Language of document : ECLI:EU:C:2005:425

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

7 juillet 2005 (*)

«Marques – Directive 89/104/CEE – Marques de services – Enregistrement – Services fournis dans le cadre du commerce de détail – Précision du contenu des services – Similitude entre les services en cause et des produits ou d’autres services»

Dans l’affaire C-418/02,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Bundespatentgericht (Allemagne), par décision du 15 octobre 2002, parvenue à la Cour le 20 novembre 2002, dans la procédure

Praktiker Bau- und Heimwerkermärkte AG

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. C. Gulmann (rapporteur) et R. Schintgen, Mme N. Colneric et M. J. N. Cunha Rodrigues, juges,

avocat général: M. P. Léger,

greffier: Mme M. Múgica Arzamendi, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er juillet 2004,

considérant les observations présentées:

–       pour Praktiker Bau- und Heimwerkermärkte AG, par Me M. Schaeffer, Rechtsanwalt,

–       pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme A. Bodard‑Hermant, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement autrichien, par M. E. Riedl, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. K. Manji, en qualité d’agent, assisté de M. M. Tappin, barrister,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par M. N. B. Rasmussen et Mme S. Fries, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 janvier 2005,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2, 4, paragraphe 1, sous b), et 5, paragraphe 1, sous b), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci-après la «directive»).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Praktiker Bau- und Heimwerkermärkte AG (ci-après «Praktiker Märkte») au Deutsches Patent- und Markenamt (office allemand des brevets et des marques) au sujet de l’enregistrement d’une marque de services fournis dans le cadre du commerce de détail.

 Le cadre juridique

3       L’article 2 de la directive dispose:

«Peuvent constituer des marques tous les signes susceptibles d’une représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises.»

4       L’article 4, paragraphe 1, de cette directive énonce:

«Une marque est refusée à l’enregistrement ou est susceptible d’être déclarée nulle si elle est enregistrée:

a)      lorsqu’elle est identique à une marque antérieure et que les produits ou services pour lesquels la marque a été demandée ou a été enregistrée sont identiques à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée;

b)      lorsqu’en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association avec la marque antérieure.»

5       L’article 5, paragraphe 1, prévoit:

«La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

a)      d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

b)      d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque.»

6       Le douzième considérant de la directive énonce qu’il est nécessaire que les dispositions de celle-ci soient en harmonie complète avec celles de la convention pour la protection de la propriété industrielle, signée à Paris le 20 mars 1883, révisée en dernier lieu à Stockholm le 14 juillet 1967 et modifiée le 28 septembre 1979 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 828, n° 11851, p. 305, ci-après la «convention de Paris»), qui lie tous les États membres de la Communauté.

7       L’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié (ci-après l’«arrangement de Nice»), a été conclu sur le fondement de l’article 19 de la convention de Paris, qui réserve aux pays de l’Union le droit de prendre séparément, entre eux, des arrangements particuliers pour la protection de la propriété industrielle.

8       La classification qu’il établit (ci-après la «classification de Nice») intitule comme suit la classe 35, afférente à des services:

«Publicité;

gestion des affaires commerciales;

administration commerciale;

travaux de bureau.»

9       La note explicative relative à cette classe précise:

«[...]

Cette classe comprend notamment:

–       le regroupement pour le compte de tiers de produits divers (à l’exception de leur transport) permettant au consommateur de les voir et de les acheter commodément;

[…]

Cette classe ne comprend pas notamment:

–       l’activité d’une entreprise dont la fonction primordiale est la vente de marchandises, c’est-à-dire d’une entreprise dite commerciale;

[…]»

10     L’article 2 de l’arrangement de Nice énonce:

«1)      Sous réserve des obligations imposées par le présent [a]rrangement, la portée de la classification est celle qui lui est attribuée par chaque pays de l’Union particulière. Notamment, la classification ne lie les pays de l’Union particulière ni quant à l’appréciation de l’étendue de la protection de la marque, ni quant à la reconnaissance des marques de service.

