Language of document : ECLI:EU:C:2011:326



ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

19 mai 2011 (*)

«Directive 2003/10/CE – Valeurs d’exposition – Bruit – Protection auditive – Effet utile»

Dans les affaires jointes C‑256/10 et C‑261/10,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Tribunal Superior de Justicia de Castilla y León (Espagne), par décisions du 21 avril 2010, parvenues à la Cour le 25 mai 2010, dans les procédures

David Barcenilla Fernández (C-256/10),

Pedro Antonio Macedo Lozano (C-261/10)

contre

Gerardo García SL,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. D. Šváby, président de chambre, MM. E. Juhász et T. von Danwitz (rapporteur), juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement espagnol, par Mme B. Plaza Cruz, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement belge, par M. T. Materne et Mme M. Jacobs, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme M. Russo, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. G. Rozet et G. Valero Jordana, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 3 et 5 à 7 de la directive 2003/10/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 février 2003, concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé relatives à l’exposition des travailleurs aux risques dus aux agents physiques (bruit) (dix-septième directive particulière au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE) (JO L 42, p. 38), telle que modifiée par la directive 2007/30/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2007 (JO L 165, p. 21, ci-après la «directive 2003/10»).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant M. Barcenilla Fernández (C-256/10) et M. Macedo Lozano (C-261/10) à Gerardo García SL (ci-après «Gerardo») au sujet de l’obligation pour cette dernière de payer un complément de salaire en vertu d’une disposition du droit national prévoyant un tel complément si les conditions du poste de travail sont particulièrement pénibles.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Aux termes du dixième considérant de la directive 2003/10:

«La réduction du niveau d’exposition au bruit est réalisée de façon plus efficace par la mise en œuvre de mesures préventives dès la conception des postes et lieux de travail ainsi que par le choix des équipements, procédés et méthodes de travail, de façon à réduire par priorité les risques à la source. Des dispositions relatives aux équipements et méthodes de travail contribuent donc à la protection des travailleurs qui les utilisent. Conformément aux principes généraux de prévention énoncés à l’article 6, paragraphe 2, de la directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail [JO L 183, p. 1], les mesures de protection collective ont la priorité sur les mesures de protection individuelle.»

4        Aux termes du douzième considérant de la directive 2003/10:

«[...] Les valeurs estimées ou mesurées objectivement devraient être déterminantes pour le déclenchement des actions prévues aux valeurs d’exposition inférieures et supérieures déclenchant l’action. Les valeurs limites d’exposition sont nécessaires pour éviter que les travailleurs ne subissent des dommages irréversibles à l’ouïe. Le niveau de bruit parvenant aux oreilles devrait être maintenu en deçà des valeurs limites d’exposition.»

5        L’article 3 de cette directive, intitulé «Valeurs limites d’exposition et valeurs d’exposition déclenchant l’action», dispose:

«1.      Aux fins de la présente directive, les valeurs limites d’exposition et les valeurs d’exposition déclenchant l’action par rapport aux niveaux d’exposition quotidiens au bruit et à la pression acoustique de crête sont fixées à:

a)      valeurs limites d’exposition: LEX,8h = 87 dB(A) et ρcrête = 200 Pa [...] respectivement;

b)      valeurs d’exposition supérieures déclenchant l’action: LEX,8h = 85 dB(A) et ρcrête = 140 Pa [...] respectivement;

c)      valeurs d’exposition inférieures déclenchant l’action: LEX,8h = 80 dB(A) et ρcrête = 112 Pa [...] respectivement.

2.      Pour l’application des valeurs limites d’exposition, la détermination de l’exposition effective du travailleur au bruit tient compte de l’atténuation assurée par les protecteurs auditifs individuels portés par le travailleur. Les valeurs d’exposition déclenchant l’action ne prennent pas en compte l’effet de l’utilisation de ces protecteurs.

[...]»

6        L’article 5 de ladite directive, intitulé «Dispositions visant à éviter ou à réduire l’exposition», prévoit:

«1.      En tenant compte du progrès technique et de la disponibilité de mesures de maîtrise du risque à la source, les risques résultant de l’exposition au bruit sont supprimés à leur source ou réduits au minimum.

