Language of document : ECLI:EU:T:2012:447

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

19 septembre 2012 *

« Référé – Aides d’État – Paiements de compensation versés en 2008 et en 2009 par l’organisme grec d’assurances agricoles (ELGA) – Décision déclarant les aides incompatibles avec le marché intérieur et ordonnant leur récupération – Demande de sursis à exécution – Fumus boni juris – Urgence – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑52/12 R,

République hellénique, représentée par M. I. Chalkias et Mme S. Papaïoannou, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. D. Triantafyllou et S. Thomas, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision 2012/157/UE de la Commission, du 7 décembre 2011, relative à des aides de compensation versées par l’organisme grec d’assurances agricoles (ELGA) pendant les années 2008 et 2009 (JO 2012, L 78, p. 21),

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        Par une loi de 1988, a été institué l’organisme grec d’assurances agricoles (ELGA) qui appartient intégralement à l’État et a pour but d’assurer la production végétale et animale ainsi que le capital végétal et animal des exploitations agricoles contre des dommages résultant de risques naturels. L’assurance auprès de l’ELGA est obligatoire, les recettes de l’ELGA provenant essentiellement d’une contribution spéciale d’assurance – fixée à 3 % pour les produits d’origine végétale et à 0,5 % pour les produits d’origine animale –, qui est imposée aux producteurs agricoles bénéficiaires du régime d’assurance.

2        En 2009, le gouvernement grec a prévu le versement par l’ELGA de compensations d’un montant d’environ 425 millions d’euros afin de donner suite aux plaintes exprimées par un grand nombre de producteurs agricoles grecs qui avaient subi des pertes de revenus en raison de la diminution de la production de certaines cultures végétales observée pendant les campagnes 2008 et 2009 à la suite de mauvaises conditions climatiques, telles que la sécheresse, des températures élevées, des pluies et des maladies entomologiques et phytopathologiques des cultures en cause.

3        Informée de ces mesures, la Commission européenne a ouvert la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE qui a abouti à l’adoption, le 7 décembre 2011, de la décision 2012/157/UE, relative à des aides de compensation versées par l’ELGA pendant les années 2008 et 2009 (JO 2012, L 78, p. 21), qualifiant d’aides d’État illégales et incompatibles avec le marché intérieur certains paiements de compensation, à hauteur d’environ 425 millions d’euros et ordonnant leur récupération auprès des bénéficiaires (ci-après la « décision attaquée »).

4        Dans la décision attaquée, la Commission a fixé à la République hellénique un délai de quatre mois, à compter de la date de sa notification, pour récupérer, auprès des producteurs agricoles, le montant susmentionné, majoré des intérêts calculés à partir de la date à laquelle il a été versé jusqu’à la date de sa récupération. Ce délai a ultérieurement été prolongé de deux mois.

5        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 février 2012, la République hellénique a introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée.

6        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 18 mai 2012, la République hellénique a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de la décision attaquée jusqu’au prononcé de l’arrêt du Tribunal sur le recours principal ;

–        condamner la Commission aux dépens.

7        Dans ses observations déposées au greffe du Tribunal le 30 mai 2012, la Commission conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

8        Le 18 juin 2012, le président du Tribunal a ordonné, en vertu de l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le sursis à l’exécution de la décision attaquée, dans la mesure où elle imposait à la République hellénique de récupérer les aides en cause, et ce au motif que les allégations de cette dernière, à les supposer établies, justifiaient que soit maintenu le statu quo afin de permettre un examen approfondi des arguments des parties.

9        Le 11 septembre 2012, les parties ont présenté leurs arguments à l’audition et ont répondu aux questions orales posées par le président du Tribunal.

 En droit

10      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

11      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le juge des référés peut ordonner le sursis à exécution et d’autres mesures provisoires s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal [ordonnance du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 22]. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, poin  73, et ordonnance du président du Tribunal du 4 avril 2002, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, T‑198/01 R, Rec. p. II‑2153, point 50).

12      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour Commission/Atlantic Container Line e.a., précitée, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

 Sur le fumus boni juris

13      Selon une jurisprudence bien établie, la condition relative au fumus boni juris est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie requérante à l’appui du recours principal apparaît, à première vue, pertinent et, en tout cas, non dépourvu de fondement, en ce qu’il révèle l’existence d’une question juridique délicate dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure principale, de sorte que, à première vue, le recours n’est pas dépourvu de fondement sérieux (voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 8 mai 2003, Commission/Artegodan e.a., C‑39/03 P‑R, Rec. p. I‑4485, point 40, ainsi que du président du Tribunal du 10 mars 1995, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑395/94 R, Rec. p. II‑595, point 49, et du 30 avril 2010, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, T‑18/10 R, non publiée au Recueil, point 95, et la jurisprudence citée).

