Language of document : ECLI:EU:C:2006:366

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

1er juin 2006 (*)

«Manquement d’État – Aides d’État – Article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE – Aides incompatibles avec le marché commun – Obligation de récupération – Inexécution»

Dans l’affaire C-207/05,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE, introduit le 10 mai 2005,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. V. Di Bucci et Mme L. Pignataro, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République italienne, représentée par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. M. Fiorilli, avvocato dello Stato, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts (rapporteur), M. Ilešič et E. Levits, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1       Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas pris, dans les délais prescrits, les mesures nécessaires pour récupérer auprès des bénéficiaires les aides jugées illégales et incompatibles avec le marché commun par la décision 2003/193/CE de la Commission, du 5 juin 2002, relative à une aide d’État aux exonérations fiscales et prêts à des conditions préférentielles consentis par l’Italie à des entreprises de services publics dont l’actionnariat est majoritairement public (JO 2003, L 77, p. 21, ci-après la «décision»), ou en ayant, en tout cas, omis d’informer la Commission des mesures prises, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 3 et 4 de cette décision, ainsi que du traité CE.

 Les antécédents du litige

2       Le 5 juin 2002, la Commission a adopté la décision, dont les articles 1er à 4 sont libellés comme suit:

«Article premier

L’exonération des droits sur les transferts, prévue à l’article 3, paragraphe 69, de la loi 549 du 28 décembre 1995, ne constitue pas une aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, du traité.

Article 2

L’exonération triennale de l’impôt des sociétés prévue à l’article 3, paragraphe 70, de la loi 549 du 28 décembre 1995 et à l’article 66, paragraphe 14, du décret-loi 331 du 30 août 1993, converti par la loi 427 du 29 octobre 1993, et les avantages découlant des prêts accordés au titre de l’article 9 bis du décret-loi 318 du 1er juillet 1986, converti avec des modifications, par la loi 488 du 9 août 1986, en faveur des sociétés de capitaux à actionnariat majoritairement public constituées au sens de la loi 142 du 8 juin 1990, constituent des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, du traité.

Ces aides ne sont pas compatibles avec le marché commun.

Article 3

L’Italie prend toutes les mesures qui s’imposent pour exiger du bénéficiaire qu’il restitue l’aide décrite à l’article 2 qui lui a été accordée illégalement.

Le recouvrement de l’aide intervient immédiatement, conformément aux procédures nationales, dans la mesure où elles permettent l’exécution effective et immédiate de la décision.

L’aide à recouvrer comprend les intérêts à compter de la date à laquelle le bénéficiaire a perçu l’aide illégale jusqu’à la date de son remboursement effectif. Ces intérêts sont calculés sur la base du taux de référence applicable au calcul de l’équivalent subvention des aides à finalité régionale.

Article 4

L’Italie informe la Commission, dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, des mesures qu’elle a prises pour s’y conformer.»

3       Le 7 juin 2002, la décision a été notifiée au gouvernement italien.

4       Par requête déposée au greffe de la Cour le 8 août 2002, la République italienne a demandé l’annulation de la décision (affaire C‑290/02).

5       Par requêtes déposées au greffe du Tribunal de première instance des Communautés européennes entre les 27 septembre et 9 octobre 2002, Confederazione Nazionale dei Servizi, ACEA SpA, Azienda Mediterranea Gas e Acqua SpA, AEM SpA et Acqua, Elettricità, Gas e servizi SpA ont également introduit un recours en annulation contre la décision (respectivement affaires T‑292/02, T‑297/02, T‑300/02, T‑30l/02 et T‑309/02). De même, par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 juin 2003, ASM Brescia SpA a demandé l’annulation de la décision (affaire T‑189/03).

6       Ni la République italienne ni les autres requérantes n’ont demandé la suspension de cette décision.

7       Par lettre du 8 octobre 2002, la Commission a rappelé aux autorités italiennes les obligations découlant des articles 3 et 4 de la décision. Le 13 novembre 2002, ces autorités ont déclaré qu’une procédure de recensement des éléments nécessaires pour procéder à la récupération des aides litigieuses était actuellement en cours.

