Language of document : ECLI:EU:T:2012:76

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

14 février 2012 (*)

« Aides d’État — Aide à la restructuration à un fabricant de gros électroménager notifiée par la République française — Décision déclarant l’aide compatible avec le marché commun sous conditions — Erreurs manifestes d’appréciation — Lignes directrices pour les aides d’État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté »

Dans les affaires jointes T‑115/09 et T‑116/09,

Electrolux AB, établie à Stockholm (Suède), représentée par Mes F. Wijckmans et H. Burez, avocats,

partie requérante dans l’affaire T-115/09,

Whirlpool Europe BV, établie à Breda (Pays-Bas), représentée initialement par Mes F. Tuytschaever et B. Bellen, puis par Mes H. Burez et F. Wijckmans, avocats,

partie requérante dans l’affaire T-116/09,

contre

Commission européenne, représentée par MM. L. Flynn et C. Giolito, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République française, représentée initialement par M. G. de Bergues et Mme A.‑L. Vendrolini, puis par MM. de Bergues et J. Gstalter, en qualité d’agents,

et par,

Fagor France SA, établie à Rueil-Malmaison (France), représentée par Mes J. Derenne et A. Müller-Rappard, avocats,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2009/485/CE de la Commission, du 21 octobre 2008, concernant l’aide d’État C 44/07 (ex N 460/07) que la France envisage de mettre à exécution en faveur de l’entreprise FagorBrandt (JO 2009, L 160, p. 11),

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de Mmes I. Pelikánová, président, K. Jürimäe (rapporteur) et M. M. van der Woude, juges,

greffier : Mme V. Nagy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 juin 2011,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante dans l’affaire T-115/09, Electrolux AB, et la requérante dans l’affaire T-116/09, Whirlpool Europe BV (ci-après « Whirlpool »), opèrent toutes deux dans le secteur de la fabrication et de la commercialisation des gros appareils électroménagers. Electrolux et Whirlpool (ci-après, prises ensemble, les « requérantes ») sont des concurrentes de Fagor France SA (ci-après « FagorBrandt »).

2        Le 21 octobre 2008, la Commission des Communautés européennes a adopté la décision 2009/485/CE concernant l’aide d’État C 44/07 (ex N 460/07) que la France envisage[ait] de mettre à exécution en faveur de l’entreprise FagorBrandt (JO 2009, L 160, p. 11, ci-après la « décision attaquée »).

3        La décision attaquée est divisée en sept parties. Dans la première partie, intitulée « Procédure », la Commission rappelle d’abord que, le 6 août 2007, la République française lui a notifié une aide en faveur de FagorBrandt (ci-après l’« aide en cause »). La Commission indique ensuite que, le 10 octobre 2007, elle a informé la République française qu’elle ouvrait la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE. La décision d’ouverture de la procédure (ci-après la « décision d’ouverture ») a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2007, C 275, p. 18), les parties intéressées étant invitées à présenter leurs observations sur l’aide en cause. Outre les observations de FagorBrandt, la Commission aurait reçu les observations de deux de ses concurrentes, l’une étant Electrolux et l’autre étant une entreprise qui a souhaité ne pas être identifiée (ci-après la « seconde plaignante ») (considérants 1 à 5 de la décision attaquée).

4        Dans la deuxième partie de la décision attaquée, intitulée « Description », la Commission constate notamment que l’aide en cause est une aide à la restructuration d’un montant de 31 millions d’euros, qui sera octroyée par le ministère français de l’Économie, des Finances et de l’Emploi. Elle relève également, d’une part, que FagorBrandt appartient indirectement à une coopérative de droit espagnol, Fagor Electrodomésticos S. Coop. (ci-après « Fagor »), qui, à son tour, fait partie du regroupement de coopératives Mondragón Corporación Cooperativa. Selon la Commission, FagorBrandt a réalisé un chiffre d’affaires de 903 millions d’euros en 2007 et est présente dans les trois grandes familles de produits du secteur des gros appareils électroménagers, à savoir le lavage, le froid et la cuisson (considérants 6 à 9 de la décision attaquée).

5        Dans la troisième partie de la décision attaquée, intitulée « Raisons ayant conduit à l’ouverture de la procédure », la Commission énumère les cinq raisons l’ayant conduite à adopter la décision d’ouverture. Premièrement, elle a considéré qu’il pouvait exister un risque de contournement de l’interdiction d’aide à la restructuration aux entreprises nouvellement créées prévue par le paragraphe 12 des lignes directrices communautaires concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté (JO 2004, C 244, p. 2, ci-après les « lignes directrices »), compte tenu du fait que FagorBrandt avait été créée en janvier 2002. Deuxièmement, il aurait existé un risque de contournement de l’obligation de remboursement de l’aide octroyée à FagorBrandt au titre du régime d’exemption fiscale sur les bénéfices des sociétés dont elle avait bénéficié en vertu de l’article 44 septies du code général des impôts français (ci-après l’« aide 44 septies ») et dont la Commission avait ordonné la récupération dans la décision 2004/343/CE, du 16 décembre 2003, concernant le régime d’aides mis à exécution par la France concernant la reprise d’entreprises en difficulté (JO 2004, L 108, p. 38). Troisièmement, la Commission a exprimé des doutes sur la viabilité à long terme de FagorBrandt. À cet égard, d’une part, elle aurait souhaité avoir des précisions sur les prévisions de croissance de 20 % du chiffre d’affaires de FagorBrandt en 2007 par rapport à 2006. D’autre part, la Commission aurait demandé à FagorBrandt d’expliquer comment cette dernière allait rembourser l’aide incompatible que sa filiale italienne, FagorBrandt Italia, avait perçue (ci-après l’« aide incompatible italienne »). Quatrièmement, la Commission aurait également eu des doutes sur le caractère suffisant des mesures compensatoires engagées dans le cadre du plan de restructuration. Cinquièmement, la Commission aurait douté que la contribution propre de FagorBrandt ait pu satisfaire aux conditions prévues par les paragraphes 43 et 44 des lignes directrices. D’une part, elle précise à cet égard que les autorités françaises n’avaient pas inclus le remboursement de l’aide 44 septies dans les coûts de restructuration. D’autre part, les autorités françaises n’auraient pas expliqué la provenance de certains montants comptabilisés comme contribution propre de FagorBrandt (considérants 11 à 16 de la décision attaquée).

