Language of document : ECLI:EU:C:2011:112

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

3 mars 2011(*)

«Concurrence – Articles 101 TFUE, 102 TFUE et 106 TFUE – Régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé – Convention collective – Affiliation obligatoire auprès d’un organisme assureur déterminé – Exclusion explicite de toute possibilité de dispense d’affiliation – Notion d’entreprise»

Dans l’affaire C‑437/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le tribunal de grande instance de Périgueux (France), par décision du 27 octobre 2009, parvenue à la Cour le 9 novembre 2009, dans la procédure

AG2R Prévoyance

contre

Beaudout Père et Fils SARL,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. J.-J. Kasel, A. Borg Barthet, E. Levits (rapporteur) et M. Safjan, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 septembre 2010,

considérant les observations présentées:

–        pour AG2R Prévoyance, par Mes J. Barthélémy et O. Barraut, avocats,

–        pour Beaudout Père et Fils SARL, par Me F. Uroz, avocat,

–        pour le gouvernement français, par M. J. Gstalter, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement belge, par M. J.-C. Halleux et Mme C. Pochet, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et N. Graf Vitzthum, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. F. Castillo de la Torre et P. J. O. Van Nuffel, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 novembre 2010,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 81 CE et 82 CE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant AG2R Prévoyance (ci-après «AG2R»), institution de prévoyance régie par le code de la sécurité sociale français, à Beaudout Père et Fils SARL (ci-après «Beaudout»), relatif au refus de cette dernière d’adhérer au régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé géré par AG2R pour le secteur de la boulangerie artisanale française.

 La réglementation nationale

3        En France, les frais de soins de santé liés à une maladie ou à un accident exposés par les salariés sont en partie remboursés par le régime de base de la sécurité sociale. La partie des frais qui reste à la charge de l’assuré social peut faire l’objet d’un remboursement partiel dans le cadre d’une assurance complémentaire de santé.

4        L’affiliation des salariés d’un secteur d’activité donné à une telle couverture peut être prévue par un accord ou une convention collective conclu par les représentants des employeurs et des salariés.

5        Ainsi, aux termes de l’article L 911‑1 du code de la sécurité sociale:

«À moins qu’elles ne soient instituées par des dispositions législatives ou réglementaires, les garanties collectives dont bénéficient les salariés, anciens salariés et ayants droit en complément de celles qui résultent de l’organisation de la sécurité sociale sont déterminées soit par voie de conventions ou d’accords collectifs, soit à la suite de la ratification à la majorité des intéressés d’un projet d’accord proposé par le chef d’entreprise, soit par une décision unilatérale du chef d’entreprise constatée dans un écrit remis par celui-ci à chaque intéressé.»

6        L’article L 912‑1 du code de la sécurité sociale organise le dispositif d’affiliation obligatoire à un régime de remboursement complémentaire de soins de santé. Cet article dispose:

«Lorsque les accords professionnels ou interprofessionnels mentionnés à l’article L 911‑1 prévoient une mutualisation des risques dont ils organisent la couverture auprès d’un ou plusieurs organismes mentionnés à l’article 1er de la loi n° 89‑1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques ou d’une ou plusieurs institutions mentionnées à l’article L 370‑1 du code des assurances, auxquels adhèrent alors obligatoirement les entreprises relevant du champ d’application de ces accords, ceux-ci comportent une clause fixant dans quelles conditions et selon quelle périodicité les modalités d’organisation de la mutualisation des risques peuvent être réexaminées. La périodicité du réexamen ne peut excéder cinq ans.

Lorsque les accords mentionnés ci-dessus s’appliquent à une entreprise qui, antérieurement à leur date d’effet, a adhéré ou souscrit un contrat auprès d’un organisme différent de celui prévu par les accords pour garantir les mêmes risques à un niveau équivalent, les dispositions du second alinéa de l’article L 132‑23 du code du travail sont applicables.»

7        Aux termes de l’article 1er de la loi n° 89‑1009, du 31 décembre 1989, telle que modifiée par la loi n° 94‑678, du 8 août 1994 (JORF n° 184 du 10 août 1994), les activités de prévoyance ne peuvent être mises en œuvre que par les compagnies d’assurance, les institutions de prévoyance régies par le code de la sécurité sociale ou le code rural, et les mutualités.

8        À cet égard, l’article L 931‑1 du code de la sécurité sociale précise que les institutions de prévoyance sont des personnes de droit privé ayant un but non lucratif, administrées paritairement par des membres adhérents et des membres participants définis à l’article L 931‑3 de ce code. Elles ont notamment pour objet de couvrir les risques de dommages corporels liés aux accidents et à la maladie.

9        En vertu de l’article L 932‑9, cinquième alinéa, du code de la sécurité sociale, l’institution de prévoyance à laquelle a été confiée la gestion d’un régime de prévoyance n’a pas la possibilité de suspendre les garanties ni de dénoncer l’adhésion d’une entreprise à ce régime à défaut de paiement des cotisations dues à cette institution.

