Language of document : ECLI:EU:C:2016:701

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

20 septembre 2016 (*)

[Texte rectifié par ordonnance du 20 décembre 2017]

« Pourvoi – Programme de soutien à la stabilité de la République de Chypre – Protocole d’accord du 26 avril 2013 sur les conditions spécifiques de politique économique, conclu entre la République de Chypre et le mécanisme européen de stabilité – Fonctions de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne – Responsabilité extracontractuelle de l’Union européenne – Article 340, deuxième alinéa, TFUE – Conditions – Obligation de veiller à la compatibilité de ce protocole d’accord avec le droit de l’Union »

Dans les affaires jointes C‑8/15 P à C‑10/15 P,

ayant pour objet trois pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits le 9 janvier 2015,

Ledra Advertising Ltd, établie à Nicosie (Chypre) (C-8/15 P),

Andreas Eleftheriou, demeurant à Limassol (Chypre) (C-9/15 P),

Eleni Eleftheriou, demeurant à Limassol (C-9/15 P),

Lilia Papachristofi, demeurant à Limassol (C-9/15 P),

Christos Theophilou, demeurant à Nicosie(C-10/15 P),

Eleni Theophilou, demeurant à Nicosie (C-10/15 P),

représentés par Me A. Paschalides, dikigoros, Mme A. M. Paschalidou, barrister, et M. A. Riza, QC, mandaté par M. C. Paschalides, solicitor,

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par MM. J.-P. Keppenne et M. Konstantinidis, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

[Tel que rectifié par ordonnance du 20 décembre 2017] Banque centrale européenne (BCE), représentée par MM. G. Várhelyi, K. Laurinavičius et O. Heinz, en qualité d’agents, assistés de Me H.-G. Kamann, Rechtsanwalt,

parties défenderesses en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice-président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. T. von Danwitz, J. L. da Cruz Vilaça, A. Arabadjiev (rapporteur) et D. Šváby, présidents de chambre, MM. A. Rosas, E. Juhász, Mmes M. Berger, A. Prechal, MM. E. Jarašiūnas, C. G. Fernlund, M. Vilaras et E. Regan, juges,

avocat général: M. N. Wahl,

greffier: M. I. Illéssy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 février 2016,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 avril 2016,

rend le présent

Arrêt

1        Par leurs pourvois, Ledra Advertising Ltd, dans l’affaire C-8/15 P, M. Andreas Eleftheriou, Mmes Eleni Eleftheriou et Lilia Papachristofi, dans l’affaire C-9/15 P, ainsi que M. Christos Theophilou et Mme Eleni Theophilou, dans l’affaire C-10/15 P, demandent l’annulation, respectivement, des ordonnances du Tribunal de l’Union européenne du 10 novembre 2014, Ledra Advertising/Commission et BCE (T‑289/13, EU:T:2014:981), du 10 novembre 2014, Eleftheriou et Papachristofi/Commission et BCE (T‑291/13, non publiée, EU:T:2014:978), et du 10 novembre 2014, Theophilou/Commission et BCE (T‑293/13, non publiée, EU:T:2014:979) (ci-après, ensemble, les « ordonnances attaquées »), par lesquelles le Tribunal a déclaré pour partie irrecevables et pour partie non fondés leurs recours tendant, en premier lieu, à l’annulation des points 1.23 à 1.27 du protocole d’accord sur les conditions spécifiques de politique économique, conclu entre la République de Chypre et le mécanisme européen de stabilité (MES) le 26 avril 2013 (ci-après le « protocole d’accord du 26 avril 2013 »), et, en second lieu, à la réparation du préjudice invoqué par les requérants résultant de l’inclusion desdits points dans ce protocole d’accord et d’une violation de l’obligation de surveillance de la Commission européenne.

 Le cadre juridique

 Le traité MES

2        Le 2 février 2012, a été conclu à Bruxelles (Belgique) le traité instituant le mécanisme européen de stabilité entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, l’Irlande, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, la République italienne, la République de Chypre, le Grand-Duché de Luxembourg, Malte, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la République portugaise, la République de Slovénie, la République slovaque et la République de Finlande (ci-après le « traité MES »). Ce traité est entré en vigueur le 27 septembre 2012.

3        Le considérant 1 du traité MES est libellé comme suit :

« Le Conseil européen est convenu le 17 décembre 2010 qu’il était nécessaire que les États membres de la zone euro mettent en place un mécanisme permanent de stabilité. Le mécanisme européen de stabilité (MES) assumera le rôle actuellement attribué à la Facilité européenne de stabilité financière (FESF) et au Mécanisme européen de stabilisation financière (MESF) en fournissant, pour autant que de besoin, une assistance financière aux États membres de la zone euro. »

4        Conformément aux articles 1er et 2 ainsi qu’à l’article 32, paragraphe 2, dudit traité, les parties contractantes, à savoir les États membres dont la monnaie est l’euro, instituent entre elles une institution financière internationale, le MES, qui possède la personnalité juridique.

5        L’article 4, paragraphes 1, 3 et 4, premier alinéa, du traité MES énonce:

« 1.      Le MES est doté d’un conseil des gouverneurs et d’un conseil d’administration, ainsi qu’un directeur général et des effectifs jugés nécessaires.

[...]

3.      L’adoption d’une décision d’un commun accord requiert l’unanimité des membres participant au vote. Les abstentions ne font pas obstacle à l’adoption d’une décision d’un commun accord.