8       Le 24 février 2003, la Commission a invité les autorités italiennes à communiquer dans un délai de quinze jours ouvrables les mesures arrêtées pour se conformer à la décision. Le 12 mars 2003, le gouvernement italien a transmis à la Commission une circulaire du 6 décembre 2002 adressée à toutes les collectivités locales intéressées. Celle-ci comportait en annexe un questionnaire, non transmis à la Commission, visant à déterminer les bénéficiaires d’aides devant être remboursées.

9       Par ordonnance de la Cour du 10 juin 2003, la procédure dans l’affaire C‑290/02 a été suspendue jusqu’au prononcé de la décision du Tribunal mettant fin à l’instance dans les affaires T‑292/02, T‑297/02, T‑300/02, T‑301/02 et T‑309/02.

10     Par lettre du 31 octobre 2003, la Commission a demandé au gouvernement italien de lui transmettre dans un délai de 20 jours, le montant total des aides accordées sur la base des régimes visés par la décision, le nombre des bénéficiaires ainsi que, parmi ceux-ci, le nombre de ceux qui remplissaient les conditions prévues dans le règlement (CE) nº 69/2001 de la Commission, du 12 janvier 2001, concernant l’application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides de minimis (JO L 10, p. 30). Les autorités italiennes étaient également invitées à préciser le montant de chaque aide individuelle ainsi que les mesures concrètes adoptées pour assurer le remboursement effectif des aides déclarées illégales et incompatibles avec le marché commun.

11     Le 23 décembre 2003, la Commission a accordé une prorogation de ce délai jusqu’au 31 janvier 2004, tout en invitant les autorités italiennes à lui fournir un plan de récupération des aides litigieuses et en exigeant que celles-ci soient intégralement remboursées pour le 1er juin 2004 au plus tard.

12     Dans une note du 15 mars 2004, le gouvernement italien a relevé les noms de dix sociétés ayant bénéficié de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés visée par la décision, en précisant qu’il examinait si les aides perçues par ces sociétés pouvaient bénéficier du régime de minimis énoncé dans le règlement nº 69/2001. Quant aux avantages découlant des prêts visés par la décision, cette note indiquait qu’une seule société en avait bénéficié. Enfin, elle énumérait les mesures que les autorités italiennes entendaient adopter dans les mois suivants.

13     Par ordonnance de la Cour du 8 juin 2004, l’affaire C‑290/02 a été renvoyée devant le Tribunal, où elle a été enregistrée sous le numéro T‑222/04.

14     À la suite d’une réunion entre les services de la Commission et les autorités italiennes le 14 juillet 2004, la Commission a, le 16 juillet 2004, demandé communication, pour le 1er septembre 2004 au plus tard, de toute information ayant trait au recouvrement de ces aides. Des rappels ont été adressés respectivement les 16 septembre et 13 octobre 2004.

15     Le 29 octobre 2004, la Commission a reçu un projet de texte législatif visant à la récupération des aides en question. Le 27 janvier 2005, un projet de loi supposé mettre en œuvre la décision a été transmis à la Commission.

16     Le 14 février 2005, la Commission a exposé les motifs pour lesquels ce projet ne lui paraissait pas permettre une exécution prompte et effective de la décision.

17     Dans ces circonstances, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

18     La Commission reproche à la République italienne de n’avoir pas pris, dans les délais prescrits, les mesures nécessaires pour récupérer auprès des bénéficiaires les aides déclarées illégales et incompatibles avec le marché commun par la décision. Celle-ci lui ayant été notifiée le 7 juin 2002, le délai imparti aurait expiré le 7 août de la même année. Toutefois, ni à ce moment ni même au moment de l’introduction de la requête, la Commission n’aurait été informée des mesures prises par cet État membre pour se conformer à la décision.

19     Les initiatives prises entre-temps par les autorités italiennes ne seraient manifestement pas de nature à assurer une exécution correcte et en temps utile de la décision. Ainsi, ni l’adoption, le 6 décembre 2002, d’une circulaire visant à identifier les personnes tenues de restituer les aides litigieuses, ni l’introduction, par la loi nº 62 du 18 avril 2005 (ci-après la «loi communautaire pour 2004»), d’une procédure tendant à obtenir cette récupération n’auraient produit d’effet en ce qui concerne le remboursement effectif des sommes dues. S’agissant des mesures prises au mois de juin 2005 par le directeur de l’agence des recettes, celles-ci concerneraient uniquement les modalités de récupération de ces aides et n’établiraient pas non plus que ladite récupération a eu lieu.

