Language of document : ECLI:EU:C:2021:48

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

21 janvier 2021 (*)

[Texte rectifié par ordonnance du 4 mars 2021]

« Pourvoi – Enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques – Règlement (CE) no 1907/2006 (REACH) – Articles 5 et 6 – Obligation générale d’enregistrement des substances chimiques – Articles 41 et 42 – Évaluation des dossiers d’enregistrement et contrôle de la conformité des informations communiquées par les déclarants – Déclaration de non-conformité – Acte susceptible de recours – Intérêt à agir – Qualité pour agir – Compétences respectives de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) et des autorités nationales – Obligation, pour l’ECHA, de contrôler la conformité des informations supplémentaires communiquées, à sa demande, par les déclarants – Pouvoir de l’ECHA d’adopter une décision appropriée à ce sujet – Article 1er – Objectif de protection de la santé humaine et de l’environnement – Articles 13 et 25 – Recours à des essais sur des animaux – Promotion de méthodes alternatives »

Dans l’affaire C‑471/18 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 18 juillet 2018,

République fédérale d’Allemagne, représentée initialement par MM. T. Henze et D. Klebs, puis par MM. D. Klebs et J. Möller, en qualité d’agents,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Esso Raffinage, établie à Courbevoie (France), représentée initialement par Me H. Estreicher, Rechtsanwalt, et par M. N. Navin-Jones, solicitor, puis Mes H. Estreicher, Rechtsanwalt, A. Kołtunowska, adwokat, et K. Merten-Lentz, avocate, ainsi que par M. N. Navin-Jones, solicitor, et enfin par Mes H. Estreicher, Rechtsanwalt, A. Kołtunowska, adwokat, et K. Merten-Lentz, avocate,

partie demanderesse en première instance,

Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par MM. W. Broere et C. Jacquet ainsi que par Mme M. Heikkilä, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

République française, représentée initialement par MM. D. Colas et J. Traband ainsi que par Mme A.-L. Desjonquères, puis par MM. E. Leclerc, J. Traband et W. Zemamta ainsi que par Mme A.-L. Desjonquères, en qualité d’agents,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes M. K. Bulterman et M. L. Noort, en qualité d’agents,

parties intervenantes en première instance,

[tel que rectifié par ordonnance du 4 mars 2021] European Coalition to End Animal Experiments, établie à Londres (Royaume-Uni), représentée par M. D Thomas, solicitor,

Higher Olefins and Poly Alpha Olefins REACH Consortium, établi à Bruxelles (Belgique),

Higher Olefins & Poly Alpha Olefins vzw, établie à Bruxelles, représentés initialement par Me E. Vermulst, advocaat, puis par Me P. Kugel, advocaat,

parties intervenantes,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal (rapporteure), présidente de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la troisième chambre, MM. N. Wahl, F. Biltgen et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 24 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, la République fédérale d’Allemagne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 8 mai 2018, Esso Raffinage/ECHA (T‑283/15, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:263), par lequel celui-ci a annulé la lettre de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), du 1er avril 2015, adressée au ministère de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement (France) et intitulée « Déclaration de non-conformité faisant suite à une décision d’évaluation des dossiers au titre du règlement (CE) no 1907/2006 » (ci-après la « lettre litigieuse »).

 Le cadre juridique

2        Les considérants 15, 18 à 20, 44, 47, 66, 121 et 122 du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, et rectificatif JO 2007, L 136, p. 3), tel que modifié par le règlement (CE) no 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008 (JO 2008, L 353, p. 1) (ci-après le « règlement REACH »), énoncent :

« (15)      Il est nécessaire d’assurer une gestion efficace des aspects techniques, scientifiques et administratifs du présent règlement au niveau [de l’Union européenne]. Il convient, dès lors, de créer une entité centrale chargée d’assurer cette fonction. Une étude de faisabilité portant sur les besoins en ressources d’une entité centrale a conclu qu’une entité centrale indépendante présentait un certain nombre d’avantages à long terme par rapport à d’autres options. Une agence européenne des produits chimiques (ci-après dénommée l’“[ECHA]”) devrait, dès lors, être instituée.

[...]

(18)      La responsabilité de la gestion des risques liés aux substances devrait être supportée par les personnes physiques ou morales qui fabriquent, importent, mettent sur le marché ou utilisent ces substances. [...]

(19)      Par conséquent, les dispositions relatives à l’enregistrement devraient faire obligation aux fabricants et aux importateurs de produire des données sur les substances qu’ils fabriquent ou importent, d’utiliser ces données pour évaluer les risques liés à ces substances, ainsi que de développer et de recommander des mesures appropriées de gestion des risques. Pour garantir qu’ils remplissent effectivement ces obligations, et pour des raisons de transparence, les opérateurs qui demandent un enregistrement devraient présenter à l’[ECHA] un dossier contenant l’ensemble des informations précitées. [...]

(20)      Les dispositions relatives à l’évaluation devraient prévoir un suivi de l’enregistrement en autorisant la réalisation de contrôles pour vérifier la conformité des enregistrements aux prescriptions du présent règlement et en permettant si nécessaire aux opérateurs de produire des informations supplémentaires sur les propriétés des substances. Si l’[ECHA], en coopération avec les États membres, estime qu’il y a lieu de penser qu’une substance constitue un risque pour la santé humaine ou l’environnement, elle devrait, après avoir inscrit la substance dans le plan d’action continu [de l’Union] d’évaluation des substances, veiller à ce que cette substance soit évaluée, en s’en remettant aux autorités compétentes des États membres.

[...]

(44)      L’harmonisation et la simplicité du système exigent que tous les enregistrements soient soumis à l’[ECHA]. Pour garantir une approche cohérente et une utilisation efficace des ressources, l’[ECHA] devrait soumettre chaque enregistrement à un contrôle du caractère complet et assumer la responsabilité de tout rejet définitif d’un enregistrement.

[...]

(47)      Conformément à la directive 86/609/CEE [du Conseil, du 24 novembre 1986, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la protection des animaux utilisés à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques (JO 1986, L 358, p. 1)], il est nécessaire de remplacer, de réduire ou d’affiner les essais sur les animaux vertébrés. La mise en œuvre du présent règlement devrait chaque fois que possible reposer sur le recours à des méthodes d’essai de remplacement adaptées à l’évaluation des dangers présentés par les substances chimiques pour la santé et pour l’environnement. Il convient d’éviter l’utilisation d’animaux en recourant à d’autres méthodes validées par la Commission [européenne] ou par des organismes internationaux ou reconnues par la Commission ou par l’[ECHA] comme étant de nature à satisfaire aux exigences d’information prévues par le présent règlement. [...]

[...]

(66)      L’[ECHA] devrait également être habilitée à réclamer aux fabricants, aux importateurs ou aux utilisateurs en aval des informations supplémentaires sur les substances suspectées de présenter un risque pour la santé ou l’environnement, [...] sur la base des évaluations réalisées. Il convient, en se fondant sur les critères établis par l’[ECHA] en coopération avec les États membres pour la détermination des substances prioritaires, d’établir un plan d’action continu [de l’Union] pour l’évaluation des substances, en s’en remettant aux autorités compétentes des États membres pour évaluer les substances qu’il comprend. [...]

[...]

(121)      Afin d’assurer le respect du présent règlement, les États membres devraient mettre en place des mesures efficaces de suivi et de contrôle. Les inspections nécessaires devraient être programmées et réalisées, et leurs résultats devraient être consignés dans des rapports.

(122)      Pour que la transparence, l’impartialité et la cohérence du niveau des mesures d’exécution des États membres soient assurées, il est nécessaire que les États membres mettent en place un système de sanctions approprié en vue d’imposer des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives aux opérateurs qui ne respectent pas le présent règlement, car toute violation de celui-ci peut avoir des effets nocifs pour la santé humaine et l’environnement. »

3        L’article 1er du règlement REACH, intitulé « Objet et champ d’application », énonce, à son paragraphe 1 :

« Le présent règlement vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris la promotion de méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances, ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation. »

4        Le titre II du règlement REACH, intitulé « Enregistrement des substances », contient notamment les articles 5, 6, 13, 20 et 22 de celui-ci.

5        Aux termes de l’article 5 de ce règlement, intitulé « Pas de données, pas de marché » :

« Sous réserve des articles 6, 7, 21 et 23, des substances telles quelles ou contenues dans des mélanges ou des articles ne sont pas fabriquées dans [l’Union] ou mises sur le marché si elles n’ont pas été enregistrées conformément aux dispositions pertinentes du présent titre, lorsque cela est exigé. »

6        L’article 6 dudit règlement, intitulé « Obligation générale d’enregistrement de substances telles quelles ou contenues dans des mélanges », énonce, à son paragraphe 1 :

« Sauf disposition contraire du présent règlement, tout fabricant ou importateur d’une substance, telle quelle ou contenue dans un ou plusieurs mélange(s), en quantités de 1 tonne ou plus par an, soumet une demande d’enregistrement à l’[ECHA]. »

7        L’article 13 du même règlement, intitulé « Obligations générales relatives à la production d’informations sur les propriétés intrinsèques des substances », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Des informations sur les propriétés intrinsèques des substances peuvent être produites par d’autres moyens que des essais pour autant que les conditions énoncées à l’annexe XI soient respectées. En ce qui concerne la toxicité pour l’espèce humaine en particulier, les informations sont produites autant que possible par d’autres moyens que des essais sur des animaux vertébrés, par le recours à des méthodes alternatives, par exemple les méthodes in vitro ou par des modèles de relations qualitatives ou quantitatives structure-activité ou par l’exploitation de données sur des substances structurellement proches (regroupement ou références croisées). [...] »

8        En vertu de l’article 20 du règlement REACH, intitulé « Missions de l’[ECHA] » :

« 1.      L’[ECHA] attribue à chaque enregistrement un numéro de soumission [...]