4.      Par dérogation au paragraphe 3, une procédure de vote d’urgence est utilisée lorsque la Commission et la [Banque centrale européenne (BCE)] considèrent toutes deux que le défaut d’adoption urgente d’une décision relative à l’octroi ou à la mise en œuvre d’une assistance financière, telle que définie aux articles 13 à 18, menacerait la soutenabilité économique et financière de la zone euro. [...] »

6        L’article 5, paragraphe 3, du traité MES prévoit que « [l]e membre de la Commission européenne en charge des affaires économiques et monétaires et le président de la [Banque centrale européenne], ainsi que le président de l’Eurogroupe (s’il n’est pas lui-même président ou gouverneur), peuvent participer aux réunions du conseil des gouverneurs [du MES] en qualité d’observateurs ».

7        L’article 6, paragraphe 2, du traité MES énonce que « [l]e membre de la Commission européenne en charge des affaires économiques et monétaires et le président de la BCE peuvent chacun désigner un observateur [au conseil d’administration du MES] ».

8        L’article 12 du traité MES définit les principes auxquels le soutien à la stabilité est soumis et prévoit, en son paragraphe 1, ce qui suit :

« Si cela est indispensable pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble et de ses États membres, le MES peut fournir à un membre du MES un soutien à la stabilité, subordonné à une stricte conditionnalité adaptée à l’instrument d’assistance financière choisi. Cette conditionnalité peut prendre la forme, notamment, d’un programme d’ajustement macroéconomique ou de l’obligation de continuer à respecter des conditions d’éligibilité préétablies. »

9        La procédure d’octroi d’un soutien à la stabilité à un membre du MES est décrite à l’article 13 du traité MES dans les termes suivants :

« 1.      Un membre du MES peut adresser une demande de soutien à la stabilité au président du conseil des gouverneurs. Cette demande indique le ou les instruments d’assistance financière à envisager. Dès réception de cette demande, le président du conseil des gouverneurs charge la Commission européenne, en liaison avec la BCE :

a)      d’évaluer l’existence d’un risque pour la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble ou de ses États membres, à moins que la BCE n’ait déjà soumis une analyse en vertu de l’article 18, paragraphe 2 ;

b)      d’évaluer la soutenabilité de l’endettement public. Lorsque cela est utile et possible, il est attendu que cette évaluation soit effectuée en collaboration avec le [Fonds monétaire international (FMI)] ;

c)      d’évaluer les besoins réels ou potentiels de financement du membre du MES concerné.

2.      Sur la base de la demande du membre du MES et de l’évaluation visée au paragraphe 1, le conseil des gouverneurs peut décider d’octroyer, en principe, un soutien à la stabilité au membre du MES concerné sous la forme d’une facilité d’assistance financière.

3.      S’il adopte une décision en vertu du paragraphe 2, le conseil des gouverneurs charge la Commission européenne – en liaison avec la BCE et, lorsque cela est possible, conjointement avec le FMI – de négocier avec le membre du MES concerné un protocole d’accord définissant précisément la conditionnalité dont est assortie cette facilité d’assistance financière. Le contenu du protocole d’accord tient compte de la gravité des faiblesses à traiter et de l’instrument d’assistance financière choisi. Parallèlement, le directeur général du MES prépare une proposition d’accord relatif à la facilité d’assistance financière précisant les modalités et les conditions financières de l’assistance ainsi que les instruments choisis, qui sera adoptée par le conseil des gouverneurs.

Le protocole d’accord doit être pleinement compatible avec les mesures de coordination des politiques économiques prévues par le [traité FUE], notamment avec tout acte de droit de l’Union européenne, incluant tout avis, avertissement, recommandation ou décision s’adressant au membre du MES concerné.

4.      La Commission européenne signe le protocole d’accord au nom du MES, pour autant qu’il respecte les conditions énoncées au paragraphe 3 et qu’il ait été approuvé par le conseil des gouverneurs.

5.      Le conseil d’administration approuve l’accord relatif à la facilité d’assistance financière qui précise les aspects financiers du soutien à la stabilité à octroyer ainsi que, le cas échéant, les modalités du versement de la première tranche de l’assistance.

[...]

7.      La Commission européenne – en liaison avec la BCE et, lorsque cela est possible, conjointement avec le FMI – est chargée de veiller au respect de la conditionnalité dont est assortie la facilité d’assistance financière. »

 Le protocole d’accord du 26 avril 2013

10      Sous l’intitulé « Restructuration et résolution de Cyprus Popular Bank et de Bank of Cyprus », les points 1.23 à 1.27 du protocole d’accord du 26 avril 2013 (ci-après les « points litigieux ») sont rédigés comme suit :

« 1.23.      L’examen de la valeur financière et comptable déjà mentionné a révélé que les deux plus grandes banques de Chypre étaient insolvables. Afin de régler cette situation, le gouvernement a mis en œuvre un plan de résolution et de restructuration de grande ampleur. Afin d’éviter l’accumulation de futurs déséquilibres et de rétablir la viabilité du secteur, tout en préservant la concurrence, une stratégie comprenant quatre volets, qui n’implique pas l’utilisation de l’argent des contribuables, a été adoptée.

