Language of document : ECLI:EU:C:2017:104

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

9 février 2017 (1)

« Renvoi préjudiciel – Règlement (CE) n° 4/2009 – Article 41, paragraphe 1 – Reconnaissance de l’exécution des décisions et de la coopération en matière d’obligations alimentaires – Exécution d’une décision dans un État membre – Présentation de la demande directement à l’autorité compétente de l’État membre d’exécution – Législation nationale obligeant de recourir à l’autorité centrale de l’État membre d’exécution »

Dans l’affaire C‑283/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la High Court of Justice (England and Wales), Family Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la famille, Royaume-Uni], par décision du 11 avril 2016, parvenue à la Cour le 23 mai 2016, dans la procédure

M. S.

contre

P. S.,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. A. Arabadjiev et C. G. Fernlund (rapporteur), juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour M. S., par MM. T. Scott, QC, et E. Bennet, barrister, mandatés par Mme M. Barnes, solicitor,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. S. Fiorentino, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement finlandais, par Mme H. Leppo, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin, en qualité d’agent,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires (JO 2009, L 7, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme M. S., résidant en Allemagne, à M. P. S., résidant au Royaume-Uni, au sujet de créances alimentaires.

 Le cadre juridique

 Le règlement n° 4/2009

3        Les considérants 9, 27, 31 et 32 du règlement n° 4/2009 énoncent :

« (9) Un créancier d’aliments devrait être à même d’obtenir facilement, dans un État membre, une décision qui sera automatiquement exécutoire dans un autre État membre sans aucune autre formalité.

[...]

(27)      Il convient également de limiter le plus possible les formalités d’exécution de nature à alourdir les frais à la charge du créancier d’aliments. [...]

[...]

(31)      Afin de faciliter le recouvrement transfrontalier de créances alimentaires, il convient de mettre en place un régime de coopération entre les autorités centrales désignées par les États membres. Ces autorités devraient prêter assistance aux créanciers et aux débiteurs d’aliments pour faire valoir leurs droits dans un autre État membre par la présentation de demandes de reconnaissance, de constatation de la force exécutoire et d’exécution de décisions existantes, de modification de telles décisions ou d’obtention d’une décision. Elles devraient également échanger des informations aux fins de localiser les débiteurs et les créanciers et d’identifier leurs revenus et patrimoine en tant que de besoin. [...]

(32)      [...] Le critère pour déterminer le droit d’une personne à demander assistance auprès d’une autorité centrale devrait être moins strict que le critère de rattachement de “résidence habituelle” utilisé ailleurs dans le présent règlement. Cependant, le critère de “résidence” devrait exclure la simple présence. »

4        Le chapitre IV de ce règlement est intitulé « Reconnaissance, force exécutoire et exécution des décisions ». Il comprend les articles 16 à 43 de celui-ci.

5        Sous l’intitulé « Suppression de l’exequatur », l’article 17 dudit règlement, qui figure sous la section 1 de ce chapitre IV, relative aux « [d]écisions rendues dans un État membre lié par le protocole de La Haye de 2007 », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Une décision rendue dans un État membre lié par le protocole de La Haye de 2007 est reconnue dans un autre État membre sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure et sans qu’il soit possible de s’opposer à sa reconnaissance. »

6        La section 1 dudit chapitre IV comprend également l’article 20 du même règlement. Cet article, intitulé « Documents aux fins de l’exécution », précise, à son paragraphe 1, les documents que le demandeur fournit « aux autorités compétentes chargées de l’exécution ».

7        L’article 41 du règlement n° 4/2009, intitulé « Procédure et conditions d’exécution », dispose, à son paragraphe 1 :

« Sous réserve des dispositions du présent règlement, la procédure d’exécution des décisions rendues dans un autre État membre est régie par le droit de l’État membre d’exécution. Une décision rendue dans un État membre qui est exécutoire dans l’État membre d’exécution y est exécutée dans les mêmes conditions qu’une décision rendue dans cet État membre d’exécution. »

8        Sous le titre « Accès à la justice », le chapitre V du règlement n° 4/2009 comprend les articles 44 à 47 de celui-ci. L’article 45 de ce règlement, intitulé « Contenu de l’aide judiciaire », prévoit :

« L’aide judiciaire accordée au titre du présent chapitre désigne l’assistance nécessaire pour permettre aux parties de connaître et de faire valoir leurs droits et pour garantir que leurs demandes, présentées par l’intermédiaire des autorités centrales ou directement aux autorités compétentes, seront traitées de façon complète et efficace. [...]

