Language of document : ECLI:EU:C:2018:798

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 3 octobre 2018 (1)

Affaire C168/17

SH

contre

TG,

en présence de

UF

[demande de décision préjudicielle formée par la Kúria (Cour suprême, Hongrie)]

« Renvoi préjudiciel – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives en raison de la situation en Libye – Règlement (UE) no 204/2011 – Article 5, paragraphe 2 – Interdiction de mettre des fonds à la disposition des personnes énumérées à l’annexe III – Article 12 – Clause relative à la non-satisfaction des demandes – Article 9 – Paiements dérogeant à l’interdiction figurant à l’article 5, paragraphe 2 – Chaîne de contrats conclus dans le but d’émettre une garantie bancaire au profit d’une entité inscrite sur la liste figurant à l’annexe III »






1.        Par le renvoi préjudiciel faisant l’objet des présentes conclusions, la Kúria (Cour suprême, Hongrie) a présenté à la Cour une série de questions portant sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 2, et des articles 9 et 12 du règlement (UE) no 204/2011 du Conseil, du 2 mars 2011, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (2), ainsi que de l’article 17 du règlement (UE) 2016/44 (3). Ces questions tirent leur origine d’un litige entre deux banques, SH et TG, toutes deux établies dans l’Union européenne, portant sur le paiement par la première de commissions et autres frais de garantie à la seconde, dans le cadre de deux contrats tendant à contre-garantir les obligations de garanties prises par une banque libyenne à l’égard d’une entité libyenne concernant un marché public conclu entre cette entité et une entreprise hongroise.

I.      Le cadre juridique

2.        Le 28 février 2011, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2011/137/PESC (4). Conformément à la résolution 1970 (2011) du Conseil de sécurité des Nations unies [ci-après la « résolution 1970 (2011) du CSNU »] (5) et aux résolutions ultérieures, cette décision a établi un embargo sur les armes, une interdiction du matériel susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne ainsi que des restrictions à l’admission et le gel des fonds et des ressources économiques de certaines personnes et entités impliquées dans de graves violations des droits de l’homme en Libye, notamment du fait de leur participation à des attaques, en violation du droit international, contre des populations et installations civiles (6).

3.        Le 2 mars 2011, le Conseil a adopté le règlement no 204/2011 afin de prévoir les mesures nécessaires à la mise en œuvre de l’embargo.

4.        Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement, « [t]ous les fonds et ressources économiques appartenant à, en possession de, détenus ou contrôlés par les personnes physiques ou morales, entités ou organismes énumérés aux annexes II et III sont gelés » (7). L’article 5, paragraphe 2, du règlement no 204/2011 dispose qu’« [a]ucuns fonds ni ressources économiques ne sont mis, directement ou indirectement, à la disposition des personnes physiques ou morales, entités ou organismes énumérés aux annexes II et III, ni utilisés à leur profit » (8). Aux termes de l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement, « [l]a participation volontaire et délibérée à des activités ayant pour objet ou pour effet direct ou indirect de contourner les mesures visées aux paragraphes 1 et 2 est interdite ».

5.        L’article 9, paragraphe 1, du règlement no 204/2011 dispose : « L’article 5, paragraphe 2, ne s’applique pas au versement sur les comptes gelés a) d’intérêts ou autres rémunérations de ces comptes, ou b) de paiements dus en vertu de contrats, d’accords ou d’obligations souscrits avant la date à laquelle la personne physique ou morale, l’entité ou l’organisme visé à l’article 5 a été désigné par le comité des sanctions, le Conseil de sécurité [des Nations unies] ou le Conseil, sous réserve que tous ces intérêts, autres rémunérations et paiements soient gelés conformément à l’article 5, paragraphe 1 » (9).

6.        L’article 12 du règlement no 204/2011, dans sa version d’origine, prévoyait : « Il n’est fait droit à aucune demande, y compris une demande d’indemnisation ou toute autre demande de ce type, telle qu’une demande de compensation ou une demande à titre de garantie, présentée par le gouvernement libyen, ou par toute personne ou entité agissant par l’intermédiaire ou pour le compte de celui-ci, à l’occasion de tout contrat ou toute opération dont l’exécution aurait été affectée, directement ou indirectement, en tout ou en partie, par des mesures décidées en application de la résolution 1970 (2011) du CSNU, y compris des mesures prises par l’Union ou tout État membre conformément aux décisions pertinentes du Conseil de sécurité [des Nations unies] ou à des mesures relevant du présent règlement et aux exigences de leur mise en œuvre ou en rapport avec celle-ci. » Cet article a été modifié à deux reprises (10), la seconde fois par le règlement (UE) no 45/2014 (11). L’article 12 du règlement no 204/2011, tel que modifié par le règlement no 45/2014, dispose :

«1.      Il n’est fait droit à aucune demande liée à tout contrat ou à toute opération dont l’exécution a été affectée, directement ou indirectement, en totalité ou en partie, par les mesures instituées en vertu du présent règlement, y compris à des demandes d’indemnisation ou à toute autre demande de ce type, telle qu’une demande de compensation ou une demande à titre de garantie, en particulier une demande visant à obtenir la prorogation ou le paiement d’une garantie ou d’une contre-garantie, notamment financière, qu’elle qu’en soit la forme, présentée par :

a)      des personnes, des entités ou des organismes désignés énumérés à l’annexe II ou III ;

b)      toute autre personne ou entité ou tout autre organisme libyen, y compris le gouvernement libyen ;

c)      toute personne, toute entité ou tout organisme agissant par l’intermédiaire ou pour le compte de l’une des personnes ou entités ou de l’un des organismes visés aux points a) ou b).

2.      Dans toute procédure visant à donner effet à une demande, la charge de la preuve que la satisfaction de la demande n’est pas interdite par le paragraphe 1 incombe à la personne cherchant à donner effet à cette demande.

[…] »

7.        Le règlement no 204/2011 a été remplacé, à compter du 20 janvier 2016, par le règlement 2016/44. Le libellé de l’article 12 du règlement no 204/2011 a été repris, sans modification, à l’article 17 du règlement 2016/44.

II.    La procédure au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

8.        Les faits caractérisant la procédure au principal, tels qu’ils ressortent de la décision de renvoi et du dossier, peuvent être résumés comme suit.

9.        Le 7 juillet 2009, le Libyan Housing and Infrastructure Board (Conseil libyen du logement et de l’infrastructure) (ci-après le « HIB »), entité libyenne, en tant que maître d’ouvrage, et UF (partie intervenant au soutien de la partie requérante dans la procédure au principal), société de droit hongrois, en tant qu’adjudicataire, ont conclu un contrat portant sur la réalisation d’infrastructures publiques dans la région de Zawya, en Libye.

10.      Dans le cadre de ce contrat, le HIB a exigé la constitution, de la part de UF, de deux garanties bancaires, une garantie de remboursement de l’acompte que UF avait obtenu de HIB (ci-après la « garantie APG ») et une garantie de bonne fin (ci-après la « garantie PG »). Le HIB a demandé que ces garanties soient émises en sa faveur par la banque libyenne Sahara Bank. Cette dernière a sollicité une contre-garantie et l’émission d’une lettre de crédit de la part de TG (partie défenderesse au principal) qui, à son tour, a demandé une contre-garantie de la part de SH (partie requérante au principal).

11.      Le 16 octobre 2009, SH et UF ont conclu un contrat par lequel SH s’engageait à émettre une contre-garantie en faveur de TG (ci-après la « contre‑garantie APG de SH »), afin de garantir la contre-garantie que TG était tenu d’émettre en faveur de Sahara Bank (ci-après la « contre-garantie APG de TG »), face à la garantie APG émise par la banque libyenne au HIB. En exécution de ce contrat, le 20 novembre 2009, la contre-garantie APG de SH a été émise en faveur de TG, pour un montant de 69 499 610 dinars libyens (LYD) (environ 43 359 832 euros), son échéance étant fixée au 14 septembre 2013. En conséquence, le 24 novembre 2009, la contre‑garantie APG de TG a été émise en faveur de Sahara Bank, son échéance étant fixée au 30 août 2013.

12.      Toujours le 16 octobre 2009, SH et UF ont conclu un contrat par lequel SH s’engageait à émettre une contre-garantie en faveur de TG (ci-après la « contre‑garantie PG de SH »), afin de garantir la lettre de crédit stand-by irrévocable que TG était tenue d’émettre en faveur de Sahara Bank (ci-après la « contre-garantie PG de TG »), face à la garantie PG émise par la banque libyenne au HIB. En exécution de ce contrat, le 16 décembre 2009, la contre-garantie PG de SH a été émise en faveur de TG, pour un montant de 6 567 000 euros, son échéance étant fixée au 15 juillet 2014. En conséquence, le 17 décembre 2009, la contre-garantie PG de TG a été émise en faveur de Sahara Bank, son échéance étant fixée au 30 juin 2014.