1.24.      Premièrement, tous les actifs (y compris les prêts dans le domaine du transport maritime) et les passifs liés à la Grèce, estimés respectivement à 16,4 et à 15 milliards d’euros, selon l’hypothèse défavorable, ont été cédés. Les actifs et les passifs grecs ont été acquis par Piraeus Bank, dont la restructuration sera prise en charge par les autorités helléniques. La cession a été mise en place en vertu d’un accord signé le 26 mars 2013. La valeur comptable des actifs s’élevant à 19,2 milliards d’euros, cette cession a permis de réduire substantiellement l’exposition mutuelle entre la Grèce et Chypre.

1.25.      Concernant la succursale de [Cyprus Popular Bank Public Co. Ltd (ci-après la « Cyprus Popular Bank »)] au Royaume-Uni, tous les dépôts ont été transférés à la filiale britannique de [la Trapeza Kyprou Dimosia Etaireia Ltd (ci-après la « Bank of Cyprus »)]. Les actifs associés ont été intégrés au sein de la Bank of Cyprus.

1.26.      Deuxièmement, la Bank of Cyprus reprend – au moyen d’une procédure d’achat et d’absorption les actifs chypriotes de la Cyprus Popular Bank, à leur juste valeur, ainsi que ses dépôts assurés et son exposition à l’apport urgent de liquidités, à leur valeur nominale. Les dépôts non assurés de la Cyprus Popular Bank seront maintenus au sein de l’ancienne entité. Le but est que la valeur des actifs cédés soit supérieure à celle des passifs cédés de sorte que la différence corresponde à la recapitalisation de la Bank of Cyprus par la Cyprus Popular Bank à hauteur de 9 % des actifs pondérés en fonction des risques qui ont été cédés. La Bank of Cyprus fait l’objet d’une recapitalisation de sorte à atteindre, à la fin du programme, un ratio minimal de fonds propres de 9 %, selon l’hypothèse défavorable du test de résistance, ce qui devrait contribuer à rétablir la confiance et à normaliser les conditions de financement. La conversion de 37,5 % des dépôts non assurés détenus dans la Bank of Cyprus en actions de catégorie A, assorties d’un plein droit de vote et des droits à dividendes, fournit la plus grande partie des besoins en capital, avec un apport supplémentaire en capitaux propres de la part de l’ancienne entité de la Cyprus Popular Bank. Une partie des dépôts non assurés restants de la Bank of Cyprus sera temporairement gelée.

1.27.      Troisièmement, afin de s’assurer que les objectifs de la capitalisation seront atteints, une évaluation indépendante plus détaillée et actualisée des actifs de la Bank of Cyprus et de la Cyprus Popular Bank sera menée à bien, conformément aux exigences du cadre pour la résolution des défaillances bancaires, pour la fin juin 2013. À cet effet, les termes de référence de l’exercice d’évaluation indépendante seront convenus au plus tard pour la mi-avril 2013, en consultation avec la Commission européenne, la BCE et le FMI. Après cette évaluation, il sera procédé, si nécessaire, à une conversion additionnelle de dépôts non assurés en actions de catégorie A, de sorte à s’assurer que l’objectif visant un niveau minimum de capitaux propres de 9 % en conditions de crise puisse être atteint à la fin du programme. Si la Bank of Cyprus devait être surcapitalisée au regard de cet objectif, il sera procédé à un rachat d’actions afin de rembourser les déposants du montant correspondant à la surcapitalisation. »

 Le droit national

11      En vertu du point 3 (1) et du point 5 (1) de la O peri exiyiansis pistotikon kai allon idrimaton nomos (loi sur l’assainissement d’établissements de crédit et d’autres établissements), du 22 mars 2013 [EE, annexe I (I), n° 4379, 22.3.2013, ci-après la « loi du 22 mars 2013 »], la Kentriki Trapeza tis Kyprou (Banque centrale de Chypre, ci-après la « BCC ») a été chargée de l’assainissement des établissements visés par ladite loi, conjointement avec le Ypourgeio Oikonomikon (ministère des Finances). À cette fin, d’une part, le point 12 (1) de la loi du 22 mars 2013 prévoit que la BCC peut, par décret, restructurer les dettes et les obligations d’un établissement soumis à une procédure de résolution, y compris par voie de réduction, de modification, de rééchelonnement ou de novation du capital nominal ou du solde de tout genre de créances existantes ou futures sur cet établissement ou au moyen d’une conversion de titres de dette en fonds propres. D’autre part, ce point prévoit que les « dépôts garantis », au sens du point 2, cinquième alinéa, de la loi du 22 mars 2013, sont exclus de ces mesures. Il est constant entre les parties qu’il s’agit des dépôts inférieurs à 100 000 euros.

12      Le to peri diasosis me idia mesa tis Trapezas Kyprou Dimosias Etaireias Ltd Diatagma tou 2013, Kanonistiki Dioikitiki Praxi No. 103 [décret de 2013 sur l’assainissement par des moyens propres de la Trapeza Kyprou Dimosia Etaireia Ltd, acte administratif réglementaire n° 103, EE, annexe III(I), n° 4645, 29.3.2013, p. 769, ci-après le « décret n° 103 »] prévoit une recapitalisation de la Bank of Cyprus, aux frais, notamment, de ses déposants non garantis, de ses actionnaires et de ses créanciers obligataires, afin qu’elle puisse continuer à fournir des services bancaires. Ainsi, les dépôts non garantis ont été convertis en actions de la Bank of Cyprus (37,5 % de chaque dépôt non garanti), en titres convertibles par la Bank of Cyprus, soit en actions soit en dépôts (22,5 % de chaque dépôt non garanti), et en titres pouvant être convertis en dépôts par la BCC (40 % de chaque dépôt non garanti). Ce décret, conformément à son point 10, est entré en vigueur le 29 mars 2013, à 6 heures.