La réduction de ces risques se base sur les principes généraux de prévention figurant à l’article 6, paragraphe 2, de la directive 89/391/CEE, et prend en considération, notamment:

a)      d’autres méthodes de travail nécessitant une exposition moindre au bruit;

b)      le choix d’équipements de travail appropriés émettant, compte tenu du travail à effectuer, le moins de bruit possible, y compris la possibilité de mettre à la disposition des travailleurs des équipements soumis aux dispositions communautaires dont l’objectif ou l’effet est de limiter l’exposition au bruit;

c)      la conception et l’agencement des lieux et postes de travail;

d)      l’information et la formation adéquates des travailleurs afin qu’ils utilisent correctement les équipements de travail en vue de réduire au minimum leur exposition au bruit;

e)      des moyens techniques pour réduire le bruit:

i)      réduction du bruit aérien, par exemple par écrans, capotages, revêtements à l’aide de matériaux à absorption acoustique,

ii)      réduction du bruit de structure, par exemple en amortissant le bruit ou par l’isolation;

f)      des programmes appropriés de maintenance des équipements de travail, du lieu de travail et des systèmes sur le lieu de travail;

g)      la réduction du bruit par une meilleure organisation du travail:

i)      limitation de la durée et de l’intensité de l’exposition;

ii)      organisation convenable des horaires de travail, prévoyant suffisamment de périodes de repos.

2.      Sur la base de l’évaluation des risques visée à l’article 4, lorsque les valeurs d’exposition supérieures déclenchant l’action sont dépassées, l’employeur établit et met en œuvre un programme de mesures techniques et/ou organisationnelles visant à réduire l’exposition au bruit, en prenant en considération, notamment, les mesures visées au paragraphe 1.

[...]»

7        L’article 6 de la directive 2003/10, intitulé «Protection individuelle», énonce:

«1.      Si d’autres moyens ne permettent pas d’éviter les risques dus à l’exposition au bruit, des protecteurs auditifs individuels, appropriés et correctement adaptés, sont mis à la disposition des travailleurs et utilisés par ceux-ci conformément aux dispositions de la directive 89/656/CEE du Conseil du 30 novembre 1989 concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé pour l’utilisation par les travailleurs au travail d’équipements de protection individuelle (troisième directive particulière au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE) [JO L 393, p. 18] et de l’article 13, paragraphe 2, de la directive 89/391/CEE, dans les conditions suivantes:

a)      lorsque l’exposition au bruit dépasse les valeurs d’exposition inférieures déclenchant l’action, l’employeur met des protecteurs auditifs individuels à la disposition des travailleurs;

b)      lorsque l’exposition au bruit égale ou dépasse les valeurs d’exposition supérieures déclenchant l’action, les travailleurs utilisent des protecteurs auditifs individuels;

[...]»

8        L’article 7 de la directive 2003/10, intitulé «Limitation de l’exposition», prévoit:

«1.      L’exposition du travailleur, telle que déterminée conformément aux dispositions de l’article 3, paragraphe 2, ne peut en aucun cas dépasser les valeurs limites d’exposition.

2.      Si, en dépit des mesures prises pour mettre en œuvre la présente directive, des expositions dépassant les valeurs limites d’exposition sont constatées, l’employeur:

a)      prend immédiatement des mesures pour réduire l’exposition à un niveau inférieur aux valeurs limites d’exposition,

b)      détermine les causes de l’exposition excessive, et

c)      adapte les mesures de protection et de prévention en vue d’éviter toute récurrence.»

 Le droit national

9        La directive 2003/10 a été transposée par le décret royal 286/2006 sur la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs contre les risques liés à l’exposition au bruit (Real Decreto 286/2006 sobre la protección de la salud y la seguridad de los trabajadores contra los riesgos relacionados con la exposición al ruido), du 10 mars 2006 (BOE n° 60, du 11 mars 2006, p. 9842).

10      L’article 5, paragraphe 1, du décret royal 286/2006 différencie les valeurs déclenchant l’action des valeurs limites qui ne doivent en aucun cas être dépassées. En vertu de l’article 8 de ce décret, la valeur limite à ne pas dépasser est fixée à un niveau quotidien moyen de 87 dB(A).

11      L’article 5, paragraphe 2, du décret royal 286/2006 indique que «pour l’application des valeurs limites d’exposition, la détermination de l’exposition effective du travailleur au bruit tient compte de l’atténuation assurée par les protecteurs auditifs individuels portés par le travailleur».