10      D’après l’article L 132‑23 du code du travail, dans le cas où des conventions de branche ou des accords professionnels ou interprofessionnels viennent à s’appliquer dans l’entreprise postérieurement à la conclusion de conventions ou d’accords négociés en vigueur, les dispositions de ces conventions ou accords sont adaptées en conséquence.

11      L’article L 133-8 du code du travail prévoit:

«À la demande d’une des organisations visées à l’article L 133-1 ou à l’initiative du ministre chargé du travail, les dispositions d’une convention de branche ou d’un accord professionnel ou interprofessionnel, répondant aux conditions particulières déterminées par la section précédente, peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d’application de ladite convention ou dudit accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé de la commission nationale de la négociation collective prévue à l’article L 136-1.

Saisi de la demande mentionnée à l’alinéa précédent, le ministre chargé du travail doit, obligatoirement et sans délai, engager la procédure d’extension.

L’extension des effets et des sanctions de la convention ou de l’accord se fait pour la durée et aux conditions prévues par ladite convention ou ledit accord.

Toutefois, le ministre chargé du travail peut exclure de l’extension, après avis motivé de la commission nationale de la négociation collective, les clauses qui seraient en contradiction avec les textes législatifs et réglementaires en vigueur et celles qui, pouvant être distraites de la convention ou de l’accord sans en modifier l’économie, ne répondraient pas à la situation de la branche ou des branches dans le champ d’application considéré. Il peut, dans les mêmes conditions, étendre, sous réserve de l’application des textes législatifs et réglementaires en vigueur, les clauses qui sont incomplètes au regard desdits textes.»

12      Par l’avenant du 24 avril 2006 à la convention collective nationale du 19 mars 1978, relatif à la mise en place d’un régime de «remboursement complémentaire de frais de soins de santé» dans le secteur de la boulangerie artisanale (ci-après l’«avenant n° 83»), le syndicat des patrons boulangers et les différents syndicats de salariés de ce secteur sont convenus de ce qui suit:

«Article 1 – Champ d’application

Le présent avenant est applicable aux entreprises entrant dans le champ d’application de la Convention Collective des entreprises artisanales de la Boulangerie et Boulangerie-Pâtisserie.

Article 2 – Adhésion – Affiliation

À compter de la date d’effet du présent avenant, les entreprises doivent affilier leurs salariés auprès de l’organisme assureur par la signature d’un bulletin d’affiliation spécifique.

[…]

Article 3 – Bénéficiaires

Le présent avenant institue un régime ‘remboursement complémentaire de frais de soins [de] santé’ obligatoire au profit de l’ensemble des salariés relevant des entreprises visées à l’article 1 du présent avenant, ayant un mois d’ancienneté dans une même entreprise.

Lorsque le salarié aura atteint l’ancienneté requise, il pourra bénéficier du régime rétroactivement à compter de sa date d’entrée dans l’entreprise.

[…]

Article 4 – Garanties

Les garanties du présent régime sont établies sur la base de la législation et réglementation de l’assurance maladie en vigueur au moment de sa conclusion. Elles sont revues, le cas échéant, sans délai en cas de changement de ces textes.

Sont couverts, tous les actes et frais courants sur la période de garantie ayant fait l’objet d’un remboursement et d’un décompte individualisé du régime de base de Sécurité Sociale au titre de la législation ‘maladie’, ‘accidents du travail/maladies professionnelles’ et ‘maternité’ ainsi que les actes et frais non pris en charge par ce dernier, expressément mentionnés dans le tableau des garanties figurant en annexe.

[…]

Article 5 – Cotisation et répartition

La cotisation du régime ‘remboursement complémentaire de frais de soins de santé’ est exprimée en pourcentage du Plafond Mensuel de la Sécurité Sociale (PMSS).

Pour l’année 2007, le pourcentage retenu du PMSS équivaut à une cotisation de 40 [euros] par salarié et par mois pour le régime général et de 32 [euros] pour le régime Alsace-Moselle.

Ce même pourcentage sera maintenu pour l’année 2008.

Au-delà de la deuxième année d’application du régime, la cotisation sera réexaminée par les parties signataires, en fonction des résultats du régime et de l’évolution des dépenses de santé et des législations et réglementations fiscales, sociales, et de l’Assurance maladie.

[…]

La cotisation est répartie à raison de 50 % à la charge de l’employeur et 50 % à la charge du salarié.

[…]

La commission paritaire se réunit au moins une fois par an pour examiner les résultats du régime ainsi que toutes statistiques ou éléments concernant ce régime dont elle pourrait avoir besoin.

