Language of document : ECLI:EU:C:2012:442

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

12 juillet 2012 (*)

«Recours en manquement – Article 56 TFUE – Réglementation allemande en matière d’assurance dépendance – Prestations en nature de soins à domicile exclues en cas de séjour dans un autre État membre – Niveau inférieur des prestations en espèces exportables – Absence de remboursement des frais liés à la location de matériel de soins dans d’autres États membres»

Dans l’affaire C‑562/10,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 30 novembre 2010,

Commission européenne, représentée par MM. F. Bulst et I. Rogalski, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. T. Henze et J. Möller, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de chambre, MM. U. Lõhmus, A. Rosas, A. Ó Caoimh (rapporteur) et C. G. Fernlund, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 18 avril 2012,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que:

–        en n’accordant selon le libellé de l’article 34, paragraphe 1, point 1, du livre XI du code de la sécurité sociale (Sozialgesetzbuch — Elftes Buch), dans sa version applicable à l’espèce (ci-après le «SGB XI»), l’allocation de dépendance que pour une durée de six semaines en cas de séjour temporaire dans un autre État membre de l’Union européenne;

–        en ne prévoyant pas, pour les prestations de soins fournies par un prestataire établi dans un autre État membre à une personne dépendante séjournant temporairement dans un autre État membre, le remboursement des frais à concurrence du montant des prestations de soins accordées en Allemagne, voire en excluant un tel remboursement en vertu de l’article 34, paragraphe 1, point 1, du SGB XI;

–        en ne remboursant pas les frais de location de matériel de soins lors d’un séjour temporaire de la personne dépendante dans un autre État membre de l’Union, voire en excluant un tel remboursement en vertu de l’article 34, paragraphe 1, point 1, du SGB XI, alors que ce matériel serait remboursé ou que des matériels de soins de santé seraient mis à disposition en Allemagne et que le remboursement n’entraînerait pas de cumul ou d’autre augmentation des prestations accordées en Allemagne,

la République fédérale d’Allemagne a manqué à ses obligations découlant de l’article 56 TFUE.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

2        L’article 1er du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) nº 592/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008 (JO L 177, p. 1, ci-après le «règlement no 1408/71»), prévoit:

«Aux fins de l’application du présent règlement:

[...]

i)      le terme ‘séjour’ signifie le séjour temporaire;

[...]

o)      le terme ‘institution compétente’ désigne:

i)      l’institution à laquelle l’intéressé est affilié au moment de la demande de prestations

ou

[...]

p)      les termes ‘institution du lieu de résidence’ et ‘institution du lieu de séjour’ désignent respectivement l’institution habilitée à servir les prestations au lieu où l’intéressé réside et l’institution habilitée à servir les prestations au lieu où l’intéressé séjourne, selon la législation que cette institution applique ou, si une telle institution n’existe pas, l’institution désignée par l’autorité compétente de l’État membre concerné;

q)      le terme ‘État compétent’ désigne l’État membre sur le territoire duquel se trouve l’institution compétente;

[...]»

3        Ainsi qu’il ressort de son intitulé, le titre III du règlement nº 1408/71 porte dispositions particulières aux différentes catégories de prestations.

4        Sous le chapitre I de ce titre III, intitulé «Maladie et maternité», figurent les articles 18 à 36 du règlement no 1408/71.

5        L’article 22 du règlement nº 1408/71, ainsi qu’il ressort de son intitulé, porte notamment sur les séjours des assurés hors de l’État compétent au sens dudit règlement. Son paragraphe 1 dispose:

«Le travailleur salarié ou non salarié qui satisfait aux conditions requises par la législation de l’État compétent pour avoir droit aux prestations [...] et:

[...]

c)      qui est autorisé par l’institution compétente à se rendre sur le territoire d’un autre État membre pour y recevoir des soins appropriés à son état,

a droit:

i)      aux prestations en nature servies, pour le compte de l’institution compétente, par l’institution du lieu de séjour ou de résidence, selon les dispositions de la législation qu’elle applique, comme s’il y était affilié, la durée de service des prestations étant toutefois régie par la législation de l’État compétent;

ii)      aux prestations en espèces servies par l’institution compétente selon les dispositions de la législation qu’elle applique. Toutefois, après accord entre l’institution compétente et l’institution du lieu de séjour [...], ces prestations peuvent être servies par cette dernière institution pour le compte de la première, selon des dispositions de la législation de l’État compétent.»

