Language of document : ECLI:EU:C:2020:290

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

23 avril 2020(*)

« Manquement d’État – Directive 2009/147/CE – Conservation des oiseaux sauvages – Autorisations de chasse printanière de spécimens mâles de l’espèce d’oiseaux “bécasse des bois” (Scolopax rusticola) dans le Land de Basse-Autriche (Autriche) – Article 7, paragraphe 4, et article 9, paragraphe 1, sous c) – Absence d’“autre solution satisfaisante”– Notion de “petites quantités” »

Dans l’affaire C‑161/19,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 22 février 2019,

Commission européenne, représentée par MM. C. Hermes et M. Noll-Ehlers, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République d’Autriche, représentée par Mme J. Schmoll, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LA COUR (première chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, vice‑présidente de la Cour, MM. M. Safjan, L. Bay Larsen et Mme C. Toader (rapporteure), juges,

avocat général : Mme E. Sharpston,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en autorisant la chasse printanière à la bécasse des bois (Scolopax rusticola) dans le Land de Basse-Autriche (Autriche), la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 7, paragraphe 4, de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 2010, L 20, p. 7, ci-après la « directive “oiseaux” »).

 Le cadre juridique

 Le droit de lUnion

2        Aux termes des considérants 3 et 5 de la directive « oiseaux » :

« (3)      Sur le territoire européen des États membres, un grand nombre d’espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage subissent une régression de leur population, très rapide dans certains cas, et cette régression constitue un danger sérieux pour la conservation du milieu naturel, notamment à cause des menaces qu’elle fait peser sur les équilibres biologiques.

[...]

(5)      La conservation des espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres est nécessaire à la réalisation des objectifs de [l’Union européenne] dans les domaines de l’amélioration des conditions de vie et du développement durable. »

3        L’article 1er, paragraphe 1, de cette directive est rédigé en ces termes :

« La présente directive concerne la conservation de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité est applicable. Elle a pour objet la protection, la gestion et la régulation de ces espèces et en réglemente l’exploitation. »

4        L’article 2 de ladite directive dispose :

« Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles. »

5        L’article 5, sous a) et e), de la directive « oiseaux » est libellé comme suit :

« Sans préjudice des articles 7 et 9, les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er et comportant notamment l’interdiction :

a)      de les tuer ou de les capturer intentionnellement, quelle que soit la méthode employée ;

[...]

e)      de détenir les oiseaux des espèces dont la chasse et la capture ne sont pas permises. »

6        L’article 7, paragraphes 1 et 4, de cette directive prévoit :

« 1.      En raison de leur niveau de population, de leur distribution géographique et de leur taux de reproductivité dans l’ensemble de [l’Union], les espèces énumérées à l’annexe II peuvent faire l’objet d’actes de chasse dans le cadre de la législation nationale. Les États membres veillent à ce que la chasse de ces espèces ne compromette pas les efforts de conservation entrepris dans leur aire de distribution.

[...]

4.      Les États membres s’assurent que la pratique de la chasse, y compris le cas échéant la fauconnerie, telle qu’elle découle de l’application des mesures nationales en vigueur, respecte les principes d’une utilisation raisonnée et d’une régulation équilibrée du point de vue écologique des espèces d’oiseaux concernées, et que cette pratique soit compatible, en ce qui concerne la population de ces espèces, notamment des espèces migratrices, avec les dispositions découlant de l’article 2.

Ils veillent en particulier à ce que les espèces auxquelles s’applique la législation sur la chasse ne soient pas chassées pendant la période nidicole ni pendant les différents stades de reproduction et de dépendance.

Lorsqu’il s’agit d’espèces migratrices, ils veillent en particulier à ce que les espèces auxquelles s’applique la législation sur la chasse ne soient pas chassées pendant leur période de reproduction et pendant leur trajet de retour vers leur lieu de nidification.

[...] »

7        L’article 9, paragraphes 1 et 2, de ladite directive dispose :

« 1.      Les États membres peuvent déroger aux articles 5 à 8 s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pour les motifs ci-après :

[...]

c)      pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités.

