Language of document : ECLI:EU:T:2018:90

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

21 février 2018 (*)(1)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Obligation de motivation – Base juridique – Base factuelle – Erreur manifeste d’appréciation – Droits de la défense – Droit de propriété – Droit à la réputation – Proportionnalité – Protection des droits fondamentaux équivalente à celle garantie dans l’Union – Exception d’illégalité »

Dans l’affaire T‑731/15,

Sergiy Klyuyev, demeurant à Donetsk (Ukraine), représenté par MM. R. Gherson, T. Garner, solicitors, B. Kennelly, QC, et J. Pobjoy, barrister,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. Á. de Elera-San Miguel Hurtado et J.-P. Hix, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation, premièrement, de la décision (PESC) 2015/1781 du Conseil, du 5 octobre 2015, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2015, L 259, p. 23), et du règlement d’exécution (UE) 2015/1777 du Conseil, du 5 octobre 2015, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2015, L 259, p. 3), deuxièmement, de la décision (PESC) 2016/318 du Conseil, du 4 mars 2016, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2016, L 60, p. 76), et du règlement d’exécution (UE) 2016/311 du Conseil, du 4 mars 2016, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2016, L 60, p. 1), et, troisièmement, de la décision (PESC) 2017/381 du Conseil, du 3 mars 2017, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2017, L 58, p. 34), et du règlement d’exécution (UE) 2017/374 du Conseil, du 3 mars 2017, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2017, L 58, p. 1), dans la mesure où le nom du requérant a été maintenu sur la liste des personnes, entités et organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, D. Spielmann et Z. Csehi, juges,

greffier : M. L. Grzegorczyk, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 28 juin 2017,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, à la suite de la répression des manifestations de la place de l’Indépendance à Kiev (Ukraine).

2        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2014/119/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26). À la même date, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 208/2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1).

3        Le requérant, M. Sergiy Klyuyev, est un homme d’affaires ukrainien ainsi que le frère de M. Andriy Klyuyev, l’ancien chef de l’administration du président ukrainien. Il est également membre de la Verkhovna Rada (Parlement ukrainien).

4        Les considérants 1 et 2 de la décision 2014/119 précisent :

« (1)      Le 20 février 2014, le Conseil a condamné dans les termes les plus fermes tout recours à la violence en Ukraine. Il a demandé l’arrêt immédiat de la violence en Ukraine et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a demandé au gouvernement ukrainien de faire preuve d’une extrême retenue et aux responsables de l’opposition de se désolidariser de ceux qui mènent des actions extrêmes, et notamment recourent à la violence.

(2)      Le 3 mars 2014, le Conseil a [décidé] d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. » 

5        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

6        Les modalités de ce gel des fonds sont définies aux paragraphes suivants du même article.

7        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption des mesures de gel des fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

8        Les noms des personnes visées par la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014 apparaissent sur la liste, identique, figurant à l’annexe de la décision 2014/119 et à l’annexe I du règlement no 208/2014 (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription.

9        Le nom du requérant apparaissait sur la liste avec les informations d’identification « homme d’affaires, frère de M. [Andriy Klyuyev] » et la motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une enquête en Ukraine pour participation à des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 mai 2014, le requérant a introduit un recours, enregistré sous la référence T‑341/14, ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2014/119 et du règlement no 208/2014, en ce qu’ils le visaient.

11      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1).

12      La décision 2015/143 a précisé, à partir du 31 janvier 2015, les critères de désignation des personnes visées par le gel des fonds. En particulier, l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 a été remplacé par le texte suivant :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes :  

a)      pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b)      pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

13      Le règlement 2015/138 a modifié le règlement no 208/2014 conformément à la décision 2015/143.

14      La décision 2014/119 et le règlement no 208/2014 ont été modifiés ultérieurement, respectivement, par la décision (PESC) 2015/364 du Conseil, du 5 mars 2015 (JO 2015, L 62, p. 25), et par le règlement d’exécution (UE) 2015/357 du Conseil, du 5 mars 2015, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1). La décision 2015/364 a modifié l’article 5 de la décision 2014/119, en prorogeant les mesures restrictives, en ce qui concerne le requérant, jusqu’au 6 juin 2015. Le règlement d’exécution 2015/357 a remplacé en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

15      Par la décision 2015/364 et le règlement d’exécution 2015/357, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « frère de M. [Andriy Klyuyev], homme d’affaires » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une enquête de la part des autorités ukrainiennes pour son rôle dans le détournement de fonds ou d’avoirs publics et dans l’abus de pouvoir en qualité de titulaire d’une charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou les avoirs publics ukrainiens. Personne liée à une personne désignée [Andriy Petrovych Klyuyev] faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

16      Le 5 juin 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/876, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 142, p. 30), et le règlement d’exécution (UE) 2015/869, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 142, p. 1). La décision 2015/876 a, d’une part, remplacé l’article 5 de la décision 2014/119, en étendant l’application des mesures restrictives, en ce qui concernait le requérant, jusqu’au 6 octobre 2015, et, d’autre part, modifié l’annexe de cette dernière décision. Le règlement d’exécution 2015/869 a modifié en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

17      Par la décision 2015/876 et le règlement d’exécution 2015/869, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « frère de M. [Andriy Klyuyev], homme d’affaires » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une enquête de la part des autorités ukrainiennes pour son rôle dans le détournement de fonds publics. Personne liée à une personne désignée [Andriy Petrovych Klyuyev] faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

18      Par lettre du 31 juillet 2015,le Conseil a communiqué au requérant une lettre, datée du 26 juin 2015,[confidentiel](2). Dans cette lettre, le Conseil a informé le requérant qu’il entendait maintenir les mesures restrictives à son égard, en lui précisant quel était le délai fixé pour lui présenter des observations à cet égard. Par lettre du 31 août 2015, le requérant a présenté ses observations.

19      Le 5 octobre 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/1781, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 259, p. 23), et le règlement d’exécution (UE) 2015/1777, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 259, p. 3) (ci-après, pris ensemble, les « actes d’octobre 2015 »). La décision 2015/1781 a, d’une part, remplacé l’article 5 de la décision 2014/119, en étendant l’application des mesures restrictives, en ce qui concerne le requérant, jusqu’au 6 mars 2016, et, d’autre part, modifié l’annexe de cette dernière décision. Le règlement d’exécution 2015/1777 a modifié en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

20      Par la décision 2015/1781 et le règlement d’exécution 2015/1777, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « frère de M. [Andriy Klyuyev], homme d’affaires » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour son rôle dans le détournement de fonds ou d’avoirs publics. Personne liée à une personne désignée [Andriy Petrovych Klyuyev] faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

21      Par lettre du 6 octobre 2015, le Conseil a transmis aux avocats du requérant une copie des actes d’octobre 2015, en les informant du maintien du nom du requérant sur la liste et en répondant à leurs observations en date du 31 août 2015. En outre, le Conseil a annexé à ce courrier une autre lettre [confidentiel] datée du 3 septembre 2015.

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

22      Par lettre du 15 décembre 2015, le Conseil a communiqué au requérant une lettre [confidentiel] datée du 1er décembre 2015, en lui indiquant quel était le délai fixé pour lui présenter des observations à cet égard.

23      Par arrêt du 28 janvier 2016, Klyuyev/Conseil (T‑341/14, EU:T:2016:47), le Tribunal a annulé la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014, en ce qu’ils concernaient le requérant.

24      Le 4 mars 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/318, modifiant la décision 2014/119 (JO 2016, L 60, p. 76), et le règlement d’exécution (UE) 2016/311, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2016, L 60, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2016 »).

25      Par les actes de mars 2016, l’application des mesures restrictives a été prorogée, notamment en ce qui concerne le requérant, jusqu’au 6 mars 2017, et ce sans que la motivation de sa désignation ait été modifiée par rapport à celle des actes d’octobre 2015.

26      Par courrier du 7 mars 2016, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives à son égard. Il a également répondu aux observations du requérant formulées dans les correspondances précédentes et lui a transmis les actes de mars 2016.

27      Par lettre du 12 décembre 2016, le Conseil a informé les avocats du requérant qu’il envisageait de renouveler les mesures restrictives à l’égard de ce dernier et a annexé deux lettres [confidentiel], l’une datée du 25 juillet 2016 et l’autre datée du 16 novembre 2016 (ci-après les « lettres des 25 juillet et 16 novembre 2016 »), en rappelant quel était le délai fixé pour lui présenter des observations en vue du réexamen annuel des mesures restrictives. Le requérant a présenté de telles observations au Conseil par lettre du 12 janvier 2017.

28      Le 3 mars 2017, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2017/381, modifiant la décision 2014/119 (JO 2017, L 58, p. 34), et le règlement d’exécution (UE) 2017/374, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2017, L 58, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2017 »).

29      Par les actes de mars 2017, l’application des mesures restrictives a été prorogée, notamment en ce qui concerne le requérant, jusqu’au 6 mars 2018, et ce sans que la motivation de sa désignation ait été modifiée par rapport à celle des actes d’octobre 2015 et de mars 2016.

30      Par courrier du 6 mars 2017, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives à son égard. Il a également répondu aux observations du requérant formulées dans les correspondances précédentes et lui a transmis les actes de mars 2017. Il a également indiqué le délai pour lui présenter des observations avant la prise de décision concernant l’éventuel maintien de son nom sur la liste.

 Procédure et conclusions des parties

31      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 décembre 2015, le requérant a introduit le présent recours.

32      Le 9 mars 2016, le Conseil a déposé le mémoire en défense. Le même jour, il a présenté une demande motivée, conformément à l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal, visant à obtenir que le contenu de certaines annexes de la requête ainsi que celui d’une annexe au mémoire en défense ne soient pas cités dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public avait accès.

33      La réplique a été déposée le 29 avril 2016.

34      Le 13 mai 2016, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure, le requérant a présenté un premier mémoire en adaptation afin de demander également l’annulation des actes de mars 2016, en tant qu’ils le concernaient.

35      La duplique a été déposée le 27 juin 2016.

36      Le 5 juillet 2016, le Conseil a présenté des observations relatives au premier mémoire en adaptation. 

37      La phase écrite de la procédure a été close le 11 juillet 2016.

38      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 26 juillet 2016, le requérant a demandé la tenue d’une audience de plaidoiries.

39      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la sixième chambre, à laquelle, par conséquent, la présente affaire a été attribuée.

40      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

41      Par lettre du 24 février 2017, le requérant a demandé le report de l’audience fixée au 6 avril 2017. Le 1er mars 2017, le président de la sixième chambre du Tribunal a accueilli cette demande et a décidé de reporter l’audience au 18 mai 2017.

42      Le 4 mai 2017, le requérant a déposé un second mémoire en adaptation, afin de demander l’annulation des actes de mars 2017, en tant qu’ils le concernaient.

43      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 8 mai 2017, le Conseil a demandé, d’une part, une prorogation du délai pour le dépôt des observations relatives au second mémoire en adaptation et, d’autre part, le cas échéant, le report de l’audience fixée au 18 mai 2017. Le 10 mai 2017, le président de la sixième chambre du Tribunal a décidé de reporter l’audience au 28 juin 2017.

44      Le 14 juin 2017, le Conseil a présenté des observations relatives au second mémoire en adaptation.

45      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 15 juin 2017, le requérant a demandé, au titre de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure, de verser au dossier une copie de la décision [confidentiel], en date du 5 mars 2016, de suspendre [confidentiel].

46      Le 16 juin 2017, le Conseil a présenté une demande analogue à celle visée au point 32 ci-dessus, visant à obtenir que le contenu de certaines annexes au second mémoire en adaptation et celui des observations relatives à ce mémoire ne soient pas cités dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public avait accès.

47      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 23 juin 2017, le Conseil a excipé de l’irrecevabilité de l’offre de preuve du requérant en ce qu’elle serait tardive.

48      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 28 juin 2017.

49      À la suite des première et seconde adaptations de la requête, le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes d’octobre 2015, de mars 2016 et de mars 2017, en ce qu’ils le visent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

50      À la suite des précisions fournies lors de l’audience, en réponse à des questions du Tribunal, le Conseil conclut à ce qu’il plaise à ce dernier :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, si les actes de mars 2017 devaient être annulés en ce qui concerne le requérant, ordonner le maintien des effets de la décision 2017/381 jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2017/374 prenne effet ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur les conclusions en annulation des actes d’octobre 2015 et de mars 2016, en ce qu’ils visent le requérant

51      À l’appui de son recours en annulation, dans la requête, le requérant a invoqué cinq moyens, tirés, le premier, de l’absence de base juridique, le deuxième, d’une erreur manifeste d’appréciation, le troisième, de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective, le quatrième, de l’absence de motivation adéquate et, le cinquième, de la violation du droit de propriété et du droit à la réputation. Lors de la première adaptation de la requête, il a également invoqué, à l’encontre des actes de mars 2016, un moyen qu’il a qualifié de nouveau et qui a trait à la violation des droits découlant de l’article 6 TUE, lu conjointement avec les articles 2 et 3 TUE, ainsi que des articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

52      À titre subsidiaire, le requérant a soulevé une exception d’illégalité, en vertu de l’article 277 TFUE, visant à ce que le critère de désignation prévu à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel que modifié par la décision 2015/143, et à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 208/2014, tel que modifié par le règlement 2015/138 (ci-après le « critère pertinent »), qui serait dépourvu de base légale appropriée ou serait disproportionné par rapport aux objectifs poursuivis par les actes en cause, soit déclaré inapplicable à son égard.

53      Tout d’abord, il convient d’examiner le quatrième moyen, ensuite, le premier moyen et les autres moyens dans l’ordre qui figure dans la requête, puis le moyen soulevé dans la première adaptation de la requête et, enfin, l’exception d’illégalité soulevée par le requérant à titre subsidiaire.

 Sur le quatrième moyen, tiré du non-respect de l’obligation de motivation

54      Le requérant fait valoir, en substance, que la motivation le concernant qui figure dans les actes d’octobre 2015 et de mars 2016 n’indique pas les raisons spécifiques et concrètes qui justifient l’imposition de mesures restrictives à son égard. Cette motivation se limiterait à reproduire le libellé du critère pertinent prévu dans ces actes et serait donc générale et stéréotypée. Les lacunes de la motivation en cause ne seraient d’ailleurs pas palliées par les lettres [confidentiel] des 26 juin, 3 septembre et 1er décembre 2015, qui seraient vagues et imprécises. Il ne pourrait dès lors être clairement déterminé sur quelles accusations, contenues dans lesdites lettres, le Conseil se serait fondé pour le désigner. De telles lacunes seraient d’autant plus frappantes que le Conseil aurait disposé d’un long délai pour élaborer une motivation plus étoffée, après la première désignation du requérant et à la lumière des griefs soulevés par ce dernier, étant donné, en outre, que l’urgence tirée du risque de dissipation des avoirs avait disparu.