6        L’article 31 du règlement nº 1408/71, intitulé «Séjour du titulaire et/ou des membres de sa famille dans un État membre autre que celui où ils ont leur résidence», figure dans la section 5 dudit chapitre I, intitulée «Titulaires de pensions ou de rentes et membres de leur famille». Il dispose à son paragraphe 1:

«Le titulaire d’une pension ou d’une rente due au titre de la législation d’un État membre ou de pensions ou de rentes dues au titre des législations de deux ou plusieurs États membres qui a droit aux prestations au titre de la législation d’un de ces États membres, ainsi que les membres de sa famille qui séjournent sur le territoire d’un État membre autre que celui où ils résident, bénéficient:

a)      des prestations en nature qui s’avèrent nécessaires du point de vue médical au cours d’un séjour sur le territoire d’un État membre autre que l’État de résidence, compte tenu de la nature des prestations et de la durée prévue du séjour. Ces prestations en nature sont servies par l’institution du lieu de séjour, selon les dispositions de la législation qu’elle applique, à la charge de l’institution du lieu de résidence du titulaire ou des membres de sa famille;

b)      des prestations en espèces servies, le cas échéant, par l’institution compétente [...], selon les dispositions de la législation qu’elle applique. Toutefois, après accord entre l’institution compétente et l’institution du lieu de séjour, ces prestations peuvent être servies par cette dernière institution pour le compte de la première, selon les dispositions de la législation de l’État compétent.»

7        Conformément à l’article 36 du règlement no 1408/71, les prestations en nature servies par l’institution d’un État membre pour le compte de l’institution d’un autre État membre, en vertu notamment des articles 22 ou 31 de ce règlement, donnent lieu à remboursement intégral. De tels remboursements sont déterminés et effectués conformément aux articles 93 à 95 du règlement (CEE) no 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement no 1408/71 (JO L 74, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 120/2009 de la Commission, du 9 février 2009 (JO L 39, p. 29).

 Le droit allemand

8        Le SGB XI prévoit un régime d’assurance contre le risque de dépendance (ci‑après l’«assurance dépendance»). Selon l’article 1er, paragraphe 2, première phrase, du SGB XI, «[t]oute personne affiliée au régime légal d’assurance maladie est couverte de plein droit par l’assurance dépendance».

9        En cas de soins à domicile, les prestations dont peuvent bénéficier les assurés au titre de l’assurance dépendance obligatoire sont les prestations en nature («Pflegesachleistung»), conformément à l’article 36 du SGB XI, et/ou l’«allocation de dépendance» («Pflegegeld»), conformément aux articles 37 ou 38 du SGB XI. Le montant de ces prestations, tant en nature qu’en espèces, dépend du degré de dépendance, qui donne lieu à un classement dans des catégories allant de I à III. Les prestations pour matériel de soins de santé sont accordées conformément à l’article 40 du SGB XI.

10      Au titre de l’article 36 du SGB XI, les personnes dépendantes soignées à domicile ont droit à des prestations en nature sous la forme de soins généraux («Grundpflege») et d’aide à domicile pour les tâches ménagères («häusliche Pflegehilfe»). Ces prestations sont fournies soit par des soignants engagés par la caisse d’assurance dépendance, soit par des prestataires de soins à domicile avec lesquels les caisses d’assurance dépendance ont conclu une convention de prestation («Versorgungsvertrag»). Les frais relatifs à ces prestations en nature sont pris en charge par cette caisse dans la limite d’un plafond mensuel, variable en fonction du degré de dépendance du bénéficiaire. Ce plafond était, au moment de l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé en l’espèce, de 440 euros, 1 040 euros ou 1 510 euros selon le degré de dépendance. Pour les personnes ayant un degré de dépendance très élevé, dénommées les «cas de rigueur», ce montant peut atteindre 1 918 euros.

11      L’article 37 du SGB XI prévoit la possibilité de demander une allocation de dépendance, servie en espèces et à la place des prestations en nature, à la condition que la personne dépendante veille elle-même, de manière adéquate, à ce que les soins généraux requis soient fournis et à ce que les tâches ménagères soient effectuées. Le montant de l’allocation de dépendance, forfaitaire et indépendant des frais effectivement encourus était, au moment de l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé en l’espèce, de 225 euros, 430 euros ou 685 euros par mois selon le degré de dépendance. Il n’est pas prévu de montant particulier pour les cas de rigueur.

12      L’article 38 du SGB XI régit les prestations mixtes («Kombinationsleistung»), à savoir la combinaison de prestations en nature au sens de l’article 36 du SGB XI et de l’allocation de dépendance prévue à l’article 37 du SGB XI. Conformément audit article 38, l’assuré qui n’utilise pas la totalité des prestations en nature auxquelles il a droit en vertu de cet article 36 peut obtenir, en parallèle, l’allocation de dépendance visée audit article 37, dont le montant est toutefois diminué d’un pourcentage correspondant à celui de l’utilisation des prestations en nature visées audit article 36. Il appartient au bénéficiaire de décider dans quelle proportion il entend se prévaloir de ces dernières prestations. La décision de l’assuré quant à la proportion dans laquelle il entend se prévaloir de ces deux prestations en nature et en espèces lie l’assuré pour une durée de six mois.

13      L’article 40 du SGB XI prévoit que les personnes dépendantes ont le droit de bénéficier de matériel de soins permettant de faciliter l’exécution des soins, de soulager les douleurs ou d’accroître l’autonomie, à la condition toutefois qu’aucun autre prestataire n’ait l’obligation de fournir ces prestations pour matériel de soins. Si, au titre de ces dispositions, l’assuré a le droit de bénéficier de matériel de soins, celui-ci doit, de préférence, être mis à disposition sous forme de prêt par les caisses d’assurance dépendance, dans la mesure où la nature du matériel le permet. À défaut, les frais pour matériel de soins sont remboursés, mais une partie de ceux-ci reste à la charge de l’assuré.

14      L’article 34, paragraphe 1, du SGB XI, intitulé «Suspension des droits aux prestations», se lisait comme suit:

«Le droit à prestations est suspendu:

1.      tant que l’assuré séjourne à l’étranger. En cas de séjours temporaires à l’étranger, d’une durée inférieure ou égale à six semaines par année civile, l’allocation de dépendance au sens de l’article 37 ou l’allocation au prorata au sens de l’article 38 continue d’être versée. Pour les prestations de soins, le remboursement est prévu uniquement si la personne qui fournit habituellement les soins accompagne l’assuré pendant son séjour à l’étranger,

[...]»

15      Conformément à l’article 7 de la loi du 22 juin 2011 portant coordination des régimes de sécurité sociale en Europe et modification d’autres lois (Gesetz zur Koordinierung der Systeme der sozialen Sicherheit in Europa und zur Änderung anderer Gesetze), l’article 34 du SGB XI a été modifié par l’ajout du texte suivant:

«(1a) Le droit à une allocation de dépendance au titre de l’article 37 ou à une allocation au prorata au titre de l’article 38 n’est pas suspendu lorsque des assurés dépendants séjournent dans un État membre de l’Union européenne, un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou en Suisse».

 La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour

16      À la suite d’une plainte, introduite au cours de l’année 2006 contre l’administration allemande par un couple de résidents allemands ayant séjourné deux mois en Espagne et relative au remboursement des prestations de soins et de location de matériel de santé qui leur a été accordé, l’attention de la Commission a été attirée sur le fait que, en cas de séjour temporaire dans un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne d’une personne assurée au titre de l’assurance dépendance, les articles 36, 37 et 40 du SGB XI prévoiraient des prestations nettement inférieures à celles prévues lorsque les soins étaient dispensés en Allemagne, en méconnaissance de l’article 56 TFUE.

17      La Commission a alors demandé aux autorités allemandes de lui fournir des éclaircissements sur la réglementation nationale litigieuse et a, au regard de ceux-ci, adressé à la République fédérale d’Allemagne une lettre de mise en demeure en date du 17 octobre 2008.

18      N’étant pas satisfaite des réponses fournies par la République fédérale d’Allemagne, la Commission a adressé, le 23 novembre 2009, un avis motivé à cet État membre, l’invitant à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa réception.

