Language of document : ECLI:EU:T:2017:8

Édition provisoire

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

17 janvier 2017 (*)

« Marchés publics de travaux – Procédure d’appel d’offres – Extension et remise à niveau du bâtiment Konrad Adenauer à Luxembourg – Annulation de la procédure d’appel d’offres – Obligation de motivation – Valeur du marché – Erreur manifeste d’appréciation »

Dans l’affaire T‑419/15,

Cofely Solelec, établie à Esch-sur-Alzette (Luxembourg),

Mannelli & Associés SA, établie à Bertrange (Luxembourg),

Cofely Fabricom, établie à Bruxelles (Belgique),

représentées par Me S. Marx, avocat,

parties requérantes,

contre

Parlement européen, représenté par Mme L. Chrétien et M. M. Mraz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation des décisions contenues dans les courriers portant la référence D(2015) 24297 et D(2015).28116 de la direction générale des infrastructures et de la logistique du Parlement européen, respectivement du 29 mai et du 11 juin 2015, notifiant aux requérantes l’annulation de la procédure d’appel d’offres INLO-D-UPIL-T-14-A04 pour l’attribution du lot n° 75, intitulé « Électricité – Courants forts », concernant le projet d’extension et de remise à niveau du bâtiment Konrad Adenauer à Luxembourg (Luxembourg),

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. M. Prek, président, Mme I. Labucka (rapporteur) et M. V. Kreuschitz, juges,

greffier : Mme M. Marescaux, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 4 octobre 2016,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Par un avis de marché du 1er juillet 2014, publié au Supplément au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2014/S 123), le Parlement européen a lancé la procédure d’appel d’offres INLO-D-UPIL-T-14-A04, pour des travaux relatifs à un projet d’extension et de remise à niveau du bâtiment Konrad Adenauer à Luxembourg (Luxembourg) (ci-après l’« appel d’offres »).

2        L’appel d’offres portait sur différents lots, dont le lot n° 75, intitulé « Électricité – Courants forts » (ci-après le « lot n° 75 »), en cause dans la présente affaire.

3        Le 29 septembre 2014, les requérantes, Cofely Solelec, Mannelli & Associés SA et Cofely Fabricom, ont répondu à l’appel d’offres en soumettant une offre pour le lot n° 75, se classant, en termes de coûts et après une première analyse des offres effectuée par le Parlement le 6 octobre 2014, au deuxième rang.

4        Par courrier du 1er décembre 2014, les requérantes ont attiré l’attention du Parlement sur de possibles irrégularités entachant l’offre classée provisoirement au premier rang, dans la mesure où, selon elles, cette dernière aurait présenté un prix anormalement bas et où l’attributaire n’aurait pas respecté les critères de sélection posés par le cahier des charges.

5        Le 27 février 2015, le Parlement a sollicité des soumissionnaires une prolongation de la validité de leurs offres, jusqu’au 28 septembre 2015, ce que les requérantes ont approuvé par courrier du 3 mars 2015.

6        Par courrier du 27 avril 2015, le Parlement a informé les requérantes, d’une part, du rejet de leur offre, dans la mesure où elles ne présentaient pas le prix le plus bas parmi les offres soumises, et, d’autre part, de l’attribution du lot n° 75 à un autre soumissionnaire (ci-après « la décision du 27 avril 2015 »).

7        Le 28 avril 2015, les requérantes ont informé le Parlement de leur volonté d’introduire un recours en annulation contre la décision du 27 avril 2015 et lui ont demandé la communication des motifs précis l’ayant conduit à attribuer le marché portant sur le lot n° 75 à l’offre la plus basse en dépit de leur courrier du 1er décembre 2014.

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 mai 2015, les requérantes ont formé un recours en annulation contre la décision du 27 avril 2015.

9        Parallèlement à l’introduction du recours en annulation, les requérantes ont demandé en référé le sursis à l’exécution de cette décision ainsi que la production du rapport du comité d’évaluation et les documents consignant l’ensemble des contacts du Parlement avec les différents soumissionnaires (ci-après les « documents en cause »).

10      Par ordonnance du 7 mai 2015, le président du Tribunal a ordonné le sursis à l’exécution de la décision du 27 avril 2015 en vertu de l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991.

11      Par courrier du 13 mai 2015, le Parlement a informé les requérantes de la suspension de la procédure de signature du contrat pour le lot n° 75.