20     Le seul moyen de défense susceptible d’être invoqué par un État membre contre un recours en manquement introduit par la Commission sur le fondement de l’article 88, paragraphe 2, CE serait celui tiré d’une impossibilité absolue d’exécuter correctement la décision ordonnant la récupération des aides accordées illégalement. Or, le gouvernement italien n’aurait jamais invoqué l’impossibilité absolue d’exécuter la décision. S’il évoque, dans sa défense, des difficultés pour identifier les personnes tenues de restituer de telles aides, il s’agirait de circonstances qu’il n’avait pas fait valoir lors de ses contacts avec la Commission et qui seraient, en tout état de cause, dépourvues de pertinence.

21     Le fait que les autorités italiennes et quelques entreprises bénéficiaires d’avantages accordés sur la base du régime d’aides en question aient attaqué la décision ne serait pas pertinent aux fins de la présente procédure et n’autoriserait pas la partie défenderesse à faire valoir les moyens invoqués dans son recours en annulation. Même si, par hypothèse, les critiques formulées par la République italienne contre la décision étaient fondées, cet État membre ne serait pas pour autant exonéré de son obligation de mettre en œuvre la décision, tant que cette dernière n’a pas été annulée par le juge communautaire.

22     Le gouvernement italien soutient que la mise en œuvre de l’obligation d’exécution de la décision ne saurait être appréciée, de manière formaliste, sur la seule base de l’expiration d’un délai, mais devrait tenir compte, afin de respecter les principes de proportionnalité et de rationalité, de l’ensemble des éléments du dossier, en ce compris la complexité du cadre normatif concerné et les actions entreprises par l’État membre en cause en vue de satisfaire à cette obligation.

23     Sans invoquer l’impossibilité absolue d’exécution, ce gouvernement relève que la récupération des avantages accordés à des sociétés de capitaux à actionnariat majoritairement public, fournissant des services publics locaux, a nécessité une instruction préalable afin de déterminer les organismes qui doivent être considérés comme bénéficiaires de ces avantages. En effet, il aurait fallu déterminer les cas où la transformation des entreprises municipalisées en entités distinctes devait être considérée comme une privatisation de services publics fournis auparavant par des collectivités locales. Cela aurait nécessité de vérifier, pour chaque cas, si l’objet d’activités et le champ d’application territorial de l’entité à laquelle avait été attribuée la gestion d’un service public coïncidaient avec ceux de l’entreprise municipalisée.

24     Tout en affirmant que, à son avis, l’exemption fiscale dont bénéficient les organismes fournissant des services publics locaux n’affecte pas les échanges entre États membres ni n’a pour effet de fausser la concurrence sur le marché pertinent et que l’extension aux entités de droit commun du régime fiscal dont bénéficient les collectivités territoriales ne constitue pas une aide d’État, le gouvernement italien explique que le bénéfice de ce régime n’était accordé auxdites entités que si leur objet social correspondait à celui de l’entreprise municipalisée. Si tel n’était pas le cas, il ne s’agirait pas d’une aide d’État mais d’un abus du régime fiscal de la collectivité territoriale qui devrait, à ce titre, conduire à une restitution. Ce ne serait qu’après vérification de l’existence éventuelle d’un tel abus du régime fiscal qu’il pourrait être procédé, le cas échéant, à cette récupération auprès des entités dont l’objet social coïncidait avec l’entreprise municipalisée.

25     En l’absence d’un mécanisme contraignant, il aurait été impossible pour les autorités italiennes d’obtenir des collectivités locales les informations nécessaires pour le recouvrement des aides visées par la décision. En effet, le relevé demandé par la circulaire du 6 décembre 2002 aurait été ralenti par de nombreux obstacles pratiques et réglementaires et n’aurait donc pas permis d’avoir une liste exhaustive des personnes concernées ni du montant des sommes à recouvrer. Il aurait donc été nécessaire d’organiser une procédure de recouvrement par voie législative. Ainsi, l’article 27 de la loi communautaire pour 2004 exigerait des collectivités locales d’identifier les bénéficiaires du régime d’exemption fiscale et d’en communiquer les coordonnées dans un délai de 60 jours à compter de son entrée en vigueur. Ensuite, dans un délai maximal de deux mois après l’écoulement du premier délai de 60 jours, l’administration fiscale procéderait à la notification des avis d’imposition déterminant les montants dus.

26     Afin de permettre aux collectivités locales et aux bénéficiaires de ce régime d’exemption de remplir les obligations de cette loi, des modalités d’application auraient été adoptées, le 1er juin 2005, par le directeur de l’agence des recettes, suivies, le 30 juin 2005, d’une communication de service. Une procédure de contrôle aurait été mise en place et serait actuellement en cours auprès des sociétés bénéficiaires. En outre, les autorités italiennes assurent que, dès le mois de novembre 2005, elles réclameront le paiement des sommes équivalant aux avantages perçus.

27     Il aurait été important d’établir correctement les déclarations de caducité d’avantages fiscaux afin d’éviter que les bénéficiaires ne contestent celles-ci, tout en générant pour la République italienne des frais non récupérables en cas d’issue positive du recours introduit contre la décision.

28     Le fait qu’il n’était pas immédiatement possible de déterminer et de prouver le préjudice résultant de l’abrogation du régime fiscal en cause ainsi que la difficulté des questions juridiques impliquées expliqueraient pourquoi la République italienne n’avait pas demandé la suspension de l’obligation d’exécution.

29     Par ailleurs, le régime d’exemption triennale de l’impôt ne serait plus en vigueur depuis décembre 1999, de sorte que, en tout état de cause, la situation d’inégalité de traitement entre les contribuables aurait pris fin depuis lors.

 Appréciation de la Cour

30     Selon la Commission, le recours devrait être accueilli dès lors que, au moment de l’expiration du délai imparti par la décision, la République italienne n’a pas pris les mesures nécessaires pour récupérer les aides déclarées illégales et incompatibles avec le marché commun ou, en tout cas, a omis de lui communiquer ces mesures.

31     À titre liminaire, il convient de déterminer la date pertinente pour l’appréciation du manquement. En effet, du fait que l’article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE ne prévoit pas de phase précontentieuse, à la différence de l’article 226 CE, et que, par conséquent, la Commission n’émet pas d’avis motivé imposant aux États membres un délai pour se conformer à sa décision, le délai de référence ne saurait être, pour l’application de la première disposition susmentionnée, que celui qui a été prévu dans la décision dont l’inexécution est contestée ou, le cas échéant, celui que la Commission a fixé par la suite (arrêts du 3 juillet 2001, Commission/Belgique, C‑378/98, Rec. p. I‑5107, point 26, et du 1er avril 2004, Commission/Italie, C‑99/02, Rec. p. I‑3353, point 24).

32     S’agissant du délai imparti en l’occurrence, l’article 4 de la décision impose un délai de deux mois, à compter de la date de sa notification, pour que la République italienne informe la Commission des mesures prises afin de se conformer à cette décision, y compris celles prises aux fins du recouvrement de l’aide accordée.

33      Il résulte de la correspondance échangée par la suite entre les parties que la Commission a, à plusieurs reprises, fixé un nouveau délai dans lequel les autorités italiennes devaient effectuer ledit recouvrement et lui communiquer les mesures prises à cette fin.

34     Si, par lettre du 23 décembre 2003, la Commission a encore exigé que les aides soient intégralement remboursées pour le 1er juin 2004 au plus tard, elle a, toutefois, par lettre du 16 juillet 2004, prorogé le délai accordé aux autorités italiennes pour lui transmettre toute information relative aux aides jusqu’au 1er septembre 2004. N’ayant pas reçu de réponse de la part de ces autorités, la demande formulée dans cette dernière lettre a été réitérée, par lettres des 16 septembre et 13 octobre 2004, en demandant la transmission des informations sollicitées dans un délai, respectivement, de 15 jours ouvrables et de 10 jours ouvrables.

35     Dans ces circonstances, et compte tenu du fait que le délai accordé en dernier lieu par la Commission ne paraît aucunement déraisonnable, le délai fixé à l’article 4 de la décision doit être considéré comme ayant été remplacé par celui résultant de la lettre du 13 octobre 2004 (voir, en ce sens, arrêt Commission/Belgique, précité, point 28).