2)      Chacun des pays de l’Union particulière se réserve la faculté d’appliquer la classification à titre de système principal ou de système auxiliaire.

3)      Les administrations compétentes des pays de l’Union particulière feront figurer dans les titres et publications officiels des enregistrements des marques les numéros des classes de la classification auxquelles appartiennent les produits ou les services pour lesquels la marque est enregistrée.

[…]»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

11     Praktiker Märkte a déposé auprès du Deutsches Patent- und Markenamt, aux fins d’enregistrement, la marque Praktiker pour, notamment, le service de «commerce de détail d’articles de construction, de bricolage et de jardinage et d’autres biens de consommation pour le secteur du ‘do-it-yourself’».

12     Le Deutsches Patent- und Markenamt a rejeté cette demande. Il a estimé que la notion revendiquée de «commerce de détail» ne désigne pas des services indépendants, ayant une signification économique autonome. Elle ne viserait que la distribution de produits en tant que telle. Les activités économiques constituant la substance de la distribution de produits, notamment l’achat et la vente de ceux‑ci, ne seraient pas des services susceptibles de faire l’objet de l’enregistrement d’une marque. La protection des marques ne pourrait être obtenue, à cet égard, que par la demande d’enregistrement d’une marque destinée aux différents produits commercialisés.

13     Praktiker Märkte a introduit devant le Bundespatentgericht un recours contre la décision de rejet. Elle a notamment fait valoir que l’évolution économique vers une société de services exige une nouvelle appréciation du commerce de détail en tant que service. La décision d’achat prise par le consommateur serait de plus en plus influencée non seulement par la disponibilité et le prix d’un produit, mais également par d’autres aspects tels que le choix et le regroupement des produits, leur présentation, le service fourni par le personnel, la publicité, l’image et la situation du magasin, etc. De tels services fournis dans le cadre du commerce de détail permettraient aux détaillants de se distinguer de leurs concurrents. Ces prestations devraient pouvoir bénéficier de la protection d’une marque de services. En ce sens, la protection des marques serait désormais reconnue aux services fournis par un détaillant non seulement par l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (ci-après l’«OHMI»), mais également par la plupart des États membres. Une appréciation uniforme de cette question à l’intérieur de la Communauté s’imposerait.

14     Dans ce contexte, le Bundespatentgericht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Le commerce de détail de marchandises constitue-t-il un service au sens de l’article 2 de la directive?

         En cas de réponse affirmative à cette question:

2)      Dans quelle mesure le contenu de tels services fournis par un détaillant doit‑il être précisé afin de garantir que l’objet de la protection de la marque soit déterminé, comme l’exigent:

a)      la fonction de la marque, définie à l’article 2 de la directive, qui est de distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises;

b)      la nécessité de délimiter le domaine de protection d’une telle marque en cas de conflit?

3)      Dans quelle mesure y a-t-il lieu de délimiter le domaine de la similitude [article 4, paragraphe 1, sous b), et article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive] entre de tels services fournis par un détaillant et:

a)      d’autres services fournis dans le cadre de la distribution de produits

         ou

b)      les produits distribués par le détaillant en question?»

15     La juridiction de renvoi relève que l’article 2 de la directive ne comporte pas de définitions des termes «produits» et «services» qu’il emploie.

16     Selon elle, la substance de l’activité indépendante d’un détaillant, par laquelle il entre en concurrence directe avec d’autres distributeurs de produits et pour laquelle la protection autonome d’une marque de services pourrait s’avérer nécessaire, est réduite aux activités spécifiques de vente qui permettent une distribution de produits sans se limiter à la réalisation de celle-ci. Il s’agirait en l’occurrence du regroupement de produits provenant d’entreprises différentes en vue d’obtenir un assortiment et l’offre de celui-ci au niveau d’une entité de distribution, que ce soit dans le cadre du commerce traditionnel, de la vente par correspondance ou du commerce électronique. Même non facturés séparément à un client particulier, les services concernés pourraient être considérés comme fournis à titre onéreux, au moyen de la marge commerciale.