14      En l’espèce, dans le cadre des deuxième et troisième moyens soulevés à l’appui du recours tendant à l’annulation de la décision attaquée, la République hellénique reproche à la Commission d’avoir violé l’article 107, paragraphe 1, TFUE en estimant à tort que les paiements litigieux « affect[ai]ent les échanges entre États membres » et « mena[çai]ent de fausser la concurrence », alors que le montant de l’indemnisation ne s’élevait en moyenne qu’à environ 500 euros par agriculteur et que tous les paiements étaient des compensations pour les pertes réelles à la production agricole résultant de causes non imputables aux producteurs. Or, des compensations d’une si faible valeur ne seraient pas susceptibles de conférer aux agriculteurs grecs un avantage concurrentiel par rapport aux producteurs d’autres États membres.

15      La République hellénique ajoute que, s’il est affirmé, au point 59 de la décision attaquée, que « le secteur agricole est ouvert à la concurrence au niveau de l’Union et, de ce fait, sensible à toute mesure en faveur de la production dans l’un ou l’autre État membre », rien n’indique que la Commission ait pris en considération les caractéristiques du marché concerné et la situation économique des agriculteurs grecs bénéficiaires. La Commission se limiterait à renvoyer à différents arrêts de la Cour dans lesquels il a été admis que le secteur agricole est en général sensible à la concurrence. Toutefois, en l’espèce, les paiements litigieux visant à compenser des pertes réelles subies par les agriculteurs auraient rétabli la concurrence, au lieu de la fausser.

16      La République hellénique fait encore valoir que la Commission a erronément inclus dans le montant des prétendues aides d’État la somme de 186 millions d’euros correspondant aux cotisations payées par les agriculteurs eux-mêmes en 2008 et en 2009 au titre du régime d’assurance obligatoire de l’ELGA. Cette somme devrait être déduite du montant des aides à récupérer.

17      La Commission répond que la finalité indemnitaire des paiements litigieux ne joue aucun rôle pour leur qualification en tant qu’aide d’État. S’agissant des critères de distorsion de la concurrence et d’affectation des échanges entre États membres, il serait de jurisprudence bien établie qu’il n’existe aucun seuil de sensibilité au-dessous duquel ces conditions ne seraient pas remplies, dès lors que les bénéficiaires d’une aide étatique exercent leurs activités sur un marché ouvert à la concurrence et donc sensible à toute mesure en faveur de la production dans l’un ou l’autre État membre. Quant aux cotisations obligatoires payées par les agriculteurs grecs et passées sous le contrôle de l’État grec, la Commission estime que ce montant, qu’elle évalue à 145 millions d’euros, ne doit pas être déduit de l’aide à récupérer, puisque son caractère initialement privé ne s’oppose pas à ce que les paiements litigieux soient intégralement qualifiés d’aides d’État.

18      Dans le cadre de son quatrième moyen d’annulation, la République hellénique souligne que la Commission a fait une application erronée de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE et du pouvoir d’appréciation dont elle dispose en matière d’aides d’État, puisque les paiements litigieux auraient dus être considérés comme compatibles avec le marché intérieur en raison de la perturbation très grave de l’ensemble de l’économie grecque. En effet, cette disposition du droit primaire devrait être appliquée directement si les conditions qu’elle prévoit sont remplies, ce qui serait le cas en l’espèce : la crise financière et économique internationale qui sévit depuis 2008 aurait violemment frappé tous les secteurs de l’économie grecque et provoqué une crise financière très grave qui a entraîné, notamment, une réduction significative des liquidités sur le marché grec, une récession persistante pour la cinquième année consécutive et une paupérisation de nombreuses catégories de la population. Le manque de liquidités dont souffre le secteur agricole menacerait de créer des risques systémiques pour l’ensemble de l’économie grecque, étant donné que cette dernière repose en grande partie sur la production primaire, les producteurs agricoles représentant une partie importante du tissu productif de l’économie grecque au point que leur nombre, environ 860 000 sur un total de presque 5 millions, constituerait un pourcentage important de la population active.