13.      Sur le fondement des accords conclus entre SH et TG s’agissant de l’émission de la contre-garantie APG de TG et de la contre-garantie PG de TG, SH s’est engagée à rembourser à TG les sommes payées par cette dernière à Sahara Bank et à lui verser trimestriellement une commission de 1,30 % par an.

14.      SH s’est acquittée de ses obligations de paiement à l’égard de TG jusqu’au mois de mars 2011.

15.      Le 2 mars 2011, le règlement no 204/2011 a été adopté. Le HIB et Sahara Bank figuraient sur la liste de l’annexe III de ce règlement et y sont demeurés respectivement jusqu’au 29 janvier 2014 (12) et jusqu’au 2 septembre 2011 (13).

16.      Le 20 décembre 2012, SH et TG ont signé un mémorandum d’accord tendant à régir leurs relations afin de tenir compte des conséquences de l’adoption du règlement no 204/2011. Le même jour, SH et TG ont conclu un contrat de dépôt tripartite avec une banque dépositaire (ci-après le « contrat de dépôt »). En application de l’article V de ce contrat, les sommes déposées (14) auraient dû être versées à TG au cas où le HIB aurait été retiré de la liste avant la date d’échéance des contre-garanties APG et PG de SH et de la lettre de crédit (respectivement le 14 septembre 2013 et le 15 juillet 2014). Dans le cas contraire, les sommes en question auraient été restituées à SH. SH a donc continué de verser régulièrement sur le compte de dépôt les sommes dues relatives aux contre-garanties APG et PG de TG.

17.      À la suite d’une demande présentée par le HIB, Sahara Bank a demandé à plusieurs reprises la réalisation de la contre-garantie APG de TG. TG a opposé un refus motivé par l’illégalité de la demande. Par ordonnance définitive du 22 avril 2013, la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale, Hongrie) a interdit à TG d’effectuer le paiement à Sahara Bank tant que le HIB demeurerait inscrit sur la liste de l’annexe III du règlement no 204/2011.

18.      Le 10 janvier 2013, TG a demandé la réalisation de la contre-garantie APG de SH. SH a rejeté cette demande, car les mesures restrictives étaient encore en vigueur.

19.      Le 14 septembre 2013, la contre-garantie APG de SH a expiré. Le 17 juillet 2014, la contre-garantie PG de SH a également expiré, sans qu’aucune demande d’exécution ait été présentée. En conséquence, SH a demandé à TG de consentir à débloquer les sommes déposées, en effectuant la nécessaire déclaration de volonté auprès de la banque dépositaire. TG a toutefois refusé de procéder à cette déclaration.

20.      SH a donc formé un recours juridictionnel afin d’obtenir l’exécution des obligations de TG sur le fondement du contrat de dépôt. TG a demandé, à titre reconventionnel (15), la condamnation de SH au paiement des coûts afférents à l’engagement des contre-garanties en question, en ce compris le remboursement des sommes déjà versées à Sahara Bank (16).

21.      La juridiction de première instance a fait droit à la demande formée par SH et a consenti au déblocage des sommes déposées en faveur de cette dernière. Sur ce point, le jugement est devenu définitif. S’agissant de la demande reconventionnelle, cette même juridiction l’a rejetée en ce qu’elle concernait les sommes versées par TG à Sahara Bank et l’a accueillie en ce qu’elle concernait les commissions de garantie dues par SH à TG. Selon cette juridiction, ces commissions constituaient la contrepartie d’une prestation fournie par une personne morale hongroise et ne relevaient pas du champ d’application du règlement no 204/2011. SH a donc été condamnée à verser la somme de 1 352 713,04 euros à TG, en ce compris les intérêts de retard. SH, UF et TG ont toutes fait appel du jugement rendu en première instance.

22.      En appel, le jugement rendu en première instance a été en partie réformé, et la demande reconventionnelle a été intégralement rejetée. D’une part, la juridiction statuant en appel a estimé que cette demande était dépourvue de fondement, eu égard au contrat de dépôt ayant modifié les accords initialement conclus par SH et TG ; d’autre part, elle a considéré que, puisque les mesures restrictives à l’encontre du HIB étaient en vigueur, TG ne pouvait pas fournir de prestation de garantie, et n’avait donc pas droit à la couverture des frais y relatifs. TG a introduit un pourvoi, à l’encontre de l’arrêt rendu en appel, devant la Kúria (Cour suprême), qui est la juridiction de renvoi.

23.      Cette juridiction estime que, pour déterminer si – dans la chaîne de contrats conclus afin de constituer des garanties bancaires en faveur du HIB – TG a droit au paiement des coûts des contre-garanties émises sur ordre de SH, il est nécessaire d’interpréter le droit de l’Union, notamment les articles 5 et 12 du règlement no 204/2011, ainsi qu’éventuellement l’article 9 de ce règlement, et les articles 5, 9 et 17 du règlement 2016/44.

24.      La décision de renvoi précise que les parties à la procédure au principal se sont adressées à la Commission européenne (service des instruments de politique étrangère, ci-après l’« IPE ») afin d’obtenir une appréciation juridique de la situation. Le 18 novembre 2013, l’IPE a émis un avis juridique selon lequel, d’après la procédure, les fonds ne devaient pas, directement ou indirectement, être versés au HIB ou libérés à son profit, dès lors que le HIB figurait sur la liste de l’annexe III du règlement no 204/2011. Le 10 mars 2014, l’IPE a émis un second avis, à la suite d’une question posée par le représentant permanent du gouvernement français auprès de l’Union européenne, dans lequel il établissait une distinction entre « l’appel à la garantie », d’une part, et « l’exécution du paiement sur la base de la garantie », d’autre part. D’après l’IPE, dans la mesure où l’article 12 du règlement no 204/2011 ne trouvait pas à s’appliquer, on pouvait admettre que « la garantie soit appelée » au profit d’un organisme figurant sur la liste, mais « l’exécution du paiement sur la base de la garantie » était interdit tant que l’organe en cause continuait à être concerné par les mesures visées à l’article 5 du règlement no 204/2011, à moins que le paiement puisse être effectué sur la base des dispositions de l’article 9 de ce règlement.

25.      C’est dans ce contexte que, par ordonnance du 23 mars 2017, la Kúria (Cour suprême) a prononcé le sursis à statuer dans la procédure au principal et posé les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le champ d’application du règlement [no 204/2011] et du règlement [2016/44] s’étend-il aux obligations suivantes de paiement des frais de garantie sur la base de contrats de contre-garantie dans une chaîne de contrats conclus dans le but d’émettre une garantie bancaire au profit d[u HIB] :

1.1.      lorsqu’une banque ressortissante de l’Union européenne, au titre d’un contrat de contre-garantie, est tenue de payer des frais à une banque libyenne qui figure sur la liste noire de l’annexe III du règlement [no 204/2011] ;

1.2.      lorsqu’une banque ressortissante de l’Union européenne, au titre d’un contrat de contre-garantie, est tenue de payer des frais à une banque libyenne qui ne figure pas sur la liste noire de l’annexe III du règlement [no 204/2011], mais que la garantie bancaire a été émise au profit de HIB, qui figure sur la liste noire ;

1.3.      lorsque, dans la période suivant la modification du règlement [no 204/2011] par le règlement [no 45/2014], le règlement [no 204/2011] interdit les paiements directs ou indirects à toute entité libyenne ;

1.4.      lorsque l’obligation de paiement des frais de garantie repose sur un contrat de garantie conclu dans le cadre d’une chaîne de contrats conclus en vue de l’émission d’une garantie bancaire au profit de HIB et dans le cadre de la relation entre deux banques ressortissantes de l’Union européenne ;

1.5.      lorsque le décompte relatif aux frais de garantie intervient après l’expiration de la durée des garanties, dans le cadre d’une procédure contentieuse, après l’entrée en vigueur du règlement [2016/44] ?

2)      Si l’obligation de paiement des frais de garantie exposée aux points 1.1 et 1.2 ci-dessus relève du champ d’application du règlement, faut-il considérer comme des fonds utilisés directement ou indirectement au profit de personnes morales, entités ou organismes figurant à l’annexe III du règlement [no 204/2011] les frais de garantie payés à une banque libyenne – ayant figuré elle aussi un certain temps sur la liste noire de l’annexe III [de ce règlement] – en vue de l’émission d’une garantie de remboursement d’acompte et d’une garantie de bonne fin au profit de HIB ?