12      Par courrier du 19 mai 2015, le Parlement a répondu au courrier des requérantes du 28 avril 2015 et communiqué en annexe une partie du rapport d’évaluation.

13      Le 20 mai 2015, le Parlement a adopté une décision dans laquelle il a souligné qu’il avait été décidé « d’annuler [la décision du 27 avril 2015] » et « d’annuler partiellement la procédure INLO-D-UPIL-T-14-A04 en ce qui concerne [le lot n° 75] » (ci-après la « décision du 20 mai 2015 »).

14      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 22 mai 2015, le Parlement a, dans ses observations sur la demande en référé mentionnée au point 9 ci-dessus, fait valoir que la demande était devenue sans objet, de sorte qu’il n’y avait plus lieu de statuer.

15      Par courrier du 29 mai 2015 portant la référence D(2015) 24297, le Parlement a informé les requérantes de l’annulation partielle de la procédure d’appel d’offres.

16      Le 2 juin 2015, les requérantes ont présenté leurs observations sur la demande de non-lieu à statuer du Parlement. Les requérantes ont déclaré leur intention de maintenir le recours principal, se sont réservé le droit de former un recours contre la décision du 20 mai 2015 et s’en sont remises au juge des référés s’agissant de la demande de non-lieu à statuer sur la demande en référé. Les requérantes ont également demandé qu’il fût ordonné au Parlement de produire les documents en cause.

17      Par courrier recommandé du 11 juin 2015 portant la référence D(2015) 28116, le Parlement a amendé et remplacé le courrier en date du 29 mai 2015, d’une part, en informant à nouveau les requérantes de l’annulation partielle de la procédure d’appel d’offres et, d’autre part, en leur indiquant la possibilité d’introduire un recours en annulation contre cette décision d’annulation à compter de la réception dudit courrier.

18      Par ordonnance du 12 juin 2015, Cofely Solelec e.a./Parlement (T‑224/15 R, non publiée, EU:T:2015:377), le juge des référés a considéré qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur la demande en référé, en ce compris la demande de production des documents en cause, et a condamné le Parlement aux dépens de la procédure en référé.

19      Par courrier du 18 juin 2015, le Parlement a informé les requérantes que la valeur du marché pour le lot n° 75 sur laquelle il s’était fondé s’élevait à 44 461 126 euros, incluant le prix de base, les options et les travaux en régie.

20      Par ordonnance du 10 décembre 2015, Cofely Solelec e.a./Parlement (T‑224/15, non publiée, EU:T:2015:1016), le Tribunal (quatrième chambre) a considéré qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur la demande en annulation de la décision du 27 avril 2015, en ce compris la demande de production des documents en cause, et a condamné le Parlement aux dépens de la procédure au principal.

 Procédure et conclusions des parties

21      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 juillet 2015, les requérantes ont formé le présent recours.

22      Par un courrier en date du 10 février 2016, le Parlement a informé le greffe du Tribunal qu’il ne souhaitait pas être entendu dans le cadre d’une audience de plaidoiries.

23      Les parties requérantes n’ont pas déposé de demande visant à être entendues lors d’une audience de plaidoiries, présentée au titre de l’article 106 du règlement de procédure du Tribunal, dans le délai imparti.

24      En application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

25      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l’audience du 4 octobre 2016.

26      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        juger le recours recevable ;

–        annuler la décision contenue dans le courrier du Parlement du 29 mai 2015 portant la référence D(2015) 24297, les informant de l’annulation partielle de la procédure d’appel d’offres, et la décision contenue dans le courrier recommandé du Parlement du 11 juin 2015 portant la référence D(2015) 28116, réitérant cette information et indiquant aux requérantes la possibilité d’introduire un recours en annulation contre cette décision d’annulation à compter de la réception dudit courrier (ci-après, prises ensemble, les « décisions attaquées ») ;

–        condamner le Parlement aux dépens.

27      Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

28      Au soutien de leurs recours, les requérantes invoquent deux moyens. Le premier est tiré, à titre principal, d’une absence de motivation et le second, à titre subsidiaire, d’une erreur manifeste d’appréciation commise par le Parlement dans la détermination de la valeur du marché.

 Sur le premier moyen, tiré d’une absence de motivation

 Arguments des parties

29      Les requérantes font valoir, à titre principal, que les décisions attaquées ne sont pas motivées ou, à tout le moins, qu’elles sont insuffisamment motivées.