[…]

Article 13 – Désignation de l’organisme assureur

AG2R Prévoyance […] est désignée comme organisme assureur du présent régime […]

Les modalités d’organisation de la mutualisation du régime seront réexaminées par la Commission Nationale Paritaire de la branche […] dans un délai de cinq ans à compter de la date d’effet du présent avenant.

[…]

Article 14 – Clause de migration

L’adhésion de toutes les entreprises relevant du champ d’application de la Convention Collective Nationale des entreprises artisanales de la Boulangerie et Boulangerie-Pâtisserie au régime ‘remboursement complémentaire de frais de soins de santé’ et l’affiliation des salariés de ces entreprises auprès de l’organisme assureur désigné ont un caractère obligatoire à compter de la date d’effet précisée à l’article 16 du présent avenant.

À cette fin, les entreprises concernées recevront un contrat d’adhésion et des bulletins d’affiliation.

Ces dispositions s’appliquent y compris pour les entreprises ayant un contrat de [couverture] complémentaire [des frais de soins de] santé auprès d’un autre organisme assureur avec des garanties identiques ou supérieures à celles définies par le présent avenant.

[…]»

13      Conformément à son article 16, l’avenant n° 83 a pris effet le 1er janvier 2007.

14      L’avenant n° 1, du 6 septembre 2006, à l’avenant n° 83 prévoit à son article 1er, notamment, que l’organisme assureur maintient une couverture de frais de soins de santé pendant une durée minimale de douze mois au profit des personnes garanties du chef d’un assuré décédé, à compter de son décès, sans contrepartie de cotisation.

15      L’article 2 de l’avenant n° 5, du 21 juillet 2009, à l’avenant n° 83 y insère un article 4 bis intitulé «Portabilité des droits du régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé». Cet article 4 bis est rédigé comme suit:

«En cas de rupture ou de fin du dernier contrat de travail non consécutive à une faute lourde et ouvrant droit à indemnisation du régime obligatoire d’assurance chômage, le salarié bénéficie du maintien des garanties du régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé prévu par l’avenant n° 83 […]

[…]

Le maintien des garanties prend effet dès le lendemain de la date de fin du contrat de travail sous réserve d’avoir été régulièrement déclaré par l’entreprise auprès de l’organisme assureur désigné.

Le maintien de garanties s’applique pour une durée maximale égale à la durée du dernier contrat de travail du salarié dans l’entreprise, appréciée en mois entiers, dans la limite de 9 mois.

[…]

Le maintien des garanties au titre de la portabilité est financé par les cotisations des entreprises et des salariés en activité […]»

16      Aux termes de l’article 1er de l’arrêté du 16 octobre 2006 portant extension d’un avenant à la convention collective nationale des entreprises artisanales de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie:

«Sont rendues obligatoires, pour tous les employeurs et tous les salariés compris dans le champ d’application de la convention collective nationale de la boulangerie-pâtisserie (entreprises artisanales) du 19 mars 1976, les dispositions de l’avenant n° 83 […]»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

17      Beaudout est affiliée au titre de l’assurance complémentaire de frais de soins de santé depuis le 10 octobre 2006 à une compagnie d’assurance autre qu’AG2R.

18      Refusant d’adhérer au régime géré par cette dernière, Beaudout a été assignée par celle-ci devant la juridiction de renvoi afin qu’il lui soit ordonné de régulariser son adhésion et de payer les cotisations en retard.

19      À titre incident, la défenderesse au principal a mis en cause la légalité de l’avenant n° 83.

20      Après avoir rejeté ses arguments en ce qui concerne la compatibilité de cet avenant avec le droit interne, la juridiction de renvoi s’est efforcée de comparer le litige dont elle est saisie avec l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt de la Cour du 21 septembre 1999, Albany (C‑67/96, Rec. p. I‑5751).

21      Cette juridiction a ainsi constaté que, contrairement au fonds de pension en cause dans cette affaire, auquel l’affiliation était obligatoire sous réserve de dispenses, le régime d’assurance complémentaire de soins de santé en cause au principal ne fait l’objet d’aucune dispense d’affiliation, que ce soit dans l’avenant n° 83 ou à l’article L 912‑1 du code de la sécurité sociale.

22      Considérant que, dans ces conditions, la solution du litige dont il est saisi nécessite l’interprétation du droit de l’Union, le tribunal de grande instance de Périgueux a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«[L]’organisation d’un dispositif d’affiliation obligatoire à un régime complémentaire [de soins] de santé tel qu’il est prévu par l’article L 912‑1 du code de la sécurité sociale et l’avenant rendu obligatoire par les pouvoirs publics, à la demande des organisations représentatives des employeurs et des travailleurs d’un secteur déterminé, prévoyant l’affiliation à un organisme unique, désigné pour gérer un régime complémentaire de soins de santé, sans aucune possibilité pour les entreprises du secteur concerné d’être dispensées d’affiliation, sont[-ils] conformes aux dispositions des articles 81 CE et 82 CE ou [sont-ils] de nature à faire occuper par l’organisme désigné une position dominante constitutive d’un abus[?]»