13      Les dispositions combinées des points 2 et 5 du to Peri tis Polisis Orismenon Ergasion tis Cyprus Popular Bank Public Co. Ltd Diatagma tou 2013, Kanonistiki Dioikitiki Praxi No. 104 [décret de 2013 sur la vente de certaines activités de la Cyprus Popular Bank Public Co. Ltd, acte administratif réglementaire n° 104, EE, annexe III(I), n° 4645, 29.3.2013, p. 781, ci-après le « décret n° 104 »] prévoient, pour le 29 mars 2013, à 6 h 10, le transfert de certains éléments d’actif et de passif de la Cyprus Popular Bank à la Bank of Cyprus, y compris les dépôts inférieurs à 100 000 euros. Les dépôts supérieurs à 100 000 euros ont été maintenus auprès de la Cyprus Popular Bank, en attendant sa liquidation.

 Les antécédents des litiges

14      Au cours des premiers mois de l’année 2012, certaines banques établies à Chypre, dont la Cyprus Popular Bank et la Bank of Cyprus, ont rencontré des difficultés financières. La République de Chypre a alors jugé nécessaire qu’il soit procédé à leur recapitalisation et a présenté, à cet égard, au président de l’Eurogroupe une demande d’assistance financière du FESF ou du MES.

15      Par déclaration du 27 juin 2012, l’Eurogroupe a indiqué que l’assistance financière demandée serait fournie soit par la FESF, soit par le MES, dans le cadre d’un programme d’ajustement macroéconomique devant se concrétiser dans un protocole d’accord dont la négociation serait menée, d’une part, par la Commission, conjointement avec la BCE et le FMI, et, d’autre part, par les autorités chypriotes.

16      La République de Chypre et les autres États membres dont la monnaie est l’euro sont parvenus à un accord politique sur le projet de protocole d’accord au mois de mars 2013. Par déclaration du 16 mars 2013, l’Eurogroupe a salué cet accord et a évoqué certaines mesures d’ajustement prévues, parmi lesquelles la création d’une taxe sur les dépôts bancaires. L’Eurogroupe a indiqué que, eu égard à ce contexte, il considérait que l’octroi d’une assistance financière susceptible d’assurer la stabilité financière de Chypre et de la zone euro était, en principe, justifié et a invité les parties intéressées à accélérer les négociations en cours.

17      Le 18 mars 2013, la République de Chypre a ordonné la fermeture des banques les 19 et 20 mars 2013. Les autorités chypriotes ont décidé de proroger la fermeture des banques jusqu’au 28 mars 2013 afin d’éviter des retraits massifs aux guichets.

18      Le 19 mars 2013, le Parlement chypriote a rejeté le projet de loi du gouvernement chypriote relatif à la création d’une taxe sur tous les dépôts bancaires de Chypre. Ce Parlement a ensuite adopté la loi du 22 mars 2013.

19      Par déclaration du 25 mars 2013, l’Eurogroupe a indiqué être parvenu à un accord avec les autorités chypriotes sur les éléments essentiels d’un futur programme macroéconomique d’ajustement ayant le soutien de tous les États membres dont la monnaie est l’euro ainsi que de la Commission, de la BCE et du FMI. En outre, l’Eurogroupe a salué les plans de restructuration du secteur financier mentionnés à l’annexe de cette déclaration.

20      Le 25 mars 2013, le gouverneur de la BCC a soumis la Bank of Cyprus et la Cyprus Popular Bank à une procédure d’assainissement. Le 29 mars 2013, les décrets nos 103 et 104 ont été publiés à cette fin sur le fondement de la loi du 22 mars 2013.

21      Lors de l’entrée en vigueur de ces décrets, les requérants étaient titulaires de dépôts auprès de la Bank of Cyprus ou de la Cyprus Popular Bank. L’application des mesures prévues par lesdits décrets a provoqué une réduction substantielle de la valeur de ces dépôts, chiffrée précisément par les requérants.

22      Lors de sa réunion du 24 avril 2013, le conseil des gouverneurs du MES a :

–        décidé d’octroyer un soutien à la stabilité à la République de Chypre sous la forme d’une facilité d’assistance financière, conformément à la proposition du directeur général du MES ;

–        approuvé le projet de protocole d’accord négocié par la Commission, en collaboration avec la BCE et le FMI, et la République de Chypre ;

–        chargé la Commission de signer ce protocole au nom du MES.

23      Le protocole d’accord du 26 avril 2013 a été signé par le ministre des Finances de la République de Chypre, par le gouverneur de la BCC et par M. O. Rehn, vice-président de la Commission, au nom du MES.

24      Le 8 mai 2013, le conseil d’administration du MES a approuvé l’accord relatif à la facilité d’assistance financière ainsi qu’une proposition relative aux modalités de paiement d’une première tranche d’aide à la République de Chypre. Cette tranche a été divisée en deux versements effectués, respectivement, le 13 mai 2013 (2 milliards d’euros) et le 26 juin 2013 (1 milliard d’euros). Une deuxième tranche d’aide, de l’ordre de 1,5 milliard d’euros, a été versée le 27 septembre 2013.