17     Cependant, de l’avis du Bundespatentgericht, afin que la fonction d’origine de la marque soit remplie, l’objet de la protection conférée doit être déterminé de façon suffisamment nette. Des termes généraux tels que «services du commerce de détail» ne satisferaient pas à l’exigence du caractère déterminé des droits d’exclusivité. Des limitations uniquement relatives aux produits distribués n’élimineraient pas le caractère indéterminé de la mention «commerce de détail» dans le domaine concerné. Elles laisseraient ouverte la question de savoir quels sont les services visés au-delà de la simple vente de ces produits. Des objections analogues pourraient être formulées en ce qui concerne des précisions relatives à la nature du point de vente, par exemple «grand magasin» ou «supermarché».

18     La nécessité d’une limitation, lors de l’enregistrement des marques, du contenu de la notion de «services rendus par un détaillant» s’imposerait à plus forte raison lors de l’interprétation de la notion de «risque de confusion» visée aux articles 4, paragraphe 1, sous b), et 5, paragraphe 1, sous b), de la directive. En effet, même une précision adéquate, lors de la procédure d’enregistrement, du contenu de la notion de «services fournis par un détaillant» serait en définitive insuffisante si la marque de services enregistrée devait se voir conférer un domaine de protection incontrôlable du fait d’une interprétation large de la notion de «similitude de produits ou de services».

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les deux premières questions

19     Par ses deux premières questions, qu’il convient d’examiner ensemble, le Bundespatentgericht demande en substance si la notion de «services» visée par la directive, notamment à son article 2, doit être interprétée en ce sens qu’elle comprend les services fournis dans le cadre du commerce de détail de produits et, dans l’affirmative, si l’enregistrement d’une marque de services pour de telles prestations est subordonné à certaines précisions.

 Observations soumises à la Cour

20     Praktiker Märkte considère que le commerce de détail de produits constitue un service au sens de la directive. Une marque le protégeant en tant que service serait propre à remplir la fonction d’origine de la marque. Il ne serait pas nécessaire de préciser le contenu des services fournis aux fins de la détermination de l’objet de la protection.

21     Le gouvernement français a indiqué au cours de la procédure orale qu’il admet désormais que certaines prestations spécifiques accompagnant la vente au détail, et dont le contenu devrait être précisé, puissent constituer des prestations autonomes par rapport à la vente et soient donc susceptibles de bénéficier de la protection d’une marque.

22     Le gouvernement autrichien estime que le noyau central du commerce de détail, à savoir la vente de produits, ne constitue pas un service susceptible de faire l’objet, en tant que tel, de la protection d’une marque, ainsi que le confirme, selon lui, la note explicative relative à la classe 35 de la classification de Nice. Seules des prestations allant au-delà de ce noyau central, et dont le contenu devrait être spécifié, pourraient donner lieu à l’enregistrement d’une marque de services.

23     Le gouvernement du Royaume-Uni fait valoir qu’une marque peut être valablement enregistrée pour un service si les consommateurs se voient offrir, sous cette marque, un service identifiable allant au-delà de la simple distribution de marchandises. La note explicative relative à la classe 35 de la classification de Nice confirmerait que la simple distribution de produits ne représente pas un service identifiable, mais que les aspects de l’activité du commerce de détail relatifs au regroupement pour le compte de tiers de produits divers permettant au consommateur de les voir et de les acheter commodément peuvent constituer un service susceptible d’être protégé par une marque. Aux fins de l’enregistrement de celle-ci, les aspects de l’activité constituant le service ainsi que le ou les domaines de l’activité de commerce de détail couverts devraient être spécifiquement énoncés en vue de garantir la certitude de l’objet de la protection.

24     La Commission soutient que le commerce de détail de produits constitue un service au sens de la directive lorsque sont remplies les conditions de l’article 50 CE. La protection d’une marque de services pourrait s’appliquer à toutes les activités qui ne sont pas de pures activités de vente. Il ne serait pas possible d’énumérer de manière exhaustive tous les services en cause. Ceux-ci pourraient englober la disposition des produits, l’emplacement, la facilité générale proposée, l’attitude et l’engagement du personnel, l’attention portée aux clients.

25     La question de la précision du contenu des services se pose, selon la Commission, d’un point de vue juridique formel, pour l’enregistrement de la marque. Cette question relèverait de la compétence des États membres, ainsi que cela résulterait du cinquième considérant de la directive, selon lequel il appartient aux États membres de fixer les dispositions de procédure concernant l’enregistrement, à savoir, par exemple, la forme des procédures d’enregistrement. À cet égard, seule la classe 35 de la classification de Nice serait envisageable pour l’enregistrement d’une marque pour le commerce de détail. L’arrangement de Nice n’imposerait pas, quant à lui, de conditions concernant la description du service.

 Réponse de la Cour

26     Il résulte du premier considérant de la directive que celle-ci a pour objet de rapprocher les législations des États membres afin de remédier à des disparités susceptibles d’entraver la libre circulation des produits ainsi que la libre prestation des services et de fausser la concurrence dans le marché commun.

27     Conformément à son article 1er, la directive s’applique aux «marques de produits» et aux «marques de services».

28     Elle ne contient pas une définition du terme «services», que l’article 50 CE décrit comme étant des «prestations fournies normalement contre rémunération».

29     Elle ne précise pas davantage les conditions auxquelles est subordonné l’enregistrement d’une marque pour un service, lorsqu’un tel enregistrement est prévu par la législation nationale.

30     À cet égard, il convient de constater que le cinquième considérant de la directive énonce que les États membres gardent toute liberté pour fixer les dispositions de procédure concernant l’enregistrement des marques, par exemple pour déterminer la forme des procédures d’enregistrement. Le septième considérant souligne néanmoins que la réalisation des objectifs poursuivis par le rapprochement des législations suppose que l’acquisition du droit sur la marque enregistrée soit en principe subordonnée, dans tous les États membres, aux mêmes conditions.

31     Or, la détermination de la nature et du contenu du service susceptible d’être protégé par une marque enregistrée relève non pas des dispositions relatives aux procédures d’enregistrement, mais des conditions matérielles d’acquisition du droit conféré par la marque.

32     Si la notion de «services» relevait de la compétence des États membres, il pourrait en résulter des conditions variables d’enregistrement des marques de services en fonction de la loi nationale concernée. L’objectif d’une acquisition «aux mêmes conditions», dans tous les États membres, du droit sur la marque ne serait pas atteint.

33     Il appartient donc à la Cour de donner, dans l’ordre juridique communautaire, une interprétation uniforme à la notion de «services» au sens de la directive (voir, par analogie, arrêt du 20 novembre 2001, Zino Davidoff et Levi Strauss, C-414/99 à C-416/99, Rec. p. I‑8691, points 42 et 43).

34     À cet égard, il convient de relever que l’objectif du commerce de détail est la vente de produits aux consommateurs. Ce commerce comprend, outre l’acte juridique de vente, toute l’activité déployée par l’opérateur en vue d’inciter à la conclusion d’un tel acte. Cette activité consiste, notamment, en la sélection d’un assortiment des produits proposés à la vente et en l’offre de diverses prestations qui visent à amener le consommateur à conclure ledit acte avec le commerçant en cause plutôt qu’avec un concurrent.

35     Aucune raison impérative tirée de la directive ou des principes généraux du droit communautaire ne s’oppose à ce que ces prestations relèvent de la notion de «services» au sens de la directive et à ce que, dès lors, le commerçant ait le droit d’obtenir, par l’enregistrement de sa marque, la protection de celle-ci en tant qu’indication de l’origine des services qu’il fournit.

36     Cette considération trouve une illustration dans la note explicative relative à la classe 35 de la classification de Nice, note aux termes de laquelle cette classe comprend «le regroupement pour le compte de tiers de produits divers […] permettant au consommateur de les voir et de les acheter commodément» («the bringing together, for the benefit of others, of a variety of goods […] enabling customers to conveniently view and purchase those goods» dans la version en anglais de la note).

37     En ce qui concerne le règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), il convient d’observer que l’OHMI accepte désormais que les services fournis par les entreprises de commerce de détail soient, en tant que tels, aptes à être enregistrés en tant que marques communautaires et qu’ils relèveront de la classe 35 de la classification de Nice (voir communication n° 3/01 du président de l’OHMI, du 12 mars 2001, concernant l’enregistrement des marques communautaires pour les services de détail).

38     Au demeurant, il y a lieu de constater que, d’une part, tous les intéressés ayant présenté des observations devant la Cour ont admis qu’au moins certains services fournis dans le cadre du commerce de détail peuvent constituer des services au sens de la directive et que, d’autre part, selon les informations dont dispose la Cour, une telle analyse inspire une pratique à présent largement suivie dans les États membres.

39     Dès lors, il y a lieu de conclure que la notion de «services» au sens de la directive comprend les services fournis dans le cadre du commerce de détail de produits.

40     Se pose la question de savoir si, dans le cas particulier du commerce de détail, la notion de «services» au sens de la directive doit faire l’objet de précisions.

41     À cet égard, dans les observations soumises à la Cour, il a été soutenu qu’il conviendrait d’identifier les services susceptibles d’une protection en tant que services du commerce de détail en les distinguant des services qui, liés étroitement à la vente des produits, ne pourraient pas donner lieu à l’enregistrement d’une marque. Il a été souligné, par ailleurs, que la demande d’enregistrement de la marque devrait désigner concrètement le ou les services pour lesquels le demandeur sollicite une protection.

42     Il est affirmé que de telles précisions seraient nécessaires, notamment, pour sauvegarder la fonction essentielle de la marque, à savoir la garantie de l’identité d’origine des produits ou des services désignés par la marque, et pour éviter que soit donnée à des marques de services du commerce de détail une protection trop large et indéterminée.

43     La difficulté des questions ainsi soulevées est illustrée par les différentes réponses proposées par les intéressés ayant présenté des observations ainsi que par les informations dont dispose la Cour en ce qui concerne les pratiques actuelles des États membres.

44     Pour les motifs énoncés ci-après, il n’y a pas lieu de se fonder sur une notion de «services du commerce de détail» au sens de la directive plus restrictive que celle découlant de la description contenue au point 34 du présent arrêt.

45     Il convient d’abord de constater qu’une distinction entre les différentes catégories de services fournis à l’occasion de la vente de produits, que supposerait une délimitation plus restrictive de la notion de «services du commerce de détail», se révélerait artificielle au regard de la réalité du secteur économique important que représente ce commerce. Elle soulèverait inéluctablement des difficultés à la fois quant à la définition générale des critères à retenir et quant à l’application, en pratique, de ces derniers.

46     Il y a certes lieu d’admettre qu’une délimitation plus restrictive de la notion de «services du commerce de détail» réduirait la protection accordée au titulaire de la marque et diminuerait, en conséquence, le nombre de cas dans lesquels se poseraient des questions relatives à l’application des articles 4, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive.

47     Cependant, une telle considération ne suffit pas à justifier une interprétation restrictive.

48     En effet, rien n’indique que d’éventuels problèmes consécutifs à l’enregistrement de marques pour des services du commerce de détail ne pourraient pas trouver une solution sur le fondement des deux dispositions en cause de la directive, telles qu’interprétées par la Cour. À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de celle-ci, le risque de confusion doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce (voir arrêts du 11 novembre 1997, SABEL, C-251/95, Rec. p. I-6191, point 22, et du 29 septembre 1998, Canon, C-39/97, Rec. p. I-5507, point 16). Dans le cadre de cette appréciation globale, il est possible de prendre en considération, au besoin, les particularités de la notion de «services du commerce de détail» liées à son champ d’application large, en tenant dûment compte des intérêts légitimes de toutes les parties intéressées.

49     Dans ces conditions, aux fins de l’enregistrement d’une marque couvrant des services fournis dans le cadre du commerce de détail, il n’est pas nécessaire de désigner concrètement le ou les services pour lesquels cet enregistrement est demandé. Pour l’identification de ceux‑ci, il suffit d’utiliser des formules générales telles que «regroupement de produits divers permettant au consommateur de les voir et de les acheter commodément».

50     En revanche, il doit être exigé du demandeur qu’il précise les produits ou types de produits concernés par ces services au moyen, par exemple, d’indications telles que celles contenues dans la demande d’enregistrement présentée dans le litige au principal (voir point 11 du présent arrêt).

51     De telles précisions faciliteront l’application des articles 4, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive, sans limiter sensiblement la protection accordée à la marque. Elles faciliteront également l’application de l’article 12, paragraphe 1, de la directive, aux termes duquel «[l]e titulaire d’une marque peut être déchu de ses droits si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour […] les services pour lesquels elle est enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage».

52     Il y a donc lieu de répondre aux deux premières questions préjudicielles que la notion de «services» visée par la directive, notamment à son article 2, comprend les services fournis dans le cadre du commerce de détail de produits.

Aux fins de l’enregistrement d’une marque pour de tels services, il n’est pas nécessaire de désigner concrètement le ou les services en cause. En revanche, des précisions sont nécessaires quant aux produits ou types de produits concernés par ces services.

 Sur la troisième question

53     Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de «similitude» visée aux articles 4, paragraphe 1, sous b), et 5, paragraphe 1, sous b), de la directive, génératrice, le cas échéant, d’un risque de confusion au sens de ces dispositions, doit être interprétée en fonction de critères restrictifs spécifiques à l’égard des marques de services protégeant des services fournis dans le cadre du commerce de détail de produits.

54     Il ressort de la décision de renvoi que, dans l’affaire au principal, la demande d’enregistrement de la marque Praktiker pour des services du commerce de détail a été rejetée au motif que la notion revendiquée de «commerce de détail» ne désignait pas des services susceptibles de faire l’objet de l’enregistrement d’une marque.

55     La demande de décision préjudicielle ne contient aucun élément indiquant que la juridiction de renvoi pourrait être amenée à se prononcer sur la notion de «similitude» visée aux articles 4, paragraphe 1, sous b), et 5, paragraphe 1, sous b), de la directive, en relation avec un risque de confusion au sens de ces dispositions.

56     Ces dernières, si elles sont pertinentes aux fins de la réponse aux deux premières questions, ne le sont donc pas dans le cadre de la troisième question.

57     Or, la Cour n’est pas compétente pour répondre à des questions préjudicielles lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit communautaire sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêt du 16 octobre 2003, Traunfellner, C-421/01, Rec. p. I-11941, point 37).

58     Dans ces conditions, la troisième question préjudicielle doit être considérée comme hypothétique au regard du litige au principal et, par suite, déclarée irrecevable.

 Sur les dépens

59     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1)      La notion de «services» visée par la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, notamment à son article 2, comprend les services fournis dans le cadre du commerce de détail de produits.

2)      Aux fins de l’enregistrement d’une marque pour de tels services, il n’est pas nécessaire de désigner concrètement le ou les services en cause. En revanche, des précisions sont nécessaires quant aux produits ou types de produits concernés par ces services.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.