Language of document : ECLI:EU:C:2020:436

ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

4 juin 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2014/24/UE – Article 12, paragraphe 4 – Champ d’application – Marchés publics passés entre entités appartenant au secteur public – Notion de “coopération” – Absence »

Dans l’affaire C‑429/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberlandesgericht Koblenz (tribunal régional supérieur de Coblence, Allemagne), par décision du 14 mai 2019, parvenue à la Cour le 5 juin 2019, dans la procédure

Remondis GmbH

contre

Abfallzweckverband Rhein-Mosel-Eifel,

en présence de :

Landkreis Neuwied,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. S. Rodin, président de chambre, MM. D. Šváby (rapporteur) et N. Piçarra, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : Mme M. Krausenböck, administratrice,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Remondis GmbH, par M. C. Werkle, Rechtsanwalt,

–        pour Abfallzweckverband Rhein-Mosel-Eifel, par Mes G. Moesta et A. Gerlach, Rechtsanwälte,

–        pour le gouvernement estonien, par Mme N. Grünberg, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement espagnol, par Mme M. J. García-Valdecasas Dorrego, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. M. Fruhmann, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mme L. Haasbeek ainsi que par MM. M. Noll-Ehlers et P. Ondrůšek, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 4, sous a), de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Remondis GmbH à l’Abfallzweckverband Rhein-Mosel-Eifel (syndicat de gestion des déchets Rhin‑Moselle-Eifel, Allemagne) (ci-après le « syndicat ») au sujet de la passation du marché de traitement de déchets dans l’installation de traitement biomécanique des déchets du Landkreis Neuwied (district de Neuwied, Allemagne).

 Le cadre juridique

3        Les considérants 31 et 33 de la directive 2014/24 énoncent :

« (31)      Il existe une importante insécurité juridique quant à la question de savoir dans quelle mesure les règles sur la passation des marchés publics devraient s’appliquer aux marchés conclus entre entités appartenant au secteur public. La jurisprudence applicable de la [Cour] fait l’objet d’interprétations divergentes entre États membres et même entre pouvoirs adjudicateurs. Il est dès lors nécessaire de préciser dans quels cas les marchés conclus au sein du secteur public ne sont pas soumis à l’application des règles relatives à la passation des marchés publics.

Ces précisions devraient s’appuyer sur les principes énoncés dans la jurisprudence pertinente de la [Cour]. La seule circonstance que les deux parties à un accord sont elles-mêmes des pouvoirs publics n’exclut pas en soi l’application des règles relatives à la passation des marchés publics. L’application de ces règles ne devrait toutefois pas interférer avec la liberté des pouvoirs publics d’exercer les missions de service public qui leur sont confiées en utilisant leurs propres ressources, ce qui inclut la possibilité de coopérer avec d’autres pouvoirs publics.

Il convient de veiller à ce qu’aucune coopération public-public ainsi exclue n’entraîne de distorsion de concurrence à l’égard des opérateurs économiques privés dans la mesure où cela place un prestataire de services privé dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents.

[...]

(33)      Les pouvoirs adjudicateurs devraient pouvoir choisir de fournir conjointement leurs services publics par la voie de la coopération, sans être contraints de recourir à une forme juridique particulière. Cette coopération pourrait porter sur tous les types d’activités liées à l’exécution de services et à l’exercice de responsabilités confiées aux pouvoirs adjudicateurs participants ou assumées par eux, telles que des missions obligatoires ou volontaires relevant d’autorités locales ou régionales ou des services confiés à des organismes particuliers par le droit public. Les services fournis par les différents pouvoirs adjudicateurs participants ne doivent pas nécessairement être identiques ; ils pourraient également être complémentaires.

Les marchés concernant la fourniture conjointe de services publics ne devraient pas être soumis à l’application des règles établies dans la présente directive, à condition qu’ils soient conclus exclusivement entre pouvoirs adjudicateurs, que la mise en œuvre de cette coopération n’obéisse qu’à des considérations d’intérêt public et qu’aucun prestataire privé de services ne soit placé dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents.