3)      Dans la période suivant la modification du règlement [no 204/2011] par le règlement [no 45/2014] (point 1.3), faut-il interpréter l’article 12, paragraphe 1, sous b), du règlement [no 204/2011] en ce sens qu’on peut considérer que constituent directement ou indirectement une demande à titre de garantie les frais et coûts réclamés par une banque libyenne et payés par une banque établie dans l’Union européenne au titre d’un contrat de contre-garantie ?

4)      Faut-il considérer comme une personne ou entité visée à l’article 12, paragraphe 1, point c), du règlement [no 204/2011] modifié par le règlement [no 45/2014] – personne ou entité agissant par l’intermédiaire ou pour le compte ou au profit de l’une des personnes, entités ou [de l’un des] organismes visés aux points a) ou b) de l’article 12, paragraphe 1, précité – une banque ressortissante de l’Union européenne qui est tenue de payer des frais de garantie à une entité libyenne en vertu d’un contrat de contre-garantie conclu dans le cadre d’une chaîne de contrats conclus en vue de l’émission d’une garantie bancaire au profit de HIB (point 1.4) ? Peut-on considérer que constituent directement ou indirectement une demande à titre de garantie les frais de garantie réclamés par cette banque à une autre banque ressortissante de l’Union européenne ?

5)      Un paiement quelconque est-il lié à la règle d’exception de l’article 9 du règlement [no 204/2011] ?

6)      Dans la mesure où le décompte relatif aux frais de garantie intervient après l’entrée en vigueur du règlement [2016/44], abrogeant le règlement [no 204/2011], mais contenant des règles en substance identiques au règlement antérieur (point 1.5), ce règlement [2016/44] trouve-t-il à s’appliquer s’agissant de statuer sur le litige entre les parties et faut-il interpréter l’article 17, paragraphe 1, sous b), de ce règlement en ce sens qu’on peut considérer que constituent directement ou indirectement une demande à titre de garantie les frais et coûts réclamés par une banque libyenne et payés par une banque ressortissante de l’Union européenne en vertu d’un contrat de contre-garantie ? Faut-il considérer comme une personne ou une entité visées à l’article 17, paragraphe 1, point c), de ce règlement – personne ou entité agissant par l’intermédiaire ou pour le compte ou au profit de l’une des personnes ou entités ou de l’un des organismes visés à l’article 17, paragraphe 1, point a) ou b), du même règlement – une banque ressortissante de l’[Union] qui est tenue de payer des frais de garantie à une entité libyenne en vertu d’un contrat de contre-garantie conclu dans le cadre d’une chaîne de contrats conclus en vue de l’émission d’une garantie bancaire au profit de HIB ? Peut-on considérer que constituent directement ou indirectement une demande à titre de garantie les frais de garantie réclamés par cette banque à une autre banque ressortissante de l’[Union] ? »

26.      UF, SH, TG, les gouvernements allemand, italien et hongrois, ainsi que la Commission ont présenté des observations écrites devant la Cour conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et ont été entendus, à l’exception du gouvernement italien, lors de l’audience tenue le 23 avril 2018.

III. Analyse

A.      Observations liminaires

27.      Il ressort de la demande de décision préjudicielle que la Kúria (Cour suprême) ne nourrit aucun doute raisonnable sur le fait que la libération des contre-garanties – libération qui n’a jamais eu lieu et qui n’est plus d’actualité puisque les contre-garanties ont expiré – était interdite conformément au règlement no 204/2011, du moins lorsque le HIB était inscrit sur la liste. La Cour n’est donc pas appelée à se pencher sur cette question.

28.      La Kúria (Cour suprême) demande en revanche à la Cour comment doivent être considérés, aux fins de l’application des mesures d’embargo adoptées par l’Union à l’égard de la Libye :

–        les paiements dus par une banque établie dans l’Union à une banque libyenne inscrite sur la liste figurant à l’annexe III du règlement no 204/2011, destinés à couvrir, de manière différée, des coûts de constitution d’une garantie en faveur d’une entité également inscrite sur cette liste ;

–        les paiements dus par une banque établie dans l’Union à une banque libyenne non inscrite sur les listes figurant aux annexes II et III du règlement no 204/2011, destinés à couvrir, de manière différée, des coûts de constitution d’une garantie en faveur d’une entité inscrite sur ces listes ;

–        les paiements dus par une banque établie dans l’Union à une autre banque établie dans l’Union, destinés à couvrir, de manière différée, des coûts de constitution d’une contre-garantie en faveur d’une banque libyenne non inscrite sur les listes figurant aux annexes II et III du règlement no 204/2011, aux fins de l’émission d’une garantie en faveur d’une entité inscrite, postérieurement à cette émission, sur lesdites listes.

29.      Il incombera à la Cour de déterminer, pour chacune de ces catégories de paiement, s’ils relèvent du champ d’application des interdictions prévues par le règlement no 204/2011 ou par le règlement 2016/44.

30.      Il appartiendra en revanche à la juridiction nationale [la Kúria (Cour suprême) ou le juge du fond] de déterminer si, sur le fondement des contrats de contre-garantie conclus par SH et TG, du contrat de dépôt et du droit applicable à ces contrats, TG peut se prévaloir, à l’égard de SH, du paiement des coûts des contre-garanties émises sur ordre de cette dernière (ou d’une forme quelconque de réparation du préjudice ou d’indemnisation au titre de l’enrichissement sans cause), relatifs à la période pendant laquelle le HIB était inscrit sur la liste figurant à l’annexe III du règlement no 204/2011, nonobstant le fait que le nom de ce dernier n’a pas été éliminé de la liste susmentionnée, en ce qui concerne la contre‑garantie APG de TG, qu’après l’expiration de celle-ci, et nonobstant l’adoption des mesures restrictives qui ont modifié l’exposition de TG au risque de réalisation des contre-garanties.

B.      Sur la première question préjudicielle, point 1.1, et la deuxième question préjudicielle : les paiements dus par une banque établie dans l’Union à une banque libyenne inscrite sur la liste figurant à l’annexe III du règlement no 204/2011, destinés à couvrir, de manière différée, des coûts de constitution d’une garantie en faveur d’une entité également inscrite sur ladite liste

31.      Par la première question préjudicielle, point 1.1, qu’il y a lieu d’examiner conjointement avec la deuxième question préjudicielle, en ce qu’elle se réfère au point 1.1, la juridiction de renvoi demande en substance si, dans des circonstances telles que celles de la procédure au principal, les coûts (17) que TG était tenue de payer à Sahara Bank aux fins de la constitution des garanties APG et PG en faveur du HIB, au cours de la période pendant laquelle Sahara Bank était inscrite sur la liste, relevaient du champ d’application du règlement no 204/2011 ou du règlement 2016/44 et faisaient l’objet d’une interdiction eu égard aux dispositions pertinentes de ces règlements.

32.      Il convient de préciser en premier lieu que, puisqu’il s’agit de paiements qui devaient être effectués alors qu’était en vigueur le règlement no 204/2011 et puisque la juridiction de renvoi demande en substance si ces paiements relevaient du champ d’application des mesures d’embargo de l’Union contre la Libye au moment où ils étaient dus, seul le règlement no 204/2011 est pertinent aux fins de la question posée par la juridiction de renvoi.

33.      Cela étant, les paiements en question sont susceptibles de relever du champ d’application de ce règlement s’ils satisfont à l’une des hypothèses prévues à l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 204/2011, c’est-à-dire s’ils constituent une « mise à disposition » directe ou indirecte de fonds ou ressources économiques à des personnes physiques ou morales, entités ou organismes énumérés aux annexes II et III de ce règlement, ou une « utilisation » de fonds ou ressources économiques à leur profit.

34.      Or, il ne fait aucun doute que des versements de sommes d’argent qu’une banque établie dans l’Union est tenue d’effectuer à l’égard d’une entité inscrite sur une liste figurant dans ces annexes, destinés à couvrir les coûts de constitution d’une garantie, représentent, lorsqu’ils sont effectués, une « mise à disposition directe de fonds » au sens de l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 204/2011 et relèvent ainsi de son champ d’application. La circonstance que ces paiements s’inscrivent dans le cadre d’une transaction caractérisée par un équilibre économique entre la prestation et la contrepartie de celle-ci et constituent des actes d’exécution d’un contrat conclu avant l’entrée en vigueur du règlement no 204/2011 ne permet pas en soi, comme l’a déjà précisé la Cour, de les exclure du champ d’application de ce règlement et des interdictions qu’il prévoit (18).