19      La Commission répond que l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE lui laisse une marge d’appréciation pour évaluer la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur, marge d’appréciation qu’elle aurait utilisée en adoptant la communication qui prévoit un cadre communautaire temporaire pour les aides d’État destinées à favoriser l’accès au financement dans le contexte de la crise économique et financière actuelle (JO 2009, C 83, p. 1). Or, par son point 4.2.2, troisième alinéa, sous h), cette communication aurait initialement exclu les entreprises actives dans le secteur de la production agricole primaire en raison des distorsions de concurrence susceptibles de se produire dans ce secteur même pour de faibles montants d’aides, raison pour laquelle la Commission aurait conclu que les paiements litigieux n’étaient pas conformes à ladite communication et ne pouvaient pas bénéficier de la dérogation prévue à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.

20      Par le sixième moyen, la République hellénique reproche à la Commission d’avoir effectué un calcul erroné des montants à récupérer, puisqu’elle n’a pas déduit les aides de minimis couvertes par ses règlements (CE) no 1860/2004, du 6 octobre 2004, concernant l’application des articles 87 [CE] et 88 [CE] aux aides de minimis dans les secteurs de l’agriculture et de la pêche (JO L 325, p. 4) et (CE) no 1535/2007, du 20 décembre 2007, concernant l’application des articles 87 [CE] et 88 [CE] aux aides de minimis dans le secteur de la production de produits agricoles (JO L 337, p. 35). Or, pour l’exercice 2008, le montant de 25 millions d’euros devrait être considéré comme une aide de minimis autorisée et donc non récupérable, tandis que, pour les trois exercices de 2009 à 2011, le montant correspondant s’élèverait à presque 67 millions d’euros.

21      La Commission, sans se prononcer sur les chiffres présentés par la République hellénique, répond qu’elle n’exclut nullement le principe d’une déduction des aides de minimis dans le cas des agriculteurs grecs.

22      À cet égard, il y a lieu de relever que, par son argumentation, la République hellénique tend, en substance, à démontrer que, d’une part, les paiements litigieux ne sauraient être considérés comme susceptibles d’affecter les échanges entre États membres et de fausser la concurrence, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et, d’autre part, en tout état de cause, l’obligation, imposée en décembre 2011, de récupérer les sommes accordées auprès des bénéficiaires doit être qualifiée d’excessive. Or, l’examen de cette argumentation ne saurait faire abstraction des circonstances particulières caractérisant la situation économique et financière en Grèce depuis 2008.

23      Dans ce contexte, s’agissant de l’impact des paiements litigieux sur la concurrence et sur les échanges entre États membres, il convient de rappeler que, de l’avis de la Commission, le montant total de ces paiements s’élève à environ 425 millions d’euros. Cependant, il s’avère, à première vue, que le montant de 425 millions d’euros doit être considérablement revu à la baisse.

24      En effet, d’une part, il est constant qu’une partie de ce montant s’élevant à plusieurs dizaines de millions d’euros peut être considérée comme constituant des aides de minimis. Selon la Commission, il est même très probable que « de nombreux bénéficiaires » des paiements versés par l’ELGA ont reçu des aides de cette nature, de sorte qu’ils sont exemptés de l’obligation de remboursement. Par ailleurs, les considérants 97, 98 et 104 de la décision attaquée envisagent expressément l’hypothèse d’une non-récupération des sommes susceptibles de constituer des aides de minimis. Si les aides de minimis ne sont pas récupérées auprès des bénéficiaires et que leur octroi est donc autorisé, c’est parce qu’il est considéré qu’elles ne faussent pas la concurrence et n’affectent pas les échanges entre États membres.

25      D’autre part, il est constant que les agriculteurs grecs ont versé, au titre du régime d’assurance obligatoire de l’ELGA, des cotisations qui ont alimenté, du moins indirectement, les recettes de l’ELGA en 2008 et en 2009 à hauteur d’au moins 145 millions d’euros. Or, si le fait que les paiements litigieux par l’ELGA aient partiellement été financés par de telles cotisations privées ne s’oppose pas à ce qu’ils puissent être qualifiés d’aides d’État, il n’en reste pas moins que l’impact financier de ces paiements sur la concurrence et sur les échanges entre États membres se trouve diminué par le fait que les agriculteurs eux-mêmes, et parmi eux les bénéficiaires des aides, aient dû payer ces cotisations. Par ailleurs, au point 22 de la décision attaquée, la Commission a admis que, dans la mesure où les indemnisations versées par l’ELGA au titre du régime d’assurance obligatoire ont été financées grâce aux recettes provenant de la contribution d’assurance spéciale, celles-ci peuvent être considérées comme ne procurant pas aux bénéficiaires un avantage indu.

