Language of document : ECLI:EU:T:2017:172

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre)

9 mars 2017 (*)

« Recours en carence, en annulation et en indemnité – Politique économique et monétaire – Surveillance des établissements de crédit – Prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux – Mesures correctives – Absence d’invitation à agir – Manque de précision de la requête – Acte non susceptible de recours – Recours en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement dépourvu de tout fondement en droit »

Dans l’affaire T‑22/16,

Comprojecto – Projectos e Construções, Lda, établie à Lisbonne (Portugal),

Julião Maria Gomes de Azevedo, demeurant à Lisbonne,

Paulo Eduardo Matos Gomes de Azevedo, demeurant à Lisbonne,

Isabel Maria Matos Gomes de Azevedo, demeurant à Lisbonne,

représentés par Me M. Ribeiro, avocat,

parties requérantes,

contre

Banque centrale européenne (BCE), représentée par MM. A. Karpf, P. Ferreira Jorge et Mme K. Kaiser, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, premièrement, une demande fondée sur l’article 265 TFUE et tendant à faire constater que la BCE s’est illégalement abstenue d’agir envers des instituts de crédit portugais dans le cadre de la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux, deuxièmement, une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de l’acte par lequel la BCE a renvoyé aux requérants l’invitation à agir qu’ils lui avaient adressée et, troisièmement, une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi par les requérants à la suite de cette inaction,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

composé de MM. S. Frimodt Nielsen, président, I. S. Forrester (rapporteur) et E. Perillo, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        La première requérante, Comprojecto – Projectos e Construções, Lda, est une entreprise portugaise de construction civile. À l’époque des fait à l’origine du présent litige, elle était dirigée par le second requérant et feu son épouse, en qualité d’associés-gérants. Les troisième et quatrième requérants sont les enfants de ce couple.

2        Les requérants déclarent avoir été victimes d’une fraude commise par l’ancien directeur financier de la première requérante, M. M. R. Entre le 13 septembre 2005 et le 14 juin 2009, celui-ci aurait détourné un montant de 1 075 189,29 EUR de leurs comptes ouverts auprès de Banco Comercial Portugués, S.A. (ci-après « BCP »), soit par la voie de virements bancaires non autorisés en faveur de son épouse, Mme A. R., soit par l’utilisation abusive de cartes de débit frauduleusement émises au nom des deux premiers requérants et non autorisées par ceux-ci.

3        En marge des poursuites pénales et civiles dirigées contre M. R. et Mme R., les requérants ont demandé à BCP de leur rembourser ladite somme. Ils ont notamment reproché à BCP et à ses préposés, outre diverses infractions pénales liées au détournement de fonds dont ils ont été victimes, d’avoir manqué à leurs obligations légales de diligence, de contrôle interne et de vigilance à l’égard de la clientèle et d’avoir ainsi violé les dispositions de droit de l’Union européenne relatives à la libre circulation des capitaux, à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et à la protection des consommateurs, en s’abstenant par négligence de repérer et d’identifier les mouvements de fonds suspects, d’en contrôler la réalité commerciale et de les alerter à ce sujet, eux ainsi que les autorités nationales de surveillance compétentes.

4        BCP ayant refusé de déférer à cette demande, les requérants ont introduit devant les juridictions portugaises, le 1er février 2010, un recours civil en indemnité contre elle et contre ses préposés. Ce recours serait toujours pendant en degré d’appel, les requérants en ayant été déboutés en première instance.

5        Le 26 juin 2013, les requérants ont formé un « recours extrajudiciaire » devant Banco de Portugal (ci-après « BdP »), fondé sur les prétendus agissements illégaux de BCP. Ils ont notamment reproché à BdP de ne pas avoir détecté le délit commis à leur égard, en raison d’une surveillance prétendument défaillante exercée sur BCP. Ils ont également reproché à BdP de ne pas avoir informé les autorités nationales de contrôle compétentes, après avoir pris connaissance dudit délit, et d’avoir fait montre de protection et de favoritisme envers BCP.