30      Elles font valoir que, selon elles, le seul élément de motivation des décisions attaquées réside dans la référence au caractère excessif des offres des soumissionnaires évincés par rapport à l’estimation initiale de la valeur du marché. La référence additionnelle au non-respect par l’attributaire des critères de sélection ne saurait constituer un élément de motivation admissible.

31      S’agissant du caractère excessif des offres des soumissionnaires évincés, elles soutiennent que cette référence ne saurait être un élément de motivation suffisant, dans la mesure où le Parlement se borne à préciser que les offres reçues dépassent substantiellement « l’estimation initiale de la valeur du marché » sans aucune précision sur son montant.

32      Elles ajoutent que l’absence de précision quant au montant exact de la valeur du marché ne permet pas de contrôler si leur offre dépassait effectivement cette estimation et, dans l’affirmative, de vérifier quelles seraient les raisons de ce dépassement.

33      Elles soulignent qu’il appartenait au Parlement de préciser, dès l’adoption des décisions attaquées, le montant exact de l’estimation de la valeur du marché et non aux requérantes d’en deviner le montant à partir de l’offre de l’attributaire.

34      Selon les requérantes, l’indication ultérieure fournie par le Parlement, dans un courrier du 18 juin 2015, portant sur le seul montant agrégé de 44 461 126 euros, ne saurait compléter utilement la motivation des décisions attaquées.

35      Elles précisent que la communication par le Parlement du montant de la valeur du marché résulte non d’une demande expresse des requérantes en ce sens, mais du recours en annulation introduit dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 12 juin 2015, Cofely Solelec e.a./Parlement (T‑224/15 R, non publiée, EU:T:2015:377) (ci-après l’« affaire T‑224/15 R »).

36      En tout état de cause, les requérantes relèvent que la communication du montant agrégé de la valeur du marché demeure lacunaire en l’absence de référence faite au détail du calcul et à la date de son estimation.

37      En l’absence de telles précisions, les requérantes émettent des doutes quant à l’existence en fait et en droit, au jour de l’adoption des décisions attaquées, des éléments qui fondent le complément de motivation du 18 juin 2015.

38      Elles ajoutent qu’elles sont dans l'impossibilité de vérifier si leur offre était substantiellement supérieure à l'estimation du Parlement, comme prétendu par ce dernier, et pour quel motif, de sorte qu’un tel complément ne saurait constituer une motivation suffisante, en contradiction également avec le principe de transparence.

39      S’agissant du non-respect par l’attributaire des critères de sélection retenus par le Parlement, les requérantes soulignent que cet élément de motivation découle uniquement des contestations faites par elles depuis des mois dans le cadre de divers courriers, du recours en annulation dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 10 décembre 2015, Cofely Solelec e.a./Parlement (T‑224/15, non publiée, EU:T:2015:1016) (ci-après l’« affaire T‑224/15 »), et de la demande en référé dans l’affaire T‑224/15 R.

40      Dès lors, il ne saurait leur être reproché de ne pas avoir contesté cet élément de motivation dans la requête.

41      Si elles en approuvent le bien-fondé, elles estiment toutefois qu’ils ne sauraient constituer un élément de motivation de l’annulation de la procédure d’appel d’offres.

42      Pour sa part, le Parlement fait remarquer que les décisions attaquées reprennent intégralement le contenu de la décision du 20 mai 2015, laquelle a été communiquée aux requérantes dès le 22 mai 2015, dans le cadre de la procédure devant le Tribunal dans l’affaire T‑224/15 R. Il en va de même de la publication de l’annulation de l’appel d’offres pour le lot n° 75, en date du 24 juin 2015.

43      Il soutient que la décision du 20 mai 2015 était opposable aux requérantes, dans la mesure où, s’agissant d’une décision d’annulation d’un appel d’offres, le Parlement n’avait qu’une obligation d’information à l’égard des requérantes et non l’obligation de notifier ladite décision aux requérantes.

44      Or, le Parlement fait valoir que, en communiquant le 22 mai 2015, dans le cadre de la procédure devant le Tribunal dans l’affaire T‑224/15 R, la décision du 20 mai 2015, ce dernier a respecté son obligation d’information.