26      L’impact financier des paiements litigieux sur la concurrence et sur les échanges entre États membres semblant donc, prima facie, substantiellement inférieur à celui du montant de 425 millions d’euros retenu par la Commission, rien ne permet d’exclure que ces paiements aient été utilisés exclusivement pour indemniser les agriculteurs grecs qui avaient subi des pertes de revenus en raison de la diminution de la production de certaines cultures végétales à la suite de mauvaises conditions climatiques, et non pour favoriser artificiellement la production et les exportations.

27      Or, ainsi que les parties l’ont confirmé à l’audition, la République hellénique traverse, depuis plusieurs années, une crise économique et financière profonde. Cette crise, qui a mis le pays dans un certain état d’isolement économique, n’a pas épargné le secteur agricole grec. À cet égard, la République hellénique précise, sans être contredite par la Commission, ce qui suit :

–        le revenu agricole en Grèce entre 2006 et 2011 a baissé de 22,6 %, alors que le revenu correspondant dans l’Union européenne a augmenté de 19 % ;

–        la valeur de la production végétale entre 2005 et 2011 a enregistré une chute qui dépasse les 15 % ;

–        les coûts de production ont augmenté de 11 % en 2008, de 4 % en 2010 et de 7,5 % en 2011, tandis que les prix à la production ont enregistré une baisse importante (33,9 % pour la tomate, 27,5 % pour le chou, 11,7 % pour le coton, 11 % pour le tabac et 21,5 % pour les épinards) ;

–        la décélération du financement bancaire en faveur des entreprises agricoles a enregistré une chute de 49 % et les agriculteurs n’ont désormais que de faibles possibilités de financement.

28      En outre, il apparaît que le secteur agricole grec est caractérisé par la prépondérance d’une agriculture familiale de petites exploitations. La Commission a implicitement reconnu ce morcellement du secteur en admettant que les paiements litigieux étaient répartis de façon à ce que chaque agriculteur grec a perçu la somme d’environ 500 euros en moyenne. Au demeurant, elle ne prétend pas que le secteur agricole grec se distinguerait par une agressivité commerciale et exportatrice particulière et n’affirme pas non plus que des entreprises non grecques actives sur le marché des produits agricoles se seraient plaintes d’être exposées, à la suite des paiements litigieux, à une concurrence particulièrement acharnée de la part d’agriculteurs grecs.

29      Il s’avère donc que l’argumentation présentée par la République hellénique soulève la question juridique de savoir si, dans les circonstances exceptionnelles de l’espèce, l’impact financier des paiements litigieux, qui consistaient en l’indemnisation d’agriculteurs grecs, était réellement de nature à affecter les échanges entre États membres et à menacer de fausser la concurrence, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Il s’agit de déterminer, plus particulièrement, si lesdites circonstances exceptionnelles influent sur l’application de considérations admises dans le contexte du régime des aides de minimis et permettant d’exclure du champ d’application de cette disposition des aides qui sont dépourvues de répercussion sensible sur les échanges commerciaux et la concurrence entre États membres (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 7 mars 2002, Italie/Commission, C‑310/99, Rec. p. I‑2289, point 10).

30      Or, il n’apparaît pas que cette question ait trouvé une réponse définitive dans la jurisprudence de la Cour. En effet, la Cour utilise la formule prudente selon laquelle l’importance relativement faible d’une aide ou la taille relativement modeste de l’entreprise bénéficiaire « n’excluent pas a priori l’éventualité » que les échanges entre États membres soient affectés, une aide d’une importance relativement faible étant de nature à affecter ces échanges et à fausser la concurrence notamment lorsque le secteur dans lequel opèrent les entreprises qui en bénéficient connaît une vive concurrence (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 29 avril 2004, Grèce/Commission, C‑278/00, Rec. p. I‑3997, points 69 et 70, ainsi qu’Italie/Commission, C‑372/97 P, Rec. p. I‑3679, points 53 et 54, et C‑298/00 P, Rec. p. I‑4087, point 54, et la jurisprudence citée) ou lorsque l’entreprise bénéficiaire a une orientation vers le commerce international (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 17 septembre 1980, Philip Morris/Commission, 730/79, Rec. p. 2671, point 11).

31      Par conséquent, cette jurisprudence laisse ouverte la question de savoir si, en l’espèce, en raison des difficultés toutes particulières et exceptionnelles liées aux mesures d’austérité qui caractérisent la réalité de l’économie grecque depuis plusieurs années, le secteur agricole grec pourrait être considéré comme n’étant ni exposé à une vive concurrence ni orienté vers le commerce international, ce qui exclurait éventuellement que les paiements litigieux étaient de nature à affecter sensiblement les échanges commerciaux et la concurrence entre États membres.