Pour que ces conditions soient remplies, il convient que la coopération soit fondée sur le concept de coopération. Cette coopération n’exige pas que tous les pouvoirs participants se chargent de l’exécution des principales obligations contractuelles, tant que l’engagement a été pris de coopérer à l’exécution du service public en question. En outre, la mise en œuvre de la coopération, y compris tout transfert financier entre les pouvoirs adjudicateurs participants, ne devrait obéir qu’à des considérations d’intérêt public. »

4        L’article 2, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1.      “pouvoirs adjudicateurs”, l’État, les autorités régionales ou locales, les organismes de droit public ou les associations formées par une ou plusieurs de ces autorités ou un ou plusieurs de ces organismes de droit public ;

[...]

4.      “organisme de droit public”, tout organisme présentant toutes les caractéristiques suivantes :

a)      il a été créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial ;

b)      il est doté de la personnalité juridique ; et

c)      soit il est financé majoritairement par l’État, les autorités régionales ou locales ou par d’autres organismes de droit public, soit sa gestion est soumise à un contrôle de ces autorités ou organismes, soit son organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par l’État, les autorités régionales ou locales ou d’autres organismes de droit public ;

[...] »

5        Intitulé « Marchés publics passés entre entités appartenant au secteur public », l’article 12 de ladite directive dispose, à son paragraphe 4 :

« Un marché conclu exclusivement entre deux pouvoirs adjudicateurs ou plus ne relève pas du champ d’application de la présente directive, lorsque toutes les conditions suivantes sont réunies :

a)      le marché établit ou met en œuvre une coopération entre les pouvoirs adjudicateurs participants dans le but de garantir que les services publics dont ils doivent assurer la prestation sont réalisés en vue d’atteindre les objectifs qu’ils ont en commun ;

b)      la mise en œuvre de cette coopération n’obéit qu’à des considérations d’intérêt public ; et

c)      les pouvoirs adjudicateurs participants réalisent sur le marché concurrentiel moins de 20 % des activités concernées par la coopération ».

 Le litige au principal et la question préjudicielle

6        Les districts de Mayen-Coblence (Allemagne) et de Cochem-Zell (Allemagne) ainsi que la ville de Coblence (Allemagne) ont confié l’exécution, au syndicat qu’ils contrôlent ensemble, de leur mission consistant à valoriser et à éliminer les déchets produits sur leurs territoires respectifs.

7        Cependant, le syndicat, qui est lui-même un pouvoir adjudicateur, dispose uniquement de la capacité de mettre en décharge les déchets résiduels, c’est-à-dire les déchets qui proviennent principalement des ménages et qui ne contiennent pas ou quasiment pas de matières recyclables. Or, pour obtenir des déchets résiduels, les déchets municipaux en mélange doivent subir un prétraitement complexe dans une installation biomécanique. Ce prétraitement permet d’extraire les matières recyclables et les déchets à haut pouvoir calorifique, de retirer les polluants dans la mesure du possible et de réduire nettement l’activité biologique de la part organique. Le reliquat, qui sera ensuite mis en décharge, représente en moyenne un peu moins de 50 % du volume initial.

8        Ne disposant pas d’une telle installation, le syndicat confie 80 % des opérations de valorisation et d’élimination des déchets municipaux à des entreprises privées. Le traitement des 20 % restants, soit environ 10 000 mégagrammes (Mg) par an, est attribué au district de Neuwied (ci-après le « District »), au moyen d’une convention conclue entre le syndicat et le District le 27 septembre 2018. Cette convention a été approuvée par l’autorité compétente le 18 octobre 2018 et publiée dans des journaux officiels locaux et régionaux.

9        Aux termes de cette convention :

« Article premier

Situation de départ

1.      Le [District] est un organisme public de gestion des déchets (article 17, paragraphe 1, du [Kreislaufwirtschaftsgesetz (loi sur l’économie circulaire) (ci-après le « KrWG »)], lu en liaison avec l’article 3, paragraphe 1, du [Landeskreislaufwirtschaftsgesetz (loi du Land sur l’économie circulaire) (ci‑après le « LKrWG »)]. En cette qualité, il doit prendre réception et valoriser ou éliminer dûment les déchets provenant des ménages privés, au sens de l’article 2, paragraphe 2, de la [Gewerbeabfallverordnung (règlement sur les déchets d’origine professionnelle) (ci-après la « GewAbfV »)], ou d’autres sources, produits sur son territoire et qui lui ont été remis.

Le [syndicat] est, en tant qu’organisme de droit public, chargé, entre autres du traitement et de la valorisation et de l’élimination des déchets résiduels provenant des ménages privés ou d’autres sources, notamment des déchets résiduels et des déchets d’origine professionnelle analogues à des déchets ménagers, produits sur le territoire des collectivités membres du syndicat, à savoir la ville de Coblence et les districts de Mayen-Coblence et de Cochem‑Zell, et qui ont été remis au syndicat.

L’article 3, paragraphe 2, du LKrWG impose aux organismes publics de gestion des déchets de coopérer entre eux en vue d’accomplir leur mission. Le District et le syndicat conviennent, conformément à l’article 108, paragraphe 6, du [Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen (loi sur la protection de la concurrence) (ci-après le « GWB »)], de coopérer, en ce qui concerne le traitement des déchets résiduels et la valorisation et l’élimination des déchets municipaux en mélange, sur la base de la présente convention au sens des articles 12 et 13 du [Landesgesetz über die kommunale Zusammenarbeit (loi du Land sur la coopération entre communes) (ci-après le « KomZG »)].

2.      Le District exploite sur le territoire de la commune de Linkenbach [Allemagne] l’installation de traitement des déchets de Linkenbach [...], qui comprend une installation de traitement biomécanique (TBM) [...]

3.      Sur le fondement des dispositions précitées et eu égard au principe de proximité, le District et le syndicat conviennent, conformément à l’article 12, paragraphe 1, du KomZG, que le syndicat pourra utiliser l’installation TBM de Linkenbach pour une partie des déchets [...] qui lui ont été remis.

Article 2

Objet

1.      Le syndicat s’engage à faire traiter une partie des déchets provenant des ménages et d’autres sources (déchets municipaux en mélange, code 20 03 01 en vertu de [l’Abfallverzeichnisverordnung (décret relatif à la liste des déchets) (ci-après l’« AVV »)] qui lui ont été remis [...] dans l’installation TBM de Linkenbach.

2.      Le District s’engage à prendre réception de ces déchets conformément à l’article 3 de la présente convention et à les traiter conformément aux exigences de l’article 6, paragraphe 4, de la [Deponieverordnung (règlement sur les décharges) (ci-après la « DepV »)]. Le syndicat reste en charge de la valorisation et de l’élimination des déchets résiduels.

3.      Dans le cadre de la coopération, le syndicat se déclare prêt à recevoir, à concurrence de 3 000 Mg par an, une partie des déchets minéraux à traiter dans le cadre de l’obligation de valorisation et d’élimination dont le District est tenu en tant que puissance publique. Les quantités que le syndicat est tenu de recevoir dépendent de ses capacités et leurs détails sont convenus entre les intéressés, eu égard à leurs intérêts respectifs.

Article 3

Conditions de livraison

1.      Le syndicat s’oblige à ne pas livrer à l’installation TBM de Linkenbach plus de 50 Mg des déchets visés à l’article 2 par jour ouvrable (lundi à vendredi). Les parties s’accordent sur le point que la quantité annuelle à livrer par le syndicat est de 10 000 Mg ; pour l’année 2018, la quantité, au prorata, est d’environ 4 000 Mg. Le District peut refuser des déchets qui ne répondent pas à la définition figurant à l’article 2, paragraphe 1, en concertation avec le syndicat.

Le tonnage visé dans la deuxième phrase [du paragraphe 1] constitue une quantité prévisionnelle, dont la quantité effectivement traitée peut s’écarter de 15 %, à la hausse ou à la baisse, sans que cela ait d’incidence sur la rémunération (article 5, paragraphe 1).