2.      L’[ECHA] procède à un contrôle du caractère complet de chaque enregistrement pour vérifier que tous les éléments prescrits [...] ont été fournis. Ce contrôle du caractère complet n’inclut pas d’évaluation de la qualité ou du caractère approprié des données ou des justifications soumises.

[...]

Si l’enregistrement n’est pas complet, l’[ECHA] fait savoir au déclarant [...] quelles sont les autres informations à fournir pour que l’enregistrement soit complet et lui fixe un délai raisonnable à cet effet. Le déclarant complète son enregistrement et le soumet à l’[ECHA] dans le délai fixé. L’[ECHA] [...] procède à un nouveau contrôle du caractère complet en tenant compte des informations supplémentaires transmises.

L’[ECHA] refuse l’enregistrement si le déclarant ne le complète pas dans le délai fixé. [...]

3.      Une fois que l’enregistrement est complet, l’[ECHA] attribue un numéro d’enregistrement à la substance concernée [...]

[...]

5.      Les décisions prises par l’[ECHA] au titre du paragraphe 2 du présent article peuvent faire l’objet de recours conformément aux dispositions des articles 91, 92 et 93.

[...] »

9        L’article 22 du règlement REACH, intitulé « Autres obligations des déclarants », dispose, à ses paragraphes 2 et 3 :

« 2.      Un déclarant soumet à l’[ECHA] une mise à jour de l’enregistrement contenant les informations demandées dans la décision prise conformément aux articles 40, 41 ou 46 [...]

3.      L’[ECHA] procède à un contrôle du caractère complet conformément à l’article 20, paragraphe 2, premier et second alinéas, de chaque enregistrement mis à jour. [...] »

10      Le titre III du règlement REACH, intitulé « Échange des données et prévention des essais inutiles », s’ouvre sur l’article 25, intitulé « Objectifs et règles générales », dont le paragraphe 1 énonce :

« Afin d’éviter les essais sur les animaux, les essais sur des animaux vertébrés réalisés aux fins du présent règlement ne sont effectués que s’il n’existe aucune autre solution. [...] »

11      Le titre VI du règlement REACH, intitulé « Évaluation », contient quatre chapitres. Les chapitres 1, 2 et 4, intitulés « Évaluation des dossiers », « Évaluation des substances » et « Dispositions communes », comprennent, respectivement, les articles 40 à 43, 44 à 48 et 50 à 54 de ce règlement.

12      L’article 41 du règlement REACH, intitulé « Contrôle de la conformité des enregistrements », prévoit :

« 1.      L’[ECHA] peut examiner tout enregistrement pour contrôler si les conditions suivantes sont remplies :

a)      les informations contenues dans le ou les dossiers techniques [...] sont conformes aux prescriptions des articles 10, 12 et 13 et aux annexes III et VI à X ;

b)      les adaptations des exigences en matière d’informations standard et leurs justifications soumises dans le ou les dossiers techniques sont conformes aux règles gouvernant les adaptations, énoncées aux annexes VII à X, ainsi qu’aux règles générales énoncées à l’annexe XI ;

[...]

3.      Sur la base d’un examen effectué conformément au paragraphe 1, l’[ECHA] peut, dans les douze mois suivant le début du contrôle de conformité, rédiger un projet de décision invitant le ou les déclarants à communiquer toute information nécessaire pour mettre l’enregistrement ou les enregistrements en conformité avec les exigences pertinentes en matière d’informations et précisant les délais appropriés pour la présentation d’informations complémentaires. Cette décision est arrêtée conformément à la procédure prévue aux articles 50 et 51.

4.      Le déclarant communique les informations exigées à l’[ECHA] dans le délai fixé.

5.      Afin de garantir que les dossiers d’enregistrement sont conformes au[x dispositions du] présent règlement, l’[ECHA] sélectionne au moins 5 % du total des dossiers qu’elle a reçus [...] en vue de contrôler leur conformité. [...]

[...] »

13      L’article 42 de ce règlement, intitulé « Contrôle des informations communiquées et suivi de l’évaluation des dossiers », énonce :

« 1.      L’[ECHA] examine toute information communiquée à la suite d’une décision arrêtée en application des articles 40 ou 41 et prépare, le cas échéant, toute décision appropriée conformément auxdits articles.

2.      Dès que l’évaluation du dossier est menée à bien, l’[ECHA] notifie à la Commission et aux autorités compétentes des États membres les informations obtenues et toute conclusion tirée. [...] »

14      L’article 45 dudit règlement, intitulé « Autorité compétente », est libellé comme suit :

« 1.      L’[ECHA] est chargée de coordonner le processus d’évaluation des substances et de veiller à ce que les substances figurant dans le plan d’action continu [de l’Union] soient évaluées. À cet égard, l’[ECHA] s’en remet aux autorités compétentes des États membres. Lors de l’évaluation d’une substance, les autorités compétentes peuvent désigner un autre organisme pour agir en leur nom.

2.      Un État membre peut choisir une substance ou des substances dans le projet de plan d’action continu [de l’Union] en vue de devenir l’autorité compétente [...]

3.      Dans le cas où deux États membres ou plus ont manifesté un intérêt pour l’évaluation de la même substance et où ils ne peuvent pas se mettre d’accord sur le choix de l’autorité compétente, l’autorité compétente [...] est déterminée selon la procédure suivante.

[...]

4.      L’autorité compétente désignée conformément aux paragraphes 2 et 3 évalue les substances attribuées en application du présent chapitre.

[...] »

15      L’article 50 du même règlement, intitulé « Droits des déclarants et des utilisateurs en aval », prévoit, à son paragraphe 1 :

« L’[ECHA] communique tout projet de décision établi en application des articles 40, 41 ou 46 au(x) déclarant(s) ou à l’utilisateur ou aux utilisateurs en aval concernés, en les informant de leur droit de présenter des observations dans les trente jours suivant la réception. Si le(s) déclarant(s) ou le ou les utilisateurs en aval concerné(s) souhaite(nt) présenter des observations, il(s) les communique(nt) à l’[ECHA]. Celle-ci informe à son tour immédiatement l’autorité compétente de la communication des observations. L’autorité compétente (pour les décisions prises en application de l’article 46) et l’[ECHA] (pour les décisions prises en application des articles 40 et 41) tiennent compte de toute observation reçue et peuvent modifier le projet de décision en conséquence. »

16      Selon l’article 51 du règlement REACH, intitulé « Adoption des décisions au titre de l’évaluation du dossier » :

« 1.      L’[ECHA] notifie son projet de décision, établi conformément aux articles 40 ou 41, ainsi que les observations présentées par le déclarant aux autorités compétentes des États membres.

2.      Dans les trente jours suivant la diffusion, les États membres peuvent proposer à l’[ECHA] des modifications du projet de décision.

3.      Si l’[ECHA] ne reçoit aucune proposition, elle arrête la décision dans la version notifiée conformément au paragraphe 1.

4.      Si l’[ECHA] reçoit une proposition de modification, elle peut modifier le projet de décision. L’[ECHA] renvoie un projet de décision, accompagné des éventuelles modifications proposées, au comité des États membres dans les quinze jours qui suivent la fin de la période de trente jours visée au paragraphe 2.

[...]

6.      Si, dans les soixante jours suivant le renvoi du projet de décision, le comité des États membres parvient à un accord unanime sur celui-ci, l’[ECHA] arrête sa décision en conséquence.

7.      Si le comité des États membres ne parvient pas à un accord unanime, la Commission prépare un projet de décision à arrêter [...].

8.      Les décisions de l’[ECHA] au titre des paragraphes 3 et 6 du présent article peuvent faire l’objet de recours conformément aux articles 91, 92 et 93. »

17      Le titre X du règlement REACH, intitulé « L’Agence », comprend notamment les articles 75 et 77 de celui-ci.

18      L’article 75 de ce règlement, intitulé « Institution et réexamen », énonce, à son premier alinéa, que l’ECHA est instituée « aux fins de la gestion et, dans certains cas, de la mise en œuvre des aspects techniques, scientifiques et administratifs [dudit] règlement, en vue d’en garantir la cohérence au niveau [de l’Union] ».

19      L’article 77 du même règlement, intitulé « Tâches », prévoit, à son paragraphe 1, que l’ECHA « fournit aux États membres et aux institutions de [l’Union] les meilleurs conseils scientifiques et/ou techniques possibles sur les questions relatives aux produits chimiques qui relèvent de sa compétence ».

20      Le règlement REACH institue, à son article 89, une chambre de recours auprès de l’ECHA, prévoit, à son article 91, que certaines catégories de décisions de l’ECHA peuvent faire l’objet d’un recours devant cette chambre de recours et énonce, à son article 94, que le Tribunal peut être saisi d’une contestation d’une décision de la chambre de recours ou, dans les cas où il n’existe pas de droit de recours auprès de cette chambre, d’une décision de l’ECHA.

21      Le titre XIV du règlement REACH, intitulé « Exécution », contient, notamment, les articles 125 et 126 de celui-ci.

22      Selon l’article 125 de ce règlement, intitulé « Tâches des États membres », les États membres « assurent un système de contrôles officiels et d’autres activités en fonction des circonstances ».

23      L’article 126 dudit règlement, intitulé « Sanctions en cas de non-respect du règlement », énonce, à ses deux premières phrases :

« Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions du présent règlement et prennent toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de celles-ci. Les sanctions ainsi prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. »

 Les antécédents du litige

24      Les antécédents du litige, tels que présentés aux points 1 à 19 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.

25      À une date non précisée par le Tribunal, Esso Raffinage (ci-après « Esso ») a soumis à l’ECHA une demande d’enregistrement portant sur une substance chimique qu’elle fabrique (ci-après la « substance chimique en cause »). L’enregistrement a ultérieurement été déclaré complet en vertu de l’article 20, paragraphe 3, du règlement REACH.

