CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRAL
MME ELEANOR SHARPSTON
présentées le12 mars 2019 (1)
Affaire C‑616/17
Procureur de la République
contre
Mathieu Blaise,
Sabrina Dauzet,
Alain Feliu,
Marie Foray,
Sylvestre Ganter,
Dominique Masset,
Ambroise Monsarrat,
Sandrine Muscat,
Jean-Charles Sutra,
Blanche Yon,
Kevin Perrin,
Germain Dedieu,
Olivier Godard,
Kevin Schachner,
Laura Escande,
Nicolas Rey,
Éric Benromdan,
Olivier Labrunie,
Simon Boucard,
Alexis Ganter,
Pierre Garcia
en présence de :
Espace Émeraude
[demande de décision préjudicielle formée par le tribunal correctionnel de Foix (France)]
« Renvoi préjudiciel – Environnement – Mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques – Validité du règlement (CE) no 1107/2009 au regard du principe de précaution – Fiabilité et impartialité de la procédure d’évaluation – Effet cumulé des substances actives – Pesticides – Glyphosate »
1. La présente demande de décision préjudicielle du tribunal correctionnel de Foix (ci-après la « juridiction de renvoi ») concerne les procédures mises en œuvre pour trouver un juste équilibre entre les effets négatifs et positifs de l’utilisation de produits chimiques dans la protection des végétaux. Un certain nombre de militants écologistes (ci‑après les « prévenus ») sont poursuivis pénalement pour avoir endommagé des bidons de désherbant (plus précisément du « Roundup ») contenant du glyphosate. Pour leur défense, ils font valoir que les produits présentent un risque potentiel inacceptable pour la santé humaine et l’environnement et que le processus d’approbation de l’Union européenne est défaillant et donc illégal.
Le droit de l’Union
2. Étant donné que l’argumentation des prévenus consiste en substance à faire valoir que le système mis en place par le législateur européen pour examiner et contrôler l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant certaines substances est défaillant, il est nécessaire d’exposer en détail la manière dont ce système fonctionne.
Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
3. En ce qui concerne la transparence exigée pour les activités de l’Union, l’article 15, paragraphe 1, TFUE établit le principe selon lequel « les institutions, organes et organismes de l’Union œuvrent dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture ». L’article 15, paragraphe 3, TFUE prévoit que les citoyens ont un droit d’accès aux documents des institutions, organes et organismes de l’Union sous réserve de « principes généraux et […] limites […], pour des raisons d’intérêt public ou privé, […] fixés par voie de règlements par le Parlement européen et le Conseil ». Le principe de transparence sous-tend donc toutes les activités de l’Union.
4. L’article 168 TFUE exige de l’Union qu’elle assure « [u]n niveau élevé de protection de la santé humaine […] dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union ». L’article 191, paragraphe 2, TFUE dispose que « [l]a politique de l’Union dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l’Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur-payeur ».
Le règlement (CE) no 1107/2009
5. L’article 1er, paragraphe 3, du règlement (CE) no 1107/2009 (2) (ci-après le « règlement PPP ») énonce que son objet est d’« assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement et [d’]améliorer le fonctionnement du marché intérieur ». L’article 1er, paragraphe 4, dispose que « [l]es dispositions du présent règlement se fondent sur le principe de précaution afin d’éviter que des substances actives ou des produits mis sur le marché ne portent atteinte à la santé humaine et animale ou à l’environnement. En particulier, les États membres ne sont pas empêchés d’appliquer le principe de précaution lorsqu’il existe une incertitude scientifique quant aux risques concernant la santé humaine ou animale ou l’environnement que représentent les produits phytopharmaceutiques devant être autorisés sur leur territoire » (3).
6. L’article 2, paragraphe 1, définit les produits phytopharmaceutiques comme étant des « produits, sous la forme dans laquelle ils sont livrés à l’utilisateur, consistant en substances actives, phytoprotecteurs ou synergistes, ou en contenant, et destinés à […] a) protéger les végétaux ou les produits végétaux contre tous les organismes nuisibles ou à prévenir l’action de ceux-ci, […] b) exercer une action sur les processus vitaux des végétaux, […] c) assurer la conservation des produits végétaux, […] d) détruire les végétaux ou les parties de végétaux indésirables, […] [et] e) freiner ou prévenir une croissance indésirable des végétaux ».
7. L’article 2 délimite le champ d’application du règlement. Les règles qu’il établit s’appliquent ainsi tout d’abord aux « substances actives » (« substances (4), y compris les micro-organismes, exerçant une action générale ou spécifique sur les organismes nuisibles ou sur les végétaux, parties de végétaux ou produits végétaux », article 2, paragraphe 2). La réglementation s’applique également aux « phytoprotecteurs » (« substances ou préparations qui sont ajoutées à un produit phytopharmaceutique pour annihiler ou réduire les effets phytotoxiques du produit phytopharmaceutique sur certaines plantes », article 2, paragraphe 3, sous a), aux « synergistes » [« substances ou préparations qui, bien que n’ayant pas ou guère d’activité […] peuvent renforcer l’activité de la ou des substances actives présentes dans un produit phytopharmaceutique », article 2, paragraphe 3, sous b)], aux « coformulants » [« substances ou préparations qui sont utilisées ou destinées à être utilisées dans un produit phytopharmaceutique ou un adjuvant, mais qui ne sont ni des substances actives ni des phytoprotecteurs ou synergistes », article 2, paragraphe 3, sous c)] et aux « adjuvants » [« substances ou préparations qui sont composées de coformulants ou de préparations contenant un ou plusieurs coformulants, sous la forme dans laquelle elles sont livrées à l’utilisateur et mises sur le marché, destinées à être mélangées par l’utilisateur avec un produit phytopharmaceutique et qui renforcent son efficacité ou d’autres propriétés pesticides », article 2, paragraphe 3, sous d)].
8. L’article 4 définit les critères d’approbation des substances actives. L’article 4, paragraphe 1, prévoit qu’une substance active « est approuvée conformément à l’annexe II s’il est prévisible, eu égard à l’état actuel des connaissances scientifiques et techniques, que, compte tenu des critères d’approbation énoncés aux points 2 et 3 de cette annexe, les produits phytopharmaceutiques contenant cette substance active satisfont aux conditions prévues aux paragraphes 2 et 3 » (5).
9. L’article 4, paragraphe 2, dispose que les résidus des produits phytopharmaceutiques contenant la substance active « résultant d’une application conforme aux bonnes pratiques phytosanitaires et dans des conditions réalistes d’utilisation […] a) n’ont pas d’effets nocifs sur la santé humaine, y compris les groupes vulnérables, ou sur la santé des animaux, compte tenu des effets cumulés et synergiques connus lorsque les méthodes scientifiques de ces effets, acceptées par l’Autorité (6), sont disponibles, ou sur les eaux souterraines » et que « b) ils n’ont pas d’effet inacceptable sur l’environnement ».