[...]

Article 4

Exploitation de l’installation TBM de Linkenbach

1.      Le District exploite l’installation de traitement et de valorisation et d’élimination dans l’installation TBM de Linkenbach dans le respect des dispositions en vigueur des décisions d’autorisation.

[...]

3.      Le traitement dans l’installation TBM de Linkenbach produit des restes à mettre en décharge représentant 46 % des intrants, que le syndicat reprend conformément à l’article 2, paragraphe 2, deuxième phrase.

Article 5

Rémunération

1.      Au titre du traitement des déchets résiduels, le syndicat verse au District une rémunération, qui est fonction de la quantité de déchets traitée, par la voie d’un remboursement des frais sans prise en compte d’une marge bénéficiaire pour les frais de fonctionnement courants. Les détails sont réglés dans un barème de rémunération distinct.

2.      Si la quantité minimale de déchets de 8 500 Mg/an convenue à l’article 3, paragraphe 1, n’est pas atteinte, le syndicat est obligé de verser au titre de la différence entre la quantité réellement livrée et 8 500 Mg/an une compensation qui est fonction du tonnage. Le montant de cette compensation est ensuite déterminé d’un commun accord entre les parties, en ayant tout particulièrement égard à la clause de loyauté stipulée à l’article 10 de la présente convention. Lors de cette détermination, il est notamment tenu compte des frais que le District n’a pas dû exposer et des quantités traitées pour le compte de tiers. Le District n’a aucune obligation de prospection en vue de trouver des déchets à traiter pour compenser la quantité de déchets qui fait défaut. S’il est impossible au District d’exploiter les capacités disponibles et s’il ne peut réduire les frais générés par l’installation, la rémunération convenue à l’article 5, paragraphe 1, est due à titre de compensation de la quantité de déchets manquante. En cas de dépassement de la quantité maximale de déchets (11 500 Mg/an), les parties conviendront, suivant l’idée de principe décrite ci-dessus, l’adaptation de la rémunération pour la quantité excédant 11 500 Mg.

Article 6

Durée de la présente convention

1.      La présente convention, une fois approuvée par [l’autorité compétente], entre en vigueur le jour de sa publication, probablement le 1er octobre 2018.

2.      Elle est conclue pour une durée de dix ans. Elle peut être prolongée, à deux reprises, d’un commun accord, au moins un an avant la date d’expiration prévue, pour une durée, chaque fois, de deux ans. Sinon, elle prend fin automatiquement sans qu’une résiliation soit nécessaire.

[...]

Article 8

Réseau d’assistance mutuelle

Pour le cas où, en raison d’une perturbation temporaire du fonctionnement, d’une révision de l’installation ou d’autres évènements relevant de la responsabilité du District, dans l’installation TBM de Linkenbach, les déchets résiduels ne pourraient pas être traités, le District a mis en place un réseau d’assistance mutuelle avec les exploitants d’autres installations. Il est en droit de transporter dans ce cas les déchets résiduels du syndicat vers ces installations du réseau d’assistance mutuelle et de les y faire traiter ou en assure la valorisation ou l’élimination d’une autre manière. L’éventuel surcoût est supporté par le District.

Le District se concerte avec le syndicat spécifiquement et au cas par cas au sujet de la valorisation ou de l’élimination – s’écartant éventuellement de ce qui est prévu à l’article 2, paragraphe 2, première et deuxième phrases, de la présente convention – des déchets résiduels dans ces installations. Les parties sont libres de convenir la suspension des obligations réciproques en application de l’article 7 également dans un cas relevant de l’article 8, première phrase.

Article 9

Stockage provisoire

En cas d’évènement relevant de l’article 8, paragraphe 1, le syndicat, dans le cadre de la réciprocité de la présente convention, par priorité à un recours au réseau d’assistance mutuelle, stocke, dans la mesure du possible et à ses frais, les déchets à livrer par lui provisoirement sur un terrain lui appartenant. Lorsque l’obstacle disparaît, les parties rattrapent l’exécution de leurs obligations, en tenant dûment compte de leurs capacités respectives. L’obligation de stockage provisoire est soumise à la réserve que l’autorisation au titre de la réglementation de protection contre les émissions soit octroyée pour le terrain du syndicat.