19      La République fédérale d’Allemagne ayant, dans sa réponse du 25 janvier 2010, maintenu sa position, la Commission a introduit le présent recours.

20      La Commission ayant pris connaissance, par le mémoire en duplique de la République fédérale d’Allemagne, de la modification apportée à l’article 34 du SGB XI par la loi du 22 juin 2011, elle a indiqué à la Cour, par acte du 2 décembre 2011, qu’elle se désistait partiellement de son recours en tant que celui-ci tendait à faire constater que la République fédérale d’Allemagne avait manqué à ses obligations découlant de l’article 56 TFUE en limitant, selon le libellé de l’article 34, paragraphe 1, point 1, du SGB XI, le droit à l’allocation de dépendance à six semaines lors d’un séjour temporaire de la personne dépendante dans un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne.

 Sur le recours

21      Après son désistement partiel tel que précisé au point précédent, la Commission fait valoir, en substance, par un premier grief, que la République fédérale d’Allemagne a manqué à ses obligations découlant de l’article 56 TFUE en ce qu’elle ne prévoit pas, pour les prestations de soins à domicile fournies par un prestataire établi dans un autre État membre à une personne dépendante séjournant temporairement dans cet État, le remboursement des frais à concurrence du montant des prestations de soins accordées en Allemagne.

22      Par un second grief, la Commission reproche à cet État membre d’avoir manqué à ses obligations découlant de l’article 56 TFUE en ce qu’il ne rembourse pas les frais de location de matériel de soins lors d’un séjour temporaire de la personne dépendante dans un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne, alors que ce matériel serait remboursé ou que des matériels de soins de santé seraient mis à disposition en Allemagne et que le remboursement n’entraînerait pas de cumul ou d’autre augmentation des prestations accordées en Allemagne.

23      L’argumentation sous-tendant ces deux griefs présentant des similitudes, il convient en l’espèce de les traiter ensemble.

 Argumentation des parties

 Sur l’existence de restrictions à la libre prestation des services

24      La Commission affirme que la jurisprudence en matière de remboursement de frais de traitements médicaux survenus dans d’autres États membres peut être transposée en l’espèce. Elle cite à cet égard les arrêts du 28 avril 1998, Kohll (C‑158/96, Rec. p. I‑1931); du 12 juillet 2001, Smits et Peerbooms (C‑157/99, Rec. p. I‑5473); Vanbraekel e.a. (C‑368/98, Rec. p. I‑5363); du 13 mai 2003, Müller-Fauré et van Riet (C‑385/99, Rec. p. I‑4509); du 23 octobre 2003, Inizan (C‑56/01, Rec. p. I‑12403), ainsi que du 16 mai 2006, Watts (C‑372/04, Rec. p. I‑4325).

25      Dans ces conditions, la Commission fait valoir, par son premier grief, que la réglementation allemande en matière de prestations en nature, à savoir l’article 36 du SGB XI, crée une restriction discriminatoire en ce que le remboursement des frais pour les prestations de soins fournies lors d’un séjour temporaire dans un autre État membre par un prestataire de services établi dans cet État n’est pas prévu. En outre, le montant de l’allocation de dépendance serait inférieur au montant d’un tel remboursement.

26      Selon la Commission, le système allemand de conventions de prestations ne traite pas de manière égale les prestataires de soins à l’étranger et en Allemagne. En effet, alors que, en Allemagne, de nombreux prestataires ont signé une convention de prestations, à la connaissance de la Commission, il n’existerait, en revanche, aucun prestataire conventionné dans les autres États membres. Par conséquent, les personnes dépendantes assurées en Allemagne n’auraient aucune possibilité de recours, dans d’autres États membres, à des prestations en nature de l’assurance dépendance, alors qu’ils pourraient en bénéficier en Allemagne auprès des prestataires conventionnés.

27      Par son second grief, la Commission fait valoir que les dispositions allemandes concernant les soins prodigués à l’aide de matériel de soins au titre de l’article 40 du SGB XI créent une restriction discriminatoire en ce que les frais encourus pour la location et l’utilisation d’un tel matériel dans les autres États membres ne sont pas remboursés, alors qu’ils l’auraient été, à tout le moins à concurrence d’un certain plafond, pour des soins prodigués en Allemagne.

28      La République fédérale d’Allemagne soutient que le remboursement des prestations de soins ambulatoires en vertu de l’article 36 du SGB XI ne constitue pas une restriction de la libre prestation des services. Cet État membre précise que si des personnes dépendantes recourent à des prestations en nature de prestataires qui n’ont pas conclu de convention avec les caisses d’assurance dépendance, ces dernières ne remboursent les frais correspondants ni à l’étranger ni en Allemagne. Ainsi, tous les prestataires non conventionnés par les caisses d’assurance maladie seraient traités de la même manière.

29      De surcroît, de l’avis de la République fédérale d’Allemagne, la Commission méconnaît la circonstance selon laquelle, pendant un séjour temporaire, la perte de la possibilité de recourir aux prestations en nature servies par la République fédérale d’Allemagne serait compensée par la possibilité, prévue par le droit dérivé de l’Union, de recourir à des prestations servies par le biais des institutions responsables de l’État de séjour temporaire. Dans ces conditions, l’existence d’une restriction à la libre prestation des services serait exclue.

30      La République fédérale d’Allemagne admet que le seul fait qu’une disposition nationale soit conforme au règlement no 1408/71 ne dispense pas les États membres du respect du droit primaire relatif à la libre prestation des services. Toutefois, cet État membre considère qu’il ne s’ensuit pas que les droits résultant du droit dérivé et destinés précisément à protéger les assurés ne devraient pas être pris en considération lorsqu’il s’agit de constater s’il existe une restriction à cette liberté fondamentale. En effet, l’hypothèse contraire remettrait en cause tant l’esprit que la finalité du règlement no 1408/71, ainsi que ceux du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO L 166, p. 1), qui lui a succédé.

31      Selon la République fédérale d’Allemagne, il importe peu que les montants des prestations prévues au titre du risque de dépendance dans les autres États membres ne soient pas les mêmes que ceux accordés par l’assurance dépendance. En effet, le droit de l’Union reposerait sur l’idée que des différences entre les montants des prestations prévues par les systèmes de sécurité sociale des États membres peuvent et doivent être acceptées. Si tel n’était pas le cas, la coordination des institutions de sécurité sociale, notamment la délimitation de leurs compétences respectives, serait toujours incertaine, puisque tout renvoi à un système de protection sociale moins avantageux deviendrait impossible du point de vue de la libre prestation des services. La République fédérale d’Allemagne considère qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour que, par l’interaction du droit dérivé et du droit primaire, le droit de l’Union tolère l’existence de différences quant aux montants des prestations accordées par les régimes de sécurité sociale des États membres.

32      De même, s’agissant du second grief, tiré de l’absence de remboursement de la location de matériel de soins dans un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne, cet État fait valoir que la possibilité d’un cumul de prestations exclut l’existence d’une restriction à la libre prestation de services. La République fédérale d’Allemagne relève que même la Commission, dans sa requête, a exclu qu’il puisse s’agir d’une restriction à la libre prestation des services lorsque la location de matériel de soins dans un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne représente, pour les caisses d’assurance dépendance allemandes, une charge supplémentaire qui s’ajoute au financement du matériel de soins en Allemagne.

 Sur la justification

33      Dans l’hypothèse où l’existence d’une restriction à la libre prestation serait établie, la République fédérale d’Allemagne fait valoir tout d’abord que, en Allemagne, la garantie de la qualité des services de soins est assurée par des prescriptions strictes concernant l’agrément de ces services ainsi que par des contrôles fréquents. Selon cet État membre, dès lors que les prescriptions de qualité concernent tant la nature des activités que les mesures individuelles de garantie de qualité, il est difficilement en mesure de vérifier que les soins fournis dans un autre État membre respectent ces prescriptions.

34      Ensuite, la République fédérale d’Allemagne fait valoir que le maintien d’un système de soins ambulatoires requiert une organisation et des moyens financiers importants, de sorte qu’il importe notamment d’éviter la sous-occupation du personnel soignant pendant les périodes de vacances.