35.      Se pose tout au plus la question de savoir si ces paiements pouvaient être effectués au moyen d’un versement sur un compte gelé de Sahara Bank, au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement no 204/2011, selon lequel l’article 5, paragraphe 2, du même règlement ne s’applique pas aux paiements dus en vertu de contrats souscrits avant la date à laquelle le bénéficiaire a été inscrit sur les listes des annexes II et III, sous réserve qu’ils soient également gelés. Pour ce qui est de la pertinence de cette question aux fins de la résolution du litige au principal, je renvoie à la réponse à la cinquième question préjudicielle, qui porte sur l’interprétation de l’article 9 du règlement no 204/2011.

C.      Sur la première question préjudicielle, point 1.2, et la deuxième question préjudicielle : paiements dus par une banque établie dans l’Union à une banque libyenne non inscrite sur les listes figurant aux annexes II et III du règlement no 204/2011, destinés à couvrir, de manière différée, des coûts de constitution d’une garantie en faveur d’une entité inscrite sur lesdites listes

36.      Par la première question préjudicielle, point 1.2, qu’il y a lieu d’examiner conjointement avec la deuxième question préjudicielle, en ce qu’elle se réfère au point 1.2, la juridiction de renvoi demande en substance si, dans des circonstances telles que celles de la procédure au principal, les coûts que TG était tenue de payer à Sahara Bank aux fins de la constitution des garanties APG et PG en faveur du HIB, au cours de la période postérieure à l’élimination du nom de Sahara Bank sur la liste figurant à l’annexe III du règlement no 204/2011, relevaient du champ d’application de ce règlement ou du règlement 2016/44 et faisaient l’objet d’une interdiction. Pour les raisons déjà mentionnées au point 32 des présentes conclusions, seul le règlement no 204/2011 est pertinent aux fins de la réponse à donner à cette question.

37.      Les versements de sommes d’argent qu’une banque établie dans l’Union est tenue d’effectuer à l’égard d’une personne morale de droit libyen ne figurant pas sur les listes des annexes II et III du règlement no 204/2011, contrairement à l’hypothèse envisagée au point 1.1 de la première question préjudicielle, ne constituent pas, lorsqu’ils sont effectués, une « mise à disposition directe de fonds » au sens de l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 204/2011.

38.      Une « mise à disposition indirecte » (19) de fonds au sens de la même disposition pourrait avoir lieu si les sommes faisant l’objet des paiements en question étaient reversées à une personne physique, une entité ou un organisme inscrit sur les listes susmentionnées, ou s’il existait, entre l’un de ces sujets et la personne morale de droit libyen recevant le paiement, un lien juridique ou financier (par exemple un lien de propriété ou de contrôle) (20) tel qu’il permettrait à ce sujet d’acquérir le pouvoir de disposer des sommes en question.

39.      J’aurais toutefois tendance à exclure que l’une de ces hypothèses soit remplie dans la procédure au principal. En effet, d’une part, les sommes faisant l’objet des paiements en question dans cette procédure, dès lors qu’elles sont destinées à couvrir les coûts encourus par une banque aux fins de la constitution d’une garantie, et qu’elles représentent la contrepartie des services fournis par cette banque, sont, en principe, destinées à demeurer dans les caisses de cette dernière. Par ailleurs, même s’il appartient au juge national d’exclure définitivement une telle circonstance, il ne ressort pas de la décision de renvoi que les sommes versées par TG à Sahara Bank afin de couvrir les coûts de constitution des garanties APG et PG en faveur du HIB aient d’une quelconque manière été mises à disposition de cette dernière.

40.      D’autre part, il ne ressort pas de la décision de renvoi qu’il existerait, entre Sahara Bank et HIB, un lien semblable à celui décrit au point 38 des présentes conclusions. Il appartient toutefois au juge national, dans ce cas également, de vérifier si c’est effectivement le cas.

41.      Une mise à disposition directe ou indirecte des fonds étant exclue, il y a lieu de rechercher si les paiements en question constituent une « utilisation » de fonds au profit d’un sujet figurant sur les listes des annexes II et III du règlement no 204/2011, au sens de l’article 5, paragraphe 2, de ce règlement, dans la mesure où ils sont destinés à couvrir, de manière différée, des coûts de constitution d’une garantie en faveur d’une entité qui, alors qu’était en vigueur le contrat de garantie, a été inscrite sur ces listes.

42.      Cela se produirait, à mon avis, s’il s’avérait – sur le fondement des accords conclus, avant l’entrée en vigueur de l’embargo, par la banque établie dans l’Union en tant que donneur d’ordre et la banque libyenne qui a émis la garantie, ainsi que sur le fondement d’éventuelles modifications de ces accords postérieures à l’entrée en vigueur de l’embargo – que les paiements en question ont une incidence, directe ou indirecte, sur la possibilité, pour le bénéficiaire, d’obtenir de la banque libyenne l’exécution de la garantie (21), ou qu’ils constituent une prise en charge, de la part de la banque établie dans l’Union, de coûts qui, contractuellement, incomberaient au bénéficiaire (22).

43.      Ainsi, dans l’hypothèse où le droit de réaliser la garantie dépend en tout ou partie du versement des sommes accordées à titre de contrepartie de son émission, ou dans le cas où les deux banques ont convenu, pendant l’embargo, de proroger la garantie, les paiements que la banque établie dans l’Union est tenue d’effectuer en faveur de la banque libyenne afin de couvrir les coûts relatifs à l’émission de la garantie ou à sa prorogation relèveraient du champ de l’interdiction prévue à l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 204/2011. Les sommes faisant l’objet de tels paiements seraient en effet destinées à garantir à un sujet inscrit sur les listes des annexes II et III du règlement le droit à la réalisation de la garantie ou au maintien, en sa faveur, de la validité d’une garantie au-delà du délai initialement convenu et seraient, partant, utilisées à son profit (23).

44.      Eu égard aux considérations qui précèdent, lorsque les hypothèses visées aux points 38 et 42 des présentes conclusions ne sont pas avérées, les paiements qu’une banque établie dans l’Union est tenue d’effectuer à l’égard d’une banque libyenne ne figurant pas sur les listes des annexes II et III du règlement no 204/2011 destinés à couvrir, de manière différée, les coûts d’émission d’une garantie en faveur d’un sujet qui, alors que le contrat était en cours, a été inscrit sur les listes susmentionnées, ne relèvent d’aucun des cas prévus à l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 204/2011 et, à moins qu’ils ne s’inscrivent dans le cadre d’activités tendant à éluder les interdictions prévues par cette disposition, au sens de l’article 5, paragraphe 3 du même règlement(24), ils ne sont pas interdits en application de cette disposition.

45.      Je n’estime notamment pas que le seul fait que la chaîne de contrats liés conclus par les différents sujets impliqués avant l’entrée en vigueur de l’embargo, ou l’opération dans son ensemble, ait en définitive pour objectif de permettre à un sujet inscrit sur la liste de l’annexe III du règlement no 204/2011 d’accéder à une garantie bancaire suffise, en soi, à considérer tout paiement effectué dans le cadre de cette opération comme interdit au sens de l’article 5, paragraphe 2, de ce règlement.

46.      Il appartient en tout état de cause au juge national de procéder, sur la base des accords conclus par TG et Sahara Bank, et à la lumière du type de garantie émise par cette dernière en faveur du HIB, aux vérifications permettant d’exclure définitivement l’application de l’article 5 du règlement no 204/2011 aux paiements en question.

D.      Sur la première question préjudicielle, point 1.4 : les paiements dus par une banque établie dans l’Union à une autre banque établie dans l’Union, destinés à couvrir, de manière différée, des coûts de constitution d’une contre-garantie en faveur d’une banque libyenne non inscrite sur les listes figurant aux annexes II et III du règlement no 204/2011, aux fins de l’émission d’une garantie en faveur d’une entité inscrite, postérieurement à cette émission, sur lesdites listes

47.      Par la première question préjudicielle, point 1.4, la Kúria (Cour suprême) demande en substance si, dans des circonstances telles que celles au principal, les paiements ayant pour objet les coûts (25) que SH s’est engagée à verser à TG aux fins de la constitution d’une contre-garantie en faveur de Sahara Bank – afin de permettre l’émission, de la part de cette dernière, des garanties APG et PG en faveur du HIB – relèvent du champ d’application du règlement no 204/2011 ou du règlement 2016/44 et sont interdits par les dispositions pertinentes de ces règlements. Ici également, seul le règlement no 204/2011, en vigueur au moment où les paiements susmentionnés étaient dus contractuellement, doit être pris en considération aux fins de la réponse à la question.