6        Par lettre du 15 juin 2015, BdP a rejeté ledit recours, au motif que, après analyse des éléments présentés ainsi que de la documentation complémentaire fournie, « aucun indice suggérant que [BCP] n’a[vait] pas respecté les dispositions auxquelles [était] soumise son action sur les marchés bancaires de détail n’a[vait] été détecté ». BdP a également indiqué ne pas avoir trouvé d’indices suggérant qu’une infraction avait été commise par BCP.

7        Le 27 octobre 2015, les requérants ont intenté un recours administratif commun en responsabilité civile contre BdP devant les juridictions portugaises compétentes. Ce recours serait toujours pendant.

8        Le 27 novembre 2015, les requérants ont adressé à la Banque centrale européenne (BCE) une plainte et une demande d’avis motivé (ci-après la « plainte ») à propos du comportement de BdP et de BCP. Selon eux, cela constitue une invitation à agir en vue d’émettre un avis motivé condamnant les pratiques susmentionnées, en ce compris le rejet de leurs recours formés en première instance devant les autorités et juridictions nationales portugaises, auxquelles ils reprochent d’avoir également cherché à protéger BCP.

9        La plainte, telle qu’elle est jointe en annexe à la requête, fait état du comportement prétendument fautif de BCP et du préjudice de 1 075 189,29 EUR qui en a prétendument résulté. Elle vise à obtenir de la BCE les mesures particulières suivantes :

–        l’adoption d’un avis motivé, conformément à l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sur le comportement de BCP, de BdP et de l’État portugais ;

–        l’envoi d’une demande à BdP, conformément à l’article 131 TFUE et aux articles 14.1 et 14.3 des statuts du Système européen de banques centrales et de la BCE, afin que celle-ci fournisse toutes les informations nécessaires ainsi que les motifs de ses décisions et omissions ; et

–        l’engagement de poursuites à l’encontre de BdP, sur le fondement de l’article 35.1, deuxième phrase, des statuts susmentionnés, par l’introduction d’un recours en manquement à l’encontre de BdP, du fait que les plaintes à elle adressées n’avaient pas abouti.

10      Selon les éléments de preuve figurant au dossier, l’enveloppe contenant la plainte, portant la référence RD614959023PT, a été présentée au siège de la BCE, à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), le 4 décembre 2015, à 14 h 24, à une personne identifiée sur l’accusé de réception d’envoi recommandé émis par la société de courrier exprès X., chargée d’en assurer la remise, comme étant « Katie H. ». Il ressort toutefois des mêmes éléments de preuve, provenant de la société de courrier exprès en question, que ladite personne a refusé de réceptionner l’enveloppe et son contenu.

11      Il ressort également des éléments de preuve versés au dossier par la BCE qu’aucune personne du nom de « Katie H. » ou de « Katharina H. » n’a jamais été employée par la BCE. Les archives de la BCE révèlent toutefois qu’une personne du nom de « Katharina H. » a travaillé pour deux prestataires de services ou consultants externes de la BCE. À la date du 4 décembre 2015, cette personne travaillait, dans les nouveaux locaux de la BCE à Francfort, au service de la société C., à laquelle la BCE avait attribué un contrat pour la fourniture de services d’organisation de son infrastructure informatique.

12      Il ressort encore d’un extrait du registre du courrier de la BCE qu’aucune lettre portant la référence RD614959023PT n’y a été enregistrée à la date du 4 décembre 2015.

13      Le 29 décembre 2015, l’enveloppe contenant la plainte a été retournée aux requérants, non ouverte, par la société de courrier exprès X.

 Procédure et conclusions des parties

14      C’est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 janvier 2016, les requérants ont introduit le présent recours.