12      La convention collective de la province en matière de construction et de travaux publics de la région de Palencia pour la période 2007-2011 (ci-après la «convention collective») dispose à son article 27:

«1.      Il convient de verser aux personnes qui travaillent dans des conditions exceptionnellement pénibles, toxiques ou dangereuses une augmentation correspondant à 20 % de leur salaire de base. Si elles exercent leurs fonctions durant la moitié de la journée ou moins, ce surplus sera de 10 %.

[...]

3.      Si les conditions exceptionnelles de pénibilité, de toxicité ou de dangerosité devaient disparaître pour une raison ou une autre, les surplus précités ne seront plus versés.

[...]»

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

13      L’activité de Gerardo, l’employeur des requérants au principal, consiste à fabriquer des matériaux en pierre à partir de pierres naturelles. Les requérants au principal travaillent habituellement sur une machine de coupe automatique.

14      Au cours de leurs journées de travail, le niveau de bruit sur leur lieu de travail dépasse la moyenne quotidienne de 85 dB(A). Pour remédier à cette situation, Gerardo leur a remis un équipement de protection auditif individuel. Grâce à l’atténuation assurée par cet équipement, l’exposition quotidienne des requérants au principal au bruit est réduite à un niveau inférieur à 80 dB(A).

15      Les requérants au principal ont demandé le versement d’un complément salarial, en vertu de l’article 27 de la convention collective, en raison de la pénibilité de leur poste de travail résultant du fait qu’ils sont exposés à un niveau de bruit dépassant la moyenne quotidienne de 85 dB(A). Leurs demandes ont été rejetées par le Juzgado de lo Social qui a estimé que Gerardo respectait le décret royal 286/2006 qui transpose la directive 2003/10. Selon cette juridiction, l’effet d’atténuation du bruit assuré par l’équipement de protection auditif individuel doit être pris en compte pour établir si les conditions du poste de travail sont à considérer comme pénibles.

16      Les requérants au principal ont interjeté appel auprès de la juridiction de renvoi.

17      Cette juridiction relève que le rejet par le Juzgado de lo Social des demandes des requérants au principal est conforme à la jurisprudence récente du Tribunal Supremo selon laquelle l’atténuation du bruit assurée par l’équipement de protection auditif individuel doit être prise en compte afin de déterminer si le travailleur est exposé à son poste de travail à des conditions pénibles. Selon la juridiction de renvoi, cette jurisprudence interprétant la notion de «pénibilité» à la lumière de la directive 2003/10 et du droit national la transposant déduit de ceux-ci qu’ils ont pour objectif de protéger le travailleur contre les risques sanitaires liés à une exposition effective au bruit. Il en résulterait une absence de pénibilité dès lors qu’une protection auditive individuelle permet de réduire le bruit parvenant à l’oreille à un niveau inférieur à 80 dB(A).

18      La juridiction de renvoi émet des doutes quant à la compatibilité de cette jurisprudence du Tribunal Supremo avec la directive 2003/10. À cet égard, la juridiction de renvoi, tout en admettant que les litiges au principal portent sur le versement d’un complément salarial qui, en tant que tel, n’est pas régi par cette directive, estime que l’interprétation de ladite directive constitue un préalable pour déterminer si les requérants au principal ont droit à ce complément.

19      En effet, elle considère que l’obligation prévue à l’article 27 de la convention collective de verser un complément salarial en raison de la pénibilité des conditions de travail dépend du respect par l’employeur des obligations découlant de la directive 2003/10 et du décret royal 286/2006. Il serait contraire à l’effet utile de cette directive qu’un employeur puisse échapper à l’obligation de verser un tel complément salarial du seul fait qu’il a mis à la disposition de ses employés des protections auditives même s’il n’a pas respecté les exigences de ladite directive en ce qui concerne les obligations préventives instituées par celle-ci.

20      Dans ces conditions, le Tribunal Superior de Justicia de Castilla y León a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, qui sont formulées dans des termes identiques dans chacune des affaires dont cette juridiction est saisie:

«1)      Les articles 3, 5, paragraphe 2, 6 et 7 de la directive 2003/10 [...] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’une entreprise dans laquelle le niveau d’exposition quotidien des travailleurs au bruit est supérieur à 85 dB(A) (mesuré sans tenir compte des effets des protecteurs auditifs) respecte les obligations de prévention fixées par [cette] directive en ce qui concerne les conditions matérielles de travail lorsqu’elle fournit à ces travailleurs des protecteurs auditifs de sorte que, grâce au degré d’atténuation assuré par ces protections, l’exposition quotidienne au bruit de ces travailleurs est réduite à moins de 80 dB(A)?