48.      Compte tenu du lien fonctionnel qui, malgré leur caractère autonome, existe entre les contre-garanties offertes par TG à Sahara Bank, sur indication de SH, et les garanties offertes par Sahara Bank au HIB, les considérations figurant aux points 38 à 46 des présentes conclusions sont applicables, mutatis mutandis, aux paiements visés par cette partie du renvoi préjudiciel, indépendamment du fait que ces paiements ont lieu entre des banques toutes deux établies dans l’Union. Je me limite donc ici à renvoyer auxdites considérations.

E.      Sur la première question préjudicielle, point 1.3, et les troisième, quatrième et sixième questions préjudicielles : incidence de l’article 12 du règlement no 204/2011 et de l’article 17 du règlement 2016/44

49.      Le règlement no 204/2011 contient depuis l’origine (26), à l’article 12, une clause dite « no claims clause », ou « relative à la non‑satisfaction des demandes », dont le champ d’application a été modifié par le règlement no 45/2014 afin de l’adapter aux lignes directrices du Conseil concernant les mesures restrictives (27), figurant actuellement à l’article 17 du règlement 2016/44.

50.      Cette clause, insérée dans la majeure partie des instruments juridiques de l’Union qui prévoient des mesures restrictives (28), a pour objectif d’éviter que les sujets frappés par des mesures restrictives, le gouvernement libyen ou ses représentants et, de manière générale, les personnes, entités ou organismes libyens, puissent obtenir des compensations au titre des effets négatifs de l’embargo, ainsi que de protéger les opérateurs économiques des prétentions que pourraient avoir à leur égard des contreparties libyennes sur le fondement de contrats dont l’exécution serait affectée par ces mesures, ou relativement à de tels contrats (29).

51.      En raison de sa finalité différente, la clause relative à la non-satisfaction des demandes figurant à l’article 12 du règlement no 204/2011 ne se superpose pas aux interdictions figurant à l’article 5, paragraphe 2, de ce règlement, mais a un champ d’application distinct. Ainsi, à l’exception de l’hypothèse des demandes de sujets inscrits sur les listes des annexes II et III du règlement no 204/2011, visée à l’article 12, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, dans sa version modifiée par le règlement no 45/2014, la satisfaction des demandes relevant du champ d’application de cet article ne constitue pas, en principe, un cas de mise à disposition ou d’utilisation de fonds ou ressources économiques interdites à l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 204/2011. Une interprétation différente priverait cet article d’effet utile.

52.      Conformément à sa fonction, cette clause est en outre susceptible de produire des effets non seulement tant que durent les mesures restrictives, mais également après leur levée. Si elle est maintenue en vigueur, cette clause reste valable même après la cessation des mesures d’embargo (30), ce qui rend irrecevables les demandes en réparation au titre d’inexécutions contractuelles, temporaires ou définitives, causées par l’entrée en vigueur de ces mesures.

53.      La clause relative à la non-satisfaction des demandes a donc pour objectif de préciser les effets des mesures d’embargo sur les contrats conclus avant l’adoption de telles mesures, en reconnaissant, dans les limites de son champ d’application, en faveur du débiteur dont la prestation est devenue en tout ou partie, temporairement ou définitivement impossible, l’effet libératoire qui, en droit civil, s’apparente aux cas de force majeure dépendant de la survenue d’un factum principis. Si la nature temporaire d’un embargo entraîne, en principe, uniquement la « paralysie » et non pas l’extinction des contrats conclus avant son entrée en vigueur – ce qui a pour conséquence que les prestations qui ne sont pas arrivées à échéance entre-temps et dont l’exécution n’est pas devenue définitivement impossible doivent pouvoir être exécutées après la levée des mesures restrictives –, l’existence d’une clause relative à la non-satisfaction des demandes rend irrecevables, même après la fin de l’effet suspensif de l’embargo, les demandes visant à obtenir une compensation pour les inexécutions relatives à des contrats ou à des opérations affectés par ces mesures, et peut entraîner, dans certains cas, de fait, la caducité des relations en cours (31).

54.      Les garanties et contre-garanties conclues dans le cadre d’un contrat, par exemple de marché ou de fourniture, sur l’exécution duquel les mesures restrictives adoptées par le règlement no 204/2011 ont eu une incidence sont expressément mentionnées à l’article 12 de ce règlement, et à présent à l’article 17 du règlement 2016/44, en tant que sources de « demandes » auxquelles il est interdit de satisfaire au sens de cette disposition. Partant, outre leur caractère indépendant du contrat de base dont elles découlent, la réalisation de ces garanties (ou contre-garanties) de la part des sujets énumérés à l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), du règlement no 204/2011, dans sa version modifiée par le règlement no 45/2014, et à présent à l’article 17 du règlement 2016/44, est interdite (32), conformément à ces articles, s’il s’avère que les mesures adoptées par le règlement en question ont eu une incidence sur l’exécution du contrat de base.

55.      Indépendamment de leur lien avec le contrat de base, les garanties et contre-garanties sont en outre, en soi, des contrats susceptibles d’être affectés, au sens de l’article 12 du règlement no 204/2011, par les mesures restrictives adoptées par ce règlement.

56.      L’entrée en vigueur de l’embargo bloque en effet, pendant sa durée, la possibilité pour les bénéficiaires frappés par ces mesures (ou les sujets inclus dans les catégories énumérées à l’article 12 du règlement no 204/2011), de réaliser la garantie ou la contre-garantie et ainsi empêche le garant (ou le contre-garant) d’exécuter sa prestation. La prorogation des garanties et contre-garanties est par ailleurs expressément interdite à l’article 12 de ce règlement ; si elle était permise, elle constituerait, comme nous l’avons vu, une violation de l’interdiction énoncée à l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 204/2011. Dès lors qu’il se trouve dans l’impossibilité d’exécuter sa prestation pour des raisons de force majeure, le garant (ou le contre-garant) est donc exonéré de toute responsabilité pour n’avoir pas satisfait à ses obligations, et ce tant que sont en vigueur les mesures restrictives et la clause relative à la non-satisfaction des demandes (33). Si la garantie ou la contre-garantie expire avant la fin de l’embargo, il est définitivement libéré de ses obligations. En effet, tout en admettant que l’adoption de mesures d’embargo produit un effet uniquement suspensif des contrats en cours d’exécution, le maintien de la validité des garanties autonomes souscrites pour une durée déterminée dépassant la date d’échéance initialement convenue doit en tout état de cause être exclu (34).

57.      Bien qu’ils ne soient pas expressément prévus à l’article 12 du règlement no 204/2011, les commissions et autres frais liés à l’émission d’une garantie ou d’une contre-garantie bancaire sont susceptibles de relever du champ d’application de cet article au cas où l’exécution du contrat de garantie ou de contre-garantie auquel ils sont liés serait entravée par les mesures introduites par ce règlement et où la demande de paiement de tels frais et commissions de la part de sujets relevant des catégories énumérées dans cette disposition pourrait ainsi constituer une demande présentée « à l’occasion de tout contrat dont l’exécution aurait été affectée » par ces mesures (35).

58.      Il appartient au juge national d’apprécier concrètement si, et dans quels termes, la clause relative à la non-satisfaction des demandes prévue par les règlements no 204/2011 et 2016/44 est applicable aux demandes de TG à l’égard de SH. Une telle appréciation doit, selon moi, se fonder sur les critères suivants.

59.      Tout d’abord, il y a lieu d’établir une distinction, afin de déterminer quelle version de la clause est applicable ratione temporis aux paiements en cause dans l’affaire au principal, entre les sommes versées par TG à Sahara Bank, dont TG demande le remboursement à SH, et les sommes dues par cette dernière à TG, au titre essentiellement de commissions pour l’émission des contre-garanties APG et PG. Au sein de la première catégorie, il y a lieu d’établir une nouvelle distinction entre les paiements effectués au cours de la période allant de l’entrée en vigueur du règlement no 204/2011 à l’entrée en vigueur du règlement no 45/2014 (22 janvier 2014) et ceux effectués à partir de cette date jusqu’à la date d’échéance des garanties émises par Sahara Bank. La version d’origine de l’article 12 du règlement no 204/2011 s’applique aux premiers, tandis que la version modifiée par le règlement no 45/2014 s’applique aux seconds. Je considère en revanche que le règlement 2016/44 n’est applicable à aucun de ces paiements. En effet, c’est le droit applicable au moment où ont été effectués les paiements qui vaut pour déterminer si ces paiements étaient ou non interdits en application de la clause relative à la non-satisfaction des demandes, et non le droit applicable au moment où est demandé en justice le remboursement des sommes en question. S’agissant en revanche des commissions dues par SH à TG, qui n’ont pas été versées, c’est le moment où en est demandé le versement qui compte, et c’est ainsi le règlement 2016/44, dont l’article 17 a d’ailleurs la même teneur que l’article 12 du règlement no 204/2011, qui s’applique.

