Language of document : ECLI:EU:T:2017:926

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (septième chambre élargie)

15 décembre 2017 (*)

« Aides d’État – Aide mise en exécution par l’Irlande en faveur d’Apple – Décision fiscale anticipée (tax ruling) – Avantages fiscaux sélectifs – Recours en annulation – Intervention – Association représentative ayant pour objet la défense des intérêts de ses membres – Absence d’intérêt à la solution du litige »

Dans l’affaire T‑892/16,

Apple Sales International, établie à Cork (Irlande),

Apple Operations Europe, établie à Cork,

représentées par Mes A. von Bonin et E. van der Stok, avocats, MM. D.M. Beard, QC, A. Bates, J. Bourke et Mme L. Osepciu, barristers,

parties requérantes,

soutenues par

Irlande, représentée initialement par Mmes K. Duggan et E. Creedon, en qualité d’agents, puis par Mmes Duggan, M. Browne, J. Quaney et M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de MM. P. Gallagher, D. McDonald, G. Collins, SC, P. Baker, QC, Mmes S. Kingston, C. Donnelly et M. B. Doherty, barristers,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par M. P.J. Loewenthal, puis par MM. R. Lyal et Loewenthal, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Autorité de surveillance AELE, représentée par MM. C. Zatschler et M. Sánchez Rydelski et Mme M. Moustakali, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C(2016) 5605 final de la Commission, du 30 août 2016, relative à l’aide d’État SA. 38373 (2014/C) (ex 2014/NN) (ex 2014/CP) mise à exécution par l’Irlande en faveur d’Apple,

LE TRIBUNAL (septième chambre élargie),

composé de M. M. van der Woude, faisant fonction de président, Mme V. Tomljenović (rapporteur), M. E. Bieliūnas, Mme A. Marcoulli et M. A. Kornezov, juges,

rend la présente

Ordonnance

 Faits et procédure

1        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 décembre 2016, les requérantes, Apple Sales International et Apple Operations Europe, ont introduit un recours visant l’annulation de la décision C(2016) 5605 final de la Commission, du 30 août 2016, relative à l’aide d’État SA. 38373 (2014/C) (ex 2014/NN) (ex 2014/CP) mise à exécution par l’Irlande en faveur d’Apple (ci-après la « décision attaquée »).

2        Par actes déposés au greffe du Tribunal le 31 mars 2017, l’Irlande et l’Autorité de surveillance AELE ont demandé à intervenir au soutien, respectivement, des requérantes et de la Commission. Ces demandes ont été signifiées aux parties principales, conformément à l’article 144 du règlement de procédure du Tribunal.

3        Par décision du 28 juin 2017, le président de la septième chambre élargie du Tribunal a fait droit à la demande d’intervention de l’Irlande.

4        Par ordonnance du 19 juillet 2017, le président de la septième chambre élargie du Tribunal a fait droit à la demande d’intervention de l’Autorité de surveillance AELE.

5        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 mars 2017, IBEC Company Limited by Guarantee (ci-après « IBEC »), qui est une entité représentative des sociétés nationales et multinationales actives en Irlande, a demandé à intervenir au soutien des conclusions des requérantes.

6        Cette demande en intervention a été signifiée aux parties principales, conforment à l’article 144, paragraphe 1, du règlement de procédure.

7        Par acte déposé le 25 avril 2017, les requérantes n’ont pas soulevé d’objections à l’égard de la demande d’intervention d’IBEC.

8        Par acte déposé le 25 avril 2017, la Commission a soulevé des objections à l’encontre de ladite demande.

9        Conformément à l’article 144, paragraphe 5, et à l’article 19, paragraphe 2, du règlement de procédure, le président de la septième chambre élargie faisant fonction a déféré la décision sur la demande d’intervention à la chambre.

 En droit

10      En vertu de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige, à l’exclusion des litiges entre États membres, entre institutions de l’Union européenne ou entre États membres, d’une part, et institutions de l’Union, d’autre part, a le droit d’intervenir. Les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d’autre objet que le soutien des conclusions de l’une des parties.

11      Il résulte d’une jurisprudence constante que la notion d’intérêt à la solution du litige, au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entend comme un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens soulevés. En effet, par « solution » du litige, il faut entendre la décision finale demandée au juge saisi, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt (ordonnances du 25 novembre 1964, Lemmerz-Werke/Haute Autorité, 111/63, EU:C:1964:82, p. 835 et du 4 février 2004, Coöperatieve Aan- en Verkoopvereniging Ulestraten, Schimmert en Hulsberg e.a./Commission, T‑14/00, EU:T:2004:32, point 11). Il convient, notamment, de vérifier que la demanderesse en intervention est touchée directement par l’acte attaqué et que son intérêt à la solution du litige est certain [ordonnance du président de la Cour du 17 juin 1997, National Power et PowerGen/Commission, C‑151/97 P(I) et C‑157/97 P(I), EU:C:1997:307, point 53, et ordonnance du 3 juin 1999, ACAV e.a./Conseil, T‑138/98, EU:T:1999:121, point 14].