2)      L’article 5, paragraphe 2, de la directive 2003/10 [...] doit-il être interprété en ce sens que le programme des mesures techniques et/ou organisationnelles que doit adopter une entreprise dans laquelle le niveau d’exposition quotidien des travailleurs au bruit est supérieur à 85 dB(A) (mesuré sans tenir compte des effets des protections auditives) a pour finalité de réduire le niveau d’exposition au bruit à un niveau inférieur à 85 dB(A)?

3)      Si la réponse à la première question était négative, faut-il interpréter la directive 2003/10 [...] en ce sens qu’elle s’oppose à une règle ou à une pratique judiciaire nationale qui dispense l’entreprise de payer une compensation financière, qu’elle doit en principe verser aux travailleurs soumis à des niveaux quotidiens d’exposition au bruit supérieurs à 85 dB(A), parce qu’elle a fourni à ces travailleurs des protecteurs auditifs dont les effets d’atténuation ont pour résultat de maintenir l’exposition quotidienne en dessous de 80 dB(A)?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les première et deuxième questions

21      Par ses deux premières questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si la directive 2003/10 doit être interprétée en ce sens qu’un employeur dans l’entreprise duquel le niveau d’exposition quotidienne des travailleurs au bruit est supérieur à 85 dB(A), mesuré sans tenir compte des effets de l’utilisation des protecteurs auditifs individuels, satisfait aux obligations résultant de cette directive par la simple mise à disposition des travailleurs de tels protecteurs auditifs permettant de réduire l’exposition quotidienne au bruit à moins de 80 dB(A) et si l’article 5, paragraphe 2, de ladite directive doit être interprété en ce sens qu’il vise à réduire l’exposition quotidienne au bruit à un niveau inférieur à 85 dB(A), mesuré sans tenir compte des effets de l’utilisation des protecteurs auditifs individuels.

22      Afin de répondre à ces questions, il convient de rappeler le cadre réglementaire instauré par la directive 2003/10.

23      Tout d’abord, aux termes de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive, les risques résultant de l’exposition au bruit sont supprimés à leur source ou réduits au minimum en tenant compte du progrès technique et de la disponibilité de mesures de maîtrise du risque à la source.

24      À ce titre, le second alinéa dudit article 5, paragraphe 1, dispose que la réduction de ces risques se base sur les principes généraux de prévention et détaille des mesures susceptibles de promouvoir cet objectif.

25      Conformément à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2003/10, l’employeur établit et met en œuvre un programme de mesures visant à réduire l’exposition au bruit si les valeurs d’exposition supérieures déclenchant l’action sont dépassées. À ce titre, il résulte de l’article 3, paragraphes 1, sous b), et 2, seconde phrase, de cette directive que cette valeur d’exposition est fixée à un niveau de 85 dB(A) devant être mesuré sans tenir compte de l’effet de l’utilisation des protecteurs auditifs individuels.

26      Ensuite, selon l’article 6 de ladite directive, des protecteurs auditifs individuels sont mis à la disposition des travailleurs lorsque l’exposition au bruit dépasse les valeurs d’exposition déclenchant l’action, «si d’autres moyens ne permettent pas d’éviter les risques dus à l’exposition au bruit».

27      Enfin, conformément à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/10, l’exposition du travailleur ne peut en aucun cas dépasser les valeurs limites d’exposition, c’est-à-dire, selon l’article 3, paragraphes 1, sous a), et 2, première phrase, de cette directive, un niveau de 87 dB(A), mesuré en tenant compte de l’effet de l’utilisation des protecteurs auditifs individuels.

28      Ainsi, la directive 2003/10 institue une hiérarchie entre les obligations incombant à l’employeur.

29      En premier lieu, l’employeur est dans l’obligation, en vertu de l’article 5, paragraphe 2, de ladite directive, de mettre en œuvre un programme visant à réduire l’exposition au bruit lorsque les travailleurs sont exposés à un niveau de bruit dépassant 85 dB(A), mesuré sans tenir compte de l’effet de l’utilisation des protecteurs auditifs individuels.