 Les procédures devant le Tribunal et les ordonnances attaquées

25      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 24 mai 2013, les requérants ont introduit trois recours tendant à :

–        la condamnation de la Commission et de la BCE à leur verser une indemnité équivalente à la diminution de la valeur de leurs dépôts respectifs ;

–        « en outre et/ou à titre subsidiaire », l’annulation des points litigieux, et

–        l’examen en urgence du recours et, en attente de cet examen, l’adoption des « mesures provisoires nécessaires en vertu de l’article [279 TFUE] afin de préserver [leur] position [...] sans pour autant affecter le soutien à la stabilité octroyée à [la République de Chypre] ».

26      Par actes séparés, déposés au greffe du Tribunal, respectivement, les 24 septembre et 1er octobre 2013, la Commission et la BCE ont soulevé des exceptions d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal.

27      Par les ordonnances attaquées, le Tribunal a rejeté les recours dans leur ensemble comme étant, pour partie, irrecevables et, pour partie, manifestement dépourvus de tout fondement en droit.

 Les conclusions des parties

28      Les requérants demandent à la Cour :

–        d’annuler les ordonnances attaquées, à l’égard des deux premiers chefs de conclusions en première instance, à savoir la demande d’indemnisation et/ou la demande d’annulation des points litigieux, et

–        de renvoyer les affaires au Tribunal.

29      La Commission et la BCE demandent à la Cour :

–        de rejeter les pourvois et

–        de condamner les requérants aux dépens.

30      Par décision du président de la Cour du 21 août 2015, les affaires C‑8/15 P à C‑10/15 P ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

 Sur les pourvois

31      À l’appui de leurs pourvois, les requérants invoquent un moyen tiré d’erreurs commises par le Tribunal lors de l’appréciation des conditions d’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Union.

32      La Commission et la BCE concluent à l’irrecevabilité des pourvois et ajoutent que, en tout état de cause, le moyen invoqué au soutien des pourvois doit être rejeté comme étant dénué de fondement.

 Sur la recevabilité

33      La Commission et la BCE excipent de l’irrecevabilité des pourvois aux motifs que les requérants se borneraient, pour l’essentiel, à reproduire les moyens et les arguments qu’ils ont déjà présentés devant le Tribunal et qu’ils contestent les appréciations de nature factuelle effectuées par le Tribunal en ce qui concerne les différents éléments de preuve apportés.

34      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément aux articles 256 TFUE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit et doit être fondé sur des moyens tirés de l’incompétence du Tribunal, d’irrégularités de la procédure devant le Tribunal portant atteinte aux intérêts de la partie requérante ou de la violation du droit de l’Union par le Tribunal (voir, notamment, arrêt du 4 septembre 2014, Espagne/Commission, C‑192/13 P, EU:C:2014:2156, point 42 et jurisprudence citée).

35      En outre, il découle des articles 256 TFUE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour ainsi que des articles 168, paragraphe 1, sous d), et 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande (voir, notamment, arrêts du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, EU:C:2000:361, point 34, et du 4 septembre 2014, Espagne/Commission, C‑192/13 P, EU:C:2014:2156, point 43).

36      En particulier, il est exigé, à l’article 169, paragraphe 2, de ce règlement, que les moyens et les arguments de droit invoqués identifient avec précision les points de motifs de la décision du Tribunal qui sont contestés.

37      Ainsi, ne répond pas aux exigences de motivation résultant de ces dispositions un pourvoi qui se limite à répéter ou à reproduire textuellement les moyens et les arguments qui ont été présentés devant le Tribunal, y compris ceux qui étaient fondés sur des faits expressément rejetés par cette juridiction. En effet, un tel pourvoi constitue en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour (voir arrêt du 4 septembre 2014, Espagne/Commission, C‑192/13 P, EU:C:2014:2156, point 44 et jurisprudence citée).

38      Cependant, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être à nouveau discutés dans le cadre d’un pourvoi. En effet, si un requérant ne pouvait fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et des arguments déjà utilisés devant le Tribunal, la procédure de pourvoi serait privée d’une partie de son sens (voir arrêt du 4 septembre 2014, Espagne/Commission, C‑192/13 P, EU:C:2014:2156, point 45 et jurisprudence citée).

39      En l’occurrence, les requérants tendent, par leur moyen, à démontrer une absence ou une insuffisance de motivation des ordonnances attaquées et à mettre en cause la réponse que le Tribunal a expressément donnée à des questions de droit, lesquelles peuvent faire l’objet d’un contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.

40      En outre, s’il est vrai que la structure de l’argumentation développée par les requérants dans leurs pourvois manque de rigueur, il convient cependant de constater que, conformément à l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, y sont identifiés les points de motifs contestés des ordonnances attaquées ainsi que les arguments de droit permettant à la Cour d’effectuer son contrôle de légalité en droit.

41      Il s’ensuit que les pourvois sont recevables.

 Sur le fond

 Argumentation des requérants

42      Les requérants font grief au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en se bornant à juger, au point 45 des ordonnances attaquées, que les fonctions confiées à la Commission et à la BCE ne comportaient l’exercice d’aucun pouvoir décisionnel propre. Ce faisant, le Tribunal aurait méconnu l’article 13, paragraphe 4, du traité MES en faisant abstraction de la circonstance que la Commission a signé le protocole d’accord du 26 avril 2013 alors que ce dernier contiendrait une condition illégale. Ainsi, les véritables responsables du renflouement interne des banques chypriotes concernées seraient la Commission et la BCE.

