Language of document : ECLI:EU:C:2017:310

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

27 avril 2017 (*)

« Renvoi préjudiciel – Directive 2002/46/CE – Rapprochement des législations des États membres concernant les compléments alimentaires – Vitamines et minéraux pouvant être utilisés pour la fabrication de compléments alimentaires – Quantités maximales – Compétence des États membres – Réglementation nationale fixant ces quantités – Reconnaissance mutuelle – Absence – Modalités à respecter et éléments à prendre en compte pour la fixation desdites quantités »

Dans l’affaire C‑672/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal de grande instance de Perpignan (France), par décision du 5 août 2015, parvenue à la Cour le 14 décembre 2015, dans la procédure pénale contre

Noria Distribution SARL,

en présence de :

Procureur de la République,

Union fédérale des consommateurs des P.O (Que choisir),

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), président de chambre, MM. E. Regan, J.-C. Bonichot, C. G. Fernlund et S. Rodin, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. A. Calot Escobar,

considérant les observations présentées :

–        pour Noria Distribution SARL, par Me F. Meunier, avocat,

–        pour le gouvernement français, par MM. D. Colas et J. Traband, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. G. Braga da Cruz ainsi que par Mmes K. Herbout-Borczak et S. Lejeune, en qualité d’agents,

–        pour l’Autorité de surveillance AELE, par MM. Ø. Bø, L. Biørnstad et C. Zatschler, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 décembre 2016,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2002/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 juin 2002, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les compléments alimentaires (JO 2002, L 183, p. 51), et des dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des marchandises.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre Noria Distribution SARL pour avoir détenu, exposé, mis en vente ou vendu des compléments alimentaires non autorisés en France, qu’elle savait être falsifiés, corrompus ou toxiques, ainsi que pour avoir trompé ou tenté de tromper ses cocontractants sur les risques inhérents à l’utilisation de ces compléments alimentaires et sur les qualités substantielles de ces derniers.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 2 de la directive 2002/46 est libellé comme suit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)      “compléments alimentaires”, les denrées alimentaires dont le but est de compléter le régime alimentaire normal et qui constituent une source concentrée de nutriments ou d’autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique seuls ou combinés, commercialisés sous forme de doses, à savoir les formes de présentation telles que les gélules, les pastilles, les comprimés, les pilules et autres formes similaires, ainsi que les sachets de poudre, les ampoules de liquide, les flacons munis d’un compte-gouttes et les autres formes analogues de préparations liquides ou en poudre destinées à être prises en unités mesurées de faible quantité ;

b)      “nutriments”, les substances suivantes :

i) vitamines ;

ii) minéraux. »

4        L’article 3 de ladite directive dispose :

« Les États membres veillent à ce que les compléments alimentaires ne puissent être commercialisés dans la Communauté que s’ils sont conformes aux règles énoncées dans la présente directive. »

5        L’article 5 de la même directive prévoit :

« 1.      Les quantités maximales de vitamines et de minéraux présentes dans les compléments alimentaires sont fixées en fonction de la portion journalière recommandée par le fabricant en tenant compte des éléments suivants :

a)      les limites supérieures de sécurité établies pour les vitamines et les minéraux après une évaluation scientifique des risques fondée sur des données scientifiques généralement admises, compte tenu, le cas échéant, de la différence des niveaux de sensibilité de différents groupes de consommateurs ;

b)      les apports en vitamines et en minéraux provenant d’autres sources alimentaires.

2.      Lors de la fixation des quantités maximales visée au paragraphe 1, il est également dûment tenu compte des apports de référence en vitamines et en minéraux pour la population.

3.      Pour garantir la présence en quantités suffisantes de vitamines et de minéraux dans les compléments alimentaires, des quantités minimales sont fixées, de façon appropriée, en fonction de la portion journalière recommandée par le fabricant.

