Language of document : ECLI:EU:C:2009:361

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

11 juin 2009 (*)

«Marque communautaire tridimensionnelle – Règlement (CE) nº 40/94 – Article 51, paragraphe 1, sous b) – Critères pertinents aux fins de l’appréciation de la ‘mauvaise foi’ du demandeur lors du dépôt de la demande de marque communautaire»

Dans l’affaire C‑529/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Autriche), par décision du 2 octobre 2007, parvenue à la Cour le 28 novembre 2007, dans la procédure

Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG

contre

Franz Hauswirth GmbH,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. M. Ilešič (rapporteur), A. Tizzano, E. Levits et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: Mme K. Sztranc-Sławiczek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 novembre 2008,

considérant les observations présentées:

–        pour Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG, par Mes H.-G. Kamann et G. K. Hild, Rechtsanwälte,

–        pour Franz Hauswirth GmbH, par Me H. Schmidt, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement suédois, par Mme A. Falk et M. A. Engman, en qualité d’agents,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par M. H. Krämer, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 mars 2009,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) nº 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG (ci-après «Lindt & Sprüngli»), établie en Suisse, à Franz Hauswirth GmbH (ci-après «Franz Hauswirth»), établie en Autriche.

3        Par une action en contrefaçon, Lindt & Sprüngli a demandé, en substance, à Franz Hauswirth de cesser de produire ou de commercialiser sur le territoire de l’Union européenne des lapins en chocolat qui seraient similaires au point d’être confondus avec celui qui est protégé par la marque communautaire tridimensionnelle dont elle est titulaire (ci-après la «marque tridimensionnelle en cause»).

4        Franz Hauswirth ayant présenté une demande reconventionnelle en déclaration de nullité de cette marque estime, en substance, que, selon l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, cette dernière ne peut être protégée en tant que marque au motif que Lindt & Sprüngli était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de ladite marque.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

5        Sous le titre «Causes de nullité absolue», l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 dispose:

«La nullité de la marque communautaire est déclarée, sur demande présentée auprès de l’Office [de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI)] ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon:

[…]

b)      lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque.»

6        Le règlement n° 40/94 a été abrogé par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1), entrée en vigueur le 13 avril 2009. Néanmoins, le litige au principal demeure régi, compte tenu de la date des faits, par le règlement n° 40/94.

 La réglementation nationale

7        L’article 34, paragraphe 1, de la loi relative à la protection des marques (Markenschutzgesetz, BGBl. 260/1970), dans sa version publiée au BGBl. I, 111/1999, dispose:

«Toute personne peut demander la radiation d’une marque lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors de l’enregistrement.»

8        En vertu de l’article 9, paragraphe 3, de la loi contre la concurrence déloyale (Bundesgesetz gegen den unlauteren Wettbewerb, BGBl. 448/1984), dans sa version publiée au BGBl. I, 136/2001, les présentations des marchandises ainsi que leur enveloppe et leur emballage sont protégés comme la désignation particulière d’une entreprise lorsqu’ils sont considérés dans les milieux concernés comme marque de l’entreprise.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

9        En Autriche comme en Allemagne, des lapins en chocolat, communément appelés «Osterhasen», sont commercialisés depuis au moins l’année 1930 sous différentes formes et couleurs.

10      Les formes individuelles des lapins en chocolat étaient très diverses lorsque ces derniers étaient fabriqués et emballés à la main, alors qu’avec l’introduction de l’emballage automatisé, les lapins fabriqués industriellement sont devenus de plus en plus similaires.

11      Lindt & Sprüngli fabrique depuis le début des années 50 un lapin en chocolat de forme très similaire à celui protégé par la marque tridimensionnelle en cause. Depuis l’année 1994, elle le commercialise en Autriche.

12      Au cours de l’année 2000, Lindt & Sprüngli est devenue titulaire de la marque tridimensionnelle en cause, représentant un lapin doré en chocolat, en position assise, portant un ruban rouge, un grelot et l’inscription en brun «Lindt GOLDHASE», qui est la suivante:

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13      Ladite marque est enregistrée pour les chocolats et les articles en chocolat relevant de la classe 30, au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

14      Franz Hauswirth met sur le marché, depuis l’année 1962, des lapins en chocolat. Le lapin en cause dans le litige au principal est le suivant:

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15      Il existe, selon la juridiction de renvoi, un risque de confusion entre, d’une part, le lapin en chocolat fabriqué et commercialisé par Franz Hauswirth et, d’autre part, celui qui est fabriqué et commercialisé par Lindt & Sprüngli sous la marque tridimensionnelle en cause.

16      Ledit risque de confusion résulterait notamment du fait que le lapin fabriqué et commercialisé par Franz Hauswirth est de forme et de couleur similaires à celui qui est protégé par ladite marque tridimensionnelle ainsi que du fait que cette société appose une étiquette sur la base inférieure du produit.

17      Également selon la juridiction de renvoi, d’autres fabricants établis dans la Communauté européenne produisent des lapins en chocolat similaires à celui qui est enregistré sous la marque tridimensionnelle en cause. Au surplus, bon nombre de ces fabricants apposent clairement la désignation de leur entreprise sur ces lapins, d’une manière visible pour l’acheteur.

18      Avant l’enregistrement de la marque tridimensionnelle en cause, Lindt & Sprüngli n’aurait agi au titre du droit national de la concurrence ou du droit national de la propriété industrielle que contre les fabricants de produits identiques à celui qui a, par la suite, donné lieu à l’enregistrement de cette marque.

19      Après l’enregistrement de la marque tridimensionnelle en cause, Lindt & Sprüngli a commencé à poursuivre des fabricants qui, à sa connaissance, fabriquaient des produits similaires au point d’être confondus avec le lapin protégé par cette marque.

20      L’Oberster Gerichtshof relève que la décision qu’il doit rendre sur la demande reconventionnelle présentée par Franz Hauswirth dépend de la question de savoir si Lindt & Sprüngli était de mauvaise foi au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94 au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque tridimensionnelle en cause.

21      Dans ces conditions, l’Oberster Gerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 […] doit-il être interprété en ce sens que le demandeur d’une marque communautaire doit être considéré comme agissant de mauvaise foi lorsqu’il sait au moment de l’enregistrement qu’un concurrent dans (au moins) un État membre utilise une marque identique ou similaire prêtant à confusion pour des produits ou services identiques ou similaires et qu’il fait enregistrer la marque pour pouvoir empêcher le concurrent de continuer à l’utiliser?

2)      En cas de réponse négative à la première question:

Le demandeur de la marque doit-il être considéré comme étant de mauvaise foi lorsqu’il fait enregistrer la marque pour empêcher un concurrent de continuer à l’utiliser alors qu’il sait ou doit savoir au moment de l’enregistrement que le concurrent a obtenu un ‘droit acquis’ (‘wertvollen Besitzstand’) par l’utilisation d’une marque identique ou similaire pour des produits ou services identiques ou similaires prêtant à confusion?

3)      En cas de réponse positive à la première ou à la deuxième question:

Faut-il exclure la mauvaise foi lorsque le demandeur a déjà acquis une notoriété dans le commerce pour sa marque et ainsi une protection au titre du droit de la concurrence?»

 Sur les questions préjudicielles

22      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur les critères pertinents qu’il convient de prendre en considération afin d’établir si le demandeur était, lors du dépôt de la demande d’enregistrement d’un signe, de mauvaise foi, au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94.

 Argumentation des parties

23      Lindt & Sprüngli fait valoir, en substance, que le fait de connaître l’existence de concurrents sur le marché ainsi que l’intention d’empêcher ceux-ci d’accéder au marché ne sont pas constitutifs de la mauvaise foi du demandeur, au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94. En effet, selon cette société, à ces éléments doit s’ajouter un comportement déloyal, c’est-à-dire contraire aux bonnes mœurs commerciales. Or, dans l’affaire au principal, un tel comportement ne serait pas établi.

24      Selon Lindt & Sprüngli, la marque tridimensionnelle en cause a acquis, avant même le dépôt de la demande tendant à son enregistrement, une notoriété ainsi qu’un caractère distinctif dans le commerce et donc une protection dans les différents États membres de l’Union européenne, au titre du droit de la concurrence ou du droit des marques. Ladite société ajoute que cette marque a été utilisée en tant que signe pendant une période étendue avant le dépôt de la demande d’enregistrement et a atteint cette notoriété par des dépenses publicitaires importantes. Par conséquent, l’enregistrement dudit signe en tant que marque viserait à protéger la valeur commerciale de cette dernière contre les produits de contrefaçon.

25      En revanche, selon Lindt & Sprüngli, si l’OHMI enregistre un signe en tant que marque et si cette dernière n’est pas, ensuite, utilisée effectivement, les tiers pourront, sur le fondement de l’article 51, paragraphe 1, point b), du règlement n° 40/94, faire valoir, avant l’écoulement d’un délai de cinq ans, que le demandeur était, au moment de l’enregistrement de cette marque, de mauvaise foi et demander que ladite marque soit, pour ce motif, déclarée nulle.

26      Franz Hauswirth soutient, en substance, que l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 constitue le correctif nécessaire, soit lorsque les motifs absolus de refus d’enregistrement traditionnels ne s’appliquent pas, soit lorsque les motifs relatifs ne trouvent pas à s’appliquer parce qu’aucun droit propre de protection n’a été acquis. Ainsi, cette société soutient que la mauvaise foi est établie lorsque l’auteur de la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque avait eu connaissance de l’utilisation, par un concurrent ayant obtenu un droit acquis («wertvollen Besitzstand») dans au moins un État membre, d’un signe identique ou similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires et qu’il demande l’enregistrement du signe en tant que marque communautaire afin d’empêcher ce concurrent de continuer à utiliser son signe.

27      Par conséquent, selon Franz Hauswirth, Lindt & Sprüngli avait l’intention, par l’enregistrement de la marque tridimensionnelle en cause, d’éliminer totalement ses concurrents. En effet, Lindt & Sprüngli tenterait de l’empêcher de continuer à fabriquer un produit qui est commercialisé depuis les années 60 ou, dans la forme actuelle, depuis l’année 1997. En effet, en vertu d’un droit acquis («wertvollen Besitzstand»), Franz Hauswirth devrait garder son marché et ne pourrait être menacé par des concurrents communautaires.

28      Franz Hauswirth ajoute qu’il est clair que le libellé de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 ne prévoit pas expressément la possibilité d’une correction de la mauvaise foi par la notoriété du signe dont l’enregistrement en tant que marque est demandé, de sorte que, dans l’affaire au principal, la notoriété acquise avant l’enregistrement de la marque tridimensionnelle en cause ne pourrait être invoquée.

29      Le gouvernement tchèque considère, à titre principal, que l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 doit être interprété en ce sens que le demandeur, qui fait enregistrer une marque pour empêcher un concurrent de continuer à utiliser un signe identique ou similaire, alors qu’il sait ou qu’il doit savoir, au moment du dépôt de la demande d’enregistrement, qu’un concurrent a obtenu un droit acquis («wertvollen Besitzstand») par l’utilisation d’un tel signe pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion, doit être considéré comme étant également de mauvaise foi. Ledit gouvernement ajoute que le fait que le demandeur a déjà acquis une notoriété pour le signe qu’il utilise n’exclut pas la mauvaise foi.

30      Le gouvernement suédois souligne essentiellement qu’il suffit que le demandeur ait su qu’un autre opérateur économique utilisait le signe prêtant à confusion pour que la mauvaise foi, au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, soit considérée comme établie. Ce gouvernement précise que le but poursuivi par l’enregistrement d’un signe en tant que marque, à savoir empêcher un concurrent de continuer à utiliser un signe ainsi que de bénéficier de la valeur acquise par ce dernier, est dépourvu de pertinence aux fins de l’appréciation de la mauvaise foi. Ledit gouvernement ajoute que le libellé ou l’économie du règlement n° 40/94 ne viennent aucunement étayer l’exigence d’un élément intentionnel et qu’une interprétation inverse entraînerait des difficultés injustifiées en matière de preuve et réduirait les possibilités, pour l’opérateur économique qui avait été le premier à utiliser le signe concerné, de contester un enregistrement indu.

31      La Commission des Communautés européennes fait valoir, en substance, que l’OHMI doit vérifier lors de la procédure d’enregistrement d’un signe en tant que marque si cet enregistrement est effectué en vue de l’usage effectif de cette marque. En revanche, si l’OHMI enregistre un signe en tant que marque et si cette dernière n’est pas, ensuite, effectivement utilisée, les tiers pourront également, sur le fondement de l’article 51, paragraphe 1, point b), du règlement n° 40/94, faire valoir, avant l’écoulement d’un délai de cinq ans, que le demandeur était de mauvaise foi au moment de l’enregistrement dudit signe en tant que marque et demander que celle-ci soit, pour ce motif, déclarée nulle.

32      S’agissant des critères pertinents aux fins de déterminer si le demandeur était de mauvaise foi, la Commission mentionne le comportement de ce dernier sur le marché, le comportement des autres opérateurs à l’égard du signe qui a été déposé, le fait que le demandeur dispose, au moment du dépôt, d’un portefeuille de marques, ainsi que toutes les autres circonstances propres au cas d’espèce.

33      Selon la Commission, ne constituent pas, en revanche, des éléments pertinents le fait qu’un tiers utilise déjà un signe identique ou similaire prêtant ou non à confusion, le fait que le demandeur a connaissance de cette utilisation ou encore le fait que ce tiers a obtenu un droit acquis («wertvollen Besitzstand») sur le signe qu’il utilise.

 Réponse de la Cour

34      Afin de répondre aux questions posées, il y a lieu de rappeler qu’il ressort du libellé de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 que la mauvaise foi constitue l’une des causes de nullité absolue de la marque communautaire, de sorte qu’elle peut être invoquée soit devant l’OHMI, soit dans le cadre d’une demande reconventionnelle présentée à l’occasion d’une action en contrefaçon.

35      Il découle de cette même disposition que le moment pertinent aux fins de l’appréciation de l’existence de la mauvaise foi du demandeur est celui du dépôt, par l’intéressé, de la demande d’enregistrement.

36      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans la présente affaire, la Cour n’est saisie que du cas dans lequel, au moment du dépôt de la demande d’enregistrement, plusieurs producteurs utilisaient, sur le marché, des signes identiques ou similaires pour des produits identiques ou similaires prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement était demandé.

37      Il importe de relever que l’existence de la mauvaise foi du demandeur, au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce.

38      S’agissant plus particulièrement des facteurs mentionnés dans les questions préjudicielles, à savoir:

–        le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, un signe identique ou similaire pour un produit identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé;

–        l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe; ainsi que

–        le degré de protection juridique dont jouissent le signe du tiers et le signe dont l’enregistrement est demandé,

il y a lieu d’apporter les précisions suivantes.

39      Il convient de relever au regard des termes «doit savoir», figurant dans le libellé de la deuxième question préjudicielle, qu’une présomption de connaissance, par le demandeur, de l’utilisation par un tiers d’un signe identique ou similaire pour un produit identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé peut résulter notamment d’une connaissance générale, dans le secteur économique concerné, d’une telle utilisation, cette connaissance pouvant être déduite, notamment, de la durée d’une telle utilisation. En effet, plus cette utilisation est ancienne, plus il est vraisemblable que le demandeur en aura eu connaissance au moment du dépôt de la demande d’enregistrement.

40      Cependant, il y a lieu de constater que la circonstance que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, depuis longtemps un signe identique ou similaire pour un produit identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé ne suffit pas, à elle seule, pour que soit établie l’existence de la mauvaise foi du demandeur.

41      Dès lors, aux fins d’apprécier l’existence de la mauvaise foi, il convient également de prendre en considération l’intention du demandeur au moment du dépôt de la demande d’enregistrement.

42      Il importe à cet égard de faire observer que, ainsi que l’a d’ailleurs relevé Mme l’avocat général au point 58 de ses conclusions, l’intention du demandeur au moment pertinent est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence aux circonstances objectives du cas d’espèce.

43      Ainsi, l’intention d’empêcher un tiers de commercialiser un produit peut, dans certaines circonstances, caractériser la mauvaise foi du demandeur.

44      Tel est notamment le cas lorsqu’il s’avère, ultérieurement, que le demandeur a fait enregistrer en tant que marque communautaire un signe sans intention de l’utiliser, uniquement en vue d’empêcher l’entrée d’un tiers sur le marché.

45      En effet, dans un tel cas la marque ne remplit pas sa fonction essentielle, consistant à garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service concerné, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance (voir, notamment, arrêt du 29 avril 2004, Henkel/OHMI, C‑456/01 P et C‑457/01 P, Rec. p. I‑5089, point 48).

46      De même, le fait qu’un tiers utilise depuis longtemps un signe pour un produit identique ou similaire prêtant à confusion avec la marque demandée et que ce signe jouit d’un certain degré de protection juridique est l’un des facteurs pertinents pour apprécier l’existence de la mauvaise foi du demandeur.

47      En effet, dans un tel cas, le demandeur pourrait bénéficier des droits conférés par la marque communautaire dans le seul but de concurrencer déloyalement un concurrent utilisant un signe qui, en raison de ses mérites propres, a déjà obtenu un certain degré de protection juridique.

48      Cela étant, il ne saurait toutefois être exclu que même dans de telles circonstances et, notamment, lorsque plusieurs producteurs utilisaient, sur le marché, des signes identiques ou similaires pour des produits identiques ou similaires prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé le demandeur poursuive, par l’enregistrement de ce signe, un objectif légitime.

49      Tel peut notamment être le cas, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 67 de ses conclusions, lorsque le demandeur sait, au moment du dépôt de la demande d’enregistrement, qu’un tiers, qui est un acteur récent sur le marché tente de profiter dudit signe en copiant sa présentation, ce qui conduit le demandeur à faire enregistrer celui-ci afin d’empêcher l’utilisation de cette présentation.

50      En outre, ainsi que l’a également relevé Mme l’avocat général au point 66 de ses conclusions, la nature de la marque demandée peut également être pertinente aux fins de l’appréciation de l’existence de la mauvaise foi du demandeur. En effet, dans le cas où le signe concerné consiste en la forme et la présentation d’ensemble d’un produit, l’existence de la mauvaise foi du demandeur pourrait être établie plus facilement lorsque la liberté de choix des concurrents quant à la forme et la présentation d’un produit est restreinte en raison de considérations d’ordre technique ou commercial, de sorte que le titulaire de la marque est en mesure d’empêcher ses concurrents non seulement d’utiliser un signe identique ou similaire, mais également de commercialiser des produits comparables.

51      Par ailleurs, aux fins de l’appréciation de l’existence de la mauvaise foi du demandeur, peut être pris en considération le degré de notoriété dont jouit un signe au moment du dépôt de la demande présentée en vue de son enregistrement en tant que marque communautaire.

52      En effet, un tel degré de notoriété pourrait précisément justifier l’intérêt du demandeur à assurer une protection juridique plus étendue de son signe.

53      Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, il convient de répondre aux questions posées que, aux fins de l’appréciation de l’existence de la mauvaise foi du demandeur, au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94, la juridiction nationale est tenue de prendre en considération tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce et existant au moment du dépôt de la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque communautaire, et notamment:

–        le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, un signe identique ou similaire pour un produit identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé;

–        l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe, ainsi que

–        le degré de protection juridique dont jouissent le signe du tiers et le signe dont l’enregistrement est demandé.

 Sur les dépens

54      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

Aux fins de l’appréciation de l’existence de la mauvaise foi du demandeur, au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire, la juridiction nationale est tenue de prendre en considération tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce et existant au moment du dépôt de la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque communautaire, et notamment:

–        le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, un signe identique ou similaire pour un produit identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé;

–        l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe, ainsi que

–        le degré de protection juridique dont jouissent le signe du tiers et le signe dont l’enregistrement est demandé.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.