32      Il convient d’ajouter que l’argumentation exposée par la République hellénique soulève une autre question juridique : celle de savoir si, même à supposer que les paiements litigieux aient rempli toutes les conditions de l’article 107, paragraphe 1, TFUE à la date de leur octroi, la décision attaquée doit être considérée comme excessive, en ce qu’elle impose le 7 décembre 2011 leur récupération, bien que la situation extrêmement difficile du secteur agricole grec se soit encore dégradée depuis leur octroi.

33      Dans ce contexte, il est certes de jurisprudence que l’obligation pour un État membre de supprimer une aide étatique considérée par la Commission comme incompatible avec le marché intérieur vise au rétablissement de la situation antérieure (voir arrêts de la Cour du 17 juin 1999, Belgique/Commission, C‑75/97, Rec. p. I‑3671, point 65, et du 7 mars 2002, Italie/Commission, précité, point 98). La Cour a néanmoins pris soin de préciser que ce n’est que, « en règle générale, sauf circonstances exceptionnelles », que la Commission peut légalement demander à l’État membre concerné de procéder à une telle récupération afin de rétablir la situation antérieure (arrêts Belgique/Commission, précité, point  66, du 7 mars 2002, Italie/Commission, précité, point 99, ainsi que du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑372/97 P, précité, point 104, et C‑298/00 P, précité, point 76).

34      Par conséquent, cette jurisprudence laisse ouverte la question de savoir si, en l’espèce, la République hellénique est susceptible d’invoquer valablement des circonstances exceptionnelles de nature à rendre excessive la récupération, telle qu’imposée par la décision attaquée, des paiements litigieux auprès des bénéficiaires, étant donné que la République hellénique devait faire face, à la date d’adoption de la décision attaquée, le 7 décembre 2011, à une perturbation grave de son économie nationale, au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, en ce compris son secteur agricole, et si la Commission, en s’inspirant de cette disposition du droit primaire, aurait dû renoncer à exiger toute récupération auprès d’un secteur fortement affaibli par cette perturbation.

35      Le juge des référés estime que les réponses aux questions juridiques susmentionnées ne s’imposent pas d’emblée et méritent un examen approfondi, qui fait notamment l’objet de la procédure principale. Dès lors, sans nullement préjuger la position du Tribunal sur le recours principal, le juge des référés ne saurait, à ce stade, considérer ce recours comme manifestement dépourvu de tout fondement. Par conséquent, les questions en cause apparaissent, à première vue, suffisamment pertinentes et sérieuses pour constituer un fumus boni juris de nature à justifier l’octroi du sursis à exécution demandé, dans la mesure où la décision attaquée impose à la République hellénique de procéder à la récupération des paiements litigieux auprès des producteurs agricoles.

 Sur l’urgence et la balance des intérêts

36      Selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve sérieuse qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours principal sans avoir à subir personnellement un préjudice de cette nature. Si l’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue, sa réalisation doit néanmoins être prévisible avec un degré de probabilité suffisant. La partie qui sollicite les mesures provisoires demeure, en tout état de cause, tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable et permettre au juge des référés d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées, étant entendu qu’un préjudice de nature purement hypothétique, en ce qu’il est fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne saurait justifier l’octroi de mesures provisoires (voir ordonnances du président du Tribunal du 26 mars 2010, SNF/ECHA, T‑1/10 R, non publiée au Recueil, points 47 et 48, et la jurisprudence citée, et du 7 mai 2010, Almamet/Commission, T‑410/09 R, non publiée au Recueil, point 32, et la jurisprudence citée).

37      La présente demande en référé émanant de la République hellénique, il importe de rappeler que les États membres sont responsables des intérêts considérés comme généraux sur le plan national et peuvent en assurer la défense dans le cadre d’une procédure de référé (voir, en ce sens, ordonnances de la Cour du 29 juin 1993, Allemagne/Conseil, C‑280/93 R, Rec. p. I‑3667, poin  27, et du 12 juillet 1996, Royaume-Uni/Commission, C‑180/96 R, Rec. p. I‑3903, point 85). Les États membres peuvent, notamment, demander l’octroi de mesures provisoires en alléguant que la mesure contestée risque de compromettre sérieusement l’accomplissement de leurs missions étatiques et l’ordre public.