43      À cet égard, les requérants relèvent qu’ils avaient soutenu, devant le Tribunal, que la cause réelle de la réduction de la valeur de leurs dépôts résidait dans les conditions dont était assortie la facilité d’assistance financière fournie à la République de Chypre et la manière avec laquelle ces conditions ont été exigées par la Commission et la BCE. En effet, cet État membre aurait été contraint par la Commission et la BCE d’adopter les décrets nos 103 et 104, sous l’égide des fonctionnaires de ces institutions intervenus en urgence à cet effet. Les requérants précisent à cet égard que la République de Chypre avait introduit une demande de facilité d’assistance financière afin de recapitaliser la Cyprus Popular Bank et la Bank of Cyprus et non pour procéder à leur résolution au moyen de l’utilisation prématurée d’un instrument de renflouement interne. Selon les requérants, la position initiale de la Commission et de la BCE était en revanche qu’il convenait de recourir à cet instrument.

44      Les requérants font grief au Tribunal de ne pas avoir répondu à leurs arguments tendant à démontrer le caractère déterminant du rôle joué par lesdites institutions dans le cadre de l’adoption du protocole d’accord du 26 avril 2013 et, partant, dans la réalisation du préjudice financier lié à la recapitalisation de la Bank of Cyprus et à la résolution de la Cyprus Popular Bank.

45      Les requérants font également valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit lors de son examen de leur argument selon lequel la Commission s’est abstenue de veiller à ce que le protocole d’accord du 26 avril 2013 soit compatible avec le droit de l’Union.

46      Les requérants reprochent ainsi au Tribunal de ne pas avoir tenu compte de façon adéquate de la prétendue inaction de la Commission alors que, aux termes du point 164 de l’arrêt du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756), les tâches attribuées à la Commission par le traité MES lui permettent, ainsi que le prévoit l’article 13, paragraphes 3 et 4, de celui-ci, de veiller à la compatibilité avec le droit de l’Union des protocoles d’accord conclus par le MES et que, selon le point 174 de cet arrêt, en vertu de l’article 13, paragraphe 3, de ce traité, le protocole d’accord qui est négocié avec l’État membre demandeur d’un soutien à la stabilité doit être pleinement compatible avec le droit de l’Union. Ainsi, la Cour aurait relevé que la conditionnalité dont est assortie la facilité d’assistance financière doit être conforme au droit de l’Union.

47      Or, l’application d’une mesure de renflouement interne telle que celle qui figure aux points litigieux constituerait une violation manifeste du droit de propriété contraire à l’article 17, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et à l’article 1er du protocole additionnel n°1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

48      La Commission et la BCE contestent le bien-fondé des arguments présentés par les requérants.

 Appréciation de la Cour

49      Par leur moyen, les requérants mettent en cause l’appréciation effectuée par le Tribunal concernant le rôle tenu par la Commission et la BCE dans le cadre de l’adoption du protocole d’accord du 26 avril 2013. Ils font en particulier valoir que ces institutions sont les véritables auteurs du renflouement interne mis en œuvre à Chypre et que le Tribunal a commis une erreur de droit lors de son examen de leur argument selon lequel la Commission s’est abstenue de veiller à ce que le protocole d’accord du 26 avril 2013 soit compatible avec le droit de l’Union.

50      Ce moyen vise, d’une part, les points 44 à 47 des ordonnances attaquées, dans lesquels le Tribunal a relevé que la Commission et la BCE n’étaient pas à l’origine de l’adoption du protocole d’accord du 26 avril 2013, et s’est dès lors déclaré incompétent pour se prononcer sur les recours en indemnité dans la mesure où ceux-ci étaient fondés sur l’illégalité des points litigieux. Il vise, d’autre part, les points 48 à 54 des ordonnances attaquées, dans lesquels le Tribunal a jugé, en substance, que les requérants n’avaient pas démontré que le dommage qu’ils estiment avoir subi a été causé par la violation par la Commission d’une prétendue obligation de garantir la compatibilité du protocole d’accord du 26 avril 2013 avec le droit de l’Union.

51      Le Tribunal a relevé, au point 44 des ordonnances attaquées, que ledit protocole d’accord a été adopté conjointement par le MES et par la République de Chypre et que, ainsi qu’il ressort de l’article 13, paragraphe 4, du traité MES, la Commission n’a signé le même protocole d’accord qu’au nom du MES. Se fondant ensuite sur le point 161 de l’arrêt du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756), il a rappelé, au point 45 desdites ordonnances, que, si le traité MES confère à la Commission et à la BCE certaines tâches liées à la mise en œuvre des objectifs de ce traité, d’une part, les fonctions confiées à la Commission et à la BCE dans le cadre du traité MES ne comportent aucun pouvoir décisionnel propre et, d’autre part, les activités exercées par ces deux institutions dans le cadre de ce traité n’engagent que le MES.

52      À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort de la déclaration de l’Eurogroupe du 27 juin 2012, la Commission et la BCE ont été chargées de négocier avec les autorités chypriotes un programme d’ajustement macroéconomique devant se concrétiser dans un protocole d’accord. En participant aux négociations avec les autorités chypriotes, en apportant leur expertise technique, en fournissant des conseils et en proposant des orientations, la Commission et la BCE ont agi dans les limites des compétences que leur a octroyées l’article 13, paragraphe 3, du traité MES. Or, une participation de la Commission et de la BCE, telle que prévue par cette disposition, à la procédure aboutissant à la signature du protocole d’accord du 26 avril 2013 ne permet pas de qualifier celui-ci d’acte leur étant imputable.

