Language of document : ECLI:EU:C:2016:895

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

24 novembre 2016 (*)

« Manquement d’État – Directive 2009/147/CE – Conservation des oiseaux sauvages – Zones de protection spéciale – Directive 85/337/CEE – Évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement – Directive 92/43/CEE – Conservation des habitats naturels »

Dans l’affaire C‑461/14,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 7 octobre 2014,

Commission européenne, représentée par M. C. Hermes, Mme E. Sanfrutos Cano, MM. D. Loma-Osorio Lerena et G. Wilms, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Royaume d’Espagne, représenté par Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. J. L. da Cruz Vilaça, président de chambre, Mme M. Berger, MM. A. Borg Barthet (rapporteur), E. Levits et F. Biltgen, juges,

avocat général : M. N. Wahl,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 23 février 2016,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en ne prenant pas les mesures appropriées pour éviter, dans la zone de protection spéciale (ci-après la « ZPS ») « Campiñas de Sevilla », la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles cette zone a été établie, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la directive 85/337/CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 1985, L 175, p. 40), telle que modifiée par la directive 97/11/CE du Conseil, du 3 mars 1997 (JO 1997, L 73, p. 5) (ci-après la « directive 85/337 »), de l’article 4, paragraphe 4, de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 2009, L 20, p. 7, ci-après la « directive “oiseaux” »), et de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7, ci-après la « directive “habitats” »).

 Le cadre juridique

 La directive 85/337

2        Conformément à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 85/337, les États membres prennent les dispositions nécessaires pour que, avant l’octroi de l’autorisation, les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une évaluation en ce qui concerne leurs incidences. Ces projets sont définis à l’article 4 de cette directive.

3        L’article 3 de ladite directive dispose :

« L’évaluation des incidences sur l’environnement identifie, décrit et évalue de manière appropriée, en fonction de chaque cas particulier et conformément aux articles 4 à 11, les effets directs et indirects d’un projet sur les facteurs suivants :

–        l’homme, la faune et la flore,

–        le sol, l’eau, l’air, le climat et le paysage,

–        les biens matériels et le patrimoine culturel,

–        l’interaction entre les facteurs visés aux premier, deuxième et troisième tirets. »

4        Aux termes de l’article 4 de la même directive :

« 1.      [...] [L]es projets énumérés à l’annexe I sont soumis à une évaluation, conformément aux articles 5 à 10.

2.      [...] [L]es États membres déterminent, pour les projets énumérés à l’annexe II :

a)      sur la base d’un examen cas par cas,

ou

b)      sur la base des seuils ou critères fixés par l’État membre,

si le projet doit être soumis à une évaluation conformément aux articles 5 à 10.

Les États membres peuvent décider d’appliquer les deux procédures visées aux points a) et b).

3.      Pour l’examen cas par cas ou la fixation des seuils ou critères fixés en application du paragraphe 2, il est tenu compte des critères de sélection pertinents fixés à l’annexe III.

[...] »

5        L’annexe I de la directive 85/337 contient une liste de projets visés à l’article 4, paragraphe 1, de celle-ci. Elle mentionne, à son point 7, sous a) et b), la « [c]onstruction de voies pour le trafic ferroviaire à grande distance ainsi que d’aéroports dont la piste de décollage et d’atterrissage a une longueur d’au moins 2 100 mètres » ainsi que la « [c]onstruction d’autoroutes et de voies rapides ».

6        Le point 2, intitulé « Localisation des projets », de l’annexe III de cette directive prévoit, en ce qui concerne les critères de sélection visés à l’article 4, paragraphe 3, de ladite directive :

« La sensibilité environnementale des zones géographiques susceptibles d’être affectées par le projet doit être considérée en prenant notamment en compte :

–        l’occupation des sols existants ;

–        la richesse relative, la qualité et la capacité de régénération des ressources naturelles de la zone ;

–        la capacité de charge de l’environnement naturel, en accordant une attention particulière aux zones suivantes :

a)      zones humides ;

[...]

d)      réserves et parcs naturels ;

e)      zones répertoriées ou protégées par la législation des États membres ; zones de protection spéciale désignées par les États membres conformément [à la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 1979, L 103, p. 1), et à la directive “habitats”] ;

[...] »

 La directive « oiseaux »

7        La directive 79/409 a été modifiée à plusieurs reprises et de façon substantielle. Ainsi, dans un souci de clarté et de rationalité, il a été procédé à la codification de ladite directive par la directive « oiseaux ».

8        Conformément à l’article 1er de la directive « oiseaux », celle-ci concerne la conservation de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité FUE est applicable. Elle a pour objet la protection, la gestion et la régulation de ces espèces et en réglemente l’exploitation.

9        L’article 4 de cette directive dispose :

« 1.      Les espèces mentionnées à l’annexe I font l’objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, afin d’assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution.

À cet égard, il est tenu compte :

a)      des espèces menacées de disparition ;

b)      des espèces vulnérables à certaines modifications de leurs habitats ;

c)      des espèces considérées comme rares parce que leurs populations sont faibles ou que leur répartition locale est restreinte ;

d)      d’autres espèces nécessitant une attention particulière en raison de la spécificité de leur habitat.

Il sera tenu compte, pour procéder aux évaluations, des tendances et des variations des niveaux de population.

Les États membres classent notamment en zones de protection spéciale les territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation de ces espèces dans la zone géographique maritime et terrestre d’application de la présente directive.

2.      Les États membres prennent des mesures similaires à l’égard des espèces migratrices non visées à l’annexe I dont la venue est régulière, compte tenu des besoins de protection dans la zone géographique maritime et terrestre d’application de la présente directive en ce qui concerne leurs aires de reproduction, de mue et d’hivernage et les zones de relais dans leur aire de migration. À cette fin, les États membres attachent une importance particulière à la protection des zones humides et tout particulièrement de celles d’importance internationale.