38      En l’espèce, selon la République hellénique, la récupération de la somme de 425 millions d’euros auprès de tous les agriculteurs du pays, au nombre d’environ 800 000 – qui représentent avec leurs familles le tiers de la population totale de la Grèce –, risque de déclencher de nombreuses réactions de la part de la population agricole, qui est affectée par la crise et par des mesures d’austérité exceptionnelles, d’autant que les grèves dans les secteurs public et privé seraient devenues monnaie courante et que les tensions sociales très aiguës ainsi que les confrontations des manifestants avec la police seraient en constante augmentation.

39      La République hellénique précise que, aux fins de l’exécution de la décision attaquée, les autorités compétentes ont informé, en janvier 2012, tous les agriculteurs de la récupération des aides jugées illégales. Dans sa réponse immédiate, la confédération panhellénique des unions de coopératives agricoles, qui représente tous les agriculteurs grecs, aurait souligné la situation financière difficile de ces derniers et leur incapacité à rembourser actuellement les sommes perçues, compte tenu de la crise économique et des multiples mesures d’austérité adoptées, qui auraient fortement grevé le revenu agricole.

40      La République hellénique ajoute que le fait de demander à quelques 800 000 agriculteurs de rembourser aujourd’hui les montants accordés et leur incapacité avérée et déclarée à le faire conduiront obligatoirement à la comptabilisation de ces montants par les services fiscaux compétents, ce qui représentera un coût administratif considérable, aura des conséquences administratives néfastes et suscitera des conflits avec les pouvoirs publics en raison de l’ouverture dans des milliers de cas de procédures de recouvrement forcé. Or, le secteur public serait actuellement appelé à mettre en œuvre de nouvelles mesures de perception des impôts, de traitement des déclarations fiscales et de constatation des obligations financières échues.

41      La Commission conclut à l’absence d’urgence en relevant que le malaise économique qui touche l’ensemble de la population grecque n’a aucun rapport avec l’application de la décision attaquée et que l’éventuelle impossibilité pour les agriculteurs de rembourser les aides ne constitue pas en soi un préjudice grave et irréparable pour la République hellénique elle-même. Quant au préjudice invoqué au regard de l’ordre public, il serait théorique et incertain. Le fait que certains agriculteurs soient tenus de rembourser des aides illégales ne signifierait pas automatiquement qu’ils provoqueront des troubles. Il n’aurait d’ailleurs pas été prouvé que les agriculteurs étaient à l’origine des troubles qui ont eu lieu à Athènes au début de l’année, ces troubles ayant très probablement été causés par les habitants de la ville, qui, par définition, ne seraient pas des agriculteurs. Or, des craintes générales et vagues sur les événements hypothétiques qui pourraient se produire à l’avenir ne pourraient constituer le préjudice grave et irréparable requis. Quant à la charge administrative découlant du recouvrement des aides auprès des nombreux bénéficiaires, elle ne saurait constituer un préjudice grave et irréparable pour la République hellénique, car il serait illogique que les mesures exigées pour l’exécution même de la décision attaquée soient considérées comme constituant un préjudice.

42      À cet égard, s’agissant des difficultés administratives invoquées par la République hellénique, qui s’opposeraient à une récupération immédiate des paiements litigieux, il est vrai que, selon une jurisprudence constante en matière de manquement d’État, la crainte de difficultés internes, même insurmontables, ne justifie pas qu’un État membre ne respecte pas les obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union (arrêt de la Cour du 27 juin 2000, Commission/Portugal, C‑404/97, Rec. p. I‑4897, point 52). Cette jurisprudence ne s’applique cependant pas lorsqu’un État membre s’oppose, par les voies de droit appropriées, à une telle obligation et qu’il entreprend ce qui est nécessaire pour éviter de se mettre dans l’illégalité.

43      Ainsi, dans le cadre de la procédure de référé, il s’agit précisément d’apprécier s’il apparaît, prima facie, que la partie requérante doit effectivement respecter une obligation lui incombant en vertu du droit de l’Union. Or, en l’espèce, le juge des référés a admis l’existence d’un fumus boni juris de nature à justifier l’octroi du sursis à l’exécution de la décision attaquée, c’est-à-dire le non-respect temporaire, par la République hellénique, de cette décision, dans la mesure où elle lui ordonne la récupération des paiements litigieux auprès des producteurs agricoles. La République hellénique n’est donc pas empêchée de faire valoir qu’une telle récupération immédiate impliquerait des difficultés administratives susceptibles de lui causer un préjudice grave et irréparable.