12      Par ailleurs, selon une jurisprudence également constante, est admise l’intervention d’associations représentatives qui ont pour objet la protection de leurs membres dans des affaires soulevant des questions de principe de nature à affecter ces derniers [ordonnances du président de la Cour du 17 juin 1997, National Power et PowerGen/Commission, C‑151/97 P(I) et C‑157/97 P(I), EU:C:1997:307, point 66, et du 28 septembre 1998, Pharos/Commission, C‑151/98 P, EU:C:1998:440, point 6 ; ordonnances du 26 juillet 2004, Microsoft/Commission, T‑201/04 R, EU:T:2004:246, point 37, et du 28 mai 2001, Poste Italiane/Commission, T‑53/01 R, EU:T:2001:143, point 51]. Plus particulièrement, une association peut être admise à intervenir dans une affaire si elle est représentative d’un nombre important d’entreprises actives dans le secteur concerné, si son objet comprend la protection des intérêts de ses membres, si l’affaire peut soulever des questions de principe affectant le fonctionnement du secteur concerné et, donc, si les intérêts de ses membres peuvent être affectés dans une mesure importante par l’arrêt à intervenir (ordonnances du 8 décembre 1993, Kruidvat/Commission, T‑87/92, EU:T:1993:113, point 14, et du 28 mai 2004, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, T‑253/03, EU:T:2004:164, point 21).

13      En l’espèce, il y a lieu de rappeler que les conclusions des requérantes tendent à obtenir l’annulation de la décision attaquée. Par cette décision, la Commission a conclu que les deux décisions fiscales anticipées adoptées par l’Irlande en 1991 et 2007 en faveur des requérantes, permettant à ces dernières de déterminer l’impôt dont elles étaient redevables en Irlande sur une base annuelle, constituent des aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui avaient été illégalement mises à exécution en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et sont incompatibles avec le marché intérieur. En outre, elle a ordonné la récupération par l’Irlande de ces aides auprès des requérantes.

14      À l’appui de sa demande d’intervention, IBEC fait valoir, premièrement, qu’elle est une entité représentative des intérêts de ses membres, à savoir 42 organisations patronales qui regroupent la plus grande partie des petites et moyennes entreprises ainsi que des grandes entreprises, tant nationales que multinationales, qui mènent des activités économiques en Irlande et, notamment, y sont assujetties à l’impôt sur les sociétés.

15      Deuxièmement, IBEC soutient que, parmi ses principaux objectifs et activités se trouvent notamment ceux relatifs à l’influence sur la création de politiques fiscales nationales et européennes et ceux liés à la promotion de la compétitivité et à l’encouragement de l’investissement à long terme en Irlande. En particulier, elle fait valoir son appartenance à la fédération Business Europe, en tant que seul membre irlandais, au Comité Affaires et Industrie de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ainsi que son rôle dans le développement des politiques fiscale et économique en Irlande.

16      Troisièmement, IBEC soutient que ses membres, notamment ceux qui sont actifs dans les secteurs pharmaceutique, des instruments médicaux ou technologiques, ont un intérêt réel et actuel à l’annulation de la décision attaquée, laquelle a généré de l’incertitude à l’égard des décisions fiscales anticipées des autorités fiscales irlandaises, ce qui a un impact sur la réputation internationale de l’Irlande et des répercussions sur les investissements dans ce pays. En effet, le rejet du recours aurait d’importantes conséquences négatives pour les entreprises opérant en Irlande, notamment celles faisant partie de groupes dont le siège se trouve aux États-Unis, et pour l’économie de l’Irlande en général, ainsi qu’il ressortirait des observations présentées par IBEC dans le cadre de la procédure menée par la Commission. Ainsi, le présent litige porterait sur des questions de principe qui affectent l’application et le fonctionnement de l’impôt sur les sociétés en Irlande. Partant, les membres d’IBEC auraient un intérêt collectif à la solution du litige.

17      Quatrièmement, IBEC fait valoir que, en tant que représentante des entreprises actives en Irlande, elle pourra, par son intervention compléter les arguments des requérantes, à travers une vision plus vaste sur la fiscalité irlandaise. En outre, IBEC ayant contribué au développement de la politique fiscale irlandaise, son intervention serait très utile aux fins de la compréhension de l’impôt sur les sociétés en Irlande. Par ailleurs, IBEC a relevé que plusieurs de ses membres sont des sociétés multinationales, dont une partie ayant leur société mère aux États‑Unis, et que son intervention pourrait éclairer le Tribunal sur des points tels que la taxation des sociétés non résidentes en Irlande et lui fournir les éléments de preuve nécessaires pour sa décision.