55      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

56      Aux termes de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, « [l]es actes juridiques sont motivés […] »

57      En vertu de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte, à laquelle l’article 6, paragraphe 1, TUE reconnaît la même valeur juridique que les traités, le droit à une bonne administration comprend notamment « l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions ».

58      Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296 TFUE et l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte doit être adaptée à la nature de l’acte attaqué et au contexte dans lequel celui-ci a été adopté. Elle doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre à l’intéressé de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 94 et jurisprudence citée).

59      Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE et de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Ainsi, d’une part, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard. D’autre part, le degré de précision de la motivation d’un acte doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles celui-ci doit intervenir (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 95 et jurisprudence citée).

60      En particulier, la motivation d’une mesure de gel d’avoirs ne saurait, en principe, consister seulement en une formulation générale et stéréotypée. Sous les réserves énoncées au point 59 ci-dessus, une telle mesure doit, au contraire, indiquer les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère que la réglementation pertinente est applicable à l’intéressé (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 96 et jurisprudence citée).

61      Il convient enfin de rappeler que l’obligation de motiver un acte constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celle-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’un acte consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cet acte. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond dudit acte, mais non la motivation de celui-ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (voir arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 96 et jurisprudence citée).

62      En l’espèce, il convient de relever que la motivation retenue lors du maintien du nom du requérant sur la liste en cause (voir points 18 à 21 ci-dessus) est spécifique et concrète et énonce les éléments qui constituent le fondement dudit maintien, à savoir la circonstance, d’une part, qu’il fait l’objet de procédures pénales engagées par les autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et, d’autre part, qu’il est lié à une personne désignée, à savoir son frère M. Andriy Klyuyev, lequel fait également l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics.

63      En outre, le maintien des mesures restrictives à l’égard du requérant est intervenu dans un contexte connu de celui-ci, qui avait été informé, lors des échanges avec le Conseil, notamment des lettres [confidentiel] des 26 juin, 3 septembre et 1er décembre 2015, sur lesquelles le Conseil a fondé le maintien desdites mesures (voir, en ce sens, arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, points 53 et 54 et jurisprudence citée, et du 6 septembre 2013, Bank Melli Iran/Conseil, T‑35/10 et T‑7/11, EU:T:2013:397, point 88). Dans ces lettres, sont indiquées l’autorité chargée des enquêtes, les numéros et les dates d’ouverture des procédures pénales engagées à l’égard du requérant, les faits reprochés au requérant, les autres personnes et organismes concernés, le montant des fonds publics prétendument détournés, les articles pertinents du code pénal ukrainien, les saisies effectuées ainsi que le fait que le requérant a été informé par écrit des soupçons existant à son égard.

64      S’agissant de l’argument du requérant portant sur le caractère prétendument stéréotypé de la motivation, il y a lieu de relever que, si les considérations figurant dans ce motif sont les mêmes que celles sur le fondement desquelles les autres personnes physiques mentionnées dans la liste ont été soumises à des mesures restrictives, elles visent néanmoins à décrire la situation concrète du requérant, qui, au même titre que d’autres personnes, a, d’après le Conseil, fait l’objet de procédures judiciaires présentant un lien avec des investigations portant sur des détournements de fonds publics en Ukraine (voir, en ce sens, arrêts du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 115, et du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 82).

65      S’agissant des autres arguments du requérant, il suffit de constater qu’ils ont trait au bien-fondé de la motivation reprise au point 20 ci-dessus de sorte que, en vertu de la jurisprudence rappelée au point 61 ci-dessus, ils ne doivent pas être examinés dans le cadre du présent moyen, mais plutôt dans celui des premier et deuxième moyens.

66      À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que les actes d’octobre 2015 et de mars 2016 énoncent à suffisance de droit les éléments de droit et de fait qui en constituent, d’après leur auteur, le fondement.

67      Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen.

 Sur le premier moyen, tiré de l’absence de base juridique

68      Le requérant fait valoir que l’article 29 TUE ne peut pas constituer une base juridique valable pour le maintien des mesures restrictives à son égard par les décisions relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) contestées. Dès lors que l’article 215, paragraphe 2, TFUE présupposerait l’existence d’une décision relevant de la PESC qui soit valable pour que des règlements puissent être adoptés sur le fondement de cette disposition, les règlements d’exécution 2015/1777 et 2016/311 ne disposeraient pas non plus de base juridique.

69      Premièrement, le Conseil n’aurait fourni aucun élément de preuve permettant d’établir que le requérant a porté atteinte à la démocratie, à l’État de droit ou aux droits de l’homme en Ukraine ou en quoi le gel de ses fonds ferait progresser l’un de ces objectifs. Deuxièmement, le Conseil n’aurait pas tenu compte des éléments de preuve qui montraient que le nouveau régime ukrainien portait atteinte à la démocratie ainsi qu’à l’État de droit et violait, de façon flagrante et systématique, les droits de l’homme, et ce tant en ce qui concerne spécifiquement le requérant que sur le plan général.

70      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

71      À titre liminaire, il convient de rappeler que les objectifs du traité UE concernant la PESC sont énoncés, notamment, à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, qui prévoit ce qui suit :

« 2.      L’Union définit et mène des politiques communes et des actions et œuvre pour assurer un haut degré de coopération dans tous les domaines des relations internationales afin :

[…]

b)      de consolider et de soutenir la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme et les principes du droit international […] »

72      Cet objectif a été mentionné au considérant 2 de la décision 2014/119, repris au point 4 ci-dessus.

73      Il convient de vérifier si le critère pertinent, mentionné au point 12 ci-dessus, tel qu’il est appliqué au requérant, correspond à l’objectif, invoqué au considérant 2 de la décision 2014/119, de renforcement et de soutien de l’État de droit en Ukraine.

74      À cet égard, il doit être observé que la jurisprudence a établi que des objectifs tels que celui mentionné à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE avaient vocation à être atteints par un gel d’avoirs dont le champ d’application était, comme en l’espèce, restreint aux personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds publics ainsi qu’aux personnes, entités ou organismes qui leur sont liés, c’est-à-dire à des personnes dont les agissements sont susceptibles d’avoir obéré le bon fonctionnement des institutions publiques et des organismes leur étant liés (arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 85 ; voir également, en ce sens, arrêts du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 44, et du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 68).

75      Dans ce contexte, il y a lieu de constater que le respect de l’État de droit est l’une des valeurs premières sur lesquelles repose l’Union européenne, ainsi qu’il ressort de l’article 2 TUE comme des préambules du traité UE et de la Charte. Le respect de l’État de droit constitue, en outre, une condition préalable à l’adhésion à l’Union, en vertu de l’article 49 TUE. La notion d’État de droit est également consacrée, sous la formulation alternative de « prééminence du droit », dans le préambule de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH ») (arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 87).

76      La jurisprudence de la Cour et de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH ») ainsi que les travaux du Conseil de l’Europe, par le biais de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (ci-après la « Commission de Venise »), fournissent une liste non exhaustive des principes et des normes qui peuvent s’inscrire dans la notion d’État de droit. Parmi ceux-ci figurent les principes de légalité, de sécurité juridique et d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, des juridictions indépendantes et impartiales, un contrôle juridictionnel effectif, y compris le respect des droits fondamentaux, et l’égalité devant la loi [voir, à cet égard, la liste des critères de l’État de droit adoptée par la Commission de Venise lors de sa cent-sixième session plénière (11-12 mars 2016)]. En outre, dans le contexte de l’action extérieure de l’Union, certains instruments juridiques mentionnent notamment la lutte contre la corruption en tant que principe inscrit dans la notion d’État de droit [voir, par exemple, le règlement (CE) no 1638/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 2006, arrêtant des dispositions générales instituant un instrument européen de voisinage et de partenariat (JO 2006, L 310, p. 1)] (arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 88).

77      Par ailleurs, il convient de rappeler que la poursuite des crimes économiques, tels que le détournement de fonds publics, est un moyen important pour lutter contre la corruption et que la lutte contre la corruption constitue, dans le contexte de l’action extérieure de l’Union, un principe inscrit dans la notion d’État de droit (arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 116).

78      Cependant, s’il ne peut être exclu que certains comportements concernant des faits de détournement de fonds publics soient en mesure de porter atteinte à l’État de droit, il ne saurait être admis que tout fait de détournement de fonds publics, commis dans un pays tiers, justifie une intervention de l’Union dans le but de renforcer et de soutenir l’État de droit dans ce pays, dans le cadre de ses compétences en matière de PESC. Pour que puisse être établi qu’un détournement de fonds publics soit susceptible de justifier une action de l’Union dans le cadre de la PESC, fondée sur l’objectif de consolider et de soutenir l’État de droit, il est, à tout le moins, nécessaire que les faits contestés soient susceptibles de porter atteinte aux fondements institutionnels et juridiques du pays concerné (arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 89).

79      Il en découle que le critère pertinent ne peut être considéré comme étant conforme à l’ordre juridique de l’Union que dans la mesure où il est possible de lui attribuer un sens compatible avec les exigences des règles supérieures au respect desquelles il est soumis, et plus précisément avec l’objectif de renforcer et de soutenir l’État de droit en Ukraine. Par ailleurs, cette interprétation permet de respecter la large marge d’appréciation dont le Conseil bénéficie pour définir les critères généraux d’inscription, tout en garantissant un contrôle, en principe complet, de la légalité des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux (voir arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 90 et jurisprudence citée).

80      Partant, le critère pertinent doit être interprété en ce sens qu’il ne vise pas, de façon abstraite, tout fait de détournement de fonds publics, mais qu’il vise plutôt des faits de détournement de fonds ou d’avoirs publics qui, eu égard au montant ou au type de fonds ou d’avoirs détournés ou au contexte dans lequel ils se sont produits, sont, à tout le moins, susceptibles de porter atteinte aux fondements institutionnels et juridiques de l’Ukraine, notamment aux principes de légalité, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, du contrôle juridictionnel effectif et d’égalité devant la loi, et, en dernier ressort, de porter atteinte au respect de l’État de droit dans ce pays. Ainsi interprété, ce critère est conforme et proportionné aux objectifs pertinents du traité UE (arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 91).

81      En l’espèce, ainsi que le fait remarquer à juste titre le Conseil, les lettres [confidentiel], sur lesquelles celui-ci s’est fondé lors du réexamen des mesures prises à l’égard du requérant, indiquent que ce dernier a fait l’objet d’enquêtes puis de procédures pénales lancées par les autorités ukrainiennes contre lui, puisqu’il est soupçonné d’avoir commis certaines infractions économiques [confidentiel]. Par ailleurs, ces infractions s’insèrent dans un contexte plus large où une partie non négligeable de l’ancienne classe dirigeante ukrainienne – dont le requérant relève également, en tant que parlementaire et frère de M. Andriy Klyuyev, qui était l’ancien chef de l’administration du président ukrainien – est soupçonnée d’avoir commis de graves infractions dans la gestion des ressources publiques, menaçant ainsi sérieusement les fondements institutionnels et juridiques du pays et portant notamment atteinte aux principes de légalité, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, du contrôle juridictionnel effectif et d’égalité devant la loi (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 142).

82      Or, la facilitation de la récupération de ces fonds, aussi bien que celle de ceux prétendument détournés par d’autres personnes visées par les mesures restrictives en cause, relève de l’objectif de renforcer l’État de droit en Ukraine. À cet égard, il convient de relever que les mesures restrictives en cause facilitent et complètent les efforts déployés par les autorités de ce pays pour récupérer les fonds publics détournés. [confidentiel]. Dès lors que les mesures prises par le [confidentiel] ne peuvent pas affecter les fonds que le requérant détient dans l’Union, le gel décidé par le Conseil renforce l’efficacité de l’initiative prise sur le plan national.

83      Il s’ensuit que, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 74 ci-dessus, dans leur ensemble et compte tenu de la position du requérant au sein de l’ancienne classe dirigeante ukrainienne, les mesures restrictives en question contribuent, de manière efficace, à faciliter la poursuite des crimes de détournement de fonds publics commis au détriment des institutions ukrainiennes et permettent qu’il soit plus aisé, pour les autorités ukrainiennes, d’obtenir la restitution du fruit de tels détournements. Cela permet de faciliter, dans l’hypothèse où les poursuites judiciaires s’avéreront fondées, la répression, par des moyens judiciaires, des actes allégués de corruption commis par des membres de l’ancien régime de l’Ukraine, contribuant ainsi au soutien de l’État de droit dans ce pays (voir, par analogie, arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 143).

84      Les arguments du requérant ayant trait à sa situation personnelle ainsi qu’à la situation générale en Ukraine, lesquels se recoupent largement avec des arguments similaires développés dans le cadre du deuxième moyen, seront examinés et rejetés dans le cadre dudit moyen (voir points 128, 133 à 144 ci-après).

85      Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le premier moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré, en substance, d’une erreur manifeste d’appréciation

86      Le requérant fait valoir, en substance, que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que le critère pertinent était satisfait en ce qui le concerne. À cet égard, il allègue que les déclarations [confidentiel], que le Conseil aurait acceptées sans examen préalable et sans tenir compte des inexactitudes relevées par le requérant, ne constituent pas une base factuelle suffisamment solide à cette fin, alors même qu’il incombait au Conseil d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre du requérant, en tenant compte des observations et des éléments à décharge produits par celui-ci.Selon lui, le Conseil était tenu de mener des vérifications supplémentaires ainsi que de solliciter la communication d’éléments de preuve additionnels auprès des autorités de l’État tiers. Ce serait d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de proroger des mesures restrictives. Il n’y aurait d’ailleurs aucune preuve que le requérant serait « lié » d’une manière quelconque à son frère, M. Andriy Klyuyev, et que celui-ci aurait été identifié comme responsable d’un détournement de fonds publics. Le fait qu’il soit un membre de sa famille ne suffirait pas. Par ailleurs, le requérant souligne que le Conseil l’a soumis à une succession de mesures restrictives d’une inhabituellement courte durée, ce qui serait révélateur de l’inquiétude de celui-ci au regard des moyens de preuve nécessaires pour justifier des mesures plus longues.