45      À cet égard, le Parlement ajoute que les requérantes auraient pu, dès cette date, exercer un recours contre la décision du 20 mai 2015.

46      S’agissant de l’obligation de motivation, le Parlement soutient que les requérantes étaient en mesure, à la lecture des décisions attaquées, de comprendre de manière claire et non équivoque les raisons de l’annulation de la procédure d’appel d’offres pour le lot n° 75.

47      Il souligne que la motivation ne repose pas seulement sur la valeur excessive des offres des soumissionnaires relativement à l’estimation initiale de la valeur du marché et du budget disponible, mais également sur les incertitudes relatives à la capacité de l’attributaire à remplir les critères de sélection.

48      S’agissant précisément de la valeur excessive des offres des soumissionnaires, le Parlement considère l’avoir suffisamment motivée et complétée, sans y être par ailleurs tenu, en communiquant, le 18 juin 2015, avant l’introduction du présent recours, l’estimation de la valeur du marché.

49      Cette précision découle, selon le Parlement, des critiques formulées par les requérantes dans leurs observations dans l’affaire T‑224/15 R.

50      S’agissant de l’absence de précision quant aux détails et à la date de l’estimation de la valeur du marché, le Parlement souligne que les requérantes disposaient des éléments de motivation nécessaires pour comprendre que leur offre était supérieure à la valeur du marché, telle que déterminée antérieurement à l’ouverture des offres.

51      Le Parlement précise que les requérantes étaient déjà en mesure de déduire du prix de l’offre de l’attributaire une estimation de la valeur du marché.

52      De même, le Parlement considère qu’il n’était pas nécessaire que les décisions attaquées fournissent, outre le montant de la valeur du marché, le détail de son estimation, au risque de faire peser sur le Parlement une obligation de motivation disproportionnée et de conférer un avantage aux requérantes en prévision du lancement d’une nouvelle procédure d’appel d’offres. Au contraire, il incombe aux requérantes, selon le Parlement, d’analyser les raisons pour lesquelles leur offre dépasse la valeur du marché.

53      En tout état de cause, d’une part, le Parlement soutient que la motivation des décisions attaquées demeure suffisante, et ce même en l’absence de communication du montant exact de l’estimation de la valeur du marché.

54      D’autre part, la simple référence à l’irrecevabilité de l’offre de l’attributaire, intervenue après vérification et préalablement à la signature du contrat, permettrait de satisfaire aux exigences de motivation des décisions attaquées.

55      Le Parlement précise que les requérantes n’avaient dans ce contexte aucun droit à l’attribution du marché après constatation de l’existence d’un problème concernant les critères de sélection de l’attributaire.

 Appréciation du Tribunal

56      À titre liminaire, il convient de souligner que les décisions attaquées motivent l’annulation de la procédure de marché comme suit :

« Après analyse approfondie de l’ensemble des pièces du dossier, il est apparu que l’offre de l’attributaire n’était toutefois pas recevable dans la mesure où les documents fournis concernant les critères de sélection ne permett[aient] pas d’avoir l’assurance que ceux-ci [étaient] pleinement satisfaits.

Les autres offres reçues, dont la vôtre, dépassent substantiellement l’estimation de la valeur du marché sur laquelle s’est fondé préalablement le pouvoir adjudicateur et sont dès lors inacceptables. »

57      Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 114 du règlement (UE, Euratom) n° 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil (JO 2012, L 298, p. 1) (ci-après « le règlement financier »), le pouvoir adjudicateur se doit de motiver les décisions par lesquelles il décide d’annuler la procédure de marché.

58      Selon l’article 116 du règlement financier, « [s]i, après l’attribution du marché, la procédure de passation ou l’exécution du marché se révèle entachée d'erreurs substantielles, d’irrégularités ou de fraude, le pouvoir adjudicateur peut s'abstenir de conclure le contrat, suspendre l'exécution de celui-ci ou, le cas échéant, le résilier, selon le stade atteint par la procédure ».

59      À cet égard, il ressort, tout d’abord, d’une jurisprudence constante que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 166).

60      S’agissant de l’intensité de la motivation, il n’est en rien exigé que la décision spécifie l’intégralité des différents éléments de fait et de droit pertinents. Le caractère suffisant de la motivation donnée à une décision peut être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi du contexte de son adoption et de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt du 8 octobre 2008, Sogelma/AER, T‑411/06, EU:T:2008:419, point 120). Il suffit que la décision explicite les principaux points de droit et de fait de façon même succincte, mais claire et pertinente (arrêt du 4 juillet 1963, Allemagne/Commission, 24/62, EU:C:1963:14, p. 143).