 Appréciation de la Cour

23      À titre liminaire, il convient de souligner que, si la question posée par la juridiction de renvoi se limite à demander à la Cour d’interpréter au regard de circonstances telles que celles de l’affaire au principal les articles 81 CE et 82 CE, auxquels correspondent actuellement les articles 101 TFUE et 102 TFUE, qui concernent le comportement des entreprises, il ressort de la décision de renvoi que cette juridiction se demande, en substance, si la décision des pouvoirs publics de rendre obligatoire, à la demande des organisations représentatives des employeurs et des salariés d’un secteur d’activité déterminé, un accord issu de négociations collectives qui prévoit l’affiliation obligatoire à un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé géré par un organisme désigné, sans possibilité de dispense, est compatible avec le droit de l’Union.

24      Or, il y a lieu de rappeler que l’article 101 TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, impose aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, de nature législative ou réglementaire, susceptibles d’éliminer l’effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises (voir, notamment, arrêts Albany, précité, point 65; du 21 septembre 1999, Brentjens’, C‑115/97 à C‑117/97, Rec. p. I‑6025, point 65, et Drijvende Bokken, C‑219/97, Rec. p. I‑6121, point 55).

25      En outre, aux termes de l’article 106, paragraphe 1, TFUE, auquel correspondait précédemment l’article 86, paragraphe 1, CE, les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles des traités, notamment à celles inscrites aux articles 18 TFUE et 101 TFUE à 109 TFUE inclus, sous réserve de l’article 106, paragraphe 2, TFUE.

26      Or, la Cour a pour mission d’interpréter toutes les dispositions du droit de l’Union dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis, même si ces dispositions ne sont pas indiquées expressément dans les questions qui lui sont adressées par ces juridictions (voir, en ce sens, arrêts du 8 mars 2007, Campina, C‑45/06, Rec. p. I‑2089, point 31, ainsi que du 5 mars 2009, Kattner Stahlbau, C‑350/07, Rec. p. I‑1513, points 25 et 26).

27      Dès lors, afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, il y a lieu de considérer que la question posée par celle-ci porte sur l’interprétation des articles 101 TFUE et 102 TFUE, lus ensemble, respectivement, avec les articles 4, paragraphe 3, TUE et 106 TFUE.

 Sur l’interprétation de l’article 101 TFUE lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE

28      Afin de répondre à cette partie de la question préjudicielle telle que reformulée, il y a lieu d’examiner d’emblée si la décision des organisations représentatives des employeurs et des salariés d’un secteur professionnel de désigner un organisme chargé de la gestion d’un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé et de demander aux pouvoirs publics de rendre obligatoire l’affiliation à ce régime de tous les salariés de ce secteur est susceptible de relever de la notion d’accord entre entreprises, de décisions d’associations d’entreprises ou de pratiques concertées tels que prohibés à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

29      À cet égard, il importe, en premier lieu, de rappeler que la Cour a jugé que les accords conclus dans le cadre de négociations collectives entre partenaires sociaux destinés à améliorer les conditions d’emploi et de travail doivent être considérés, en raison de leur nature et de leur objet, comme ne relevant pas de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts précités Albany, point 60; Brentjens’, point 57; Drijvende Bokken, point 47; arrêts du 12 septembre 2000, Pavlov e.a., C‑180/98 à C‑184/98, Rec. p. I‑6451, point 67, ainsi que du 21 septembre 2000, van der Woude, C‑222/98, Rec. p. I‑7111, point 22).

30      Il convient dès lors d’examiner si la nature et l’objet d’un accord tel que celui en cause au principal justifient qu’il soit soustrait au champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

31      Il résulte des constatations de la juridiction de renvoi, d’une part, que l’accord en cause au principal a été conclu sous la forme d’un avenant à une convention collective et résulte par conséquent d’une négociation collective entre l’organisation représentative des employeurs et celles représentatives des salariés du secteur de la boulangerie artisanale française.

32      Quant à son objet, d’autre part, cet accord met en place, dans un secteur déterminé, un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé qui contribue à l’amélioration des conditions de travail des salariés non seulement en leur garantissant les moyens nécessaires pour faire face à des frais liés à une maladie, à un accident du travail, à une maladie professionnelle ou encore à une maternité, mais également en réduisant les dépenses qui, à défaut d’une convention collective, auraient dû être supportées par les salariés.

33      Cette constatation n’est pas remise en cause par la circonstance que l’affiliation à un tel accord est obligatoire pour toutes les entreprises du secteur d’activité concerné d’un État membre, ne prévoyant pas de dispense d’affiliation, contrairement à l’accord en cause dans l’affaire au principal ayant donné lieu à l’arrêt Albany, précité.