[...]

4.      Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones de protection visées aux paragraphes 1 et 2, la pollution ou la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant les oiseaux, pour autant qu’elles aient un effet significatif eu égard aux objectifs du présent article. En dehors de ces zones de protection, les États membres s’efforcent également d’éviter la pollution ou la détérioration des habitats. »

10      Parmi les diverses espèces mentionnées à l’annexe I de la directive « oiseaux » figure l’Otis tarda (grande outarde).

 La directive « habitats »

11      Conformément à son article 2, paragraphe 1, la directive « habitats » a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des États membres où le traité s’applique.

12      L’article 6, paragraphes 1 à 3, de cette directive dispose :

« 1.      Pour les zones spéciales de conservation, les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d’autres plans d’aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I et des espèces de l’annexe II présents sur les sites.

2.      Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive.

3.      Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d’affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets, fait l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. Compte tenu des conclusions de l’évaluation des incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent leur accord sur ce plan ou projet qu’après s’être assurées qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l’avis du public. »

13      Aux termes de l’article 7 de ladite directive :

« Les obligations découlant de l’article 6 paragraphes 2, 3 et 4 de la présente directive se substituent aux obligations découlant de l’article 4 paragraphe 4, première phrase, de la directive 79/409/CEE en ce qui concerne les zones classées en vertu de l’article 4 paragraphe 1 ou reconnues d’une manière similaire en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive à partir de la date de mise en application de la présente directive ou de la date de la classification ou de la reconnaissance par un État membre en vertu de la directive 79/409/CEE si cette dernière date est postérieure. »

 Les antécédents du litige et la procédure précontentieuse

14       À la suite d’une plainte déposée au mois de février 2010 concernant le projet de construction d’une nouvelle ligne ferroviaire à grande vitesse entre Séville (Espagne) et Almería (Espagne), sections « Marchena-Osuna I », « Marchena‑Osuna II » ainsi que « Variante de Osuna », la Commission a adressé, le 17 juin 2011, une lettre de mise en demeure au Royaume d’Espagne dans laquelle elle soutenait que cet État membre avait manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 3 de la directive 85/337, de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « oiseaux » et de l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats ». Cette plainte était accompagnée d’un rapport sur les incidences potentielles des travaux de l’axe ferroviaire transversal d’Andalousie lors de son passage par la ZPS « Campiñas de Sevilla ».

15      Dans son ensemble, le projet prévoit, d’une part, des travaux d’infrastructure d’amélioration et d’adaptation de la voie ferrée existante et, d’autre part, des travaux d’installations complémentaires nécessaires pour l’exécution et la mise en service de la nouvelle plateforme ferroviaire.

16      Concernant la tranche relative à l’amélioration et à l’adaptation de la voie existante, l’évaluation des incidences sur l’environnement a été soumise à un débat public le 4 juillet 2006. Par décision du 26 novembre 2006, une déclaration d’impact environnemental a été adoptée conformément à ladite évaluation. Les travaux relatifs à l’infrastructure ont débuté le 4 décembre 2007 et ont été interrompus en 2009. Ledit projet prévoit la traversée d’un espace naturel, classé par les autorités espagnoles le 29 juillet 2008 en tant que ZPS pour les oiseaux. La déclaration en tant que ZPS de cet espace est postérieure à l’autorisation du projet en cause et à la déclaration d’impact environnemental de ce dernier par les autorités espagnoles. Cependant, le site en cause figurait déjà, depuis l’année 1998, sous le n° 238 de l’inventaire des zones importantes pour la conservation des oiseaux d’Europe, à savoir l’Inventory of Important Bird Areas in the European Community (ci-après l’« IBA 98 »).

17      Le 20 juillet 2011, le Royaume d’Espagne a demandé à la Commission une prolongation du délai de réponse à laquelle il a été fait droit.

18      Le 20 septembre 2011, le Royaume d’Espagne a répondu à la lettre de mise en demeure.

19      Par lettre du 20 juin 2013, la Commission a émis un avis motivé dans lequel elle faisait grief au Royaume d’Espagne d’avoir manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 3 de la directive 85/337, de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « oiseaux » et de l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats ».

20      Le 21 août 2013, le Royaume d’Espagne a répondu à cet avis motivé en joignant à sa lettre une annexe présentant un rapport intitulé « Análisis de la afección del Eje Ferroviario Transversal a la avifauna de la ZEPA Campiñas de Sevilla » (Analyse des incidences de l’axe ferroviaire transversal sur l’avifaune de la ZPS « Campiñas de Sevilla »), élaboré au mois de juillet 2013 par l’Agence de l’environnement et de l’eau de la Consejería de Agricultura, Pesca y Medio Ambiente de la Junta de Andalucia (ministère régional de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Environnement de la Junta de l’Andalousie, Espagne).

21      Estimant que les mesures prises par le Royaume d’Espagne demeuraient insatisfaisantes, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur la recevabilité du recours

 Argumentation des parties

22      Le Royaume d’Espagne conteste la recevabilité du recours au motif que la requête serait fondée sur un grief différent de celui invoqué durant la procédure précontentieuse.

23      Cet État membre fait valoir, à ce sujet, que, au cours de la procédure précontentieuse, l’objet du litige était clairement circonscrit aux tronçons de la ligne de chemin de fer « Marchena-Osuna I » et « Marchena-Osuna II ». Or, dans son recours, la Commission aurait également reproché au Royaume d’Espagne de ne pas avoir respecté les exigences de la directive 85/337 en ce qui concerne le tronçon « Variante de Osuna », d’une longueur de 3 km, élargissant ainsi l’objet du litige.