61      Par ailleurs, lorsqu’une décision a été adoptée dans un contexte bien connu de l’intéressé, elle peut être motivée de manière sommaire (voir, en ce sens, arrêts du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C‑156/98, EU:C:2000:467, point 105, et du 30 septembre 2003, Allemagne/Commission, C‑301/96, EU:C:2003:509, points 89 et 92).

62      En l’espèce, il y a lieu de relever, en premier lieu, que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, les décisions attaquées motivent l’annulation de la procédure de marché de deux manières. L’annulation repose, d’une part, sur le non-respect par l’attributaire des critères de sélection et, d’autre part, sur le caractère excessif des offres des autres soumissionnaires relativement à l’estimation initiale de la valeur du marché.

63      À cet égard, les décisions attaquées font apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement du Parlement, de manière à permettre aux requérantes de connaître les justifications des décisions attaquées et au Tribunal d’exercer son contrôle.

64      En effet, d’une part, le Parlement a indiqué qu’une analyse approfondie des pièces du dossier avait révélé que l’offre du soumissionnaire retenu n’était pas recevable, dans la mesure où les documents fournis concernant les critères de sélection ne permettaient pas d’avoir l’assurance que ceux-ci étaient pleinement satisfaits.

65      À cet égard, force est de constater que, compte tenu du très large pouvoir dont dispose le pouvoir adjudicateur en cette matière, cette explication aurait pu à elle seule suffire à motiver les décisions attaquées.

66      D’autre part, le Parlement a indiqué que le prix proposé dans les autres offres, dont celle des requérantes, dépassait substantiellement l’estimation de la valeur du marché sur laquelle s’était fondé préalablement le pouvoir adjudicateur et que, partant, ces autres offres étaient inacceptables.

67      À cet égard, il y a lieu, premièrement, de constater que, par lettre du 19 mai 2015, le Parlement a informé les requérantes du montant de l’offre proposé par l’attributaire, qui était inférieure à l’offre des requérantes de près de 11 millions d’euros.

68      Deuxièmement, le rapport d’évaluation annexé à la lettre du 19 mai 2015 précisait que « le montant de l’offre de l’attributaire se situait dans une fourchette acceptable par rapport à l’estimation du contrôleur des coûts réalisés sur la base des métrés détaillés et actualisés au 2 septembre 2014 ».

69      Il en va de même du contenu de la décision du 20 mai 2015, communiquée aux requérantes, dont il en ressort que « seule l’offre de l’attributaire présent[ait] un prix conforme à l’estimation initiale de la valeur du marché », offre dont le montant était connu des requérantes.

70      Troisièmement, indépendamment de la communication de l’estimation de la valeur du marché par lettre du 18 juin 2015, le Parlement avait, dès l’avis de marché, communiqué le montant minimal des travaux pour le lot n° 75.

71      Partant, eu égard à ce qui précède, les requérantes pouvaient, dans le contexte de l’adoption des décisions attaquées et sans tenir compte de la communication aux requérantes de l’estimation de la valeur du marché par lettre du 18 juin 2015, raisonnablement comprendre dans quelle mesure leur offre était supérieure à l’estimation initiale de la valeur du marché.

72      En second lieu, les requérantes ont participé à l’appel d’offres du Parlement et alerté ce dernier à plusieurs reprises sur les irrégularités de la procédure de marché, notamment pour ce qui concernait l’offre de l’attributaire, de sorte que le contexte de l’adoption des décisions attaquées leur était familier.

73      Partant, conformément à la jurisprudence citée au point 61 ci-dessus, les décisions attaquées pouvaient faire l’objet d’une motivation même sommaire.

74      En conséquence, eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter le premier moyen.

 Sur le second moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation

 Argument des parties

75      Les requérantes soutiennent, à titre subsidiaire, que, dans le cas où l’estimation de la valeur du marché constituerait un élément de motivation suffisant des décisions attaquées, le Parlement aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que la valeur du marché s’élevait à 44 461 126 euros, alors que ce montant ne correspondait pas à la réalité du marché et était sous-évalué.