60.      En second lieu, il ne fait aucun doute que Sahara Bank relève de la catégorie des sujets mentionnés à l’article 12, paragraphe 1, sous b), du règlement no 204/2011, dans sa version modifiée par le règlement no 45/2014, et que les paiements effectués en sa faveur par TG à compter de l’entrée en vigueur de cette modification sont susceptibles de relever du champ d’application de l’interdiction énoncée par cette disposition si les autres conditions prévues par celle-ci sont remplies. On ne peut en revanche en dire autant, comme l’a souligné à juste titre la Commission dans ses observations écrites, si l’on a égard à la version de l’article 12 de ce règlement antérieure à la modification. À cet égard, il appartient au juge national d’effectuer les vérifications nécessaires afin d’établir si, dans les circonstances de l’affaire au principal, on peut estimer que Sahara Bank, en sa qualité de créancier de l’obligation de paiement des coûts relatifs à l’émission de la garantie en faveur du HIB sur le fondement du contrat conclu avec TG, peut être considérée comme « personne ou entité agissant par l’intermédiaire ou pour le compte [du gouvernement libyen] ». Dans le cas contraire, les paiements effectués par TG à Sahara Bank au cours de la période antérieure à l’entrée en vigueur du règlement no 45/2004 ne pourraient en tout état de cause pas être considérés comme effectués en violation de l’interdiction énoncée à l’article 12 du règlement no 204/2011. La possibilité que, dans les circonstances de l’affaire au principal, TG puisse être considérée comme relevant de la définition de cet article dans sa version d’origine, ou soit incluse dans la catégorie des sujets visés à l’article 12, paragraphe 1, sous c), de ce règlement, tel que modifié par le règlement no 45/2014, ou l’article 17 du règlement 2016/44, doit, me semble-t-il, être rejetée d’emblée. En effet, d’une part, comme l’a relevé à juste titre le gouvernement allemand, le seul fait qu’une banque établie dans l’Union soit liée à une banque libyenne par un contrat de garantie ne permet pas en soi de considérer qu’elle agit au nom de cette banque lorsqu’elle demande à une troisième banque établie dans l’Union, à laquelle elle est liée par un contrat de contre-garantie, le remboursement des coûts de la garantie versés à la banque libyenne. D’autre part, une fois rejeté, comme je l’ai fait au point 44 des présentes conclusions, l’argument selon lequel toute demande présentée dans le cadre de la chaîne de contrats de garantie et de contre-garantie en cause dans la procédure au principal devrait être considérée comme « viciée » en ce qu’elle concourrait à l’objectif final d’accorder une garantie à un sujet inscrit sur les listes des annexes II et III du règlement no 204/2011, la demande formée par TG tendant au paiement des commissions relatives au contrat de contre-garantie conclu avec SH ne peut s’interpréter que comme la demande d’un opérateur de l’Union, introduite dans son intérêt exclusif, visant à obtenir la contrepartie des services fournis à un autre opérateur de l’Union.

61.      Enfin, le juge national devra rechercher en quels termes les mesures restrictives instituées par le règlement no 204/2011 ont affecté les contrats de garantie et de contre-garantie en cause dans l’affaire au principal, afin d’apprécier si les demandes présentées par TG dans la procédure au principal, qui devraient relever du champ d’application de cette clause à la lumière des considérations exposées au point qui précède, sont couvertes par l’interdiction qu’elle prévoit. À cet égard, je me limite à relever qu’il est tout à fait possible que, dans le cadre d’une telle appréciation, le juge national parvienne à la conclusion que les mesures introduites par le règlement no 204/2011 n’étaient pas susceptibles d’affecter l’exécution de la garantie de Sahara Bank en faveur du HIB, dont l’émission constitue le présupposé des paiements effectués par TG à la banque libyenne – et, du fait du lien existant avec les contrats de contre-garantie conclus par TG et SH, des remboursements dus par cette dernière à TG. Cela ne permettrait toutefois pas au juge national d’exclure automatiquement les demandes présentées par TG du champ d’application de la clause relative à la non-satisfaction des demandes, dès lors que les mesures restrictives instituées par le règlement no 204/2011 ont indubitablement eu une incidence sur la chaîne de contrats interdépendants dont faisait partie le contrat conclu par TG et Sahara Bank et ainsi sur l’« opération » de garantie dans son ensemble. Je précise à cet égard que l’article 12 du règlement no 204/2011 se réfère expressément non seulement aux « contrats » affectés par les mesures adoptées par ce règlement, mais également à toute « opération » affectée par de telles mesures.

F.      Sur la cinquième question préjudicielle : possible application de l’article 9 du règlement no 204/2011

62.      Par la cinquième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande en substance à la Cour si les paiements en question dans l’affaire au principal ou certains d’entre eux relèvent du champ d’application de l’exception à l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 204/2011, prévue à l’article 9 de ce règlement.

63.      À cet égard, je relève en premier lieu que, conformément à l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 204/2011, cette exception – qui, comme l’a souligné à juste titre la Commission dans ses observations, ne permet en tout état de cause pas d’autoriser des paiements qui doivent être considérés comme violant la clause relative à la non-satisfaction des demandes – porte sur les versements destinés à être effectués sur des comptes faisant l’objet des mesures de gel prévues à l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 204/2011, c’est-à-dire sur des comptes appartenant à des personnes, entités ou organismes inscrits sur les listes des annexes II et III de ce règlement. Partant, dans la procédure au principal, seuls les versements en faveur du HIB ou de Sahara Bank, effectués ou à effectuer au cours de leur période d’inscription sur la liste de l’annexe III du règlement no 204/2011, seraient susceptibles de relever du champ d’application de l’article 9, paragraphe 1, de ce règlement. Or, d’une part, la procédure au principal ne porte pas sur des paiements en faveur du HIB et, d’autre part, il semble constant entre les parties que TG n’a procédé à aucun paiement à l’égard de Sahara Bank pendant la période au cours de laquelle cette dernière figurait sur la liste susmentionnée (36). Il s’ensuit que les demandes présentées par TG dans la procédure au principal ne portent pas sur des sommes faisant l’objet de paiements qui auraient éventuellement pu relever du champ d’application de l’article 9 du règlement no 204/2011.

IV.    Conclusion

64.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par la Kúria (Cour suprême, Hongrie) :

1)      L’article 5, paragraphe 2, du règlement (UE) no 204/2011 du Conseil, du 2 mars 2011, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye, doit être interprété en ce sens que :

–        le paiement, de la part d’une banque établie dans l’Union européenne à une banque libyenne inscrite sur la liste de l’annexe III de ce règlement, des coûts de constitution d’une garantie en faveur d’une entité elle aussi inscrite sur cette liste constitue une mise à disposition de fonds interdite ;

–        le paiement, de la part d’une banque établie dans l’Union à une banque libyenne non inscrite sur les listes des annexes II et III du règlement no 204/2011, des coûts de constitution d’une garantie en faveur d’une entité inscrite sur une de ces listes ne constitue pas une mise à disposition ou une utilisation de fonds interdite, à condition que :

–        les sommes d’argent faisant l’objet de ces paiements ne soient pas reversées à une personne physique, une entité ou un organisme inscrit sur ces listes ;

–        il n’existe pas, entre l’un de ces sujets de droit et la personne morale de droit libyen recevant le paiement, un lien juridique ou financier tel qu’il permettrait à ce sujet d’acquérir le pouvoir de disposer des sommes en question ;

–        les paiements susmentionnés n’aient pas d’incidence, directe ou indirecte, sur la possibilité, pour l’entité libyenne bénéficiaire, d’obtenir de la banque libyenne l’exécution de la garantie, et qu’ils ne constituent pas une prise en charge, de la part de la banque établie dans l’Union, de coûts qui, contractuellement, incomberaient à ce bénéficiaire ;

–        dans les mêmes conditions, le paiement, de la part d’une banque établie dans l’Union à une autre banque établie dans l’Union, des coûts de constitution d’une contre-garantie en faveur d’une banque libyenne non inscrite sur les listes des annexes II et III du règlement no 204/2011, aux fins de l’émission d’une garantie en faveur d’une entité inscrite sur lesdites listes, postérieurement à cette émission, ne constitue pas une mise à disposition ou une utilisation de fonds interdite.