44      Dans ce contexte, la République hellénique a indiqué à l’audition, sans être contredite, que la lutte contre la fraude fiscale constituait l’une de ses priorités absolues dans les circonstances économiques actuelles. À cet effet, la République hellénique est en train de mettre en œuvre une réforme fondamentale de l’administration fiscale visant à moderniser et à améliorer le mécanisme de collecte des impôts et à surmonter les importants obstacles administratifs qui caractérisent ce domaine de l’administration publique. Ce faisant, la République hellénique entend légitimement concentrer, à court et à moyen terme, ses ressources sur l’instauration d’une administration fiscale performante capable, notamment, d’identifier et de poursuivre les « grands évadés fiscaux » et de combattre la fraude fiscale dont le volume, en termes de manque à gagner, a été évalué à l’audition à 20 milliards d’euros.

45      Dans ces conditions, le fait pour l’administration grecque de devoir exécuter la décision attaquée, dont la légalité ne sera définitivement tranchée qu’à l’issue de la procédure principale et, le cas échéant, de la procédure de pourvoi devant la Cour, risquerait, selon toute probabilité, d’affecter, au moins partiellement, la lutte contre la fraude fiscale.

46      En effet, ainsi que la République hellénique l’a relevé sans être contredite par la Commission, la récupération des paiements litigieux auprès des agriculteurs concernés ferait intervenir plusieurs services, notamment l’ELGA et l’administration fiscale, et ce à une période où l’État ne dispose pas du personnel nécessaire à cette fin. En particulier, lorsque les aides à rembourser ne font pas l’objet d’un versement volontaire à l’ELGA, l’administration fiscale doit procéder au recouvrement forcé des sommes en question. En admettant même que de telles mesures ne seraient pas mises en œuvre à l’encontre de la totalité des 800 000 agriculteurs grecs, puisqu’il conviendrait d’en déduire le nombre des bénéficiaires d’aides de minimis, il ressort des chiffres disponibles à cet égard – à savoir aides de minimis à hauteur de 92 millions d’euros en 2008 et en 2009 (voir point 20 ci-dessus) et aides perçues par chaque agriculteur à hauteur de 500 euros en moyenne (voir points 14 et 28 ci-dessus) – que le nombre des agriculteurs grecs visés s’élèverait probablement toujours à plusieurs centaines de milliers.

47      Or, eu égard à la situation financière générale extrêmement difficile décrite ci-dessus et à la réaction susmentionnée de la confédération panhellénique des unions de coopératives agricoles, il est hautement prévisible qu’une proportion significative des centaines de milliers de bénéficiaires refuserait de s’acquitter des sommes réclamées, ce qui nécessiterait l’intervention massive des agents de l’administration fiscale, dont le nombre n’a pourtant pas augmenté. Il est évident qu’une telle collecte forcée en masse empêcherait, dans une mesure appréciable, l’administration fiscale de se consacrer à une de ses tâches prioritaires consistant à lutter contre l’évasion fiscale et à collecter des sommes soustraites à l’impôt près de cinquante fois supérieures aux paiements litigieux.

48      S’agissant du risque d’une perturbation de l’ordre public en cas de récupération immédiate des paiements litigieux auprès du secteur agricole grec, il est constant que le climat social en Grèce est actuellement marqué par une détérioration de la confiance à l’égard des pouvoirs publics, par un mécontentement généralisé et par un sentiment d’injustice. En particulier, ainsi que la République hellénique l’a exposé sans être contredite par la Commission, les manifestations violentes contre les mesures d’austérité draconiennes prises par les pouvoirs publics grecs sont en constante augmentation. À l’audition, la République hellénique a encore rappelé la nette progression de certains partis d’extrême droite et d’extrême gauche lors des dernières élections législatives en Grèce.

49      Dans ces conditions, le risque, invoqué par la République hellénique, que la récupération immédiate des paiements litigieux dans le secteur agricole puisse déclencher des manifestations susceptibles de dégénérer en violences n’apparaît ni purement hypothétique ni théorique ou incertain. En effet, il ne saurait être fait fi de la possibilité que l’opération de récupération des paiements litigieux soit publiquement utilisée, par certains milieux, comme exemple de l’injustice exercée contre la classe agricole et que, dans la situation actuelle chargée d’émotions intenses, un tel discours public déclenche l’une ou l’autre manifestation violente, alors qu’il est indifférent de déterminer quelle catégorie de la population pourrait être à l’origine des violences nécessitant un déploiement toujours plus important des forces de l’ordre. Or, il est évident que la perturbation de l’ordre public provoquée par de telles manifestations et par les débordements auxquels les événements dramatiques récents ont montré qu’elles pouvaient donner lieu causerait un préjudice grave et irréparable, que la République hellénique peut légitimement invoquer.