[...] »

9        Les articles 49 à 63 du même règlement figurent sous le chapitre VII de celui-ci, intitulé « Coopération entre autorités centrales ». L’article 49 du règlement n° 4/2009, intitulé « Désignation des autorités centrales », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Chaque État membre désigne une autorité centrale chargée de satisfaire aux obligations qui lui sont imposées par le présent règlement. »

10      L’article 51 du règlement n° 4/2009, intitulé « Fonctions spécifiques des autorités centrales », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les autorités centrales fournissent une assistance relative aux demandes prévues à l’article 56, notamment en :

a)      transmettant et recevant ces demandes ;

b)      introduisant ou facilitant l’introduction de procédures relatives à ces demandes. »

11      Aux termes de l’article 55 de ce règlement, intitulé « Demandes par l’intermédiaire des autorités centrales » :

« Toute demande prévue au titre du présent chapitre est transmise à l’autorité centrale de l’État membre requis par l’intermédiaire de l’autorité centrale de l’État membre dans lequel le demandeur a sa résidence. »

12      L’article 56 dudit règlement, intitulé « Demandes disponibles », dispose :

« 1.      Un créancier qui poursuit le recouvrement d’aliments en vertu du présent règlement peut présenter les demandes suivantes :

[...]

b)      l’exécution d’une décision rendue ou reconnue dans l’État membre requis ;

[...] 

4.      Sauf disposition contraire du présent règlement, les demandes visées aux paragraphes 1 et 2 sont traitées conformément au droit de l’État membre requis et sont soumises aux règles de compétence applicables dans cet État membre. »

13      L’article 76 du même règlement, intitulé « Entrée en vigueur », prévoit :

« Le présent règlement entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.

[...]

Le présent règlement s’applique, à l’exception des dispositions visées au deuxième alinéa, à compter du 18 juin 2011, sous réserve que le protocole de La Haye de 2007 soit applicable dans la Communauté à cette date. À défaut, le présent règlement s’applique à compter de la date d’application dudit protocole dans la Communauté.

[...] »

 Le droit du Royaume-Uni

14      Conformément à l’article 4 de l’annexe 1 du Civil Jurisdiction and Judgments (Maintenance) Regulations 2011 [règlement de 2011 sur la juridiction et les jugements civils (obligations alimentaires)] :

« 1.      Sous réserve des dispositions du paragraphe 2, lorsqu’une décision octroyant des droits alimentaires doit être exécutée au Royaume-Uni en application de la section 1 du chapitre IV du règlement [n° 4/2009], la juridiction à laquelle une demande d’exécution doit être adressée est

a)      en Angleterre et au Pays de Galles, la Family Court,

[...]

2.      Une demande d’exécution est transmise à la Family Court [...] (“la juridiction d’exécution”)

a)      en Angleterre et au Pays de Galles par le Lord Chancellor,

[...]

4.      Aux fins de l’exécution d’une décision conférant des obligations alimentaires,

a)      la décision a la même force et les mêmes effets,

b)      la juridiction d’exécution dispose des mêmes pouvoirs, et

c)      une procédure en exécution ou en relation avec celle-ci peut être engagée de la même manière,

que si la décision avait été prise à l’origine par la juridiction d’exécution. »

15      La juridiction de renvoi précise que l’autorité centrale désignée pour l’Angleterre et le pays de Galles, conformément à l’article 49 du règlement n° 4/2009, est le Lord Chancellor (Lord-grand-chancelier, Royaume-Uni), lequel a, à son tour, assigné sa fonction d’exécution au Reciprocal Enforcement of Maintenance Orders Unit (Unité d’exécution réciproque des ordonnances réglant les obligations alimentaires, ci-après le « REMO »).

 Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

16      M. et Mme S. se sont mariés au cours de l’année 2005 et se sont séparés en 2012. Ils ont eu deux enfants, âgés de 9 et de 5 ans à la date de la demande de décision préjudicielle. Leur divorce a été prononcé par l’Amtsgericht Walsrode (tribunal de district de Walsrode, Allemagne), qui a adopté des mesures réglant les droits alimentaires de ces deux enfants par une ordonnance du 7 août 2014 (ci-après l’« ordonnance de la juridiction allemande »).

17      Depuis ce divorce, Mme S. et ses enfants ont continué à vivre en Allemagne. M. S. vit et travaille au Royaume-Uni. Il refuse de verser les pensions alimentaires prévues par l’ordonnance de la juridiction allemande car, selon lui, Mme S. multiplie les entraves aux contacts avec les enfants.

18      La juridiction de renvoi, la High Court of Justice (England and Wales), Family Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la famille, Royaume-Uni] a été saisie de la demande de Mme S., fondée sur les dispositions du règlement n° 4/2009, visant l’exécution de l’ordonnance de la juridiction allemande.

19      Cette juridiction indique qu’elle doit, à titre liminaire, déterminer si une demande d’exécution d’une ordonnance réglant les obligations alimentaires, telles que celle en cause au principal, peut être formée directement devant la juridiction compétente en matière d’obligations alimentaires, en l’occurrence la Family Court (Cour de la famille, Royaume-Uni), ou si elle doit, dans tous les cas, être soumise au préalable à l’autorité centrale visée à l’article 49 du règlement n° 4/2009, soit, en l’occurrence, le Lord Chancellor (Lord-grand-chancelier) qui la transmettra à la Family Court (Cour de la famille) par l’intermédiaire du REMO.

20      La juridiction de renvoi fait état de divergences d’approche par les juridictions nationales et cite, à cet égard, deux affaires. Dans la première affaire, la juridiction compétente a estimé qu’un requérant pouvait adresser sa demande d’exécution d’une décision directement à la Family Court (Cour de la famille) et qu’il devait y avoir une erreur dans les règles nationales qui obligent à passer par l’autorité centrale. Dans la seconde affaire, portant non pas sur l’exécution d’une décision, mais sur sa modification, la juridiction compétente a exprimé des réserves par rapport au jugement dans la première affaire et estimé que le requérant devait obligatoirement présenter sa demande par l’intermédiaire de l’autorité centrale. La juridiction de renvoi ajoute que, interrogé dans le cadre de l’affaire au principal, le REMO a, quant à lui, soutenu que la législation nationale ne comportait pas d’erreur en prévoyant le recours obligatoire à l’autorité centrale et que les dispositions nationales en cause avaient été délibérément rédigées en ce sens.

21      De l’avis de la juridiction de renvoi, compte tenu tant du libellé des dispositions du chapitre IV du règlement n° 4/2009, y compris celles figurant sous la section 1 de ce chapitre, applicables à la République fédérale d’Allemagne, que de la finalité dudit règlement, il doit être possible d’adresser une demande d’exécution d’une décision en matière d’obligations alimentaires directement à la Family Court (Cour de la famille), comme dans le cas d’une situation purement interne.

22      La juridiction de renvoi fait valoir qu’il existe cependant un doute à ce sujet et que la question se pose actuellement dans le cadre de nombreuses affaires au Royaume-Uni.

23      Dans ces conditions, la High Court of Justice (England and Wales), Family Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la famille] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Lorsqu’une créancière d’aliments souhaite obtenir dans un État membre l’exécution d’une décision de justice rendue en sa faveur dans un autre État membre, les dispositions figurant sous le chapitre IV du règlement n° 4/2009 lui confèrent-elles le droit d’introduire une demande d’exécution directement devant l’autorité compétente de l’État requis ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, les dispositions figurant sous le chapitre IV du règlement n° 4/2009 devraient-elles être interprétées en ce sens que tout État membre a l’obligation de mettre en place une procédure ou un mécanisme permettant la reconnaissance de ce droit ? »

 La procédure devant la Cour

24      Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi a demandé l’application de la procédure accélérée prévue à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour. Cette demande a été rejetée par ordonnance du président de la Cour du 27 juin 2016, S. (C‑283/16, non publiée, EU:C:2016:482). Par décision du 6 juin 2016, le président de la Cour a accordé un traitement prioritaire à la présente affaire.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

25      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions du chapitre IV du règlement n° 4/2009 doivent être interprétées en ce sens qu’un créancier d’aliments, qui a obtenu une décision en sa faveur dans un État membre et qui souhaite en obtenir l’exécution dans un autre État membre, peut présenter sa demande directement à l’autorité compétente de ce dernier État membre, telle qu’une une juridiction spécialisée, ou s’il peut être tenu de soumettre sa demande à cette dernière par l’intermédiaire de l’autorité centrale de l’État membre d’exécution.

26      La réponse à cette question nécessite d’interpréter l’article 41, paragraphe 1, du règlement n° 4/2009 qui porte sur la procédure et les conditions d’exécution dans un État membre d’une décision en matière d’obligations alimentaires rendue dans un autre État membre.

27      Cette disposition prévoit dans sa première phrase que, sous réserve des autres dispositions du règlement n° 4/2009, la procédure d’exécution des décisions rendues dans un autre État membre est régie par « le droit de l’État membre d’exécution » et, dans sa seconde phrase, qu’une telle décision est exécutée « dans les mêmes conditions » qu’une décision rendue dans cet État membre d’exécution.

28      En renvoyant à l’application du droit de l’État membre d’exécution, la première phrase de ladite disposition pourrait, à première vue, être interprétée en ce sens qu’un État membre d’exécution peut inclure, dans ses règles de procédure d’exécution, le recours obligé à l’autorité centrale de l’État requis.

29      Toutefois, compte tenu du libellé de la seconde phrase de la même disposition, selon lequel la décision doit être exécutée « dans les mêmes conditions » qu’une décision rendue dans l’État membre d’exécution, il pourrait être considéré que ledit article 41, paragraphe 1, s’oppose à un recours obligé à l’autorité centrale si celui-ci n’est pas prévu dans les affaires purement internes, comme c’est le cas dans l’État membre dont la juridiction de renvoi est issue.

30      Il importe, par conséquent, d’examiner la portée de la notion de « mêmes conditions » aux fins d’examiner si une réglementation nationale, telle que l’article 4, paragraphe 4, sous a), b) et c), de l’annexe 1 du règlement de 2011 sur la juridiction et les jugements civils (obligations alimentaires), respecte l’article 41, paragraphe 1, du règlement n° 4/2009, même si un créancier d’aliments, tel que Mme S., contrairement à un créancier dans le cadre de demandes purement internes, ne peut pas saisir directement la juridiction compétente.

31      À cet égard, il convient de tenir compte de la finalité du règlement n° 4/2009 et du système dans lequel s’inscrit son article 41, paragraphe 1.

32      S’agissant de la finalité de ce règlement, il ressort des travaux préparatoires, et notamment du livre vert de la Commission, du 15 avril 2004, sur les obligations alimentaires [COM(2004) 254 final], que le législateur de l’Union européenne a entendu remplacer les dispositions en matière d’obligations alimentaires figurant dans le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1) par des dispositions qui, compte tenu de l’urgence particulière qui s’attache au règlement des créances alimentaires, allègent la procédure devant le juge de l’exécution et la rendent ainsi plus rapide.

33      La Cour a rappelé, dans le même sens, que l’objectif poursuivi par le règlement n° 4/2009 est de faciliter le plus possible le recouvrement des créances alimentaires internationales (arrêt du 18 décembre 2014, Sanders et Huber, C‑400/13 et C‑408/13, EU:C:2014:2461, point 41).

34      Ces objectifs de simplicité et de célérité ressortent également des considérants 9 et 27 du règlement n° 4/2009. Ce considérant 9 met en exergue que le créancier d’aliments devrait être à même d’obtenir facilement, dans un État membre, une décision qui sera automatiquement exécutoire dans un autre État membre sans aucune autre formalité. Selon ledit considérant 27, l’un des objectifs du règlement n° 4/2009 est de limiter le plus possible les formalités d’exécution de nature à alourdir les frais à la charge du créancier d’aliments.

35      Il convient par ailleurs de mentionner les considérants 31 et 32 du règlement n° 4/2009. Le considérant 31 de ce règlement souligne la volonté du législateur de l’Union de mettre en place une coopération entre autorités centrales afin de faciliter le recouvrement transfrontalier de créances alimentaires et de prêter assistance aux créanciers d’aliments pour faire valoir leur droit dans un autre État membre. Le considérant 32 dudit règlement qualifie le recours à cette assistance de « droit ».

36      Le système dans lequel s’inscrit l’article 41, paragraphe 1, du règlement n° 4/2009 reflète lesdits objectifs de simplicité et de célérité au chapitre IV de ce règlement et prévoit la possibilité de recourir à l’aide des autorités centrales au chapitre VII de celui-ci.

37      Ainsi, aucune disposition de ce chapitre IV, intitulé « Reconnaissance, force exécutoire et exécution des décisions », auquel appartient ledit article 41, paragraphe 1, ne prévoit de procédure particulière qui s’ajouterait aux procédures applicables dans le cadre de demandes purement internes et, notamment, de recours obligatoire aux autorités centrales des États membres.

38      L’absence d’obligation de recourir à ces autorités centrales est encore soulignée s’agissant de décisions rendues dans un État membre lié par le protocole sur la loi applicable aux obligations alimentaires, conclu à La Haye le 23 novembre 2007, tel que la République fédérale d’Allemagne. Intitulé « Suppression de l’exequatur », l’article 17 du règlement n° 4/2009, figurant sous le chapitre IV de celui-ci, spécifie, à son paragraphe 1, que ces décisions sont reconnues dans un autre État membre sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure. L’article 20, paragraphe 1, dudit règlement, relevant du même chapitre IV, précise les documents que le demandeur fournit « aux autorités compétentes chargées de l’exécution », libellé qui laisse entendre que la remise des documents est effectuée directement aux autorités compétentes.

39      La saisine des autorités centrales est prévue par les dispositions figurant sous le chapitre VII du règlement n° 4/2009, relatif à la coopération entre autorités centrales. Aux termes de l’article 51, paragraphe 1, de ce règlement, ces autorités fournissent une assistance relative aux demandes prévues à son article 56, notamment en transmettant ces demandes. En vertu de ce dernier article, un créancier qui poursuit le recouvrement d’aliments « peut » présenter une demande notamment aux fins de l’exécution d’une décision rendue ou reconnue dans l’État membre requis. Dans ce cas, il s’adresse, conformément à l’article 55 dudit règlement, à l’autorité centrale de l’État membre dans lequel il a sa résidence, laquelle est tenue de la transmettre à l’autorité centrale de l’État membre requis.

40      Il ressort des articles 51 et 56 du règlement n° 4/2009, lus à la lumière des considérants 31 et 32 de celui-ci, que la demande d’assistance auprès des autorités centrales, au titre des dispositions figurant sous le chapitre VII de ce règlement, constitue un droit et non une obligation. Elle est, par conséquent, facultative et ne s’applique que si le créancier d’aliments souhaite s’en prévaloir, par exemple pour surmonter certaines difficultés particulières, telles que la localisation du débiteur d’aliments.

41      Il apparaît ainsi que le règlement n° 4/2009 prévoit deux modes alternatifs de saisine des juridictions compétentes, l’une directe, au titre des dispositions figurant sous le chapitre IV de ce règlement, et l’autre par l’intermédiaire des autorités centrales, si le créancier d’aliments demande l’assistance de l’autorité centrale de son État membre de résidence, au titre des dispositions figurant sous le chapitre VII dudit règlement.

42      Cette analyse est corroborée par le libellé de l’article 45 du règlement n° 4/2009, faisant partie du chapitre V de celui-ci. Cet article, qui porte sur l’aide judiciaire, distingue expressément deux voies alternatives permettant au créancier d’aliments de présenter une demande d’exécution, à savoir par l’intermédiaire des autorités centrales « ou » directement aux autorités compétentes.

43      Dans ces conditions, il convient de considérer que l’obligation qui est imposée au créancier d’aliments par une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, de saisir l’autorité centrale de l’État membre requis alors même qu’il souhaite s’adresser directement aux autorités compétentes sur le fondement du chapitre IV du règlement n° 4/2009 et qui, selon la juridiction de renvoi, entraîne des délais supplémentaires, est contraire à l’article 41, paragraphe 1, de ce règlement, lu à la lumière de la finalité dudit règlement et du système dans lequel cette disposition s’inscrit.

44      Il y a lieu, par conséquent, de répondre à la première question que les dispositions du chapitre IV du règlement n° 4/2009, et en particulier l’article 41, paragraphe 1, de ce règlement, doivent être interprétées en ce sens qu’un créancier d’aliments, qui a obtenu une décision en sa faveur dans un État membre et qui souhaite en obtenir l’exécution dans un autre État membre, peut présenter sa demande directement à l’autorité compétente de ce dernier État membre, telle qu’une juridiction spécialisée, et ne peut être tenu de soumettre sa demande à cette dernière par l’intermédiaire de l’autorité centrale de l’État membre d’exécution.

 Sur la seconde question

45      La seconde question porte sur les conséquences pour l’État membre d’exécution d’une réponse affirmative à la première question et vise plus particulièrement à savoir s’il existe une obligation de mettre en place une procédure ou un mécanisme permettant de saisir directement l’autorité compétente de l’État membre d’exécution.

46      Afin de donner une réponse utile au juge de renvoi, il convient non seulement d’indiquer si les États membres sont tenus de mettre en place une telle procédure ou un tel mécanisme, mais aussi de préciser, dans un cas tel que celui au principal, l’obligation incombant au juge national.

47      S’agissant de la mise en œuvre d’un règlement, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 288, deuxième alinéa, TFUE, un tel acte de l’Union est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre.

48      L’applicabilité directe d’un règlement exige que son entrée en vigueur et son application en faveur ou à la charge des sujets de droit se réalisent sans aucune mesure portant réception dans le droit national, sauf si le règlement en cause laisse le soin aux États membres de prendre eux-mêmes les mesures législatives, réglementaires, administratives et financières nécessaires pour que les dispositions dudit règlement puissent être effectivement appliquées (arrêt du 14 juin 2012, Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers, C‑606/10, EU:C:2012:348, point 72).

49      En l’occurrence, le règlement n° 4/2009, qui est devenu applicable à compter du 18 juin 2011, prévoit, à son article 76, l’application différée de ses dispositions par rapport à sa date d’entrée en vigueur, le 20 janvier 2009. Entre ces deux dates, il appartenait aux États membres de modifier, le cas échéant, leur droit national en adaptant leurs règles procédurales pour éviter toute contrariété avec le règlement n° 4/2009 et, notamment, de permettre aux créanciers d’aliments, tels que Mme S., d’exercer leur droit de saisir directement l’autorité compétente de l’État membre d’exécution, tel que prévu par ledit règlement.

50      En tout état de cause, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (voir notamment, en ce sens, arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77, EU:C:1978:49, points 21 et 24 ; du 22 juin 2010, Melki et Abdeli, C‑188/10 et C‑189/10, EU:C:2010:363, point 43, et du 4 juin 2015, Kernkraftwerke Lippe-Ems, C‑5/14, EU:C:2015:354, point 32).

51      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que les États membres sont tenus d’assurer la pleine efficacité du droit prévu à l’article 41, paragraphe 1, du règlement n° 4/2009 en modifiant, le cas échéant, leurs règles de procédure. En tout état de cause, il incombe au juge national d’appliquer les dispositions de cet article 41, paragraphe 1, en laissant au besoin inappliquées les dispositions contraires du droit national et, par conséquent, de permettre à un créancier d’aliments de porter sa demande directement devant l’autorité compétente de l’État membre d’exécution, même si le droit national ne le prévoit pas.

 Sur les dépens

52      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

1)      Les dispositions du chapitre IV du règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, et en particulier l’article 41, paragraphe 1, de ce règlement, doivent être interprétées en ce sens qu’un créancier d’aliments, qui a obtenu une décision en sa faveur dans un État membre et qui souhaite en obtenir l’exécution dans un autre État membre, peut présenter sa demande directement à l’autorité compétente de ce dernier État membre, telle qu’une juridiction spécialisée, et ne peut être tenu de soumettre sa demande à cette dernière par l’intermédiaire de l’autorité centrale de l’État membre d’exécution.

2)      Les États membres sont tenus d’assurer la pleine efficacité du droit prévu à l’article 41, paragraphe 1, du règlement n° 4/2009 en modifiant, le cas échéant, leurs règles de procédure. En tout état de cause, il incombe au juge national d’appliquer les dispositions de cet article 41, paragraphe 1, en laissant au besoin inappliquées les dispositions contraires du droit national et, par conséquent, de permettre à un créancier d’aliments de porter sa demande directement devant l’autorité compétente de l’État membre d’exécution, même si le droit national ne le prévoit pas.

Signatures


1      Langue de procédure : l’anglais.