2)      L’article 12 du règlement no 204/2011, dans sa version antérieure à la réforme réalisée par le règlement (UE) no 45/2014 du Conseil, du 20 janvier 2014, ainsi que dans la version résultant de cette réforme, doit être interprété en ce sens que la demande de paiement des coûts relatifs à l’émission d’une garantie ou d’une contre-garantie n’est pas exclue de l’interdiction de satisfaire aux demandes prévue à cet article, si elle est présentée par un des sujets mentionnés dans cet article et si les mesures instituées conformément au règlement no 204/2011 ont affecté directement ou indirectement, intégralement ou en partie, l’exécution du contrat de garantie ou de contre-garantie ou l’opération dans laquelle s’inscrit ledit contrat.

3)      L’article 12, paragraphe 1, du règlement no 204/2011, dans sa version résultant de la modification apportée par le règlement no 45/2014, doit être interprété en ce sens qu’une banque établie dans l’Union, qui est tenue, en vertu d’un contrat de contre-garantie s’inscrivant dans le cadre d’une chaîne de contrats liés tendant à constituer une garantie en faveur d’une entité libyenne, à verser à une banque libyenne les coûts d’émission de la garantie, ne fait pas partie des sujets visés à l’article 12, paragraphe 1, sous c) de ce règlement en l’absence d’éléments permettant de conclure qu’elle agit au nom ou pour le compte de la banque libyenne.

4)      L’article 9 du règlement no 204/2011 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas aux paiements tels que ceux en cause dans l’affaire au principal, effectués ou devant être effectués en faveur de sujets qui ne sont pas frappés par les mesures restrictives instituées par ce règlement.


1      Langue originale : l’italien.


2      JO 2011, L 58, p. 1.


3      Règlement (UE) 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) no 204/2011 (JO 2016, L 12, p. 1).


4      Décision 2011/137/PESC du Conseil du 28 février 2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2011, L 58 p. 53). Cette décision a été abrogée par la décision (PESC) 2015/1333 du Conseil, du 31 juillet 2015 (JO 2015, L 206 p. 34).


5      Adoptée le 26 février 2011.


6      Voir considérant 1 du règlement no 204/2011.


7      L’article 6 du règlement no 204/2011 précise : « 1. L’annexe II comprend les personnes physiques ou morales, entités et organismes désignés par le Conseil de sécurité des Nations unies ou par le comité des sanctions conformément au point 22 de la résolution 1970 dudit Conseil de sécurité (2011). 2. L’annexe III comprend les personnes physiques ou morales, entités et organismes qui ne font pas l’objet de l’annexe II et qui, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la décision 2011/137/PESC, ont été reconnus par le Conseil comme étant des personnes et entités impliquées dans de graves atteintes aux droits de l’homme en Libye ou complices de ces atteintes en ayant ordonné, contrôlé ou dirigé celles-ci, y compris en étant impliqués dans des attaques ou complices d’attaques qu’ils auraient planifiées, commandées, ordonnées ou menées en violation du droit international, y compris les bombardements aériens sur des populations et installations civiles, ou les personnes ou entités agissant pour leur compte ou sur leurs ordres, ou les entités détenues ou contrôlées par elles. »


8      Conformément à l’article 1er, sous a), du règlement no 204/2011, constituent des « fonds » au sens de ce règlement : « iv) les intérêts, les dividendes ou autres revenus d’actifs ou plus-values perçus sur des actifs ; v) le crédit, le droit à compensation, les garanties, les garanties de bonne exécution ou autres engagements financiers ; vi) les lettres de crédit, les connaissements, les contrats de vente ».


9      Le règlement (UE) no 488/2013 du Conseil, du 27 mai 2013, modifiant le règlement (UE) n° 204/2011 (JO 2013, L 141 p. 1) a ajouté deux points à l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 204/2011 dans sa version d’origine, relatifs à des typologies de paiement ne présentant pas de lien avec le cadre factuel de l’affaire au principal.


10      La première modification a été effectuée par le règlement (UE) no 296/2011 du Conseil, du 25 mars 2011, modifiant le règlement (UE) no 204/2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2011, L 80, p. 2). Le nouveau libellé comportait deux alinéas, dont le premier reprenait le libellé de l’article 12 d’origine avec pour seul ajout la référence à la résolution 1973 (2011) du CSNU. Le second alinéa était quant à lui libellé comme suit : « Aucune responsabilité des personnes physiques ou morales, entités ou organismes ne peut être engagée pour des actions qu’ils ont réalisées de bonne foi lors de la mise en œuvre des obligations découlant du présent règlement. »


11      Règlement (UE) no 45/2014 du Conseil, du 20 janvier 2014, modifiant le règlement (UE) no 204/2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2014, L 16, p. 1).


12      Voir articles 1er et 2 du règlement d’exécution (UE) no 74/2014 du Conseil, du 28 janvier 2014, mettant en œuvre l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 204/2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2014, L 26, p. 1).


13      Voir articles 1er et 2 du règlement d’exécution (UE) no 872/2011 du Conseil, du 1er septembre 2011, mettant en œuvre l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 204/2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2011, L 227, p. 3).


14      Il s’agissait d’un montant de 1 668 927,72 euros auquel s’ajoutaient les sommes déposées par SH tous les 6 mois pour la durée du contrat de dépôt et les intérêts y relatifs.


15      La demande reconventionnelle se fondait, à titre principal, sur l’exécution du contrat, à titre subsidiaire, sur l’octroi de dommages et intérêts, et, à titre encore plus subsidiaire, sur l’enrichissement sans cause.


16      Par souci de commodité, j’appellerai « coûts » de contre-garantie l’ensemble des commissions et frais que SH s’était engagée à verser à TG au titre de l’émission des contre-garanties APG et PG, visées au point 13 des présentes conclusions.


17      Je me réfère ici également à l’ensemble des coûts (commissions et autres frais) que TG était tenue de verser à Sahara Bank en sa qualité de banque donneuse d’ordre.


18      Voir, s’agissant du règlement (CE) no 881/2002 du Conseil, du 27 mai 2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, et abrogeant le règlement (CE) no 467/2001 du Conseil interdisant l’exportation de certaines marchandises et de certains services vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidées à l’encontre des Taliban d’Afghanistan (JO 2002, L 139, p. 9), l’arrêt du 11 octobre 2007, Möllendorf et Möllendorf-Niehuus (C‑117/06, EU:C:2007:596, points 49 et 62).


19      Je rappelle que, dans l’arrêt du 29 juin 2010, E et F (C‑550/09, EU:C:2010:382, points 67 et 68), la Cour a précisé que l’expression « mis […] à la disposition », figurant à l’article 2, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 2580/2001 du Conseil, du 27 décembre 2001, concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (JO 2001, L 344, p. 70) – rédigé dans des termes pratiquement identiques à ceux de l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 402/2011 – « revêt une acception large, englobant tout acte dont l’accomplissement est nécessaire pour permettre à une personne, à un groupe ou à une entité figurant sur la liste prévue à l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2580/2001, d’obtenir effectivement le pouvoir de disposer pleinement des fonds, des autres avoirs financiers ou des ressources économiques concernés » et que pareille acception « est indépendante de l’existence, ou non, de relations entre l’auteur et le destinataire de l’acte de mise à disposition en cause » ; voir également arrêt du 11 octobre 2007, Möllendorf et Möllendorf-Niehuus (C‑117/06, EU:C:2007:596, point 51).


20      Voir document du Conseil no 15598/17, du 8 décembre 2017, « Lignes directrices relatives aux sanctions – mise à jour », points 55 bis à 55 sexties.


21      Je relève toutefois que la pratique internationale en matière de garanties à première demande va dans le sens d’une indépendance de la garantie du paiement régulier des coûts. Voir article 32, sous c), des Règles uniformes de la Chambre de commerce internationale (ICC) relatives aux garanties sur demande, révision 2010.


22      Par exemple dans le cas prévu à l’article 32, sous b), des Règles uniformes de la Chambre de commerce internationale, op. cit.