35      Enfin, selon cet État membre, l’équilibre financier du système de sécurité sociale allemand serait menacé si les soins en nature dispensés à l’étranger étaient couverts. La République fédérale d’Allemagne observe à cet égard que, dans le domaine de l’assurance dépendance, à la différence de celui de l’assurance maladie, il existe une prestation distincte exportable, à savoir l’allocation de dépendance, permettant à toutes les personnes dépendantes de financer, en Allemagne et à l’étranger, des soins dispensés par des prestataires non conventionnés. Si les assurés dépendants pouvaient exporter les prestations en nature, et non seulement la prestation en espèces qui est l’allocation de dépendance, la volonté du législateur allemand d’inciter les personnes dépendantes à recourir aux soins servis par leur propre famille pourrait être remise en cause.

36      Selon la République fédérale d’Allemagne, une obligation d’exporter à l’étranger des prestations en nature imposerait une charge financière globale nettement plus importante à l’assurance dépendance, mettant en danger le principe du financement solidaire de l’assurance dépendance. En effet, un tel passage risquerait d’imposer des charges supplémentaires à l’assurance dépendance pouvant aller jusqu’à 100 millions d’euros par an.

37      Par ailleurs, les normes de qualité imposées pour le remboursement des prestataires de soins seraient fondées sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, ce qui fixerait des limites au pouvoir d’appréciation des autorités nationales.

38      La Commission fait valoir que l’argumentation tirée de la protection de la santé publique et, en particulier, du respect des prescriptions de qualité ne saurait être retenue dans la mesure où la République fédérale d’Allemagne n’a démontré ni le risque présumé pour la santé publique des soins ne respectant ces prescriptions ni la proportionnalité du refus systématique de remboursement.

39      La Commission soutient, en substance, que, contrairement à la position de la République fédérale d’Allemagne, les considérations portant sur l’offre suffisante, équilibrée et permanente de soins hospitaliers de qualité et la nécessité de garantir la stabilité financière du système de l’assurance maladie découlant de la jurisprudence relative aux soins hospitaliers ne sont pas transposables aux soins ambulatoires en cause en l’espèce.

 Appréciation de la Cour

40      À titre liminaire, il convient de rappeler que, comme il ressort des points 21 et 22 du présent arrêt et ainsi que Mme l’avocat l’a relevé au point 48 de ses conclusions, le présent recours n’est pas dirigé contre le système allemand de conventionnement des prestataires de soins à domicile aux personnes dépendantes.

41      Ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, dans le cadre d’une procédure en manquement, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué en apportant à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence du manquement (voir, notamment, arrêts du 25 mai 1982, Commission/Pays-Bas, 96/81, Rec. p. 1791, point 6, et du 5 octobre 2010, Commission/France, C‑512/08, Rec. p. I‑8833, point 56).

42      Dans cette optique, il s’agit en l’occurrence d’apprécier si, dans le cadre des deux griefs de la Commission, exposés aux points 21 et 22 du présent arrêt et qu’il convient d’examiner ensemble, celle-ci a apporté la preuve qui lui incombait.

43      Ainsi qu’il ressort du point 24 du présent arrêt, la Commission estime que la jurisprudence portant sur le remboursement de frais de traitements médicaux dispensés dans d’autres États membres peut être transposée à la réglementation allemande portant sur le risque de dépendance en vue d’identifier l’existence de restrictions à la libre prestation des services.

44      À cet égard, il y a lieu de préciser d’emblée que la dépendance peut être comprise, pour l’essentiel, comme désignant la situation dans laquelle, en raison d’une autonomie réduite, une personne est tributaire de l’assistance d’autrui pour accomplir les gestes essentiels de la vie quotidienne (voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2011, da Silva Martins, C‑388/09, Rec. p. I‑5737, points 39 et 40).

45      Il ressort en outre de la jurisprudence issue de l’arrêt du 5 mars 1998, Molenaar (C‑160/96, Rec. p. I‑843), que, en l’absence, dans le règlement nº 1408/71, de dispositions visant spécifiquement le risque d’une telle dépendance, la Cour a assimilé des prestations couvrant ce risque, telles que celles fournies dans le cadre du régime d’assurance dépendance allemand, à des «prestations de maladie», au sens dudit règlement (voir, en ce sens, arrêt da Silva Martins, précité, points 39 à 48).