2.      Les dérogations visées au paragraphe 1 doivent mentionner :

a)      les espèces qui font l’objet des dérogations ;

b)      les moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort autorisés ;

c)      les conditions de risque et les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles ces dérogations peuvent être prises ;

d)      l’autorité habilitée à déclarer que les conditions exigées sont réunies, à décider quels moyens, installations ou méthodes peuvent être mis en œuvre, dans quelles limites et par quelles personnes ;

e)      les contrôles qui seront opérés. »

8        L’article 18 de la directive « oiseaux » dispose que la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 1979, L 103, p. 1), telle que modifiée par des actes ultérieurs, est abrogée. Comme le précise le considérant 1 de la directive « oiseaux », celle-ci procède à une codification de la directive 79/409.

9        La bécasse des bois (Scolopax rusticola) figure à l’annexe II, partie A, de la directive « oiseaux ».

 Le droit autrichien

10      Le niederösterreichisches Jagdgesetz 1974 (loi sur la chasse de 1974 du Land de Basse-Autriche) (LGBl. 76/1974), dans sa version postérieure à sa vingtième modification datée du 19 juillet 2012 (LGBl. 69/2012), dispose, à son article 3, paragraphe 3, que la bécasse des bois est une espèce de gibier à plumes qui peut être chassée. Conformément à l’article 3, paragraphe 5, point 2, de cette loi, « l’interdiction de toute perturbation intentionnelle, notamment pendant les périodes de reproduction, de nidification et de dépendance » s’applique au gibier à plumes, y compris à la bécasse des bois. L’article 3, paragraphe 6, de ladite loi transpose l’article 9, paragraphe 1, de la directive « oiseaux ».

11      En vertu de l’article 3, paragraphe 6, de la même loi, le gouvernement du Land de Basse-Autriche a adopté, le 26 février 2008, le niederösterreichisches Waldschnepfenverordnung (règlement sur la bécasse des bois en Basse-Autriche) (LGBl. 32/2008, ci-après le « règlement sur la bécasse des bois »).

12      L’article 1er du règlement sur la bécasse des bois, intitulé « Champ d’application et objectif », dispose :

« (1)      Le présent règlement s’applique au coq de la bécasse des bois (Scolopax rusticola), espèce de gibier à plumes qui peut être chassée.

(2)      Le présent règlement a pour objectif une exploitation sélective et raisonnable de l’espèce de gibier à plumes visée au paragraphe précédent, en petites quantités et dans des conditions strictement contrôlées. »

13      L’article 2 de ce règlement, relatif aux périodes et types d’exploitation, prévoit :

« (1)      Le coq de la bécasse des bois peut être abattu du 1er mars au 15 avril, pendant la période de parade nuptiale, dans le cadre des plafonds fixés à l’article 3.

(2)      Le tir au coq de la bécasse des bois se fait en utilisant le plomb qui convient. Les dispositions sur le droit de la chasse sont respectées. L’utilisation de chiens de chasse avant le tir est interdite ainsi que la capture. »

14      L’article 3 dudit règlement, dans sa version en vigueur à la date d’expiration du délai prévu dans l’avis motivé de la Commission, soit le 29 juillet 2015, a fixé à 1 410 bécasses des bois le nombre maximal d’oiseaux de cette espèce pouvant être abattus et a réparti ce nombre entre les différents districts du Land de Basse-Autriche.

15      Le 21 février 2017, le gouvernement du Land de Basse-Autriche a modifié cette disposition, réduisant à 759 le nombre maximal d’oiseaux de cette espèce pouvant être abattus. Cette modification est entrée en vigueur le 28 février 2017.

 La procédure précontentieuse

16      Le 26 septembre 2013, la Commission a ouvert une procédure en manquement à l’encontre de la République d’Autriche par une lettre de mise en demeure qui a exclusivement visé le niederösterreichische Beutegreiferverordnung (règlement du Land de Basse-Autriche sur les prédateurs) (LGBl. 95a/2008).

17      Le 28 mars 2014, à l’issue d’une procédure engagée dans le cadre du mécanisme EU-Pilot portant sur la chasse printanière à la bécasse des bois en Autriche, la Commission a adressé aux autorités autrichiennes une lettre de mise en demeure complémentaire, faisant valoir que cette pratique dans les Länder autrichiens du Burgenland, de Salzbourg et de Basse-Autriche constituait une violation de l’article 7, paragraphe 4, de la directive « oiseaux » et qu’elle ne trouvait pas de justification dans l’article 9, paragraphe 1, sous c), de cette directive.