6        Dans les quatrième et cinquième parties de la décision attaquée respectivement intitulées « Observations des intéressés » et « Commentaires de la France », d’une part, la Commission énonce les raisons pour lesquelles Electrolux et la seconde plaignante considèrent que les conditions posées par les lignes directrices ne sont pas satisfaites en l’espèce, notamment dans la mesure où l’aide en cause fausserait la concurrence, ne serait pas limitée au minimum et servirait à contourner l’obligation de remboursement des aides antérieures que la Commission a déclarées illégales. D’autre part, la Commission indique que la République française et FagorBrandt ont fait valoir que cette dernière remplissait toutes les conditions posées par les lignes directrices pour bénéficier de l’aide en cause (considérants 17 à 33 de la décision attaquée).

7        Dans la sixième partie de la décision attaquée, intitulée « Appréciation de l’aide », premièrement, la Commission constate qu’aucune des parties n’a contesté que l’aide en cause constituait une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE (considérant 34 de la décision attaquée).

8        Deuxièmement, la Commission estime que l’aide en cause ne peut être appréciée qu’au regard des lignes directrices, ce que ni la République française ni les parties intéressées à la procédure administrative n’auraient contesté (considérants 35 et 36 de la décision attaquée).

9        Troisièmement, la Commission procède à l’examen de l’éligibilité de FagorBrandt aux aides à la restructuration, au regard des dispositions des lignes directrices. Dans ce cadre, d’une part, elle considère que FagorBrandt remplit les conditions prévues aux paragraphes 11 et 13 des lignes directrices, dès lors que ses difficultés financières étaient devenues trop graves pour pouvoir être financées par Fagor. D’autre part, il ressortirait de l’analyse financière de FagorBrandt, qui a été créée en janvier 2002, qu’elle ne pouvait pas être considérée comme en difficulté durant ses trois premières années d’existence (considérants 37 à 43 de la décision attaquée).

10      Quatrièmement, d’une part, la Commission indique que les difficultés financières de FagorBrandt ne proviennent pas principalement du remboursement de l’aide 44 septies et, partant, que cette entreprise est éligible à recevoir des aides à la restructuration. D’autre part, elle observe que, conformément à l’arrêt de la Cour du 15 mai 1997, TWD/Commission (C‑355/95 P, Rec. p. I‑2549, ci-après l’« arrêt Deggendorf », points 25 et 26), rien ne s’oppose à ce que l’octroi de l’aide en cause soit suspendue jusqu’à la récupération de l’aide 44 septies (considérants 44 à 50 de la décision attaquée).

11      Cinquièmement, la Commission examine le plan de restructuration et conclut que celui-ci permet de rétablir la viabilité de l’entreprise à long terme. Dans ce cadre, d’une part, elle relève notamment que le chiffre d’affaires de FagorBrandt a progressé en 2007, non de 20 % comme escompté par cette dernière dans son plan de restructuration, mais de 16 %. D’autre part, la Commission indique, s’agissant du fait que le plan de restructuration n’indiquait pas comment FagorBrandt allait faire face au remboursement de l’aide incompatible italienne, que les autorités françaises ont expliqué que la récupération de cette aide serait sans influence sur la situation financière du groupe en relevant, en substance, que le remboursement de cette aide devrait vraisemblablement être inférieur à un million d’euros. La Commission considère à cet égard, tout en écartant les arguments avancés lors de la procédure administrative par la seconde plaignante, que les mesures compensatoires additionnelles proposées par la République française après l’adoption de la décision d’ouverture n’empêcheront pas le retour à la viabilité de FagorBrandt même si lesdites mesures l’affaibliront (considérants 51 à 71 de la décision attaquée).

12      Sixièmement, la Commission relève en substance que, si l’aide en cause engendre une distorsion de concurrence, différents facteurs en limitent les conséquences négatives. Tout d’abord, FagorBrandt n’aurait, au maximum, qu’une part de marché de 5 % en Europe. Les parts de marché combinées de Fagor et de FagorBrandt seraient, au maximum, de 8 % en Europe. De plus, quatre de ses concurrentes auraient des parts de marché de 10 % ou plus. Ensuite, l’aide en cause représenterait moins de 4 % du chiffre d’affaires européen de FagorBrandt. En outre, compte tenu du fait que l’aide en cause aurait des effets défavorables sur les conditions des échanges entre les États membres, des mesures compensatoires réelles non négligeables, mais de taille limitée auraient été nécessaires. À cet égard, la Commission considère que les mesures de fermeture des usines situées sur deux sites en France ne sauraient être considérées comme des mesures compensatoires. En revanche, la cession en mars 2004 de la filiale de FagorBrandt, Brandt Components, peut être, selon la Commission, considérée comme une mesure compensatoire. Toutefois, parce que cette seule mesure devrait être considérée comme insuffisante, la Commission indique qu’il est nécessaire d’examiner les mesures compensatoires additionnelles proposées par les autorités françaises. Elle considère que la mesure consistant en l’arrêt, pendant une durée de cinq ans, de la commercialisation des produits du froid et de cuisson ainsi que des lave-vaisselle sous la marque Vedette doit être privilégiée par rapport à celle consistant en la cession de cette marque. Elle conclut à cet égard que l’arrêt de la commercialisation, pendant une durée de cinq années, desdits produits et la cession de sa filiale Brandt Components permettent d’éviter des distorsions de concurrence excessives au sens des paragraphes 38 à 40 des lignes directrices (considérants 72 à 95 de la décision attaquée).

13      Septièmement, s’agissant de l’obligation de limiter au strict minimum le montant et l’intensité de l’aide en application des paragraphes 43 à 45 des lignes directrices, la Commission rappelle qu’elle a soulevé deux doutes à cet égard au considérant 44 de la décision d’ouverture. Les autorités françaises auraient levé ces doutes dans leurs observations en réponse à la décision d’ouverture. D’une part, la contribution propre du bénéficiaire de l’aide en cause consisterait dans des prêts bancaires levés sur le marché, d’un montant compris entre 30 et 35 millions d’euros et sécurisés par des stocks de produits finis. D’autre part, le remboursement de l’aide 44 septies, qui s’élèverait à un montant compris entre 25 et 30 millions d’euros, y compris les intérêts, aurait été comptabilisé dans le plan de restructuration. Même si le remboursement de l’aide avec intérêt était inclus comme un coût de restructuration, cela n’aurait pas pour effet de diminuer la contribution propre du bénéficiaire en dessous du seuil de 50 % requis par le paragraphe 44 des lignes directrices. La Commission estime également que, après l’octroi de l’aide en cause et à la fin de la restructuration, le groupe sera encore significativement endetté (considérants 96 à 104 de la décision attaquée).