30      Ce n’est que dans la mesure où ce programme ne permet pas de réduire une telle exposition au bruit que l’article 6 de la directive 2003/10 prévoit, en deuxième lieu, l’obligation supplémentaire de mettre à la disposition des travailleurs des protecteurs auditifs individuels.

31      En troisième et dernier lieu, l’article 7 de ladite directive prévoit des obligations spécifiques pour le cas de figure où l’utilisation des protecteurs auditifs individuels ne permet pas d’éviter que les valeurs limites d’exposition soient dépassées.

32      Il résulte ainsi du libellé clair et de l’économie de ces dispositions que l’employeur ne satisfait pas à ses obligations prévues à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2003/10 par la simple mise à disposition des travailleurs de protecteurs auditifs individuels, mais qu’il doit mettre en œuvre un programme visant à réduire l’exposition au bruit lorsque les travailleurs sont exposés à un niveau de bruit dépassant 85 dB(A), mesuré sans tenir compte de l’effet de l’utilisation des protecteurs auditifs individuels.

33      Cette lecture de la directive 2003/10 est confortée par le dixième considérant de celle-ci selon lequel cette directive est fondée sur le concept de prévention impliquant que les risques sont réduits par priorité à la source et que les mesures de protection collective ont la priorité sur les mesures de protection individuelle.

34      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux deux premières questions que la directive 2003/10 doit être interprétée en ce sens qu’un employeur dans l’entreprise duquel le niveau d’exposition quotidienne des travailleurs au bruit est supérieur à 85 dB(A), mesuré sans tenir compte des effets de l’utilisation des protecteurs auditifs individuels, ne satisfait pas aux obligations résultant de cette directive par la simple mise à disposition des travailleurs de tels protecteurs auditifs permettant de réduire l’exposition quotidienne au bruit à moins de 80 dB(A), cet employeur étant dans l’obligation de mettre en œuvre un programme de mesures techniques ou organisationnelles visant à réduire une telle exposition au bruit à un niveau inférieur à 85 dB(A), mesuré sans tenir compte des effets de l’utilisation des protecteurs auditifs individuels.

 Sur la troisième question

35      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si la directive 2003/10 doit être interprétée en ce sens qu’elle exige d’un employeur, qui n’a pas mis en œuvre un programme de mesures techniques ou organisationnelles visant à réduire le niveau d’exposition quotidienne au bruit, qu’il verse un complément salarial aux travailleurs qui sont exposés à un niveau de bruit supérieur à 85 dB(A), mesuré sans tenir compte de l’effet de l’utilisation des protecteurs auditifs individuels, même s’il a mis à la disposition de ces travailleurs de tels protecteurs auditifs dont les effets ont pour résultat de réduire l’exposition quotidienne au bruit à un niveau inférieur à 80 dB(A).

36      À l’égard de cette question, il convient de rappeler que, selon la convention collective, un complément salarial est dû aux personnes qui travaillent dans des conditions exceptionnellement pénibles, une telle pénibilité pouvant résulter de l’exposition au bruit.

37      À ce titre, la juridiction de renvoi relève que, selon la jurisprudence récente du Tribunal Supremo, une telle pénibilité fait défaut lorsque des protecteurs auditifs individuels ont pour effet de réduire le niveau de bruit parvenant à l’oreille à un niveau inférieur à 80 dB(A). Selon la juridiction de renvoi, cette jurisprudence est fondée sur une interprétation de la directive 2003/10 selon laquelle l’objectif de celle-ci consiste à protéger le travailleur contre les risques sanitaires liés à une exposition effective au bruit. Or, une telle interprétation restrictive serait contraire à l’effet utile de cette directive. Un employeur pourrait ainsi échapper à l’obligation de verser un tel complément salarial du seul fait qu’il a mis à la disposition de ses travailleurs des protecteurs auditifs individuels même s’il n’a pas respecté les exigences de ladite directive en ce qui concerne les obligations préventives instituées par celle-ci.

38      À cet égard, il importe de souligner, comme le relève la Commission européenne, que la directive 2003/10 ne régit, en tant que telle, ni le versement d’un complément salarial en raison de la pénibilité d’un poste de travail résultant de l’exposition au bruit ni la question de savoir si l’effet d’une protection auditive individuelle peut ou doit être pris en compte pour déterminer le seuil d’exposition au bruit déclenchant l’obligation de verser un tel complément salarial.