18      Le règlement du Land de Basse-Autriche sur les prédateurs a expiré en 2014 et ne fait plus l’objet de la présente procédure en manquement.

19      Le 28 mai 2014, la République d’Autriche a répondu à ladite lettre de mise en demeure complémentaire en soutenant que la chasse printanière à la bécasse des bois en Autriche ne constituait pas une violation de l’article 7, paragraphe 4, de la directive « oiseaux » et que les conditions visées à l’article 9, paragraphe 1, sous c), de cette directive étaient remplies. À cet égard, elle a affirmé, d’une part, que la chasse automnale ne constituait pas une « autre solution satisfaisante », au sens de l’article 9, paragraphe 1, de ladite directive, étant donné que la chasse sélective souhaitée aux bécasses des bois mâles en période de parade nuptiale n’était possible qu’au printemps. D’autre part, elle a fait valoir qu’elle respectait l’exigence relative aux « petites quantités », prévue à l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la même directive.

20      Le 29 mai 2015, la Commission a notifié à la République d’Autriche un avis motivé dans lequel elle maintenait que cet État membre violait l’article 7, paragraphe 4, de la directive « oiseaux » et exposait les raisons pour lesquelles ledit État membre ne remplissait pas les conditions visées à l’article 9, paragraphe 1, sous c), de cette directive. Le délai fixé dans cet avis motivé, dans lequel la République d’Autriche était invitée à prendre les mesures nécessaires pour se conformer audit avis, expirait le 29 juillet 2015.

21      La République d’Autriche a répondu à l’avis motivé de la Commission par lettre du 28 juillet 2015, dans laquelle elle continuait à contester les griefs de la Commission.

22      Le 20 mai 2016, la République d’Autriche a fait savoir à la Commission que la chasse printanière à la bécasse des bois n’était plus autorisée depuis le mois de janvier 2016 dans les Länder autrichiens du Burgenland et de Salzbourg.

23      La procédure en manquement ouverte à l’encontre de la République d’Autriche se limite donc désormais à l’autorisation, toujours en vigueur, de la chasse printanière à la bécasse des bois en Basse-Autriche.

24      Le 14 février 2017, le Land de Basse-Autriche a réduit, à compter du 28 février 2017, le nombre de spécimens dont le prélèvement était autorisé, le faisant passer de 1 368 à 759 unités.

25      Par lettre du 27 juillet 2017, le membre de la Commission chargé de la protection de l’environnement a indiqué à la présidente du Land de Basse-Autriche que la réduction du quota de chasse ainsi que l’étude présentée par la République d’Autriche en 2016, relative à l’origine et à la structure par âge des bécasses des bois tuées dans le cadre de la chasse printanière en Basse-Autriche (ci-après l’« étude de 2016 »), n’étaient pas de nature à infirmer les griefs de la Commission. À la demande des autorités autrichiennes, datée du 30 août 2017, le directeur compétent de la direction générale de l’environnement de la Commission a communiqué, par lettre du 21 décembre 2017, une analyse de l’étude de 2016. Le 22 décembre 2017, le membre de la Commission chargé de la protection de l’environnement a de nouveau invité la présidente du Land de Basse-Autriche à faire cesser la chasse printanière à la bécasse des bois. Par lettres des 31 janvier et 22 février 2018, les autorités autrichiennes ont fourni à la Commission une note complémentaire à ladite étude de 2016.

26      Le 22 février 2019, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

27      La Commission considère que la République d’Autriche ne conteste pas la violation de l’article 7, paragraphe 4, troisième alinéa, de la directive « oiseaux », mais prétend uniquement que la réglementation autrichienne est conforme aux dispositions de l’article 9 de cette directive.

28      Selon cette institution, la République d’Autriche n’a pas établi qu’il n’existe pas d’« autre solution satisfaisante », au sens de la phrase introductive de l’article 9, paragraphe 1, de ladite directive, et que le nombre maximal de spécimens qu’il est permis de chasser correspond à l’exigence de « petites quantités » visée à l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la même directive.