10. L’article 4, paragraphe 3, exige qu’un produit phytopharmaceutique contenant la substance active « a) [soit] suffisamment efficace ; b) […] n’[ait] pas d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine, y compris les groupes vulnérables, ou sur la santé animale, directement ou par l’intermédiaire de l’alimentation en eau potable […] des denrées alimentaires, des aliments pour animaux ou de l’air, ou d’effets sur le lieu de travail ou d’autres effets indirects, compte tenu des effets cumulés et synergiques connus lorsque les méthodes d’évaluation scientifiques de ces effets, acceptées par l’Autorité, sont disponibles ; ou sur les eaux souterraines ; c) […] n’[ait] aucun effet inacceptable sur les végétaux ou les produits végétaux ; d) […] ne provoque ni souffrances ni douleurs inutiles chez les animaux vertébrés à combattre ; e) […] n’[ait] pas d’effets inacceptables sur l’environnement ».
11. L’article 4, paragraphe 4, prévoit que les « exigences prévues aux paragraphes 2 et 3 sont évaluées selon des principes uniformes visés à l’article 29, paragraphe 6 ». Cette dernière disposition prévoit l’adoption de règlements en vue de définir des principes uniformes d’évaluation et d’autorisation et dispose par ailleurs qu’« [e]n vertu de ces principes, l’interaction entre la substance active, les phytoprotecteurs, les synergistes et les coformulants doit être prise en compte lors de l’évaluation des produits phytopharmaceutiques » (7).
12. L’article 6 contient une liste non exhaustive des types de restrictions susceptibles d’être imposées pour l’approbation d’une substance active, d’un phytoprotecteur ou d’un synergiste, y compris « toute autre condition particulière résultant de l’évaluation des informations mises à disposition dans le contexte du présent règlement » [article 6, point j)].
13. Le règlement PPP prévoit, au chapitre II, section 1, sous-section 2, « Procédure d’approbation », les étapes à suivre pour l’approbation d’une substance active. En vertu de l’article 7, paragraphe 1, du règlement, la première étape consiste, pour le producteur (8) de la substance active, à introduire auprès d’un État membre, dénommé « État membre rapporteur », une demande accompagnée d’un « dossier récapitulatif et d’un dossier complet, établis conformément à l’article 8, paragraphes 1 et 2 », démontrant que la substance active concernée satisfait aux critères d’approbation établis à l’article 4. L’article 8, paragraphe 1, sous a), précise que le dossier récapitulatif comprend notamment « les informations relatives à une ou plusieurs utilisations représentatives, sur une culture très répandue dans chaque zone(9), d’au moins un produit phytopharmaceutique contenant la substance active, qui démontrent que les critères d’approbation de l’article 4 sont respectés ». L’article 8, paragraphe 2, indique que « [l]e dossier complet contient le texte intégral des différents rapports d’essais et d’études ».
14. Les données que doit contenir le dossier sont précisées dans le règlement (UE) no 283/2013 (10). Ce règlement prévoit notamment que « [l]es informations doivent être suffisantes pour permettre l’évaluation des risques prévisibles, immédiats ou à plus long terme » [point 1.1 de l’introduction de l’annexe du règlement no 283/2013] ; que « [t]oute information sur les effets potentiellement nocifs de la substance active, de ses métabolites et de ses impuretés sur la santé humaine ou animale ou sur les eaux souterraines doit être incluse » (point 1.2) ; qu’une synthèse de « toutes les données pertinentes de la documentation scientifique accessible, validée par la communauté scientifique, relative à la substance active, à ses métabolites et produits de dégradation ou de réaction ainsi qu’aux produits phytopharmaceutiques contenant la substance active, et traitant des effets secondaires sur la santé, l’environnement et les espèces non ciblées » doit être fournie (point 1.4) ; que « [l]es essais et analyses doivent être effectués conformément aux principes fixés dans la directive 2004/10/CE (11) […] lorsqu’ils ont pour but de recueillir des données sur les propriétés intéressant la santé humaine et animale ou l’environnement » (point 3.1) ; et qu’il convient de fournir « [d]es résultats [d’]études à long terme effectuées et communiquées, associés à d’autres données et informations pertinentes sur la substance active, […] suffisants pour […] détecter les effets nocifs résultant de l’exposition prolongée à la substance active » [point 5.5 de la partie A de l’annexe au règlement no 283/2013]. Le point 2 de l’introduction de l’annexe du règlement no 283/2013 prévoit que « [l]es exigences fixées dans le présent règlement correspondent aux données minimales à fournir ».
15. La deuxième étape prévue par le règlement PPP est l’examen du dossier par l’État membre rapporteur. Lorsqu’il estime le dossier complet et dans les douze mois à compter de la date à laquelle il a notifié au demandeur, aux autres États membres, à la Commission et à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (ci‑après l’« Autorité ») que la demande est recevable, l’État membre rapporteur établit, un projet de rapport d’évaluation « évaluant si la substance active est susceptible de satisfaire aux critères d’approbation » et le soumet à la Commission, « avec copie à l’Autorité » (article 11, paragraphe 1, du règlement PPP). L’évaluation de l’État membre rapporteur doit être « indépendante, objective et transparente » et réalisée «à la lumière des connaissances scientifiques et techniques actuelles » (article 11, paragraphe 2).
16. La troisième étape consiste pour l’Autorité à réexaminer le projet de rapport d’évaluation. Après avoir communiqué le projet de rapport d’évaluation aux autres États membres, et avoir mis à la disposition du public une version du rapport et laissé un délai de 60 jours pour la présentation d’observations écrites (article 12, paragraphe 1, du règlement PPP), l’Autorité « adopte, compte tenu de l’état actuel des connaissances scientifiques et techniques, en utilisant les documents d’orientation disponibles au moment de la demande, des conclusions dans lesquelles elle précise si la substance active est susceptible de satisfaire aux critères d’approbation de l’article 4 […] » (article 12, paragraphe 2).
17. La quatrième étape consiste pour la Commission à tenir compte des conclusions de l’Autorité et du projet de rapport d’évaluation (12) pour rédiger un « rapport d’examen » et un projet de règlement proposant d’approuver (avec ou sans conditions) ou de ne pas approuver la substance active concernée (article 13, paragraphe 1, du règlement PPP). Enfin, sur la base de ce rapport et des « autres facteurs légitimes en l’espèce et du principe de précaution », le comité visé à l’article 79, paragraphe 1, du règlement PPP adopte un règlement approuvant la substance concernée, avec ou sans conditions, ou ne l’approuvant pas (article 13, paragraphe 2).
18. L’approbation d’une substance active peut être renouvelée ou non à la suite d’une demande du ou des producteurs concernés conformément à l’article 14, paragraphe 1, du règlement PPP, selon qu’il est ou non « établi qu’il est satisfait aux critères d’approbation énoncés à l’article 4 ».
19. Le fait qu’une substance active a été approuvée n’est pas, en soi, suffisant pour permettre à un fabricant d’introduire cette substance dans un produit phytopharmaceutique et de mettre le produit sur le marché.