36     Même si ce dernier délai est dès lors considéré comme pertinent pour l’appréciation du manquement en cause, il convient de constater que, à l’expiration dudit délai, les mesures prises par les autorités italiennes n’ont pas conduit à une récupération des aides accordées sur la base des régimes jugés illégaux par la décision.

37     En effet, tout comme l’admet le gouvernement italien lui-même, les mesures prises avant l’adoption de la loi communautaire pour 2004 n’ont produit aucun effet concret en ce qui concerne le remboursement de ces aides. Il ressort, d’ailleurs, des explications données par ce gouvernement au cours de la procédure écrite que, même après l’adoption de cette loi, la récupération des aides n’aura pas nécessairement lieu de manière immédiate dans la mesure où, après identification des bénéficiaires, ladite loi prévoit un délai de six mois pour la notification de l’avis d’établissement de l’impôt correspondant à l’aide interdite et permet aux sociétés bénéficiaires des aides de solliciter un étalement des remboursements éventuellement dus sur une période maximale de 24 mois.

38     Le gouvernement italien soutient, toutefois, que le respect des principes de proportionnalité et de rationalité exige que la mise en œuvre de son obligation d’exécution de la décision soit appréciée non pas sur la seule base de l’expiration d’un délai, mais en tenant compte d’un ensemble de circonstances, dont la complexité du cadre normatif concerné et les actions qu’il a entreprises en vue de satisfaire à cette obligation.

39     À cet égard, il convient de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que la suppression d’une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité et que cette conséquence ne saurait dépendre de la forme dans laquelle l’aide a été octroyée (voir, notamment, arrêts du 10 juin 1993, Commission/Grèce, C‑183/91, Rec. p. I‑3131, point 16; du 27 juin 2000, Commission/Portugal, C‑404/97, Rec. p. I‑4897, point 38, et Commission/Italie, précité, point 15).

40     Dans la mesure où le gouvernement italien fait valoir que la récupération de l’aide litigieuse, telle qu’elle a été ordonnée par la décision, se heurte à des principes généraux de droit reconnus par l’ordre juridique communautaire, il remet nécessairement en cause la légalité de cette décision (voir, en ce sens, arrêt Commission/Grèce, précité, point 13).

41     Or, pour contester le manquement qui lui est reproché, la République italienne ne saurait exciper de l’illégalité de la décision.

42     En effet, le système des voies de recours établi par le traité distingue les recours visés aux articles 226 CE et 227 CE, qui tendent à faire constater qu’un État membre a manqué aux obligations qui lui incombent, des recours visés aux articles 230 CE et 232 CE, qui tendent à faire contrôler la légalité des actes ou des abstentions des institutions communautaires. Ces voies de recours poursuivent des objectifs distincts et sont soumises à des modalités différentes. Un État membre ne saurait donc utilement, en l’absence d’une disposition du traité l’y autorisant expressément, invoquer l’illégalité d’une décision dont il est destinataire comme moyen de défense à l’encontre d’un recours en manquement fondé sur l’inexécution de cette décision (voir, notamment, arrêts Commission/Portugal, précité, point 34; du 22 mars 2001, Commission/France, C‑261/99, Rec. p. I‑2537, point 18, et du 26 juin 2003, Commission/Espagne, C‑404/00, Rec. p. I‑6695, point 40).

43     Il ne pourrait en être autrement que si l’acte en cause était affecté de vices particulièrement graves et évidents, au point de pouvoir être qualifié d’acte inexistant (arrêts précités Commission/Portugal, point 34; Commission/France, point 19, et Commission/Espagne, point 41). Toutefois, l’argumentation avancée par la République italienne ne contient aucun élément précis de nature à conférer une telle qualification à la décision.

44     Par ailleurs, la récupération d’une aide étatique illégalement accordée, en vue du rétablissement de la situation antérieure, ne saurait, en principe, être considérée comme une mesure disproportionnée par rapport aux objectifs des dispositions du traité en matière d’aides d’État (arrêts du 14 janvier 1997, Espagne/Commission, C‑169/95, Rec. p. I‑135, point 47, et du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑298/00 P, Rec. p. I‑4087, point 75).