Article 10

Obligation de coopération loyale

Les parties s’obligent à coopérer toujours en pleine confiance et loyalement en vue de la réalisation des objectifs poursuivis au moyen de la présente convention et à se tenir toujours mutuellement informées de tout développement ou de toute modification susceptible d’avoir une incidence sur l’exécution de la présente convention.

[...] »

10      Après avoir vainement formé une réclamation contre cette convention qui constituait, selon elle, une attribution directe illégale d’un marché public, Remondis, qui est une société privée active dans le domaine du traitement des déchets, a formé, le 3 décembre 2018, un recours devant la Vergabekammer Rheinland-Pfalz (chambre des marchés publics du Land de Rhénanie-Palatinat, Allemagne).

11      Par décision du 6 mars 2019, la Vergabekammer Rheinland-Pfalz (chambre des marchés publics du Land de Rhénanie-Palatinat) a déclaré le recours irrecevable, au motif que la convention en cause au principal constituait une coopération entre deux pouvoirs adjudicateurs qui relevait de l’article 108, paragraphe 6, du GWB et de l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24 et qui, comme telle, ne pouvait faire l’objet d’un recours.

12      Cette juridiction a notamment relevé que le syndicat s’est obligé à livrer annuellement une quantité, fixée à 10 000 Mg, de déchets résiduels au District, afin que ce dernier les traite dans l’installation TBM de Linkenbach. Par ce traitement mécanique et biologique, le District parviendrait à ce qu’une partie des déchets soit valorisée et que leur volume soit considérablement réduit. Le syndicat, quant à lui, se serait engagé par la convention en cause au principal à reprendre les restes à mettre en décharge, qui représentent environ 46 % des intrants, et à les éliminer sous sa propre responsabilité. Les deux parties auraient ainsi contracté des obligations synallagmatiques, ce qui établirait l’existence d’une coopération au sens de l’article 108, paragraphe 6, du GWB et de l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24. En outre, à l’article 9 de cette convention, les parties auraient convenu que, dans les cas relevant de l’article 8 de ladite convention, le syndicat stockera, dans la mesure du possible, les déchets à ses frais sur un terrain lui appartenant, plutôt que d’avoir recours à un réseau d’assistance mutuelle. Le syndicat contracterait ainsi une obligation de stocker les déchets de façon provisoire en cas d’inexécution imputable au District, ce qui contribuerait à caractériser l’existence d’une coopération, au sens desdites dispositions.

13      Remondis a formé un recours contre la décision de la Vergabekammer Rheinland-Pfalz (chambre des marchés publics du Land de Rhénanie-Palatinat) devant la juridiction de renvoi, l’Oberlandesgericht Koblenz (tribunal régional supérieur de Coblence, Allemagne). Au soutien de ce recours, elle fait valoir que la coopération fondée sur le concept de coopération fait défaut et que la situation en cause au principal constitue un marché public devant faire l’objet d’un appel d’offres.

14      La juridiction de renvoi relève, à titre liminaire, que la valeur du marché en cause au principal, d’environ 1 million d’euros par an, dépasse le seuil à partir duquel l’introduction d’un recours est possible, qui est de 221 000 euros. En outre, la convention en cause au principal présenterait toutes les caractéristiques d’un marché public. Cependant, si les conditions énoncées à l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24 et à l’article 108, paragraphe 6, du GWB étaient satisfaites, ce marché public ne serait soumis ni au droit de l’Union ni au droit national relatifs aux marchés publics.

15      Le libellé de l’article 12, paragraphe 4, sous a), de la directive 2014/24 ne permettrait toutefois pas de déterminer si la convention en cause au principal « établit [...] une coopération entre les pouvoirs adjudicateurs participants dans le but de garantir que les services publics dont ils doivent assurer la prestation sont réalisés en vue d’atteindre les objectifs qu’ils ont en commun » et, partant, si elle relève du champ d’application du droit de l’Union sur les marchés publics. En outre, cette disposition ferait l’objet d’interprétations divergentes par les juridictions allemandes.