87      Tout d’abord, selon le requérant, les lettres des 26 juin et 3 septembre 2015, en ce qui concerne les actes d’octobre 2015, et la lettre du 1er décembre 2015, en ce qui concerne les actes de mars 2016, [confidentiel], sont les seuls éléments de preuve fournis par le Conseil et elles ne sont pas, à leur tour, étayées d’autres éléments de preuve précis et concrets. Le Conseil n’aurait d’ailleurs pas non plus apporté la preuve que les faits allégués [confidentiel] dans ces lettres étaient susceptibles de remettre en cause l’État de droit en Ukraine.

88      Le requérant soutient que, selon la jurisprudence, si l’existence d’une enquête pour détournement de fonds menée par des autorités nationales d’un État tiers peut être suffisante pour que le critère de désignation soit satisfait, encore faut-il que cette enquête s’inscrive dans un contexte judiciaire. À cet égard, [confidentiel] ne saurait être considéré comme une « autorité judiciaire ». Selon le requérant, si ce critère devait être interprété plus largement, d’une part, la personne concernée serait privée des garanties essentielles découlant de l’implication d’une autorité judiciaire et, d’autre part, cela équivaudrait à transférer aux autorités nationales ukrainiennes le pouvoir de sélectionner à leur gré les personnes devant être visées par les mesures restrictives en cause. [confidentiel].

89      En particulier, afin de prouver que l’information contenue dans la lettre du 3 septembre 2015, qui ne différerait pas de celle du 26 juin 2015, était inadéquate, le requérant s’appuie sur un avis juridique d’un professeur de droit de l’Université de Kiev, selon lequel les poursuites engagées à l’encontre du requérant ne seraient pas justifiables. S’appuyant surun autre avis juridique rendu par un autre professeur de droit, le requérant soutient également que [confidentiel] a commis de sérieuses violations de ses droits procéduraux dans le cadre de [confidentiel], ce qui ne permettrait pas, en vertu du code de procédure pénale ukrainien, de le qualifier de personne soumise à « une procédure pénale ». Selon le requérant, ces avis contiennent des éléments de preuve objectifs et détaillés qui auraient été facilement vérifiables par le Conseil.

90      En outre, le requérant met en exergue plusieurs imprécisions et fausses déclarations émises par [confidentiel], s’agissant des enquêtes le concernant, qui soulèvent des doutes sur la fiabilité de celui-ci. Dans un arrêt du 11 décembre 2014, l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche) aurait relevé, de manière incidente, dans le cadre d’une procédure concernant le gel des avoirs du requérant en Autriche, que les accusations soulevées à l’égard de ce dernier par les autorités ukrainiennes n’étaient pas suffisamment étayées et semblaient avoir été fondées sur des présomptions. Cela aurait été confirmé par une lettre émanant du bureau du procureur de Vienne, datée du 4 avril 2016, annonçant l’abandon des poursuites à l’égard du requérant.

91      D’ailleurs, un rapport qui relate une enquête indépendante sur les activités commerciales du requérant et de la société concernée par la procédure pénale réfuterait toutes les accusations formulées par [confidentiel]. De même, le rapport d’audit des activités financières et commerciales de ladite société, en date du 28 juillet 2014, effectué par l’Inspection financière d’État (IFE) de l’Ukraine pour la période comprise entre le 1er janvier 2008 et le 17 juin 2014, ne mentionnerait aucune violation de la législation ni aucune action fautive commise par cette société.

92      Ensuite, selon le requérant, le Conseil n’a pas tenu compte du fait que le nouveau gouvernement ukrainien portait atteinte, précisément, à l’État de droit et aux droits de l’homme, et ce tant en ce qui concerne spécifiquement le requérant que sur un plan plus général.

93      S’agissant de sa situation spécifique, le requérant fait valoir qu’il a été victime d’une persécution politique, les autorités ukrainiennes ayant ouvert des enquêtes injustifiées et abusives à son égard, et que ces dernières ont violé son droit à la présomption d’innocence. Les lettres [confidentiel] sur lesquelles le Conseil s’appuie prouveraient cette violation, [confidentiel] étant tenus eux aussi d’appliquer ce principe et de s’abstenir d’accuser publiquement des personnes poursuivies, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour EDH.

94      Le requérant expose également les différentes étapes ayant précédé la décision de la Verkhovna Rada de lever son immunité et, s’appuyant, notamment, sur un avis juridique d’un autre professeur de droit, fait valoir, d’une part, que chacun des stades de la procédure de levée de l’immunité a été marqué par des irrégularités et, d’autre part, que la décision finale était illégale.

95      S’agissant de la situation générale en Ukraine, il fait valoir que le nouveau gouvernement a pris des mesures concrètes entravant le bon fonctionnement du système judiciaire dans ce pays et portant atteinte à l’État de droit. Plus particulièrement, ainsi que l’aurait reconnu le Haut-Commissaire des Nations Unies chargé de la mission d’observation des droits de l’homme en Ukraine (ci-après le « Haut-Commissaire »), dans un rapport concernant la période comprise entre le 16 février et le 15 mai 2015, les juges ukrainiens ne seraient pas indépendants et subiraient des menaces qui nuiraient à leur impartialité, notamment en ce qui concerne la poursuite de fonctionnaires du gouvernement antérieur. Des constatations similaires figureraient dans un rapport du département d’État des États-Unis d’Amérique portant sur la situation en Ukraine en 2015. D’ailleurs, le simple fait que l’Ukraine est partie à la CEDH ne suffirait pas pour garantir que les droits fondamentaux soient respectés dans ce pays.

96      En outre, le requérant se réfère à une loi ukrainienne d’octobre 2014, dite « loi de lustration », permettant de démettre de leurs fonctions au sein de l’administration certaines personnes, dont des juges et des procureurs, en raison de leur comportement passé, notamment lorsque celui-ci a été favorable à l’ancien président, M. Viktor Yanukovych. Les insuffisances graves de cette loi auraient été reconnues par la Commission de Venise, dans un avis intérimaire du 16 décembre 2014. Cette même Commission, dans un avis rendu le 23 mars 2015 de manière conjointe avec la direction des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, aurait également soulevé des inquiétudes quant à l’indépendance des juges en Ukraine.

97      S’agissant de l’existence de problèmes systémiques au sein [confidentiel], elle serait confirmée par la démission, le 19 février 2016, du procureur général, M. Viktor Shokin, à la suite des pressions exercées par le président, M. Petro Porochenko, dans un contexte d’allégations de corruption, démission qui aurait été saluée notamment par le vice-président des États-Unis d’Amérique.

98      Enfin, le requérant fait remarquer que la nécessité pour le Conseil de procéder à un contrôle strict, complet et rigoureux, et de s’assurer que toute décision concernant l’adoption d’une mesure restrictive est prise sur une base factuelle suffisamment solide, s’impose plus particulièrement en l’espèce, étant donné, d’une part, le délai dont le Conseil a disposé pour présenter ou vérifier des éléments de preuve et d’information afin de justifier le maintien de son nom sur la liste en cause et, d’autre part, les éléments produits par le requérant, tant devant le Tribunal que devant le Conseil, afin de mettre en exergue les faiblesses des preuves utilisées par ce dernier.

99      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

100    À titre liminaire, il convient de rappeler que, si le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux critères généraux à prendre en considération en vue de l’adoption de mesures restrictives, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou à tout le moins l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour étayer cette même décision, sont étayés de façon suffisamment précise et concrète (voir arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 36 et jurisprudence citée).

101    Selon la jurisprudence, le Conseil n’est pas tenu d’entreprendre, d’office et de manière systématique, ses propres investigations ou d’opérer des vérifications en vue d’obtenir des précisions supplémentaires lorsqu’il dispose déjà d’éléments fournis par les autorités d’un pays tiers pour prendre des mesures restrictives à l’égard de personnes qui en sont originaires et qui y font l’objet de procédures judiciaires (arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 57).

102    À cet égard, il convient de relever que le BPG  est l’une des plus hautes autorités judiciaires en Ukraine. En effet, il agit, dans cet État, en qualité de ministère public dans l’administration de la justice pénale et il mène des enquêtes préliminaires dans le cadre de procédures pénales visant, notamment, le détournement de fonds publics (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, points 45 et 111).

103    Certes, il peut être déduit, par analogie, de la jurisprudence en matière de mesures restrictives adoptées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme qu’il appartenait, en l’espèce, au Conseil d’examiner avec soin et impartialité les éléments de preuve qui lui avaient été transmis par les autorités ukrainiennes, [confidentiel], au regard, en particulier, des observations et des éventuels éléments à décharge présentés par le requérant. Par ailleurs, dans le cadre de l’adoption de mesures restrictives, le Conseil est soumis à l’obligation de respecter le principe de bonne administration, consacré par l’article 41 de la Charte, auquel se rattache, selon une jurisprudence constante, l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (voir, par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 58 et jurisprudence citée).

104    Toutefois, il résulte également de la jurisprudence que, pour apprécier la nature, le mode et l’intensité de la preuve qui peut être exigée du Conseil, il convient de tenir compte de la nature et de la portée spécifique des mesures restrictives ainsi que de leur objectif (voir arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 59 et jurisprudence citée).

105    À cet égard, ainsi qu’il ressort des considérants 1 et 2 de la décision 2014/119, celle-ci s’inscrit dans le cadre plus général d’une politique de l’Union de soutien aux autorités ukrainiennes destinée à favoriser la stabilisation politique de l’Ukraine. Elle répond ainsi aux objectifs de la PESC, qui sont définis, notamment, à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, en vertu duquel l’Union met en œuvre une coopération internationale en vue de consolider et de soutenir la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme et les principes du droit international (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 60 et jurisprudence citée).

106    C’est dans ce cadre que les mesures restrictives en cause prévoient le gel des fonds et des avoirs notamment de personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien. En effet, la facilitation de la récupération de ces fonds renforce et soutient l’État de droit en Ukraine (voir points 76 à 80 ci-dessus).

107    Il s’ensuit que les mesures restrictives en cause ne visent pas à sanctionner des agissements répréhensibles qui seraient commis par les personnes visées ni à les dissuader, par la contrainte, de se livrer à de tels agissements. Ces mesures ont pour seul objet de faciliter la constatation par les autorités ukrainiennes des détournements de fonds publics commis et de préserver la possibilité, pour ces autorités, de recouvrer le produit de ces détournements. Elles revêtent donc une nature purement conservatoire (voir, par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 62 et jurisprudence citée).

108    Ainsi, les mesures restrictives en cause, qui ont été édictées par le Conseil sur la base des compétences qui lui sont conférées par les articles 21 et 29 TUE, sont dépourvues de connotation pénale. Elles ne sauraient donc être assimilées à une décision de gel d’avoirs d’une autorité judiciaire nationale d’un État membre prise dans le cadre de la procédure pénale applicable et dans le respect des garanties offertes par cette procédure. Par conséquent, les exigences s’imposant au Conseil en matière de preuves sur lesquelles est fondée l’inscription du nom d’une personne sur la liste de celles faisant l’objet de ce gel d’avoirs ne sauraient être strictement identiques à celles qui s’imposent à l’autorité judiciaire nationale dans le cas susvisé (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 64 et jurisprudence citée).

109    En l’espèce, ce qu’il importe au Conseil de vérifier, c’est, d’une part, dans quelle mesure les lettres [confidentiel], sur lesquelles il s’est fondé, permettent d’établir que, comme l’indiquent les motifs d’inscription du nom du requérant sur la liste en cause, rappelés aux points 18 et 20 ci-dessus, celui-ci fait, notamment, l’objet d’enquêtes ou de procédures pénales de la part des autorités ukrainiennes pour des faits susceptibles de relever du détournement de fonds publics et, d’autre part, si ces enquêtes ou ces procédures permettent de qualifier les agissements du requérant conformément au critère pertinent. Ce n’est que si ces vérifications n’aboutissaient pas que, au regard du principe jurisprudentiel rappelé au point 103 ci-dessus, il appartiendrait au Conseil d’opérer des vérifications supplémentaires (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 65 et jurisprudence citée).

110    Par ailleurs, dans le cadre de la coopération régie par les actes en cause (voir point 105 ci-dessus), il n’appartient pas, en principe, au Conseil d’examiner et d’apprécier lui-même l’exactitude et la pertinence des éléments sur lesquels les autorités ukrainiennes se fondent pour conduire des procédures pénales visant le requérant pour des faits qualifiables de détournement de fonds publics. En effet, ainsi qu’il a été exposé au point 107 ci-dessus, en adoptant les actes en cause, le Conseil ne cherche pas à sanctionner lui-même les détournements de fonds publics sur lesquels les autorités ukrainiennes enquêtent, mais à préserver la possibilité pour ces autorités de constater lesdits détournements tout en en recouvrant le produit. C’est donc à ces autorités qu’il appartient, dans le cadre desdites procédures, de vérifier les éléments sur lesquels elles se fondent et, le cas échéant, d’en tirer les conséquences en ce qui concerne l’aboutissement de ces procédures. Par ailleurs, ainsi qu’il résulte du point 108 ci-dessus, les obligations du Conseil dans le cadre des actes en cause ne sauraient être assimilées à celles d’une autorité judiciaire nationale d’un État membre dans le cadre d’une procédure pénale de gel d’avoirs, ouverte notamment dans le cadre de la coopération pénale internationale (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 66).

111    Cette interprétation est confirmée par la jurisprudence dont il ressort qu’il n’appartient pas au Conseil de vérifier le bien‑fondé des enquêtes dont la personne concernée fait l’objet, mais uniquement de vérifier le bien-fondé de la décision de gel des fonds au regard du document fourni par les autorités nationales (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil, C‑220/14 P, EU:C:2015:147, point 77).

112    Certes, le Conseil ne saurait entériner, en toutes circonstances, les constatations des autorités judiciaires ukrainiennes figurant dans les documents fournis par ces dernières. Un tel comportement ne serait pas conforme au principe de bonne administration ni, d’une manière générale, à l’obligation, pour les institutions de l’Union, de respecter les droits fondamentaux dans le cadre de l’application du droit de l’Union, en vertu de l’application combinée de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, TUE et de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 67).

113    Toutefois, il appartient au Conseil d’apprécier, en fonction des circonstances de l’espèce, la nécessité de mener des vérifications supplémentaires, en particulier de solliciter des autorités ukrainiennes la communication d’éléments de preuve additionnels si ceux déjà fournis se révèlent insuffisants ou incohérents. En effet, il ne pourrait être exclu que des éléments portés à la connaissance du Conseil, soit par les autorités ukrainiennes elles-mêmes, soit d’une autre manière, le conduisent à douter du caractère suffisant des preuves déjà fournies par ces autorités. Par ailleurs, dans le cadre de la faculté qui doit être conférée aux personnes visées de présenter des observations concernant les motifs que le Conseil envisage de retenir pour maintenir leur nom sur la liste en cause, ces personnes sont susceptibles de présenter de tels éléments, voire des éléments à décharge, qui nécessiteraient que le Conseil conduise des vérifications supplémentaires. En particulier, s’il n’appartient pas au Conseil de se substituer aux autorités judiciaires ukrainiennes dans l’appréciation du bien-fondé des procédures pénales mentionnées par les lettres [confidentiel], il ne peut être exclu que, au regard notamment des observations du requérant, cette institution soit tenue de solliciter auprès des autorités ukrainiennes des éclaircissements concernant les éléments sur lesquels ces procédures sont fondées (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 68).