76      À cet égard, les requérantes précisent que l’estimation de la valeur du marché est de près de 20 % inférieure à la moyenne des trois offres remises par les soumissionnaires, y compris celle des requérantes.

77      Elles ajoutent que cette sous-évaluation entraîne l’application de critères de sélection non appropriés qui peuvent aboutir à admettre des candidats ne présentant pas les garanties financières et techniques nécessaires.

78      Plus généralement, elles font valoir que la valeur des travaux à conduire pour le plan général du projet d’extension et de remise à niveau du bâtiment Konrad Adenauer est entachée de sous-évaluations répétées tant pour ce qui concerne le lot n° 75 que pour les autres lots.

79      De même, elles estiment que le Parlement ne saurait se fonder ni sur l’offre de l’attributaire pour justifier le caractère réaliste de l’estimation de l’offre du marché, dans la mesure où son offre a dû être rejetée après une nouvelle analyse, et ce avant la conclusion définitive du contrat, ni sur le budget limité qui lui était alloué pour le lot n° 75.

80      Partant, selon les requérantes, les décisions attaquées doivent être annulées, étant donné que la sous-évaluation manifeste de la valeur du marché a conduit le Parlement à considérer, d’une part, l’offre des requérantes comme surévaluée et, d’autre part, à annuler la procédure d’appel d’offres.

81      Pour sa part, le Parlement rappelle que c’est aux requérantes de démontrer une erreur manifeste d’appréciation de sa part dans la détermination de la valeur du marché.

82      Or, tout d’abord, selon le Parlement, l’argument des requérantes selon lequel la valeur du marché devrait correspondre à la moyenne arithmétique des offres des différents soumissionnaires ne saurait démontrer l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation.

83      Le Parlement souligne, premièrement, qu’admettre la méthode des requérantes reviendrait à remettre en cause le principe des appels d’offres par adjudication, dont le but est d’obtenir le prix le plus avantageux.

84      Deuxièmement, une telle méthode reviendrait à faire dépendre la valeur du marché des offres des soumissionnaires du nombre de ceux-ci et de leur volonté.

85      Troisièmement, elle serait contraire aux articles 53 et 55 du règlement financier, selon lesquels les institutions ne peuvent dépenser plus que les crédits alloués par l’autorité budgétaire, raison pour laquelle le Parlement a entendu préciser aux requérantes que leur offre ne permettait notamment pas de respecter le budget disponible.

86      Par ailleurs, la référence à d’autres marchés annulés en raison du caractère supposément trop élevé des offres ne saurait également démontrer une sous-évaluation systématique des marchés par le Parlement et a fortiori une erreur manifeste d’appréciation commise dans l’estimation de la valeur du marché.

87      Il en va de même, selon le Parlement, de l’argument des requérantes évoquant seulement, sans les identifier, des critères de sélection inappropriés en conséquence des sous-évaluations commises.

88      En tout état de cause, le Parlement rappelle, d’une part, qu’il dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de la prise d’une décision de passer un marché sur appel d’offres et que, partant, le contrôle du Tribunal est limité au constat d’une erreur manifeste d’appréciation.

89      D’autre part, le Parlement ajoute qu’il se doit de respecter des principes de bonne gestion financière et d’utiliser les crédits conformément aux principes d’économie, d’efficience et d’efficacité et, partant, de rechercher le meilleur prix dans le cadre des passations de marchés publics.

90      Conformément à ces principes, le Parlement souligne que la valeur du marché, à laquelle l’offre des requérantes est largement supérieure, a été déterminée en accord avec le contrôleur des coûts de la maîtrise d’œuvre et l’administration luxembourgeoise.

91      En tout état de cause, le Parlement relève que, indépendamment de l’estimation de la valeur du marché, les offres reçues, à l’exception de celle de l’attributaire, dépassent le budget disponible, tel que cela est indiqué dans la décision du 20 mai 2015.

92      À cet égard, s’agissant d’un budget sous-évalué, le Parlement fait remarquer que les requérantes n’apportent aucune preuve au soutien de leur allégation.

93      Il précise que l’existence ou non d’une erreur manifeste d’appréciation relativement à l’estimation de la valeur du marché ne saurait avoir d’incidence sur la motivation des décisions attaquées, dans la mesure où ces dernières demeurent motivées par le dépassement du budget disponible et le non-respect par l’attributaire des critères de sélection du marché.