53      En effet, ainsi que la Cour l’a souligné au point 161 de l’arrêt du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756), les fonctions confiées à la Commission et à la BCE dans le cadre du traité MES, pour importantes qu’elles soient, ne comportent aucun pouvoir décisionnel propre. Par ailleurs, les activités exercées par ces deux institutions dans le cadre du même traité n’engagent que le MES.

54      En outre, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 53 de ses conclusions, la circonstance qu’une ou plusieurs institutions de l’Union puissent jouer un certain rôle dans le cadre du MES ne modifie pas la nature des actes du MES, qui ne relèvent pas de l’ordre juridique de l’Union.

55      Toutefois, si un tel constat est susceptible d’affecter les conditions de recevabilité d’un recours en annulation pouvant être introduit sur le fondement de l’article 263 TFUE, il n’est pas de nature à faire obstacle à ce que soient opposés à la Commission et à la BCE des comportements illicites liés, le cas échéant, à l’adoption d’un protocole d’accord au nom du MES, dans le cadre d’un recours en indemnité au titre de l’article 268 et de l’article 340, deuxième et troisième alinéas, TFUE.

56      À cet égard, il convient de rappeler que les tâches confiées à la Commission et à la BCE dans le cadre du traité MES ne dénaturent pas les attributions que les traités UE et FUE confèrent à ces institutions (arrêt du 27 novembre 2012, Pringle, C‑370/12, EU:C:2012:756, point 162).

57      S’agissant, en particulier, de la Commission, il ressort de l’article 17, paragraphe 1, TUE que celle-ci «promeut l’intérêt général de l’Union» et « surveille l’application du droit de l’Union » (arrêt du 27 novembre 2012, Pringle, C‑370/12, EU:C:2012:756, point 163).

58      Par ailleurs, les tâches attribuées à la Commission par le traité MES lui imposent, ainsi que le prévoit l’article 13, paragraphes 3 et 4, de celui-ci, l’obligation de veiller à la compatibilité avec le droit de l’Union des protocoles d’accord conclus par le MES (voir, en ce sens, arrêt du 27 novembre 2012, Pringle, C‑370/12, EU:C:2012:756, point 164).

59      Par conséquent, ainsi que la Commission l’a elle-même admis en réponse à une question posée lors de l’audience, cette institution conserve, dans le cadre du traité MES, son rôle de gardienne des traités, tel qu’il ressort de l’article 17, paragraphe 1, TUE, de sorte qu’elle devrait s’abstenir de signer un protocole d’accord dont elle douterait de la compatibilité avec le droit de l’Union.

60      Il s’ensuit que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation et dans l’application de l’article 268 et de l’article 340, deuxième et troisième alinéas, TFUE en considérant, aux points 46 et 47 des ordonnances attaquées, qu’il n’était pas compétent pour examiner un recours en indemnité fondé sur l’illégalité des points litigieux sur le fondement de la simple constatation que l’adoption desdits points n’était formellement imputable ni à la Commission ni à la BCE.

61      Il convient donc d’accueillir les pourvois et d’annuler les ordonnances attaquées.

 Sur les recours devant le Tribunal

62      Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé. Tel est le cas en l’espèce.

63      En effet, la Cour est en mesure de statuer sur la demande des requérants, au titre de l’article 268 et de l’article 340, deuxième et troisième alinéas, TFUE, relative à la réparation du préjudice prétendument subi résultant, d’une part, de l’inclusion par la Commission et la BCE des points litigieux dans le protocole d’accord du 26 avril 2013 et, d’autre part, de l’inaction de la Commission en violation de l’obligation de veiller, dans le cadre de l’adoption de ce protocole d’accord, à ce que ce dernier soit conforme au droit de l’Union.

64      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution de l’Union, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement de l’institution et le préjudice invoqué (arrêt du 14 octobre 2014, Giordano/Commission, C‑611/12 P, EU:C:2014:2282, point 35 et jurisprudence citée).

65      S’agissant de la première condition, la Cour a déjà précisé à maintes reprises qu’il faut que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (voir, notamment, arrêts du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, EU:C:2000:361, point 42, ainsi que du 10 juillet 2014, Nikolaou/Cour des comptes, C‑220/13 P, EU:C:2014:2057, point 53).

66      En l’occurrence, la règle de droit au respect de laquelle les requérants reprochent à la Commission de ne pas avoir veillé dans le cadre de l’adoption du protocole d’accord du 26 avril 2013, est l’article 17, paragraphe 1, de la Charte. Cette disposition, qui énonce que toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, constitue une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

67      Par ailleurs, il y a lieu de souligner que, si les États membres ne mettent pas en œuvre le droit de l’Union dans le cadre du traité MES, de sorte que la Charte ne s’adresse pas à eux dans ce cadre (voir, en ce sens, arrêt du 27 novembre 2012, Pringle, C‑370/12, EU:C:2012:756, points 178 à 181), en revanche, la Charte s’adresse aux institutions de l’Union, y compris, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 85 de ses conclusions, lorsque celles-ci agissent en dehors du cadre juridique de l’Union. Au demeurant, dans le cadre de l’adoption d’un protocole d’accord tel que celui du 26 avril 2013, la Commission est tenue, au titre tant de l’article 17, paragraphe 1, TUE, qui lui confère la mission générale de surveiller l’application du droit de l’Union, que de l’article 13, paragraphes 3 et 4, du traité MES, qui lui impose de veiller à la compatibilité avec le droit de l’Union des protocoles d’accord conclus par le MES (voir, en ce sens, arrêt du 27 novembre 2012, Pringle, C‑370/12, EU:C:2012:756, points 163 et 164), d’assurer qu’un tel protocole soit compatible avec les droits fondamentaux garantis par la Charte.