114    En l’espèce, à titre liminaire, il convient de relever qu’il est constant que les lettres sur lesquelles le Conseil s’est fondé [confidentiel] font état de procédures pénales concernant le requérant, pour lesquelles sont précisés, en général, la date d’ouverture, le numéro d’enregistrement et les articles du code pénal ukrainien prétendument enfreints.

115    Les griefs principaux du requérant ont trait au fait que les lettres [confidentiel] des 26 juin, 3 septembreet 1er décembre 2015 ne contiendraient pas d’informations suffisantes ou suffisamment précises.

116    À cet égard, en premier lieu, il convient de constater que la lettre [confidentiel] du 26 juin 2015 – qui est l’un des éléments de preuve principaux sur lequel le Conseil s’est fondé pour maintenir le nom du requérant sur la liste, lors de l’adoption des actes d’octobre 2015 – contient, notamment, les informations suivantes :

–        [confidentiel]

–        [confidentiel]

117    En deuxième lieu, il doit être observé que la lettre [confidentiel] du 3 septembre 2015 – qui est l’autre élément de preuve sur lequel le Conseil s’est fondé pour maintenir le nom du requérant sur la liste, lors de l’adoption des actes d’octobre 2015 – contient des informations similaires et indique également que, [confidentiel] (voir point 82 ci-dessus).

118    En troisième lieu, la lettre [confidentiel] du 1er décembre 2015 – qui est l’élément de preuve principal sur lequel le Conseil s’est fondé pour maintenir le nom du requérant sur la liste, lors de l’adoption des actes de mars 2016 –, en plus de confirmer les informations contenues dans la lettre du 3 septembre 2015, fait référence pour la première fois, s’agissant des mêmes faits, à la violation de l’article [confidentiel] du code pénal ukrainien [confidentiel].

119    Il s’ensuit que les lettres [confidentiel] mentionnées aux points 115 à 118 ci-dessus contiennent des informations permettant de comprendre clairement, d’une part, que le requérant fait l’objet d’une enquête ayant trait, notamment, à la violation de l’article [confidentiel] du code pénal ukrainien, qui sanctionne le détournement de fonds publics, et, d’autre part, que, [confidentiel]. Bien que le résumé des faits à l’origine de ces violations soit synthétique et qu’il ne décrive pas en détail les mécanismes par lesquels le requérant est soupçonné d’avoir détourné des fonds de l’État ukrainien, il résulte de ces lettres, avec suffisamment de clarté, que les faits reprochés au requérant concernent le détournement [confidentiel]. Or, de tels comportements sont susceptibles d’avoir occasionné des pertes de fonds pour l’État ukrainien et correspondent ainsi à la notion de détournement de fonds publics, visée par le critère pertinent.

120    À cet égard, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel le critère pertinent n’aurait pas été satisfait dès lors que son nom a été inscrit sur la liste au regard non pas de poursuites ou de procédures judiciaires, mais d’une enquête préliminaire, il convient de relever que l’effet utile d’une décision de gel des fonds serait compromis si l’adoption de mesures restrictives était subordonnée au prononcé de condamnations pénales à l’encontre des personnes suspectées d’avoir détourné des fonds publics, dès lors que celles-ci auraient dans cette attente disposé du temps nécessaire pour transférer leurs avoirs dans des États ne pratiquant aucune forme de coopération avec les autorités de l’État dont elles sont ressortissantes ou résidentes (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil, C‑220/14 P, EU:C:2015:147, point 71). Par ailleurs, dès lors qu’il est établi que la personne en cause fait, comme en l’espèce, l’objet d’investigations, dans le cadre d’une procédure pénale, de la part des autorités judiciaires ukrainiennes, pour des faits de détournement de fonds publics, le stade exact auquel se trouve ladite procédure ne saurait constituer un élément susceptible de justifier son exclusion de la catégorie des personnes visées (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 124).

121    Eu égard à la jurisprudence citée au point 120 ci-dessus et à la marge d’appréciation dont disposent les autorités judiciaires d’un État tiers dans les modalités de mise en œuvre de poursuites pénales, la circonstance que le requérant a fait l’objet d’une enquête préliminaire [confidentiel] n’est pas, en soi, de nature à conduire à constater une illégalité des actes en cause, découlant du fait que, dans de telles circonstances, le Conseil aurait dû exiger des vérifications supplémentaires de la part des autorités ukrainiennes quant aux actes reprochés à l’intéressé, étant donné que, ainsi qu’il sera précisé ci-après, le requérant n’a pas avancé d’éléments susceptibles de remettre en cause les motifs visés par les autorités ukrainiennes pour fonder les accusations portées contre lui concernant des faits bien précis ou de démontrer que sa situation particulière aurait été affectée par les problèmes allégués du système judiciaire ukrainien. À cet égard, le fait qu’un procureur général ukrainien ait démissionné à la suite d’accusations de corruption n’a d’ailleurs pas d’incidence sur la crédibilité [confidentiel].

122    Le Conseil n’a donc pas commis d’erreurs manifestes d’appréciation en décidant de maintenir le nom du requérant sur la liste, par les actes d’octobre 2015 et de mars 2016, sur la base des informations, contenues dans les lettres [confidentiel] des 26 juin, 3 septembre et 1er décembre 2015, concernant notamment les faits de détournement de fonds publics qui justifiaient, [confidentiel], l’existence d’une enquête à l’égard du requérant. À cet égard, le grief du requérant tiré du prétendu défaut de preuve de ce qu’il était « lié » à son frère, M. Andriy Klyuyev, est par ailleurs inopérant. En effet, le nom du requérant est inscrit sur la liste non en raison exclusivement des liens familiaux avec son frère, mais aussi en raison d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes relative à son implication personnelle dans des faits qualifiables de détournement de fonds publics.

123    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les éléments à décharge produits par le requérant ou par les autres arguments invoqués par celui-ci.

124    S’agissant, premièrement, des avis juridiques que le requérant a joints à sa requête, il doit être observé que, selon la jurisprudence, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue et tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2012, Shell Petroleum e.a./Commission, T‑343/06, EU:T:2012:478, point 161 et jurisprudence citée). En l’occurrence, il convient de relever, à l’instar du Conseil, que ces avis ont été établis aux fins de la défense du requérant et que, de ce fait, ils n’ont qu’une valeur probante limitée. En tout état de cause, ils ne sauraient remettre en cause la circonstance, [confidentiel], que le requérant fait l’objet d’une enquête préliminaire pour détournement de fonds publics. En effet, ces avis concernent, pour l’essentiel, des questions liées au bien-fondé de cette enquête, lequel doit être apprécié, en principe, par les autorités ukrainiennes.

125    Deuxièmement, s’agissant de la décision de l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne), il convient de constater, à l’instar du Conseil, qu’elle ne portait pas sur des mesures nationales de gel d’avoirs, mais sur une ordonnance rendue par le parquet de Vienne, le 26 juillet 2014, au sujet de la divulgation d’informations relatives à des comptes et à des transactions bancaires, dans le cadre d’une enquête menée contre un grand nombre de personnes, dont le requérant, soupçonnées de crimes ou de délits de blanchiment d’argent au sens de la législation pénale autrichienne et de la loi sur les sanctions. Cette décision, portant sur des infractions pénales autres que celles ayant fondé les mesures restrictives en cause, ne se penche que de manière incidente sur les faits faisant l’objet de l’enquête [confidentiel]. Il s’ensuit qu’une telle décision, bien qu’elle ait été rendue par un organe judiciaire d’un État membre, n’était pas susceptible de susciter des interrogations légitimes concernant le résultat de l’enquête ou la fiabilité des informations transmises [confidentiel]. En ce qui concerne la décision du bureau du procureur de Vienne, datée du 4 avril 2016, annonçant l’abandon des poursuites à l’égard du requérant, il suffit d’observer qu’elle n’est pas pertinente dès lors qu’elle est postérieure aux actes de mars 2016. En effet, la légalité d’une décision de gel d’avoirs doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont le Conseil pouvait disposer au moment où il l’a arrêtée (arrêt du 28 mai 2013, Trabelsi e.a./Conseil, T‑187/11, EU:T:2013:273, point 115).

126    Troisièmement, s’agissant, d’une part, du rapport d’audit, établi par l’IFE sur demande [confidentiel], daté du 28 juillet 2014 et ayant trait aux activités financières et commerciales de PJSC Semiconductor Plant, [confidentiel], et, d’autre part, du rapport d’une enquête indépendante portant sur les activités commerciales pertinentes du requérant et de cette société, daté du 16 octobre 2014 et préparé par une équipe d’enquêteurs et d’avocats indépendants (ci-après le « rapport Pepper Hamilton »), il convient de relever que le requérant est resté en défaut de préciser en quoi ces deux rapports seraient susceptibles de contredire les informations contenues dans [confidentiel], compte tenu du fait que tant un rapport sur les activités commerciales du requérant et de la société dont il est actionnaire qu’un rapport d’audit sur l’activité économique de celle-ci ne contiennent pas nécessairement des informations sur l’existence d’un détournement de fonds publics. [confidentiel]. D’autre part, s’agissant du rapport Pepper Hamilton, force est de constater, à l’instar du Conseil, qu’il a été établi à la demande d’une société détenue par le requérant et son frère et adressé à cette dernière et que, de ce fait, à la lumière de la jurisprudence rappelée au point 124 ci-dessus, il n’a qu’une valeur probante limitée.

127    Ces éléments à décharge, à eux seuls, ne sauraient donc justifier que le Conseil conduise des vérifications supplémentaires.

128    Quatrièmement, s’agissant des prétendues irrégularités entachant la décision de la Verkhovna Rada de lever l’immunité du requérant, il y a lieu de relever qu’elles n’affectent pas la légalité du maintien de son nom sur la liste, dès lors que la levée de l’immunité parlementaire ne constitue pas une condition préalable à l’adoption d’une mesure restrictive à l’égard d’une personne physique et que toute irrégularité de ce type doit être traitée dans le cadre du système ukrainien.

129    Cinquièmement, s’agissant de l’argument tiré de ce qu’aucune notification de suspicion n’aurait été adressée au requérant suivant les modalités prescrites par le code de procédure pénale ukrainien, il convient de relever que le requérant ne s’appuie que sur un avis juridique d’un professeur de droit. Or, indépendamment du fait qu’un tel avis a, ainsi qu’il a été précisé au point 124 ci-dessus, une valeur probante limitée, il ressort de celui-ci, ainsi que l’affirme du reste le requérant dans ses écritures, que la notification de suspicion serait viciée par des irrégularités de nature purement formelle.

130    À supposer que la notification de suspicion soit effectivement irrégulière, si elle a pour effet que [confidentiel] doit procéder à une nouvelle notification en bonne et due forme, cela ne signifie pas que la procédure pénale dont cet avis relève n’est plus en cours.

131    À supposer encore que, en raison d’un vice formel affectant la notification de suspicion, le requérant ne puisse pas être considéré comme étant un suspect au sens de l’article 42 du code de procédure pénale ukrainien, il ne s’ensuivrait pas que celui-ci ne fît pas l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes au sens du critère pertinent. En effet, la circonstance que, à la suite d’une notification irrégulière, [confidentiel] doive procéder à une nouvelle notification n’affecte pas le fait que ce dernier considérait disposer d’éléments suffisants pour soupçonner que le requérant avait commis un détournement de fonds publics.

132    Ainsi, le grief du requérant portant sur les irrégularités formelles affectant la notification de suspicion le concernant est inopérant.

133    Sixièmement, pour ce qui est de la prétendue violation du principe de la présomption d’innocence commise notamment [confidentiel], il convient de relever que le requérant se limite à invoquer que les autorités ukrainiennes l’ont défini comme étant coupable des violations qui lui sont reprochées, alors que sa culpabilité n’a pas été établie par une juridiction.

134    À cet égard, il doit être observé que, en dépit de quelques formulations maladroites, les lettres [confidentiel] font toujours état de procédures pénales en cours à l’égard du requérant, ce qui permet de conclure que [confidentiel] le requérant n’est que soupçonné d’avoir commis les violations en cause et qu’il pourra être considéré coupable seulement si les procédures pénales en cause se terminent par une condamnation, décidée par un tribunal. Ainsi, lues dans leur contexte, les affirmations contenues [confidentiel] ne violent pas le principe de la présomption d’innocence. En tout état de cause, même à supposer que de telles affirmations constituent des violations dudit principe, il suffit de relever qu’elles ne sauraient remettre en cause la légalité, et encore moins l’existence, des procédures pénales qui ont permis au Conseil de considérer que le requérant répondait au critère pertinent, ni justifier que le Conseil cherche à obtenir [confidentiel] des informations complémentaires.

135    Septièmement, quant à l’argument selon lequel le nouveau gouvernement ukrainien porterait lui-même atteinte à l’État de droit, il y a lieu d’observer, à titre liminaire, que l’Ukraine est un État membre du Conseil de l’Europe depuis 1995 et a ratifié la CEDH. En outre, le nouveau régime ukrainien a été reconnu comme étant légitime par l’Union ainsi que par la communauté internationale (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 93).

136    Ces circonstances ne suffisent pas, à elles seules, pour garantir que le nouveau régime ukrainien respecte l’État de droit en toute circonstance.

137    Cependant, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, il appartient au juge de l’Union, dans le cadre de son contrôle juridictionnel des mesures restrictives, de reconnaître au Conseil une large marge d’appréciation pour la définition des critères généraux délimitant le cercle des personnes susceptibles de faire l’objet de telles mesures (voir, en ce sens, arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 120, et du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41).

138    Il s’ensuit que, en principe, le requérant ne saurait remettre en cause le choix politique du Conseil d’apporter son soutien au nouveau régime ukrainien sans apporter des preuves irréfutables de violations des droits fondamentaux par les nouvelles autorités ukrainiennes.

139    Tout en contenant des critiques et tout en mettant en avant certaines défaillances affectant le fonctionnement des institutions, notamment judiciaires, ukrainiennes, les éléments invoqués par le requérant ne permettent toutefois pas de considérer que le nouveau régime ne saurait être soutenu par l’Union.

140    À cet égard, il y a d’ailleurs lieu de relever que les défaillances visées par les documents invoqués par le requérant apparaissent fortement réduites à la lumière des documents cités par le Conseil dans ses écritures et produits devant le Tribunal, qui font état de plusieurs améliorations introduites par le nouveau régime.

141    En effet, concernant le suivi de la « loi de lustration » par la Commission de Venise, il convient de constater que l’avis en date du 16 décembre 2014, invoqué par le requérant, n’est qu’un avis intérimaire de ladite Commission, étant donné que celle-ci n’avait pas eu accès, auprès des autorités ukrainiennes, à toutes les informations nécessaires à son examen. Cependant, ces autorités ayant engagé un dialogue constructif en vue de l’amélioration de la « loi de lustration » et ayant, depuis lors, donné accès au matériel nécessaire pour que la Commission de Venise puisse effectuer sa mission de veille, celle-ci a adopté un avis final sur cette loi le 19 juin 2015. Cet avis relate que de nombreux échanges de vues ont eu lieu et que les autorités ukrainiennes ont proposé des amendements à la « loi de lustration ». La Commission de Venise considère légitimes les objectifs de ladite loi que sont la protection de la société contre des personnes pouvant constituer une menace au nouveau régime démocratique ainsi que la lutte contre la corruption. Si la Commission de Venise met en exergue certains points à améliorer et à surveiller, elle souligne également les améliorations ayant déjà été apportées à la loi, notamment à la suite de l’adoption de son avis intérimaire.

142    Concernant les rapports du Haut-Commissaire sur les droits de l’homme en Ukraine, si celui ayant trait à la période allant du 16 février au 15 mai 2015, dans le passage auquel se réfère le requérant, fait état d’une préoccupation au regard des menaces subies par certains juges ukrainiens, il importe de préciser, à l’instar du Conseil, que ce passage concerne uniquement la région de l’Est de l’Ukraine, aux prises avec un conflit indépendantiste, où les menaces viennent d’activistes politiques soutenant l’unité de l’Ukraine. Ledit rapport fait d’ailleurs également mention de la réforme du système judiciaire qui, bien qu’imparfaite, « amène des éléments positifs ». En outre, les rapports subséquents ayant trait à l’année 2015 et au début de l’année 2016 font état de constantes améliorations en matière de droits de l’homme, notamment par l’élaboration et l’adoption, le 23 novembre 2015, de la première stratégie nationale en la matière, à la suite des recommandations émises par le Haut-Commissaire ainsi que de celles émanant de la Commission de Venise, dans divers domaines. En outre, ainsi qu’il a été relevé dans le rapport du Haut-Commissaire couvrant la période allant du 16 février au 16 mai 2016, le gouvernement ukrainien a créé officiellement un bureau national d’enquête, chargé d’enquêter sur les infractions commises par des hauts fonctionnaires, des membres des services répressifs, des juges et des membres du bureau national de lutte contre la corruption et du bureau spécial de lutte contre la corruption au sein du BPG.

143    Or, si ces progrès ne signifient pas que le système ukrainien ne présente plus de lacunes en ce qui concerne le respect des droits fondamentaux, il n’en reste pas moins que le juge de l’Union, au vu de la large marge d’appréciation dont bénéficie le Conseil (voir point 137 ci-dessus), ne peut pas, dans de telles circonstances, considérer comme manifestement erroné le choix politique de celui-ci de soutenir le nouveau régime ukrainien en adoptant des mesures restrictives qui s’appliquent, notamment, à des membres du régime antérieur faisant l’objet de procédures pénales pour détournement de fonds publics.

144    Huitièmement, s’agissant de la persécution politique dont le requérant prétend faire l’objet et qui serait à l’origine des procédures pénales entamées à son égard, il y a lieu de relever qu’il se limite à des affirmations, lesquelles ne peuvent pas suffire pour remettre en cause la vraisemblance des informations, [confidentiel], ayant trait aux accusations portées à l’encontre du requérant concernant des faits bien précis de détournement de fonds publics, ni pour démontrer que la situation particulière du requérant aurait été affectée par les problèmes relatifs au fonctionnement du système judiciaire ukrainien au cours des procédures qui le concernent (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, points 113 et 114).

145    Neuvièmement, au regard de l’argument du requérant portant sur le long délai dont le Conseil a disposé pour effectuer un contrôle rigoureux et complet des éléments de preuve sur lequel il s’est fondé, il suffit de relever que, ainsi qu’il résulte de ce qui précède, le Conseil s’est acquitté des obligations qui lui incombaient. Or, la portée de ces obligations n’est pas déterminée par le temps dont le Conseil dispose.

146    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen dans son intégralité.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective

147    Le requérant fait valoir que, en adoptant les actes d’octobre 2015 et de mars 2016, le Conseil a manqué à ses obligations procédurales, dont l’importance a été soulignée de façon constante dans la jurisprudence, de communiquer à la personne concernée les motifs de sa désignation ainsi que l’ensemble des éléments de preuve sur lesquels il s’est appuyé pour décider du maintien du nom de cette personne sur la liste, de mettre en mesure celle-ci de faire valoir utilement son point de vue préalablement au maintien de son nom sur la liste et, lorsque des observations sont formulées par ladite personne, d’examiner avec soin et impartialité le bien-fondé des motifs de sa désignation à la lumière de ces observations et des éventuels éléments à décharge joints à celles-ci.

148    Plus particulièrement, tout d’abord, le requérant soutient qu’il n’a à aucun moment reçu d’éléments de preuve sérieux, crédibles et concrets qui justifieraient l’imposition de mesures restrictives.

149    Ensuite, rien n’indiquerait que le Conseil ait pris en compte les observations formulées par le requérant, notamment celles en date du 31 août 2015, précédant l’adoption des actes d’octobre 2015, ainsi que celles contenues dans les lettres des 30 novembre 2015, 4 janvier et 3 février 2016,précédant l’adoption des actes de mars 2016. Le Conseil se serait limité à rejeter, de façon sommaire, les réclamations du requérant, notamment dans la lettre du 7 mars 2016, à savoir postérieurement à l’adoption des actes de mars 2016.

150    Enfin, le requérant reproche au Conseil, dans son premier mémoire en adaptation, de ne pas lui avoir communiqué les motifs réels de sa nouvelle désignation dans les actes de mars 2016. En effet, dans la lettre du 15 décembre 2015, le Conseiln’aurait pas identifié sur quels éléments précis, [confidentiel], il se fondait pour maintenir les mesures restrictives à l’égard du requérant. Ce dernier n’aurait, par conséquent, pas été en mesure de formuler des observations de façon efficace.

151    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

152    À titre liminaire, il convient de rappeler que le respect des droits de la défense, qui est consacré à l’article 41, paragraphe 2, de la Charte, comporte le droit d’être entendu et le droit d’accès au dossier, tandis que le droit à une protection juridictionnelle effective, qui est affirmé à l’article 47 de la Charte, exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 98 à 100).

153    En outre, il y a lieu de relever que, dans le cas d’une décision subséquente de gel des fonds par laquelle le nom d’une personne ou d’une entité figurant déjà sur la liste des personnes et des entités dont les fonds sont gelés est maintenu, l’adoption d’une telle décision doit, en principe, être précédée d’une communication des éléments retenus à charge ainsi que de l’opportunité conférée à la personne ou à l’entité concernée d’être entendue (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 62).

154    Ce droit d’être entendu préalablement doit être respecté lorsque le Conseil a retenu de nouveaux éléments à l’encontre de la personne visée par la mesure restrictive et dont le nom fait l’objet d’un maintien sur la liste en cause (voir, en ce sens, arrêt du 28 juillet 2016, Tomana e.a./Conseil et Commission, C‑330/15 P, non publié, EU:C:2016:601, point 67).

155    En l’espèce, il doit être observé que l’article 2, paragraphes 2 et 3, de la décision 2014/119 et l’article 14, paragraphes 2 et 3, du règlement no 208/2014 prévoient que le Conseil communique sa décision à la personne physique ou morale, à l’entité ou à l’organisme concerné, y compris les motifs de l’inscription de son nom sur les listes en cause, soit directement, si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations. Si des observations sont formulées, ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés, le Conseil revoit sa décision et en informe la personne physique ou morale, l’entité ou l’organisme concerné. De plus, selon l’article 5, troisième alinéa, de la décision 2014/119, celle-ci fait l’objet d’un suivi constant et, selon l’article 14, paragraphe 4, du règlement no 208/2014, la liste est examinée à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois. Les actes d’octobre 2015 et de mars 2016 se fondent sur ces actes initiaux que sont la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014 et ont pour effet de proroger le gel des fonds après le réexamen par le Conseil de la liste en cause.

156    S’agissant du droit d’être entendu, il y a lieu de relever, eu égard au principe jurisprudentiel exposé au point 154 ci-dessus, que le Conseil, lorsqu’il a maintenu le nom du requérant dans la liste en cause, a retenu des éléments nouveaux, qui n’avaient pas déjà été communiqués au requérant à la suite de son inscription initiale.

157    En effet, d’une part, il convient de constater que la motivation des actes subséquents ne coïncide pas avec celle de la première inscription du nom du requérant (voir points 9 et 20 ci-dessus). D’autre part, le Conseil se fonde sur des éléments de preuve nouveaux, à savoir les lettres [confidentiel] des 26 juin, 3 septembre et 1er décembre 2015. Dès lors, le Conseil était obligé d’entendre le requérant avant d’adopter les actes d’octobre 2015 et de mars 2016.

158    S’agissant, premièrement, des actes d’octobre 2015, il ressort du dossier de l’affaire que le Conseil, par lettre du 31 juillet 2015, soit préalablement à l’adoption desdits actes d’octobre 2015 (voir point 18 ci-dessus), a informé le requérant qu’il avait l’intention de maintenir les mesures restrictives à son égard. Dans cette lettre, le Conseil a affirmé avoir considéré opportun de maintenir les mesures restrictives à l’égard du requérant, au vu du fait que [confidentiel] avait confirmé l’existence de procédures pénales en cours le concernant et qu’il lui avait envoyé [confidentiel]. Il a ainsi fait référence à la lettre du 26 juin 2015 comme élément de preuve justifiant le maintien du nom du requérant sur la liste en cause, qu’il a communiquée au requérant par le courrier du 31 juillet 2015. Il lui a également donné la possibilité de formuler des observations.

159    Par lettre du 31 août 2015, le requérant a écrit au Conseil, lui soumettant des observations complémentaires au soutien de sa demande de réexamen de l’inscription de son nom sur la liste.

160    Après l’adoption des actes d’octobre 2015, le Conseil, par lettre du 6 octobre 2015, a répondu aux observations du requérant formulées dans la lettre du 31 août 2015, expliquant que les procédures étaient toujours en cours d’instruction et qu’il pouvait se fonder sur cet élément pour maintenir les mesures (voir point 21 ci-dessus). Par ailleurs, le Conseil lui a transmis les actes d’octobre 2015 et lui a donné la possibilité de formuler des observations ultérieures. Le Conseil a également annexé à cette lettre celle [confidentiel] du 3 septembre 2015.

161    À la lumière de ces circonstances, il y a lieu de constater que le Conseil s’est acquitté de ses obligations concernant le respect des droits de la défense du requérant au cours de la procédure qui a abouti à l’adoption des actes d’octobre 2015. En effet, le requérant a eu accès aux informations et aux éléments de preuve qui ont motivé le maintien des mesures restrictives à son égard préalablement à leur adoption et il a pu soumettre, en temps utile, des observations au Conseil. En outre, contrairement à ce qu’il prétend, il ressort du dossier de l’affaire que le Conseil a tenu compte desdites observations, en apportant une réponse, certes peu détaillée, mais contenant des éléments de substance, démontrant ainsi qu’il les avait examinées. Il convient également de relever que le requérant a été en mesure de former le présent recours en invoquant des éléments pertinents du dossier au titre de sa défense, ce qui permet de rejeter également le grief portant sur la violation de son droit à une protection juridictionnelle effective.

162    S’agissant, deuxièmement, des actes de mars 2016, une conclusion analogue peut être dressée. En effet, il ressort du dossier que, préalablement à l’adoption de ces actes, le Conseil a communiqué au requérant, par lettre du 15 décembre 2015, la lettre [confidentiel] du 1er décembre 2015 (voir point 22 ci-dessus). Dans cette lettre, le Conseil a rappelé au requérant quel était le délai fixé pour lui présenter des observations en vue du réexamen annuel des mesures restrictives.

163    Le requérant a présenté de telles observations au Conseil par lettres des 4 janvier et 3 février 2016. Il est certes vrai que le Conseil n’a pas répondu à ces lettres avant l’adoption des actes de mars 2016. Toutefois, il convient d’observer que, eu égard au fait que les motifs du maintien des mesures restrictives le concernant sont les mêmes que dans les actes d’octobre 2015 et que le nouvel élément de preuve, à savoir la lettre [confidentiel] du 1er décembre 2015, lui a été soumis préalablement à l’adoption de la décision de maintien, le requérant a été en mesure de formuler des observations pertinentes sur ces motifs.

164    En outre, il y a lieu d’observer que le Conseil, par courrier du 7 mars 2016, à savoir presque immédiatement après l’adoption de la décision de maintenir le nom du requérant sur la liste en cause, non seulement l’a informé de cette décision, mais a également répondu aux observations du requérant formulées dans ses lettres des 30 novembre 2015, 4 janvier, 3 et 10 février 2016. À cette fin, il a rejeté certains arguments du requérant, en affirmant, notamment, que les lettres [confidentiel] justifiaient le maintien de son nom sur la liste, et a considéré les avis annexés par le requérant auxdites lettres, d’une part, comme étant non pertinents, dans la mesure où ils ne sauraient remplacer l’appréciation faite par les autorités judiciaires ukrainiennes, et, d’autre part, comme ayant une valeur probante atténuée, dans la mesure où ils auraient été rendus à la demande du requérant. Par cette lettre, le Conseil a également transmis au requérant les actes de mars 2016 et l’a informé de la possibilité de formuler des observations ultérieures.

165    S’agissant, troisièmement, de l’argument selon lequel le Conseil n’aurait pas identifié sur quels éléments précis, [confidentiel], il se fondait pour maintenir les mesures restrictives à l’égard du requérant, il convient de relever que celui-ci n’est pas fondé. En effet, il ressort clairement de cette lettre que, des [confidentiel] procédures pénales ouvertes à l’encontre du requérant, celle ayant trait notamment au détournement de fonds publics, [confidentiel], justifiait le maintien des mesures restrictives frappant ce dernier. Au demeurant, en ce qu’un tel argument doit être compris comme concernant, en substance, une erreur manifeste d’appréciation du Conseil ou une violation de l’obligation de motivation, il suffit de relever que ces questions ont été traitées dans le cadre des deuxième et quatrième moyens, lesquels ont été considérés comme n’étant pas fondés.

166    Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le troisième moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du droit de propriété et du droit à la réputation

167    Le requérant fait valoir que les mesures restrictives prises à son égard par les actes d’octobre 2015 et de mars 2016 constituent une restriction injustifiée et disproportionnée de ses droits fondamentaux que sont le droit de propriété et le droit à la réputation.

168    Tout d’abord, il soutient que lesdites mesures restrictives ont été imposées sans garanties procédurales lui permettant d’exposer utilement sa cause au Conseil.

169    Ensuite, ces mesures auraient des répercussions importantes sur le requérant, aussi bien sur ses affaires que sur celles des membres de sa famille, ainsi que sur sa réputation et sa clientèle à l’échelle mondiale.

170    Enfin, le Conseil n’aurait pas démontré que le gel des avoirs du requérant était justifié par un objectif légitime et encore moins qu’il était proportionné à cet objectif. À cet égard, le requérant souligne que les allégations le concernant ne mentionnent plus le transfert illégal de fonds publics hors d’Ukraine. Dès lors, les mesures restrictives seraient inutiles et disproportionnées, puisqu’elles ne permettraient pas de contribuer à la récupération des fonds détournés et qu’il ne ressortirait pas des éléments du dossier qu’ils auraient été transférés hors d’Ukraine. Il ajoute qu’il ne saurait être conclu que le gel de tous ses avoirs dans l’Union était nécessaire ou constituait l’option la moins contraignante à disposition du Conseil, celui-ci n’ayant pas examiné si un gel d’avoirs plus limité suffisait à satisfaire la récupération des éventuels détournements, d’autant plus que les éléments de preuve ont précisé leurs montants et que le Conseil disposait d’un délai important pour se renseigner sur ceux-ci.

171    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

172    Aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte :

« Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. »

173    Selon l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, d’une part, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés et, d’autre part, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

174    Il résulte de la jurisprudence qu’une mesure de gel de fonds comporte incontestablement une restriction à l’usage du droit de propriété (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 358).

175    En l’espèce, le droit de propriété du requérant est restreint, dès lors qu’il ne peut, notamment, pas disposer de ses fonds situés sur le territoire de l’Union, sauf en vertu d’autorisations particulières, et qu’aucun fonds ni aucune ressource économique ne peut être mis, directement ou indirectement, à sa disposition.

176    Toutefois, le droit de propriété, tel qu’il est protégé par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, ne constitue pas une prérogative absolue et peut, en conséquence, faire l’objet de limitations, dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 195 et jurisprudence citée).

177    Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation à l’exercice du droit de propriété doit répondre à une triple condition.

178    Premièrement, la limitation doit être « prévue par la loi ». En d’autres termes, la mesure doit avoir une base légale. Deuxièmement, elle doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Au nombre de ces objectifs figurent ceux poursuivis dans le cadre de la PESC et visés à l’article 21, paragraphe 2, TUE. Troisièmement, la limitation ne doit pas être excessive. D’une part, elle doit être nécessaire et proportionnelle au but recherché. D’autre part, le « contenu essentiel », c’est-à-dire la substance du droit ou de la liberté en cause, ne doit pas être atteint (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, points 197 à 200 et jurisprudence citée).

179    En ce qui concerne la première condition, il convient d’observer que la limitation est « prévue par la loi », puisque le maintien du nom du requérant sur la liste correspond au critère pertinent, que les actes d’octobre 2015 et de mars 2016 n’ont pas modifié et qui renvoie notamment à l’existence d’une enquête ouverte à l’encontre de la personne visée pour des faits de détournement de fonds publics.

180    S’agissant de la deuxième condition, il convient de constater que, ainsi que cela résulte de l’examen du premier moyen, les actes d’octobre 2015 et de mars 2016 sont conformes à l’objectif, visé à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, de « consolider et de soutenir l’État de droit ». Ce faisant, ces actes s’inscrivent dans le cadre d’une politique de soutien aux autorités ukrainiennes, destinée à favoriser la stabilisation tant politique qu’économique de l’Ukraine et, plus particulièrement, à aider les autorités de ce pays dans leur lutte contre le détournement de fonds publics.

181    S’agissant de la troisième condition, il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 164 et jurisprudence citée).

182    Or, selon la jurisprudence, les inconvénients générés par les mesures restrictives ne sont pas démesurés par rapport aux objectifs poursuivis, compte tenu, d’une part, du fait que ces mesures présentent, par nature, un caractère temporaire et réversible et ne portent, dès lors, pas atteinte au « contenu essentiel » du droit de propriété et, d’autre part, du fait qu’il peut y être dérogé afin de couvrir les besoins fondamentaux, les frais de justice ou bien encore les dépenses extraordinaires des personnes visées (voir arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 169 et jurisprudence citée).

183    Par ailleurs, les mesures restrictives en cause contribuent de manière efficace à faciliter la constatation de détournements de fonds publics en Ukraine, en plus d’en faciliter la restitution, et le requérant n’invoque aucun argument de nature à démontrer que lesdites mesures ne sont pas appropriées ou qu’il existerait d’autres mesures moins contraignantes pour atteindre les objectifs visés.

184    À cet égard, en ce qui concerne l’argument du requérant selon lequel un gel de fonds ne se justifierait pas au-delà de la valeur des biens prétendument détournés telle qu’elle résulte des informations dont disposait ou aurait dû disposer le Conseil, il convient de relever que, d’une part, les montants mentionnés dans les lettres des 3 septembre et 1er décembre 2015 ne donnent qu’une indication de la valeur des avoirs qui auraient été détournés et, d’autre part, toute tentative visant à délimiter le montant des fonds gelés serait extrêmement difficile, sinon impossible, à mettre en œuvre (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 168).

185    S’agissant de l’argument du requérant selon lequel le motif du maintien de son nom sur la liste ne se référerait plus au transfert illégal de fonds publics hors d’Ukraine, il convient d’observer que, bien que cette circonstance ne soit plus mentionnée dans le motif d’inscription, tel que modifié par les actes subséquents, il n’en reste pas moins que la référence au détournement de fonds publics, dans le cas où elle est fondée, suffit à justifier les mesures restrictives à l’égard du requérant (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 163).

186    Enfin, s’agissant des arguments tirés de la violation du droit à la réputation, il convient de constater que l’adoption, par le Conseil, des mesures restrictives à l’égard du requérant ne constitue pas non plus une atteinte disproportionnée à sa réputation.

187    En effet, selon une jurisprudence bien établie, tout comme le droit de propriété, le droit à la réputation ne constitue pas une prérogative absolue et son exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union. Ainsi, l’importance des objectifs poursuivis par les mesures restrictives en cause est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour la réputation des personnes ou des entités concernées (voir arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 168 et jurisprudence citée).

188    En l’espèce, il a été établi, dans le cadre de l’examen du deuxième moyen, que le requérant fait l’objet d’une procédure pénale pour des infractions de détournement de fonds et que sa situation correspond au critère pertinent, tel qu’il est interprété dans le cadre de l’examen du premier moyen.

189    En outre, les motifs de la désignation du requérant ne mentionnent pas les circonstances concrètes des faits qui font l’objet de ladite procédure, mais se bornent à mentionner la qualification pénale de ces faits retenue par les autorités ukrainiennes, et il importe de relever, à cet égard, que les lettres [confidentiel] demeurent confidentielles. En outre, le Conseil a pris soin, dans ces motifs, de préciser qu’une procédure pénale est ouverte à l’encontre du requérant, de sorte qu’il résulte clairement de ces motifs que la culpabilité du requérant n’a pas encore été formellement établie.

190    En tout état de cause, à supposer que le maintien de ces mesures à l’égard du requérant soit de nature à affecter sa réputation, force est de constater que de tels effets n’apparaissent pas comme étant démesurés par rapport aux objectifs poursuivis (voir points 180 à 184 ci-dessus).

191    Par conséquent, le cinquième moyen doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur le sixième moyen, tiré de la violation des droits découlant de l’article 6 TUE, lu conjointement avec les articles 2 et 3 TUE, ainsi que des articles 47 et 48 de la Charte

192    Par le présent moyen, qu’il qualifie de nouveau, le requérant fait valoir, dans le cadre de son premier mémoire en adaptation, que le Conseil aurait dû vérifier si les autorités ukrainiennes, lorsqu’elles ont pris les décisions qui constituaient le fondement du maintien des mesures restrictives le concernant par les actes de mars 2016, lui ont assuré une protection des droits fondamentaux équivalente à celle garantie en droit de l’Union, notamment en vertu de l’article 6 TUE, lu conjointement avec les articles 2 et 3 TUE, ainsi que des articles 47 et 48 de la Charte. Le Conseil se serait appuyé à tort sur une présomption irréfragable selon laquelle l’Ukraine respecterait les droits fondamentaux, alors qu’une telle présomption ne pourrait même pas être appliquée à l’égard des États membres. Dans ce contexte, le requérant se réfère aux arrêts du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865), et du 16 octobre 2014, LTTE/Conseil (T‑208/11 et T‑508/11, EU:T:2014:885).

193    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

194    Il y a lieu de relever que l’argumentation du requérant repose sur des prémisses erronées.

195    En effet, en premier lieu, s’agissant de l’arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865), il convient de rappeler que, notamment aux points 104 à 106 de celui-ci, la Cour a jugé, en substance, que le droit de l’Union s’opposait à l’application, par les autres États membres, d’une présomption irréfragable selon laquelle l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile au sens du règlement (CE) no 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (JO 2003, L 50, p. 1), respectait les droits fondamentaux de l’Union. Ainsi, selon la Cour, cette présomption peut être renversée s’il est établi que, en raison de défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans ledit État membre, un demandeur court un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte.

196    Cependant, force est de constater que les principes découlant de l’arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865), ne trouvent pas d’application en l’espèce, dans la mesure où le requérant n’a pas démontré l’existence de défaillances systémiques affectant les institutions ukrainiennes, notamment judiciaires.

197    En second lieu, il doit être relevé que l’approche retenue par le Tribunal dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 octobre 2014, LTTE/Conseil (T‑208/11 et T‑508/11, EU:T:2014:885), n’est pas transposable au cas d’espèce.

198    Plus particulièrement, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 octobre 2014, LTTE/Conseil (T‑208/11 et T‑508/11, EU:T:2014:885), la position commune 2001/931/PESC du Conseil, du 27 décembre 2001, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme (JO 2001, L 344, p. 93), laquelle instaure un mécanisme ayant pour effet de permettre au Conseil d’inclure une personne dans une liste de gel des fonds sur le fondement d’une décision prise par une autorité nationale, le cas échéant, d’un État tiers, prévoyait un critère de désignation des personnes visées par les mesures restrictives adoptées par le Conseil qui se lisait comme suit :

« La liste […] est établie sur la base d’informations précises ou d’éléments de dossier qui montrent qu’une décision a été prise par une autorité compétente à l’égard des personnes, groupes et entités visés, qu’il s’agisse de l’ouverture d’enquêtes ou de poursuites pour un acte terroriste, ou la tentative de commettre, ou la participation à, ou la facilitation d’un tel acte, basées sur des preuves ou des indices sérieux et crédibles, ou qu’il s’agisse d’une condamnation pour de tels faits. Les personnes, groupes et entités identifiés par le Conseil de sécurité des Nations Unies comme liées au terrorisme et à l’encontre desquelles il a ordonné des sanctions peuvent être incluses dans la liste. »

199    En l’espèce, l’existence d’une décision préalable des autorités ukrainiennes n’est pas une condition juridique requise par le critère pertinent pour que des mesures restrictives puissent être adoptées, étant donné que les procédures judiciaires ouvertes par lesdites autorités ne constituent que la base factuelle sur laquelle reposent ces mesures. En effet, le critère pertinent se réfère simplement aux personnes « ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien ».

200    À cet égard, il convient encore de relever que le libellé du critère pertinent se rapproche davantage de celui du critère dont il s’agissait dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil (T‑256/11, EU:T:2014:93). Plus particulièrement, au point 66 de cet arrêt, le Tribunal a jugé que ce critère incluait les personnes poursuivies pénalement pour des faits de « détournement de fonds publics », et ce sans examiner la question de savoir si l’ordre juridique de l’État concerné, en l’occurrence la République arabe d’Égypte, offrait une protection juridique comparable à celle garantie dans l’Union.

201    En tout état de cause, il y a lieu de relever qu’il existe une différence majeure entre les mesures restrictives en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 octobre 2014, LTTE/Conseil (T‑208/11 et T‑508/11, EU:T:2014:885), qui concernaient la lutte contre le terrorisme, et celles qui, comme en l’espèce, se situent dans le cadre d’une coopération entre l’Union et les nouvelles autorités d’un État tiers, en l’occurrence l’Ukraine.

202    En effet, la lutte contre le terrorisme, à laquelle le Conseil contribue par l’adoption de mesures restrictives visant certaines personnes ou entités, ne se situe nécessairement pas dans le cadre de la coopération avec les autorités d’un État tiers qui a connu un changement de régime et que le Conseil a décidé de soutenir. En revanche, tel est le cas des mesures en cause dans la présente affaire, comme c’était également le cas des mesures dont il s’agissait dans l’affaire ayant donné lieu aux arrêts du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil (C‑220/14 P, EU:C:2015:147), et du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil (T‑256/11, EU:T:2014:93).

203    Ainsi, si le choix éminemment politique du Conseil, consistant à coopérer avec les nouvelles autorités ukrainiennes – qu’il considère comme étant dignes de confiance – afin de leur permettre notamment de récupérer des fonds publics possiblement détournés « en vue de renforcer et de soutenir l’État de droit » en Ukraine, était subordonné à la condition que, nonobstant le fait que ce pays fût membre du Conseil de l’Europe et eût ratifié la CEDH, l’État ukrainien garantît, immédiatement après le changement de régime, un niveau de protection des droits fondamentaux équivalent à celui offert par l’Union et ses États membres, il serait porté atteinte, en substance, à la large marge d’appréciation dont bénéficie le Conseil en ce qui concerne la définition des critères généraux délimitant le cercle des personnes susceptibles de faire l’objet de mesures restrictives tendant à soutenir ces nouvelles autorités (voir point 137 ci-dessus).

204    Dans l’exercice de cette large marge d’appréciation, le Conseil doit donc être libre de considérer que, à la suite du changement de régime, les autorités ukrainiennes méritent d’être soutenues dans la mesure où elles améliorent la vie démocratique et le respect de l’État de droit en Ukraine par rapport à la situation qui y prévalait auparavant et que l’une des possibilités de renforcer et de soutenir l’État de droit consiste à geler les avoirs des personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, cette notion incluant, conformément au critère pertinent, les personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds publics, ou pour complicité dans un tel détournement, et pour abus de pouvoir, ou pour complicité d’un tel abus.

205    Dès lors, ce ne serait que si le choix politique du Conseil de soutenir le nouveau régime ukrainien, y compris par la coopération résultant des mesures restrictives en cause, s’avérait être manifestement erroné, notamment du fait que les droits fondamentaux soient systématiquement violés dans ce pays après le changement de régime, que l’éventuel manque de correspondance entre la protection des droits fondamentaux en Ukraine et celle existant dans l’Union pourrait avoir une incidence sur la légalité du maintien de ces mesures à l’égard du requérant. Or, il résulte de l’examen des premier et deuxième moyens que tel n’est pas le cas en l’espèce.

206    Partant, il y a lieu de rejeter le présent moyen.

 Sur l’exception d’illégalité

207    À titre subsidiaire, le requérant a soulevé une exception d’illégalité, en vertu de l’article 277 TFUE, visant le critère pertinent. Il soutient que ce critère serait dépourvu de base légale s’il était interprété en ce sens qu’il permettrait de viser une personne faisant l’objet d’une enquête de la part des autorités ukrainiennes, indépendamment de l’existence d’une décision de justice ou d’une procédure judiciaire, ou tout titulaire d’une charge publique ayant commis un abus de pouvoir, indépendamment de l’existence d’une allégation de détournement de fonds publics. Dans la réplique, le requérant conteste l’argument du Conseil selon lequel les critères d’inscription devraient englober toutes les personnes soumises à des enquêtes préalables au procès, dès lors que cela impliquerait de conférer à une autorité ukrainienne, [confidentiel], le pouvoir de choisir les personnes faisant l’objet de mesures restrictives.

208    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

209    À titre liminaire, il convient d’observer que, conformément aux conclusions tirées s’agissant du premier moyen, les actes d’octobre 2015 et de mars 2016 ne sont pas dépourvus de base juridique.

210    De plus, il a été relevé (voir point 80 ci-dessus) que le critère pertinent doit être interprété en ce sens qu’il ne vise pas, de façon abstraite, tout fait de détournement de fonds publics, mais plutôt des faits de détournement de fonds ou d’avoirs publics qui, eu égard au montant ou au type de fonds ou d’avoirs détournés ou au contexte dans lequel ils se sont produits, sont, à tout le moins, susceptibles de porter atteinte aux fondements institutionnels et juridiques de l’Ukraine, notamment aux principes de légalité, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, du contrôle juridictionnel effectif et d’égalité devant la loi, et, en dernier ressort, de porter atteinte au respect de l’État de droit dans ce pays. Ainsi interprété, ce critère est conforme et proportionné aux objectifs pertinents du traité UE.

211    Par ailleurs, il convient de rappeler que le juge de l’Union a établi que l’identification d’une personne comme étant responsable d’une infraction n’impliquait pas forcément une condamnation pour une telle infraction (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil, C‑220/14 P, EU:C:2015:147, points 71 et 72), et que c’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 66).

212    En l’espèce, le critère pertinent permet simplement au Conseil, conformément à l’arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil (T‑256/11, EU:T:2014:93), de tenir compte d’une enquête pour des faits de détournement de fonds publics comme élément pouvant justifier, le cas échéant, l’adoption de mesures restrictives, sans préjudice de la circonstance selon laquelle, à la lumière de la jurisprudence citée au point 211 ci-dessus et de l’interprétation du critère d’inscription fournie notamment au point 210 ci-dessus, le simple fait de faire l’objet d’une enquête portant sur des infractions de détournement de fonds ne saurait, à lui seul, justifier l’action du Conseil au titre des articles 21 et 29 TUE (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 100).

213    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que le critère pertinent est conforme aux objectifs de la PESC, tels qu’ils sont énoncés à l’article 21 TUE, dans la mesure où il vise les personnes identifiées comme étant responsables d’un détournement de fonds publics ukrainiens qui est susceptible de porter atteinte à l’État de droit en Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 101).

214    Il y a donc lieu de rejeter l’exception d’illégalité soulevée par le requérant.

215    À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité, en ce qu’il vise à l’annulation du maintien du nom du requérant sur la liste par les actes d’octobre 2015 et de mars 2016.

 Sur les conclusions en annulation des actes de mars 2017, en ce qu’ils visent le requérant

216    Par son second mémoire en adaptation, le requérant a demandé à étendre la portée de son recours afin que celui-ci vise l’annulation des actes de mars 2017, en ce qu’ils le concernent.

217    À l’appui de sa demande d’annulation des actes de mars 2017, le requérant soulève six moyens, soit les cinq moyens qu’il a invoqués, dans la requête, à l’appui de la demande d’annulation des actes d’octobre 2015 (voir point 51 ci-dessus), plus le nouveau moyen qu’il a soulevé, dans le cadre de son premier mémoire en adaptation, à l’appui de la demande d’annulation des actes de mars 2016 (voir point 192 ci-dessus).

218    Il convient d’examiner, tout d’abord, le deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation.

219    Après avoir rappelé que le motif invoqué à l’appui du maintien de son nom sur la liste était identique à celui figurant dans les actes d’octobre 2015 et de mars 2016 et que, dans la lettre du 6 mars 2017 justifiant la prorogation de la désignation, le Conseil avait confirmé qu’il s’était appuyé uniquement sur [confidentiel], le requérant fait valoir que celle-ci ne satisfait pas aux critères de désignation pour deux raisons.

220    Premièrement, le requérant ne ferait l’objet que d’une enquête préliminaire, ce qui ne suffirait pas à satisfaire au critère pertinent. En tout état de cause, cette enquête serait illégale, étant donné qu’aucune notification écrite de suspicion n’aurait jamais été valablement signifiée au requérant dans [confidentiel]. À la date de la prorogation de sa désignation, le requérant n’aurait été impliqué dans aucune enquête préliminaire en cours, dès lors que l’enquête dans ladite procédure avait été formellement suspendue depuis le 5 octobre 2015. [confidentiel]. Par ailleurs, les informations contenues dans les lettres [confidentiel] ne seraient pas fiables. D’une part, la lettre [confidentiel] du 25 juillet 2016 indiquerait que [confidentiel], alors que le parquet autrichien, tout comme les juridictions autrichiennes, a refusé de saisir les biens du requérant, ce dont [confidentiel] était tout à fait conscient et le Conseil avait été informé.  D’autre part, la lettre [confidentiel] du 16 novembre 2016 ne contiendrait aucune référence à [confidentiel]. En tout état de cause, la prétendue existence [confidentiel] dans le cadre de l’enquête préliminaire dans [confidentiel] ne serait pas de nature à remettre en cause le fait que cette enquête est suspendue depuis le 5 octobre 2015.

221    Deuxièmement, les lettres [confidentiel] des 25 juillet et 16 novembre 2016,sur lesquelles le Conseil aurait prétendument fondé sa décision de maintenir le nom du requérant sur la liste,ne seraient étayées d’aucun élément de preuve et ne fourniraient pas suffisamment de précisions concernant les actes visés par l’enquête et la prétendue responsabilité personnelle du requérant. En outre, elles seraient matériellement inexactes. En particulier, elles seraient contradictoires s’agissant [confidentiel].

222    En tout état de cause, le Conseil n’aurait pas démontré en quoi les allégations [confidentiel] étaient susceptibles de satisfaire au critère pertinent en ce qu’il viserait uniquement le détournement de fonds ou d’avoirs publics de nature à porter atteinte aux principes de l’État de droit en Ukraine, compte tenu du montant ou de la nature des fonds ou des avoirs détournés ou du contexte dans lequel l’infraction a été commise.

223    À cet égard, le requérant souligne que, en dépit du nombre significatif d’éléments à décharge qu’il lui a communiqués et que le Conseil aurait dû examiner avec soin et impartialité, compte tenu du contexte politique ukrainien et du fait qu’il s’appuyait exclusivement sur une enquête préliminaire suspendue, le Conseil a systématiquement refusé d’entreprendre la moindre enquête ou des vérifications supplémentaires à cet égard.

224    En définitive, le Conseil n’aurait pas apporté les preuves concrètes et les informations suffisantes justifiant le maintien du nom du requérant sur la liste.

225    Le Conseil rétorque, d’une part, que les motifs de désignation du requérant répondent aux critères de désignation et sont fondés sur une base factuelle suffisamment solide et, d’autre part, qu’il n’a pas commis d’erreurs d’appréciation en se fondant notamment sur les lettres [confidentiel] des 25 juillet et 16 novembre 2016.

226    Premièrement, le Conseil fait observer que ces lettres [confidentiel]. L’avis juridique sur lequel se fonderait le requérant pour soutenir que la notification de suspicion ne lui avait pas été valablement signifiée aurait une valeur probante limitée.

227    Deuxièmement, le fait que [confidentiel] était formellement suspendue à la date de la nouvelle désignation du requérant ne permettrait pas de démontrer, au sens de l’article 280 du code de procédure pénale ukrainien, que l’enquête préliminaire menée à l’encontre de celui-ci avait cessé d’exister.

228    Troisièmement, le Conseil fait valoir que les informations contenues dans les lettres [confidentiel] étaient fiables.

229    Quatrièmement, le Conseil estime que la nature et le caractère détaillé des informations figurant dans les lettres [confidentiel] étaient plus que suffisants pour conclure que, à la date d’adoption des actes de mars 2017, le requérant faisait l’objet d’une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et était associé à Andriy Klyuyev, lui-même désigné en vertu des mêmes actes.

230    Cinquièmement, le Conseil conteste l’argument du requérant selon lequel les lettres [confidentiel] seraient « matériellement inexactes ». En effet, l’information à laquelle se réfère le requérant ne concernerait pas [confidentiel]. En tout état de cause, faire l’objet [confidentiel] ne serait pas un critère de désignation.

231    Sixièmement, selon le Conseil, il ressort des lettres [confidentiel]. Dès lors, les infractions pour lesquelles le requérant est poursuivi pourraient être qualifiées de détournement de fonds ou d’avoirs publics de nature à porter atteinte aux principes de l’État de droit en Ukraine.

232    Septièmement, s’agissant de l’argument tiré de ce que le Conseil ne se serait pas penché sur les preuves à décharge, celui-ci souligne que, conformément à une jurisprudence bien établie, il n’est pas tenu de procéder à une évaluation indépendante supplémentaire ou à un examen approfondi des faits faisant l’objet d’une enquête pénale dans le pays tiers concerné. Le fait de vérifier si une enquête est fondée toucherait à des questions qui ne pourraient être véritablement examinés que dans le cadre des procédures pénales concernées, par les autorités nationales, y compris, dans le cas de l’Ukraine, dans le cadre de procédures devant la Cour EDH. S’agissant, plus particulièrement, de la décision de l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne), le Conseil fait observer que celle-ci avait trait à la divulgation d’informations portant sur des comptes et sur des transactions bancaires et que les conclusions de ce tribunal n’étaient pas de nature à démontrer que les informations contenues dans les lettres [confidentiel] étaient manifestement fausses ou détournées. Par ailleurs, tout en admettant que l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne) a jugé que les éléments fournis aux autorités autrichiennes au cours de la période allant de 2010 à 2014 étaient peu étoffées, le Conseil estime néanmoins que cela ne permet assurément pas de démontrer que les lettres [confidentiel] étaient insuffisantes aux fins des procédures du Conseil conduisant à l’adoption des actes de mars 2017. Il n’aurait donc pas été nécessaire de procéder à des vérifications supplémentaires à cet égard.

233    À titre liminaire, il convient de rappeler que le critère pertinent, d’une part, dispose que des mesures restrictives sont adoptées à l’égard des personnes qui ont été « identifiées comme étant responsables » de faits de détournement de fonds publics – ce qui inclut les personnes « faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes » pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens (voir point 12 ci-dessus) – et, d’autre part, doit être interprété en ce sens qu’il ne vise pas de façon abstraite tout fait de détournement de fonds publics, mais plutôt des faits de détournement de fonds ou d’avoirs publics susceptibles de porter atteinte au respect de l’État de droit en Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 91).

234    En l’espèce, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, par les actes de mars 2017, aux motifs suivants :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour son rôle dans le détournement de fonds ou d’avoirs publics. Personne liée à une personne désignée [Andriy Petrovych Klyuyev] faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

235    Il est constant que, s’agissant des actes de mars 2017, le Conseil s’est fondé, pour décider du maintien du nom du requérant sur la liste, sur les lettres [confidentiel]. Par ailleurs, le Conseil n’a pas fourni d’éléments [confidentiel] relatifs à la désignation de M. Andriy Klyuyev, à qui le requérant a été identifié comme étant « lié », comme une personne responsable de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien au sens du critère pertinent.

236    Ainsi, le Conseil n’a pas étayé de façon suffisamment précise et concrète le second motif de maintien du nom du requérant sur la liste, à savoir celui selon lequel il est une personne « liée », au sens du critère pertinent, à une personne faisant l’objet d’une procédure pénale de détournement de fonds publics. Il reste ainsi à vérifier le premier motif qui fonde le maintien du nom du requérant sur la liste, à savoir celui concernant le fait qu’il est une personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour son rôle dans le détournement de fonds ou d’avoirs publics, ainsi que l’appréciation portée par le Conseil sur les éléments en sa possession.

237    Une telle appréciation doit être faite à l’aune des principes jurisprudentiels rappelés aux points 100 à 113 ci-dessus.

238    Il y a lieu de rappeler que, en l’espèce, il s’agit d’une décision de maintien du nom d’une personne sur la liste et que, dans ces circonstances, lorsque des observations sont formulées par la personne concernée au sujet de l’exposé des motifs, le Conseil a l’obligation d’examiner, avec soin et impartialité, le bien-fondé des motifs allégués, à la lumière de ces observations et des éventuels éléments à décharge joints à celles-ci, une telle obligation se rattachant à celle de respecter le principe de bonne administration, consacré par l’article 41 de la Charte (voir point 100 à 113 ci-dessus).

239    Plus particulièrement, ce qu’il importe au Conseil de vérifier, ainsi qu’il a été relevé au point 109 ci-dessus, c’est, d’une part, dans quelle mesure les éléments de preuve sur lesquels il s’est fondé permettent d’établir que la situation du requérant correspond au motif de maintien de son nom sur la liste et, d’autre part, si ces éléments de preuve permettent de qualifier les agissements du requérant conformément au critère pertinent. Ce n’est que si ces vérifications n’aboutissaient pas que, au regard du principe jurisprudentiel rappelé au point 103 ci-dessus, il appartiendrait au Conseil d’opérer des vérifications supplémentaires.