23      Le fait que les sommes garanties ne sont pas mises à disposition de ce sujet sauf s’il demande et obtient l’exécution de la garantie ne revêt pas d’importance, dès lors qu’il tire en tout état de cause un bénéfice en termes économiques de l’existence de la garantie elle-même (qui, d’ailleurs, étant émise par une banque libyenne, peut en principe être réalisée sans rencontrer les obstacles dus aux mesures prévues par le règlement no 204/2011) ; voir, par analogie – bien que dans le contexte différent de la mise à disposition indirecte d’une ressource économique au sens du règlement (CE) no 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2007, L 103, p. 1) – l’arrêt du 21 décembre 2011, Afrasiabi e.a. (C‑72/11, EU:C:2011:874, points 45 à 47), dans lequel la Cour a, en substance, jugé que la simple possibilité que l’avoir concerné, même s’il n’est pas immédiatement prêt à l’utilisation, soit utilisé pour procurer des fonds, des biens ou des services susceptibles de contribuer aux activités que les mesures restrictives adoptées par l’Union tendent à empêcher, est susceptible de relever des interdictions instituées par lesdites mesures. Contrairement au gouvernement allemand, je ne trouve pas pertinente la circonstance que l’avantage que représente le droit de réaliser la garantie n’affecte pas le patrimoine de la banque donneuse d’ordre qui s’acquitte des coûts de la garantie, mais affecte le patrimoine de la banque garante. En effet, dans les circonstances exposées au point 42 des présentes conclusions, il existerait un lien direct entre cet avantage et le paiement des coûts susmentionnés. Voir a contrario l’arrêt du 29 avril 2010, M e.a. (C‑340/08, EU:C:2010:232, points 41 et suivants).


24      De telles activités sont différentes des actes qui violeraient formellement les interdictions énoncées à l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 204/2011 et comprennent les activités qui, sur la base d’éléments objectifs, sous une apparence formelle qui leur permet de se soustraire aux éléments constitutifs d’une violation de l’article 5, paragraphe 2, de ce règlement, semblent cependant, en soi ou en raison de leur éventuel lien avec d’autres activités, avoir pour objectif ou pour résultat, direct ou indirect, de rendre vaine l’interdiction prévue par cette disposition. Voir, par analogie, s’agissant de l’article 7, paragraphe 4, du règlement no 423/2007, arrêt du 21 décembre 2011, Afrasiabi e.a. (C‑72/11, EU:C:2011:874, points 45 à 47 et 60).


25      Je rappelle que ces coûts sont, d’une part, ceux dus par TG au titre de l’émission des contre-garanties et, d’autre part, les sommes versées par TG à Sahara Bank aux fins de l’émission des garanties APG et PG en faveur du HIB, sommes que, comme nous l’avons indiqué, SH serait tenue contractuellement de rembourser à TG.


26      Alors qu’elle n’était pas incluse dans la proposition conjointe de règlement du Conseil concernant des mesures restrictives au regard de la situation en Libye (COM 2011/0108def.), cette clause a été introduite par le Conseil au cours du processus d’adoption du règlement.


27      Lignes directrices concernant la mise en œuvre et l’évaluation de mesures restrictives (sanctions) dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union adoptées par le Conseil le 15 juin 2012, document no 11205/12, voir considérant 2 du règlement no 45/2014.


28      Une clause relative à la non-satisfaction des demandes a été pour la première fois incluse à l’article 2 du règlement (CEE) no 3541/92 du Conseil, du 7 décembre 1992, interdisant de faire droit aux demandes irakiennes relatives aux contrats et opérations dont l’exécution a été affectée par la résolution 661 (1990) du Conseil de sécurité des Nations unies et par les résolutions connexes (JO 1992, L 361, p. 1), dans le cadre de l’embargo adopté contre l’Irak suite à l’invasion du Koweït. Voir, plus récemment, document 15598/17, cité à la note 20.


29      L’objectif de ce type de clause ressort de manière limpide du préambule du règlement no 3541/92 (quatrième et cinquième considérant), dans lequel, après avoir relevé que suite à l’embargo contre l’Irak, les opérateurs économiques de la Communauté européenne et des pays tiers étaient exposés au risque de demandes irakiennes (une loi irakienne de 1990 avait décrété l’irresponsabilité des contractants irakiens au titre des dommages découlant de l’inexécution de leurs obligations contractuelles en raison de l’embargo et, inversement, la responsabilité des contractants étrangers pour les dommages causés à ce titre à leurs contreparties irakiennes), le Conseil a estimé qu’il était « nécessaire de protéger, d’une façon permanente, les opérateurs économiques contre de telles demandes et d’empêcher l’Irak d’obtenir une compensation pour les effets négatifs de l’embargo ».


30      Ainsi, l’abrogation de l’embargo commercial général à l’égard de l’Irak par le règlement (CE) no 1210/2003 du Conseil, du 7 juillet 2003, concernant certaines restrictions spécifiques applicables aux relations économiques et financières avec l’Iraq et abrogeant le règlement (CE) no 2465/1996 du Conseil (JO 2003, L 169, p. 6) et son remplacement par des mesures restrictives spécifiques n’a pas eu d’incidence sur le règlement no 3541/92 s’agissant de la non-satisfaction des demandes des sujets de droit irakiens, qui est toujours en vigueur (voir considérant 16 du règlement no 1210/2003). De la même manière, la clause relative à la non‑satisfaction des demandes a été conservée malgré la suspension de l’embargo contre la Libye décidée par le Conseil de sécurité des Nations unies le 5 avril 1999 aux termes de la résolution 1192 – adoptée le 27 août 1998 – et après la levée de l’embargo ; voir position commune 2004/698/PESC du Conseil, du 14 octobre 2004, concernant la levée des mesures restrictives à l’encontre de la Libye (JO 2004, L 317, p. 40).


31      S’agissant de la « no claims clause » introduite par le règlement no 3541/92, les juridictions de certains États membres se sont exprimées en ce sens ; voir notamment, s’agissant des garanties autonomes, l’arrêt du Tribunale di Padova (tribunal de Padoue, Italie) du 1er octobre 1993, rendu dans une affaire très semblable à celle faisant l’objet de l’affaire au principal, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 23 juin 1995 et celui de la chambre des Lords du 5 juin 2001 dans l’affaire Shanning International Ltd. v. Lloyds TSB Bank plc., Lloyds TSB Banc plc. Rasheed Bank (2001) UKHL 31. Voir à ce sujet Marchand, A., L’embargo en droit du commerce international, Larcier, Bruxelles, 2012, p. 406 et suivantes.


32      La terminologie employée à l’article 12 du règlement no 204/2011 (dans sa version antérieure à la réforme réalisée par le règlement no 45/2014 ainsi que dans la version résultant de cette réforme), et à l’article 17 du règlement 2016/44, permet de conclure qu’il s’agit d’une interdiction pure et simple (voir, au-delà de la version en langue italienne, notamment la version en langue allemande « werden keine Forderungen […] zugelassen », dans le libellé d’origine de l’article 12 du règlement no 204/2011, « Ansprüche […] werden nicht erfüllt », dans le libellé modifié par le règlement no 45/2014, et « Forderungen […] werden nicht erfullt » dans le libellé de l’article 17 du règlement 2016/44), en langue anglaise « no claims […] shall be granted », ou « satisfied » dans le libellé modifié par le règlement no 45/2014 et l’article 17 du règlement 2016/44, et en langue française « il n’est fait [aucun] droit à aucune demande ».


33      Voir, s’agissant du régime de responsabilité en cas de garanties ou contre-garanties à première demande, l’article 26 des Règles uniformes de la Chambre de commerce internationale, op.cit.


34      Et ce non seulement en ce que cela produirait des effets analogues à ceux d’une prorogation conventionnelle de la garantie, mais également en ce que la suspension d’une garantie autonome ayant une échéance précise pendant une période indéterminée et indéterminable serait difficilement conciliable avec le caractère irrévocable de l’engagement pris par le garant au cours de la validité de la garantie.


35      Le fait qu’il ne s’agisse pas d’une « prestation de substitution » ne me semble pas, contrairement à ce que soutient le gouvernement allemand, remettre en cause une telle conclusion, car rien dans le libellé de l’article 12 du règlement no 204/2011 ni dans celui de l’article 17 du règlement 2016/44 ne permet d’exclure de leur champ d’application la demande d’exécution des prestations du contrat affecté par les mesures restrictives. Le libellé de ces articles inclut les demandes d’indemnisation, de compensation ou à titre de garantie à leur champ d’application, mais ne limite pas à ces demandes l’interdiction de satisfaction des demandes. Je relève par ailleurs que la demande reconventionnelle de TG tend, à titre subsidiaire, à la réparation ou à l’indemnisation au titre d’un enrichissement sans cause.


36      À l’instar du gouvernement allemand, je n’exclus pas que de tels paiements auraient pu être autorisés en application de l’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement no 204/2011, uniquement à condition, toutefois, qu’ils ne constituent pas, à leur tour, une mise à disposition directe ou indirecte ou une utilisation de fonds au profit du HIB (voir à cet égard les points 38 à 40, 42 et 43 des présentes conclusions).