50      Compte tenu des éléments exposés au point 48 ci-dessus, la présente affaire doit être distinguée de celle qui était à l’origine de l’ordonnance du président de la Cour du 12 octobre 2000, Grèce/Commission (C‑278/00 R, Rec. p. I‑8787, points 8, 16 et 18), dans laquelle l’invocation de « troubles sociaux très graves » a été écartée au motif que l’État membre concerné s’était borné à émettre des considérations générales dépourvues d’élément concret et n’avait fourni aucune indication quelconque quant à l’éventualité des graves événements allégués. En effet, contrairement au contexte de l’affaire C‑278/00 R, il est notoire que, en l’espèce, des perturbations de l’ordre public, telles que celles invoquées par la République hellénique comme conséquences prévisibles de la récupération imposée, se sont déjà produites dans des situations semblables, à savoir dans le contexte de mouvements contestataires dirigés contre les mesures d’austérité prises par les pouvoirs publics grecs depuis la crise économique.

51      Force est donc de constater que le cas d’espèce est caractérisé par des particularités établissant l’existence d’une urgence.

52      Cette solution est cohérente avec la mise en balance des différents intérêts en présence, dans le cadre de laquelle le juge des référés doit examiner, notamment, si l’intérêt de la partie requérante à obtenir les mesures provisoires demandées prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de la décision attaquée (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 26 juin 2003, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 R et C‑217/03 R, Rec. p. I‑6887, point 142).

53      En effet, la République hellénique a démontré l’urgence et le fumus boni juris de sa demande en référé. Il y a dès lors lieu de reconnaître qu’elle a un intérêt légitime au sursis à exécution sollicité, d’autant que la Commission se limite à affirmer que la nécessité de respecter les règles de la concurrence devrait primer sur la menace « vague et incertaine » contre l’ordre public. Or, ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, d’une part, il n’est pas évident que les paiements litigieux remplissent toutes les conditions de l’article 107 TFUE et, d’autre part, l’urgence constituée par le risque d’une perturbation de l’ordre public ne saurait être qualifiée ni de vague ni d’incertaine. Quant au risque d’une atteinte portée aux efforts de l’administration grecque de combattre efficacement toute fraude fiscale, il ne saurait d’ailleurs être négligé que le succès de ces efforts est indirectement aussi dans l’intérêt de l’Union, en ce qu’une partie des recettes provenant de la collecte fiscale en Grèce sera, tout autant que l’exécution de la décision attaquée, susceptible d’alimenter le budget général de l’Union.

54      Dans les circonstances exceptionnelles qui marquent actuellement la situation économique et sociale en Grèce, il convient donc de reconnaître la priorité aux intérêts invoqués par la République hellénique consistant, d’une part, à préserver la paix sociale et à prévenir les troubles sociaux et, d’autre part, à pouvoir concentrer les capacités de son administration fiscale sur les missions qu’elle considère comme primordiales pour le pays. En revanche, l’octroi du sursis à exécution exposerait les intérêts de l’Union au seul risque d’un report des mesures de recouvrement nationales à une date ultérieure, sans qu’il y ait des indices que ce report porterait, en soi, atteinte aux chances de succès de ces mesures.

55      Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de faire droit à la demande de sursis à l’exécution de la décision attaquée, dans la mesure où cette dernière oblige la République hellénique à récupérer les montants versés auprès des bénéficiaires.

56      Au demeurant, l’article 108 du règlement de procédure permet au juge des référés de modifier ou de rapporter, à tout moment, son ordonnance en cas de changement de circonstances, étant précisé que, par « changement de circonstances », il y a lieu d’entendre, en particulier, des éléments de fait susceptibles de modifier l’appréciation du critère de l’urgence dans le cas concret de l’espèce [ordonnance de la Cour du 14 février 2002, Commission/Artegodan, C‑440/01 P (R), Rec. p. I‑1489, points 62 à 64]. Il appartiendra donc, le cas échéant, à la Commission de s’adresser au Tribunal si elle estime que les circonstances ont changé d’une manière telle qu’elles peuvent justifier une modification de la présente ordonnance de référé.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Il est sursis à l’exécution de la décision 2012/157/UE de la Commission, du 7 décembre 2011, relative à des aides de compensation versées par l’organisme grec d’assurances agricoles (ELGA) pendant les années 2008 et 2009, dans la mesure où cette décision oblige la République hellénique à récupérer les montants versés auprès des bénéficiaires.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 19 septembre 2012.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger