Language of document : ECLI:EU:T:2018:726

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

25 octobre 2018 (*)

« Référé – Concurrence – Euro Interbank Offered Rates (Euribor) – Euro Interest Rate Derivatives (EIRD) – Rejet de la demande de traitement confidentiel de certaines informations figurant dans une décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE – Principe de la présomption d’innocence – Demande de mesures provisoires – Défaut de fumus boni juris »

Dans l’affaire T‑419/18 R,

Crédit agricole, établi à Montrouge (France),

Crédit agricole Corporate and Investment Bank, établi à Montrouge,

représentés par Mes J.-P. Tran Thiet, J. Jourdan, J.‑J. Lemonnier, avocats, et M. M. Powell, solicitor,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. B. Mongin, M. Farley et Mme F. van Schaik, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE et tendant, d’une part, au sursis à l’exécution de la décision C(2018) 2743 final de la Commission, du 27 avril 2018, relative aux griefs soulevés par Crédit agricole et Crédit agricole Corporate and Investment Bank concernant la divulgation d’informations par leur publication, conformément à l’article 8 de la décision 2011/695/UE du président de la Commission européenne du 13 octobre 2011 relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence [affaire AT.39914 – Produits dérivés de taux d’intérêt en euro (EIRD)] et, d’autre part, à ordonner à la Commission de s’abstenir de publier une version de sa décision C(2016) 8530 final, du 7 décembre 2016, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen [affaire AT.39914 – Produits dérivés de taux d’intérêt en euro (EIRD)] contenant des éléments prétendument confidentiels,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        Le 7 décembre 2016, la Commission européenne a adopté la décision C(2016) 8530 final relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen [affaire AT.39914 – Produits dérivés de taux d’intérêt en euro (EIRD)] (ci-après la « décision EIRD »).

2        À l’article 1er de la décision EIRD, il est constaté que les requérants, Crédit agricole et Crédit agricole Corporate and Investment Bank, ont enfreint, pendant la période allant du 16 octobre 2006 au 19 mars 2007, l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) en prenant part à une infraction unique et continue concernant des produits dérivés de taux d’intérêt en euros.

3        Conformément à l’article 2 de la décision EIRD, une amende a été infligée aux requérants.

4        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 février 2017, les requérants ont demandé, en substance, l’annulation de la décision EIRD pour ce qui les concernait. Le recours a été enregistré sous le numéro d’affaire T‑113/17.

5        Depuis lors, des discussions relatives à la publication de la décision EIRD ont eu lieu entre les requérants et la Commission.

6        Le 27 avril 2018, le conseiller-auditeur a adopté, au nom de la Commission, la décision C(2018) 2743 final, relative aux griefs soulevés par les requérants concernant la divulgation d’informations par leur publication, conformément à l’article 8 de la décision 2011/695/UE du président de la Commission européenne du 13 octobre 2011 relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence [affaire AT.39914 – Produits dérivés de taux d’intérêt en euro (EIRD)] (ci-après la « décision attaquée »).

7        Selon l’article 1er de la décision attaquée, les griefs relatifs à la publication de la décision EIRD sont rejetés, à l’exception de ceux qui sont devenus obsolètes du fait que la direction générale (DG) de la concurrence s’est résolue à occulter certains passages.

8        Selon l’article 2 de la décision attaquée, les éléments d’information pour lesquels les griefs sont rejetés ne seront pas publiés avant l’expiration du délai de recours.

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 juillet 2018, les requérants ont demandé, en substance, l’annulation de la décision attaquée.

10      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, les requérants ont introduit une demande en référé, au titre des articles 278 et 279 TFUE, dans laquelle ils concluent, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de la décision attaquée en tant que la demande de traitement confidentiel des informations litigieuses est rejetée ;

–        enjoindre à la Commission de s’abstenir de publier une version de la décision EIRD contenant les informations litigieuses avant que la « Cour de justice de l’Union européenne ait statué sur le recours formé dans l’affaire T‑113/17 » ;

–        accorder les mesures demandées avant le 13 juillet 2018 et avant l’audition de l’autre partie ;

–        condamner la Commission aux dépens.

11      À la suite d’une mesure d’organisation de la procédure du 11 juillet 2018, la Commission s’est engagée à ne pas publier la décision EIRD contenant les éléments litigieux avant la clôture de la présente procédure de référé.

12      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 23 juillet 2018, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande de mesures provisoires ;

–        réserver les dépens.

 En droit

 Généralités

13      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure du Tribunal. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

14      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

15      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

16      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

17      Par ailleurs, aux termes de l’article 156, paragraphe 4, seconde phrase, du règlement de procédure, les demandes en référé « contiennent toutes les preuves et offres de preuves disponibles, destinées à justifier l’octroi des mesures provisoires ».

18      Ainsi, une demande en référé doit permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur cette demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde devant ressortir du texte même de ladite demande (voir ordonnance du 6 septembre 2016, Inclusion Alliance for Europe/Commission, C‑378/16 P‑R, non publiée, EU:C:2016:668, point 17 et jurisprudence citée).

19      Enfin, si la demande en référé peut être complétée sur des points spécifiques par des renvois à des pièces qui y sont annexées, ces dernières ne sauraient pallier l’absence des éléments essentiels dans ladite demande. Il n’incombe pas au juge des référés de rechercher, en lieu et place de la partie concernée, les éléments contenus dans les annexes de la demande en référé, dans la requête ou dans les annexes de la requête déposée dans l’affaire principale qui seraient de nature à corroborer la demande en référé. Une telle obligation mise à la charge du juge des référés serait d’ailleurs de nature à priver d’effet l’article 156, paragraphe 5, du règlement de procédure qui prévoit que la demande relative à des mesures provisoires doit être présentée par acte séparé (voir ordonnance du 20 juin 2014, Wilders/Parlement e.a., T‑410/14 R, non publiée, EU:T:2014:564, point 16 et jurisprudence citée).

20      S’agissant de l’examen du point de savoir s’il est urgent d’octroyer des mesures provisoires afin d’empêcher la divulgation d’informations prétendument confidentielles, il convient de constater que cette appréciation, portant sur le point de savoir si existe un risque de survenance d’un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui sollicite les mesures provisoires, se recoupe, dans une certaine mesure, avec l’examen de l’existence d’un fumus boni juris lié au caractère confidentiel desdites informations, dont se prévaut la partie qui demande lesdites mesures [ordonnances du 12 juin 2018, Nexans France et Nexans/Commission, C‑65/18 P(R), EU:C:2018:426, point 15, et du 23 novembre 2017, Nexans France et Nexans/Commission, T‑423/17 R, non publiée, EU:T:2017:835, point 46].

21      En effet, selon la jurisprudence, l’examen du point de savoir si des informations relèvent du secret professionnel s’effectue, d’une manière générale, par une analyse à trois étapes, à savoir, premièrement, que ces informations ne soient connues que par un nombre restreint de personnes, deuxièmement, que leur divulgation soit susceptible de causer un préjudice sérieux à la personne qui les a fournies ou à des tiers et, enfin, troisièmement, que les intérêts susceptibles d’être lésés par la divulgation de telles informations soient objectivement dignes de protection (voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2015, Evonik Degussa/Commission, T‑341/12, EU:T:2015:51, point 94 et jurisprudence citée).

22      Par conséquent, ce n’est que lorsque, d’une part, le demandeur en référé allègue que les informations dont il vise à empêcher, à titre provisoire, la publication constituent des secrets d’affaires ou sont par ailleurs couvertes par le secret professionnel et que, d’autre part, cette allégation remplit la condition du fumus boni juris, que le juge des référés est, en principe, tenu, dans le cadre de son examen de la condition relative à l’urgence, de partir de la prémisse selon laquelle ces informations sont, respectivement, des secrets d’affaires ou couvertes par le secret professionnel [ordonnance du 12 juin 2018, Nexans France et Nexans/Commission, C‑65/18 P(R), EU:C:2018:426, point 21].

23      Ainsi, il n’est pas suffisant, aux fins de se voir octroyer le bénéfice de mesures provisoires, d’avoir allégué que les informations qui viendraient à être divulguées revêtent un caractère confidentiel, lorsqu’une telle allégation ne remplit pas la condition du fumus boni juris [ordonnance du 12 juin 2018, Nexans France et Nexans/Commission, C‑65/18 P(R), EU:C:2018:426, point 22].

24      Dans ces conditions, il convient d’examiner d’abord si la condition relative au fumus boni juris est remplie.

25      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

 Sur la condition relative au fumus boni juris

26      S’agissant de la condition relative à l’existence d’un fumus boni juris, il convient de rappeler que cette condition est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est le cas dès lors que l’un de ces moyens révèle l’existence d’un différend juridique ou factuel important dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond [voir, en ce sens, ordonnances du 3 décembre 2014, Grèce/Commission, C‑431/14 P‑R, EU:C:2014:2418, point 20 et jurisprudence citée, et du 1er mars 2017, EMA/MSD Animal Health Innovation et Intervet international, C‑512/16 P(R), non publiée, EU:C:2017:149, point 59 et jurisprudence citée].

27      S’agissant du contentieux relatif à la protection provisoire d’informations prétendument confidentielles, il résulte d’un courant de jurisprudence que le juge des référés, sous peine de méconnaître la nature intrinsèquement accessoire et provisoire de la procédure de référé, ne saurait, en principe, conclure à l’absence de fumus boni juris que dans l’hypothèse où le caractère confidentiel des informations en cause ferait manifestement défaut [voir ordonnance du 1er mars 2017, EMA/MSD Animal Health Innovation et Intervet international, C‑512/16 P(R), non publiée, EU:C:2017:149, point 60 et jurisprudence citée].

28      Néanmoins, il résulte d’un autre courant de jurisprudence que les conditions telles que rappelées au point 26 ci-dessus continuent de s’appliquer indépendamment du fait que l’affaire est relative à la protection provisoire d’informations prétendument confidentielles [voir, en ce sens, ordonnance du 10 septembre 2013, Commission/Pilkington Group, C‑278/13 P(R), EU:C:2013:558, points 68 et 69].

29      Dans la présente affaire, il n’y a pas lieu de trancher la question de savoir quel courant de jurisprudence devrait être suivi s’agissant de la publication d’informations prétendument confidentielles contenues dans une décision de la Commission relative à une procédure concernant l’article 101 TFUE.

30      En effet, en l’espèce et sans préjudice de l’examen dans le cadre du recours dans l’affaire principale, il est manifeste que les requérants ne sont pas parvenus à démontrer un fumus boni juris suffisant à justifier l’octroi des mesures provisoires sollicitées en prétendant que les informations qui viendraient à être divulguées revêtaient un caractère confidentiel.

31      En premier lieu, les requérants soutiennent que la décision attaquée a rejeté à tort leurs demandes d’occulter complètement ou partiellement les considérants 116, 118, 124, 140, 165, 183, 189, 190, 191, 210, 213, 214 215, 216, 217, 218, 219, 224, 225, 226, 227, 228, 229, 246, 247, 248, 269, 270, 278, 279, 280, 281, 282, 292, 293, 294, 304, 305, 306, 307, 316, 319, 320, 321, 328, 444, 456, 467, 468, 485, 489, 502, 619, 622, 624, 627, 628, 728, 729, 750, 751, 752, 753, 768, 769 et 770, ainsi que les notes de bas de page nos 208, 209, 210, 211, 212, 213, 235, 236, 240, 241, 242, 243, 244, 245, 246, 247, 248, 252 253, 254, 255, 256, 257, 258, 277, 295, 296, 297, 303, 304, 305, 314, 315, 326, 327, 328, 339, 340, 341, 411, 412, 467, 516, 527, 558, 560, 647, 665, 679, 760, 777, 778 et 779 de la décision EIRD, dans la mesure où y sont décrits les détails de leur comportement prétendument infractionnel.

32      Premièrement, les requérants soutiennent que la publication de ces éléments avant que le Tribunal ne se soit prononcé sur le recours dans l’affaire principale, et donc avant qu’ils n’aient pu bénéficier d’un procès équitable, constituerait une violation du principe de la présomption d’innocence.

33      Les requérants, plutôt que d’essayer de démontrer que les éléments dont ils invoquent la confidentialité sont « par leur nature » confidentiels ou couverts par le secret d’affaires, semblent soutenir que, par principe, l’ensemble de la description de leur comportement prétendument infractionnel doit être considéré comme confidentiel en vertu du principe de la présomption d’innocence.

34      À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort de l’article 28, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), que la Commission est tenue de ne pas divulguer les informations qui, « par leur nature », sont couvertes par le secret professionnel.

35      En outre, il résulte de l’article 30 du règlement no 1/2003 que la Commission publie les décisions qu’elle prend, notamment, en vertu des articles 7 et 23 de ce règlement et que la publication mentionne le nom des parties intéressées et l’essentiel de la décision, y compris les sanctions imposées, et doit tenir compte de l’intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d’affaires ne soient pas divulgués.

36      Conformément à la jurisprudence, l’intérêt d’une entreprise, à laquelle la Commission a infligé une amende pour violation du droit de la concurrence, à ce que les détails du comportement infractionnel qui lui est reproché ne soient pas divulgués au public ne mérite aucune protection particulière, compte tenu de l’intérêt du public à connaître le plus amplement possible les motifs de toute action de la Commission, de l’intérêt des opérateurs économiques à savoir quels sont les comportements susceptibles de les exposer à des sanctions et de l’intérêt des personnes lésées par l’infraction à en connaître les détails afin de pouvoir faire valoir, le cas échéant, leurs droits à l’encontre des entreprises sanctionnées et compte tenu de la possibilité dont dispose cette entreprise de soumettre une telle décision à un contrôle juridictionnel (voir arrêt du 28 janvier 2015, Evonik Degussa/Commission, T‑341/12, EU:T:2015:51, point 107 et jurisprudence citée).

37      En outre, il est légitime, pour la Commission, de décrire, dans une décision constatant une infraction et infligeant une sanction, le contexte factuel et historique dans lequel s’insère le comportement incriminé. Il en va de même de la publication de cette description, étant donné qu’elle peut être utile pour permettre au public intéressé de comprendre pleinement les motifs d’une telle décision. À cet égard, il appartient à la Commission de juger de l’opportunité de l’inclusion de pareils éléments (arrêt du 30 mai 2006, Bank Austria Creditanstalt/Commission, T‑198/03, EU:T:2006:136, point 89).

38      En effet, si la Commission est donc soumise à une obligation générale de ne publier que des versions non confidentielles de ses décisions, il n’est pas nécessaire d’interpréter l’article 30, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 en ce sens qu’il accorderait un droit spécifique aux destinataires des décisions adoptées au titre des articles 7 à 10, 23 et 24 du règlement no 1/2003 leur permettant de s’opposer à la publication par la Commission des informations qui, quoique non confidentielles, ne sont pas « essentielles » pour la compréhension du dispositif de ces décisions (voir, par analogie, arrêt du 30 mai 2006, Bank Austria Creditanstalt/Commission, T‑198/03, EU:T:2006:136, point 77).

39      Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence que l’article 30 du règlement no 1/2003 répond à des considérations tenant à l’effectivité de l’application du droit de la concurrence de l’Union dans la mesure où, notamment, une telle publication permet de fournir aux victimes d’infractions à l’article 101 TFUE un appui dans leurs actions en réparation à l’encontre des auteurs de ces infractions. Ces divers intérêts doivent toutefois être mis en balance avec la protection de droits que le droit de l’Union confère, notamment, aux entreprises concernées, tels que le droit à la protection du secret professionnel ou du secret des affaires, ou aux particuliers concernés, tels que le droit à la protection des données personnelles (arrêt du 14 mars 2017, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P, EU:C:2017:205, point 78).

40      Il résulte de la jurisprudence rappelée aux points 36 à 39 ci-dessus que, à première vue, la thèse des requérants selon laquelle le principe de la présomption d’innocence s’opposerait, de manière générale, à la publication, par la Commission, de la décision EIRD incluant leurs noms et les détails de leur comportement prétendument infractionnel ne saurait être retenue.

41      Deuxièmement, les requérants s’appuient sur l’arrêt du 12 octobre 2007, Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission (T‑474/04, EU:T:2007:306). Il est vrai que le Tribunal a reconnu, aux points 74 à 80 dudit arrêt, que la publication de constatations de la Commission relatives à une infraction commise par une entreprise pouvait, dans la mesure où cette entreprise était dans l’impossibilité de les soumettre à un contrôle juridictionnel, se heurter à l’application du principe de la présomption d’innocence, impliquant que celles-ci doivent, en principe, être considérées comme étant confidentielles vis-à-vis du public.

42      Toutefois, il convient de rappeler que la particularité de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 octobre 2007, Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission (T‑474/04, EU:T:2007:306), consiste dans le fait que, d’une part, la décision de la Commission en cause constatait la participation de la partie requérante à l’infraction tout en concluant que la poursuite de celle-ci était prescrite et que, d’autre part, la partie requérante, n’ayant pas eu qualité pour agir contre la décision de la Commission, avait été empêchée en droit de pouvoir contester en justice les constatations de la Commission.

43      Or, en l’espèce, les requérants ont saisi le Tribunal d’un recours visant l’annulation de la décision EIRD pour ce qui les concernait et ne prétendent pas qu’il leur serait impossible de contester les constatations de la Commission relatives à leur comportement prétendument infractionnel.

44      Ainsi, la situation des requérants, disposant incontestablement d’une voie de recours contre la décision EIRD, ne peut pas, a priori, être assimilée à celle prévalant dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 octobre 2007, Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission (T‑474/04, EU:T:2007:306).

45      Partant, les requérants ne sauraient, a priori, fonder leur allégation de confidentialité de l’ensemble des détails de leur comportement prétendument infractionnel sur l’arrêt du 12 octobre 2007, Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission (T‑474/04, EU:T:2007:306).

46      Troisièmement, les requérants soutiennent que la divulgation des informations litigieuses serait susceptible de leur causer un préjudice sérieux, en portant préjudice à leurs intérêts commerciaux, en nuisant à leur réputation et en permettant l’utilisation de ces informations par des autorités réglementaires ou par des entités cherchant à engager des procédures en responsabilité.

47      À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que les requérants invoquent la confidentialité de 60 considérants et 47 notes en bas de page de la décision EIRD qui devraient être occultés partiellement ou complètement.

48      Or, hormis l’affirmation selon laquelle les informations litigieuses sont confidentielles, la demande en référé contient peu d’éléments spécifiques quant à la nature et au contenu desdites informations, éléments pourtant nécessaires aux fins d’examiner si les critères rappelés au point 21 ci-dessus sont réunis. Notamment, les requérants ne cherchent pas à démontrer que les informations litigieuses revêtent une sensibilité commerciale intrinsèque pouvant être exploitée par leurs concurrents dans le cadre du jeu normal de la concurrence.

49      Ensuite, il résulte de la jurisprudence que des informations qui ont été secrètes ou confidentielles, mais qui datent de cinq ans ou plus, doivent, du fait de l’écoulement du temps, être considérées, en principe, comme historiques et comme ayant perdu, de ce fait, leur caractère secret ou confidentiel, à moins que, exceptionnellement, la partie qui se prévaut de ce caractère ne démontre que, en dépit de leur ancienneté, ces informations constituent encore des éléments essentiels de sa position commerciale ou de celles de tiers concernés. Ces considérations, qui conduisent à une présomption réfragable, sont valables tant dans le contexte de demandes de traitement confidentiel à l’égard de parties intervenantes dans le cadre de recours devant le juge de l’Union que dans le contexte de demandes de confidentialité en vue de la publication par la Commission d’une décision constatant une infraction au droit de la concurrence (arrêt du 14 mars 2017, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P, EU:C:2017:205, point 64).