14      Dans la septième partie de la décision attaquée, intitulée « Conclusion », la Commission considère que l’aide en cause peut être déclarée compatible avec le marché commun sous certaines conditions.

15      Le dispositif de la décision attaquée est libellé comme suit :

« Article premier

L’aide que la France envisage de mettre à exécution en faveur de l’entreprise FagorBrandt pour un montant de 31 millions [d’euros] est compatible avec le marché commun aux conditions prévues à l’article 2.

Article 2

1. Les autorités françaises sont tenues de suspendre le versement à l’entreprise FagorBrandt de l’aide visée à l’article 1er de la présente décision tant que la récupération auprès de FagorBrandt de l’aide incompatible visée par la décision 2004/343/CE n’est pas effective.

2. Le plan de restructuration de FagorBrandt, tel que communiqué à la Commission par la France, le 6 août 200[7], est exécuté intégralement.

3. FagorBrandt arrête la commercialisation des produits du froid, de la cuisson et des lave-vaisselle de la marque Vedette pour une durée de cinq années, qui doit débuter au plus tard sept mois après la date de la notification de la présente décision.

4. Pour assurer le suivi des conditions prévues aux paragraphes 1 à 3 du présent article, la République française informe la Commission, au moyen de rapports annuels, sur l’état d’avancement de la restructuration de FagorBrandt, sur la récupération de l’aide incompatible décrite au paragraphe 1, sur le paiement de l’aide compatible et sur la mise en œuvre des mesures compensatoires.

Article 3

La France informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la date de la notification de la présente décision, des mesures prises pour s’y conformer.

Article 4

La République française est destinataire de la présente décision. »

 Procédure et conclusions des parties

16      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 24 mars 2009, les requérantes ont introduit des recours en annulation contre la décision attaquée, respectivement dans les affaires T‑115/09 et T‑116/09.

17      Par lettres déposées au greffe du Tribunal le 30 juin 2009, les requérantes ont demandé qu’il soit ordonné à la Commission, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, de produire neuf documents ou catégories de documents auxquels cette dernière fait référence dans ses mémoires en défense dans les affaires T‑115/09 et T-116/09.

18      Par lettres déposées au greffe du Tribunal le 9 juillet 2009, la République française et FagorBrandt ont demandé à intervenir au soutien de la Commission dans les affaires T‑115/09 et T-116/09.

19      Par lettres déposées au greffe du Tribunal le 27 juillet 2009, la Commission a fourni ses observations sur les demandes de production de documents des requérantes mentionnées au point 17 ci-dessus, en s’opposant auxdites demandes.

20      Par lettres déposées au greffe du Tribunal le 24 août 2009, Electrolux a, dans ses observations sur les demandes en intervention mentionnées au point 18 ci-dessus, demandé au Tribunal le traitement confidentiel, vis-à-vis de FagorBrandt et de la République française, de certaines informations chiffrées figurant en annexe 15 à sa requête, dans la mesure où il s’agirait, en substance, d’informations non publiques ayant un intérêt stratégique pour elle.

21      Par ordonnances du 22 septembre 2009, le président de la deuxième chambre du Tribunal a admis les demandes d’interventions déposées par la République française et par FagorBrandt dans les affaires T-115/09 et T-116/09. Dans lesdites ordonnances, il est dit pour droit que, ces demandes ayant été présentées après l’expiration du délai de six semaines visé à l’article 115, paragraphe 1, du règlement de procédure, les droits de la République française et de FagorBrandt sont ceux prévus à l’article 116, paragraphe 6, de ce règlement.

22      Par courriers déposés au greffe du Tribunal le 30 septembre 2009, FagorBrandt a demandé au Tribunal d’avoir accès aux dossiers dans les affaires T-115/09 et T‑116/09 et à obtenir des copies ou extraits de documents y figurant sous réserve du traitement confidentiel qui serait réservé à certains d’entre eux.

23      Par décision du 7 octobre 2009, le président de la deuxième chambre du Tribunal a décidé de ne pas faire droit aux demandes mentionnées au point 22 ci-dessus, conformément à l’article 116, paragraphe 6, du règlement de procédure.

24      Par courriers déposés au greffe du Tribunal le 1er juin 2010, les requérantes ont fourni un élément de fait nouveau consistant en un communiqué de presse de la Commission du 5 mai 2010, dans lequel cette dernière indiquait notamment qu’elle n’avait pas reçu « d’éléments de preuve suffisants » lui permettant de conclure que FagorBrandt avait, à cette date, remboursé l’aide 44 septies. La Commission a fourni ses observations sur ledit courrier le 22 juin 2010.

25      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la quatrième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

26      Par ordonnance du président de la quatrième chambre, rendue le 5 mai 2011 après que les parties ont été entendues, d’une part, les affaires T‑115/09 et T‑116/09 ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt, conformément à l’article 50 du règlement de procédure. D’autre part, il a été fait droit à la demande de traitement confidentiel de certains documents formulée par Electrolux à l’égard de Whirlpool.

27      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a posé par écrit des questions aux parties et a demandé à la Commission de fournir certains documents. Les parties ont déféré à ces demandes dans le délai imparti.

28      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 29 juin 2011.

29      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

30      La Commission, soutenue par la République française et par FagorBrandt, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours comme non fondés ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

31      À l’appui de leurs recours, les requérantes soulèvent deux moyens.