34      En effet, d’une part, dans cet arrêt, la Cour n’a pas tenu compte des possibilités de dispense d’affiliation au fonds de pension concerné dans cette affaire pour interpréter l’article 85, paragraphe 1, du traité CE, auquel correspond actuellement l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

35      D’autre part, il découle des points 26 et 27 de l’arrêt van der Woude, précité, qu’est exclue du champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE une convention collective relative à un régime d’assurance maladie désignant un seul organisme en cas de souscription à ce régime, excluant ainsi toute possibilité d’affiliation auprès d’organismes concurrents.

36      Dès lors, il convient de constater qu’un accord tel que l’avenant n° 83 ne relève pas, en raison de sa nature et de son objet, de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

37      En second lieu, il résulte d’une jurisprudence constante que, si, par lui-même, l’article 101 TFUE concerne uniquement le comportement des entreprises et ne vise pas des mesures législatives ou réglementaires émanant des États membres, cet article, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, impose aux États membres de ne pas prendre ou de ne pas maintenir en vigueur des mesures, de nature législative ou réglementaire, susceptibles d’éliminer l’effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises. Tel est le cas lorsqu’un État membre soit impose ou favorise la conclusion d’ententes contraires à l’article 101 TFUE ou renforce les effets de telles ententes, soit retire à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d’intervention en matière économique (voir, en ce sens, arrêts du 18 juin 1998, Commission/Italie, C-35/96, Rec. p. I-3851, points 53 et 54; Corsica Ferries France, C-266/96, Rec. p. I-3949, points 35, 36 et 49, ainsi que Albany, précité, point 65).

38      Il convient, à cet égard, d’observer que, dans la mesure où il ressort du point 36 du présent arrêt qu’un accord tel que l’avenant n° 83 ne relève pas de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, les pouvoirs publics sont libres de le rendre obligatoire à des personnes qui ne sont formellement pas liées par celui-ci (voir, par analogie, arrêts précités Albany, point 66; Brentjens’, point 66, et Drijvende Bokken, point 56).

39      Il convient dès lors de répondre à la première partie de la question telle que reformulée que l’article 101 TFUE lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la décision des pouvoirs publics de rendre obligatoire, à la demande des organisations représentatives des employeurs et des salariés d’un secteur d’activité déterminé, un accord issu de négociations collectives qui prévoit l’affiliation obligatoire à un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé pour l’ensemble des entreprises du secteur concerné, sans possibilité de dispense.

 Sur l’interprétation de l’article 102 TFUE, lu en combinaison avec l’article 106 TFUE

 Quant à la qualification d’entreprise au sens de l’article 102 TFUE

40      S’agissant de l’interprétation de l’article 102 TFUE, il y a lieu de déterminer si une institution telle qu’AG2R est une entreprise au sens de cette disposition.

41      À cet égard, il importe de rappeler que, dans le contexte du droit de la concurrence de l’Union, la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (voir, notamment, arrêts du 23 avril 1991, Höfner et Elser, C‑41/90, Rec. p. I‑1979, point 21, ainsi que du 11 décembre 2007, ETI e.a., C‑280/06, Rec. p. I‑10893, point 38).

42      Il ressort d’une jurisprudence constante que constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (voir, notamment, arrêt du 22 janvier 2002, Cisal, C‑218/00, Rec. p. I‑691, point 23).

43      En l’occurrence, il résulte de l’article L 931‑1 du code de la sécurité sociale qu’AG2R, en tant qu’institution de prévoyance relevant dudit code, est une personne de droit privé ayant un but non lucratif et dont l’objet est la couverture des dommages corporels liés aux accidents et à la maladie. Ce faisant, d’une part, en vertu de l’article L 932‑9 de ce même code, une telle institution ne peut ni suspendre les garanties ni dénoncer l’adhésion d’une entreprise en raison du défaut de paiement des cotisations par une entreprise. D’autre part, si les entreprises relevant de la convention collective nationale des entreprises artisanales de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie sont obligées d’adhérer au régime géré par AG2R, il en découle, corrélativement, qu’AG2R est obligée, pour sa part, aux termes de l’avenant n° 83, d’assurer tous les salariés de ces entreprises, indépendamment du risque à couvrir, et ce en contrepartie d’un taux unique de cotisation, supporté à parts égales par l’employeur et le salarié, sans égard à la taille de l’entreprise ou à la rémunération du salarié assuré.

44      Partant, en ce qu’il prévoit une protection sociale complémentaire obligatoire pour tous les salariés d’un secteur économique, un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé tel que celui en cause au principal poursuit un objectif social.

45      Toutefois, la finalité sociale d’un régime d’assurance n’est pas en soi suffisante pour exclure que l’activité concernée soit qualifiée d’activité économique (voir, en ce sens, arrêts précités Albany, point 86; Pavlov e.a., point 118; Cisal, point 37, et Kattner Stahlbau, point 42).