240    À cet égard, il ne pourrait être exclu que des éléments portés à la connaissance du Conseil, soit par les autorités ukrainiennes elles-mêmes, soit par les personnes visées par les mesures restrictives, soit d’une autre manière, le conduisent à douter du caractère suffisant des preuves déjà fournies par lesdites autorités. Si, en l’occurrence, il est vrai qu’il n’appartient pas au Conseil de se substituer aux autorités judiciaires ukrainiennes dans l’appréciation du bien-fondé de l’enquête préliminaire mentionnée dans les lettres [confidentiel], il ne saurait néanmoins être exclu que, au regard notamment des observations présentées par le requérant, cette institution soit tenue de solliciter auprès des autorités ukrainiennes des éclaircissements concernant les éléments sur lesquels ladite enquête est fondée.

241    En l’espèce, le requérant admet que les lettres [confidentiel] font état, notamment, d’une procédure pénale dans le cadre de laquelle une enquête préliminaire est menée le concernant. Il y a donc lieu d’examiner si le Conseil a pu considérer, sans commettre une erreur manifeste d’appréciation, que les informations fournies [confidentiel] à l’égard de cette procédure pouvaient continuer à étayer le motif de désignation du requérant.

242    À titre liminaire, il y a lieu de préciser que la question n’est pas de savoir si, au vu des éléments portés à la connaissance du Conseil, celui-ci était tenu de mettre fin à l’inscription du nom du requérant sur la liste, mais seulement de savoir s’il était tenu de prendre en compte ces éléments et, le cas échéant, de procéder à des vérifications supplémentaires ou de solliciter des éclaircissements auprès des autorités ukrainiennes. À cet égard, il suffit que lesdits éléments soient de nature à susciter des interrogations légitimes concernant, d’une part, le résultat de l’enquête et, d’autre part, la fiabilité et l’état actualisé des informations transmises [confidentiel].

243    Or, dans son courrier en date du 6 mars 2017, qui répond aux observations du requérant en date du 12 janvier 2017, le Conseil se borne à affirmer qu’il ne partage pas le point de vue de celui-ci et qu’il entend confirmer les mesures restrictives à son égard. Il ne précise pas, par ailleurs, quels éléments il a pris en compte pour conclure qu’il ne partageait pas le point de vue du requérant et il confirme qu’il n’y a pas d’autres éléments sur lesquels il se soit fondé au-delà des lettres [confidentiel] des 25 juillet et 16 novembre 2016, déjà en possession du requérant.

244    En premier lieu, il convient de constater que ces lettres présentent un certain nombre d’incohérences et d’imprécisions. Premièrement, dans la lettre du 25 juillet 2016, [confidentiel] indique, pour la première fois, sans par ailleurs en préciser les raisons, que [confidentiel] a été séparée de [confidentiel], alors que cette séparation avait été effectuée le [confidentiel], ainsi qu’il résulte de la lettre elle-même. Deuxièmement, il convient de constater l’incohérence existant dans les deux lettres [confidentiel]. Troisièmement, la lettre [confidentiel] du 25 juillet 2016 fait référence, notamment, [confidentiel], alors que le parquet de Vienne a, en date du 4 avril 2016, abandonné les poursuites à l’égard du requérant.

245    Bien que ces incohérences ne soient pas susceptibles, en elles-mêmes, de soulever des interrogations légitimes concernant le résultat de l’enquête, elles sont néanmoins révélatrices d’un certain degré d’approximation [confidentiel] qui est susceptible d’amoindrir la fiabilité des informations [confidentiel] ainsi que de leur actualisation.

246    En deuxième lieu, il convient de constater que, dans la lettre du 16 novembre 2016, [confidentiel].

247    En troisième lieu, il ressort de la lettre du parquet de Vienne, du 4 avril 2016, que celui-ci, après avoir examiné les pièces justificatives communiquées dans le cadre d’une demande d’entraide judiciaire [confidentiel], en se fondant aussi sur le rapport Pepper Hamilton auquel il a fait explicitement référence, a considéré que ces pièces ne corroboraient pas les accusations formulées [confidentiel] et que les accusations rapportées dans les médias selon lesquelles le requérant et son frère auraient commis des infractions punissables en Ukraine, qui étaient à l’origine du grand nombre de cas de soupçons de blanchiment d’argent signalés en Autriche, ne sauraient être confirmées, bien que plusieurs opérations de collecte d’éléments de preuve aient été menées.

248    À cet égard, s’il est vrai, ainsi que le fait valoir le Conseil, que les mesures restrictives ne relèvent pas du droit pénal, il n’en reste pas moins que, en l’occurrence, la condition nécessaire pour le maintien du nom d’une personne sur la liste est qu’elle soit identifiée comme étant responsable, notamment, de détournement de fonds publics, étant considérée comme telle une personne faisant l’objet d’une enquête de la part des autorités ukrainiennes. Il s’ensuit que, si le Conseil est informé du fait que le parquet d’un État membre de l’Union soulève des doutes sérieux, comme cela a été le cas en l’espèce, à l’égard du caractère suffisamment étayé des éléments supportant l’enquête des autorités ukrainiennes qui a été à l’origine de la décision du Conseil de maintenir le nom du requérant sur la liste, celui-ci est tenu d’opérer des vérifications supplémentaires auprès desdites autorités ou, à tout le moins, de solliciter des éclaircissements de la part de celles-ci, afin d’établir si les éléments dont il dispose, à savoir des informations assez vagues, se limitant à confirmer l’existence d’une enquête préliminaire visant le requérant, demeurent une base factuelle suffisamment solide pour justifier le maintien du nom du requérant sur la liste.

249    En quatrième lieu, dans les deux lettres mentionnées aux points 246 et 247 ci-dessus, [confidentiel] n’a pas indiqué que [confidentiel] était suspendue, ce dont le Conseil avait été informé par le requérant par le biais des observations que celui-ci lui avait présentées, le 12 janvier 2017, en vue du réexamen annuel des mesures le concernant.

250    À titre liminaire, il convient de relever que le Conseil excipe de l’irrecevabilité de l’offre de preuve, faite par le requérant avant la tenue de l’audience, au titre de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure, consistant en la décision [confidentiel] du 5 mars 2016 de suspendre [confidentiel], dès lors qu’elle serait tardive et que le retard dans la présentation de celle-ci ne serait pas justifié. En revanche, le Conseil, d’une part, ne conteste pas que le requérant l’avait informé, dans le délai fixé pour lui présenter des observations en vue du réexamen annuel des mesures restrictives, de ladite suspension et, d’autre part, ne prétend pas ne pas avoir tenu compte de cette information, lors dudit réexamen, car il l’aurait considérée comme non suffisamment étayée ou crédible. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur la recevabilité dudit document, dès lors que son examen n’est pas nécessaire afin d’établir si le Conseil aurait dû solliciter des informations à l’égard de la suspension de la procédure auprès des autorités ukrainiennes.

251    À cet égard, s’il est vrai, ainsi que le prétend le Conseil, que le fait que [confidentiel] est formellement suspendue ne permet pas de démontrer que l’enquête préliminaire menée à l’encontre du requérant ait cessé, il n’en reste pas moins, d’une part, que le Conseil avait été informé par le requérant, [confidentiel], que cette procédure n’était pas formellement en cours et, d’autre part, qu’une telle circonstance n’était pas sans incidence aux fins de la décision du maintien d’une mesure restrictive de la part du Conseil, lequel risquerait autrement de prolonger une telle mesure, à son insu, indéfiniment, ce qui serait contraire à la nature provisoire des mesures restrictives. Par ailleurs, le fait que [confidentiel] s’est limité à répéter depuis toujours les mêmes informations sur l’enquête préliminaire sans avoir fait état des nouvelles concernant son déroulement, en l’occurrence sa suspension, amoindrit la fiabilité des informations [confidentiel] fournies ainsi que de leur actualisation.

252    Il s’ensuit que le Conseil aurait dû solliciter auprès des autorités ukrainiennes des éclaircissements sur les raisons ayant déterminé la suspension de la procédure ainsi que sur la durée de celle-ci afin d’établir si le critère pertinent était encore satisfait en l’espèce.

253    Il résulte de tout ce qui précède que les informations sur [confidentiel], énoncées dans les lettres [confidentiel], sont lacunaires et entachées d’incohérences telles qu’elles auraient dû faire douter le Conseil du caractère suffisant des éléments dont il disposait.

254    En revanche, les éléments invoqués par le requérant avant l’adoption des actes de mars 2017, d’autant plus lorsqu’ils sont pris ensemble avec les éléments à décharge mentionnés aux points 125 et 126 ci-dessus, à savoir, en particulier, la décision de l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne), le rapport d’audit établi par l’IFE et le rapport Pepper Hamilton, étaient de nature à susciter des interrogations légitimes, de la part du Conseil, justifiant qu’il procède à des vérifications supplémentaires auprès des autorités ukrainiennes.

255    Ainsi, le Conseil, compte tenu, d’une part, de l’insuffisance de la base factuelle sur laquelle il s’est fondé ainsi que, d’autre part, des éléments à décharge invoqués par le requérant, aurait dû procéder à des vérifications supplémentaires et solliciter des éclaircissements auprès des autorités ukrainiennes, conformément à la jurisprudence citée, notamment, au point 113 ci-dessus.

256    Il résulte de tout ce qui précède que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant qu’il n’était pas tenu de prendre en compte les éléments produits par le requérant et les arguments développés par celui-ci ni de procéder à des vérifications supplémentaires auprès des autorités ukrainiennes, alors que lesdits éléments et arguments étaient de nature à susciter des interrogations légitimes quant à la fiabilité des informations fournies [confidentiel].

257    Le deuxième moyen soulevé par le requérant dans son second mémoire en adaptation est donc fondé. Dès lors, sans qu’il soit nécessaire d’examiner ni les autres moyens soulevés par le requérant au soutien de sa demande d’annulation des actes de mars 2017, ni l’exception d’illégalité invoquée à titre subsidiaire, il y a lieu d’accueillir le recours en ce qu’il vise à obtenir l’annulation des actes de mars 2017, en tant qu’ils concernent le requérant.

 Sur le maintien des effets de la décision 2017/381

258    À titre subsidiaire, le Conseil demande que, en cas d’annulation partielle du règlement d’exécution 2017/374, pour des raisons de sécurité juridique, le Tribunal déclare que les effets de la décision 2017/381 soient maintenus jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement d’exécution 2017/374.

259    Il résulte de l’article 60, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi n’a pas d’effet suspensif. L’article 60, second alinéa, de ce statut prévoit, cependant, que, par dérogation à l’article 280 TFUE, les décisions du Tribunal annulant un règlement ne prennent effet qu’à compter de l’expiration du délai pendant lequel un pourvoi peut être introduit ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, à compter du rejet de celui-ci.

260    En l’espèce, le règlement d’exécution 2017/374 a la nature d’un règlement, dès lors qu’il prévoit qu’il est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre, ce qui correspond aux effets d’un règlement tels que prévus à l’article 288 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2016, Conseil/Bank Saderat Iran, C‑200/13 P, EU:C:2016:284, point 121).

261    L’article 60, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne est donc bien applicable en l’espèce (arrêt du 21 avril 2016, Conseil/Bank Saderat Iran, C‑200/13 P, EU:C:2016:284, point 122).

262    Enfin, en ce qui concerne les effets dans le temps de l’annulation de la décision 2017/381, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 264, second alinéa, TFUE, le Tribunal peut, s’il l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets de l’acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs.

263    En l’espèce, l’existence d’une différence entre la date d’effet de l’annulation du règlement d’exécution 2017/374 et celle de la décision 2017/381 serait susceptible d’entraîner une atteinte sérieuse à la sécurité juridique, ces deux actes infligeant au requérant des mesures identiques. Les effets de la décision 2017/381 doivent donc être maintenus, en ce qui concerne le requérant, jusqu’à la prise d’effet de l’annulation du règlement d’exécution 2017/374.

 Sur les dépens

264    Aux termes de l’article 134, paragraphe 2, du règlement de procédure, si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens.

265    En l’espèce, le requérant ayant succombé en ce qui concerne les demandes en annulation formulées dans la requête et dans le premier mémoire en adaptation, il y a lieu de le condamner aux dépens afférents à ces demandes, conformément aux conclusions du Conseil. Celui-ci ayant succombé en ce qui concerne la demande d’annulation partielle des actes de mars 2017 formulée dans le second mémoire en adaptation, il y a lieu de le condamner aux dépens afférents à cette demande, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2017/381 du Conseil, du 3 mars 2017, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine et le règlement d’exécution (UE) 2017/374 du Conseil, du 3 mars 2017, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine sont annulés, dans la mesure où le nom de M. Sergiy Klyuyev a été maintenu sur la liste des personnes, entités et organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

2)      Les effets de l’article 1er de la décision 2017/381 et de l’article 1er du règlement d’exécution 2017/374 sont maintenus à l’égard de M. Klyuyev jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ou, si un pourvoi est introduit dans ce délai, jusqu’au rejet du pourvoi.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      M. Klyuyev est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne, en ce qui concerne les demandes en annulation formulées dans la requête et dans le premier mémoire en adaptation.

5)      Le Conseil est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par M. Klyuyev, en ce qui concerne la demande d’annulation partielle de la décision 2017/381 et du règlement d’exécution 2017/374, formulée dans le second mémoire en adaptation.

Berardis

Spielmann

Csehi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 février 2018.

Signatures


Table des matières


Antécédents du litige

Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur les conclusions en annulation des actes d’octobre 2015 et de mars 2016, en ce qu’ils visent le requérant

Sur le quatrième moyen, tiré du non-respect de l’obligation de motivation

Sur le premier moyen, tiré de l’absence de base juridique

Sur le deuxième moyen, tiré, en substance, d’une erreur manifeste d’appréciation

Sur le troisième moyen, tiré de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective

Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du droit de propriété et du droit à la réputation

Sur le sixième moyen, tiré de la violation des droits découlant de l’article 6 TUE, lu conjointement avec les articles 2 et 3 TUE, ainsi que des articles 47 et 48 de la Charte

Sur l’exception d’illégalité

Sur les conclusions en annulation des actes de mars 2017, en ce qu’ils visent le requérant

Sur le maintien des effets de la décision 2017/381

Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.


2 Données confidentielles occultées.