32      Par leur premier moyen, les requérantes font valoir, en substance, que les conditions pour qu’une aide à la restructuration soit déclarée compatible avec le marché commun ne sont pas satisfaites en l’espèce. Elles divisent ce moyen en huit branches. Selon elles, ne sont pas respectés, premièrement, le principe de non-récurrence tel que prévu aux paragraphes 5 et 72 à 77 des lignes directrices, selon lequel, en substance, une aide à la restructuration ne peut pas être octroyée dans les dix ans suivant l’octroi d’une telle aide ; deuxièmement, la condition selon laquelle, conformément au paragraphe 8 des lignes directrices, une aide à la restructuration ne peut pas servir à maintenir des entreprises artificiellement en vie dans un secteur connaissant une surcapacité structurelle ; troisièmement, la condition, prévue au paragraphe 23 des lignes directrices, selon laquelle la Commission doit prendre en considération les aides antérieures illégalement octroyées et non récupérées dans le cadre de l’examen de l’octroi d’une aide à la restructuration ; quatrièmement, la condition prévue au paragraphe 33 des lignes directrices, selon laquelle le bénéficiaire d’une aide à la restructuration doit être une entreprise en difficulté ; cinquièmement, la condition exposée au paragraphe 12 des lignes directrices selon laquelle le bénéficiaire de l’aide ne doit pas être une entreprise nouvellement créée ; sixièmement, la condition selon laquelle, en vertu des paragraphes 34 et 35 des lignes directrices, le plan de restructuration doit permettre de rétablir la viabilité à long terme du bénéficiaire de l’aide ; septièmement, la condition, prévue aux paragraphes 38 à 40 des lignes directrices, selon laquelle les mesures compensatoires doivent être proportionnées à la distorsion de concurrence engendrée par l’aide en cause ; huitièmement, la condition prévue au paragraphe 43 des lignes directrices selon laquelle une aide à la restructuration doit être limitée au minimum et une contribution réelle du groupe dont FagorBrandt fait partie doit être apportée.

33      Par leur second moyen, les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission a manqué, dans la décision attaquée, à son obligation de motivation prévue à l’article 253 CE, à plusieurs égards. Elles divisent ce moyen en trois branches. Premièrement, selon Electrolux, la Commission a omis de traiter de la question de l’existence d’une surcapacité structurelle sur le marché, alors même qu’Electrolux l’avait informée durant la procédure administrative de l’existence d’une telle surcapacité. Selon Whirlpool, en revanche, la Commission aurait dû indiquer les raisons pour lesquelles elle n’avait pas estimé nécessaire de réduire la distorsion de concurrence dans d’autres États membres que la France. Deuxièmement, les requérantes estiment que la Commission a omis d’indiquer les raisons pour lesquelles elle a estimé que la contribution du groupe auquel appartenait FagorBrandt était d’un niveau satisfaisant en ce qu’elle était la plus élevée possible. Troisièmement, elles estiment que la Commission aurait dû indiquer dans la décision attaquée les raisons pour lesquelles il n’était pas nécessaire d’apprécier l’impact du remboursement de l’aide 44 septies sur la restauration de la viabilité de FagorBrandt à long terme.

34      La Commission, soutenue par la République française et par FagorBrandt, s’oppose à ces deux moyens.

35      D’une part, le Tribunal estime opportun de relever qu’il est constant que, comme la Commission l’a estimé, au considérant 36 de la décision attaquée, la compatibilité avec le marché commun d’une aide à la restructuration doit être examinée au regard de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE. À cet égard, le Tribunal rappellera à titre liminaire le cadre juridique relatif au pouvoir d’appréciation de la Commission en matière d’examen de la compatibilité d’une aide à la restructuration avec le marché commun ainsi que le pouvoir de contrôle du Tribunal en la matière. D’autre part, il entamera l’examen des moyens soulevés par les requérantes par la septième branche du premier moyen.

 Sur le cadre juridique pertinent relatif au contrôle de l’octroi d’aides à la restructuration

36      Premièrement, en vertu de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, les aides qui sont destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun, peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun.

37      Selon une jurisprudence constante, pour l’application de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, la Commission jouit d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire (arrêts de la Cour du 24 février 1987, Deufil/Commission, 310/85, Rec. p. 901, point 18, et du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑372/97, Rec. p. I‑3679, point 83 ; arrêt du Tribunal du 15 juin 2005, Corsica Ferries France/Commission, T‑349/03, Rec. p. II‑2197, point 137).

38      En outre, la Commission peut s’imposer des orientations pour l’exercice de son pouvoir d’appréciation par le biais de l’adoption d’actes comme les lignes directrices sur les entreprises en difficulté, dans la mesure où de tels actes contiennent des règles indicatives sur l’orientation à suivre par cette institution et où ils ne s’écartent pas des normes du traité (voir arrêt du Tribunal du 30 janvier 2002, Keller et Keller Meccanica/Commission, T‑35/99, Rec. p. II‑261, point 77, et la jurisprudence citée).

39      Dans ce cadre, il importe de relever, s’agissant de la notion d’aide à la restructuration, qu’il ressort en substance des paragraphes 16 et 17 des lignes directrices que la Commission considère qu’une telle aide a pour objet de rétablir la viabilité à long terme d’une entreprise à la différence d’une aide au sauvetage qui consiste en une assistance temporaire et qui est destinée à la mise en œuvre de mesures immédiates.

40      Deuxièmement, il est de jurisprudence constante que le contrôle juridictionnel appliqué à l’exercice du pouvoir d’appréciation dont bénéficie la Commission pour l’application de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE se limite à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi qu’au contrôle de l’exactitude matérielle des faits retenus et de l’absence d’erreur de droit, d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits ou de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 13 février 2003, Espagne/Commission, C‑409/00, Rec. p. I‑1487, point 93, et arrêt Corsica Ferries France/Commission, point 37 supra, point 138, et la jurisprudence citée). En revanche, il n’appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation économique à celle de l’auteur de la décision (arrêts du Tribunal du 25 juin 1998, British Airways e.a./Commission, T‑371/94 et T‑394/94, Rec. p. II‑2405, point 79, et Corsica Ferries France/Commission, point 37 supra, point 138).

41      Par ailleurs, le Tribunal doit également vérifier si les exigences que la Commission s’est imposées dans ces lignes directrices ont été respectées (voir, en ce sens, arrêt Keller et Keller Meccanica/Commission, point 38 supra, point 77, et la jurisprudence citée).

42      En revanche, il n’appartient pas au juge de l’Union de se substituer à la Commission en effectuant à sa place un examen auquel elle n’a procédé à aucun moment et en supputant les conclusions auxquelles elle serait parvenue au terme de celui-ci (arrêt du Tribunal du 1er juillet 2008, Deutsche Post/Commission, T‑266/02, Rec. p. II‑1233, point 95 ; voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 16 septembre 2004, Valmont/Commission, T‑274/01, Rec. p. II‑3145, point 136).

43      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner les présents recours.