15      Par décision du 18 mars 2016, le Tribunal (troisième chambre) a rejeté la demande des requérants visant à ce qu’il soit statué selon une procédure accélérée.

16      Les requérants concluent, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        constater que la BCE s’est illégalement abstenue de « présenter un avis motivé sur la plainte extrajudiciaire adressée » à BdP ;

–        annuler la décision de la BCE de ne pas donner suite à la plainte ;

–        les indemniser à hauteur d’un montant de 4 199 780,43 EUR, majoré des intérêts moratoires échus au taux légal jusqu’au paiement effectif, au cas où BCP et BdP ne seraient pas condamnés à une telle indemnisation par les juridictions portugaises ;

–        condamner la BCE aux dépens.

17      La BCE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

18      Aux termes de l’article 126 du règlement de procédure du Tribunal, lorsque le recours est manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

19      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cet article, de statuer sans poursuivre la procédure.

 Sur la demande en constatation d’une carence

20      S’agissant de la demande en constatation d’une carence, telle que formulée dans le premier chef de conclusions des requérants, la BCE fait valoir, notamment, que la condition de recevabilité d’une telle demande tenant à l’invitation préalable à agir, prévue à l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, n’est pas remplie en l’espèce, la plainte contenant une telle invitation ne lui ayant jamais été notifiée. Le recours en carence aurait, de ce fait, été introduit prématurément.

21      Les requérants répondent que la plainte a été reçue par la BCE le 4 décembre 2015 et leur a été retournée sans autre explication ou action le 29 décembre 2015. Ils estiment que, conformément aux dispositions de la convention postale universelle, la plainte doit être considérée comme ayant été dûment remise à la BCE et reçue par celle-ci, dès lors que l’adresse avait été correctement indiquée. En particulier, la société de courrier exprès à laquelle ils avaient confié la plainte ne serait pas responsable du refus de la BCE de la réceptionner.

22      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, un recours en carence n’est recevable que si l’institution de l’Union défenderesse a été préalablement invitée à agir avant que le recours ne soit introduit (ordonnances du 18 novembre 1999, Pescados Congelados Jogamar/Commission, C‑249/99 P, EU:C:1999:571, point 17, et du 14 décembre 2006, Smanor et Ségaud/Commission, T‑150/06, non publiée, EU:T:2006:402, point 13) et après écoulement du délai de deux mois prévu par cette disposition. L’introduction d’un recours en carence doit donc impérativement être précédée d’une procédure précontentieuse, laquelle a pour objet de donner à l’institution la possibilité de mettre un terme à l’omission reprochée et à la personne physique ou morale de renoncer à l’introduction du recours en carence (ordonnance du 30 juin 2011, Tecnoprocess/Commission, T‑367/09, non publiée, EU:T:2011:320, point 52).

23      Or, en l’espèce, il s’impose de constater, au vu des éléments de preuve figurant au dossier et mentionnés aux points 10 à 12 ci-dessus, que, contrairement à leur affirmation, les requérants n’ont pas fourni la preuve documentée que l’enveloppe contenant la plainte avait été effectivement reçue par la BCE, ni, dès lors, que celle-ci avait eu concrètement la possibilité de prendre position, explicitement ou implicitement, sur l’invitation à agir qu’ils avaient formulée.

24      Dans ces conditions, la BCE ne saurait être considérée, aux termes de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, comme ayant été effectivement invitée à agir avant l’introduction du présent recours.

25      Quant à l’argument tiré par les requérants, dans la réplique, de la convention postale universelle, c’est à juste titre que la BCE fait observer que l’Union n’est pas partie à ladite convention et que ses dispositions ne lui sont dès lors pas applicables. En tout état de cause, ladite convention est un traité entre États qui ne régit pas les droits et obligations des particuliers, et notamment pas la question de savoir quand un courrier doit être considéré comme ayant été valablement notifié à son destinataire dans un État autre que celui d’expédition.