46      Il convient encore d’examiner en particulier, d’une part, si ce régime peut être considéré comme mettant en œuvre le principe de solidarité et, d’autre part, s’il est soumis au contrôle de l’État qui l’a instauré, ces éléments étant de nature à exclure le caractère économique d’une activité donnée (voir, en ce sens, arrêt Kattner Stahlbau, précité, point 43 et jurisprudence citée).

–       Sur la mise en œuvre du principe de solidarité

47      En ce qui concerne la mise en œuvre du principe de solidarité, il ressort d’une appréciation globale du régime en cause au principal, premièrement, que celui-ci est financé par des cotisations au montant forfaitaire, et dont, partant, le taux n’est pas proportionnel au risque assuré.

48      En effet, conformément à l’article 5, deuxième alinéa, de l’avenant n° 83, la cotisation est fixée au montant uniforme de 40 euros, supporté pour partie par l’employeur et pour partie par le salarié.

49      Ce régime ne prend dès lors pas en considération des éléments tels que l’âge, l’état de santé ou encore les risques particuliers inhérents au poste de travail occupé par le salarié assuré.

50      Par conséquent, la nature des prestations servies par AG2R ainsi que l’étendue de la couverture accordée ne sont pas proportionnelles au montant des cotisations versées.

51      Deuxièmement, les prestations sont, dans certains cas, servies indépendamment du paiement des cotisations dues. Cela résulte tout d’abord de l’article 3, deuxième alinéa, de l’avenant n° 83, qui dispose que le bénéfice du régime est reconnu rétroactivement lorsque le salarié a atteint l’ancienneté minimale d’un mois requise pour adhérer audit régime. Ensuite, en application de l’article 4 bis de cet avenant, la couverture des frais de soins de santé est, en principe, maintenue pendant une certaine période après la rupture du contrat de travail de l’assuré. Enfin, l’article 1er de l’avenant n° 1, du 6 septembre 2006, à l’avenant n° 83 prévoit le maintien de ladite couverture au profit des personnes bénéficiaires du chef d’un assuré décédé pour une période allant au moins jusqu’à douze mois après son décès.

52      Eu égard à l’ensemble de ces éléments, il apparaît qu’un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé tel que celui en cause au principal est caractérisé par un degré élevé de solidarité.

–       Sur le contrôle de l’État

53      Afin de déterminer si la qualification d’entreprise exerçant une activité économique s’applique à un organisme tel que celui en cause au principal, il y a lieu d’analyser la portée du contrôle des modalités de fonctionnement de ce régime exercé par l’État.

54      En l’occurrence, en premier lieu, conformément à l’article L 911-1 du code de la sécurité sociale, il est reconnu aux partenaires sociaux la faculté de déterminer eux-mêmes, par voie de conventions ou d’accords collectifs, les garanties collectives dont bénéficient les salariés, anciens salariés et ayants droit en complément de celles qui résultent de l’organisation de la sécurité sociale.

55      En deuxième lieu, l’article L 912-1 de ce même code indique que ces accords comportent une clause fixant dans quelles conditions et selon quelle périodicité les modalités d’organisation de la mutualisation des risques peuvent être réexaminées par les partenaires sociaux.

56      En troisième lieu, en vertu de l’article L 133-8 du code du travail, un arrêté ministériel est nécessaire pour rendre obligatoires les dispositions de tels accords pour tous les salariés et employeurs auxquels ils sont applicables.

57      C’est dans ce cadre réglementaire que la mission de contrôle des modalités de fonctionnement du régime en cause au principal est dévolue, sous certaines réserves, aux représentants des employeurs et des salariés du secteur de la boulangerie artisanale.

58      Dans ce contexte, l’avenant n° 83 reconnaît un rôle prépondérant à ces représentants, dans la mesure où, en vertu de son article 13, deuxième alinéa, une commission paritaire composée également des représentants des employeurs et des salariés est chargée de réexaminer, dans un délai de cinq ans à compter de la date d’effet de cet avenant, les modalités d’organisation de la mutualisation du régime concerné. En outre, l’article 5, quatrième alinéa, dudit avenant prévoit que le montant de la cotisation fixé par celui-ci est réexaminé par les parties signataires au-delà de la deuxième année d’application du régime. Ce même article précise que la commission paritaire examine une fois par an les résultats de ce dernier.

59      Toutefois, d’autres caractéristiques relatives à la désignation d’AG2R en tant que gestionnaire du régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé pourraient amener à considérer que cet organisme dispose d’une certaine autonomie.

60      En premier lieu, l’article L 911‑1 du code de la sécurité sociale prévoit que les garanties collectives complémentaires dont bénéficient les salariés peuvent être instaurées de différentes manières. La voie de la convention collective est, dans ce contexte, un choix des partenaires sociaux, sachant que cette disposition permet également l’organisation d’une telle couverture à l’échelle d’une entreprise, et non de tout un secteur professionnel.

61      En second lieu, aux termes de l’article 1er de la loi n° 89‑1009, telle que modifiée par la loi n° 94‑678, les activités de prévoyance peuvent être confiées non seulement à des institutions de prévoyance et de mutualisation, mais également à des entreprises d’assurance.

62      Il résulte de ces éléments qu’il n’y a d’obligation légale ni dans le chef des partenaires sociaux de désigner AG2R pour assurer la gestion d’un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé comme celui en cause au principal ni dans le chef d’AG2R de prendre effectivement en charge la gestion d’un tel régime.

63      Dans ce contexte, Beaudout fait valoir dans ses observations qu’il existe d’autres institutions de prévoyance et compagnies d’assurance qui, avant la désignation d’AG2R par l’avenant n° 83, offraient des services en substance identiques à ceux fournis par cet organisme.

64      Dès lors se pose la question, d’une part, des circonstances dans lesquelles AG2R a été désignée par l’avenant n° 83 et, d’autre part, de la marge de négociation dont cet organisme a pu disposer quant aux modalités de son engagement, et de la répercussion de ces éléments sur le mode de fonctionnement du régime concerné dans son ensemble.

65      En effet, en fonction de ces circonstances et de cette marge de négociation, qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner, il pourrait être conclu qu’AG2R, bien que n’ayant pas de but lucratif et agissant sur le fondement du principe de solidarité, est une entreprise exerçant une activité économique qui a été choisie par les partenaires sociaux, sur la base de considérations financières et économiques, parmi d’autres entreprises avec lesquelles elle est en concurrence sur le marché des services de prévoyance qu’elle propose.

 Quant à l’applicabilité de l’article 106, paragraphe 2, TFUE

66      Pour autant qu’AG2R doit être considérée comme une entreprise exerçant une activité économique, au sens de l’article 102 TFUE, la décision des pouvoirs publics de rendre obligatoire l’affiliation à un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé à l’ensemble du secteur de la boulangerie artisanale française, sans aucune possibilité de dispense, impliquerait nécessairement l’octroi à cet organisme du droit exclusif de percevoir et de gérer les cotisations versées par les employeurs et les salariés de ce secteur dans le cadre de ce régime. Partant, un tel organisme pourrait être considéré comme une entreprise titulaire de droits exclusifs au sens de l’article 106, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts précités Albany, point 90; Brentjens’, point 90, et Drijvende Bokken, point 80).

67      Dès lors que, du fait de ces droits exclusifs, les entreprises du secteur de la boulangerie artisanale française n’auraient pas la possibilité de cotiser à un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé géré par un autre organisme, AG2R détiendrait un monopole légal sur une partie substantielle du marché commun et pourrait être considérée comme occupant une position dominante au sens de l’article 102 TFUE (voir, par analogie, arrêt Pavlov e.a., précité, point 126).

68      Il est toutefois de jurisprudence constante que le simple fait de créer une position dominante par l’octroi de droits exclusifs au sens de l’article 106, paragraphe 1, TFUE n’est pas, en tant que tel, incompatible avec l’article 102 TFUE. Un État membre n’enfreint les interdictions édictées par ces deux dispositions que lorsque l’entreprise en cause est amenée, par le simple exercice des droits exclusifs qui lui ont été conférés, à exploiter sa position dominante de façon abusive ou lorsque ces droits sont susceptibles de créer une situation dans laquelle cette entreprise est amenée à commettre de tels abus (voir arrêts précités, Höfner et Elser, point 29; Albany, point 93; Brentjens’, point 93, ainsi que Drijvende Bokken, point 83).

69      Une telle pratique abusive contraire à l’article 106, paragraphe 1, TFUE existe, notamment, lorsqu’un État membre confère à une entreprise un droit exclusif d’exercer certaines activités et crée une situation dans laquelle cette entreprise n’est manifestement pas en mesure de satisfaire la demande que présente le marché pour ce genre d’activités (voir, en ce sens, arrêts précités Höfner et Elser, point 31, ainsi que Pavlov e.a., point 127).

70      À cet égard, le refus de Beaudout d’adhérer au régime géré par AG2R se fonde sur l’allégation que des entreprises d’assurance offriraient des garanties supérieures aux prestations fournies par AG2R.

71      Toutefois, il faut souligner, d’une part, que l’impossibilité pour les entreprises du secteur de la boulangerie artisanale française de s’adresser à d’autres organismes pour obtenir une couverture en matière de remboursement complémentaire de frais de soins de santé au profit de leurs salariés ainsi que la restriction de la concurrence qui en résulte découlent directement du droit exclusif conféré à AG2R (voir, par analogie, arrêts précités Albany, point 97; Brentjens’, point 97, et Drijvende Bokken, point 87).

72      D’autre part, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 98 de ses conclusions, il ne ressort ni du dossier communiqué par la juridiction de renvoi ni des observations soumises à la Cour que les prestations fournies par AG2R ne correspondent pas aux besoins des entreprises concernées.

73      Dans ces conditions, il reste encore à vérifier si AG2R est chargée de la gestion d’un service d’intérêt économique général au sens de l’article 106, paragraphe 2, TFUE.

74      En effet, ainsi qu’il résulte des points 47 à 52 du présent arrêt, un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé tel que celui géré par AG2R est caractérisé par un degré élevé de solidarité. Au demeurant, l’avenant n° 83 impose à AG2R des contraintes particulières, notamment financières, pour garantir la pérennité de la couverture accordée aux assurés.

75      Beaudout fait toutefois valoir que l’introduction d’un mécanisme autorisant des dispenses d’affiliation ne mettrait pas en péril l’équilibre financier de l’organisme gestionnaire du régime en cause au principal.

76      À cet égard, il convient de rappeler qu’il découle de la jurisprudence qu’il n’est pas nécessaire, pour que les conditions d’application de l’article 106, paragraphe 2, TFUE soient remplies, que l’équilibre financier ou la viabilité économique de l’entreprise chargée de la gestion d’un service d’intérêt économique général soit menacé. Il suffit que, en l’absence des droits exclusifs litigieux, il soit fait échec à l’accomplissement des missions particulières imparties à cette entreprise, telles qu’elles sont précisées par les obligations et contraintes pesant sur elle, ou que le maintien de ces droits soit nécessaire pour permettre à leur titulaire d’accomplir les missions d’intérêt économique général qui lui ont été imparties dans des conditions économiquement acceptables (voir, en ce sens, arrêts précités Albany, point 107; Brentjens’, point 107, et Drijvende Bokken, point 97).

77      Or, il y a lieu de constater que, en cas de suppression de la clause de migration et, par là même, du droit exclusif d’AG2R de gérer le régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé pour l’ensemble des entreprises du secteur de la boulangerie artisanale française, cet organisme, alors qu’il est obligé, en vertu de l’avenant n° 83, d’offrir une couverture aux salariés de ces entreprises dans les conditions définies par ledit avenant, risquerait d’être confronté à une défection des assurés présentant des risques restreints, ceux-ci se tournant vers des entreprises offrant, en ce qui les concerne, des garanties comparables, voire meilleures, pour des cotisations moins élevées. Dans ces conditions, la part croissante des «mauvais risques» qu’il incomberait à AG2R de couvrir provoquerait une hausse du coût des garanties, de sorte que cet organisme ne pourrait plus proposer une couverture de même qualité à un prix acceptable.

78      Il en serait d’autant plus ainsi dans le cas d’un régime qui, comme celui en cause au principal, se caractérise par un degré élevé de solidarité, en raison, notamment, du caractère forfaitaire des cotisations et de l’obligation d’accepter tous les risques.

79      En effet, de telles contraintes, qui rendent le service fourni par l’organisme concerné moins compétitif qu’un service comparable fourni par des compagnies d’assurance non soumises à ces contraintes, contribuent à justifier le droit exclusif de cet organisme de gérer un tel régime, sans qu’aucune dispense d’affiliation ne soit possible.

80      Partant, la suppression d’une clause de migration telle que celle prévue par l’avenant n° 83 pourrait aboutir à une impossibilité pour l’organisme concerné d’accomplir les missions d’intérêt économique général qui lui ont été imparties dans des conditions économiquement acceptables.

81      Il convient dès lors de répondre à la seconde partie de la question telle que reformulée que, pour autant que l’activité consistant dans la gestion d’un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé tel que celui en cause au principal doit être qualifiée d’économique, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, les articles 102 TFUE et 106 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, à ce que les pouvoirs publics investissent un organisme de prévoyance du droit exclusif de gérer ce régime, sans aucune possibilité pour les entreprises du secteur d’activité concerné d’être dispensées de s’affilier audit régime.

 Sur les dépens

82      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      L’article 101 TFUE lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la décision des pouvoirs publics de rendre obligatoire, à la demande des organisations représentatives des employeurs et des salariés d’un secteur d’activité déterminé, un accord issu de négociations collectives qui prévoit l’affiliation obligatoire à un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé pour l’ensemble des entreprises du secteur concerné, sans possibilité de dispense.

2)      Pour autant que l’activité consistant dans la gestion d’un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé tel que celui en cause au principal doit être qualifiée d’économique, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, les articles 102 TFUE et 106 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, à ce que les pouvoirs publics investissent un organisme de prévoyance du droit exclusif de gérer ce régime, sans aucune possibilité pour les entreprises du secteur d’activité concerné d’être dispensées de s’affilier audit régime.

Signatures


* Langue de procédure: le français.