46      Il ressort de cette même jurisprudence que les prestations de l’assurance dépendance consistant en une prise en charge ou en un remboursement de frais occasionnés par l’état de dépendance de l’assuré, notamment des frais destinés à couvrir des soins prodigués à domicile par des tierces personnes ainsi que la fourniture et l’installation d’équipements nécessaires à l’assuré, entrent dans la notion de «prestations en nature», au sens du titre III du règlement nº 1408/71 (voir, en ce sens, arrêts Molenaar, précité, points 5, 6, 23 et 32, ainsi que du 8 juillet 2004, Gaumain-Cerri et Barth, C‑502/01 et C‑31/02, Rec. p. I‑6483, point 26).

47      De plus, conformément à une jurisprudence constante, les prestations médicales fournies contre rémunération relèvent du champ d’application des dispositions du traité FUE relatives à la libre prestation des services, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que les soins sont dispensés dans un cadre hospitalier ou en dehors d’un tel cadre (voir, notamment, arrêts précités Smits et Peerbooms, point 53, ainsi que Commission/France, point 30).

48      Dans ce contexte, les circonstances que la réglementation en cause relève du domaine de la sécurité sociale ou prévoie une intervention en nature ne sont pas de nature à soustraire les traitements médicaux du champ d’application de la libre prestation des services garantie par le traité FUE (voir, en ce sens, arrêt Müller-Fauré et van Riet, précité, point 39).

49      Selon une jurisprudence également constante, si le droit de l’Union ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale et si, en l’absence d’une harmonisation au niveau de l’Union, il appartient à la législation de chaque État membre de déterminer les conditions d’octroi des prestations en matière de sécurité sociale, il demeure toutefois que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres doivent respecter le droit de l’Union, notamment les dispositions relatives à la libre prestation des services (voir en ce sens, notamment, arrêts Kohll, précité, points 17 à 21; du 16 juillet 2009, von Chamier-Glisczinski, C‑208/07, Rec. p. I‑6095, point 63, et du 27 janvier 2011, Commission/Luxembourg, C‑490/09, Rec. p. I‑247, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

50      Toutefois, à la différence de ce que la Commission semble supposer dans ses écritures, il ne saurait être déduit de la seule jurisprudence, mentionnée au point 24 du présent arrêt, portant sur le remboursement de frais de traitements médicaux dispensés dans d’autres États membres que la réglementation allemande en cause en l’espèce soit constitutive d’une restriction à la libre prestation des services.

51      En effet, si, ainsi qu’il ressort du point 45 du présent arrêt, en l’absence, dans le règlement nº 1408/71, de dispositions visant spécifiquement le risque de dépendance, des prestations portant sur ce risque sont à assimiler aux «prestations de maladie», au sens de ce règlement, il n’en demeure pas moins qu’il existe des différences entre les prestations portant sur le risque de dépendance et celles liées aux traitements purement médicaux (voir en ce sens, notamment, arrêt da Silva Martins, précité, points 47 et 48). En particulier, à la différence des prestations liées aux traitements médicaux, des prestations portant sur le risque de dépendance — ces dernières étant généralement de longue durée —, n’ont, en principe, pas vocation à être versées à court terme (voir, en ce sens, arrêt da Silva Martins, précité, point 48).

52      Dans ces conditions, il ne suffit pas en l’espèce, aux fins d’établir l’existence de restrictions résultant de la réglementation litigieuse, de se borner à invoquer, sans précision ni développements particuliers, la jurisprudence mentionnée au point 24 du présent arrêt.

53      De surcroît, si la Commission rappelle que le droit dérivé ne dispense pas l’État membre d’affiliation en matière de sécurité sociale de respecter le droit primaire, ce que, ainsi qu’il ressort du point 30 du présent arrêt, la République fédérale d’Allemagne ne conteste d’ailleurs pas, ladite institution n’a cependant pas répondu aux arguments de la République fédérale d’Allemagne, exposés aux points 29 à 32 du présent arrêt, tirés de la possibilité, découlant du règlement nº 1408/71, que les assurés au titre de la dépendance bénéficient, lors d’un séjour temporaire dans un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne, des prestations en nature servies par l’institution de l’État membre de séjour pour le compte de l’institution compétente, située en Allemagne.

54      En tout état de cause, il y a lieu de relever que, conformément au règlement nº 1408/71, dont la validité des dispositions pertinentes n’est pas remise en cause en l’espèce, et qui était applicable entre les États membres de l’Union au terme du délai imparti dans l’avis motivé, un assuré dépendant pourrait même bénéficier d’une combinaison de prestations en espèces et en nature dont le montant cumulé excède celui des prestations analogues disponibles sur le territoire de l’État compétent.

55      En effet, lorsque les conditions prévues pour leur application sont remplies, les dispositions de l’article 22, paragraphe 1, sous c), de ce règlement et, s’agissant des «titulaires de pensions ou de rentes», celles de l’article 31 de celui-ci ont vocation à assurer, notamment, le bénéfice, dans un État membre autre que celui de l’institution compétente, des prestations en nature servies, pour le compte de celle-ci, par l’institution du lieu de séjour, conformément à la législation applicable à l’institution de cet autre État membre, ainsi que des prestations en espèces, conformément à la législation applicable à l’institution compétente, servies soit directement par cette dernière institution, soit pour le compte de celle‑ci.

56      Il convient d’ajouter à cet égard que la Cour a déjà jugé, en matière de soins médicaux, que l’octroi des prestations en nature prévu à l’article 31 du règlement nº 1408/71 ne saurait être soumis ni à une quelconque procédure d’autorisation ni à l’exigence que l’affection ayant nécessité les soins en cause soit apparue de manière soudaine à l’occasion de ce séjour, rendant lesdits soins immédiatement nécessaires (voir arrêt du 25 février 2003, IKA, C‑326/00, Rec. p. I‑1703, point 43).

57      En outre, l’article 48 TFUE prévoyant une coordination des législations des États membres en matière de sécurité sociale, et non leur harmonisation, les règles du traité FUE en matière de libre circulation ne sauraient garantir à un assuré qu’un déplacement dans un autre État membre soit neutre sur le plan, notamment, de prestations de maladie ou de dépendance. En effet, compte tenu des disparités existant entre les régimes et les législations des États membres en la matière, un tel déplacement peut, selon le cas, être plus ou moins avantageux sur le plan financier pour l’affilié (voir en ce sens, notamment, arrêts du 19 mars 2002, Hervein e.a., C‑393/99 et C‑394/99, Rec. p. I‑2829, points 50 à 52; von Chamier-Glisczinski, précité, points 84 et 85, ainsi que du 15 juin 2010, Commission/Espagne, C‑211/08, Rec. p. I‑5267, point 61 et jurisprudence citée).

58      En conséquence, lors d’un séjour temporaire dans un État membre, l’application, le cas échéant en vertu des dispositions du règlement nº 1408/71, de la réglementation nationale de cet État qui serait moins favorable sur le plan des prestations de sécurité sociale que celle de l’État compétent, au sens de l’article 1er, sous q), dudit règlement, peut, en principe, être conforme aux exigences du droit primaire de l’Union en matière de libre circulation des personnes (voir notamment, par analogie, arrêts précités von Chamier-Glisczinski, points 85 et 87, ainsi que da Silva Martins, point 72).

59      Par ailleurs, dans le cadre du second grief, exposé au point 22 du présent arrêt, la Commission a elle-même exclu l’existence d’une restriction à la libre prestation de services lorsque la location de matériel de soins dans un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne entraîne, pour les caisses d’assurance dépendance allemandes, une charge supplémentaire qui s’ajoute au financement du matériel de soins déjà fourni en Allemagne.

60      Or, il convient de rappeler à cet égard que, selon l’article 36 du règlement no 1408/71, les prestations en nature servies, en vertu du titre III dudit règlement, par l’institution d’un État membre pour le compte de l’institution d’un autre État membre donnent lieu à un remboursement intégral.

61      Il s’ensuit que la Commission n’a pas répondu utilement à l’argumentation de la République fédérale d’Allemagne tirée de la possibilité que, conformément au titre III du règlement nº 1408/71, un assuré dépendant bénéficie, dans un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne, du matériel de soins qui s’ajoute au matériel similaire déjà financé en Allemagne.

62      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit l’existence de restrictions à la libre prestation des services résultant de la réglementation litigieuse.

63      Dans ces conditions, aucun des griefs invoqués par la Commission au soutien de son recours n’étant fondé, ce recours doit être rejeté.

 Sur les dépens

64      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

65      La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)      Le recours est rejeté.

2)      La Commission européenne est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.