50      En l’espèce, les informations litigieuses concernent, a priori, des faits intervenus avant l’année 2008. Or, les requérants ne cherchent pas à démontrer les raisons pour lesquelles lesdites informations, de par leur nature, n’auraient pas perdu leur caractère secret ou confidentiel malgré l’écoulement du temps.

51      Enfin, il convient de rappeler la jurisprudence relative à l’intérêt d’une société ayant participé à une infraction à l’article 101 TFUE d’éviter de s’exposer au risque d’une éventuelle condamnation à des dommages et intérêts par une juridiction nationale du fait de sa participation à une telle infraction.

52      Il en résulte qu’un tel intérêt ne constitue pas un intérêt digne de protection, eu égard notamment au droit dont dispose toute personne de demander réparation du préjudice que lui aurait causé un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence (voir arrêt du 28 janvier 2015, Evonik Degussa/Commission, T‑341/12, EU:T:2015:51, point 110 et jurisprudence citée).

53      En effet, obliger la Commission à ne pas divulguer des informations au seul motif que celles-ci pourraient constituer des éléments de preuve dans un recours tendant à réparer le dommage causé par une entreprise du fait d’avoir commis une infraction aux règles de droit de l’Union reviendrait à exiger de la Commission qu’elle maintienne des informations confidentielles dans le seul but de protéger l’intérêt des destinataires d’une décision constatant l’existence d’une infraction aux règles de droit de l’Union de la concurrence à rendre inaccessibles aux demandeurs en réparation des éléments de preuve (voir, en ce sens, ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, points 48 et 49).

54      Or, d’une part, aucune règle de droit de l’Union ne charge la Commission de protéger un tel intérêt en lui imposant de maintenir le caractère confidentiel d’informations, telles que les informations en cause, contrairement à l’obligation de transparence mise à sa charge par l’article 15 TUE et, plus spécifiquement en l’espèce, par l’article 30 du règlement no 1/2003. D’autre part, l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne (JO 2014, L 349, p. 1) dispose expressément que l’intérêt qu’ont les entreprises à éviter des actions en dommages et intérêts à la suite d’infractions au droit de la concurrence n’est pas de nature à justifier une protection (ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 50).

55      Dans ces conditions, l’allégation des requérants selon laquelle les informations litigieuses devraient être considérées comme confidentielles en raison du préjudice sérieux qui leur serait occasionné en cas de divulgation ne saurait, a priori, être retenue.

56      Quatrièmement, les requérants font valoir que la pratique administrative de la Commission consistant à publier ses décisions avant le contrôle de leur légalité par le juge porterait atteinte au caractère complet de la protection juridictionnelle, eu égard au fait que la Commission ne constitue pas un tribunal indépendant et impartial. Seul l’exercice d’un contrôle de pleine juridiction par un tribunal respectant le droit à un procès équitable serait capable de corriger les défaillances associées à la procédure menée par la Commission.

57      À cet égard, les requérants soulignent que la décision EIRD aurait été adoptée à la suite d’une procédure dite « hybride », à savoir que certaines entreprises ont opté pour transiger avec la Commission. De plus, le commissaire européen à la concurrence aurait violé, à plusieurs reprises, son devoir d’impartialité. Par ailleurs, dans sa décision adressée aux parties ayant transigé, la Commission aurait d’ores et déjà constaté la participation des requérants à l’infraction, sans que ces derniers aient eu l’opportunité de prendre position.

58      Les requérants en concluent que, dans « une telle procédure, le risque d’atteinte à la présomption d’innocence et au devoir d’impartialité est particulièrement élevé, ce qui justifie d’autant plus de retarder la publication des éléments contestés après que le Tribunal aura eu l’opportunité de corriger ces défaillances à travers l’exercice de son contrôle juridictionnel ». Ainsi, il serait « prématuré » pour la Commission de publier les détails du prétendu comportement infractionnel.

59      À cet égard, d’une part, il suffit de constater que, à première vue, la prémisse des requérants selon laquelle la publication des décisions relatives à une infraction à l’article 101 TFUE contenant les détails du comportement prétendument infractionnel porterait atteinte au caractère complet de la protection juridictionnelle effective semble être contredite par la jurisprudence rappelée aux points 36 à 39 ci-dessus.