45     Conformément à une jurisprudence constante, le seul moyen de défense susceptible d’être invoqué par un État membre contre le recours en manquement, introduit par la Commission sur le fondement de l’article 88, paragraphe 2, CE, est celui tiré d’une impossibilité absolue d’exécuter correctement la décision ordonnant la récupération (voir, notamment, arrêts du 12 décembre 2002, Commission/Allemagne, C‑209/00, Rec. p. I‑11695, point 70, et du 12 mai 2005, Commission/Grèce, C‑415/03, Rec. p. I‑3875, point 35).

46     Si la République italienne n’a pas invoqué l’impossibilité absolue d’exécution, elle a tout de même relevé des difficultés auxquelles la récupération des avantages visés par la décision s’est heurtée en raison, principalement, de la nécessité d’effectuer un examen préalable afin d’identifier les bénéficiaires de ces avantages.

47     La Cour a jugé qu’un État membre qui, lors de l’exécution d’une décision de la Commission en matière d’aides d’État, rencontre des difficultés imprévues et imprévisibles ou prend conscience de conséquences non envisagées par la Commission doit soumettre ces problèmes à l’appréciation de cette dernière, en proposant des modifications appropriées de la décision en cause. Dans un tel cas, la Commission et l’État membre doivent, en vertu de la règle imposant à ces derniers et aux institutions communautaires des devoirs réciproques de coopération loyale, qui inspire, notamment, l’article 10 CE, collaborer de bonne foi en vue de surmonter les difficultés dans le plein respect des dispositions du traité et, notamment, de celles relatives aux aides (voir, notamment, arrêts du 4 avril 1995, Commission/Italie, C‑348/93, Rec. p. I‑673, point 17, et du 1er avril 2004, Commission/Italie, précité, point 17).

48     Selon une jurisprudence bien établie, la condition d’une impossibilité absolue n’est pas remplie lorsque le gouvernement défendeur se borne à faire part à la Commission des difficultés juridiques, politiques ou pratiques que présentait la mise en œuvre de la décision, sans entreprendre quelque démarche que ce soit auprès des entreprises en cause aux fins de récupérer l’aide et sans proposer à la Commission des modalités alternatives de mise en œuvre de la décision qui auraient permis de surmonter les difficultés (voir, notamment, arrêts du 29 janvier 1998, Commission/Italie, C‑280/95, Rec. p. I‑259, point 14; du 1er avril 2004, Commission/Italie, précité, point 18, et du 12 mai 2005, Commission/Grèce, précité, point 43).

49     Il convient de constater que, dans leurs contacts avec la Commission, les autorités italiennes n’ont pas fait état des difficultés d’exécution évoquées dans le cadre du présent recours. En revanche, dans sa note du 15 mars 2004, le gouvernement italien a fait savoir qu’il disposait des noms de certains des bénéficiaires des aides litigieuses.

50     En tout état de cause, le fait que l’État membre en cause éprouve la nécessité de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée au regard de la récupération des aides illégales n’est pas de nature à justifier la non-exécution de cette décision (arrêt du 1er avril 2004, Commission/Italie, précité, point 23).

51     Dès lors, la République italienne n’a pas démontré l’impossibilité absolue d’exécution de la décision.

52     Dans ces conditions, le présent recours est fondé dans la mesure où la Commission reproche à la République italienne de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour récupérer les aides visées par la décision.

53     La Cour n’a pas à examiner le chef des conclusions visant à condamner la République italienne pour ne pas avoir informé la Commission des mesures prises pour exécuter la décision, étant donné que cet État membre n’a précisément pas procédé à cette exécution dans les délais prescrits (voir arrêt du 4 avril 1995, Commission/Italie, précité, point 31).

54     Il y a donc lieu de constater que, en n’ayant pas pris, dans les délais prescrits, les mesures nécessaires pour récupérer auprès des bénéficiaires les aides qui ont été déclarées illégales et incompatibles avec le marché commun par la décision, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 3 et 4 de cette décision.

 Sur les dépens

55     Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      En n’ayant pas pris, dans les délais prescrits, les mesures nécessaires pour récupérer auprès des bénéficiaires les aides qui ont été déclarées illégales et incompatibles avec le marché commun par la décision 2003/193/CE de la Commission, du 5 juin 2002, relative à une aide d’État aux exonérations fiscales et prêts à des conditions préférentielles consentis par l’Italie à des entreprises de services publics dont l’actionnariat est majoritairement public, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 3 et 4 de cette décision.

2)      La République italienne est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.