEM Torino, de fournir à la Commission, dans le cadre de la procédure formelle d’examen, les éléments de nature à démontrer l’absence d’effet cumulé des anciennes aides avec la mesure litigieuse et l’absence de distorsions du marché commun en résultant. Dès lors, les requérantes ne sauraient être admises à reprocher à la Commission de ne pas avoir démontré dans la décision attaquée les effets potentiellement négatifs sur la concurrence d’un cumul des aides antérieures illégales et de la mesure litigieuse, puisqu’il n’appartenait pas à la Commission, en l’absence de toute coopération de la République italienne et des requérantes, de rechercher des éléments prouvant de tels effets.

109    Quant au défaut d’une analyse de marché que les requérantes reprochent à la Commission, il convient de rappeler qu’il suffit que la Commission établisse que les aides litigieuses sont de nature à affecter les échanges entre les États membres et faussent ou menacent de fausser la concurrence, sans qu’il soit nécessaire, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, de délimiter le marché en cause (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 17 septembre 1980, Philip Morris Holland/Commission, 730/79, Rec. p. 2671, points 9 à 12, et arrêt du Tribunal du 15 juin 2000, Alzetta e.a./Commission, T‑298/97, T‑312/97, T‑313/97, T‑315/97, T‑600/97 à T‑607/97, T‑1/98, T‑3/98 à T‑6/98 et T‑23/98, Rec. p. II‑2319, point 95).

110    En l’espèce, ainsi qu’il a été constaté ci‑dessus, la Commission n’a pas été en mesure, en raison de l’absence de coopération des autorités italiennes et de l’AEM Torino en tant que bénéficiaire potentiel de la mesure litigieuse, d’apprécier l’effet cumulé des aides illégales antérieures et de la nouvelle aide, ainsi que l’éventuelle affectation de la concurrence qui pourrait en résulter. Or, d’après le raisonnement sous-tendant la solution retenue dans la jurisprudence citée ci‑dessus, aux points 100 et 101, les requérantes ne sauraient se fonder sur le fait que la République italienne ne s’est pas conformée à l’obligation qui lui incombait de fournir à la Commission tous les éléments permettant de procéder à cette appréciation, ni même sur leur propre absence de coopération en la matière, pour reprocher à la Commission une absence de délimitation ou d’analyse du marché en cause dont une telle appréciation l’aurait dispensée.

111    Il s’ensuit que la seconde branche du deuxième moyen doit être rejetée.

112    Tous les moyens soulevés par les requérantes ayant été rejetés, il convient de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

113    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Iride SpA et Iride Energia SpA sont condamnées aux dépens.

Pelikánová

Jürimäe

Soldevila Fragoso

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 février 2009.

Signatures


* Langue de procédure : l’italien.