60      D’autre part, il convient de constater que, a priori, l’argumentation des requérants se résume à des considérations quant à l’opportunité, pour la Commission, de retarder la publication de ces éléments, sans pour autant chercher à établir, conformément aux critères rappelés au point 21 ci-dessus, la confidentialité des informations en cause.

61      En deuxième lieu, les requérants soutiennent que la décision attaquée a rejeté à tort leurs demandes d’occulter complètement ou partiellement les considérants 177 à 179 et 619 ainsi que les notes en bas de page no 197 à 199 de la décision EIRD, dans la mesure où il est fait référence à eux en ce qui concerne des échanges ayant eu lieu le 4 octobre 2006.

62      Selon les requérants, la publication de ces références relatives aux échanges du 4 octobre 2006 constitue une violation du principe de la présomption d’innocence. Ils seraient tenus responsables, dans la décision EIRD, pour une période allant du 16 octobre 2006 au 19 mars 2007. Toutefois, les références aux requérants à propos des échanges du 4 octobre 2006 feraient allusion à un comportement infractionnel. Or, les requérants ne disposeraient pas de voie légale pour contester leur participation aux pratiques anticoncurrentielles en dehors de la période d’infraction retenue par la décision EIRD, de sorte que, conformément à l’arrêt du 12 octobre 2007, Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission (T‑474/04, EU:T:2007:306), cela constituerait une violation du principe de la présomption d’innocence.

63      À cet égard, il convient de rappeler, premièrement, qu’il résulte de la jurisprudence rappelée au point 37 ci-dessus que, en principe, il est légitime, pour la Commission, de décrire, dans une décision constatant une infraction et infligeant une sanction, le contexte factuel et historique dans lequel s’insère le comportement incriminé.

64      Deuxièmement, comme il résulte du point 42 ci-dessus, la particularité de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 octobre 2007, Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission (T‑474/04, EU:T:2007:306), consiste dans le fait que, d’une part, la décision de la Commission en cause constatait la participation de la partie requérante à l’infraction tout en concluant que la poursuite de celle-ci était prescrite et que, d’autre part, la partie requérante, n’ayant pas eu qualité pour agir contre la décision de la Commission, avait été empêchée en droit de pouvoir contester en justice les constatations de la Commission.

65      Toutefois, d’une part, il ressort du considérant 619 de la décision EIRD que les requérants ne sont tenus responsables d’une infraction qu’à partir du 16 octobre 2006. Dans la mesure où les échanges du 4 octobre 2006 sont rappelés audit considérant sans être inclus dans la période infractionnelle, il en résulte, a priori, que lesdits échanges ne sauraient être considérés comme des « allusions à un comportement infractionnel ». Partant, le principe de la présomption d’innocence ne saurait être, a priori, en cause.

66      D’autre part, les requérants ont saisi le Tribunal d’un recours visant, en substance, l’annulation de la décision EIRD pour ce qui les concernait.

67      Ainsi, la situation des requérants ne peut pas, a priori, être assimilée à celle prévalant dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 octobre 2007, Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission (T‑474/04, EU:T:2007:306).

68      Eu égard à ce qui précède, les requérants n’ont pas établi de fumus boni juris pour ce qui concerne l’allégation de confidentialité des informations litigieuses.

69      Dans la mesure où les requérants n’ont pas soulevé, contre la décision attaquée, d’autres griefs que ceux liés à la confidentialité examinés aux points 31 à 68 ci-dessus, il résulte de tout ce qui précède qu’il convient de rejeter la demande en référé en raison de l’absence de fumus boni juris, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la condition liée à l’urgence ou à la mise en balance des intérêts ni de traiter des questions de recevabilité liées au fait que les requérants demandent au Tribunal d’enjoindre à la Commission de s’abstenir de publier une version de la décision EIRD contenant les informations litigieuses avant que « la Cour de justice de l’Union européenne ait statué sur le recours formé dans l’affaire T‑113/17 ».

70      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 25 octobre 2018.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. Jaeger


*      Langue de procédure : le français.