16      À cet égard, la juridiction de renvoi considère que la réception par le syndicat de déchets minéraux, fixée à 3 000 Mg par an par l’article 2 de la convention en cause au principal, était purement théorique et uniquement destinée à dissimuler l’absence de coopération. Il en irait de même de l’article 9 de cette convention, eu égard aux termes « dans la mesure du possible » figurant à cette disposition et au fait que, jusqu’alors, le syndicat n’aurait pas tenté d’obtenir l’autorisation nécessaire pour un stockage provisoire. Dès lors, le contenu de ladite convention se limiterait, en substance, à l’obligation du District, en tant que prestataire, de prétraiter, contre rémunération, les déchets résiduels livrés par le syndicat afin que la mise en décharge, qui est la mission du syndicat, soit possible.

17      Ainsi, même si les parties à la convention en cause au principal poursuivent toutes deux l’intérêt général consistant à valoriser et à éliminer les déchets, elles poursuivraient néanmoins dans ce cadre des intérêts propres distincts. Le syndicat devrait accomplir une mission qui lui a été confiée par la loi allemande. Or, ne disposant pas d’une installation de traitement biomécanique, il aurait sollicité l’assistance du District, lequel accroîtrait, en contrepartie, la rentabilité de son installation.

18      Selon la juridiction de renvoi, il ne saurait être déduit de cette considération que les conditions énoncées à l’article 12, paragraphe 4, sous a), de la directive 2014/24 ne sont pas remplies dans la mesure où, aux termes du considérant 33 de cette directive, les pouvoirs adjudicateurs auraient le droit « de fournir conjointement leurs services publics par la voie de la coopération, sans être contraints de recourir à une forme juridique particulière », à condition toutefois que « la coopération soit fondée sur le concept de coopération ». Il ne serait cependant pas exigé que tous les pouvoirs participants se chargent de l’exécution des principales obligations contractuelles, tant que l’engagement a été pris de coopérer à l’exécution du service public concerné.

19      Ces considérations laisseraient une marge d’interprétation et ne permettraient de déterminer ni si deux pouvoirs adjudicateurs, qui sont tous deux chargés de la gestion des déchets, coopèrent, au sens de l’article 12, paragraphe 4, sous a), de ladite directive, en raison du seul fait qu’ils se partagent la réalisation d’une tâche concrète de valorisation et d’élimination des déchets qui n’incombe qu’à un seul d’entre eux, ni si le syndicat « coopère à l’exécution commune » de cette mission de valorisation et d’élimination des déchets en versant une rémunération au District pour que ce dernier exécute une partie de la tâche qui lui incombe.

20      À cet égard, la juridiction de renvoi relève que le concept de « coopération » exige que la contribution de chaque partie dépasse la seule exécution d’une obligation à laquelle elle est déjà tenue ou d’une « contribution » purement financière. Une coopération supposerait, par conséquent, que chaque partie fournisse une contribution qui, en l’absence d’accord de coopération, devrait être fournie non pas par elle‑même, mais par l’une des autres parties.

21      C’est dans ce contexte que l’Oberlandesgericht Koblenz (tribunal régional supérieur de Coblence) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Convient-il d’interpréter l’article 12, paragraphe 4, sous a), de la [directive 2014/24], en ce sens qu’il suffit, pour qu’il y ait coopération, qu’un pouvoir adjudicateur, responsable sur son territoire de la valorisation et de l’élimination des déchets, n’accomplisse pas entièrement lui-même la tâche de valorisation et d’élimination qui lui incombe seul en vertu du droit national et qui requiert plusieurs opérations, mais charge un autre pouvoir adjudicateur, qui ne dépend pas de lui et qui est également responsable de la valorisation et de l’élimination des déchets sur son propre territoire, d’effectuer, contre rémunération, l’une des opérations nécessaires ? »

 Sur la question préjudicielle

22      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 4, sous a), de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens qu’une coopération entre pouvoirs adjudicateurs ne saurait être caractérisée lorsqu’un pouvoir adjudicateur, responsable sur son territoire d’une mission d’intérêt public, n’accomplit pas entièrement lui-même cette mission qui lui incombe seul en vertu du droit national et qui requiert l’accomplissement de plusieurs opérations, mais charge un autre pouvoir adjudicateur, qui ne dépend pas de lui et qui est également responsable de cette mission d’intérêt public sur son propre territoire, d’effectuer l’une des opérations requises contre rémunération.