26      Le 9 juillet 2010, l’ECHA a commencé l’évaluation du dossier correspondant à cet enregistrement, en application de l’article 41, paragraphe 1, du règlement REACH, en vue de contrôler la conformité des informations figurant dans celui-ci avec les exigences prescrites par ce règlement.

27      Le 6 novembre 2012, l’ECHA a adopté, conformément à la procédure prévue aux articles 50 et 51 du règlement REACH, une décision fondée sur l’article 41, paragraphe 3, de ce règlement (ci-après la « décision du 6 novembre 2012 »), dans laquelle elle a conclu à la non-conformité d’une partie des informations figurant dans ce dossier d’enregistrement et demandé à Esso de lui communiquer, dans un délai d’un an, les informations nécessaires pour remédier à cette situation. Les informations demandées comprenaient notamment une « étude de la toxicité [de la substance chimique en cause] sur le développement prénatal des lapins, voie orale ».

28      Le 6 novembre 2013, Esso a communiqué à l’ECHA, à la place de l’étude de toxicité sollicitée par celle-ci, des documents contenant des données dont l’élaboration et la compilation n’avaient pas nécessité la réalisation d’essais sur des animaux. Cette société a expliqué que les données ainsi communiquées constituaient des informations alternatives à cette étude.

29      Le 1er avril 2015, l’ECHA a adressé la lettre litigieuse au ministère de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement, accompagnée d’un document intitulé « Annexe à la déclaration de non-conformité à la suite d’une décision d’évaluation du dossier au titre du règlement [REACH] ».

30      Cette lettre est rédigée comme suit :

« Conformément à l’article 41, paragraphe 3, du règlement [REACH], l’[ECHA] a effectué un contrôle de conformité concernant le dossier relatif à [la substance chimique en cause]. L’ECHA a rendu la décision [du 6 novembre 2012], annexée à la présente lettre, conformément à la procédure prévue aux articles 50 et 51 du règlement REACH.

Cette décision a fixé un délai pour [Esso] afin de soumettre à l’ECHA les informations demandées dans cette décision sous la forme d’une mise à jour du dossier jusqu’au 6 novembre 2013. Une version mise à jour du dossier a été transmise le 6 novembre 2013 [...]

L’ECHA a examiné les informations soumises dans le dossier mis à jour. En conclusion, le dossier d’enregistrement mis à jour ne contient pas l’ensemble des informations demandées dans la décision de l’ECHA. Une analyse spécifique des raisons de cette conclusion est jointe (annexe). [...]

Sur cette base, l’ECHA constate :

1.      [Esso] n’a pas satisfait aux obligations découlant de la [décision du 6 novembre 2012] ;

2.      le dossier d’enregistrement ne respecte pas l’article 5 du règlement REACH ;

3.      [Esso] viole l’article 41, paragraphe 4, du règlement REACH.

Le non-respect d’une décision de l’ECHA et du règlement REACH peut faire l’objet de mesures d’exécution forcée par les autorités des États membres, comme il est prévu à l’article 126 du règlement REACH.

Sur ce point, vous êtes donc priés de prendre les mesures d’exécution relevant de votre propre compétence pour mettre en œuvre la décision de l’ECHA.

[...]

L’ECHA attend votre réaction concernant les mesures nationales prises dans ce cas de non-conformité. »

31      Dans l’annexe à cette lettre, l’ECHA précisait qu’elle n’avait pas été convaincue par l’argument d’Esso selon lequel les éléments de preuve fournis par celle-ci le 6 novembre 2013 constituaient des informations alternatives satisfaisantes à l’étude de toxicité demandée dans la décision du 6 novembre 2012.

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

32      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 mai 2015, Esso a introduit un recours tendant à l’annulation de la lettre litigieuse.

33      Par actes déposés au greffe du Tribunal, respectivement, le 5 et le 24 novembre 2015, la République fédérale d’Allemagne et le Royaume des Pays-Bas, d’une part, et la République française, d’autre part, ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de l’ECHA, demandes auxquelles le président de la cinquième chambre du Tribunal a fait droit par ordonnances du 7 juin 2016.

34      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a annulé la lettre litigieuse.

35      Aux points 33 à 37 de cet arrêt, le Tribunal a, en premier lieu, estimé que la lettre litigieuse ne se présentait pas comme une décision pouvant être contestée devant la chambre de recours instituée à l’article 89 du règlement REACH. Cette juridiction en a déduit qu’elle était compétente pour connaître, en première instance, du recours en annulation introduit par Esso, conformément à l’article 94, paragraphe 1, de ce règlement.

36      Aux points 49 à 83 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, en deuxième lieu, considéré que la lettre litigieuse constituait un acte susceptible de recours, au sens de l’article 263, premier alinéa, TFUE, au motif que l’analyse de son contenu, à l’aune des dispositions applicables et des pouvoirs que celles-ci confèrent à l’ECHA, révélait qu’elle visait à produire des effets juridiques obligatoires, premièrement, en procédant à une évaluation définitive du dossier d’enregistrement d’Esso et, plus précisément, des informations communiquées par Esso en réponse à la décision du 6 novembre 2012, deuxièmement, en constatant que certaines de ces informations n’étaient pas conformes aux exigences prévues par le règlement REACH et qu’Esso avait, de ce fait, méconnu certaines des obligations édictées par ce règlement, ainsi que, troisièmement, en invitant les autorités françaises compétentes à adopter les mesures que cette situation appelait.

37      Aux points 86 à 97 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, en troisième lieu, jugé qu’Esso devait être regardée comme ayant qualité pour demander l’annulation de la lettre litigieuse en ce qu’elle était directement et individuellement concernée par celle-ci, au sens du premier membre de phrase de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

38      Aux points 101 à 117 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, en quatrième et dernier lieu, examiné le premier des huit moyens présentés par Esso à l’appui de son recours en annulation, qui était tiré de ce que la lettre litigieuse était intervenue ultra vires ou en méconnaissance des dispositions du règlement REACH applicables en vue de son adoption. Estimant, à l’issue de son examen, que ce moyen était fondé au motif que l’ECHA avait exercé ses compétences sans respecter les modalités s’y rapportant, telles que prévues aux articles 41 et 42 du règlement REACH, cette juridiction en a conclu que la lettre litigieuse devait être annulée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens présentés par Esso à l’appui de son recours en annulation.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

 La procédure devant la Cour

39      Par acte déposé au greffe de la Cour le 13 décembre 2018 sur le fondement de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, European Coalition to End Animal Experiments (ci-après « ECEAE ») a demandé à intervenir au soutien des conclusions d’Esso.

40      Par acte déposé au greffe de la Cour le 17 décembre 2018 sur le même fondement, Higher Olefins and Poly Alpha Olefins REACH Consortium (ci-après « HOPA REACH ») et Higher Olefins & Poly Alpha Olefins vzw (ci-après « HOPA ») ont également demandé à intervenir au soutien des conclusions d’Esso.

41      Par ordonnance du 12 mars 2019, le président de la Cour a admis ECEAE, HOPA et HOPA REACH à intervenir au litige.

42      Par lettre du 28 février 2020, la Cour a informé les parties qu’elle entendait tenir une audience de plaidoiries et les a invitées à répondre, au cours de celle-ci, à certaines questions.

43      Par lettre du 3 avril 2020, la Cour a invité les parties à lui indiquer si elles entendaient renoncer à la tenue d’une audience de plaidoiries, compte tenu de la crise sanitaire.

44      Par lettre du 23 avril 2020, la Cour a informé les parties que, celles-ci lui ayant fait part de leur intention de renoncer à la tenue d’une audience de plaidoiries, compte tenu de la crise sanitaire, celle-ci était annulée. Elle a également invité les parties à répondre par écrit aux questions qui leur avaient été posées en vue de cette audience de plaidoiries, invitation à laquelle il a été donné suite dans les délais impartis à cet effet.

 Les conclusions des parties

45      Par son pourvoi, la République fédérale d’Allemagne, soutenue par la République française et par le Royaume des Pays-Bas, demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        de statuer définitivement sur le litige en rejetant le recours, et

–        de condamner Esso aux dépens exposés tant en première instance qu’au stade du pourvoi.

46      Esso, soutenue par ECEAE, HOPA et HOPA REACH, ainsi que l’ECHA demandent à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la République fédérale d’Allemagne aux dépens correspondants.

 Sur le pourvoi

47      À l’appui de ses conclusions, la République fédérale d’Allemagne, soutenue par le Royaume des Pays-Bas et par la République française, invoque deux moyens mettant en cause les appréciations du Tribunal relatives, respectivement, à la recevabilité et au bien-fondé du recours en annulation formé par Esso.

 Sur le premier moyen

 Argumentation des parties

48      La République fédérale d’Allemagne, soutenue par la République française et par le Royaume des Pays-Bas, fait valoir que le Tribunal a commis trois séries d’erreurs de droit en déclarant recevable le recours en annulation d’Esso.

49      En premier lieu, la lettre litigieuse ne constituerait pas un acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation, contrairement à ce que le Tribunal a retenu au point 72 de l’arrêt attaqué. Dans le cadre de ce grief, la République fédérale d’Allemagne expose, tout d’abord, que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne tenant pas suffisamment compte, aux points 74, 75 et 80 de cet arrêt, du fait que l’ECHA n’avait pas eu l’intention de faire produire des effets juridiques obligatoires à cette lettre. Ensuite, elle allègue que l’intitulé et le libellé de ladite lettre, tels qu’examinés aux points 64 à 71 dudit arrêt, attestent du caractère juridiquement non obligatoire de celle-ci pour Esso et pour les autorités françaises compétentes, de sorte que le Tribunal aurait commis une erreur de qualification juridique des faits en retenant le contraire. Enfin, elle estime, en tout état de cause, que les dispositions juridiques pertinentes du règlement REACH ont été interprétées de façon erronée par le Tribunal aux points 53 à 63 du même arrêt et que leur examen aurait dû conduire cette juridiction à la conclusion que la lettre litigieuse n’était pas susceptible, quels qu’en soient les termes, de produire des effets juridiques obligatoires.

50      À ce dernier égard, la République fédérale d’Allemagne avance, en substance, que la lettre litigieuse doit être comprise comme un avis à l’intention des autorités françaises compétentes, dans lequel l’ECHA s’est limitée à procéder à une évaluation informelle des informations fournies par Esso, et non comme un acte fondé sur l’article 42 du règlement REACH et présentant un caractère juridiquement obligatoire pour ces autorités ainsi que pour Esso, comme l’a retenu le Tribunal. En effet, cet article n’habiliterait pas l’ECHA à effectuer des évaluations produisant des effets juridiques obligatoires pour les opérateurs économiques concernés et pour les autorités nationales compétentes. Au contraire, c’est exclusivement à ces dernières qu’il appartiendrait de déterminer, au vu de l’évaluation effectuée par l’ECHA dans un cas donné, si elles entendent adopter des mesures applicables aux opérateurs économiques concernés, et le cas échéant lesquelles, conformément aux articles 125 et 126 dudit règlement.

51      En deuxième lieu, la République fédérale d’Allemagne considère qu’Esso était dépourvue d’intérêt à agir contre la lettre litigieuse, dès lors que cette lettre ne lui imposait aucune obligation juridique nouvelle par rapport à celles qui résultaient déjà de la décision du 6 novembre 2012, contrairement à ce que le Tribunal a retenu aux points 81 et 82 de l’arrêt attaqué. En effet, aux termes de cette décision, Esso était tenue de communiquer à l’ECHA, dans un délai donné, un ensemble d’informations destinées à mettre son dossier d’enregistrement en conformité avec les exigences prévues par le règlement REACH. En outre, le non-respect de cette obligation engendrait, en lui-même, une situation de violation des dispositions de ce règlement, exposant Esso à la possibilité que les autorités françaises compétentes adoptent les mesures idoines. En conséquence, la déclaration de non-conformité et les constats de violations figurant dans la lettre litigieuse n’auraient, indépendamment de leur caractère non contraignant pour les autorités françaises compétentes, modifié en rien la situation juridique d’Esso, telle que celle-ci découlait d’ores et déjà de la décision du 6 novembre 2012.

52      En troisième et dernier lieu, la République fédérale d’Allemagne expose que, dans l’hypothèse où la lettre litigieuse devrait être qualifiée d’acte susceptible de recours, contre lequel Esso aurait eu un intérêt à agir, il n’en resterait pas moins qu’Esso n’avait pas qualité pour demander l’annulation de cette lettre dès lors que celle-ci ne la concernait pas directement, au sens du premier membre de phrase de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, contrairement à ce que le Tribunal a retenu aux points 91 à 94 de l’arrêt attaqué. En effet, dans l’hypothèse où l’ECHA décide de demander des informations à un opérateur économique sur le fondement de l’article 41, paragraphe 3, du règlement REACH, puis constate que les informations communiquées ne sont pas conformes aux exigences prévues par ce règlement, il appartiendrait aux seules autorités nationales compétentes, et donc en l’occurrence aux autorités françaises, de tirer les conséquences de ce constat, conformément aux articles 125 et 126 dudit règlement.

53      Dans ses réponses aux questions posées par la Cour, la République fédérale d’Allemagne ajoute, en particulier, que l’adoption d’une mesure telle que la lettre litigieuse ne nécessite pas de base juridique spécifique, dès lors que cette mesure s’inscrit dans le cadre de la tâche de conseil que l’article 77, paragraphe 1, du règlement REACH attribue à l’ECHA.

54      Esso, soutenue par ECEAE, HOPA et HOPA REACH, conteste, en premier lieu, que l’appréciation du Tribunal selon laquelle la lettre litigieuse vise à produire des effets juridiques obligatoires soit entachée d’erreurs de droit.

55      En deuxième lieu, Esso fait valoir que le Tribunal a retenu, à juste titre, que ces effets juridiques obligatoires allaient au-delà de ceux produits par la décision du 6 novembre 2012.

56      En troisième et dernier lieu, Esso réfute l’existence d’une erreur de droit relative à sa qualité pour agir, en faisant valoir, en substance, que la lettre litigieuse affecte directement sa situation juridique en ce qu’elle contient un constat d’infraction qui s’impose également aux autorités françaises compétentes.

57      L’ECHA conclut également au rejet du moyen.

58      En effet, en premier lieu, ce serait en se fondant sur une analyse correcte du cadre juridique applicable et des compétences de l’ECHA que le Tribunal a caractérisé l’existence d’effets juridiques obligatoires produits par la lettre litigieuse.

59      En deuxième lieu, le Tribunal n’aurait pas non plus commis d’erreur de méthode ou de qualification juridique des faits en retenant, eu égard au contenu de cette lettre, que celle-ci concernait directement Esso.

60      En troisième et dernier lieu, l’analyse du Tribunal serait cohérente avec les objectifs poursuivis par le règlement REACH.

 Appréciation de la Cour

61      Ainsi qu’il découle des points 48 à 52 du présent arrêt, la République fédérale d’Allemagne soutient, en substance, que le Tribunal a commis des erreurs de droit en retenant, premièrement, aux points 49 à 80 de l’arrêt attaqué, que la lettre litigieuse constituait un acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation, deuxièmement, aux points 81 et 82 de cet arrêt, que cette lettre constituait un acte à l’encontre duquel Esso avait un intérêt à agir et, troisièmement, aux points 91 à 94 dudit arrêt, qu’Esso était directement concernée par ladite lettre.

62      Il convient d’examiner successivement ces trois griefs.

–       Sur l’existence d’un acte susceptible de recours

63      Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour qu’un recours en annulation peut être formé, sur le fondement de l’article 263, premier alinéa, TFUE, contre toute disposition ou mesure adoptée par les institutions, les organes ou les organismes de l’Union, quelle qu’en soit la forme, qui vise à produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts d’une personne physique ou morale, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci (arrêts du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 9 ; du 12 septembre 2006, Reynolds Tobacco e.a./Commission, C‑131/03 P, EU:C:2006:541, point 54, ainsi que du 31 janvier 2019, International Management Group/Commission, C‑183/17 P et C‑184/17 P, EU:C:2019:78, point 51).

64      En outre, pour déterminer, dans un cas donné, si l’acte attaqué vise à produire des effets juridiques obligatoires, il y a lieu de s’attacher à la substance de celui-ci et d’apprécier ses effets à l’aune de critères objectifs, tels que le contenu de l’acte en cause, en tenant compte, le cas échéant, du contexte dans lequel celui-ci a été adopté ainsi que des pouvoirs de l’institution, de l’organe ou de l’organisme de l’Union qui en est l’auteur (arrêts du 13 février 2014, Hongrie/Commission, C‑31/13 P, EU:C:2014:70, point 55, et du 9 juillet 2020, République tchèque/Commission, C‑575/18 P, EU:C:2020:530, point 47). Ces pouvoirs doivent être appréhendés non pas de manière abstraite, mais en tant qu’éléments de nature à éclairer l’analyse concrète du contenu dudit acte, laquelle revêt un caractère central et indispensable (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2017, Roumanie/Commission, C‑599/15 P, EU:C:2017:801, points 49, 51 à 52 et 55).

65      Enfin, s’il ressort de la jurisprudence de la Cour que peut également être pris en considération un critère subjectif tenant à l’intention ayant conduit l’institution, l’organe ou l’organisme de l’Union qui est l’auteur de l’acte attaqué à adopter celui-ci (voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 2008, Athinaïki Techniki/Commission, C‑521/06 P, EU:C:2008:422, point 42, et du 26 janvier 2010, Internationaler Hilfsfonds/Commission, C‑362/08 P, EU:C:2010:40, point 52), il découle du point précédent que ce critère subjectif ne peut jouer qu’un rôle complémentaire par rapport aux critères objectifs mentionnés audit point et, par conséquent, qu’il ne peut ni se voir accorder une importance plus grande que ces derniers ni remettre en cause l’appréciation des effets de l’acte attaqué qui en découle.

66      En l’espèce, eu égard aux arguments de la République fédérale d’Allemagne rappelés au point 49 du présent arrêt, il convient, en premier lieu, de constater qu’il résulte des points 74, 75 et 80 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a pris en considération l’intention ayant conduit l’ECHA à adopter la lettre litigieuse, tout en accordant à ce critère subjectif une importance moindre qu’aux critères objectifs, tenant au contenu de cette lettre et aux pouvoirs confiés à l’ECHA par les dispositions pertinentes du règlement REACH, que cette juridiction avait précédemment examinés.

67      Cette appréciation relative auxdits critères subjectif et objectifs ne saurait être considérée comme étant entachée d’une erreur de droit, compte tenu la jurisprudence citée au point 65 du présent arrêt.

68      En deuxième lieu, le Tribunal a estimé, aux points 64 à 71 de l’arrêt attaqué, que la lettre litigieuse devait être regardée, en raison de son contenu, comme un acte visant à produire des effets juridiques obligatoires à l’égard d’Esso. Plus précisément, il a considéré, en substance, que cette lettre était de nature à modifier de façon caractérisée la situation juridique d’Esso en ce qu’elle contenait, tout d’abord, une évaluation définitive du dossier d’enregistrement d’Esso et un contrôle définitif des informations communiquées à l’ECHA en vue de compléter celui-ci, ensuite, une déclaration de non-conformité d’une partie de ces informations avec les prescriptions ou les exigences du règlement REACH et, enfin, plusieurs constats de violations des dispositions de ce règlement dans le chef d’Esso. Par ailleurs, le Tribunal a relevé que ladite lettre invitait les autorités françaises compétentes à prendre les mesures qu’appelait cette situation.

69      Compte tenu des termes dans lesquels sont libellés la lettre litigieuse et le document qui y est annexé, tels que rappelés aux points 29 à 31 du présent arrêt, ces appréciations du Tribunal relatives au contenu de cette lettre ne peuvent être considérées comme étant entachées d’une erreur de qualification juridique des faits. En effet, ces termes font apparaître que ladite lettre visait à produire non seulement des effets juridiques obligatoires de nature à modifier de façon caractérisée la situation juridique d’Esso, pour les raisons mises en exergue à juste titre par le Tribunal, mais également des effets juridiques obligatoires à l’égard des autorités françaises compétentes, en invitant ces dernières à adopter les mesures qu’appelait cette situation juridique.

70      En troisième et dernier lieu, la République fédérale d’Allemagne soutient en substance que, quelle que soit l’appréciation qui pourrait résulter d’une prise en compte isolée du contenu de la lettre litigieuse, celle-ci doit en réalité être comprise, compte tenu des dispositions du règlement REACH relatives aux pouvoirs de l’ECHA en la matière, comme un avis destiné aux autorités françaises compétentes et dépourvu, comme tel, d’effets juridiques obligatoires de quelque nature que ce soit.

71      À cet égard, le Tribunal a considéré, au point 72 de l’arrêt attaqué, que la lettre litigieuse correspondait, par son contenu, tel que synthétisé au point 68 du présent arrêt, à une décision devant être préparée et adoptée par l’ECHA en vertu de l’article 42, paragraphe 1, du règlement REACH, dans le cadre d’une évaluation menée au titre de l’article 41 de ce règlement.

72      Ainsi qu’énoncé aux points 54 à 58 et 60 à 61 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé, en substance, que ces deux dispositions doivent être interprétées à la lumière du contexte dans lequel elles s’inscrivent, en ce sens que l’ECHA s’est vu confier à titre exclusif, par le législateur de l’Union, une compétence d’évaluation des dossiers d’enregistrement que l’article 6 du règlement REACH impose aux fabricants et aux importateurs de substances chimiques dont la quantité est égale ou supérieure à une tonne par an de soumettre à cet organisme. En outre, le Tribunal a retenu que, aux fins de l’exercice de cette compétence, l’ECHA dispose non seulement du pouvoir de contrôler la conformité des informations communiquées par les déclarants avec les prescriptions ou les exigences du règlement REACH, mais également de celui de tirer des conséquences juridiquement contraignantes de cette évaluation et de ce contrôle. Enfin, le Tribunal a énoncé que de telles conséquences juridiquement contraignantes peuvent prendre la forme, premièrement, d’une déclaration de non-conformité de tout ou partie des informations communiquées par le déclarant, deuxièmement, de constats de violations, dans le chef de celui-ci, des prescriptions ou des exigences du règlement REACH en la matière, et, troisièmement, d’une invitation faite aux autorités nationales compétentes d’adopter les mesures qu’appelle cette situation.

73      Corrélativement, le Tribunal a exposé, aux points 59 et 61 de l’arrêt attaqué, que ces dispositions ne confèrent aux États membres aucune compétence en matière d’évaluation de la conformité des dossiers d’enregistrement, ceux-ci étant seulement habilités, en vertu des articles 125 et 126 du règlement REACH, à effectuer des contrôles et à infliger des sanctions en vue d’assurer le respect des déclarations de non-conformité et des constats de violation des dispositions de ce règlement préalablement effectués par l’ECHA.

74      À cet égard, il résulte de l’article 41, paragraphe 1, du règlement REACH que l’ECHA est compétente pour évaluer les dossiers d’enregistrement de substances chimiques qui doivent lui être soumis par les fabricants ou par les importateurs de ces substances, comme le Tribunal l’a relevé à bon droit aux points 53 et 54 de l’arrêt attaqué.

75      En particulier, ainsi qu’il ressort des points a) et b) de cette disposition, une telle évaluation a vocation à porter, notamment, sur le point de savoir si les informations contenues dans les dossiers d’enregistrement sont conformes aux prescriptions ou aux exigences de ce règlement et, lorsque le déclarant a soumis des informations alternatives à celles prévues, dénommées « adaptations », si ces dernières sont conformes aux règles qui les gouvernent.

76      Dans l’hypothèse où ladite évaluation conduit l’ECHA à considérer que certaines des informations contenues dans le dossier d’enregistrement ne sont pas conformes aux prescriptions ou aux exigences du règlement REACH, celle-ci est habilitée à adopter, sur le fondement de l’article 41, paragraphe 3, de ce règlement, une décision demandant au déclarant de lui communiquer des informations déterminées, dans le délai fixé à cet effet, en vue de mettre son dossier d’enregistrement en conformité, comme énoncé à bon droit aux points 55 et 56 de l’arrêt attaqué.

77      S’agissant de la suite de la procédure, l’article 42, paragraphe 1, du règlement REACH prévoit que l’ECHA examine toute information communiquée par le déclarant à la suite d’une telle décision et prépare, le cas échéant, toute décision appropriée, comme indiqué par le Tribunal au point 57 de l’arrêt attaqué.

78      Il résulte des termes clairs de cette dernière disposition que l’ECHA a non seulement le pouvoir mais également l’obligation d’examiner toute information communiquée par le déclarant à la suite d’une décision fondée sur l’article 41, paragraphe 3, du règlement REACH.

79      Il découle également de l’article 42, paragraphe 1, de ce règlement que, à la suite d’un tel examen, l’ECHA est habilitée à « prépare[r], le cas échéant, toute décision appropriée conformément [aux] articles [40 et 41 dudit règlement] ».

80      En revanche, ni l’article 42, paragraphe 1, du règlement REACH ni les articles auxquels cette disposition renvoie ne précisent explicitement ce qu’il convient d’entendre par « décision appropriée ».

81      Par conséquent, il y a lieu, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, d’interpréter la disposition en cause en tenant compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêts du 7 juin 2005, VEMW e.a., C‑17/03, EU:C:2005:362, point 41, ainsi que du 4 février 2016, C & J Clark International et Puma, C‑659/13 et C‑34/14, EU:C:2016:74, point 124), tels qu’éclairés, en tant que de besoin, par les travaux préparatoires de cette dernière (voir, par analogie, arrêts du 19 décembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers, C‑263/18, EU:C:2019:1111, point 56, ainsi que du 11 mars 2020, Baltic Cable, C‑454/18, EU:C:2020:189, point 48).

82      À cet égard, tout d’abord, il ressort de l’expression « toute décision appropriée » figurant à l’article 42, paragraphe 1, du règlement REACH que le législateur de l’Union a conféré à l’ECHA le pouvoir de tirer, à l’issue de l’examen des informations communiquées par un déclarant auquel a été notifiée une décision fondée sur l’article 41, paragraphe 3, de ce règlement, des conséquences juridiquement obligatoires d’un tel examen, dans toute la mesure où celles-ci apparaissent appropriées.

83      Dès lors qu’un tel acte fait suite à une décision visant à obtenir du déclarant qu’il mette les informations contenues dans son dossier d’enregistrement en conformité avec les prescriptions ou les exigences du règlement REACH, comme énoncé au point 76 du présent arrêt, cet acte a vocation à statuer, au premier chef, sur le point de savoir si les informations communiquées sont conformes aux prescriptions ou aux exigences en cause et, par voie de conséquence, si le déclarant a respecté les obligations correspondantes. Comme l’a retenu le Tribunal, ces obligations ne se limitent pas à celle consistant à respecter la décision demandant la communication desdites informations, mais incluent également, en définitive, l’obligation pesant sur les fabricants et les importateurs de substances chimiques d’une quantité égale ou supérieure à une tonne par an, en vertu de l’article 5 et de l’article 6, paragraphe 1, de ce règlement, de se conformer à l’ensemble des exigences applicables à l’enregistrement de ces dernières. En effet, ainsi que la Cour l’a déjà relevé, le législateur de l’Union a institué la procédure d’enregistrement et d’évaluation prévue par ledit règlement dans le but de permettre à l’ECHA de vérifier que l’industrie respecte ses obligations (voir, en ce sens, arrêts du 10 septembre 2015, FCD et FMB, C‑106/14, EU:C:2015:576, point 32, ainsi que du 17 mars 2016, Canadian Oil Company Sweden et Rantén, C‑472/14, EU:C:2016:171, point 25), au premier rang desquelles figure celle énoncée à l’article 5, dont la violation rend les opérateurs économiques concernés passibles de sanctions, conformément à l’article 126 du même règlement (voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 2017, Pinckernelle, C‑535/15, EU:C:2017:315, point 46).

84      Ensuite, l’examen du contexte dans lequel s’inscrit l’article 42, paragraphe 1, du règlement REACH fait ressortir que, dans l’hypothèse où l’ECHA déclare que des informations communiquées à la suite d’une décision fondée sur l’article 41, paragraphe 3, de ce règlement ne sont pas conformes aux prescriptions ou aux exigences de celui-ci et constate l’existence d’une violation des dispositions correspondantes dans le chef du déclarant concerné, une telle déclaration et un tel constat s’imposent non seulement à ce déclarant mais également aux autorités nationales compétentes, contrairement à ce que fait valoir la République fédérale d’Allemagne.

85      En effet, d’une part, l’article 42, paragraphe 2, du règlement REACH énonce que, dès lors que l’évaluation du dossier a été menée à bien, l’ECHA notifie à la Commission et aux autorités nationales compétentes tant les informations obtenues que « toute conclusion tirée », en ce compris ladite déclaration et ledit constat. En l’espèce, l’ECHA a procédé à une telle notification en adressant la lettre litigieuse aux autorités françaises compétentes, ainsi que le Tribunal l’a relevé à juste titre aux points 64, 67 et 70 de l’arrêt attaqué.

86      D’autre part, les articles 125 et 126 du règlement REACH, qui doivent être appréhendés à la lumière des considérants 121 et 122 de ce règlement, imposent aux États membres de déterminer le régime de sanctions « applicables aux violations des dispositions » dudit règlement et de prendre les mesures nécessaires pour en assurer la mise en œuvre. Or, une telle mise en œuvre, dans un cas d’espèce donné, présuppose nécessairement qu’il existe un constat de violation de ces dispositions, lequel relève, ainsi qu’il vient d’être rappelé, de la compétence exclusive de l’ECHA, sous réserve du cas, prévu à l’article 51 du même règlement et évoqué par le Tribunal au point 60 de l’arrêt attaqué, où cette compétence est transférée à la Commission.

87      Ainsi, l’examen des termes dans lesquels est rédigé l’article 42, paragraphe 1, du règlement REACH, appréhendés à la lumière du contexte dans lequel cette disposition s’inscrit, fait ressortir que celle-ci confère à l’ECHA, et non aux autorités nationales chargées de veiller au respect de ce règlement, le pouvoir d’adopter une décision telle que celle contenue dans la lettre litigieuse, comme le Tribunal l’a retenu à bon droit dans l’arrêt attaqué.

88      S’agissant, enfin, des objectifs poursuivis par le règlement REACH, auxquels le Tribunal ne s’est pas référé dans cet arrêt, la Cour a déjà relevé qu’ils incluent, ainsi qu’il découle de l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement, celui consistant à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement au moyen d’un système intégré de contrôle des substances chimiques fabriquées, importées ou mises sur le marché dans l’Union, reposant sur l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation de ces substances ainsi que sur d’éventuelles restrictions à leur emploi (arrêts du 10 septembre 2015, FCD et FMB, C‑106/14, EU:C:2015:576, points 31 et 32 ; du 17 mars 2016, Canadian Oil Company Sweden et Rantén, C‑472/14, EU:C:2016:171, points 24 et 25, et du 15 mars 2017, Polynt/ECHA, C‑323/15 P, EU:C:2017:207, point 20).

89      Ainsi qu’il ressort de l’article 75 et du considérant 15 du règlement REACH, l’un des éléments essentiels de ce système est la mise en place, en tant qu’organisme de l’Union, d’une entité centrale et indépendante chargée d’assurer la gestion efficace de certains des aspects administratifs, techniques et scientifiques de ce règlement.

90      En particulier, comme il découle des articles 6, 20, 22, 41 et 42 du règlement REACH ainsi que des considérants 19, 20 et 44 de celui-ci, à la lumière desquels ces articles doivent être appréhendés, c’est à l’ECHA que le législateur de l’Union a confié la compétence, tout d’abord, de recevoir les demandes d’enregistrement des substances chimiques ainsi que les mises à jour de ces demandes, ensuite, d’en vérifier le caractère complet ainsi que de les rejeter en cas d’incomplétude et, enfin, de contrôler la conformité des informations qu’ils contiennent, le cas échéant après que celles-ci ont été complétées, avec les prescriptions ou les exigences applicables en la matière.

91      Cette procédure centralisée d’enregistrement des substances chimiques et d’évaluation des dossiers correspondants, qui est placée sous la responsabilité exclusive de l’ECHA, se distingue de l’évaluation des substances chimiques elles-mêmes, dont la responsabilité première incombe aux États membres, ainsi qu’il découle de l’article 45 du règlement REACH et des considérants 20 et 66 de ce règlement, sans préjudice du rôle de coordination que cet article attribue à l’ECHA, en tant qu’entité indépendante, et des pouvoirs qui s’y attachent.

92      Comme l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 92 de ses conclusions, ce partage des rôles ainsi que la répartition des compétences et des pouvoirs qui en résulte procèdent d’un choix du législateur de l’Union, tel qu’attesté par les travaux préparatoires du règlement REACH.

93      Ainsi, les objectifs poursuivis par le règlement REACH corroborent l’interprétation de l’article 42, paragraphe 1, de ce règlement figurant au point 87 du présent arrêt.

94      Il s’ensuit que, compte tenu des pouvoirs dont dispose l’ECHA en vertu du règlement REACH, appréhendés à la lumière du contexte dans lequel ils s’inscrivent et des objectifs poursuivis par ce règlement, c’est à bon droit que le Tribunal a conclu, au point 72 de l’arrêt attaqué, que la lettre litigieuse correspondait, par son contenu, à une décision mettant en œuvre l’article 42, paragraphe 1, dudit règlement et visant, comme telle, à produire des effets juridiques obligatoires de nature à modifier, de façon caractérisée, la situation juridique d’Esso.

95      Par voie de conséquence, cette lettre ne saurait être considérée comme un avis destiné aux autorités françaises compétentes, émis dans le cadre de la tâche de conseil que l’article 77, paragraphe 1, du règlement REACH attribue à l’ECHA.

96      Partant, les arguments de la République fédérale d’Allemagne visant à mettre en cause l’existence d’un acte susceptible de recours doivent être rejetés comme étant non fondés.

–       Sur l’existence d’un intérêt à agir

97      D’emblée, il doit être constaté que, bien que la République fédérale d’Allemagne reproche formellement au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en retenant l’existence d’un intérêt à agir dans le chef d’Esso aux points 81 et 82 de l’arrêt attaqué, ces points ne prennent pas position sur cette question. En effet, le Tribunal s’y limite à énoncer, en substance, que la lettre litigieuse constitue un acte susceptible de recours en ce qu’elle contient des éléments de fait et de droit nouveaux par rapport à ceux figurant dans la décision du 6 novembre 2012 et qu’elle ne peut donc pas être qualifiée d’« acte confirmatif » de cette décision.

98      Dans ces circonstances, il convient de faire observer, en premier lieu, que, pour autant que la République fédérale d’Allemagne entende faire valoir que le Tribunal aurait dû qualifier la lettre litigieuse d’acte confirmatif de la décision du 6 novembre 2012, il résulte de la jurisprudence de la Cour qu’un acte doit être considéré comme tel lorsqu’il ne contient aucun élément juridique ou factuel nouveau par rapport à un acte antérieur (arrêt du 31 janvier 2019, International Management Group/Commission, C‑183/17 P et C‑184/17 P, EU:C:2019:78, point 67 et jurisprudence citée).

99      Or, en l’espèce, ainsi que le Tribunal l’a énoncé aux points 81 et 82 de l’arrêt attaqué, la lettre litigieuse contenait des appréciations et des conclusions nouvelles de la part de l’ECHA, formulées par celle-ci à l’issue de l’examen des informations qui lui avaient été communiquées par Esso en réponse à la décision du 6 novembre 2012.

100    De tels éléments juridiques et factuels nouveaux justifiaient que la lettre litigieuse ne puisse être considérée comme étant un acte confirmatif de la décision du 6 novembre 2012.

101    En second lieu, pour autant que la République fédérale d’Allemagne entende se prévaloir de l’absence d’intérêt à agir d’Esso, il découle de la jurisprudence de la Cour que tout recours en annulation formé par une personne physique ou morale doit reposer sur un intérêt à agir dans le chef de celle-ci (voir, en ce sens, ordonnance du 24 septembre 1987, Vlachou/Cour des comptes, 134/87, EU:C:1987:388, point 8) et que le non-respect de cette condition essentielle, qu’il appartient à une telle personne physique ou morale d’établir, constitue une fin de non-recevoir d’ordre public qui peut, à tout moment, être relevée d’office par le juge de l’Union (voir, en ce sens, ordonnances du 7 octobre 1987, G. d. M./Conseil et CES, 108/86, EU:C:1987:426, point 10, ainsi que du 21 juillet 2020, Abaco Energy e.a./Commission, C‑436/19 P, non publiée, EU:C:2020:606, point 80), à l’instar des conditions de recevabilité prévues à l’article 263 TFUE (ordonnance du 15 avril 2010, Makhteshim-Agan Holding e.a./Commission, C‑517/08 P, non publiée, EU:C:2010:190, point 54 et jurisprudence citée).

102    En conséquence, la République fédérale d’Allemagne est recevable à soutenir, devant la Cour, qu’Esso n’avait pas d’intérêt à agir, devant le Tribunal, contre la lettre litigieuse.

103    Ainsi qu’il résulte également de la jurisprudence de la Cour, l’existence d’un intérêt à agir suppose que l’annulation de l’acte attaqué soit susceptible, par elle-même, de procurer un bénéfice à la personne physique ou morale qui a formé le recours (voir, en ce sens, arrêts du 17 septembre 2009, Commission/Koninklijke FrieslandCampina, C‑519/07 P, EU:C:2009:556, point 63, ainsi que du 31 janvier 2019, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, C‑225/17 P, EU:C:2019:82, point 30).

104    En l’espèce, il résulte des points 68 et 69 du présent arrêt que la lettre litigieuse, qui a été adoptée sur le fondement de l’article 42, paragraphe 1, du règlement REACH, a produit des effets juridiques obligatoires à l’égard d’Esso, en ce que l’ECHA y a considéré que les informations que cette société lui avait communiquées n’étaient pas conformes aux prescriptions ou aux exigences de ce règlement et lui a imputé, par voie de conséquence, une série de violations des dispositions correspondantes dudit règlement.

105    Il s’ensuit que l’annulation de cette lettre, eu égard à la déclaration et aux constats juridiquement obligatoires qu’elle contient, est susceptible, par elle-même, de procurer un bénéfice à Esso.

106    Partant, la République fédérale d’Allemagne n’est pas fondée à se prévaloir d’une absence d’intérêt à agir dans le chef d’Esso.

–       Sur l’existence d’une qualité pour agir

107    S’agissant du point de savoir si le Tribunal a commis une erreur de droit en retenant que la lettre litigieuse concernait directement Esso, au sens du premier membre de phrase de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, il est de jurisprudence constante que l’exigence selon laquelle un acte de l’Union doit concerner directement la personne physique ou morale qui l’attaque requiert que deux critères soient cumulativement réunis, à savoir que cet acte, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique de cette personne et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (arrêts du 5 mai 1998, Dreyfus/Commission, C‑386/96 P, EU:C:1998:193, point 43, et du 3 décembre 2019, Iccrea Banca, C‑414/18, EU:C:2019:1036, point 66).

108    En l’espèce, le Tribunal a retenu, d’une part, que la lettre litigieuse produisait directement des effets sur la situation juridique d’Esso en constatant que celle-ci avait violé certaines des obligations qui lui incombaient en vertu du règlement REACH, en communiquant à l’ECHA des informations non conformes aux prescriptions ou aux exigences de ce règlement, ainsi qu’il ressort du point 92 de l’arrêt attaqué et des points auxquels celui-ci renvoie.

109    Or, cette appréciation est exempte d’erreur de droit, comme cela résulte des points 104 et 105 du présent arrêt.

110    D’autre part, le Tribunal a souligné, au point 93 de l’arrêt attaqué, que le constat effectué par l’ECHA s’imposait aux autorités françaises compétentes, celles-ci ne disposant d’une marge d’appréciation qu’en ce qui concerne la nature et le quantum des sanctions pouvant être infligées à Esso en raison des violations des dispositions du règlement REACH qui lui ont été imputées.

111    Ainsi qu’il découle des points 84 à 87 du présent arrêt, cette appréciation est conforme à la répartition des compétences opérée par le règlement REACH entre l’ECHA et les autorités nationales. En effet, une décision telle que la lettre litigieuse s’impose, de façon automatique et sans nécessiter l’application d’autres règles intermédiaires, à l’État membre qui en est destinataire et, au sein de celui-ci, aux autorités nationales compétentes, ces dernières étant exclusivement appelées à adopter des mesures destinées à en assurer le respect, conformément aux articles 125 et 126 dudit règlement.

112    Partant, les arguments de la République fédérale d’Allemagne selon lesquels le Tribunal a commis une erreur de droit en retenant que la lettre litigieuse concernait directement Esso, au sens du premier membre de phrase de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, doivent être rejetés comme étant non fondés.

113    Il s’ensuit que le premier moyen du pourvoi doit être rejeté dans son intégralité comme étant non fondé.

 Sur le second moyen

 Argumentation des parties

114    La République fédérale d’Allemagne, soutenue par la République française et par le Royaume des Pays-Bas, fait valoir que le Tribunal a fait une application erronée de l’article 42, paragraphe 1, du règlement REACH. Elle se réfère, dans ce cadre, aux points 57, 58, 60 à 63, 71, 78, 108 et 112 de l’arrêt attaqué.

115    À cet égard, en premier lieu, elle considère que le Tribunal a jugé à tort que l’article 42, paragraphe 1, du règlement REACH était applicable en l’espèce, en se fondant sur une interprétation erronée de cette disposition selon laquelle celle-ci impose en principe à l’ECHA de procéder, par voie de décision, au contrôle de la conformité de toutes les informations qui lui sont communiquées par les opérateurs économiques à la suite de l’adoption d’une décision sur le fondement de l’article 41, paragraphe 3, de ce règlement, à moins que ces informations soient manifestement dépourvues de sérieux. En effet, il devrait être déduit des termes dans lesquels ces dispositions sont libellées, notamment, que, dans l’hypothèse où l’ECHA notifie à un opérateur économique une décision lui demandant de communiquer des informations spécifiques et où cet opérateur lui communique des informations alternatives, celle-ci peut se limiter à constater que l’intéressé n’a pas respecté sa décision, sans qu’il soit nécessaire de procéder à un quelconque contrôle de la conformité des informations alternatives en question. Or, en l’espèce, le Tribunal aurait explicitement constaté qu’Esso avait communiqué à l’ECHA non pas les informations demandées par la décision du 6 novembre 2012, mais des informations alternatives, tout en omettant de tirer de ce constat la conséquence juridique qu’aucun contrôle de conformité n’avait lieu d’être.

116    En deuxième lieu, l’interprétation retenue par le Tribunal serait également incompatible avec l’objectif de protection de la santé humaine et de l’environnement poursuivi par le règlement REACH ainsi qu’avec le contexte normatif dans lequel s’inscrit l’article 42, paragraphe 1, de ce règlement. En effet, d’une part, elle aurait pour conséquence d’imposer à l’ECHA de procéder à un contrôle de conformité des informations qui lui sont communiquées par les opérateurs économiques, quand bien même celles-ci seraient différentes de celles qui ont été spécifiquement demandées à ces derniers, au moyen d’une procédure fastidieuse engendrant de longs délais pendant lesquels des substances chimiques potentiellement dangereuses pour la santé humaine pourraient continuer à être fabriquées, importées ou mises sur le marché dans l’Union. D’autre part, les dispositions du règlement REACH ne permettraient pas aux opérateurs économiques auxquels il a été spécifiquement demandé de produire une étude impliquant la réalisation d’essais sur des animaux, au moyen d’une décision adoptée sur le fondement de l’article 41, paragraphe 3, de ce règlement, de communiquer des informations alternatives à l’ECHA.

117    En troisième lieu, le droit administratif général de l’Union s’opposerait à ce qu’il soit exigé de l’ECHA, comme l’a fait le Tribunal, qu’elle contrôle la conformité des informations qui lui sont communiquées par les opérateurs économiques dans l’hypothèse où ces informations sont différentes de celles qui leur ont été spécifiquement demandées au moyen d’une décision fondée sur l’article 41, paragraphe 3, du règlement REACH. En effet, cette exigence reviendrait à remettre en cause une telle décision.

118    En quatrième et dernier lieu, l’interprétation retenue par le Tribunal serait susceptible de prolonger de façon infinie le traitement des dossiers d’enregistrement que l’ECHA sélectionne en vertu de l’article 41, paragraphe 5, du règlement REACH, en vue d’en contrôler la conformité avec les prescriptions ou les exigences de ce règlement. En outre, elle serait de nature à entraver l’exercice des compétences que les articles 125 et 126 dudit règlement attribuent aux autorités nationales.

119    Esso et l’ECHA, soutenues par ECEAE, HOPA et HOPA REACH, soulignent, en substance, que l’interprétation de l’article 42, paragraphe 1, du règlement REACH proposée par la République fédérale d’Allemagne est contraire à l’intitulé et au libellé de cette disposition ainsi qu’au contexte dans lequel elle s’inscrit et aux objectifs poursuivis par ce règlement.

120    Par ailleurs, les arguments de la République fédérale d’Allemagne tirés du droit administratif général de l’Union et de la nécessité d’assurer l’efficacité de la procédure d’évaluation des dossiers d’enregistrement instituée par le règlement REACH ne seraient pas fondés.

 Appréciation de la Cour

121    La République fédérale d’Allemagne fait valoir en substance que, même à supposer recevable le recours d’Esso, le Tribunal a commis une erreur de droit en accueillant le premier moyen de ce recours, tiré de ce que l’ECHA n’avait pas respecté les modalités d’exercice de la compétence décisionnelle prévue à l’article 42, paragraphe 1, du règlement REACH, et en annulant, par voie de conséquence, la lettre litigieuse.

122    Elle estime, en effet, que, dans l’hypothèse où l’ECHA adopte une décision en application de l’article 41, paragraphe 3, du règlement REACH, dans laquelle elle demande à un opérateur économique de lui communiquer une étude impliquant la réalisation d’essais sur des animaux, et où l’intéressé lui communique des informations alternatives à une telle étude, l’ECHA doit se limiter à constater que les informations communiquées ne sont pas celles demandées et ne peut en contrôler la conformité avec les prescriptions ou les exigences de ce règlement.

123    À cet égard, ainsi qu’il a été relevé aux points 78 et 79 du présent arrêt, il découle de l’article 42, paragraphe 1, du règlement REACH que, dans l’hypothèse où l’ECHA a adopté, en application de l’article 41, paragraphe 3, de ce règlement, une décision dans laquelle elle a demandé à un déclarant de lui communiquer des informations, elle doit, en premier lieu, « examine[r] toute information communiquée » par ce déclarant à la suite de cette décision, en vue d’en contrôler la conformité avec les prescriptions ou les exigences dudit règlement en la matière, et, en second lieu, « prépare[r], le cas échéant, toute décision appropriée » à ce sujet.

124    Si la première de ces obligations présente un caractère général, en ce qu’elle s’applique à « toute information communiquée » à l’ECHA, le texte de l’article 42, paragraphe 1, du règlement REACH n’exclut pas que cette disposition puisse être interprétée, comme le soutient la République fédérale d’Allemagne, en ce sens qu’une telle obligation générale ne s’applique que dans l’hypothèse où les informations communiquées par le déclarant correspondent à celles qui lui ont été demandées par l’ECHA, et non, par voie de conséquence, dans celle où cette dernière a spécifiquement demandé à se voir communiquer une étude impliquant la réalisation d’essais sur des animaux et où le déclarant lui a communiqué, en réponse, des informations alternatives à une telle étude.

125    Dans ces conditions, il y a lieu, conformément à la jurisprudence citée au point 81 du présent arrêt, d’appréhender ladite disposition à la lumière de son contexte et des objectifs poursuivis par le règlement REACH.

126    S’agissant, en premier lieu, du contexte dans lequel s’inscrit l’article 42, paragraphe 1, du règlement REACH, il convient de relever, tout d’abord, que, conformément à l’article 41, paragraphe 1, sous a) et b), de ce règlement, l’obligation incombant à l’ECHA d’évaluer les dossiers d’enregistrement de substances chimiques qui lui sont soumis et de contrôler la conformité des informations qu’ils contiennent porte non pas seulement sur la question de savoir si ces informations sont conformes aux « prescriptions » prévues par les dispositions pertinentes dudit règlement, mais également, dans l’hypothèse où un déclarant a présenté des « adaptations des exigences en matière d’informations standard et leurs justifications », si ces adaptations et leurs justifications sont conformes aux règles qui les gouvernent, telles que prévues par les annexes du même règlement.

127    Cette obligation d’évaluation et de contrôle reflète la possibilité dont dispose tout déclarant, en vertu de ces annexes, de présenter, dans son dossier d’enregistrement, des informations alternatives, dénommées « adaptations », aux « informations standard » prescrites par les dispositions pertinentes du règlement REACH, à condition de respecter les exigences gouvernant ces adaptations. Cette possibilité traduit elle-même, ainsi qu’il ressort des considérants 18 et 19 de ce règlement, le choix du législateur de l’Union d’instituer un système d’enregistrement et d’évaluation des substances chimiques dans lequel la responsabilité des risques liés à ces substances et l’obligation de présenter toutes les informations nécessaires à leur enregistrement ainsi qu’à leur évaluation incombent aux personnes physiques ou morales qui fabriquent, importent ou mettent lesdites substances sur le marché dans l’Union.

128    Ensuite, il est vrai qu’aucune disposition spécifique du règlement REACH ne précise si la possibilité ainsi donnée aux déclarants de recourir à des « adaptations » au stade initial de la procédure d’enregistrement et d’évaluation des substances chimiques que constitue la soumission d’un dossier d’enregistrement à l’ECHA s’applique également aux stades ultérieurs de cette procédure, en particulier lorsque l’ECHA a adopté, sur le fondement de l’article 41, paragraphe 3, de ce règlement, une décision demandant à un déclarant de compléter son dossier d’enregistrement par une étude impliquant la réalisation d’essais sur des animaux.

129    Néanmoins, cette possibilité découle des dispositions générales pertinentes du règlement REACH et du principe directeur de limitation des essais sur les animaux que ces dispositions générales traduisent, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 153 de ses conclusions.

130    En particulier, l’article 13 de ce règlement, qui est intitulé « Obligations générales relatives à la production d’informations sur les propriétés intrinsèques des substances », prévoit expressément, à son paragraphe 1, que « [d]es informations sur les propriétés intrinsèques des substances peuvent être produites par d’autres moyens que des essais [sur les animaux] pour autant que les conditions énoncées à l’annexe XI [dudit règlement] soient respectées ». En outre, cette disposition précise que, « [e]n ce qui concerne la toxicité pour l’espèce humaine en particulier, les informations sont produites autant que possible par d’autres moyens que des essais sur des animaux vertébrés, par le recours à des méthodes alternatives, par exemple les méthodes in vitro ou par des modèles de relations qualitatives ou quantitatives structure-activité ou par l’exploitation de données sur des substances structurellement proches (regroupement ou références croisées) ».

131    De même, l’article 25 du règlement REACH, qui est intitulé « Objectifs et règles générales », énonce, à son paragraphe 1, que, « [a]fin d’éviter les essais sur les animaux, les essais sur des animaux vertébrés réalisés aux fins du présent règlement ne sont effectués que s’il n’existe aucune autre solution ».

132    Il ressort de ces dispositions générales, qui doivent être appréhendées à la lumière du considérant 47 du règlement REACH, selon lequel, « il est nécessaire de remplacer, de réduire ou d’affiner les essais sur les animaux vertébrés », qu’un déclarant a, de façon générale et donc notamment dans l’hypothèse où l’ECHA lui adresse une décision lui demandant de compléter son dossier d’enregistrement par une étude impliquant la réalisation d’essais sur des animaux, non pas simplement la possibilité mais bien l’obligation de produire « autant que possible » des informations obtenues par des moyens autres que des essais sur des animaux et de n’effectuer de tels essais « que s’il n’existe aucune autre solution ».

133    En ce qui concerne, en second lieu, les objectifs poursuivis par le règlement REACH, ceux-ci incluent notamment l’objectif consistant à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris la promotion de méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances chimiques, ainsi qu’il résulte de l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement.

134    Or, cette disposition fait ressortir que le recours à des méthodes alternatives à la réalisation d’essais sur des animaux constitue un des moyens privilégiés par le règlement REACH pour évaluer la toxicité des substances chimiques pour l’espèce humaine (voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2011, Etimine, C‑15/10, EU:C:2011:504, point 108) et qu’il contribue, à ce titre, à la réalisation de l’objectif de protection de la santé humaine et de l’environnement qui sous-tend toute la procédure d’enregistrement et d’évaluation instituée par ce règlement (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2009, S.P.C.M. e.a., C‑558/07, EU:C:2009:430, points 45 à 47).

135    Eu égard à l’ensemble de ces éléments, c’est à bon droit que le Tribunal s’est référé, au point 62 de l’arrêt attaqué, à la possibilité dont dispose un déclarant auquel l’ECHA a demandé de compléter son dossier d’enregistrement par une étude impliquant la réalisation d’essais sur des animaux de se conformer à l’obligation découlant des articles 13 et 25 du règlement REACH en communiquant, en réponse à cette demande, des informations alternatives à une telle étude.

136    De même, c’est à bon droit que le Tribunal a conclu, aux points 62 et 63 de l’arrêt attaqué ainsi que, par renvoi, au point 108 de cet arrêt, que l’ECHA est soumise à l’obligation correspondante de contrôler la conformité de ces informations alternatives avec les exigences applicables et, plus précisément, de déterminer si celles-ci doivent être qualifiées d’adaptations conformes aux règles prévues par les annexes pertinentes du règlement REACH.

137    Enfin, c’est à bon droit que le Tribunal a retenu, aux points 108, 109 et 112 de l’arrêt attaqué, que l’ECHA est tenue, lorsqu’il s’avère « approprié » de préparer une décision en application de l’article 42, paragraphe 1, du règlement REACH, de respecter les exigences applicables en la matière, telles que prévues aux articles 50 et 51 de ce règlement.

138    Partant, la République fédérale d’Allemagne n’est pas fondée à soutenir que le Tribunal a commis une erreur de droit en interprétant l’article 42, paragraphe 1, du règlement REACH d’une manière incompatible avec le contexte dans lequel s’inscrit cette disposition et les objectifs de ce règlement ainsi qu’en jugeant, sur la base de cette interprétation, que le premier moyen invoqué par Esso était fondé.

139    Compte tenu des arguments de la République fédérale d’Allemagne synthétisés aux points 117 et 118 du présent arrêt, il convient d’ajouter, d’une part, que ladite interprétation ne méconnaît pas non plus le droit administratif général de l’Union. En effet, dès lors qu’il découle du règlement REACH qu’un déclarant est tenu, de façon générale, de ne recourir qu’en dernier ressort à des essais sur les animaux et qu’il peut, dans l’hypothèse où l’ECHA a décidé de lui demander une étude impliquant la réalisation de tels essais, se conformer à cette obligation en produisant des informations alternatives, l’usage de cette possibilité ne peut être considéré comme remettant en cause une telle décision. Au contraire, le déclarant reste tenu, en vertu de cette dernière, de communiquer l’étude requise dans le délai prévu à cet effet, sauf à pouvoir produire des informations qui, tout en présentant un caractère alternatif, répondent aux exigences permettant de les qualifier d’« adaptations », au sens des annexes pertinentes du règlement REACH.

140    D’autre part, l’interprétation en question n’a pour conséquence ni de prolonger de façon infinie le traitement des dossiers d’enregistrement que l’ECHA sélectionne en vertu de l’article 41, paragraphe 5, du règlement REACH en vue d’en contrôler la conformité avec les prescriptions ou les exigences de ce règlement ni d’entraver l’exercice des compétences que les articles 125 et 126 dudit règlement attribuent aux autorités nationales.

141    En effet, ainsi qu’il découle des points 79, 82 et 83 du présent arrêt, l’ECHA a le pouvoir, à l’issue de ce contrôle, non seulement de constater de façon définitive que les informations qui lui ont été communiquées ne sont pas conformes aux exigences applicables, mais également de décider que le déclarant a violé, de ce fait, certaines de ses obligations au titre du règlement REACH, en particulier son obligation d’enregistrer, conformément auxdites exigences, la substance chimique qu’il fabrique, importe ou met sur le marché dans l’Union. Ainsi qu’il résulte de l’article 5 de ce règlement, le respect de cette obligation conditionne la poursuite de la fabrication, de l’importation ou de la mise sur le marché, dans l’Union, de la substance chimique en cause.

142    C’est, du reste, ce qu’a fait l’ECHA en adoptant la lettre litigieuse.

143    Pour leur part, les autorités nationales ont, conformément aux articles 125 et 126 du règlement REACH, le devoir de veiller à l’exécution et au respect d’une telle décision et, à cet effet, notamment, de procéder à des contrôles ainsi que d’infliger des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives (voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 2017, Pinckernelle, C‑535/15, EU:C:2017:315, point 46).

144    Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le second moyen n’est pas fondé.

145    Par suite, le pourvoi doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

146    L’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour prévoit notamment que, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

147    L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

148    En l’espèce, Esso et l’ECHA ayant conclu à la condamnation aux dépens de la République fédérale d’Allemagne et cette dernière ayant succombé, elle doit être condamnée aux dépens exposés par ces deux parties.

149    En vertu de l’article 184, paragraphe 4, du même règlement, la Cour peut décider qu’une partie intervenante en première instance qui participe à la procédure de pourvoi supporte ses propres dépens.

150    En l’espèce, il y a lieu de décider que la République française et le Royaume des Pays-Bas supporteront leurs propres dépens.

151    L’article 140, paragraphe 3, du règlement de procédure, qui s’applique à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, dispose, notamment, que la Cour peut décider qu’une partie intervenante autre qu’un État membre ou une institution de l’Union supporte ses propres dépens.

152    En l’espèce, il convient de décider qu’ECEAE, HOPA et HOPA REACH supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      La République fédérale d’Allemagne supporte ses propres dépens et est condamnée à supporter ceux exposés par Esso Raffinage ainsi que par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA).

3)      La République française, le Royaume des Pays-Bas, European Coalition to End Animal Experiments, Higher Olefins and Poly Alpha Olefins REACH Consortium et Higher Olefins & Poly Alpha Olefins vzw supportent leurs propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.