39      Ainsi, la directive 2003/10 n’exige pas que le non-respect, par l’employeur, des obligations préventives instituées par cette directive soit sanctionné par l’obligation de verser un complément salarial.

40      Cependant, il convient de préciser, à l’égard des interrogations de la juridiction de renvoi, que lesdites obligations préventives ayant pour objet de réduire, dans la mesure du possible, l’exposition au bruit à la source, par la mise en œuvre d’un programme de mesures techniques ou organisationnelles, s’inscrivent dans l’objectif de la directive 2003/10 de protéger la santé des travailleurs.

41      En outre, il convient de rappeler la jurisprudence constante selon laquelle la liberté du choix des voies et moyens destinés à assurer la mise en œuvre d’une directive laisse entière l’obligation, pour chacun des États membres destinataires, de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le plein effet de la directive concernée, conformément à l’objectif que celle-ci poursuit (arrêt du 15 avril 2008, Impact, C‑268/06, Rec. p. I‑2483, point 40 et jurisprudence citée) et d’assurer, au cas où la directive en cause vise à créer des droits pour les particuliers, qu’ils soient mis en mesure de s’en prévaloir, le cas échéant, devant les juridictions nationales (arrêt du 30 mai 1991, Commission/Allemagne, C‑361/88, Rec. p. I‑2567, point 15).

42      Il en résulte que le droit national doit être interprété de manière à permettre aux travailleurs de faire effectivement valoir le respect, par leur employeur, des obligations préventives instituées par la directive 2003/10, cette dernière ayant, comme il résulte de son dixième considérant, précisément pour objet de contribuer à la protection des travailleurs.

43      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la troisième question que la directive 2003/10 doit être interprétée en ce sens qu’elle n’exige pas d’un employeur qu’il verse un complément salarial aux travailleurs qui sont exposés à un niveau de bruit supérieur à 85 dB(A), mesuré sans tenir compte de l’effet de l’utilisation des protecteurs auditifs individuels du seul fait qu’il n’a pas mis en œuvre un programme de mesures techniques ou organisationnelles visant à réduire le niveau d’exposition quotidienne au bruit. Toutefois, le droit national doit prévoir des mécanismes adéquats assurant qu’un travailleur exposé à un niveau de bruit supérieur à 85 dB(A), mesuré sans tenir compte de l’effet de l’utilisation des protecteurs auditifs individuels, peut faire valoir le respect, par l’employeur, des obligations préventives prévues à l’article 5, paragraphe 2, de cette directive.

 Sur les dépens

44      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit:

1)      La directive 2003/10/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 février 2003, concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé relatives à l’exposition des travailleurs aux risques dus aux agents physiques (bruit) (dix-septième directive particulière au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE), telle que modifiée par la directive 2007/30/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2007, doit être interprétée en ce sens qu’un employeur dans l’entreprise duquel le niveau d’exposition quotidienne des travailleurs au bruit est supérieur à 85 dB(A), mesuré sans tenir compte des effets de l’utilisation des protecteurs auditifs individuels, ne satisfait pas aux obligations résultant de cette directive par la simple mise à disposition des travailleurs de tels protecteurs auditifs permettant de réduire l’exposition quotidienne au bruit à moins de 80 dB(A), cet employeur étant dans l’obligation de mettre en œuvre un programme de mesures techniques ou organisationnelles visant à réduire une telle exposition au bruit à un niveau inférieur à 85 dB(A), mesuré sans tenir compte des effets de l’utilisation des protecteurs auditifs individuels.

2)      La directive 2003/10, telle que modifiée par la directive 2007/30, doit être interprétée en ce sens qu’elle n’exige pas d’un employeur qu’il verse un complément salarial aux travailleurs qui sont exposés à un niveau de bruit supérieur à 85 dB(A), mesuré sans tenir compte de l’effet de l’utilisation des protecteurs auditifs individuels du seul fait qu’il n’a pas mis en œuvre un programme de mesures techniques ou organisationnelles visant à réduire le niveau d’exposition quotidienne au bruit. Toutefois, le droit national doit prévoir des mécanismes adéquats assurant qu’un travailleur exposé à un niveau de bruit supérieur à 85 dB(A), mesuré sans tenir compte de l’effet de l’utilisation des protecteurs auditifs individuels, peut faire valoir le respect, par l’employeur, des obligations préventives prévues à l’article 5, paragraphe 2, de cette directive.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.