4.      Les quantités maximales et minimales de vitamines et de minéraux mentionnées aux paragraphes 1, 2 et 3 sont arrêtées selon la procédure visée à l’article 13, paragraphe 2. »

6        L’article 11 de la directive 2002/46 énonce :

« 1.      Sans préjudice de l’article 4, paragraphe 7, les États membres ne peuvent interdire ou entraver le commerce des produits visés à l’article 1er qui sont conformes à la présente directive et, le cas échéant, aux actes communautaires arrêtés pour sa mise en œuvre pour des motifs liés à la composition, aux caractéristiques de fabrication, de présentation ou à l’étiquetage de ces produits.

2.      Sans préjudice du traité CE, et notamment de ses articles 28 et 30, le paragraphe 1 n’affecte pas les dispositions nationales qui sont applicables en l’absence d’actes communautaires arrêtés au titre de la présente directive. »

7        Les annexes I et II de la directive 2002/46 énumèrent, respectivement, les « [v]itamines et minéraux pouvant être utilisés pour la fabrication de compléments alimentaires » et les « [s]ubstances vitaminiques et minérales pouvant être utilisées pour la fabrication de compléments alimentaires ».

 Le droit français

8        En vertu de l’article 5 du décret n° 2006-352, du 20 mars 2006, relatif aux compléments alimentaires (JORF du 25 mars 2006, p. 4543), qui vise à transposer la directive 2002/46 en droit français, les vitamines et les minéraux ne peuvent être employés dans la fabrication des compléments alimentaires que dans les conditions fixées par arrêté des ministres chargés de la consommation, de l’agriculture et de la santé.

9        L’article 16 de ce décret prévoit une procédure à laquelle est subordonnée la première mise sur le marché français d’un complément alimentaire contenant une substance à but nutritionnel ou physiologique, une plante ou une préparation de plante, ne figurant pas dans les arrêtés prévus aux articles 6 et 7 dudit décret, mais légalement fabriqué ou commercialisé dans un autre État membre de l’Union européenne ou dans un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3).

10      Adopté en application de l’article 5 du décret n° 2006-352, du 20 mars 2006, l’arrêté interministériel du 9 mai 2006 relatif aux nutriments pouvant être employés dans la fabrication des compléments alimentaires (JORF du 28 mai 2006, p. 7977, ci-après l’« arrêté du 9 mai 2006 »), fixe, notamment, une liste des vitamines et des minéraux pouvant être utilisés pour la fabrication de compléments alimentaires ainsi que les doses journalières maximales ne devant pas être dépassées dans le cadre de cette utilisation.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

11      Noria Distribution est une société française qui commercialise des compléments alimentaires dans l’Union.

12      Cette société est poursuivie pour avoir, du 1er septembre 2007 au 1er octobre 2008, détenu, exposé, mis en vente ou vendu des compléments alimentaires non autorisés en France, qu’elle savait être falsifiés, corrompus ou toxiques, dans la mesure où ils n’étaient pas conformes à la réglementation en vigueur, ainsi que d’avoir trompé ou tenté de tromper ses cocontractants sur les risques inhérents à l’utilisation de ces compléments alimentaires et sur les qualités substantielles de ceux-ci, dans la mesure où ils dépassaient les doses journalières maximales de vitamines et de minéraux pouvant être utilisés pour la fabrication de tels compléments alimentaires, fixées par l’arrêté du 9 mai 2006.

13      Selon la décision de renvoi, Noria Distribution ne conteste pas la matérialité des faits qui lui sont reprochés. Toutefois, elle soutient que l’arrêté du 9 mai 2006, qui a servi de fondement à la procédure pénale dont elle fait l’objet, n’est pas conforme au droit de l’Union.

14      C’est dans ces conditions que le tribunal de grande instance de Perpignan (France) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La directive 2002/46 et [les] principes communautaires de libre circulation des marchandises [et] de reconnaissance mutuelle [s’opposent-ils] à la mise en place d’un texte national, tel que l’arrêté du 9 mai 2006, qui refuse toute procédure de reconnaissance mutuelle en ce qui concerne les compléments alimentaires à base de vitamines et de minéraux provenant d’un autre État membre en excluant la mise en œuvre d’une procédure allégée pour les produits légalement commercialisés dans un autre État membre à base de nutriments [dont les valeurs dépassent les limites fixées] par l’arrêté du 9 mai 2006 ?

2)      La directive 2002/46, notamment [à] son article 5, mais également les principes issus de la jurisprudence communautaire sur les dispositions relatives à la libre circulation de marchandises permettent-ils de fixer les doses journalières maximales en vitamines et [en] minéraux de manière proportionnelle aux apports journaliers recommandés en retenant une valeur égale à trois fois les apports journaliers recommandés pour les nutriments présentant le moins de risques, une valeur égale aux apports journaliers recommandés pour les nutriments présentant un risque de dépassement de la limite supérieure de sécurité, et une valeur inférieure aux apports journaliers recommandés voire [nulle] pour les nutriments comportant le plus de risques ?

3)      La directive 2002/46 mais également les principes issus de la jurisprudence communautaire sur les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises permettent-ils de fixer les dosages [au] regard des seuls avis scientifiques nationaux alors même que des avis scientifiques récents et internationaux [concluent à] des dosages supérieurs dans des conditions d’utilisation identique ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

15      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions de la directive 2002/46 et celles du traité FUE relatives à la libre circulation des marchandises doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui ne prévoit pas de procédure relative à la mise sur le marché de cet État membre de compléments alimentaires dont la teneur en nutriments excède les doses journalières maximales fixées par cette réglementation et qui sont légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre.

16      À titre liminaire, il convient de rappeler que, tant que la Commission n’a pas, conformément à l’article 5, paragraphe 4, de la directive 2002/46, arrêté les quantités maximales de nutriments pouvant être utilisées pour la fabrication de compléments alimentaires, les États membres demeurent compétents pour adopter une réglementation relative à ces quantités, étant entendu que, dans l’exercice de cette compétence, ceux-ci sont tenus de respecter les articles 34 et 36 TFUE ainsi que de s’inspirer des éléments figurant à l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 2002/46, y compris l’exigence d’une évaluation des risques fondée sur des données scientifiques généralement admises (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2010, Solgar Vitamin’s France e.a., C‑446/08, EU:C:2010:233, points 24 ainsi que 32).

17      À cet égard, il convient de rappeler que la libre circulation des marchandises entre les États membres est un principe fondamental du traité FUE qui trouve son expression dans l’interdiction, énoncée à l’article 34 TFUE, des restrictions quantitatives à l’importation entre les États membres ainsi que de toutes mesures d’effet équivalent (voir arrêts du 2 décembre 2004, Commission/Pays-Bas, C‑41/02, EU:C:2004:762, point 38, et du 28 janvier 2010, Commission/France, C‑333/08, EU:C:2010:44, point 73).

18      L’interdiction des mesures d’effet équivalent à des restrictions édictée à l’article 34 TFUE vise toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce à l’intérieur de l’Union (voir, notamment, arrêts du 11 juillet 1974, Dassonville, 8/74, EU:C:1974:82, point 74 ; du 5 mars 2009, Commission/Espagne, C‑88/07, EU:C:2009:123, point 82, et du 28 janvier 2010, Commission/France, C‑333/08, EU:C:2010:44, point 74).

19      Or, la réglementation en cause au principal crée une entrave aux échanges à l’intérieur de l’Union, puisqu’un complément alimentaire dont la teneur en nutriments excède les limites maximales fixées par cette réglementation ne peut pas être commercialisé en France, même si celui-ci est légalement fabriqué ou commercialisé dans un autre État membre.

20      Ladite réglementation constitue donc une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative au sens de l’article 34 TFUE.

21      Selon la jurisprudence de la Cour, une réglementation d’un État membre qui interdit la commercialisation, dans cet État, de denrées alimentaires dont la teneur en nutriments excède les quantités maximales fixées par cette réglementation, denrées légalement fabriquées et/ou commercialisées dans un autre État membre, peut, en tant que mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative au sens de l’article 34 TFUE, être justifiée pour autant qu’elle est conforme aux exigences de l’article 36 TFUE, tel qu’interprété par la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 5 février 2004, Greenham et Abel, C‑95/01, EU:C:2004:71, point 34).

22      D’une part, une telle réglementation doit être assortie d’une procédure permettant aux opérateurs économiques d’obtenir l’autorisation de commercialiser des compléments alimentaires comprenant des nutriments à des doses supérieures à celles autorisées. Cette procédure doit être aisément accessible, doit pouvoir être menée à terme dans des délais raisonnables et, si elle débouche sur un refus, la décision de refus doit pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel (voir, en ce sens, arrêts du 5 février 2004, Commission/France, C‑24/00, EU:C:2004:70, point 26 ; du 5 février 2004, Greenham et Abel, C‑95/01, EU:C:2004:71, point 35, ainsi que du 28 janvier 2010, Commission/France, C‑333/08, EU:C:2010:44, point 81).

23      D’autre part, une demande visant à obtenir l’autorisation de commercialiser lesdits compléments ne peut être rejetée par les autorités nationales compétentes que si ces compléments présentent un risque réel pour la santé publique (voir, en ce sens, arrêts du 5 février 2004, Commission/France, C‑24/00, EU:C:2004:70, point 27 ; du 5 février 2004, Greenham et Abel, C‑95/01, EU:C:2004:71, point 36, ainsi que du 28 janvier 2010, Commission/France, C‑333/08, EU:C:2010:44, point 82).

24      En l’occurrence, la première question posée par la juridiction de renvoi se rapporte exclusivement au respect de l’exigence énoncée au point 22 du présent arrêt et non de celle visée au point précédent, dont l’examen s’inscrit dans le cadre de la question de savoir si une mesure d’interdiction de commercialisation, telle que celle prévue par la réglementation en cause au principal, est ou non fondée sur une évaluation scientifique approfondie du risque réel pour la santé publique allégué par l’État membre qui invoque l’article 36 TFUE.

25      S’agissant de l’exigence énoncée au point 22 du présent arrêt, force est de constater que, si la réglementation en cause au principal prévoit une procédure relative à la mise sur le marché français de certains compléments alimentaires non autorisés en vertu de cette réglementation, mais légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre, il est constant que cette procédure n’est, toutefois, pas applicable aux compléments alimentaires, tels que ceux en cause au principal, dont la teneur en nutriments excède les quantités maximales fixées par ladite réglementation et qui sont légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre.

26      Or, l’existence d’une procédure satisfaisant aux conditions énoncées au point 22 du présent arrêt constitue l’une des exigences auxquelles est subordonnée la justification, au titre de l’article 36 TFUE, d’une réglementation telle que celle en cause au principal.

27      Par conséquent, dans la mesure où la réglementation en cause au principal interdit la commercialisation des compléments alimentaires dont la teneur en nutriments excède les limites maximales fixées par cette réglementation sans prévoir la moindre procédure pour la mise sur le marché de ce type de compléments alimentaires, et cela même si ceux-ci sont légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre, ladite réglementation n’est pas conforme à l’exigence visée au point 22 du présent arrêt et ne saurait, dès lors, être justifiée au titre de l’article 36 TFUE.

28      Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la première question que les dispositions de la directive 2002/46 et celles du traité FUE relatives à la libre circulation des marchandises doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui ne prévoit pas de procédure relative à la mise sur le marché de cet État membre de compléments alimentaires dont la teneur en nutriments excède les doses journalières maximales fixées par cette réglementation et qui sont légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre.

 Sur la deuxième question

29      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions de la directive 2002/46, en particulier l’article 5 de celle-ci, ainsi que celles du traité FUE relatives à la libre circulation des marchandises doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce que les quantités maximales visées à cet article 5 soient fixées de manière proportionnelle aux apports journaliers recommandés en retenant une valeur égale à trois fois ces apports pour les nutriments présentant le moins de risques, une valeur égale auxdits apports pour les nutriments présentant un risque de dépassement de la limite supérieure de sécurité, et une valeur inférieure à ces mêmes apports, voire nulle, pour les nutriments comportant le plus de risques.

30      La juridiction de renvoi évoque l’hypothèse selon laquelle lesdites quantités ont pu être fixées « en fonction de critères nutritionnels comme éléments de justification de mesures restrictives à la libre circulation des marchandises » et « en l’absence de limite de sécurité établie par expertise de manière scientifique ».

31      À cet égard, il convient de rappeler que, outre qu’elle doit être effectuée dans le respect des articles 34 et 36 TFUE, la fixation de quantités maximales de vitamines et de minéraux pouvant être utilisées pour la fabrication de compléments alimentaires doit être fondée sur les éléments figurant à l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 2002/46 (voir arrêt du 29 avril 2010, Solgar Vitamin’s France e.a., C‑446/08, EU:C:2010:233, points 32 ainsi que 63).

32      Selon cet article 5, paragraphe 1, sous a), lesdites quantités sont fixées en fonction de la portion journalière recommandée par le fabricant en tenant compte des limites supérieures de sécurité établies pour les vitamines et les minéraux après une évaluation scientifique des risques fondée sur des données scientifiques généralement admises, compte tenu, le cas échéant, de la différence des niveaux de sensibilité de différents groupes de consommateurs (voir arrêt du 29 avril 2010, Solgar Vitamin’s France e.a., C‑446/08, EU:C:2010:233, point 64).

33      Il en résulte que la fixation des quantités maximales visées à l’article 5 de la directive 2002/46 doit notamment reposer sur la prise en compte des limites supérieures de sécurité établies, pour les vitamines et les minéraux en cause, à la suite d’une évaluation scientifique des risques pour la santé des personnes fondée sur des données scientifiques pertinentes et non sur des considérations purement hypothétiques (voir arrêt du 29 avril 2010, Solgar Vitamin’s France e.a., C‑446/08, EU:C:2010:233, point 65).

34      Ainsi, la fixation de quantités maximales de vitamines et de minéraux pouvant être utilisées pour la fabrication de compléments alimentaires lorsque, en l’absence de danger avéré pour la santé des personnes, des limites supérieures de sécurité n’ont pas été établies pour ces nutriments après une telle évaluation scientifique ne répond pas à cette exigence (voir arrêt du 29 avril 2010, Solgar Vitamin’s France e.a., C‑446/08, EU:C:2010:233, point 66).

35      Après que des limites supérieures de sécurité ont été établies, la possibilité de fixer de telles quantités maximales à un niveau sensiblement inférieur à celui de ces limites ne saurait être exclue dès lors que la fixation de ces quantités maximales peut être justifiée par la prise en compte des éléments figurant à l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 2002/46 et qu’elle est conforme au principe de proportionnalité (voir arrêt du 29 avril 2010, Solgar Vitamin’s France e.a., C‑446/08, EU:C:2010:233, point 71).

36      Ainsi, conformément audit article 5, paragraphes 1, sous b), et 2, lors de la fixation desdites quantités, il doit, outre ces limites, être également tenu compte des apports en vitamines et en minéraux provenant d’autres sources alimentaires ainsi que des apports de référence en vitamines et en minéraux pour la population.

37      Par ailleurs, les appréciations conduisant à la fixation de quantités maximales de nutriments pouvant être utilisées pour la fabrication de compléments alimentaires doivent être effectuées au cas par cas (voir, en ce sens, arrêts du 23 septembre 2003, Commission/Danemark, C‑192/01, EU:C:2003:492, point 46 ; du 5 février 2004, Greenham et Abel, C‑95/01, EU:C:2004:71, point 40 ; du 5 février 2004, Commission/France, C‑24/00, EU:C:2004:70, point 53 ; du 2 décembre 2004, Commission/Pays-Bas, C‑41/02, EU:C:2004:762, point 47, ainsi que du 29 avril 2010, Solgar Vitamin’s France e.a., C‑446/08, EU:C:2010:233, points 55 et 72).

38      Enfin, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, si le critère du besoin nutritionnel de la population d’un État membre peut jouer un rôle lors de l’évaluation approfondie effectuée par ce dernier du risque que l’adjonction d’éléments nutritifs aux denrées alimentaires peut présenter pour la santé publique, l’absence d’un tel besoin ne saurait, à elle seule, justifier une interdiction totale, sur le fondement de l’article 36 TFUE, de la commercialisation des denrées alimentaires légalement fabriquées et/ou commercialisées dans d’autres États membres (voir arrêts du 5 février 2004, Greenham et Abel, C‑95/01, EU:C:2004:71, point 46 ; du 2 décembre 2004, Commission/Pays-Bas, C‑41/02, EU:C:2004:762, point 69, ainsi que du 29 avril 2010, Solgar Vitamin’s France e.a., C‑446/08, EU:C:2010:233, point 60).

39      Il résulte notamment des considérations qui précèdent que les quantités maximales visées à l’article 5 de la directive 2002/46 doivent être fixées au cas par cas, sur le fondement de l’ensemble des éléments figurant à cet article 5, paragraphes 1 et 2, en particulier des limites supérieures de sécurité établies, pour les nutriments concernés, après une évaluation scientifique approfondie des risques pour la santé publique, fondée non pas sur des considérations générales ou hypothétiques, mais sur des données scientifiques pertinentes.

40      Ainsi, une méthode qui consisterait à fixer ces quantités sans tenir compte de l’ensemble desdits éléments, sur le seul fondement des besoins nutritionnels de la population concernée, ou encore sans que cette fixation soit effectuée au cas par cas, ne serait pas conforme audit article 5 et aux dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des marchandises.

41      C’est à la juridiction de renvoi qu’il incombe d’apprécier si tel est le cas de la méthode de fixation desdites quantités en cause au principal.

42      Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la deuxième question que les dispositions de la directive 2002/46 et celles du traité FUE relatives à la libre circulation des marchandises doivent être interprétées en ce sens que les quantités maximales visées à l’article 5 de cette directive doivent être fixées au cas par cas et compte tenu de l’ensemble des éléments figurant à cet article 5, paragraphes 1 et 2, en particulier des limites supérieures de sécurité établies, pour les nutriments concernés, après une évaluation scientifique approfondie des risques pour la santé publique, fondée non pas sur des considérations générales ou hypothétiques, mais sur des données scientifiques pertinentes. Il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier si la méthode de fixation desdites quantités en cause au principal satisfait à ces exigences.

 Sur la troisième question

43      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions de la directive 2002/46 et celles du traité FUE relatives à la libre circulation des marchandises doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce que l’évaluation scientifique des risques visée à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de cette directive, devant précéder l’établissement des limites supérieures de sécurité dont il doit notamment être tenu compte pour fixer les quantités maximales visées à cet article 5, soit effectuée seulement sur le fondement d’avis scientifiques nationaux, alors même que des avis scientifiques internationaux récents concluant à la possibilité de fixer des limites plus élevées sont également disponibles à la date de l’adoption de la mesure concernée.

44      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à cet article 5, paragraphe 1, sous a), la fixation desdites quantités maximales doit notamment reposer sur la prise en compte des limites supérieures de sécurité établies pour les vitamines et les minéraux après une évaluation scientifique des risques fondée sur des « données scientifiques généralement admises ».

45      Il ne saurait donc être déduit de ce libellé que cette évaluation peut être effectuée sur le seul fondement de données scientifiques nationales, dès lors que des données scientifiques internationales sont également disponibles.

46      S’il ne peut être exclu que, en l’absence de données scientifiques internationales fiables, une telle évaluation soit effectuée seulement sur le fondement d’avis scientifiques nationaux plus fiables, tel ne saurait, en revanche, être le cas lorsque que de telles données sont disponibles.

47      En effet, en exigeant que ladite évaluation soit fondée sur des « données scientifiques généralement admises », l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2002/46 vise à ce que cette évaluation soit réalisée sur la base de données scientifiques fiables, indépendamment du caractère national ou international de celles-ci.

48      Par ailleurs, l’évaluation visée à cette disposition est soumise aux mêmes exigences que celles résultant de la jurisprudence de la Cour lorsqu’il s’agit de l’existence d’un risque réel pour la santé publique, allégué par un État membre pour justifier une mesure d’interdiction de commercialisation d’un complément alimentaire au titre de l’article 36 TFUE. À cet égard, la Cour a notamment jugé que l’existence d’un tel risque doit être démontrée dans chaque cas d’espèce à la lumière des habitudes alimentaires nationales et compte tenu des résultats de la recherche scientifique internationale (voir arrêts du 23 septembre 2003, Commission/Danemark, C‑192/01, EU:C:2003:492, point 46 ; du 5 février 2004, Commission/France, C‑24/00, EU:C:2004:70, point 53, ainsi que du 29 avril 2010, Solgar Vitamin’s France e.a., C‑446/08, EU:C:2010:233, point 55).

49      Dans ce contexte, la Cour a également jugé, d’une part, qu’une telle mesure ne saurait être adoptée que si le risque réel allégué pour la santé publique apparaît comme suffisamment établi sur la base des données scientifiques les plus récentes qui sont disponibles à la date de l’adoption de cette mesure (voir arrêts du 23 septembre 2003, Commission/Danemark, C‑192/01, EU:C:2003:492, point 48 ; du 5 février 2004, Commission/France, C‑24/00, EU:C:2004:70, point 55 ; du 2 décembre 2004, Commission/Pays-Bas, C‑41/02, EU:C:2004:762, point 49, et du 28 janvier 2010, Commission/France, C‑333/08, EU:C:2010:44, point 89), et, d’autre part, que l’évaluation de ce risque doit être effectuée à partir des données scientifiques disponibles les plus fiables et des résultats les plus récents de la recherche internationale (voir arrêt du 5 février 2004, Greenham et Abel, C‑95/01, EU:C:2004:71, point 47).

50      Dès lors, si des données scientifiques internationales fiables et récentes sont disponibles à la date à laquelle est effectuée l’évaluation scientifique des risques prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2002/46, il ne saurait être procédé à cette évaluation en faisant abstraction de ces données.

51      Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la troisième question que les dispositions de la directive 2002/46 et celles du traité FUE relatives à la libre circulation des marchandises doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce que l’évaluation scientifique des risques visée à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de cette directive, devant précéder l’établissement des limites supérieures de sécurité dont il doit notamment être tenu compte pour fixer les quantités maximales visées à cet article 5, soit effectuée uniquement sur le fondement d’avis scientifiques nationaux, dès lors que des avis scientifiques internationaux fiables et récents concluant à la possibilité de fixer des limites plus élevées sont également disponibles à la date de l’adoption de la mesure concernée.

 Sur les dépens

52      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1)      Les dispositions de la directive 2002/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 juin 2002, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les compléments alimentaires, et celles du traité FUE relatives à la libre circulation des marchandises doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui ne prévoit pas de procédure relative à la mise sur le marché de cet État membre de compléments alimentaires dont la teneur en nutriments excède les doses journalières maximales fixées par cette réglementation et qui sont légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre.

2)      Les dispositions de la directive 2002/46 et celles du traité FUE relatives à la libre circulation des marchandises doivent être interprétées en ce sens que les quantités maximales visées à l’article 5 de cette directive doivent être fixées au cas par cas et compte tenu de l’ensemble des éléments figurant à cet article 5, paragraphes 1 et 2, en particulier des limites supérieures de sécurité établies, pour les nutriments concernés, après une évaluation scientifique approfondie des risques pour la santé publique, fondée non pas sur des considérations générales ou hypothétiques, mais sur des données scientifiques pertinentes. Il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier si la méthode de fixation desdites quantités en cause au principal satisfait à ces exigences.

3)      Les dispositions de la directive 2002/46 et celles du traité FUE relatives à la libre circulation des marchandises doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce que l’évaluation scientifique des risques visée à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de cette directive, devant précéder l’établissement des limites supérieures de sécurité dont il doit notamment être tenu compte pour fixer les quantités maximales visées à cet article 5, soit effectuée uniquement sur le fondement d’avis scientifiques nationaux, dès lors que des avis scientifiques internationaux fiables et récents concluant à la possibilité de fixer des limites plus élevées sont également disponibles à la date de l’adoption de la mesure concernée.


Silva de Lapuerta

Regan

Bonichot

Fernlund

 

      Rodin

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 avril 2017.

Le greffier

Le président de la Ière chambre

A. Calot Escobar

 

       R. Silva de Lapuerta



* Langue de procédure: le français.