68      Il convient, par conséquent, d’examiner si la Commission a contribué à une violation suffisamment caractérisée du droit de propriété des requérants, au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, dans le cadre de l’adoption du protocole d’accord du 26 avril 2013.

69      À cet égard, il importe de rappeler que le droit de propriété garanti par cette disposition de la Charte n’est pas une prérogative absolue et que son exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union (voir arrêts du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil, C‑548/09 P, EU:C:2011:735, point 113, et du 12 mai 2016, Bank of Industry and Mine/Conseil, C‑358/15 P, EU:C:2016:338, point 55).

70      Par conséquent, ainsi qu’il ressort de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, des restrictions peuvent être apportées à l’usage du droit de propriété, à la condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit ainsi garanti (voir, en ce sens, arrêts du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil, C‑548/09 P, EU:C:2011:735, point 114, et du 12 mai 2016, Bank of Industry and Mine/Conseil, C‑358/15 P, EU:C:2016:338, point 56).

71      À cet égard, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort de l’article 12 du traité MES, l’adoption d’un protocole d’accord tel que celui résultant des négociations entre les autorités chypriotes et, notamment, la Commission répond à un objectif d’intérêt général poursuivi par l’Union, à savoir celui d’assurer la stabilité du système bancaire de la zone euro dans son ensemble.

72      En effet, les services financiers jouent un rôle central dans l’économie de l’Union. Les banques et les établissements de crédit sont une source essentielle de financement pour des entreprises actives sur les différents marchés. De plus, les banques sont souvent interconnectées et nombre d’entre elles exercent leurs activités au niveau international. C’est la raison pour laquelle la défaillance d’une ou de plusieurs banques risque de se propager rapidement aux autres banques soit dans l’État membre concerné, soit dans d’autres États membres. Cela risque à son tour de produire des effets d’entraînement négatifs dans d’autres secteurs de l’économie (arrêt du 19 juillet 2016, Kotnik e.a., C‑526/14, EU:C:2016:570, point 50).

73      En l’occurrence, les mesures identifiées aux points litigieux prévoient notamment la reprise, par la Bank of Cyprus, des dépôts assurés de la Cyprus Popular Bank, la conversion de 37,5 % des dépôts non assurés de la Bank of Cyprus en actions, assorties d’un plein droit de vote et des droits à dividendes, ainsi que le gel temporaire d’une autre partie de ces dépôts non assurés, en précisant que, si la Bank of Cyprus devait être surcapitalisée au regard de l’objectif visant un niveau minimum de capitaux propres de 9 % en conditions de crise, il sera procédé à un rachat d’actions aux fins de rembourser les titulaires de dépôts non assurés du montant correspondant à la surcapitalisation.

74      Compte tenu de l’objectif consistant à assurer la stabilité du système bancaire dans la zone euro, et eu égard au risque imminent de pertes financières auquel les déposants auprès des deux banques concernées auraient été exposés en cas de faillite de ces dernières, de telles mesures ne constituent pas une intervention démesurée et intolérable portant atteinte à la substance même du droit de propriété des requérants. Elles ne sauraient, par conséquent, être considérées comme des restrictions injustifiées de ce droit (voir, par analogie, arrêt du 10 juillet 2003, Booker Aquaculture et Hydro Seafood, C‑20/00 et C‑64/00, EU:C:2003:397, points 79 à 86).

75      Eu égard à ces éléments, il ne saurait être considéré que, en ayant permis l’adoption des points litigieux, la Commission a contribué à une violation du droit de propriété des requérants garanti par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte.

76      Il s’ensuit que la première condition de mise en cause de la responsabilité non contractuelle de l’Union n’est pas satisfaite en l’espèce, de sorte que les demandes d’indemnité formulées par les requérants doivent être rejetées comme étant dépourvues de fondement en droit.

 Sur les dépens

77      Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 2, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, si plusieurs parties succombent, la Cour décide du partage des dépens.

78      Les pourvois étant accueillis, mais les recours étant rejetés, Ledra Advertising, M. Eleftheriou, Mmes Eleftheriou, Papachristofi, M. Theophilou et Mme Theophilou ainsi que la Commission et la BCE supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      Les ordonnances du Tribunal de l’Union européenne du 10 novembre 2014, Ledra Advertising/Commission et BCE (T289/13, EU:T:2014:981), du 10 novembre 2014, Eleftheriou et Papachristofi/Commission et BCE (T291/13, non publiée, EU:T:2014:978), et du 10 novembre 2014, Theophilou/Commission et BCE (T293/13, non publiée, EU:T:2014:979), sont annulées.

2)      Les recours introduits devant le Tribunal dans les affaires T289/13, T291/13 et T293/13 sont rejetés.

3)      Ledra Advertising Ltd, M. Andreas Eleftheriou, Mmes Eleni Eleftheriou, Lilia Papachristofi, M. Christos Theophilou et Mme Eleni Theophilou, la Commission européenne et la Banque centrale européenne (BCE) supporteront chacun leurs propres dépens, exposés tant en première instance qu’à l’occasion des pourvois.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.