23      Il convient de relever d’emblée que la notion de « coopération » figurant à l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24 n’est pas définie par cette directive.

24      Conformément à une jurisprudence constante, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union européenne, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes de celle-ci mais également de son contexte et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir, en ce sens, arrêts du 17 novembre 1983, Merck, 292/82, EU:C:1983:335, point 12 ; du 18 janvier 1984, Ekro, 327/82, EU:C:1984:11, point 11 ; du 19 septembre 2000, Linster, C‑287/98, EU:C:2000:468, point 43, ainsi que du 21 mars 2019, Falck Rettungsdienste et Falck, C‑465/17, EU:C:2019:234, point 28).  

25      Il ressort de l’article 12, paragraphe 4, sous a), de la directive 2014/24 qu’un marché conclu exclusivement entre deux pouvoirs adjudicateurs ou plus ne relève pas du champ d’application de la présente directive, lorsqu’il établit ou met en œuvre une coopération entre les pouvoirs adjudicateurs participants dans le but de garantir que les services publics dont ils doivent assurer la prestation sont réalisés en vue d’atteindre les objectifs qu’ils ont en commun.

26      Le libellé même de cette disposition place ainsi la notion de « coopération » au cœur même du dispositif d’exclusion prévu à ladite disposition.

27      Il importe peu, à cet égard, que le texte définitif de l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24 ne se réfère plus, contrairement à l’article 11, paragraphe 4, de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la passation des marchés publics du 20 décembre 2011 [COM(2011) 896 final], à l’exigence d’« une véritable coopération entre les pouvoirs adjudicateurs participants ».

28      En effet, sauf à considérer que l’intention du législateur de l’Union fût d’instaurer un dispositif reposant sur une coopération qui ne serait pas véritable ou encore de méconnaître l’effet utile de la coopération horizontale entre pouvoirs adjudicateurs, il convient de relever que l’exigence d’« une véritable coopération » ressort de la précision, énoncée au considérant 33, troisième alinéa, de la directive 2014/24, selon laquelle la coopération doit être « fondée sur le concept de coopération ». Une telle formulation, en apparence tautologique, doit être interprétée comme renvoyant à l’exigence d’effectivité de la coopération ainsi établie ou mise en œuvre.

29      Il s’ensuit que la participation conjointe de toutes les parties à l’accord de coopération est indispensable pour garantir que les services publics dont ils doivent assurer la prestation sont réalisés et que cette condition ne saurait être réputée satisfaite lorsque l’unique contribution de certains cocontractants se limite à un simple remboursement des frais, tels que ceux visés à l’article 5 de la convention en cause au principal.

30      Au demeurant, si un tel remboursement des frais suffisait à lui seul à caractériser une « coopération », au sens de l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24, aucune différenciation ne pourrait être établie entre une telle « coopération » et un « marché public » qui n’est pas couvert par l’exclusion prévue à cette disposition.

31      Cette interprétation de la notion de « coopération », au sens de l’article 12, paragraphe 4, de cette directive, est d’ailleurs corroborée par le considérant 31, deuxième alinéa, de ladite directive qui énonce que la seule circonstance que les deux parties à un accord sont elles‑mêmes des pouvoirs publics n’exclut pas en soi l’application des règles relatives à la passation des marchés publics.

32      En outre, la conclusion d’un accord de coopération entre entités appartenant au secteur public doit apparaître comme l’aboutissement d’une démarche de coopération entre les parties à celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2009, Commission/Allemagne, C‑480/06, EU:C:2009:357, point 38). L’élaboration d’une coopération entre entités appartenant au secteur public présente, en effet, une dimension intrinsèquement collaborative, qui fait défaut dans une procédure de passation d’un marché public relevant des règles prévues par la directive 2014/24.

33      Ainsi, la préparation d’un accord de coopération présuppose que les entités du secteur public qui envisagent de conclure un tel accord définissent en commun leurs besoins et les solutions à y apporter. En revanche, une telle phase d’évaluation et de définition des besoins est, en règle générale, unilatérale dans le cadre de la passation d’un marché public ordinaire. Dans cette dernière hypothèse, le pouvoir adjudicateur se contente, en effet, de lancer un appel d’offres mentionnant les spécifications qu’il a lui-même arrêtées.

34      Il s’ensuit que l’existence d’une coopération entre entités appartenant au secteur public repose sur une stratégie, commune aux partenaires de cette coopération, et nécessite que les pouvoirs adjudicateurs unissent leurs efforts pour fournir des services publics.

35      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que l’accord conclu entre le syndicat et le District ne révèle aucune forme de coopération entre ces parties contractantes. En effet, la juridiction de renvoi a relevé, en substance, que seule la clause contenue à l’article 2, paragraphe 3, de la convention en cause au principal est susceptible de donner lieu au développement d’une coopération entre les parties contractantes. Cependant, après que les parties contractantes ont soutenu que cette clause constituait une déclaration d’intention, le syndicat a expressément admis, dans le cadre de la procédure devant la Vergabekammer Rheinland-Pfalz (chambre des marchés publics du Land de Rhénanie-Palatinat), que ladite clause était sans objet.

36      En outre, il ne semble pas ressortir du dossier dont dispose la Cour que la conclusion de la convention en cause au principal constitue l’aboutissement d’une démarche de coopération entre le syndicat et le District, ce qu’il appartiendra néanmoins à la juridiction de renvoi de vérifier.

37      Enfin, ni le fait que, conformément à l’article 2, paragraphe 2, et à l’article 4, paragraphe 3, de la convention en cause au principal, le syndicat doit reprendre en vue de les mettre en décharge les déchets résiduels, lesquels correspondent à 46 % des intrants, ni la circonstance que la rémunération du District prend uniquement la forme, en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de cette convention, d’un remboursement de frais sans prise en compte d’une marge bénéficiaire pour les frais de fonctionnement courants ne sauraient suffire à établir l’existence d’une authentique coopération entre le syndicat et le District.

38      Dès lors, la convention en cause au principal paraît avoir uniquement pour objet l’acquisition d’une prestation moyennant le versement d’une rémunération. Dans ces conditions, et sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, le marché public en cause au principal ne serait pas visé par l’exclusion prévue à l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24.

39      Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 12, paragraphe 4, sous a), de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens qu’une coopération entre pouvoirs adjudicateurs ne saurait être caractérisée lorsqu’un pouvoir adjudicateur, responsable sur son territoire d’une mission d’intérêt public, n’accomplit pas entièrement lui-même cette mission qui lui incombe seul en vertu du droit national et qui requiert l’accomplissement de plusieurs opérations, mais charge un autre pouvoir adjudicateur, qui ne dépend pas de lui et qui est également responsable de cette mission d’intérêt public sur son propre territoire, d’effectuer l’une des opérations requises contre rémunération.

 Sur les dépens

40      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

L’article 12, paragraphe 4, sous a), de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE, doit être interprété en ce sens qu’une coopération entre pouvoirs adjudicateurs ne saurait être caractérisée lorsqu’un pouvoir adjudicateur, responsable sur son territoire d’une mission d’intérêt public, n’accomplit pas entièrement lui-même cette mission qui lui incombe seul en vertu du droit national et qui requiert l’accomplissement de plusieurs opérations, mais charge un autre pouvoir adjudicateur, qui ne dépend pas de lui et qui est également responsable de cette mission d’intérêt public sur son propre territoire, d’effectuer l’une des opérations requises contre rémunération.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.