18      Au vu des arguments d’IBEC et des documents présentés à l’appui de sa demande en intervention, il y a lieu de relever que, en tant qu’entité regroupant, entre autres, des organisations patronales en Irlande, IBEC représente directement et indirectement, certes, un nombre important d’entreprises dans ce pays. En outre, selon IBEC, ces entreprises sont actives dans plusieurs secteurs en Irlande, dont le secteur technologique. Par ailleurs, il ressort de ses statuts que l’objectif de l’association comprend, notamment, la protection des intérêts de ses membres.

19      Toutefois, force est de constater que les arguments avancés par IBEC n’établissent pas que les intérêts de ses membres seraient affectés par la solution au présent litige, au sens de la jurisprudence citée au point 11 ci-dessus.

20      En effet, tout d’abord, il convient de relever que le présent recours vise l’annulation de la décision attaquée, laquelle, il convient de le rappeler, a constaté l’existence d’une aide d’État illégale et incompatible avec le marché intérieur et en a ordonné la récupération auprès des requérantes. Ainsi, contrairement à ce que prétend IBEC, la pratique relative aux décisions fiscales anticipées en soi n’est pas remise en cause en l’espèce. Partant, l’annulation de la décision attaquée ne saurait avoir des effets directs sur la situation des membres d’IBEC ayant bénéficié d’éventuelles décisions anticipées et leurs éventuelles procédures auprès des autorités fiscales irlandaises.

21      En outre, force est de constater que les requérantes sont deux sociétés de droit irlandais mais qui ne sont pas résidentes fiscales en Irlande. Or, IBEC a fait valoir qu’elle représente des entreprises qui sont actives en Irlande et, notamment, qui sont soumises à l’impôt sur les sociétés en Irlande mais n’a pas démontré qu’elle représentait également les intérêts de sociétés qui ne sont pas résidentes fiscales en Irlande.

22      Ensuite, il convient de relever que les arguments selon lesquels l’issue de la présente affaire pourrait affecter la réputation internationale de l’Irlande et générer des répercussions négatives sur les investissements dans ce pays ne sont aucunement étayés. Or, de telles prétendues conséquences négatives, fondées uniquement sur des conjectures, ne sauraient justifier l’intervention d’IBEC au présent litige. Par ailleurs et en tout état de cause, les prétendues conséquences négatives alléguées par IBEC ne constituent pas des effets découlant directement de la solution au présent litige, mais des effets de nature incertaine et indirecte. En effet, la réalisation éventuelle de ces conséquences dépend, premièrement, des éventuelles mesures de politique fiscale que les autorités fiscales irlandaises pourraient estimer nécessaire d’adopter à la suite de la résolution du présent litige, deuxièmement, des décisions que les investisseurs internationaux pourraient éventuellement adopter à l’égard de telles mesures, et, troisièmement, des conséquences économiques et financières qui pourraient découler de ces décisions. Les conséquences qui pourraient découler du présent litige sont donc incertaines, de même que les effets qui pourraient, le cas échéant, en découler pour la situation financière des membres d’IBEC.

23      Enfin, si, certes, des questions de principe relatives à la fiscalité directe des entreprises sont soulevées par le présent litige, de telles questions, aussi importantes soient-elles, resteront nécessairement liées à l’objet du litige, qui vise l’annulation de la décision attaquée, laquelle concerne l’application des mesures fiscales par les autorités irlandaises dans les deux décisions fiscales anticipées qu’elles ont émises à l’égard des requérantes. À cet égard il convient de rappeler que l’interprétation large du droit d’intervention à l’égard des associations vise à permettre de mieux apprécier le cadre des affaires devant les juridictions de l’Union tout en évitant une multiplicité d’intervenions individuelles qui compromettraient l’efficacité et le bon déroulement de la procédure (voir ordonnance du 26 juillet 2004, Microsoft/Commission, T‑201/04 R, EU:T:2004:246, point 38 et jurisprudence citée). Or, en l’espèce, les arguments d’IBEC ne permettent pas d’apprécier dans quelle mesure ses membres eux-mêmes auraient un intérêt direct et actuel à la solution du litige justifiant leur intervention.

24      Dans ces circonstances, l’intérêt à la solution au litige, au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice, n’ayant pas été établi, la demande d’intervention d’IBEC doit être rejetée.

 Sur les dépens

25      En vertu de l’article 133 du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance. La présente ordonnance mettant fin à l’instance à l’égard d’IBEC, il convient de statuer sur les dépens afférents à sa demande en intervention.

26      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, lu conjointement avec l’article 144, paragraphe 6, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. IBEC ayant succombé en sa demande, mais les parties principales n’ayant pas formulé de conclusions à cet égard, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre élargie)

ordonne :

1)      La demande en intervention d’IBEC Company Limited by Guarantee est rejetée.

2)      Chaque partie supportera ses propres dépens afférents à la procédure en intervention d’IBEC Company Limited by Guarantee.

Fait à Luxembourg, le 15 décembre 2017.

Le greffier

 

Le président faisant fonction

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : l’anglais.