 Sur la septième branche du premier moyen, tirée d’une violation des paragraphes 38 à 40 des lignes directrices, relatives au fait que les mesures compensatoires adoptées ne sont pas proportionnées à la distorsion de concurrence engendrée par l’aide en cause

44      Il convient de relever, s’agissant de l’adoption de mesures compensatoires dans le cadre de l’octroi d’une aide à la restructuration, que les paragraphes 38 à 40 des lignes directrices ont trait à la « prévention de toute distorsion excessive de la concurrence ». En vertu des ces dispositions, et comme le rappelle la Commission également dans ses écritures, en premier lieu, des mesures compensatoires doivent être adoptées afin de limiter les effets négatifs de l’octroi d’une aide à la restructuration sur la concurrence et sur les échanges (paragraphe 38 des lignes directrices). En deuxième lieu, ces mesures doivent être « adéquates » au sens où elles ne doivent pas entraîner une détérioration de la structure du marché (paragraphe 39 des lignes directrices). En troisième lieu, elles doivent être « proportionnées » aux effets de distorsion causés par l’aide. À cet égard, premièrement, elles doivent porter sur le ou les marchés sur lesquels l’entreprise en cause détiendra une position importante après la restructuration. Deuxièmement, si ces mesures peuvent intervenir avant ou après l’octroi de l’aide, elles doivent en toute hypothèse faire partie intégrante du plan de restructuration. Troisièmement, elles ne doivent pas consister en de simples radiations comptables ou fermetures d’activités déficitaires dès lors qu’elles n’entraîneraient alors pas une réduction de la capacité ou de la présence sur le marché de l’entreprise en cause (paragraphe 40 des lignes directrices).

45      Les requérantes font observer que, en vertu des paragraphes 38 et 40 des lignes directrices, des mesures compensatoires doivent, en substance, d’une part, être proportionnées aux effets de distorsion causés par une aide à la restructuration et, d’autre part, porter sur le ou les marchés sur lesquels l’entreprise détiendra une position importante après la restructuration. Elles soulèvent trois principaux griefs à cet égard. Par leur premier grief, elles soutiennent que les mesures compensatoires adoptées par la Commission sont insuffisantes au regard de la position importante qu’occupe FagorBrandt sur le marché. Par leur deuxième grief, elles font valoir que la cession de Brandt Components ne constitue pas une mesure compensatoire appropriée. Par leur troisième grief, elles soutiennent que l’arrêt de la commercialisation des réfrigérateurs, des cuisinières et des lave-vaisselle sous la marque Vedette pendant cinq années n’est pas une mesure compensatoire proportionnée, compte tenu des effets de distorsion créée par l’aide en cause.

46      La Commission s’oppose à chacun de ces trois griefs.

47      En l’espèce, il convient de constater que, après avoir relevé aux considérants 80 et 81 de la décision attaquée que les mesures de fermeture de deux usines de FagorBrandt ne constituaient pas des mesures compensatoires dès lors qu’elles avaient consisté en des fermetures d’activités déficitaires, la Commission a estimé, aux considérants 82 et 83 de la décision attaquée, s’agissant de la cession de Brandt Components, ce qui suit :

« (82) A contrario, en mars 2004, l’entreprise a cédé sa filiale Brandt Components (usine de Nevers) au groupe autrichien ATB pour un montant de [2-5] millions [d’euros]. Il ne s’agit dès lors pas d’une radiation comptable […] ni d’une fermeture d’activité. Cette mesure n’est donc pas exclue par la disposition [prévue au paragraphe] 40 des lignes directrices […] L’activité cédée en mars 2004 […] avait, en 2003, un chiffre d’affaires de [25-45] millions [d’euros] — équivalant à [2-5] % du chiffre d’affaires [de] 2003 de l’entreprise — et comptait [250-500] salariés — équivalant à [5-10] % des travailleurs de l’entreprise. Elle était impliquée dans la conception, le développement, la fabrication et la commercialisation de moteurs électriques pour machines à laver. Cette cession a donc entraîné la réduction de la présence de l’entreprise sur le marché des composants des lave-linge.

(83) Tout en acceptant que cette mesure constitue une mesure compensatoire, la Commission considère qu’elle ne peut à elle seule contrebalancer les effets défavorables de l’aide [en cause]. La Commission observe notamment que cette mesure ne réduit pas la présence de FagorBrandt sur le marché du gros électroménager […], qui est le principal marché sur lequel FagorBrandt restera présent. »

48      La note en bas de page no 32 de la décision attaquée, à laquelle il est renvoyé au considérant 83 de ladite décision, est libellée comme suit :

« Les autorités françaises indiquent que l’activité de Brandt Components permettait à l’entreprise de bénéficier d’une forte intégration de la production des lave-linge top, qui est historiquement une position forte du groupe FagorBrandt. D’après les autorités françaises, ce type d’intégration est particulièrement visé pour les produits novateurs ou requérant un savoir-faire spécifique et est pratiqué par les acteurs majeurs du secteur (par exemple, BSH ou Miele). La Commission observe cependant que, au-delà des affirmations précédentes, les autorités françaises n’ont pas apporté d’éléments lui permettant d’établir indubitablement — et encore moins de quantifier cet effet — que la cession de Brandt Components va réduire la possibilité pour FagorBrandt de développer des lave-linge compétitifs et va dès lors réduire la présence de FagorBrandt sur le marché des lave-linge. La Commission ne peut dès lors conclure que la cession de Brandt Components a un effet réel sur le marché du gros électroménager. »

49      D’une part, il ressort donc des considérants 82 et 83 de la décision attaquée ainsi que de la note en bas de page no 32 de ladite décision que la Commission a considéré que la cession de Brandt Components pouvait être qualifiée de mesure compensatoire dès lors qu’il ne s’agissait ni d’une simple « radiation comptable » ni d’« une fermeture d’activité » et qu’elle a « entraîné la réduction de la présence de l’entreprise sur le marché des composants des lave-linge ». D’autre part, et dans le même temps, la Commission a considéré que cette mesure compensatoire ne réduisait pas la présence de FagorBrandt sur le principal marché sur lequel intervenait cette entreprise, à savoir celui du gros électroménager, de sorte que ladite mesure était à elle seule insuffisante pour limiter la distorsion de concurrence résultant de l’octroi de l’aide en cause.

