Language of document : ECLI:EU:C:2014:2406

Affaires jointes C‑148/13 à C‑150/13

A e.a.

contre

Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie

[demandes de décision préjudicielle,
introduites par le Raad van State (Pays-Bas)]

«Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Directive 2004/83/CE – Normes minimales relatives aux conditions d’octroi du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire – Article 4 – Évaluation des faits et des circonstances – Modalités d’appréciation – Acceptation de certains éléments de preuve – Étendue des pouvoirs des autorités nationales compétentes – Crainte de persécution en raison de l’orientation sexuelle – Différences entre, d’une part, les limitations relatives aux vérifications des déclarations et des preuves documentaires ou autres quant à la prétendue orientation sexuelle d’un demandeur d’asile et, d’autre part, celles qui s’appliquent aux vérifications de ces éléments concernant d’autres motifs de persécution – Directive 2005/85/CE – Normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres – Article 13 – Conditions auxquelles est soumis l’entretien personnel – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 1er – Dignité humaine – Article 7 – Respect de la vie privée et familiale»

Sommaire – Arrêt de la Cour (grande chambre) du 2 décembre 2014

1.        Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Statut de réfugié ou statut conféré par la protection subsidiaire – Directive 2004/83 – Procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres – Directive 2005/85 – Procédure d’examen d’une demande de protection internationale – Évaluation des faits et des circonstances – Crainte de persécution en raison de l’orientation sexuelle – Obligation de considérer l’orientation sexuelle comme un fait établi sur la base des seules déclarations du demandeur – Absence – Appréciation des déclarations et des éléments de preuve devant être conforme aux directives 2004/83 et 2005/85 ainsi qu’aux articles 1er et 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 1er et 7; directives du Conseil 2004/83, art. 4, § 3, et 2005/85)

2.        Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Statut de réfugié ou statut conféré par la protection subsidiaire – Directive 2004/83 – Procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres – Directive 2005/85 – Procédure d’examen d’une demande de protection internationale – Évaluation des faits et des circonstances – Crainte de persécution en raison de l’orientation sexuelle – Appréciation au moyen d’interrogatoires fondés sur la seule base de notions stéréotypées concernant les homosexuels – Inadmissibilité

[Directives du Conseil 2004/83, art. 4, § 3, et 2005/85, art. 13, § 3, a)]

3.        Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Statut de réfugié ou statut conféré par la protection subsidiaire – Directive 2004/83 – Procédure d’examen d’une demande de protection internationale – Évaluation des faits et des circonstances – Crainte de persécution en raison de l’orientation sexuelle – Appréciation au moyen d’interrogatoires détaillés sur les pratiques sexuelles du demandeur – Violation du droit au respect de la vie privée et familiale – Inadmissibilité

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 7; directive du Conseil 2004/83, art. 4)

4.        Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Statut de réfugié ou statut conféré par la protection subsidiaire – Directive 2004/83 – Procédure d’examen d’une demande de protection internationale – Évaluation des faits et des circonstances – Crainte de persécution en raison de l’orientation sexuelle – Acceptation d’éléments de preuve tels que l’accomplissement par le demandeur d’actes homosexuels, sa soumission à des «tests» en vue d’établir son homosexualité ou production par ce dernier d’enregistrements vidéo de tels actes – Atteinte à la dignité humaine – Inadmissibilité

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 1er; directive du Conseil 2004/83, art. 4)

5.        Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Statut de réfugié ou statut conféré par la protection subsidiaire – Directive 2004/83 – Procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres – Directive 2005/85 – Procédure d’examen d’une demande de protection internationale – Évaluation des faits et des circonstances – Crainte de persécution en raison de l’orientation sexuelle – Possibilité pour l’autorité nationale compétente de conclure au défaut de crédibilité des déclarations du demandeur au seul motif de la révélation tardive par ce dernier de son homosexualité – Inadmissibilité

[Directives du Conseil 2004/83, art. 4, § 3, et 2005/85, art. 13, § 3, a)]

1.        Les autorités compétentes chargées de l’examen d’une demande d’asile fondée sur une crainte de persécution en raison de l’orientation sexuelle du demandeur d’asile ne sont pas tenues de considérer sa prétendue orientation comme un fait établi sur la base des seules déclarations de ce demandeur. Lesdites déclarations ne sauraient constituer, compte tenu du contexte particulier dans lequel s’inscrivent les demandes d’asile, que le point de départ dans le processus d’examen des faits et des circonstances prévu à l’article 4 de la directive 2004/83, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts.

En effet, bien qu’il appartienne au demandeur d’asile d’identifier cette orientation, qui constitue un élément relevant de sa sphère personnelle, les demandes d’octroi du statut de réfugié motivées par une crainte de persécution en raison de cette orientation, tout comme les demandes fondées sur d’autres motifs de persécution, peuvent faire l’objet d’un processus d’évaluation, prévu à l’article 4 de ladite directive.

Toutefois, les modalités d’appréciation, par les autorités compétentes, des déclarations et des éléments de preuve documentaires ou autres présentés à l’appui de telles demandes doivent être conformes aux dispositions de la directive 2004/83 et de la directive 2005/85, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres, ainsi que, comme il ressort, respectivement, des considérants 10 et 8 de ces directives, aux droits fondamentaux garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, tels que le droit au respect de la dignité humaine, consacré à l’article 1er de la charte, ainsi que le droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 7 de celle-ci.

(cf. points 49, 52, 53)

2.        L’article 4, paragraphe 3, sous c), de la directive 2004/83, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, ainsi que l’article 13, paragraphe 3, sous a), de la directive 2005/85, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, dans le cadre de l’examen, par les autorités nationales compétentes, agissant sous le contrôle du juge, des faits et des circonstances concernant la prétendue orientation sexuelle d’un demandeur d’asile, dont la demande est fondée sur une crainte de persécution en raison de cette orientation, les déclarations de ce demandeur ainsi que les éléments de preuve documentaires ou autres présentés à l’appui de sa demande fassent l’objet d’une appréciation, par lesdites autorités, au moyen d’interrogatoires fondés sur la seule base de notions stéréotypées concernant les homosexuels.

Si des interrogatoires portant sur des notions stéréotypées peuvent constituer un élément utile à la disposition des autorités compétentes aux fins de cette évaluation, l’évaluation des demandes d’octroi du statut de réfugié sur la seule base de notions stéréotypées associées aux homosexuels ne répond pas aux exigences des dispositions susmentionnées, en ce qu’elle ne permet pas auxdites autorités de tenir compte de la situation individuelle et personnelle du demandeur d’asile concerné. Dès lors, l’incapacité d’un demandeur d’asile à répondre à de telles questions ne saurait constituer, à elle seule, un motif suffisant en vue de conclure au défaut de crédibilité du demandeur.

(cf. points 62, 63, 72 et disp.)

3.        L’article 4 de la directive 2004/83, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, lu à la lumière de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, dans le cadre de l’examen des faits et des circonstances concernant la prétendue orientation sexuelle d’un demandeur d’asile, dont la demande est fondée sur une crainte de persécution en raison de cette orientation, les autorités nationales compétentes procèdent à des interrogatoires détaillés sur les pratiques sexuelles du demandeur.

En effet, si les autorités nationales sont fondées à procéder, le cas échéant, à des interrogatoires destinés à apprécier les faits et les circonstances concernant la prétendue orientation sexuelle d’un demandeur d’asile, les interrogatoires concernant les détails des pratiques sexuelles de ce demandeur sont contraires aux droits fondamentaux garantis par la charte et, notamment, au droit au respect de la vie privée et familiale, tel que consacré à l’article 7 de celle-ci.

(cf. points 64, 72 et disp.)

4.        L’article 4 de la directive 2004/83, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, lu à la lumière de l’article 1er de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, dans le cadre de l’examen des faits et des circonstances concernant la prétendue orientation sexuelle d’un demandeur d’asile, dont la demande est fondée sur une crainte de persécution en raison de cette orientation, lesdites autorités acceptent des éléments de preuve, tels que l’accomplissement par le demandeur d’asile concerné d’actes homosexuels, sa soumission à des «tests» en vue d’établir son homosexualité ou encore la production par celui-ci d’enregistrements vidéo de tels actes.

En effet, outre le fait que de tels éléments n’ont pas de valeur nécessairement probante, ils seraient de nature à porter atteinte à la dignité humaine, dont le respect est garanti par l’article 1er de la charte.

(cf. points 65, 72 et disp.)

5.        L’article 4, paragraphe 3, de la directive 2004/83, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, ainsi que l’article 13, paragraphe 3, sous a), de la directive 2005/85, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, dans le cadre de l’examen des faits et des circonstances concernant la prétendue orientation sexuelle d’un demandeur d’asile, dont la demande est fondée sur une crainte de persécution en raison de cette orientation, les autorités nationales compétentes concluent au défaut de crédibilité des déclarations du demandeur d’asile concerné au seul motif que sa prétendue orientation sexuelle n’a pas été invoquée par ce demandeur à la première occasion qui lui a été donnée en vue d’exposer les motifs de persécution.

Il ressort des dispositions de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/83 que les États membres peuvent considérer qu’il appartient au demandeur de présenter «aussi rapidement que possible» tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale. Toutefois, compte tenu du caractère sensible des questions ayant trait à la sphère personnelle d’une personne et, notamment, à sa sexualité, il ne saurait être conclu au défaut de crédibilité de celle-ci du seul fait que, en raison de sa réticence à révéler des aspects intimes de sa vie, cette personne n’ait pas d’emblée déclaré son homosexualité.

(cf. points 68, 69, 72 et disp.)