 Appréciation du Tribunal

94      En l’espèce, les requérantes tentent de démontrer que le Parlement a manifestement sous-estimé la valeur du marché, de sorte que ce dernier aurait pu, dans la négative, être attribué aux requérantes, alors classées en deuxième position, à la suite de l’appel d’offres.

95      À cet égard, il convient de souligner, d’une part, que l’estimation de la valeur du marché par le Parlement est le résultat d’appréciations techniques complexes qui font l’objet d’un contrôle juridictionnel limité (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 6 mai 2013, Ethniko kai Kapodistriako Panepistimio Athinon/ECDC, T‑577/11, non publiée, EU:T:2013:229, point 19).

96      D’autre part, la charge de la preuve de l’erreur manifeste d’appréciation qu’aurait commise le Parlement en estimant la valeur du marché incombe aux requérantes (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 9 septembre 2010, Carpent Languages/Commission, T‑582/08, non publié, EU:T:2010:379, point 57).

97      Or, les requérantes n’avancent dans leurs écrits aucun élément permettant de prouver une erreur manifeste du Parlement dans l’estimation de la valeur du marché.

98      Contrairement à ce que ces dernières font valoir, le fait que la valeur du marché soit inférieure à la moyenne arithmétique des offres de l’ensemble des soumissionnaires ne saurait ni démontrer ni constituer un indice de l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation commise par le Parlement dans l’estimation de la valeur du marché.

99      Il en va de même, d’une part, pour la simple affirmation selon laquelle le fait que plusieurs marchés n’aient pas été attribués démontrerait une sous-évaluation répétée des valeurs des différents marchés commise par le Parlement et, d’autre part, pour la simple référence faite, sans les identifier, à des critères de sélection inappropriés comme conséquence d’une sous-évaluation.

100    En effet, même si l’ensemble des lots cités concerne le même appel d’offres, lesdits lots visent des marchés différents dont le contexte factuel et juridique varie, de sorte qu’ils ne sauraient être comparés et ne sauraient démontrer une sous-évaluation de la valeur du marché pour le lot n° 75.

101    S’agissant précisément de la détermination de la valeur du marché, il y a lieu d’ajouter que, en application des articles 6, 53 et 55 du règlement financier, une telle estimation se doit, comme pour la détermination du budget, de respecter les principes de bonne gestion financière.

102    Or, ainsi que le fait valoir à juste titre le Parlement, la valeur du marché a été déterminée en accord avec le contrôleur des coûts de la maîtrise d’œuvre et l’administration luxembourgeoise, ce qui témoigne d’une bonne gestion financière.

103    Partant, il ne saurait être constaté une erreur manifeste d’appréciation du Parlement dans la détermination de la valeur du marché.

104    Il y a lieu de rappeler, également, que le Parlement dispose d’une marge d’appréciation dans la sélection des attributaires.

105    Aux termes de l’article 171 du règlement délégué (UE) n° 1268/2012 de la Commission, du 29 octobre 2012, relatif aux règles d’application du règlement financier (JO 2012, L 362, p. 1), « [l]orsque le contrat ou le contrat-cadre ne peut pas être attribué à l’attributaire envisagé, le pouvoir adjudicateur peut l’attribuer au soumissionnaire qui suit dans le classement ».

106    En d’autres termes, même dans l’hypothèse où l’offre des requérantes aurait été conforme à l’estimation de la valeur du marché, le Parlement n’aurait pas été tenu d’attribuer le marché aux requérantes.

107    En tout état de cause, en l’espèce, l’offre des soumissionnaires, indépendamment de l’exactitude de la valeur du marché, était supérieure au budget disponible du Parlement, de sorte que ce dernier n’aurait pu lui être attribué.

108    En d’autres termes, compte tenu de l’absence de crédits budgétaires suffisants alloués par l’autorité budgétaire au marché litigieux, l’annulation du marché par le Parlement procédait d’un choix logique, voire nécessaire.

109    En conséquence, il y a lieu de rejeter le second moyen et, partant, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

110    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Parlement, conformément aux conclusions de celui-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Cofely Solelec, Mannelli & Associés SA et Cofely Fabricom sont condamnées aux dépens.



Prek

Labucka

Kreuschitz


Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 janvier 2017.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      M. Prek


* Langue de procédure : le français.