50      C’est à la lumière des constatations opérées aux points 47 à 49 ci-dessus que le Tribunal estime opportun d’examiner d’abord le second grief des requérantes, selon lequel la Commission a considéré à tort que la cession de Brandt Components constituait une mesure compensatoire appropriée.

51      Premièrement, il est constant que la cession de Brandt Components est intervenue en mars 2004 et que la République française a notifié à la Commission l’aide en cause le 6 août 2007, soit près de trois années et demie après ladite cession. À cet égard, il peut donc être relevé que, même si, comme le fait observer la Commission, la République française considérait que la cession de Brandt Components faisait partie intégrante du plan de restructuration qu’elle a notifié à la Commission, cette mesure, lorsqu’elle a été adoptée en mars 2004, à l’instar de ce que relèvent les requérantes, n’avait pas pour objet, et ne pouvait avoir pour effet, d’atténuer les distorsions de concurrence que générerait l’octroi de l’aide envisagée par la République française dans sa notification du 6 août 2007.

52      À cet égard, il convient de rejeter comme étant non fondé l’argument de la Commission, soutenue par FagorBrandt, selon lequel il ressort de l’arrêt Corsica Ferries France/Commission, point 37 supra (point 225), qu’une mesure compensatoire peut être adoptée avant la mise en œuvre d’un plan de restructuration. En effet, comme le font observer à juste titre les requérantes, si le Tribunal a considéré dans ledit arrêt qu’une mesure compensatoire pouvait être adoptée avant la mise en œuvre d’un plan de restructuration, il a tenu compte des circonstances spécifiques dans lesquelles la mesure en cause avait été décidée près d’un mois avant l’adoption dudit plan de restructuration et qu’elle avait été mise en œuvre près d’un mois après que ce plan avait été notifié à la Commission. Les circonstances dans l’affaire ayant conduit à l’adoption de cet arrêt ne sont donc pas comparables à celles de la présente affaire dans laquelle la cession de Brandt Components est intervenue près de trois années et demie avant même que l’aide à la restructuration ainsi que le plan de restructuration de FagorBrandt n’aient été notifiés à la Commission.

53      Deuxièmement, s’il n’est pas contesté que, comme la Commission l’a relevé au considérant 82 de la décision attaquée, la cession de Brandt Components a eu pour effet de réduire la présence de FagorBrandt sur le marché des composants pour machines à laver, il y a lieu de relever, en revanche, qu’aucune partie n’a soutenu ou établi durant la procédure administrative ou devant le Tribunal que ladite cession avait eu pour effet d’atténuer, même de manière minime, les effets défavorables résultant de l’aide en cause sur la concurrence existant sur le principal marché sur lequel FagorBrandt intervenait. Au contraire, comme il ressort explicitement du considérant 83 et de la note en bas de page no 32 de la décision attaquée (voir points 47 et 48 ci-dessus), la Commission a exclu que la cession de Brandt Components ait eu un « effet réel » sur le marché des lave-linge, qui fait partie du secteur du gros électroménager, qui est le « principal marché » sur lequel intervenait FagorBrandt selon la Commission.

54      Troisièmement, contrairement à ce que la Commission a estimé au considérant 82 de la décision attaquée, le fait que la cession de Brandt Components ne constituait ni une simple radiation comptable ni une fermeture d’activités n’impliquait pas qu’il s’agissait nécessairement d’une mesure compensatoire de nature à réduire les effets négatifs sur la concurrence générés par l’octroi de l’aide en cause. En effet, dès lors que, comme il a été constaté aux points 52 et 53 ci-dessus, ladite mesure n’avait pas pour objet, et en toute hypothèse n’avait pas eu pour effet, de limiter les effets négatifs de l’octroi de l’aide en cause sur les échanges et sur la concurrence, elle ne pouvait valablement être qualifiée de mesure compensatoire.

55      À la lumière des considérations exposées aux points 51 à 54 ci-dessus, il y a lieu de constater que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant, au considérant 83 de la décision attaquée, que la cession de Brandt Components constituait une mesure compensatoire au sens des paragraphes 38 à 40 des lignes directrices. Il convient, dès lors, d’examiner les conséquences d’une telle erreur sur le bien-fondé de l’analyse de la Commission selon laquelle les mesures compensatoires adoptées en l’espèce permettaient de réduire les effets négatifs sur la concurrence résultant de l’octroi de l’aide en cause.

56      Tout d’abord, il convient de relever que, au considérant 94 de la décision attaquée, la Commission a estimé ce qui suit :

« Les mesures compensatoires sont l’arrêt de la commercialisation pendant une durée de cinq années de certains produits (cuisson, froid et lave-vaisselle) de la marque Vedette […] et la cession de Brandt Components. Il s’agit d’une réduction de la présence [de FagorBrandt] sur le marché réelle (c’est-à-dire non négligeable) mais de taille limitée. Cette réduction est donc proportionnée à l’ampleur de la distorsion de concurrence et des échanges, telle qu’analysée précédemment. »

57      La Commission conclut son analyse à cet égard, au considérant 95 de la décision attaquée, en indiquant ce qui suit :

« Dès lors, la Commission estime que ces mesures [compensatoires] permettent d’éviter les distorsions de concurrence excessives au sens des [paragraphes] 38 à 40 des lignes directrices […] »

58      À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de constater que, dans la mesure où, comme il a été relevé au point 53 ci-dessus, la cession de Brandt Components n’avait aucun effet réel sur le principal marché sur lequel FagorBrandt opérait, la conclusion de la Commission selon laquelle, en substance, le cumul de cette mesure compensatoire avec celle consistant en l’arrêt de la commercialisation de certains de ces produits pendant cinq ans sous la marque Vedette permettait de limiter de manière proportionnée les effets négatifs sur la concurrence générés par l’octroi de l’aide en cause est nécessairement erronée. D’une part, il importe de souligner à cet égard que la Commission n’a ni considéré ni établi dans la décision attaquée, ou même devant le Tribunal, que l’adoption de cette dernière mesure compensatoire était à elle seule suffisante pour réduire de manière proportionnée, conformément aux exigences posées par les paragraphes 38 à 40 des lignes directrices, les effets négatifs sur la concurrence résultant de l’octroi de l’aide en cause. D’autre part, et en toute hypothèse, il n’appartient pas au Tribunal, selon la jurisprudence exposée au point 42 ci-dessus, de se substituer à la Commission en procédant à un examen de la question de savoir si cette dernière mesure compensatoire était à elle seule suffisante pour limiter les effets négatifs sur la concurrence résultant de l’octroi de l’aide en cause et en supputant les conclusions que la Commission aurait dû tirer dudit examen.