20. L’article 28, paragraphe 1, du règlement PPP prévoit qu’« un produit phytopharmaceutique ne peut être mis sur le marché ou utilisé que s’il a été autorisé dans l’État membre concerné conformément au présent règlement ». L’article 29, paragraphe 1, prévoit qu’un produit phytopharmaceutique ne peut être autorisé que si, « selon les principes uniformes visés au paragraphe 6 (13), il satisfait (notamment) aux exigences suivantes : a) ses substances actives, phytoprotecteurs et synergistes ont été approuvés ; […] c) ses coformulants ne figurent pas dans l’annexe III (14) ; d) sa formulation technique est telle que l’exposition de l’utilisateur ou d’autres risques sont limités dans la mesure du possible sans compromettre le fonctionnement du produit ; e) dans l’état actuel des connaissances scientifiques et techniques, il satisfait aux conditions prévues à l’article 4, paragraphe 3 (15) ; f) la nature et la quantité de ses substances actives, phytoprotecteurs et synergistes et, le cas échéant, les impuretés et coformulants importants sur le plan toxicologique, écotoxicologique ou environnemental peuvent être déterminés à l’aide de méthodes appropriées ».
21. L’article 29, paragraphe 2, du règlement PPP exige du demandeur qu’il prouve « le respect des exigences énoncées au paragraphe 1, points a) à h) ». L’article 29, paragraphe 3, exige que le respect « des exigences énumérées au paragraphe 1, point b) et points e) à h), [soit] assuré par des essais et des analyses officiels ou officiellement reconnus ».
22. Comme pour la procédure d’approbation d’une substance active au niveau de l’Union, le règlement PPP définit une série d’étapes à suivre au niveau des États membres pour l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique. La première étape est que le demandeur introduise une demande auprès de chaque État membre « dans lequel le produit phytopharmaceutique est destiné à être mis sur le marché » (article 33, paragraphe 1). Sont joints à la demande « a) […] un dossier complet et un dossier récapitulatif pour chaque point des exigences en matière de données applicables au produit phytopharmaceutique ; b) pour chaque substance active, phytoprotecteur et synergiste contenu dans le produit phytopharmaceutique, un dossier complet et un dossier récapitulatif pour chaque point des exigences en matière de données applicables à la substance active, au phytoprotecteur et au synergiste » (article 33, paragraphe 3).
23. Les exigences en matière de données du dossier sont précisées dans le règlement (UE) no 284/2013 (16). Conformément à ce règlement, le dossier doit notamment satisfaire aux exigences suivantes : « [l]es informations [du dossier] doivent être suffisantes pour permettre l’évaluation de l’efficacité et des risques prévisibles, immédiats ou à plus long terme, que le produit phytopharmaceutique peut comporter pour l’homme, y compris les groupes vulnérables, les animaux et l’environnement, et contenir au moins les informations et résultats des études visées dans la présente annexe » [point 1.1 de l’introduction à l’annexe du règlement (UE) no 284/2013] ; « [t]oute information sur les effets potentiellement nocifs du produit phytopharmaceutique sur la santé humaine et animale ou sur les eaux souterraines doit être incluse, ainsi que les effets cumulés et synergiques connus et prévus » (point 1.2) ; « [t]oute information sur les effets potentiellement inacceptables du produit phytopharmaceutique sur l’environnement, les végétaux et les produits végétaux doit être incluse, ainsi que les effets cumulés et synergiques connus et prévus » (point 1.3) ; « [l]es informations doivent comprendre toutes les données pertinentes de la documentation scientifique accessible, validée par la communauté scientifique, relative à la substance active, à ses métabolites et produits de dégradation ou de réaction ainsi qu’aux produits phytopharmaceutiques contenant la substance active, et traitant des effets secondaires sur la santé, l’environnement et les espèces non ciblées » (point 1.4) ; et « [l]es informations fournies pour le produit phytopharmaceutique et pour la substance active doivent être suffisantes pour : […] c) permettre d’évaluer les risques à court et long terme pour les espèces, populations, communautés et processus non ciblés ; […] e) permettre une évaluation des risques de l’exposition aiguë et chronique du consommateur, y compris, le cas échéant, une évaluation du risque cumulé découlant de l’exposition à plus d’une substance active ; f) permettre une estimation de l’exposition aiguë et chronique des opérateurs, des travailleurs, des résidents et de toute autre personne présente sur les lieux, y compris, le cas échéant, l’exposition cumulée à plus d’une substance active » (point 1.12).
24. Comme pour les demandes d’approbation d’une substance active, ce que doit contenir le dossier, selon les dispositions du règlement no 284/2013, ce sont « les données minimales à transmettre » (point 2 de l’introduction de l’annexe) et les « essais et analyses […] effectués conformément aux principes énoncés dans la directive 2004/10/CE » (bonnes pratiques de laboratoire, point 3).
25. En vertu de l’article 36, paragraphe 1, du règlement PPP, la seconde étape exige de l’État membre concerné qu’il procède « à une évaluation indépendante, objective et transparente, à la lumière des connaissances scientifiques et techniques actuelles, en utilisant les documents d’orientation disponibles au moment de la demande ». Cet État membre appliquera les « principes uniformes d’évaluation et d’autorisation des produits phytopharmaceutiques visés à l’article 29, paragraphe 6 » et donnera également « à tous les États membres de la même zone la possibilité de faire part de leurs observations, qui seront examinées lors de l’évaluation ».
26. La troisième étape consiste pour le ou les États membres concernés à accorder ou refuser les autorisations « sur la base des conclusions de l’évaluation » (article 36, paragraphe 2, du règlement PPP).
27. Tout au long tant de la procédure d’approbation que de la procédure d’autorisation au titre du règlement PPP, un demandeur peut demander aux États membres concernés que certaines données qu’ils ont fournies dans leurs demandes et leurs dossiers soient traitées de façon confidentielle (article 7, paragraphe 3, et article 33, paragraphe 4, du règlement PPP). Le demandeur qui formule une telle demande doit le faire conformément à l’article 63 du règlement PPP qui prévoit que « [t]oute personne demandant que les informations soumises en application du présent règlement soient traitées de façon confidentielle est tenue d’apporter une preuve vérifiable démontrant que la divulgation de ces informations pourrait porter atteinte à ses intérêts commerciaux ou à la protection de sa vie privée et de son intégrité ». L’article 63 s’entend sans préjudice de la directive 2003/4/CE (17) concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement.
28. L’approbation d’une substance active peut toujours être retirée. L’article 21, paragraphe 1, du règlement PPP dispose donc que « [l]a Commission peut réexaminer l’approbation d’une substance active à tout moment » et « tient compte de la demande d’un État membre d’examiner, à la lumière des nouvelles connaissances scientifiques et techniques et des données de contrôle, l’approbation d’une substance active ».
29. L’article 69 du règlement PPP prévoit enfin un mécanisme de mesures d’urgence « [l]orsqu’il apparaît clairement qu’une substance active, un phytoprotecteur, un synergiste ou un coformulant approuvé ou un produit phytopharmaceutique qui a été autorisé en vertu du présent règlement est susceptible de constituer un risque grave pour la santé humaine ou animale ou l’environnement et que ce risque ne peut être maîtrisé de façon satisfaisante au moyen des mesures prises par l’État membre ou les États membres concernés ». Dans ces circonstances, « des mesures visant à restreindre ou interdire l’utilisation et/ou la vente de la substance ou du produit en question sont prises immédiatement […] soit à l’initiative de la Commission, soit à la demande d’un État membre[, mais a]vant d’arrêter de telles mesures, la Commission examine les éléments disponibles et peut demander l’avis de l’Autorité ». Dans des situations d’« extrême urgence », l’article 70 permet à la Commission d’arrêter des « mesures d’urgence » après avoir consulté le ou les États membres concernés. En outre, « [l]orsqu’un État membre informe officiellement la Commission de la nécessité de prendre des mesures d’urgence et qu’aucune mesure n’a été arrêtée conformément à l’article 69 ou à l’article 70, cet État membre peut prendre des mesures conservatoires provisoires » (article 71 du règlement PPP).
Le droit français
30. L’article 322-1 du code pénal français prévoit que la destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui est punie d’une amende pouvant aller jusqu’à 30 000 euros et d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans. S’il n’en est résulté qu’un dommage léger, l’infraction entre dans la catégorie des infractions mineures et le montant maximum de la peine est de 1 500 euros.
31. Les articles 40 et 40-1 du code de procédure pénale français confèrent au ministère public le pouvoir d’apprécier la suite à donner aux plaintes, dénonciations et procès-verbaux dont il est saisi. Une fois que le ministère public a constaté l’existence d’une infraction qu’aucun obstacle juridique n’empêche de poursuivre, c’est à lui qu’il appartient soit de déclencher l’action publique, soit de classer sans suite. L’article 122-7 du code pénal prévoit que l’état de nécessité constitue une cause d’irresponsabilité pénale.
Faits et historique de la procédure
32. À deux reprises, le 27 septembre 2016 et le 1er mars 2017, les prévenus, membres du groupe de militants « Faucheurs volontaires anti-OGM ariègeois », se sont introduits dans trois magasins. Dans deux d’entre eux, ils ont dégradé à l’aide de peinture des bidons de désherbant contenant du glyphosate (et plus précisément du « Roundup »). Dans le troisième magasin, ils ont utilisé de la peinture et des rouleaux du magasin lui-même pour dégrader les produits Roundup et certaines vitrines. Dans l’un des magasins, ils ont distribué des tracts intitulés « Roundup and Co, on n’en peut plus, on n’en veut plus ». Certains membres du groupe ont indiqué aux policiers que leur intention était de « marquer le coup » pour attirer l’attention sur le fait qu’était enfreinte la réglementation exigeant que les produits contenant du glyphosate se trouvent derrière des vitrines et que, lors de leur vente, les vendeurs communiquent l’information que le glyphosate est cancérogène.
33. Les intéressés sont prévenus de dégradation ou détérioration du bien d’autrui commise en réunion. Lors d’une audience devant la juridiction de renvoi, le 17 août 2017, les prévenus ont demandé à cette dernière de poser des questions à la Cour au titre de l’article 267 TFUE. Le ministère public ne s’est pas opposé à cette demande, au motif que i) s’il s’était avéré que les produits contenant du glyphosate présentaient des risques pour la santé humaine et l’environnement, il aurait pu choisir de ne pas engager de poursuite contre les prévenus et que ii) une telle constatation pourrait neutraliser l’élément légal sur lequel les poursuites étaient fondées. Les prévenus ont également fait valoir que, même s’ils devaient être condamnés, une telle constatation pourrait amener la juridiction de renvoi à prononcer une dispense de peine compte tenu de l’intérêt louable de leur action.
34. La juridiction de renvoi a exprimé ses doutes i) sur la question de savoir si le demandeur ne dispose pas d’une trop grande marge d’appréciation s’agissant de définir la substance active couverte par la procédure d’approbation, ii) quant aux règles qui permettent aux demandeurs de réaliser eux-mêmes les tests et analyses contenus dans le dossier et d’utiliser les règles de confidentialité pour prévenir une contre-analyse indépendante de ce dossier et iii) sur la question de savoir si les tests requis pour le produit phytopharmaceutique contenant du glyphosate effectivement mis sur le marché sont suffisants (tant en ce qui concerne l’« effet cocktail » qu’en ce qui concerne la toxicité à long terme).
35. Dans un contexte de controverse scientifique concernant le glyphosate et compte tenu du fait que le règlement PPP est fondé sur le principe de précaution, le tribunal correctionnel de Foix (France) estime que la législation de l’Union, telle qu’elle existe actuellement, pourrait être insuffisante pour garantir la pleine protection de la population et de l’environnement. Elle a par conséquent décidé de déférer à la Cour les questions suivantes :
« 1) Le [règlement PPP] est-il conforme au principe de précaution lorsqu’il omet de définir précisément ce qu’est une substance active, laissant le soin au pétitionnaire de choisir ce qu’il dénomme substance active dans son produit, et lui laissant la possibilité d’orienter l’intégralité de son dossier de demande sur une substance unique alors que son produit fini commercialisé en comprend plusieurs ?
2) Le principe de précaution et l’impartialité de l’autorisation de commercialisation sont-ils assurés lorsque les tests, analyses et évaluations nécessaires à l’instruction du dossier sont réalisés par les seuls pétitionnaires pouvant être partiaux dans leur présentation, sans aucune contre-analyse indépendante et sans que soient publiés les rapports de demandes d’autorisation sous couvert de protection du secret industriel ?
3) Le [règlement PPP] est-il conforme au principe de précaution lorsqu’il ne tient aucun compte des pluralités de substances actives et de leur emploi cumulé, en particulier lorsqu’il ne prévoit aucune analyse spécifique complète au niveau européen des cumuls de substances actives au sein d’un même produit ?
4) Le [règlement PPP] est-il conforme au principe de précaution lorsqu’il dispense en ses chapitres 3 et 4 d’analyses de toxicité (génotoxicité, examen de carcinogénécité, examen des perturbations endocriniennes, etc.) les produits pesticides dans leurs formulations commerciales telles que mises sur le marché et telles que le consommateur et l’environnement y sont exposés, en n’imposant que des tests sommaires toujours réalisés par le pétitionnaire ? »
36. Le 15 mars 2018, la Cour a demandé à la juridiction de renvoi de lui indiquer l’incidence concrète des réponses aux questions posées sur les poursuites engagées contre les parties défenderesses. La juridiction de renvoi a répondu par lettre du 10 avril 2018.
37. Les parties défenderesses, les gouvernements français, grec et finlandais, le Parlement européen, le Conseil et la Commission ont présenté des observations écrites. À l’exception des gouvernements finlandais et grec, ces parties ont fait d’autres observations à l’audience du 25 novembre 2018 et ont répondu aux questions de la Cour.
Recevabilité
38. La Commission, le Parlement européen et le gouvernement français se demandent si le renvoi préjudiciel est recevable au motif qu’il n’apparaît pas clairement comment les réponses aux questions – qui concernent le système général de réglementation des produits phytopharmaceutiques au niveau de l’Union – auront une quelconque incidence sur la procédure pénale qui concerne la dégradation de produits dont la substance active est le glyphosate.
39. La juridiction de renvoi relève, dans sa décision de renvoi, que les défenderesses ont invoqué l’état de nécessité pour leur défense. Dans sa réponse aux questions de la Cour, la juridiction de renvoi a notamment confirmé que « la ou les réponses positives aux questions […] aurait pu conduire […] la juridiction saisie des poursuites à considérer que l’élément légal du délit était neutralisé, compte tenu du caractère nocif des produits commercialisés et dégradés par l’ensemble des prévenus ». À l’audience, le gouvernement français a admis que les réponses données pourraient avoir une incidence sur la sanction prononcée par la juridiction. Cela concorde avec ce qu’ont fait valoir les prévenus à titre subsidiaire devant la juridiction de renvoi, selon l’exposé fait dans la décision de renvoi.
40. Il est de jurisprudence constante que, dans le cadre d’une procédure au titre de l’article 267 TFUE, le juge national, qui est seul à avoir une connaissance directe des faits de l’affaire, est le mieux placé pour apprécier, au regard des particularités de celle-ci, la nécessité d’une décision préjudicielle pour rendre son jugement. La Cour est, en principe, tenue de statuer. Toutefois, la Cour considère qu’il lui appartient, en vue de vérifier sa propre compétence, d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national (18).
41. À mon avis, la recevabilité de la demande de décision préjudicielle est plausible. En tout état de cause, les prévenus font valoir, et le gouvernement français l’admet, que l’arrêt de la Cour peut avoir une incidence sur la sanction susceptible d’être prononcée à leur égard. Il n’y a pas de raison valable d’établir une distinction entre les poursuites elles-mêmes et le jugement susceptible d’être prononcé aux fins d’une procédure préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE. Je ne ferai aucune observation sur l’état de nécessité invoqué comme moyen de défense, ni sur la question de savoir s’il peut ou non être défendu au regard du droit national. C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient seule d’apprécier. Selon moi, la demande de décision préjudicielle est donc recevable (19).
Analyse
Observations préliminaires
42. J’ai deux observations à formuler sur le contexte dans lequel les questions préjudicielles ont été posées. La première concerne l’utilisation de la substance active qu’est le glyphosate comme exemple d’une défaillance alléguée du régime général applicable aux produits phytopharmaceutiques. La seconde concerne le rôle que le principe de précaution devrait jouer dans l’examen de la validité d’un acte juridique de l’Union.
L’utilisation du glyphosate à titre d’exemple
43. Les prévenus considèrent le glyphosate comme l’exemple même de ce qui pose problème dans le règlement PPP. Bien que les institutions de l’Union aient adopté des actes spécifiques concernant l’utilisation du glyphosate (20), aucune des quatre questions déférées ne mentionnent – et encore moins ne visent – ces actes. Au lieu de cela, l’accent est mis sur l’architecture réglementaire globale mise en place par le règlement PPP, qui concerne l’ensemble des produits phytopharmaceutiques.
44. La validité d’une disposition du droit de l’Union s’apprécie en fonction des caractéristiques propres à cette disposition et ne saurait dépendre des circonstances particulières d’un cas d’espèce donné (21). Selon moi, ce principe est particulièrement pertinent dans la présente affaire. À moins qu’il puisse être démontré que les préoccupations relatives au glyphosate font apparaître une défaillance systémique et fondamentale de nature à saper le règlement PPP et l’objectif que ce règlement vise à atteindre, elles ne peuvent mettre en question l’intégrité globale du régime d’approbation préalable établi par ce règlement.
45. Ainsi, si les éléments probants fournis font apparaître des divergences d’opinion scientifique entre des tiers, tels que des scientifiques (22) ou des instituts internationaux (23), et les institutions de l’Union, toute erreur qui pourrait être alléguée quant aux conclusions tirées par ces dernières se limite nécessairement au cas spécifique du glyphosate. De même, le fait qu’il puisse oui ou non y avoir eu des problèmes d’indépendance et de transparence au cours des évaluations du glyphosate ne peut être considéré comme une preuve que chaque évaluation d’une substance active au titre du règlement est entachée des mêmes défaillances alléguées (24).
46. La question essentielle qui se pose devant la Cour est simplement de savoir si des dispositions générales, systémiques, du règlement PPP sont entachées de défaillances telles qu’elles sont de nature à invalider le règlement en question.
Le rôle du principe de précaution dans le contrôle juridictionnel de la validité des actes de l’Union
47. Toutes les questions déférées portent sur la conformité du règlement PPP avec le principe de précaution. La juridiction de renvoi n’explique toutefois pas ce qu’elle considère être les composantes de ce principe ou n’indique pas dans quelle mesure ce principe doit être appliqué par la Cour lorsqu’elle examine si une mesure de l’Union telle que le règlement PPP n’est pas valable. La compréhension de ces deux éléments est nécessaire pour déterminer l’étendue de la présente analyse.
48. Une application correcte du principe de précaution présuppose, en premier lieu, l’identification des conséquences potentiellement négatives pour la santé (ou l’environnement) de l’utilisation proposée de la substance en cause et, en second lieu, une évaluation d’ensemble du risque pour la santé (ou l’environnement) fondée sur les données scientifiques disponibles les plus fiables et sur les résultats les plus récents de la recherche internationale (25). Dès lors que ces conditions sont remplies, les autorités compétentes (que ce soit au niveau de l’Union ou au niveau de l’État membre) peuvent faire application du principe de précaution afin de prendre « des mesures de protection […] sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées » (26). Les mesures prises doivent également être proportionnées en ce qu’elles ne doivent pas « dépasse[r] les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause » (27).
49. Un recours en annulation peut donc être formé sur le fondement du principe de précaution en vue d’attaquer un acte jugé trop restrictif (28) par opposition à un acte jugé n’être pas suffisamment restrictif (29). Dans le premier cas, la question de savoir si une disposition a été enfreinte revient en substance à déterminer si le principe de proportionnalité a été enfreint (30). Dans le second cas, les arguments relatifs à la violation du principe de précaution « ne servaient qu’à étayer les moyens et arguments explicitement invoqués par ailleurs » (31).
50. Le règlement PPP est lui-même une mesure de précaution parce qu’il met en place un régime d’autorisation préalable affectant une catégorie générale de produits (les produits phytosanitaires) (32). Le texte du règlement PPP indique clairement qu’il est fondé sur le principe de précaution (33) et que les mesures adoptées au titre de ce règlement sont fondées sur ce même principe (34).
51. Les questions de la juridiction de renvoi ne laissent pas penser que le régime d’autorisation préalable établi par le règlement PPP enfreindrait en soi le principe de précaution. Ces questions portent plutôt sur des défaillances générales que présenterait le régime global d’évaluation des risques des produits phytopharmaceutiques, et plus particulièrement sur le fait que l’évaluation ne serait pas suffisamment complète (première, troisième et quatrième questions) ou indépendante et transparente (deuxième question).
52. Le domaine du droit couvert par le règlement PPP est techniquement et scientifiquement complexe. Les institutions de l’Union disposent par conséquent d’un pouvoir d’appréciation particulièrement large dans la définition des mesures qu’elles adoptent. Ces mesures ne sont susceptibles d’être annulées que lorsqu’elles sont manifestement inappropriées ou lorsque les institutions ont commis des erreurs manifestes au regard de l’objectif poursuivi (35).
Sur les première et troisième questions
53. Les première et troisième questions se chevauchent en ce que toutes deux expriment les doutes de la juridiction de renvoi sur la question de savoir si l’« effet cocktail » d’une substance active (c’est‑à‑dire l’effet de l’exposition i) à différents produits phytopharmaceutiques contenant la même substance active ou ii) à différentes substances actives contenues dans un même produit phytopharmaceutique) est pleinement évalué par le règlement PPP. Étant donné que c’est au demandeur de définir la notion de « substance active », la juridiction nationale est également préoccupée par le fait que ce dernier pourrait jouir d’une trop grande marge d’appréciation quant à ce qui fera en fin de compte l’objet de l’évaluation des autorités compétentes (36).
54. J’examinerai tout d’abord les exigences spécifiques du règlement PPP en matière de données, qui concernent à la fois l’identification de la substance active et l’« effet cocktail », avant d’examiner les mécanismes généraux de filet de sécurité mis en place par le règlement.
55. L’article 2, paragraphe 2, du règlement PPP indique clairement que toute substance exerçant « une action générale ou spécifique sur les organismes nuisibles ou sur les végétaux, parties de végétaux ou produits végétaux » doit être considérée comme une « substance active » à laquelle le règlement s’applique. Si une substance répond à cette définition, elle ne peut légalement être mise sur le marché de l’Union à l’une des fins mentionnées à l’article 2, paragraphe 1, du règlement que si le producteur qui souhaite le faire a demandé et obtenu l’approbation de cette substance. À cette fin, il est clair qu’il devra fournir aux autorités compétentes des données obtenues de manière objective, s’il souhaite obtenir cette approbation. Plus précisément, il devra fournir des données détaillées (notamment) sur l’identité de la substance, sa formule moléculaire, la spécification de la pureté, les impuretés pertinentes et significatives et les additifs (37). Le système mis en place par le règlement PPP est donc conçu pour donner aux autorités compétentes une connaissance détaillée de la composition précise de la substance active, impuretés comprises.
56. De façon similaire, il me semble que le règlement PPP et la réglementation dérivée en la matière, pris conjointement, devraient garantir que les « effets cocktail » éventuels tant d’une substance active que d’un produit phytopharmaceutique soient inclus dans l’évaluation globale des risques menée par les autorités compétentes.
57. En ce qui concerne les substances actives, l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement PPP prévoit donc que l’évaluation d’une substance active implique de tenir « compte […] des effets cumulés et synergiques connus lorsque les méthodes d’évaluation scientifiques de ces effets, acceptées par l’Autorité, sont disponibles » (38). Pour permettre cela, le règlement no 283/2013 exige que les données fournies par le demandeur soient suffisantes pour « permettre une évaluation des risques de l’exposition du consommateur, y compris, le cas échéant, une évaluation du risque cumulé découlant de l’exposition à plus d’une substance active ; [et] permettre une estimation de l’exposition des opérateurs, des travailleurs, des résidents et de toute autre personne présente sur les lieux, y compris, le cas échéant, l’exposition cumulée à plus d’une substance active » (39). Ces exigences en termes de données et ces objectifs de l’évaluation trouvent un écho au niveau des États membres, lorsque ces derniers examinent les demandes d’autorisation pour un produit phytopharmaceutique (40).
58. Les mots « cumulatifs » et « synergétiques » sont, comme je les comprends, des alternatives plus scientifiques au mot « cocktail ». S’il devait subsister le moindre doute quant à la question de savoir si ces mots couvrent l’« effet cocktail », il est levé par l’article 29, paragraphe 6, du règlement PPP. Cet article souligne une nouvelle fois que la procédure d’évaluation en vue des approbations et des autorisations, tant au niveau de l’Union qu’à celui des États membres, s’étend au-delà des caractéristiques particulières d’une substance active donnée agissant seule et exige à cet effet qu’il soit également tenu compte de « l’interaction entre la substance active, les phytoprotecteurs, les synergistes et les coformulants ».
59. Une lecture plus complète du règlement PPP permet donc d’aboutir à la conclusion claire que la procédure d’évaluation qu’il met en place prend en compte l’« effet cocktail ». Lorsqu’il a été demandé à l’audience quels sont les modifications précises que le législateur devrait apporter au règlement PPP en vue de remédier à l’absence alléguée de prise en considération de l’effet cocktail, le conseil des prévenus a suggéré d’imposer l’exigence supplémentaire que les demandeurs fournissent les données d’études de toxicité à long terme lorsqu’ils demandent une autorisation pour leurs produits phytopharmaceutiques (41). La lecture du règlement que je viens d’esquisser, plus large, structurelle, n’a pas réellement été contestée.
60. Si une procédure d’approbation particulière ne tient pas suffisamment compte de l’« effet cocktail », il existe des filets de sécurité qui permettent de prendre des mesures de restriction sur la base du principe de précaution. C’est ainsi, par exemple, que le règlement PPP permet que des mesures de restrictions soient imposées pour une substance active approuvée « lorsque la Commission arrive à la conclusion qu’il n’est plus satisfait aux critères d’approbation prévus à l’article 4 ». Le système général assure donc que des problèmes qui peuvent être passés inaperçus au stade de l’approbation soient appréhendés à un stade ultérieur (42). Des mesures de précautions peuvent en outre être prises indépendamment de toute évaluation des risques entreprise dans le cadre des procédures d’approbation et d’autorisation du règlement PPP (43). Le règlement PPP permet donc concrètement aux autorités compétentes, au niveau de l’Union et au niveau des États membres, d’invoquer d’autres évaluations pour justifier des mesures de précaution en cas de besoin.
61. En résumé, aucun élément n’a été produit de nature à montrer que le règlement PPP est entaché d’une erreur manifeste telle que les évaluations effectuées au titre dudit règlement ne tiennent pas compte de l’« effet cocktail » ou qu’un demandeur est en mesure d’agir de telle façon, lorsqu’il fournit les données requises, que cet effet ne fera pas l’objet d’une évaluation. Le régime mis en place par le règlement est bien conçu et permet d’appréhender et de corriger des erreurs d’appréciation dans des cas particuliers.
La deuxième question
62. La deuxième question est fondée sur un certain nombre de suppositions : la première est qu’un demandeur qui veut obtenir l’approbation d’une substance active ou l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique est susceptible de fournir des données faussées aux autorités en vue de l’évaluation ; la deuxième est que ces données ne feront pas l’objet d’une « contre-analyse » indépendante ; et la troisième est que les demandes d’approbation (ainsi que les demandes d’autorisation) sont protégées de l’examen par des tiers par l’application de règles de confidentialité favorables à l’industrie. Si ces suppositions devaient être correctes, les évaluations effectuées ne seraient pas impartiales ou transparentes et risqueraient donc de compromettre le recours au principe de précaution dans la réglementation.
63. Selon moi, ces suppositions ne résistent pas à l’examen. Je les examinerai l’une après l’autre.
64. Toutes les évaluations réalisées dans le cadre du règlement PPP, que ce soit au niveau de l’Union ou au niveau des États membres, sont liées à la présentation de dossiers contenant des données complètes. Si les règles sont respectées, ces données répondront au niveau d’exigence fixé par le règlement en question et la réglementation dérivée en la matière. La « documentation scientifique accessible […] validée par la communauté scientifique » doit ainsi, par exemple, être jointe par l’auteur de la demande au dossier relatif à l’approbation d’une substance active (44), ainsi que, le cas échéant, « des essais et des analyses officiels ou officiellement reconnus » (45). Ces essais et analyses doivent être effectués conformément aux règles des bonnes pratiques de laboratoire (46).
65. Ces exigences expresses font obstacle à ce qu’un demandeur procède lui‑même aux études nécessaires selon ses propres protocoles (biaisés) et ses propres niveaux d’exigence (partiaux) et sélectionne les données qu’il préfère voir figurer dans son dossier. Il me semble au contraire clair que le règlement exige exactement l’inverse en imposant des conditions objectives quant à la qualité des données à fournir.
66. Le règlement PPP exige que les données qui appuient la demande d’approbation, dès lors qu’elles ont été fournies, fassent l’objet d’une évaluation par un certain nombre d’autorités publiques. Les données relatives aux substances actives doivent ainsi être examinées par un État membre rapporteur, son évaluation faisant ensuite à son tour l’objet d’un examen par les autres États membres et par l’Autorité (47). Pour les produits phytopharmaceutiques, l’évaluation est effectuée par un État membre avant d’être examinée par les autres États membres de la même zone géographique (48). Toutes ces évaluations sont effectuées « à la lumière des connaissances scientifiques et techniques actuelles » (49). De même, toutes ces évaluations sont effectuées de façon « indépendante, objective et transparente » ; celles effectuées par les États membres parce que le règlement PPP l’exige (50) et celles effectuées par l’Autorité parce que cette dernière est soumise à cette exigence depuis sa création (51).
67. En d’autres termes, il existe à tous les niveaux de la procédure d’approbation ou de la procédure d’autorisation prévues par le règlement PPP, un degré de vérification dont la réglementation impose qu’il soit d’un certain niveau d’exigence objectif et dont je considère qu’il assure une analyse systémique indépendante du matériel fourni par le demandeur (52).
68. Est donc dépourvu de pertinence le fait que le demandeur peut choisir dans quel État membre la procédure d’évaluation de la substance active sera entamée. Tous les États membres sont soumis aux mêmes obligations de vérification. Si l’État membre rapporteur ne parvient pas, quelle qu’en soit la raison, à procéder à une analyse indépendante adéquate des données du demandeur, le filet de sécurité réside dans l’exigence, imposée aux autres États membres ainsi qu’à l’Autorité, de procéder à un nouvel examen soumis aux mêmes obligations.
69. Je considère par conséquent qu’aucun élément n’a été produit de nature à infirmer la conclusion selon laquelle le régime d’évaluation structurée, au niveau de l’Union et au niveau des États membres, mis en place par le règlement PPP est à la fois approprié et suffisant pour atteindre le niveau élevé de protection de l’environnement et de la santé humaine recherché. S’il est correctement appliqué, ce système réglementaire engendrera une évaluation complète des risques susceptible d’être invoquée par les autorités compétentes pour justifier l’adoption de mesures conservatoires pour autant que de besoin.
70. Qu’en est-il de l’affirmation selon laquelle les règles de confidentialité contenues dans le règlement PPP pourraient être invoquées par le demandeur pour empêcher la publication de certains aspects de ses demandes d’approbation et, partant, d’empêcher un examen par un tiers ?
71. Selon moi, ces règles de confidentialité n’impliquent pas que l’évaluation réalisée ne serait, intrinsèquement, pas suffisamment transparente ou indépendante.
72. Ces règles fonctionnent sous la forme d’une exception au principe général d’accès à l’information et aux documents. C’est ce que montre clairement l’article 63, paragraphe 3, du règlement PPP, qui prévoit que les règles de confidentialité s’entendent sans préjudice de la directive 2003/4. Cette directive établit les droits et obligations des autorités des États membres lorsqu’elles reçoivent une demande d’accès à l’information en matière d’environnement. La Cour considère de manière constante que la directive a pour objectif de « garantir un accès de principe aux informations sur l’environnement détenues par les autorités publiques ou pour le compte de celles-ci et de parvenir […] à une mise à disposition et à une diffusion systématiques aussi larges que possible de ces informations auprès du public » (53). Toute dérogation à ce principe général, qu’elle soit fondée sur un intérêt public ou un intérêt privé, doit être interprétée et appliquée de manière restrictive (54). On trouve des règles équivalentes dans le règlement (CE) no 1367/2006 pour les demandes de divulgation par les institutions de l’Union du même type d’informations (55). Les mêmes principes d’accès le plus large possible et d’interprétation stricte des exceptions trouvent à s’appliquer (56).
73. L’article 63 du règlement PPP ne s’écarte en rien de ces principes établis de longue date. L’article 63, paragraphe 1, prévoit au contraire que lorsque le demandeur souhaite que les informations soumises soient traitées de façon confidentielle, il est tenu d’apporter une « preuve vérifiable » (57) démontrant que la divulgation de ces informations « pourrait porter atteinte à ses intérêts commerciaux ou à la protection de sa vie privée et de son intégrité ». En outre, les demandes de traitement confidentiel n’aboutiront pas, en ce qui concerne la spécification d’impureté de la substance active ou les méthodes d’analyse des impuretés, si les impuretés ou les méthodes sont considérées comme importantes sur le plan toxicologique, écotoxicologique ou environnemental » [article 63, paragraphe 2, sous b) et d)].
74. Il n’existe pas de droit absolu du public à accéder à toutes les données contenues dans le dossier d’un demandeur. Un tel droit absolu irait à l’encontre du droit primaire de l’Union, sous la forme de l’article 15, paragraphe 3, TFUE, qui permet aux institutions de prévoir dans leurs réglementations des « limites […], pour des raisons d’intérêt public ou privé » au principe général d’accès le plus large possible (58). Un tiers ne dispose pas d’un droit absolu à procéder à une évaluation croisée des risques en se référant aux données brutes du dossier du demandeur. Le rôle des tiers dans la procédure d’évaluation des risques est toutefois garanti par d’autres mécanismes dans le cadre du règlement PPP, tels que la mise à la disposition du public du dossier récapitulatif fourni par le demandeur (article 10 du règlement PPP) ainsi que du projet de rapport d’évaluation, un délai étant prévu pour la présentation d’observations (article 12 du règlement PPP).
75. Selon moi, les dispositions adoptées par les institutions de l’Union dans le règlement PPP en ce qui concerne l’accès du public aux données fournies par le demandeur sont conformes à l’article 15, paragraphe 3, TFUE et aux principes généraux établis dans la jurisprudence de la Cour (59). Elles sont, par conséquent, appropriées et ne sont pas entachées d’erreurs manifestes.
La quatrième question
76. La quatrième question se fonde sur la supposition que le règlement PPP « dispense » les demandeurs de l’obligation de fournir des données d’« analyses de la toxicité à long terme pour les […] produits pesticides dans leurs formulations commerciales telles que mises sur le marché et telles que le consommateur et l’environnement y sont exposés » (autrement dit, il n’est pas nécessaire de fournir de telles données pour les demandes d’autorisation de produits phytopharmaceutiques). Plus précisément, aucun essai ne doit être réalisé en matière de génotoxicité, de carcinogénécité ou de perturbations endocriniennes, des tests sommaires étant jugés suffisants. Cette « dispense » offre un contraste avec les exigences en matière de données en ce qui concerne les demandes d’approbation des substances actives.
77. Les exigences juridiques relatives aux données concernant les essais de toxicité pour la santé humaine diffèrent en effet selon que la demande a été introduite pour une substance active (60) ou un produit phytopharmaceutique. Les demandeurs ne sont, à proprement parler, pas « dispensés » de fournir de telles données pour les produits phytopharmaceutiques. Le règlement PPP et le règlement no 284/2013 prévoient plutôt que les données qui doivent être fournies pour les produits phytopharmaceutiques doivent montrer que le produit « n’a pas d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine, y compris les groupes vulnérables, ou sur la santé animale, directement ou par l’intermédiaire de l’eau potable (compte tenu des substances résultant du traitement de l’eau), des denrées alimentaires, des aliments pour animaux ou de l’air, ou d’effets sur le lieu de travail ou d’autres effets indirects, compte tenu des effets cumulés et synergiques connus » (61) Les exigences en matière de données précisées dans le règlement no 284/2013 constituent le minimum exigé (62). Les autorités chargées de l’examen des demandes ont toutefois expressément la possibilité d’exiger des données supplémentaires. Elles peuvent par exemple demander « des études complémentaires […] compte tenu des résultats des études de toxicité aiguë relatives aux différents produits phytopharmaceutiques et des propriétés toxicologiques des substances actives, de la possibilité d’exposition à la combinaison de produits concernés, notamment pour les groupes vulnérables, et des informations disponibles ou de l’expérience pratique concernant ces produits ou des produits similaires » (63).
78. Si une évaluation devait montrer qu’il existe un risque pour la santé humaine dû (par exemple) à la toxicité à long terme, mais qu’on ne peut déterminer clairement à quel point ce risque est sérieux, rien dans le règlement PPP n’empêche les autorités compétentes de rejeter la demande d’autorisation de ce produit phytopharmaceutique, en application du principe de précaution.
79. Il va de soi qu’il est toujours possible d’imposer des exigences plus strictes en matière de données. Exiger une analyse de toxicité à long terme avant qu’un produit phytopharmaceutique soit autorisé à être mis sur le marché entraîne à la fois des coûts supplémentaires et un report du moment où les agriculteurs ont accès à ce produit pour protéger leurs cultures. Comme c’est souvent le cas dans la vie, la réglementation dans ce domaine implique de mettre en balance deux préoccupations en concurrence : un niveau adéquatement élevé de protection pour les humains, les animaux et l’environnement (64) et la possibilité de mettre sur le marché des produits qui permettent d’accroître la productivité de l’agriculture. Aucun élément n’a été apporté à l’appui de la conclusion selon laquelle le législateur de l’Union aurait commis une erreur manifeste en procédant à cette mise en balance dans le règlement PPP.
Effet dans le temps de l’invalidité
80. La Commission a fait valoir que si la Cour devait considérer que le règlement est invalide, ses effets devraient néanmoins être maintenus, tant que les mesures correctives nécessaires n’ont pas été prises par les institutions de l’Union concernées.
81. Si la Cour devait ne pas partager l’analyse que j’ai faite ci‑dessus, je me rangerais à la position de la Commission, compte tenu de la complexité de ce domaine particulier du droit, ainsi que des conséquences accessoires éventuelles pour les mesures dérivées dont la base juridique est le règlement PPP. On peut considérer que la continuité du programme de produits phytopharmaceutiques est également essentielle (65).
Dernière remarque
82. À l’audience, les prévenus ont largement invoqué le rapport du Parlement européen sur la procédure d’autorisation des pesticides par l’Union (66). Ce rapport indique que « bien que [l’Union] ait l’un des systèmes les plus stricts au monde, le règlement en tant que tel et sa mise en œuvre doivent être améliorés pour que son objectif puisse être atteint » (67). Une série de recommandations y est donc faite en ce sens.
83. La publication de ce rapport est une excellente indication que les procédures de vérification et de réexamen prévues par le cadre institutionnel de l’Union fonctionnent comme elles le devraient. Rien de ce que j’ai dit dans les présentes conclusions ne doit être interprété en ce sens qu’il serait avisé pour le législateur de l’Union de se complaire dans la situation actuelle et de ne prêter aucune attention aux questions que soulève l’utilisation de produits chimiques de pointe dans l’agriculture quant aux risques qu’ils sont susceptibles de faire courir pour la santé humaine et animale et pour l’environnement. Toutefois, le fait que des recommandations ont été formulées en ce sens qu’une norme existante pourrait avantageusement être améliorée ne signifie pas nécessairement que le droit existant est à ce point entaché de défaillances qu’il devrait être invalidé. La plupart des dispositions normatives sont susceptibles d’être améliorées et le règlement PPP ne fait sans doute pas exception à cette règle générale. Après avoir examiné le règlement en détail à la lumière des questions posées, je constate qu’il n’est pas entaché d’une erreur manifeste et que, par conséquent, la question de sa validité ne se pose pas.
Conclusion
84. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour d’apporter la réponse suivante aux quatre questions préjudicielles posées par le tribunal correctionnel de Foix (France) :
L’examen des éléments produits devant la Cour ne fait apparaître aucun facteur susceptible de mettre en cause la validité du règlement (CE) no 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil.