Language of document : ECLI:EU:F:2016:83

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)

28 avril 2016 (*)

« Fonction publique – Sécurité sociale – Régime commun d’assurance maladie – Prise en charge des frais médicaux – Taux de remboursement – Reconnaissance d’une maladie grave – Critères – Article 72 du statut et dispositions générales d’exécution relatives au remboursement des frais médicaux »

Dans l’affaire F‑76/15,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis,

FY, fonctionnaire du Conseil de l’Union européenne, demeurant à Rhode-Saint-Genèse (Belgique), représentée par Mes J.-N. Louis et N. de Montigny, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Bauer et Mme M. Veiga, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre),

composé de MM. R. Barents (rapporteur), président, E. Perillo et J. Svenningsen, juges,

greffier : Mme X. Lopez Bancalari, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 novembre 2015,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 15 mai 2015, FY demande l’annulation de la décision du 8 avril 2014 du bureau liquidateur de Bruxelles (Belgique) du régime commun d’assurance maladie (ci-après le « RCAM ») rejetant sa demande de prolongation de reconnaissance, en tant que maladie grave, de la maladie dont son fils est atteint et sa demande de prise en charge à 100 % des frais médicaux liés à celle-ci.

 Cadre juridique

2        Le cadre juridique de la présente affaire est constitué, tout d’abord, de l’article 72 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») et de l’article 15, paragraphe 1, de l’article 20, paragraphe 6, ainsi que des articles 35 et 41 de la réglementation commune relative à la couverture des risques de maladie des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après la « réglementation commune »).

3        Le cadre juridique est, par ailleurs, complété par la décision de la Commission des Communautés européennes du 2 juillet 2007 portant fixation des dispositions générales d’exécution relatives au remboursement des frais médicaux qui est entrée en vigueur le 1er juillet précédent (ci-après les « DGE »). Le titre III des DGE fixe les procédures relatives, notamment, à la reconnaissance du statut de maladie grave. Le chapitre 5, intitulé « Reconnaissance du statut de maladie grave », prévoit :

« 1.      Définition

Sont reconnus notamment comme maladies graves, les cas de tuberculose, poliomyélite, cancer, maladie mentale et autres maladies reconnues de gravité comparable par l’[autorité investie du pouvoir de nomination].

Ces dernières concernent des affections associant, à des degrés variables, les quatre critères suivants :

–        pronostic vital défavorable ;

–        évolution chronique ;

–        nécessité de mesures diagnostiques et/ou thérapeutiques lourdes ;

–        présence ou risque de handicap grave.

2.      Périmètre de couverture

Le taux de remboursement à 100 % s’applique :

–        aux frais médicaux qui apparaissent, à la lumière des connaissances scientifiques, comme directement liés à la maladie grave, que ce soit pour le diagnostic, le traitement, le suivi de l’évolution de cette maladie ou de ses complications et conséquences éventuelles ;

–        aux frais éligibles au remboursement qui seraient liés à une éventuelle dépendance entraînée par la maladie grave.

3.      Procédures

La demande de reconnaissance pour maladie grave doit être accompagnée d’un rapport médical détaillé, sous pli confidentiel adressé au médecin-conseil. Lors d’une première demande, ce rapport précise :

–        la date du diagnostic ;

–        le diagnostic précis ;

–        le stade d’évolution et les complications éventuelles ;

–        le traitement nécessaire.

[…] »

 Faits à l’origine du litige

4        Le fils de la requérante est né le 19 novembre 1990. En novembre 1991, une hémiplégie droite d’apparition précoce lui a été diagnostiquée.

5        Par décision du 14 avril 1992, le responsable du bureau central du RCAM a accordé à la requérante le remboursement à 100 % des frais médicaux de son fils en raison de la maladie grave dont il est atteint.

6        Le 19 avril 1994, le service de neurologie pédiatrique des cliniques universitaires Saint-Luc de Bruxelles a établi un rapport selon lequel le fils de la requérante présente une hémiparésie droite. Dans un rapport du 10 mars 1995, le même service a mis en évidence un foyer d’altération parenchymateuse pariétale postérieure gauche à contours géométriques, image compatible avec une séquelle d’accident vasculaire cérébral dans le territoire sylvien postérieur intéressant également la partie crâniale du bras postérieur de la capsule interne.

7        Par décision du 26 mars 1996, le RCAM a accordé à la requérante le remboursement à 100 % des frais médicaux de son fils en raison de la maladie grave dont il est atteint.

8        Le 11 juin 1996, le fils de la requérante a été victime d’un accident qui a entraîné l’amputation de son pied droit et d’une partie de sa jambe.

9        Par décision du 4 février 1997, le directeur général de l’administration du secrétariat général du Conseil de l’Union européenne a doublé, pour une durée illimitée, l’allocation pour enfant à charge accordée à la requérante.

10      Par décision du 2 juin 2003, le ministère des Affaires sociales, de la santé publique et de l’environnement belge a attesté que le fils de la requérante est atteint d’une incapacité permanente d’au moins 66 % et d’une invalidité permanente occasionnant un taux d’au moins 50 % pour une durée indéterminée.

11      Par décision du 25 novembre 2008, postérieure à l’entrée en vigueur des DGE, le RCAM a reconnu comme maladie grave la maladie dont est atteint le fils de la requérante et lui a accordé le remboursement de 100 % de ses frais médicaux pour une durée de cinq ans à compter du 1er janvier 2009 (ci-après la « décision du 25 novembre 2008 »).

12      Le 7 juillet 2009, le fils de la requérante a subi un curetage osseux de son moignon, dont les frais ont été pris en charge à 100 % par le RCAM.

13      Le 24 janvier 2014, la requérante a demandé la prolongation de la reconnaissance du statut de maladie grave de la pathologie dont son fils est atteint. Le 14 février suivant, le RCAM en a accusé réception et lui a demandé de fournir des détails précis sur la maladie dont souffre son fils.

14      Le 14 mars 2014, la requérante a transmis au RCAM le rapport du docteur R. du département de neuropsychiatrie et de pathologies spéciales des cliniques universitaires Saint-Luc. Après avoir rappelé que le fils de la requérante est porteur d’une hémiplégie droite responsable de troubles moteurs prédominant au niveau du membre supérieur et caractérisée par des troubles de la coordination et une insuffisance de maintien du poignet et des troubles de la motricité fine et qu’il a été victime d’une amputation traumatique du tiers inférieur du tibia droit, le docteur R. a conclu ce qui suit :

« Le handicap actuel justifie un traitement de longue durée de kinésithérapie avec un maximum de trois séances par semaine, selon l’état physique du patient, les complications cutanées, les douleurs, les périodes d’immobilisation liées aux problèmes de prothèse et enfin la nécessité d’entretenir les capacités du membre supérieur droit qui sont déficitaires. »

15      Par décision du 8 avril 2014, le RCAM a rejeté la demande de prolongation de reconnaissance du statut de maladie grave de la pathologie du fils de la requérante (ci-après la « décision attaquée »). La motivation de cette décision se lit comme suit :

« [Remarque faite par le médecin-conseil :]

L’examen des [quatre] critères de reconnaissance de maladie grave et de leurs interrelations ne permet pas de conclure actuellement à la reconnaissance de ce statut : ni altération du pronostic vital, ni mesures lourdes. Avis à revoir en cas d’évolution défavorable.

[Remarque faite par le responsable du bureau liquidateur :]

La réglementation prévoit la présence simultanée de quatre critères, pour accorder ou renouveler une reconnaissance de maladie grave. Les [quatre] critères sont : pronostic vital défavorable, évolution chronique, nécessité de mesures diagnostiques et/ou thérapeutiques lourdes, présence ou risque de handicap grave. Voir [les] DGE[, t]itre III[, c]hapitre 5. »

16      Le 4 juillet 2014, la requérante a introduit une réclamation contre la décision attaquée. Le 11 septembre 2014, la requérante a été entendue par le service chargé de répondre à la réclamation. Lors de cet entretien, il a été convenu qu’un nouveau certificat médical explicitant d’une manière plus approfondie l’évolution des critères de reconnaissance de maladie grave pourrait être présenté au médecin-conseil afin qu’il puisse revoir son avis le cas échéant. La requérante a soumis le 18 septembre 2014 un nouveau rapport du docteur R. (ci-après le « rapport du docteur R. »).

17      Le rapport du docteur R. conclut ce qui suit :

« En l’absence de ces soins adéquats, nous risquons des complications et surtout d’anéantir tous les efforts que [le fils de la requérante] a fait pendant de très nombreuses années pour s’insérer socialement et maintenant professionnellement [dans les activités qui sont les siennes]. »

18      Lors de ses réunions des 18 et 19 septembre 2014, le comité de gestion du RCAM, qui avait été saisi par le Conseil pour avis conformément à l’article 35, paragraphe 2, de la réglementation commune, a étudié la réclamation de la requérante, mais n’est pas parvenu à exprimer un avis à la majorité requise.

19      Le 26 janvier 2015, un avis circonstancié complémentaire a été communiqué au Conseil par le médecin-conseil du bureau liquidateur (ci-après l’« avis circonstancié »).

20      Par décision du 4 février 2015, le Conseil a rejeté la réclamation. L’avis circonstancié était joint à cette décision.

 Conclusions des parties

21      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

22      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

23      À l’appui de son recours, la requérante invoque deux moyens, tirés respectivement d’une erreur manifeste d’appréciation et d’une violation de l’obligation de motivation.

 Arguments des parties

24      La requérante estime, en premier lieu, que la décision attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Tout d’abord, le médecin-conseil du RCAM n’expliquerait pas les raisons l’ayant conduit en 2014 à estimer que deux des quatre critères de reconnaissance du statut de maladie grave n’étaient plus réunis alors que son fils est atteint de la même pathologie depuis sa naissance. En outre, le médecin-conseil n’expliquerait pas non plus les éléments médicaux et les faits qui justifieraient sa décision alors qu’en 2008 et en 2010 la maladie de son fils a été reconnue comme maladie grave. Enfin, la décision attaquée ne fournirait aucun élément permettant de comprendre pour quelle raison les antécédents de la maladie auxquels fait référence le rapport du docteur R. n’ont pas été pris en considération.

25      La requérante observe, en outre, que, lorsqu’un requérant conteste l’appréciation portée sur sa situation par l’administration en critiquant l’avis médical sur lequel elle se fonde, le juge devrait s’assurer que le médecin-conseil a procédé à l’examen concret et circonstancié de la situation qui lui a été soumise et a porté une appréciation globale sur la gravité des conséquences de la maladie en cause. Ainsi, si l’un des quatre critères peut sembler ne pas être rempli lorsqu’il est examiné de manière isolée, son examen à la lumière de l’appréciation portée sur les autres critères pourrait aboutir à la conclusion que ledit critère serait bien rempli, ce qui interdirait au médecin-conseil de se contenter de l’examen d’un seul critère. À cet égard, la requérante fait valoir qu’il ressortirait de l’avis circonstancié que les quatre critères auraient été examinés séparément et n’auraient pas fait l’objet d’une appréciation globale. De plus, cet avis, quant à l’absence de handicap grave, serait contredit par les attestations des 25 juin 1998 et 2 juin 2003 des autorités belges.

26      En second lieu, quant à l’obligation de motivation, la requérante soutient que la motivation devrait permettre aux fonctionnaires de comprendre les éléments médicaux et factuels pris en considération par le médecin pour établir sa décision. La motivation serait en l’espèce particulièrement contraignante, dans la mesure où le comité de gestion du RCAM n’est pas parvenu à exprimer un avis à la majorité requise. L’avis du médecin-conseil ne permettrait pas de vérifier, toujours selon la requérante, si ce dernier a procédé à l’examen concret et circonstancié de l’état de santé de son fils à la lumière des quatre critères prévus, lesquels devraient être appréciés de manière globale compte tenu de leur lien d’interdépendance, alors que le dossier de la demande comporterait tous les éléments relatifs à ces critères. La conséquence du caractère laconique de l’avis du médecin-conseil serait le refus de la demande de reconnaissance du statut de maladie grave de la pathologie du fils de la requérante, cette décision étant également entachée d’une absence totale de motivation pertinente.

27      Le Conseil conclut au rejet des deux moyens.

 Appréciation du Tribunal

28      Le Tribunal estime qu’il y a lieu d’examiner d’abord le second moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation.

 Sur le second moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

29      Il convient avant tout de rappeler quelques principes régissant l’examen d’une demande de reconnaissance de l’existence d’une maladie grave tels que développés par la jurisprudence et rappelés, notamment, dans l’arrêt du 28 septembre 2011, Allen/Commission (F‑23/10, EU:F:2011:162).

30      Dans le cadre du contrôle juridictionnel limité que le Tribunal est appelé à exercer en matière médicale, il lui revient d’examiner si, pour refuser de qualifier une pathologie de maladie grave, l’autorité compétente, d’une part, s’est effectivement fondée sur les critères auxquels cette qualification est subordonnée et, d’autre part, n’a pas commis d’erreur manifeste en déduisant des constatations médicales qui ont été portées à sa connaissance, sur lesquelles le Tribunal ne saurait se prononcer à moins que l’administration n’en dénature la portée, que ces critères n’étaient pas cumulativement remplis (arrêts du 18 septembre 2007, Botos/Commission, F‑10/07, EU:F:2007:161, point 41, et du 28 septembre 2011, Allen/Commission, F‑23/10, EU:F:2011:162, points 66 et 79).

31      Bien que les quatre critères énoncés au point 1 du chapitre 5 du titre III des DGE présentent un caractère cumulatif, dans l’examen auquel se livre le médecin-conseil ou le conseil médical, l’appréciation portée sur l’un des critères est – compte tenu du lien d’interdépendance que le texte prévoit entre ces quatre critères – de nature à moduler l’appréciation qui est portée sur les autres critères. Ainsi, si l’un des critères peut sembler ne pas être rempli lorsqu’il est examiné de manière isolée, son examen à la lumière de l’appréciation portée sur les autres critères peut aboutir à la conclusion inverse, à savoir que ledit critère est rempli, ce qui interdit au médecin-conseil ou au conseil médical de se contenter de l’examen d’un seul critère (arrêt du 28 septembre 2011, Allen/Commission, F‑23/10, EU:F:2011:162, point 79).

32      Il y a également lieu de rappeler le critère figurant à l’article 24, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, aux termes duquel : « Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. » Or, en l’espèce, il est constant, comme l’a d’ailleurs confirmé le Conseil au cours de l’audience, que le fils de la requérante est un enfant à charge de cette dernière aux termes des dispositions pertinentes du statut.

33      C’est au regard des considérations générales qui précèdent qu’il convient, en premier lieu, d’examiner si, dans le cas d’espèce, la motivation de la décision attaquée fait apparaître de façon claire et compréhensible l’appréciation et l’analyse des quatre critères du point 1 du chapitre 5 du titre III des DGE et de leur interdépendance. À cet égard, il revient, en second lieu, au Tribunal, dans le cadre du contrôle limité qu’il peut exercer sur les avis émis par les organes médicaux intervenant au cours de la procédure de reconnaissance de l’existence d’une maladie grave, de s’assurer que ces avis ont été adoptés sur la base d’un examen concret, à savoir un examen effectif de l’état de santé de l’intéressé ainsi qu’approprié aux circonstances de l’espèce et prenant en compte de manière globale, comme l’exige le point 1 du chapitre 5 du titre III des DGE, les quatre critères interdépendants prévus par ledit point (voir, en ce sens, arrêt du 28 septembre 2011, Allen/Commission, F‑23/10, EU:F:2011:162, point 80).

34      À titre liminaire, il y a lieu d’observer que les actes des institutions, des organes et des organismes de l’Union jouissent, en principe, d’une présomption de légalité et, partant, produisent des effets juridiques, même s’ils sont entachés d’irrégularités, aussi longtemps qu’ils n’ont pas été annulés ou retirés [arrêts du 24 novembre 2010, Marcuccio/Commission, T‑9/09 P, EU:T:2010:477, point 37, et du 9 septembre 2011, dm-drogerie markt/OHMI – Distribuciones Mylar (dm), T‑36/09, EU:T:2011:449, point 83].

35      Il convient également d’observer qu’une contradiction dans la motivation d’une décision constitue une violation de l’obligation qui découle de l’article 296 TFUE, de nature à affecter la validité de l’acte en cause s’il est établi que, en raison de cette contradiction, le destinataire de l’acte n’est pas en mesure de connaître les motifs réels de la décision, en tout ou en partie, et que, de ce fait, le dispositif de l’acte est, en tout ou en partie, dépourvu de tout support juridique (arrêts du 30 mars 2000, Kish Glass/Commission, T‑65/96, EU:T:2000:93, point 85, et du 4 mars 2009, Associazione italiana del risparmio gestito et Fineco Asset Management/Commission, T‑445/05, EU:T:2009:50, point 82).

36      En l’espèce, il est constant que, par la décision du 25 novembre 2008, en application des DGE entrées en vigueur le 1er juillet 2007, le RCAM a reconnu comme maladie grave la maladie dont est atteint le fils de la requérante et lui a accordé le remboursement de 100 % de ses frais médicaux pour une durée de cinq ans à compter du 1er janvier 2009.

37      La décision du 25 novembre 2008 n’ayant pas été retirée ou annulée, force est de constater que, selon le RCAM, pendant la période allant du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2013 (ci-après la « période 2009-2013 »), la maladie du fils de la requérante répondait aux quatre critères posés par le point 1 du chapitre 5 du titre III des DGE pour la reconnaissance du statut de maladie grave.

38      Au vu de cette constatation, le Tribunal estime que la motivation de la décision attaquée est manifestement défectueuse et contradictoire. La motivation de cette décision est défectueuse dès lors que le médecin-conseil n’a nullement expliqué pourquoi les quatre critères nécessaires à la reconnaissance du statut de maladie grave, qui, selon le RCAM, étaient remplis pendant la période 2009-2013, n’étaient plus remplis à partir du 1er janvier 2014. Elle est contradictoire dans la mesure où le médecin-conseil, en se référant aux conditions énumérées aux premier et troisième tirets du point 1 du chapitre 5 du titre III des DGE, a conclu, sans aucune explication, qu’il n’y avait « ni altération du pronostic vital, ni mesures lourdes », alors que, selon le RCAM, ces mêmes critères étaient bel et bien remplis jusqu’au 31 décembre 2013.

39      La contradiction de la motivation de la décision attaquée et son caractère défectueux sont corroborés par le fait que l’avis circonstancié, s’agissant du premier critère relatif au pronostic vital, constate que « ce critère est absent[, que l]’affection est parfaitement stable et [qu’elle] n’est pas de nature à entraîner une telle conséquence ». Cependant, cet avis n’explique nullement pourquoi le critère du pronostic vital, qui selon le RCAM était rempli pendant la période 2009-2013, ne l’était plus à compter du 1er janvier 2014, alors que, toujours selon cet avis, l’affection du fils de la requérante est « parfaitement stable » et est donc restée inchangée et alors que le rapport du docteur R., auquel cet avis fait expressément renvoi, affirme qu’il persiste chez le fils de la requérante des troubles de la coordination et de la motricité fine et que, eu égard au niveau d’activité du patient, « il est indispensable qu’il puisse bénéficier des progrès technologiques et d’un appareillage tout à fait adapté à son niveau d’activités » (voir aussi le point 17 du présent arrêt).

40      Ensuite, pour ce qui est du troisième critère relatif à la « nécessité de mesures diagnostiques et/ou thérapeutiques lourdes », l’avis circonstancié constate que « les seuls traitements liés à l’affection congénitale sont quelques séances de kinésithérapie [et que, d]e ce fait, on considère que les mesures thérapeutiques ne sont pas de caractère lourd » et il précise qu’« [e]n dehors de cela les seules mesures concernent le renouvellement de la prothèse de jambe, qui […] n’est pas liée à la maladie congénitale, mais à un accident survenu dans l’enfance ».

41      Cette motivation ne peut qu’être qualifiée de contradictoire. En effet, après avoir souligné que « [l]’affection est parfaitement stable », et donc qu’elle n’a pas changé, le médecin-conseil n’explique nullement pourquoi, selon lui, le troisième critère, qui, d’après le RCAM, était rempli jusqu’au 31 décembre 2013, ne l’était plus à partir du 1er janvier 2014, c’est-à-dire pourquoi, pendant la période 2009-2013, les mesures thérapeutiques que devait subir le fils de la requérante avaient un « caractère lourd » alors que ces mêmes mesures n’auraient plus eu un tel caractère à partir du 1er janvier 2014.

42      Enfin, s’agissant du quatrième critère relatif à la « présence ou [au] risque de handicap grave », l’avis circonstancié se réfère au rapport du docteur R., aux termes duquel « [le fils de la requérante] a bénéficié de soins de kinésithérapie pendant de nombreuses années, ce qui a permis de limiter les conséquences défavorables du handicap sur le plan familial, social et scolaire[, mais i]l persiste néanmoins des troubles de la coordination et des troubles de la motricité fine au niveau du membre supérieur droit pouvant poser quelques problèmes dans les activités de la vie quotidienne ». Cependant, selon le médecin-conseil, il résulte d’un tel rapport que le quatrième critère est absent.

43      En outre, s’agissant de la prothèse de jambe, l’avis circonstancié précise qu’« en médecine d’expertise, […] si un appareillage ou une prothèse est mis en place lors d’un handicap, le taux de ce handicap doit être réduit (voir [le “]Barème officiel belge des invalidités[”] et le “Guide [e]uropéen d’évaluation des atteintes à l’intégrité physique et psychique”) » et conclut qu’« [i]l existe donc un certain handicap, mais qui ne peut être considéré comme sévère ».

44      La motivation de l’avis circonstancié, telle qu’énoncée aux points 39 et 40 du présent arrêt, est contradictoire puisque le médecin-conseil, après avoir considéré que l’affection du fils de la requérante « [était] parfaitement stable », c’est-à-dire qu’il n’y avait pas eu d’évolution favorable, n’a pas expliqué pourquoi, selon lui, le quatrième critère, qui, d’après le RCAM, était rempli jusqu’au 31 décembre 2013, ne l’était plus à compter du 1er janvier 2014.

45      L’argument du Conseil donné dans sa réponse du 30 octobre 2015 à des mesures d’organisation de la procédure, selon lequel la décision du 25 novembre 2008 « ne contien[drai]t aucune motivation détaillée et circonstanciée permettant de comprendre comment l’[autorité investie du pouvoir de nomination] a concrètement pris en compte le critère du “pronostic vital défavorable” », et la circonstance que, dans l’avis circonstancié, le médecin-conseil aurait constaté que les appréciations précédentes avaient été faites « sur [la] base d’un rapport plus que sommaire et copié[es et] collé[es] depuis sans aucune modification » sont inopérants.

46      En effet, force est de constater que, malgré les prétendus défauts de motivation de la décision du 25 novembre 2008, le RCAM ne l’a pas retirée. Ainsi qu’observé au point 34 du présent arrêt, cette décision jouit donc d’une présomption de légalité, ce qui implique nécessairement que, selon le RCAM, les quatre critères nécessaires à la reconnaissance du statut de maladie grave étaient remplis pour une durée de cinq ans à partir du 1er janvier 2009, soit jusqu’au 31 décembre 2013.

47      L’argument du Conseil selon lequel le médecin-conseil aurait tenu compte du fait que le fils de la requérante avait seulement suivi 30 séances de kinésithérapie en 2011, aucune en 2012 et 20 en 2013, durant la période estivale, est également dépourvu de pertinence. En effet, il est constant que, selon le RCAM, ce critère était rempli pendant la période 2009-2013.

48      La décision attaquée étant motivée de façon manifestement défectueuse et contradictoire dans la mesure où elle n’explique nullement pourquoi le RCAM, étant d’avis que l’affection du fils de la requérante « est parfaitement stable », a estimé que les quatre critères pour la reconnaissance du statut de maladie grave étaient remplis pendant la période 2009-2013, mais ne l’étaient plus à partir du 1er janvier 2014, celle-ci doit être annulée.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation

49      Le Tribunal estime que le premier moyen est également fondé.

50      À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il résulte clairement tant de l’article 72 du statut que des DGE que la reconnaissance du statut de maladie grave est subordonnée à l’examen circonstancié de l’état de santé de la personne concernée et des conditions de traitement de la pathologie en cause (voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2010, Marcuccio/Commission, F‑65/09, EU:F:2010:149, points 55 et 56).

51      Comme observé au point 39 du présent arrêt, le médecin-conseil a considéré que l’affection du fils de la requérante était « parfaitement stable ». Selon le RCAM, cette affection « parfaitement stable » a justifié la reconnaissance du statut de maladie grave jusqu’au 31 décembre 2013. Toutefois, également selon le RCAM, cette affection « parfaitement stable » et donc inchangée ne justifie plus la reconnaissance de ce statut à partir du 1er janvier 2014, sans que la décision attaquée fasse état des éléments qui ont amené le RCAM à parvenir à une appréciation inverse de l’affection du fils de la requérante. Il s’ensuit nécessairement que le RCAM n’a pas adopté la décision attaquée sur la base d’un examen concret et circonstancié de l’état de santé de l’intéressé.

52      Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée doit être annulée.

 Sur les dépens

53      Aux termes de l’article 101 du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe supporte ses propres dépens et est condamnée aux dépens exposés par l’autre partie, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 102, paragraphe 1, du même règlement, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe supporte ses propres dépens, mais n’est condamnée que partiellement aux dépens exposés par l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

54      Il résulte des motifs énoncés ci-dessus que le Conseil est la partie qui succombe pour l’essentiel. En outre, la requérante a, dans ses conclusions, expressément conclu à ce que celui-ci soit condamné aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 102, paragraphe 1, du règlement de procédure, le Conseil doit supporter ses propres dépens et être condamné à supporter ceux exposés par la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du 8 avril 2014 par laquelle le bureau liquidateur de Bruxelles (Belgique) du régime commun d’assurance maladie a rejeté la demande de prolongation de reconnaissance, en tant que maladie grave, de la maladie du fils de FY est annulée.

2)      Le Conseil de l’Union européenne supporte ses propres dépens et est condamné à supporter les dépens exposés par FY.

Barents

Perillo

Svenningsen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 avril 2016.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       R. Barents


* Langue de procédure : le français.