59      Dans ces conditions, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les premier et troisième griefs de la septième branche du premier moyen, il y a lieu d’accueillir le deuxième grief de ladite branche tel que soulevé par les requérantes, en considérant que la cession de Brandt Components ne constitue pas une mesure compensatoire appropriée.

60      Sans préjudice de la conclusion qui précède, le Tribunal estime opportun d’examiner également, à titre surabondant, la troisième branche du premier moyen soulevé par les requérantes.

 Sur la troisième branche du premier moyen, tirée de l’absence de prise en considération des aides antérieures octroyées et non récupérées

61      Dans le cadre de la troisième branche du premier moyen, les requérantes soulèvent deux principaux griefs, relatifs à une violation du paragraphe 23 des lignes directrices, tel que l’a mis en œuvre la Commission en se référant à l’arrêt Deggendorf, point 10 supra. Elles font valoir que la Commission a omis d’examiner l’effet cumulé de l’aide en cause, premièrement, avec l’aide 44 septies et, deuxièmement, avec l’aide incompatible italienne, ces deux dernières aides n’ayant pas encore été récupérées.

62      La Commission s’oppose à ces deux griefs.

63      Le Tribunal examinera, à titre préalable, le second grief des requérantes selon lequel la Commission a omis de prendre en considération l’effet cumulé de l’aide en cause avec l’aide incompatible italienne.

64      Tout d’abord, il convient de rappeler que, dans l’arrêt Deggendorf, point 10 supra, la Cour a dit pour droit que la Commission n’outrepassait pas son pouvoir d’appréciation lorsque, saisie d’un projet d’aide qu’un État membre se propose d’octroyer à une entreprise, elle prend une décision déclarant cette aide compatible avec le marché commun, mais sous la réserve du remboursement préalable par l’entreprise d’une ancienne aide illégale, et ce en raison de l’effet cumulé des aides en question (voir arrêt du Tribunal du 8 septembre 2009, AceaElectrabel/Commission, T‑303/05, non publié au Recueil, point 166, et la jurisprudence citée).

65      Ensuite, il y a lieu de rappeler que le paragraphe 23 des lignes directrices, dans lequel la Commission renvoie à l’arrêt Deggendorf, point 10 supra, dans sa note en bas de page no 14, est libellé comme suit :

« Lorsqu’une aide illégale, au sujet de laquelle la Commission a adopté une décision négative comportant un ordre de récupération, a été accordée antérieurement à l’entreprise en difficulté, et que la récupération n’a pas eu lieu conformément à l’article 14 du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE], l’examen de toute aide au sauvetage ou à la restructuration devra prendre en compte, premièrement, l’effet cumulé de l’aide antérieure et de la nouvelle aide, deuxièmement, le fait que l’aide antérieure n’a pas été remboursée […] »

66      D’une part, il découle donc de l’arrêt Deggendorf, point 10 supra, ainsi que du paragraphe 23 des lignes directrices, que, dans le cadre de son examen de la compatibilité avec le marché commun d’une aide à la restructuration, la Commission doit, en principe, procéder à l’examen de l’effet cumulé de cette aide avec d’éventuelles aides antérieures qui n’ont pas encore été récupérées. Un tel examen se justifie en raison du fait que les avantages conférés par l’octroi d’aides antérieures incompatibles qui n’ont pas encore été récupérées continuent de produire leurs effets sur la concurrence.

67      D’autre part, dans l’hypothèse où la Commission subordonne l’octroi de l’aide envisagée à la récupération préalable d’une ou de plusieurs aides antérieures, elle n’est pas tenue de procéder à l’examen de l’effet cumulé sur la concurrence de ces aides. Une telle subordination permet d’éviter que l’avantage conféré par l’aide envisagée se cumule avec celui conféré par les aides antérieures, les effets négatifs sur la concurrence résultant de l’octroi des aides antérieures ayant été supprimés par le recouvrement de leur montant avec intérêts. En effet, selon la jurisprudence, le recouvrement d’une aide avec intérêts permet de supprimer l’avantage indu consistant dans le non-versement des intérêts que le bénéficiaire aurait acquittés sur le montant en cause de l’aide compatible, s’il avait dû emprunter ce montant sur le marché dans l’attente de la décision de la Commission, ainsi que dans l’amélioration de sa position concurrentielle face aux autres opérateurs du marché pendant la durée de l’illégalité (arrêt de la Cour du 12 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de la Communication, C‑199/06, Rec. p. I‑469, point 51).

68      En l’espèce, il y a lieu de relever que, après avoir constaté, au considérant 48 de la décision attaquée, qu’« aucun élément ne sembl[ait] s’opposer à l’application de l’approche [issue de l’arrêt] Deggendorf, à savoir, considérer [l’aide en cause] compatible, à condition que son paiement soit suspendu jusqu’à la récupération de l’aide 44 septies », la Commission a estimé, au considérant 50 de ladite décision, ce qui suit :

« […] Le paragraphe 23 des lignes directrices […] fait obligation à la Commission, dans le cadre de l’examen d’une aide à la restructuration, de ‘prendre en compte, premièrement, l’effet cumulé de l’aide antérieure et de la nouvelle aide, deuxièmement, le fait que l’aide antérieure n’a pas été remboursée’. Comme indiqué à la note [en] bas de page [no 14] des lignes directrices, cette disposition se fonde sur [l’arrêt Deggendorf]. Dans le cas présent, la France s’est engagée à récupérer l’aide 44 septies avant de procéder au paiement de l’aide nouvelle. Dans la présente décision, la Commission est tenue, en vertu de [l’arrêt] Deggendorf […] de transformer cet engagement en condition de la compatibilité de l’aide notifiée. De la sorte, [la Commission] s’assurera qu’il n’y a pas de cumul de l’aide antérieure avec la nouvelle aide et que l’aide antérieure est remboursée. De cette manière, il ne sera plus nécessaire de prendre en compte l’effet cumulé des aides ni l’absence de remboursement dans le reste de l’appréciation de la nouvelle aide. »

69      Dans ce cadre, s’agissant de l’aide incompatible italienne en particulier, premièrement, il convient de relever qu’il est constant que, comme cela ressort en substance du considérant 61 de la décision attaquée, la filiale italienne de FagorBrandt demeurait redevable au jour de l’adoption de la décision attaquée d’une partie de ladite aide, à concurrence d’un montant inférieur à un million d’euros.