29      En ce qui concerne l’absence d’« autre solution satisfaisante », la République d’Autriche n’aurait pas démontré que la bécasse des bois était absente ou présente en quantités négligeables durant l’automne dans les zones de chasse printanière en Basse-Autriche. D’ailleurs, le fait que cette chasse automnale à la bécasse des bois est autorisée dans les Länder autrichiens limitrophes de la Basse-Autriche, à savoir le Burgenland, la Haute-Autriche et la Styrie, ainsi qu’en Carinthie et dans le Vorarlberg, et dans d’autres États membres d’Europe centrale, indiquerait qu’elle pourrait être considérée comme une « autre solution satisfaisante ».

30      En outre, si la chasse printanière pendant la période de la parade nuptiale permettait un prélèvement plus sélectif des bécasses des bois mâles que la chasse automnale qui concerne, pratiquement à égalité, les oiseaux mâles et femelles, la Commission conteste néanmoins l’affirmation de la République d’Autriche selon laquelle le prélèvement plus sélectif pendant la chasse printanière de bécasses des bois mâles est moins éprouvant pour les populations de l’espèce que la chasse automnale et celle-ci, à laquelle incombe la charge de la preuve, n’aurait pas apporté de preuves convaincantes au soutien de cette affirmation.

31      Du reste, la Commission est d’avis qu’il n’y a pas de base scientifique solide au soutien de la thèse de la République d’Autriche selon laquelle la chasse printanière a des effets moins éprouvants que la chasse automnale sur les populations de l’espèce. De surcroît, ce prélèvement sélectif aurait une incidence particulière sur les mâles dominants, ce qui aurait des effets négatifs sur le niveau de reproduction de l’espèce.

32      S’agissant des « petites quantités », au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive « oiseaux », cette institution estime que la République d’Autriche admet que le nombre maximal de 1 410 bécasses des bois pouvant être abattues, fixé par le droit autrichien dans sa version en vigueur à la date d’expiration du délai prévu dans l’avis motivé de la Commission, à savoir le 29 juillet 2015, reposait sur des calculs incorrects en raison de la prise en compte de populations de référence erronées et a donc été réduit à 759 oiseaux en 2017. Ainsi, cet État membre reconnaîtrait la violation, à la date de référence, de l’exigence de « petites quantités ».

33      La République d’Autriche considère, en substance, que le règlement sur la bécasse des bois répond aux exigences de l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive « oiseaux », de sorte que les conditions permettant de déroger à l’article 7, paragraphe 4, de cette directive seraient remplies.

34      En premier lieu, la chasse automnale ne constituerait pas une « autre solution satisfaisante ». En effet, la bécasse des bois étant une espèce polygyne, dont les mâles s’accouplent avec plusieurs femelles sans participer à la couvée ou à l’élevage des petits, la survie des poules serait plus importante pour la survie de la population que celle des coqs.

35      En l’occurrence, la chasse printanière permettrait le prélèvement sélectif de bécasses des bois exclusivement mâles.

36      Or, dans la mesure où les publications scientifiques recommandent de concentrer la chasse sur les femelles pour réduire la population de façon particulièrement efficace, la concentration de la chasse sur les coqs, et donc l’augmentation du taux de survie des poules, aurait pour effet de faire croître la population de manière nettement plus importante que dans le cas où les poules seraient également chassées.

37      Ainsi, un prélèvement sélectif des coqs de la bécasse des bois constituerait une autre option de chasse moins éprouvante pour la population de l’espèce concernée en Basse-Autriche.

38      Par ailleurs, la République d’Autriche conteste qu’il existe des mâles dominants chez la bécasse des bois et considère que l’éventuelle « dominance » des mâles doit plutôt être comprise comme une « souveraineté aérienne ».

39      Dans son mémoire en duplique, la République d’Autriche ajoute qu’une chasse printanière sélective visant exclusivement les bécasses des bois mâles en petites quantités serait préférable à une chasse illimitée de spécimens des deux sexes en automne.

40      En second lieu, la République d’Autriche soutient, d’abord, qu’elle a correctement défini les « petites quantités » en prenant pour référence l’ensemble des données scientifiques et des études disponibles à l’époque. Ensuite, selon cet État membre, la population de référence pour le calcul de ces « petites quantités » inclut non seulement la population reproductrice locale, mais aussi celles des pays d’origine. Enfin, la population reproductrice locale ne serait pas affectée de manière excessive par la chasse sélective de bécasses des bois au printemps.

 Appréciation de la Cour

41      Par son recours, la Commission demande à la Cour de constater que la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 7, paragraphe 4, de la directive « oiseaux » en autorisant la chasse printanière à la bécasse des bois mâle dans le Land de Basse-Autriche.