24      La Commission rappelle que la procédure d’infraction a été ouverte à la suite d’une plainte concernant le projet d’une nouvelle ligne ferroviaire à grande vitesse entre Séville et Almería, sections « Marchena-Osuna I », « Marchena-Osuna II » et « Variante de Osuna ». Par conséquent, bien que les faits constitutifs du manquement visés explicitement dans la procédure soient ceux concernant les tronçons « Marchena-Osuna I » et « Marchena-Osuna II », une référence au contexte plus large dans lequel s’insère le projet serait pertinente.

 Appréciation de la Cour

25      Il convient de relever d’emblée que, en l’espèce, la régularité de l’avis motivé et de la procédure l’ayant précédé n’est pas contestée. Cependant, le Royaume d’Espagne fait valoir que le grief formulé dans la requête diffère de celui que contenaient la lettre de mise en demeure et l’avis motivé.

26      À cet égard, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la lettre de mise en demeure adressée par la Commission à l’État membre concerné puis l’avis motivé émis par cette dernière délimitent l’objet du litige, lequel ne peut plus, dès lors, être étendu. En effet, la possibilité pour l’État membre concerné de présenter ses observations constitue, même s’il estime ne pas devoir en faire usage, une garantie essentielle voulue par le traité et son observation est une forme substantielle de la régularité de la procédure constatant un manquement d’un État membre. Par conséquent, l’avis motivé et le recours de la Commission doivent reposer sur les mêmes griefs que ceux de la lettre de mise en demeure qui engage la procédure précontentieuse (arrêt du 3 septembre 2014, Commission/Espagne, C‑127/12, non publié, EU:C:2014:2130, point 23 et jurisprudence citée).

27      Néanmoins, la Commission peut, postérieurement à la lettre de mise en demeure, préciser ses griefs, tant que l’objet de ces derniers reste en substance le même (arrêt du 3 septembre 2014, Commission/Espagne, C‑127/12, non publié, EU:C:2014:2130 , point 24).

28      En l’espèce, il convient de noter que l’objet du litige, tel que défini au cours de la procédure précontentieuse, a été étendu ou modifié.

29      En effet, force est de constater que le tronçon « Variante de Osuna » n’a pas été examiné au cours de la procédure précontentieuse et que le recours doit, par conséquent, être déclaré irrecevable pour autant qu’il concerne ce tronçon.

 Sur le manquement

 Sur le premier grief, tiré de la violation de l’article 3 de la directive 85/337

 Argumentation des parties

30      La Commission précise, avant tout, qu’elle ne nie pas qu’une évaluation des incidences sur l’environnement ait été réalisée pour l’ensemble du projet en cause et ne prétend pas non plus que ce projet a été divisé en plusieurs tronçons afin de le soustraire à l’évaluation des effets cumulatifs de ceux-ci sur l’environnement. Son premier grief porte ainsi sur le fait que l’évaluation des incidences sur l’environnement à laquelle il a été procédé ne satisferait pas aux exigences de l’article 3 de la directive 85/337.

31      La Commission reproche au Royaume d’Espagne d’avoir manqué aux obligations résultant de l’article 3 de ladite directive dans la mesure où il n’a ni identifié, ni décrit, ni évalué de manière adéquate les effets du projet de ligne ferroviaire à grande vitesse en cause sur l’environnement et plus spécifiquement sur l’avifaune. En effet, l’évaluation des incidences sur l’environnement litigieuse n’aurait pas tenu compte du fait que la ligne ferroviaire traverserait une zone écologiquement sensible dont l’importance avait été reconnue par la communauté scientifique depuis l’année 1998 et figurait dans l’IBA 98.

32      Selon la Commission, la déclaration d’impact environnemental en cause n’a pas mentionné d’habitats d’une importance capitale pour la vie des oiseaux, tels que les zones humides, à savoir la lagune d’Ojuelos. En outre, les espèces d’oiseaux présentes dans la zone en cause auraient été simplement énumérées et il n’y aurait absolument aucune évaluation des effets du projet sur les espèces affectées. Par ailleurs, les conclusions de l’évaluation des incidences sur l’environnement qui a été réalisée se limiteraient à signaler deux mesures de protection générales, à savoir l’interruption des travaux pendant les périodes de reproduction et d’élevage de la progéniture ainsi que la nécessité d’adopter des mesures pour prévenir le risque d’électrocution des oiseaux.

33      La Commission souligne aussi que le projet en cause continuera de produire des effets sur les oiseaux même après la fin des travaux. Le fonctionnement d’une ligne ferroviaire à grande vitesse aurait clairement des effets sur la vie des oiseaux tels que le bruit, les risques de collision ou encore d’électrocution, qui n’auraient pas été traités pendant l’évaluation des incidences sur l’environnement effectuée par les autorités espagnoles. Dans son mémoire en réplique, la Commission avance que l’objectif final du projet étant l’exécution et la mise en service d’une nouvelle ligne à grande vitesse, la phase d’exploitation de cette ligne aurait dû être prise en considération dans l’évaluation initiale des incidences afin d’éviter que le fractionnement du projet donne lieu à des incohérences dans la protection environnementale intégrale qui est recherchée.

34      Du fait de l’absence d’une évaluation adéquate des incidences sur l’environnement du projet en cause, les autorités espagnoles auraient également manqué à l’obligation qui leur incombe d’informer le public concerné des effets probables de ce projet sur le site concerné avant que ne soit prise la décision concernant la demande de mise en œuvre dudit projet.

35      Elle estime que le fait que la ligne ferroviaire à grande vitesse en projet soit parallèle à une ligne ferroviaire ordinaire n’a pas pour effet de limiter les conséquences préjudiciables sur les oiseaux. En effet, une ligne ferroviaire à grande vitesse aurait des effets plus intenses et plus invasifs que ceux susceptibles de se produire dans le cas d’une ligne ferroviaire ordinaire, effets qui n’auraient pas été correctement évalués en ce qui concerne non seulement les travaux et les installations nécessaires, mais également l’exploitation ultérieure de la ligne ferroviaire à grande vitesse.

36      La Commission fait valoir que la directive 85/337 donne une importance particulière à l’évaluation des effets probables d’un projet lorsqu’il doit être mis en œuvre sur des sites d’importance écologique, notamment en vertu du point 2, intitulé « Localisation des projets », de l’annexe III de cette directive qui indique, en ce qui concerne les critères visés à l’article 4, paragraphe 3, de ladite directive, l’attention particulière accordée aux zones humides.

37      En outre, la Commission estime que l’engagement pris par le Royaume d’Espagne de procéder à une évaluation supplémentaire des incidences sur l’environnement confirme que l’autorisation du projet n’a pas été précédée d’une évaluation adéquate de ces incidences.

38      Le Royaume d’Espagne conteste le manquement allégué. Il soutient, premièrement, qu’il n’existe aucune disposition légale imposant de mentionner dans les déclarations d’impact environnemental qu’un site figure dans un inventaire des zones importantes pour la conservation des oiseaux d’Europe (ci-après « IBA »). En effet, la Cour aurait reconnu à plusieurs reprises qu’un IBA n’avait aucun caractère contraignant (arrêt du 19 mai 1998, Commission/Pays‑Bas, C‑3/96, EU:C:1998:238, point 70). La seule valeur que lui reconnaîtrait la Cour est de pouvoir être utilisé par un État membre comme élément de référence pour apprécier si, en l’absence de preuves scientifiques, il a classé un nombre et une superficie suffisants de territoires en ZPS (arrêt du 28 juin 2007, Commission/Espagne, C‑235/04, EU:C:2007:386, points 26 et 27).

39      Ainsi, l’argument avancé par la Commission serait dénué de toute pertinence lorsqu’il s’agit d’apprécier l’existence d’un manquement à l’article 3 de la directive 85/337 en raison du fait que l’évaluation des incidences sur l’environnement ne porte pas sur les effets directs et indirects sur l’environnement en général et sur les oiseaux en particulier. Seule serait pertinente la circonstance que l’évaluation des incidences sur l’environnement identifie la faune affectée et permette d’adopter les mesures adéquates pour éviter les effets néfastes éventuels et y remédier. Or, l’évaluation des incidences sur l’environnement réalisée aurait entièrement satisfait à ces exigences, même sans mentionner l’IBA 98.

40      Deuxièmement, le Royaume d’Espagne estime que l’existence de zones humides ou de zones légalement déclarées comme protégées a été incluse non pas dans l’annexe I de la directive 85/337, mais dans l’annexe III de celle-ci, si bien que de tels éléments sont considérés par l’Union européenne comme ayant une importance relative et non pas essentielle.

41      Troisièmement, en ce qui concerne l’argument de la Commission portant sur le fait que l’existence d’une ligne ferroviaire parallèle à celle projetée produit des effets plus intenses et plus invasifs susceptibles de générer des effets cumulatifs qui n’ont pas été évalués, le Royaume d’Espagne considère que l’évaluation des incidences sur l’environnement réalisée permet de conclure que celles-ci seront notablement atténuées grâce à la construction de la nouvelle ligne ferroviaire en parallèle et à courte distance de celle qui existe déjà.

42      Quatrièmement, le Royaume d’Espagne considère que l’évaluation des incidences sur l’environnement à laquelle il a été procédé prévoit des mesures préventives et correctrices suffisantes, à savoir le respect des périodes de reproduction des oiseaux steppiques, en arrêtant les travaux, la réalisation de marches à pied le long du tracé qui ont été effectuées après que ces travaux ont été réexaminés afin d’éviter d’affecter directement des espèces de la faune aviaire, ainsi que d’autres mesures de protection de l’environnement atmosphérique, du sol et du système hydrologique qui renforcent aussi la prévention des effets négatifs sur les oiseaux.

43      De plus, ces mesures auraient été étendues au vu de la déclaration comme ZPS d’une partie de la zone concernée.

44      Cinquièmement, le Royaume d’Espagne souligne que l’évaluation des incidences sur l’environnement en cause ne concerne que le projet relatif aux travaux de terrassement, de construction de plateformes et de clôture.

45      En outre, cet État membre fait valoir que la Commission fait une interprétation biaisée de l’intention des autorités espagnoles de réaliser une nouvelle évaluation des incidences sur l’environnement, dans la mesure où il était prévu expressément que, ultérieurement, serait engagé un autre projet consistant à réaliser les travaux nécessaires pour la mise en service de la ligne ferroviaire, comprenant la ligne électrique, qui, lui aussi, sera nécessairement soumis à l’évaluation correspondante. À cet égard, la Commission serait restée en défaut d’établir que le fait de prévoir deux projets consécutifs faisant l’objet d’évaluations respectives compromet la finalité et les procédures prévues par la directive 85/337.

46      Enfin, le Royaume d’Espagne soutient que le fait que la population d’oiseaux steppiques ait augmenté pendant et après l’exécution des travaux prouve que l’évaluation réalisée est suffisante. Selon lui, les mesures adoptées sur le fondement de l’évaluation des incidences sur l’environnement à laquelle il a été procédé ont protégé les oiseaux et ont permis d’atteindre l’objectif final des directives en cause.

 Appréciation de la Cour

47      À titre liminaire, il convient de rappeler que la portée de l’obligation de procéder à une évaluation des incidences sur l’environnement découle de l’article 3 de la directive 85/337, aux termes duquel l’évaluation des incidences sur l’environnement identifie, décrit et évalue de manière appropriée, en fonction de chaque cas particulier et conformément aux articles 4 à 11 de cette directive, les effets directs et indirects d’un projet sur l’homme, la faune et la flore, le sol, l’eau, l’air, le climat et le paysage, les biens matériels et le patrimoine culturel, ainsi que l’interaction entre ces facteurs (arrêt du 24 novembre 2011, Commission/Espagne, C‑404/09, EU:C:2011:768, point 78).

48      La Cour a également relevé à de nombreuses reprises que le champ d’application de la directive 85/337 est étendu et son objectif très large (arrêt du 28 février 2008, Abraham e.a., C‑2/07, EU:C:2008:133, point 42). En outre l’article 2, paragraphe 1, de la directive 85/337 impose aux États membres de soumettre à une étude d’incidences les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation. À cet égard, cette directive s’attache à une appréciation globale des incidences sur l’environnement des projets ou de leur modification (arrêt du 28 février 2008, Abraham e.a., C‑2/07, EU:C:2008:133, point 42).

49      En l’espèce, la Commission soutient, en substance, que l’évaluation des incidences sur l’environnement, réalisée en application de la directive 85/337, couvrant les travaux d’infrastructure nécessaires au fonctionnement de la ligne ferroviaire à grande vitesse entre Séville et Almería, sur les tronçons « Marchena-Osuna I » et « Marchena-Osuna II », et comprenant les travaux de construction sur les voies et leur tracé ainsi que la construction d’une plate-forme élevée et élargie, est inadéquate dès lors qu’elle ne mentionne pas l’existence d’un site figurant dans l’IBA 98 et qu’elle ne tient pas compte du fait que le projet litigieux traverse un site revêtant une importance écologique particulière.

50      À cet égard, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué. C’est en effet cette dernière qui doit apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque (arrêt du 20 mai 2010, Commission/Espagne, C‑308/08, EU:C:2010:281, point 23 et jurisprudence citée).

51      En premier lieu, en ce qui concerne l’argument de la Commission tiré, en substance, de ce que l’évaluation des incidences sur l’environnement à laquelle il a été procédé aurait dû mentionner que le site concerné par le projet litigieux était une zone importante pour les oiseaux d’Europe et qu’elle figurait depuis l’année 1998 dans l’IBA 98, avant d’être classée en ZPS par les autorités espagnoles au cours de l’année 2008, il convient de relever que la Cour a jugé que cet inventaire, bien que n’étant pas juridiquement contraignant, pouvait être utilisé par elle comme élément de référence permettant d’apprécier si un État membre avait classé un nombre et une superficie suffisants de territoires en ZPS (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2007, Commission/Espagne, C‑235/04, EU:C:2007:386, point 26).

52      Il y a lieu de constater que l’IBA 98 dresse un inventaire actualisé des zones importantes pour la conservation des oiseaux en Espagne qui, en l’absence de preuves scientifiques contraires, constitue un élément de référence permettant d’apprécier si cet État membre a classé en ZPS des territoires suffisants en nombre et en superficie pour offrir une protection à toutes les espèces d’oiseaux énumérées à l’annexe I de la directive 79/409 ainsi qu’aux espèces migratrices non visées à cette annexe (voir, en ce sens, arrêts du 28 juin 2007, Commission/Espagne, C‑235/04, EU:C:2007:386, point 27, et du 18 décembre 2007, Commission/Espagne, C‑186/06, EU:C:2007:813, point 30).

53      Toutefois, il convient d’observer qu’aucune disposition de la directive 85/337 n’impose que l’évaluation des incidences sur l’environnement mentionne qu’un site concerné par un projet soumis à une telle évaluation figure dans un IBA. Ledit argument de la Commission doit ainsi être écarté.

54      Pour ce qui est, en deuxième lieu, de l’argument de la Commission selon lequel l’évaluation des incidences sur l’environnement en cause n’aurait ni identifié, ni décrit, ni évalué de manière adéquate les effets du projet en cause sur l’environnement et plus spécifiquement sur l’avifaune, il convient de relever que, à défaut d’explications plus précises et circonstanciées, il ne saurait être conclu, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé en substance au point 41 de ses conclusions, qu’il a été prouvé à suffisance de droit que tel a été le cas.

55      En effet, en ce qui concerne l’identification des espèces d’oiseaux présentes dans la zone concernée par le projet en cause, il y a lieu de constater que malgré l’absence de référence à l’IBA 98, l’évaluation des incidences sur l’environnement en cause fait état de la particularité de cette zone quant à l’avifaune, comporte un inventaire des espèces d’oiseaux énumérées à l’annexe I de la directive « oiseaux » présentes sur ladite zone, notamment l’Otis tarda, et indique la catégorie de protection applicable à chacune d’entre elles. De même, ladite évaluation identifie certaines mesures destinées à préserver ces espèces, telles que l’interruption des travaux pendant les périodes de reproduction et d’élevage de la progéniture ou encore l’interdiction d’enlever la végétation entre les mois de mars et de juillet afin d’éviter des effets néfastes sur la reproduction. Or, la Commission ne précise pas les raisons pour lesquelles, eu égard au projet spécifiquement visé par l’évaluation en cause, ces mesures seraient insuffisantes.

56      S’agissant, en troisième lieu, de l’argument de la Commission selon lequel la déclaration d’impact environnemental n’aurait pas couvert la lagune d’Ojuelos, qui se situe dans une zone classée ultérieurement en ZPS, l’examen des éléments du dossier révèle que cette lagune ainsi que son rôle et son importance ont été décrits dans l’évaluation des incidences sur l’environnement en cause.

57      En ce qui concerne, en quatrième lieu, l’argumentation de la Commission selon laquelle le projet en cause continuerait de produire des effets sur les oiseaux même après la fin des travaux étant donné que le fonctionnement d’une ligne ferroviaire à grande vitesse a clairement des effets sur la vie des oiseaux tels que le bruit, les risques de collision ou encore d’électrocution, qui n’auraient pas été traités pendant l’évaluation des incidences sur l’environnement effectuée par les autorités espagnoles, force est de constater que ladite évaluation n’a pas identifié de manière précise les mesures à adopter pour éviter ces risques.

58      Il convient, toutefois, de remarquer, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 37 et 51 de ses conclusions, que, comme la Commission l’a souligné dans son avis motivé ainsi que dans le cadre de la présente procédure, l’évaluation des incidences sur l’environnement en cause n’est pas contraire à l’article 3 de la directive 85/337, parce qu’elle ne porte pas sur l’intégralité du projet litigieux. Conformément à la jurisprudence rappelée au point 26 du présent arrêt, le grief avancé en ce sens par la Commission pour la première fois dans son mémoire en réplique doit donc être déclaré irrecevable.

59      En cinquième lieu, la Commission avance que l’évaluation des incidences sur l’environnement en cause n’a pas examiné à suffisance les conséquences liées aux travaux et aux installations nécessaires en vue de la construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse parallèle à une ligne ferroviaire existante ainsi que de l’exploitation ultérieure de ladite ligne projetée.

60      À cet égard, force est de constater que l’évaluation des incidences sur l’environnement en cause a démontré que le tracé parallèle à la ligne ferroviaire existante était la solution la plus appropriée du point de vue environnemental, sans que la Commission, à qui il appartient, selon la jurisprudence citée au point 50 du présent arrêt, d’apporter la preuve du manquement allégué, ait étayé ses allégations selon lesquelles les deux lignes ferroviaires parallèles pouvaient avoir des effets négatifs accrus à plusieurs égards sur l’environnement.

61      Il s’ensuit que le grief tiré de la violation de l’article 3 de la directive 85/337 doit être rejeté.

 Sur le deuxième grief, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « oiseaux »

 Argumentation des parties

62      Par son deuxième grief, la Commission reproche au Royaume d’Espagne les conséquences préjudiciables découlant du projet de construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse entre Séville et Almería pour certaines espèces d’oiseaux visées à l’annexe I de la directive « oiseaux ».

63      La Commission considère que, en approuvant la construction de la ligne ferroviaire à grande vitesse dans une zone mentionnée dans l’IBA 98, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « oiseaux ».

64      Selon la Commission, étant donné que le site « Campiñas de Sevilla » a été classé tardivement en ZPS, à savoir au mois de juillet 2008, une fois la procédure d’évaluation des incidences sur l’environnement terminée et alors même que les travaux avaient déjà commencé, les autorités espagnoles auraient dû prendre des mesures de conservation appropriées conformément aux dispositions de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « oiseaux » (arrêts du 20 septembre 2007, Commission/Italie, C‑388/05, EU:C:2007:533, point 18, et du 18 décembre 2007, Commission/Espagne, C‑186/06, EU:C:2007:813, point 27). Cette obligation existerait jusqu’à la désignation de la zone en tant que ZPS et, selon la jurisprudence de la Cour, il conviendrait de s’en acquitter avant que soit constatée une quelconque diminution de la population d’oiseaux ou que le risque de disparition d’espèces protégées se concrétise (arrêt du 2 août 1993, Commission/Espagne, C‑355/90, EU:C:1993:331, point 15). En conséquence, la Commission considère que, en autorisant la ligne ferroviaire à grande vitesse traversant un site figurant dans l’IBA 98, le Royaume d’Espagne n’a pas respecté les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive « oiseaux », à savoir prendre les mesures appropriées pour éviter les nuisances interdites dans les zones affectées par ce projet, lesquelles auraient dû être classées en tant que ZPS.

65      En effet, la Commission soutient que les travaux de construction réalisés ont modifié de manière substantielle les caractéristiques environnementales de la zone concernée notamment à cause de l’installation d’une plate-forme élevée et d’une double barrière de sécurité. Ces changements étaient, selon elle, susceptibles d’entraver l’accès des oiseaux à leurs zones de repos, d’alimentation et de reproduction.

66      En outre, la Commission soutient que l’évaluation des incidences sur l’environnement à laquelle il a été procédé s’est révélée insuffisante quant aux effets possibles du projet en cause sur les oiseaux présents dans la zone concernée et quant aux mesures correctrices et compensatoires, conformément à l’article 3 de la directive 85/337, ce qui a conduit à une identification inappropriée des risques créés par ce projet.

67      Le Royaume d’Espagne fait valoir que, pour se conformer à l’article 4, paragraphe 4, de la directive « oiseaux », il n’est pas nécessaire de suivre les procédures prévues par cette dernière pour les zones expressément déclarées comme ZPS. Au contraire, il estime qu’il est suffisant pour les États membres d’avoir adopté des mesures visant à préserver et à protéger les oiseaux avant même que ces zones soient classées. À cet égard, le Royaume d’Espagne estime avoir adopté des mesures de conservation appropriées notamment en limitant les dates de travaux de terrassement en fonction de la période de reproduction des oiseaux et en effectuant des marches à pied le long du tracé afin d’éviter d’affecter directement des espèces de la faune aviaire ainsi qu’en installant des dispositifs anticollision des oiseaux.

68      En outre, il considère que l’article 4, paragraphe 4, de la directive « oiseaux » a été respecté étant donné que la population de la ZPS « Campiñas de Sevilla » a non pas diminué, mais augmenté pendant la période comprise entre l’année 2001 et l’année 2012.

 Appréciation de la Cour

69      L’article 4, paragraphe 4, de la directive « oiseaux » impose aux États membres de prendre les mesures appropriées pour éviter, dans les ZPS, la pollution ou la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant les oiseaux, pour autant qu’elles ont un effet significatif eu égard aux objectifs dudit article.

70      À cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, que selon la jurisprudence de la Cour, les États membres doivent respecter les obligations qui découlent de l’article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive « oiseaux », même lorsque les zones concernées n’ont pas été classées en ZPS, dès lors qu’il apparaît qu’elles auraient dû l’être (arrêts du 18 décembre 2007, Commission/Espagne, C‑186/06, EU:C:2007:813, point 27 et jurisprudence citée, ainsi que du 14 janvier 2016, Commission/Bulgarie, C‑141/14, EU:C:2016:8, point 67).

71      En revanche, en ce qui concerne les zones classées en ZPS, l’article 7 de la directive « habitats » prévoit que les obligations découlant de l’article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive « oiseaux » sont remplacées, notamment, par les obligations découlant de l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats », à partir de la date de mise en application de celle-ci ou de la date de classification en vertu de la directive « oiseaux » si cette dernière date est postérieure (arrêt du 18 décembre 2007, Commission/Espagne, C‑186/06, EU:C:2007:813, point 28 et jurisprudence citée).

72      Par conséquent, l’article 4, paragraphe 4, de la directive « oiseaux » s’applique uniquement à la situation antérieure au classement de la zone géographique dénommée « Campiñas de Sevilla » en ZPS.

73      À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé au point 52 du présent arrêt, la Cour a considéré que l’IBA 98, qui dresse un inventaire actualisé des zones importantes pour la conservation des oiseaux en Espagne, constitue, en l’absence de preuves scientifiques contraires, un élément de référence permettant d’apprécier si cet État membre a classé en ZPS des territoires suffisants en nombre et en superficie pour offrir une protection à toutes les espèces d’oiseaux énumérées à l’annexe I de la directive « oiseaux » ainsi qu’aux espèces migratrices non visées à cette annexe.

74      Or, il est constant que la zone géographique dénommée « Campiñas de Sevilla », qui est située dans la province de Séville, abrite des espèces d’oiseaux steppiques figurant à l’annexe I de la directive « oiseaux », de telle sorte qu’elle a été inscrite dans l’IBA 98 avant d’être désignée comme ZPS par une décision du 29 juillet 2008.

75      II apparaît donc qu’une telle zone, qui avait vocation à être classée en ZPS avant le 29 juillet 2008, relevait du régime de protection visé à l’article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive « oiseaux », conformément à la jurisprudence rappelée aux points 70 et 71 du présent arrêt.

76      En second lieu, aux fins d’établir un manquement aux obligations découlant de l’article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive « oiseaux », il convient de se référer, mutatis mutandis, à la jurisprudence de la Cour en matière de manquement à l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats », dès lors que les termes de cette dernière disposition correspondent largement à ceux de l’article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive « oiseaux » (arrêt du 14 janvier 2016, Commission/Bulgarie, C‑141/14, EU:C:2016:8, point 69 et jurisprudence citée).

77      Selon cette jurisprudence, une violation de la disposition concernée doit être constatée dès que la Commission établit l’existence de la probabilité ou du risque qu’un projet détériore les habitats d’espèces d’oiseaux protégées ou provoque des perturbations significatives pour ces espèces (arrêt du 14 janvier 2016, Commission/Bulgarie, C‑141/14, EU:C:2016:8, point 70).

78      Par conséquent, il y a lieu d’examiner si la Commission a établi l’existence de la probabilité ou du risque que le projet en cause provoque au sein du site « Campiñas de Sevilla », tardivement classé en ZPS, les détériorations et les perturbations visées au point précédent.

79      Il ressort du dossier que la construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse qui nécessite, notamment, la construction de voies, d’une plate-forme élevée ainsi que des travaux de terrassement et qui traverse une zone hébergeant plusieurs espèces visées à l’annexe I de la directive « oiseaux », est susceptible de provoquer des perturbations significatives et une détérioration des habitats d’espèces d’oiseaux protégées.

80      Certes, ainsi que le Royaume d’Espagne le fait valoir, cet État membre a pris certaines mesures destinées à compenser les effets des travaux de construction, telles que la limitation de tels travaux pendant la période de reproduction des oiseaux ou encore l’installation de sentiers le long de la ligne ferroviaire.

81      Toutefois, comme l’a relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 75 et 77 de ses conclusions, ces mesures n’excluent pas que la nouvelle plate‑forme ferroviaire qui traverse un habitat important pour certaines espèces d’oiseaux, dont l’Otis tarda, soit susceptible de provoquer des perturbations significatives et une détérioration des habitats d’espèces d’oiseaux protégées.

82      Le fait que, selon le Royaume d’Espagne, la population d’oiseaux en cause ait augmenté ne saurait remettre en cause ce raisonnement.

83      En effet, il convient de rappeler que les obligations de protection existent avant même qu’une diminution du nombre d’oiseaux ne soit constatée ou que le risque d’extinction d’une espèce d’oiseau protégée ne se soit concrétisé (arrêt du 14 janvier 2016, Commission/Bulgarie, C‑141/14, EU:C:2016:8, point 76 et jurisprudence citée).

84      Il convient, dès lors, de constater que, avant le 29 juillet 2008, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « oiseaux » et que le recours de la Commission doit être accueilli sur ce point.

85      En revanche, ne saurait être retenu l’argument de la Commission selon lequel l’exploitation de la ligne ferroviaire en cause aurait des effets notables sur les oiseaux présents dans la zone concernée du fait, notamment, de perturbations causées par le bruit ainsi que des risques d’électrocution et de collision.

86      En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 69 de ses conclusions, il s’agit d’effets liés à l’autorisation éventuelle des travaux ultérieurement requis pour le fonctionnement de la ligne ferroviaire à la suite d’une évaluation supplémentaire des incidences sur l’environnement, tandis que le projet litigieux concerne l’amélioration de l’infrastructure existante, à savoir notamment la construction d’une plate-forme élevée.

 Sur le troisième grief, tiré de la violation de l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats »

 Argumentation des parties

87      Par son troisième grief, la Commission fait valoir que le Royaume d’Espagne a, depuis que la zone « Campiñas de Sevilla » est classée en ZPS, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats ».

88      À cet égard, elle reprend, pour l’essentiel, les arguments développés dans le cadre du deuxième grief et mentionnés aux points 65 et 66 du présent arrêt.

89      Le Royaume d’Espagne considère que, depuis que la zone en cause a été déclarée comme ZPS, toutes les mesures nécessaires pour se conformer à l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats » ont été adoptées.

90      Il estime que la Commission n’a pas apporté de preuves démontrant l’insuffisance ou l’inexistence de mesures de protection adéquates pour éviter une incidence significative sur les oiseaux pendant les travaux de construction de la ligne ferroviaire en cause et l’exploitation de celle-ci.

91      En outre, le Royaume d’Espagne fait valoir que l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats » ne requiert pas d’adopter immédiatement de mesures correctrices de risques susceptibles de provenir d’actions futures. En réalité, les risques identifiés par la Commission n’apparaîtraient qu’en cas d’exécution du second projet de travaux dont la date de démarrage n’était pas encore prévue, et ils seraient neutralisés avant qu’ils ne surviennent.

 Appréciation de la Cour

92      Il importe de r      appeler que l’article 7 de la directive « habitats » prévoit, en ce qui concerne les zones classées en ZPS, que les obligations découlant de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « oiseaux » sont remplacées, notamment, par les obligations découlant de l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats », à partir de la date de mise en application de cette dernière directive ou de la date de classement en vertu de la directive « oiseaux » si cette dernière date est postérieure (arrêt du 18 décembre 2007, Commission/Espagne, C‑186/06, EU:C:2007:813, point 28 et jurisprudence citée).

93      La zone « Campiñas de Sevilla » ayant été classée en ZPS le 29 juillet 2008, il s’ensuit que, en l’espèce, l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats » trouve à s’appliquer à cette zone depuis cette date.

94      Il convient de relever qu’une activité n’est conforme à l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats » que s’il est garanti qu’elle n’engendre aucune perturbation susceptible d’affecter de manière significative les objectifs de cette directive, en particulier les objectifs de conservation poursuivis par celle-ci (arrêt du 14 janvier 2016, Commission/Bulgarie, C‑141/14, EU:C:2016:8, point 56 et jurisprudence citée).

95      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats », tout comme l’article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive « oiseaux », impose aux États membres de prendre des mesures appropriées pour éviter, dans les ZPS classées conformément au paragraphe 1 de ce dernier article, la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant de manière significative les espèces pour lesquelles les ZPS ont été classées (arrêt du 20 septembre 2007, Commission/Italie, C‑388/05, EU:C:2007:533, point 26).

96      Il en découle que le troisième grief n’est fondé que si la Commission démontre à suffisance de droit que le Royaume d’Espagne n’a pas pris les mesures de protection appropriées, consistant à éviter que les travaux de construction de la ligne ferroviaire à grande vitesse dans la zone « Campiñas de Sevilla », pour autant qu’ils ont eu lieu après la classification du site « Campiñas de Sevilla » en ZPS le 29 juillet 2008, ne produisent des détériorations des habitats des espèces d’oiseaux steppiques figurant à l’annexe I de la directive « oiseaux » ainsi que des perturbations de ces espèces susceptibles d’avoir des effets significatifs eu égard à l’objectif de la directive « habitats » consistant à assurer la conservation desdites espèces (voir, par analogie, arrêt du 24 novembre 2011, Commission/Espagne, C‑404/09, EU:C:2011:768, point 128).

97      Néanmoins, afin d’établir un manquement à l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats », il n’appartient pas à la Commission d’établir l’existence d’une relation de cause à effet entre la construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse et une perturbation significative causée aux espèces concernées. En effet, il suffit que cette institution établisse l’existence d’une probabilité ou d’un risque que cette construction provoque des perturbations significatives pour ces espèces (voir, en ce sens, arrêt du 14 janvier 2016, Commission/Bulgarie, C‑141/14, EU:C:2016:8, point 58 et jurisprudence citée).

98      À cet égard, il ressort du dossier, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 86 de ses conclusions, que les travaux de construction de la ligne ferroviaire en cause ont continué après le classement de la zone concernée en ZPS le 29 juillet 2008 et n’ont été interrompus qu’en 2009 et que l’exécution de ces travaux, notamment la construction de la plate‑forme élevée, est susceptible de provoquer des perturbations significatives et une détérioration des habitats d’espèces d’oiseaux protégées, le Royaume d’Espagne ayant admis que le projet en cause entraînera sûrement une diminution des habitats favorables pour la population d’Otis tarda.

99      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que le troisième grief est, en partie, fondé.

100    En revanche, pour les mêmes raisons que celles évoquées au point 86 du présent arrêt, ne saurait être retenu l’argument de la Commission selon lequel l’exploitation de la ligne ferroviaire en cause aurait des effets notables sur les oiseaux présents dans la zone concernée du fait, notamment, de perturbations causées par le bruit ainsi que des risques d’électrocution et de collision.

101    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, en ne prenant pas les mesures appropriées pour éviter, dans la ZPS « Campiñas de Sevilla », la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles cette zone a été établie, le Royaume d’Espagne a manqué, pour ce qui concerne la période antérieure au 29 juillet 2008, aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « oiseaux », et, pour ce qui concerne la période postérieure à cette date, aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats ».

 Sur les dépens

102    En vertu de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens.

103    En l’espèce, il convient de tenir compte du fait que certains griefs de la Commission n’ont pas été accueillis.

104    Il y a lieu, par conséquent, de condamner la Commission et le Royaume d’Espagne à supporter leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :

1)      En ne prenant pas les mesures appropriées pour éviter, dans la zone de protection spéciale « Campiñas de Sevilla », la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles cette zone a été établie, le Royaume d’Espagne a manqué, pour ce qui concerne la période antérieure au 29 juillet 2008, aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages, et, pour ce qui concerne la période postérieure à cette date, aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La Commission européenne et le Royaume d’Espagne sont condamnés à supporter leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure : l’espagnol.