70      Deuxièmement, force est de constater, que, comme il ressort du considérant 50 de la décision attaquée exposé au point 68 ci-dessus, d’une part, à la différence de l’aide 44 septies, la Commission n’a pas subordonné dans la décision attaquée l’octroi de l’aide en cause au remboursement préalable de l’aide incompatible italienne. D’autre part, il ressort de la décision attaquée que la Commission n’a pas pris en considération l’effet cumulé sur la concurrence dudit avantage avec celui résultant de l’octroi de l’aide en cause. En effet, dans le cadre du point « 6.6 Prévention de toute distorsion excessive de la concurrence » de la décision attaquée et, en particulier, au considérant 76 de ladite décision, la Commission n’a procédé à aucun autre examen que celui des éléments « tend[ant] à limiter les conséquences négatives de [la] distorsion de concurrence » générées par l’octroi de la seule aide en cause. En outre, il doit être relevé que les mesures compensatoires auxquelles elle a conditionné la compatibilité de l’aide en cause avec le marché commun, comme cela ressort du considérant 94 de la décision attaquée, sont en rapport avec la distorsion de concurrence générée par l’octroi de cette seule aide, sans que l’effet cumulé de cette dernière avec l’aide incompatible italienne ait été pris en compte.

71      Puisque la Commission n’a pas subordonné l’octroi de l’aide en cause à la récupération de l’aide incompatible italienne, elle aurait alors nécessairement dû examiner l’effet cumulé de ces deux aides, ce qu’elle a omis de faire en l’espèce. Ce constat est valable même dans l’hypothèse où, comme la Commission l’a estimé en substance au considérant 31 de la décision d’ouverture et l’a soutenu, ainsi que la République française et FagorBrandt, à l’audience, il y aurait lieu de considérer qu’il ne lui était pas possible, en vertu de l’arrêt Deggendorf, point 10 supra, de subordonner l’octroi de l’aide en cause par la République française à la récupération préalable de l’aide incompatible italienne par la République italienne.

72      À la lumière de ce qui précède, il y a donc lieu de constater que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation dans le cadre de l’examen de la distorsion de concurrence qu’elle a réalisé en l’espèce.

73      Les arguments avancés par la Commission ainsi que par FagorBrandt et par la République française à cet égard ne remettent pas en cause cette conclusion.

74      En premier lieu, s’agissant de l’argument avancé par la Commission dans ses écritures et en réponse aux questions du Tribunal lors de l’audience selon lequel elle a examiné l’incidence du remboursement du montant en question sur la viabilité de la restructuration, un tel argument doit être rejeté comme étant inopérant. En effet, le fait que la Commission a constaté, au considérant 61 de la décision attaquée, que, selon les autorités françaises, le remboursement de ladite aide aurait dû « être sans impact sur la situation financière du groupe » est distinct de, et est sans influence sur, l’examen auquel la Commission aurait par ailleurs dû procéder concernant l’effet cumulé des aides en question sur la concurrence ainsi que sur les mesures compensatoires qu’il convenait d’adopter en conséquence.

75      En second lieu, pour autant que la Commission fait valoir dans ses écritures que « le véritable effet économique [de l’aide incompatible italienne] était minimal », un tel argument ne saurait toutefois justifier l’absence de prise en considération de l’effet cumulé de l’aide en cause avec l’aide incompatible italienne.

76      En effet, si, comme il ressort de la jurisprudence exposée au point 37 ci-dessus, la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans le cadre de l’examen de la compatibilité d’une aide à la restructuration avec le marché commun, le fait que le montant restant à rembourser d’une aide antérieure soit proportionnellement peu important par rapport à l’aide envisagée ne l’exempte pas d’effectuer l’analyse de l’effet cumulé des deux aides sur la concurrence, conformément à l’arrêt Deggendorf, point 10 supra. À cet égard, il convient de rappeler qu’il n’appartient pas au Tribunal, selon la jurisprudence exposée au point 42 ci-dessus, de procéder à un tel examen et de supputer les conclusions que la Commission aurait dû en tirer.

77      Il y a donc lieu d’accueillir le second grief de la troisième branche du premier moyen, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le premier grief de ladite branche.

78      Partant, il y a lieu d’annuler la décision attaquée sans qu’il y ait lieu de statuer sur les six autres branches du premier moyen, ni sur le second moyen, en particulier, sur la première branche de ce dernier moyen, tirée d’une absence de motivation de la décision attaquée concernant l’existence d’une surcapacité structurelle sur le marché (voir point 33 ci-dessus).

 Sur les demandes de mesures d’organisation de la procédure

79      Comme il a été relevé aux points 17 et 19 ci-dessus, les requérantes ont demandé au Tribunal d’ordonner à la Commission, qui s’y est opposée, de fournir, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, certains documents ou catégories de documents.

80      Or, dans la mesure où, comme il a été conclu au point 78 ci-dessus, la décision attaquée doit être annulée sans qu’il ait été nécessaire d’examiner le bien-fondé des demandes de mesures d’organisation de la procédure formulées par les requérantes, il n’y a pas lieu de statuer sur lesdites demandes, qui sont devenues sans objet.

 Sur les dépens

81      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Par ailleurs, en vertu de l’article 87, paragraphe 4, premier et troisième alinéas, dudit règlement, d’une part, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens et, d’autre part, le Tribunal peut ordonner qu’une partie intervenante, autre que les États membres, les États parties à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), les institutions et l’autorité de surveillance de l’Association européenne de libre-échange (AELE), supportera ses propres dépens.

82      La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par les requérantes, conformément aux conclusions de ces dernières.

83      La République française et FagorBrandt, qui n’ont pas déposé de mémoires, supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision 2009/485/CE de la Commission, du 21 octobre 2008, concernant l’aide d’État C 44/07 (ex N 460/07) que la France envisage de mettre à exécution en faveur de l’entreprise FagorBrandt, est annulée.

2)      La Commission européenne supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par Electrolux AB et Whirlpool Europe BV.

3)      La République française et Fagor France SA supporteront leurs propres dépens.

Pelikánová

Jürimäe

Van der Woude

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 février 2012.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.