42      En l’occurrence, la bécasse des bois est une espèce mentionnée à l’annexe II, partie A, de la directive « oiseaux ».

43      L’article 2, paragraphe 1, du règlement sur la bécasse des bois autorise expressément la chasse à la bécasse des bois mâle pendant la période de la parade nuptiale en ces termes, à savoir « le coq de la bécasse des bois peut être abattu du 1er mars au 15 avril, pendant la période de parade nuptiale [...] ».

44      Dès lors, cette période fait partie de celles durant lesquelles l’article 7, paragraphe 4, de ladite directive interdit, en principe, toute chasse de la bécasse des bois (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2007, Commission/Autriche, C‑507/04, EU:C:2007:427, point 195).

45      Néanmoins, la République d’Autriche considère que l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive « oiseaux » permet de justifier les autorisations accordées.

46      En effet, cette disposition autorise, pour toutes les espèces d’oiseaux, et s’il n’existe pas d’« autre solution satisfaisante », une dérogation aux articles 5 et 7 de cette directive pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou tout autre « exploitation judicieuse » de certains oiseaux « en petites quantités ».

47      À cet égard, il importe de préciser que la Cour a déjà dit pour droit que la chasse aux oiseaux sauvages pratiquée à des fins de loisir durant les périodes indiquées à l’article 7, paragraphe 4, de la directive « oiseaux » est susceptible de constituer une « exploitation judicieuse » autorisée par l’article 9, paragraphe 1, sous c), de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 16 octobre 2003, Ligue pour la protection des oiseaux e.a., C‑182/02, EU:C:2003:558, point 11 ainsi que jurisprudence citée).

48      Il y a encore lieu de souligner, s’agissant d’un régime dérogatoire tel que celui prévu à l’article 9 de la directive « oiseaux », qui doit être d’interprétation stricte et faire peser la charge de la preuve de l’existence des conditions requises pour chaque dérogation sur l’autorité qui prend la décision, que les États membres sont tenus de garantir que toute intervention touchant aux espèces protégées ne soit autorisée que sur la base de décisions comportant une motivation précise et adéquate se référant aux motifs, aux conditions et aux exigences prévus audit article (voir, en ce sens, arrêt du 8 juin 2006, WWF Italia e.a., C‑60/05, EU:C:2006:378, point 34).

49      Au nombre des conditions qui doivent être remplies pour que les États membres puissent faire usage dudit régime dérogatoire figure, à l’article 9, paragraphe 1, de cette directive, l’absence d’« autre solution satisfaisante ». En utilisant cette expression, le législateur de l’Union a entendu permettre qu’il soit dérogé à cette disposition, dans la seule mesure nécessaire, dès lors que les possibilités de chasse offertes à d’autres périodes sont si limitées que l’équilibre recherché par ladite directive entre la protection des espèces et certaines activités de loisir est rompu (voir, en ce sens, arrêt 10 septembre 2009, Commission/Malte, C‑76/08, EU:C:2009:535, point 56).

50      Il résulte des dispositions de l’article 9 de la directive « oiseaux », qui font référence au contrôle strict de ladite dérogation et au caractère sélectif des captures, comme d’ailleurs du principe général de proportionnalité, que la dérogation dont un État membre entend faire usage doit être proportionnée aux besoins qui la justifient (arrêt du 10 septembre 2009, Commission/Malte, C‑76/08, EU:C:2009:535, point 57).

51      Il convient, en premier lieu, s’agissant de l’absence d’« autre solution satisfaisante » au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive « oiseaux », de relever, tout d’abord, qu’il n’est pas contesté que les bécasses des bois sont également présentes en automne sur les territoires sur lesquels elles sont chassées et que, conformément à l’article 7 de cette directive, elles peuvent être chassées au cours de cette période.

52      Ensuite, l’argumentation développée par la République d’Autriche selon laquelle, en comparaison avec la chasse automnale, le prélèvement sélectif des seules bécasses des bois mâles lors de la période de reproduction constitue un mode de chasse moins éprouvant pour la population de l’espèce concernée en Basse-Autriche repose principalement sur une lecture a contrario d’une étude relative à la chasse aux cerfs citée par la Commission.

53      Nonobstant la circonstance que l’argumentation de cet État membre se fonde sur des travaux relatifs à un cervidé, ladite argumentation procède du postulat que, si les publications scientifiques recommandent de concentrer la chasse sur les femelles dans l’éventualité où serait désirée la réduction de la population d’une espèce concernée, inversement, la concentration de la chasse sur les coqs permettrait d’en augmenter la population.

54      Or, ce postulat ne saurait être retenu, dès lors que, même réduite aux coqs, l’autorisation de la chasse implique inévitablement le prélèvement d’une partie de la population de l’espèce concernée, laquelle, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, se définit comme l’ensemble de tous les individus qui constituent une communauté de reproduction (arrêt du 12 juillet 2007, Commission/Autriche, C‑507/04, EU:C:2007:427, point 235).

55      Il s’ensuit que, en vertu de l’article 7, paragraphe 4, de la directive « oiseaux », la protection des oiseaux sauvages pendant les périodes nidicoles et les différents stades de reproduction vise à la fois les mâles et les femelles dans leur ensemble. Dès lors, il ne saurait être considéré que la modification de l’équilibre entre mâles et femelles due à un prélèvement sélectif concernant uniquement les mâles puisse être conforme aux exigences de l’article 7 de la directive « oiseaux ».

56      Par ailleurs, en réponse à l’argument de la République d’Autriche selon lequel une chasse printanière sélective visant exclusivement les bécasses des bois mâles en petites quantités serait préférable à une chasse illimitée de spécimens des deux sexes en automne, il importe de relever que l’article 7, paragraphe 4, premier alinéa, de la directive « oiseaux » dispose que les « États membres s’assurent que la pratique de la chasse [...] respecte les principes d’une utilisation raisonnée et d’une régulation équilibrée du point de vue écologique des espèces d’oiseaux concernées, et que cette pratique soit compatible, en ce qui concerne la population de ces espèces, notamment des espèces migratrices, avec les dispositions découlant de l’article 2 [de cette directive] ». Une autorisation de la chasse en dehors des périodes visées à l’article 7, paragraphe 4, deuxième et troisième alinéas, de ladite directive ne saurait être illimitée et devrait en tout état de cause respecter cette exigence d’une « utilisation raisonnée ».

57      Dès lors, la République d’Autriche n’a pas apporté la preuve que la chasse printanière des coqs serait moins éprouvante que la chasse automnale pour la population de l’espèce concernée en Basse-Autriche et qu’il n’existerait pas, de ce fait, d’« autre solution satisfaisante », au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive « oiseaux ».

58      En second lieu, s’agissant de la condition relative aux « petites quantités » prévue à l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive « oiseaux », il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (arrêt du 16 juillet 2015, Commission/Slovénie, C‑140/14, non publié, EU:C:2015:501, point 63 et jurisprudence citée).

59      En l’occurrence, il est constant que le nombre de bécasses des bois, valable à la date du 29 juillet 2015, c’est-à-dire à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, reposait sur des calculs inexacts et que, pour ce motif, ce nombre a ultérieurement été réduit.

60      Cette révision à la baisse, à l’initiative des autorités du Land de Basse-Autriche, afin de corriger le nombre de bécasses des bois sur la base duquel avait été incorrectement calculée la quantité de ces oiseaux pouvant être prélevée, suffit à démontrer que, à la date de référence, ces autorités ne disposaient pas des données susceptibles de constituer des connaissances bien établies de telle sorte que la République d’Autriche n’était pas en mesure de respecter l’exigence de « petites quantités », visée à l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive « oiseaux ».

61      Il s’ensuit que l’exigence relative à l’absence d’« autre solution satisfaisante » et celle ayant trait aux « petites quantités » ne sont pas remplies en l’occurrence et que la République d’Autriche ne saurait donc utilement soutenir que la réglementation nationale est conforme à l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive « oiseaux ».

62      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en autorisant la chasse printanière à la bécasse des bois mâle dans le Land de Basse-Autriche, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 7, paragraphe 4, de la directive « oiseaux ».

 Sur les dépens

63      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République d’Autriche et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

1)      En autorisant la chasse printanière à la bécasse des bois (Scolopax rusticola) mâle dans le Land de Basse-Autriche (Autriche), la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 7, paragraphe 4, de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages.

2)      La République d’Autriche est condamnée aux dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.