26      Il s’ensuit également que le renvoi de la plainte aux requérants ne saurait être considéré comme ayant constitué une prise de position de la BCE en réponse à leur plainte, dont elle n’a appris l’existence qu’à la suite de la notification de la requête introductive du présent recours.

27      Il découle des considérations qui précèdent que la demande en constatation d’une carence doit être rejetée comme manifestement irrecevable.

28      À titre surabondant, il convient de constater que la requête n’identifie même pas, sinon par renvoi à la plainte que les requérants ont annexée à celle-ci, les mesures, autres qu’une recommandation ou un avis, que la BCE aurait été tenue de prendre à leur égard.

29      À supposer même que l’abstention de la BCE de prendre lesdites mesures, telles que mentionnées dans la plainte annexée à la requête, fasse partie du cadre du présent litige alors que ces mesures ne sont pas mentionnées dans la requête elle-même, la BCE a en tout cas exposé, dans sa défense, les raisons pour lesquelles elle estimait qu’elle n’était pas compétente pour les adopter. Bien que le Tribunal ne soit pas saisi du fond du litige en raison de l’irrecevabilité de la demande en constatation d’une carence, ces explications circonstanciées constituent, au regard notamment de l’argumentation particulièrement vague et confuse contenue tant dans la requête qu’aux points 48 à 76 de la réplique, des éléments de réponse et d’information utiles pour les requérants quant à la prise de position négative de la BCE par rapport à la plainte annexée à la requête, ce qui répond, par ailleurs, à l’objectif visé à l’article 41, paragraphe 4, de la charte des droits fondamentaux, que les requérants ont invoqué dans la requête, à savoir l’obligation pour toute institution de l’Union de répondre aux demandes qui lui sont adressées.

 Sur la demande en annulation

30      Les requérants soutiennent que, en renvoyant l’invitation à agir qu’ils lui avaient adressée et en s’abstenant de statuer, la BCE a adopté un acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE. Ils estiment en effet que, en agissant de la sorte, la BCE a rejeté leur demande d’avis motivé et a refusé de se conformer aux obligations juridiques lui imposant de prendre des mesures à l’encontre de BCP, dont elle assume la surveillance prudentielle depuis le 4 octobre 2014, ainsi qu’à l’encontre de BdP au motif que celle-ci n’avait pas satisfait à ses obligations de supervision nationale.

31      À cet égard, il découle de l’examen de la recevabilité de la demande en constatation d’une carence que le retour de la plainte aux requérants, à la suite de l’échec de la tentative de notification à la BCE, ne saurait être considéré comme ayant constitué un acte par lequel la BCE aurait décidé de rejeter l’invitation à agir. Il n’existe dès lors, en l’espèce, aucun acte de la BCE susceptible de faire l’objet d’une demande en annulation au titre de l’article 263 TFUE.

32      Dans ces conditions, la demande en annulation doit être rejetée comme manifestement irrecevable.

 Sur la demande en indemnité

33      Quoi qu’il en soit de sa recevabilité, laquelle est mise en cause par la BCE, la demande en indemnité doit être rejetée comme manifestement dépourvue de tout fondement en droit et, avec elle, le recours dans son intégralité.

34      Il résulte en effet de ce qui précède que, faute d’avoir préalablement invité la BCE à agir, les requérants n’ont pas prouvé l’existence d’une omission ou abstention de cette institution susceptible d’engager la responsabilité de l’Union, de sorte qu’au moins l’une des trois conditions cumulatives d’engagement de la responsabilité de l’Union, ici représentée par la BCE, fait défaut.

 Sur les dépens

35      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

36      Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la BCE.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Comprojecto – Projectos e Construções, Lda, Julião Maria Gomes de Azevedo, Paulo Eduardo Matos Gomes de Azevedo et Isabel Maria Matos Gomes de Azevedo sont condamnés aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 9 mars 2017.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

S. Frimodt Nielsen


*      Langue de procédure : le portugais.