Language of document : ECLI:EU:C:2006:651

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

5 octobre 2006 (*)

«Manquement d’État – Aides d’État – Aides en faveur de Scott Paper SA/Kimberly-Clark – Obligation de récupération – Inexécution à cause de l’application de la procédure nationale – Autonomie procédurale nationale – Limites – ‘Procédure nationale permettant l’exécution immédiate et effective’ au sens de l’article 14, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 659/1999 – Procédure nationale prévoyant l’effet suspensif des recours introduits contre les titres de perception émis par les autorités nationales»

Dans l’affaire C-232/05,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE, introduit le 26 mai 2005,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. C. Giolito, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République française, représentée par M. G. de Bergues et Mme S. Ramet, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann (rapporteur), président de chambre, M. K. Schiemann, Mme N. Colneric, MM. K. Lenaerts et E. Juhász, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 18 mai 2006,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas exécuté, dans le délai imparti, la décision 2002/14/CE de la Commission, du 12 juillet 2000, concernant l’aide d’État mise à exécution par la France en faveur de Scott Paper SA/Kimberly-Clark (JO 2002 L 12, p. 1), la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 249, quatrième alinéa, CE ainsi que des articles 2 et 3 de cette décision.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

2        L’article 14, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88] du traité CE (JO L 83, p. 1), précise les règles en matière de récupération des aides d’État déclarées incompatibles avec le marché commun:

«Sans préjudice d’une ordonnance de la Cour de justice des Communautés européennes prise en application de l’article 185 du traité [devenu article 242 CE], la récupération s’effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin, et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les États membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit communautaire.» 

 La réglementation nationale

3        L’article L4 du code de justice administrative dispose:

«Sauf dispositions législatives spéciales, les requêtes n’ont pas d’effet suspensif s’il n’en est autrement ordonné par la juridiction.»

4        En tant que disposition législative spéciale, l’article 6 du décret n° 92‑1369, du 29 décembre 1992, modifiant le décret n° 62‑1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique et fixant les dispositions applicables au recouvrement des créances de l’État mentionnées à l’article 80 de ce décret (JORF du 30 décembre 1992, p. 17954), prévoit, en ce qui concerne les titres de perception émis par l’État ou les établissements publics nationaux:

«Les titres de perception mentionnés à l’article 85 du décret du 29 décembre 1962 susvisé peuvent faire l’objet de la part des redevables soit d’une opposition à l’exécution en cas de contestation de l’existence de la créance, de son montant ou de son exigibilité, soit d’une opposition à poursuites en cas de contestation de la validité en la forme d’un acte de poursuite.

Les autres ordres de recettes peuvent faire l’objet d’une opposition à poursuites.

Ces oppositions ont pour effet de suspendre le recouvrement.»

5        De même, concernant des titres de perception émis par les collectivités territoriales et les établissements publics locaux, l’article L1617-5, 1°, deuxième alinéa, du code général des collectivités territoriales, inséré par la loi nº 96-314, du 12 avril 1996 (JORF du 13 avril 1996, p. 5707), prévoit que «l’introduction devant une juridiction de l’instance ayant pour objet de contester le bien-fondé d’une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local suspend la force exécutoire du titre».

 La procédure précontentieuse

 Les antécédents de la décision 2002/14

6        En 1969, la société de droit américain Scott Paper Company a racheté la société de droit français Bouton Brochard et créé une société distincte, Bouton Brochard Scott SA (ci-après «Bouton Brochard Scott»), laquelle a repris les activités de Bouton Brochard.

7        En 1986, Bouton Brochard Scott a décidé d’installer une usine en France et a choisi à cette fin un terrain dans le département du Loiret dans la zone industrielle de La Saussaye, à Orléans.

8        Le 31 août 1987, la ville d’Orléans et ce département ont concédé à Bouton Brochard Scott certains avantages. D’une part, ces collectivités lui ont vendu, à des conditions préférentielles, un terrain de 48 hectares dans ladite zone industrielle. D’autre part, elles se sont engagées à calculer la redevance d’assainissement selon un taux également préférentiel.

9        Bouton Brochard Scott a été rebaptisée «Scott SA» (ci-après «Scott») en novembre 1987.

10      En janvier 1996, les actions de cette dernière société ont été rachetées par Kimberly-Clark Corporation (ci-après «Kimberly-Clark»).

11      En janvier 1998, celle-ci a annoncé la fermeture de l’usine en question, dont les actifs, à savoir le terrain et la papeterie, ont été rachetés par Procter & Gamble en juin 1998.

12      Le 12 juillet 2000, la Commission a adopté la décision 2002/14, dont l’article 1er déclare que les aides d’État, sous la forme de prix préférentiel d’un terrain (12,3 millions d’euros en valeur actualisée) et de tarif préférentiel de la redevance d’assainissement (montant à déterminer par les autorités françaises) (ci-après les «aides en cause»), que la République française a mises à exécution en faveur de Scott sont incompatibles avec le marché commun.

13      L’article 2 de la décision 2002/14 précise:

«1.      La France prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de son bénéficiaire [les aides en cause] visée[s] à l’article 1er et déjà illégalement mise[s] à sa disposition.

2.      La récupération a lieu sans délai conformément aux procédures du droit national, pour autant qu’elles permettent l’exécution immédiate et effective de la présente décision. […]»

14      Aux termes de l’article 3 de cette décision:

«La France informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures qu’elle a prises pour s’y conformer.»

15      Le 31 juillet 2000, la décision 2002/14 a été notifiée à la République française.

16      Les 30 novembre et 4 décembre 2000, Scott et le département du Loiret ont chacun introduit un recours en annulation contre cette décision devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes. Les parties n’ont pas demandé de sursis à l’exécution au titre de l’article 242 CE.

 Les démarches effectuées par la République française à la suite de la décision 2002/14, en ce qui concerne l’aide sous la forme d'un prix préférentiel du terrain

17      S’agissant de l’aide sous la forme d’un prix préférentiel du terrain, le conseil général du Loiret a émis, le 15 décembre 2000, un titre de recette d’un montant de 5 054 721 euros. La ville d’Orléans a émis, le 2 janvier 2001, un titre de recette d’un montant de 8 002 231 euros.

18      Toutefois, à la suite d’une erreur matérielle concernant le calcul du montant de cette aide, la Commission a procédé à sa rectification et envoyé, en mars 2001, un corrigendum à la République française.

19      Par conséquent, les titres de recette des 15 décembre 2000 et 2 janvier 2001 ont été annulés le 23 mars 2001.

20      Par la suite, le conseil général du Loiret a émis, le 5 octobre 2001, un nouveau titre de recette d’un montant de 4 691 370 euros. La ville d’Orléans a également émis, le 18 octobre 2001, un nouveau titre de recette d’un montant de 7 621 937 euros.

21      Ces deux titres de recette ont fait l’objet de recours, introduits par Kimberly-Clark devant le tribunal administratif d’Orléans les 29 octobre et 27 novembre 2001.

22      De tels recours ayant un effet suspensif automatique en droit français, les montants en question n’ont pas été récupérés.

 Les démarches effectuées par la République française à la suite de la décision 2002/14, en ce qui concerne l’aide sous la forme d’un tarif préférentiel de la redevance d’assainissement

23      S’agissant de l’aide sous la forme d’un tarif préférentiel de la redevance d’assainissement, la ville d’Orléans a émis, aux mois de janvier et d’août 2001, six titres de recette pour un montant total de 1 046 903 euros.

24      L’un de ces titres, d’un montant de 165 887 euros, a été payé par la société Procter & Gamble, repreneur actuel de l’usine d’Orléans.

25      Les cinq autres titres de recette ont été remplacés par trois titres du 5 décembre 2001 pour un montant total de 881 015 euros.

26      Ces derniers ont fait l’objet de recours introduits par Kimberly-Clark devant le tribunal administratif d’Orléans le 8 mars 2002.

27      Eu égard à l’effet suspensif automatique de tels recours, ces titres de recette n’ont pas été payés.

 La procédure devant le tribunal administratif d’Orléans

28      Dans sa lettre du 2 juillet 2003, le gouvernement français a indiqué que le tribunal administratif d’Orléans avait sursis à statuer en attendant la décision du Tribunal de première instance des Communautés européennes sur la question de la validité de la décision 2002/14. Dans son mémoire en défense, ce gouvernement a cependant admis que cette affirmation était incorrecte.

 Les discussions menées avant l’introduction du présent recours

29      Par lettres des 8 mai, 31 juillet, 8 octobre 2001, 13 mars, 26 août, 23 décembre 2002, 13 février, 16 mai, 21 novembre 2003, 27 janvier, 9 mars et 29 avril 2004, la Commission a demandé aux autorités françaises de l’informer de l’avancement de la récupération des sommes dues et de fournir certains documents et informations sur les procédures devant le tribunal administratif d’Orléans. Dans ses lettres, la Commission a souligné l’importance d’une exécution immédiate et effective ainsi que sa possibilité de saisir la Cour directement au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE. Dans sa dernière lettre du 29 avril 2004, elle a imparti au gouvernement français un dernier délai supplémentaire de 20 jours.

30      N’étant pas satisfaite des réponses apportées par la République française dans ses lettres des 13 novembre 2001, 27 novembre 2002, 25 mars et 2 juillet 2003, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

31      À l’appui de son recours, la Commission invoque un seul grief, tiré, en substance, d’une violation de l’article 249, quatrième alinéa, CE, ainsi que des articles 2 et 3 de la décision 2002/14, au motif que la République française n’a pas exécuté cette décision dans le délai imparti.

 Sur la date pertinente pour l'appréciation du manquement

32      Il ressort d’une jurisprudence constante que la date de référence pour l’application de l’article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE est celle prévue dans la décision dont l’inexécution est contestée ou, le cas échéant, celle que la Commission a fixée par la suite (voir, en ce sens, arrêts du 3 juillet 2001, Commission/Belgique, C‑378/98, Rec. p. I‑5107, point 26; du 2 juillet 2002, Commission/Espagne, C‑499/99, Rec. p. I‑6031, point 28, et du 1er juin 2006, Commission/Italie, C‑207/05, non publié au Recueil, point 31).

33      En l’espèce, les articles 2 et 3 de la décision 2002/14 imposent un délai de deux mois, à compter de la date de sa notification, pour que le gouvernement français prenne les mesures nécessaires aux fins de récupération des aides en cause et en informe la Commission. Après de longues discussions entre les parties, la Commission a fixé, dans sa lettre du 29 avril 2004, un dernier délai expirant 20 jours après cette date.

34      Dans ces circonstances, le délai fixé à l’article 3 de la décision 2002/14 doit être considéré comme ayant été remplacé par celui résultant de la lettre du 29 avril 2004. (voir, en ce sens, arrêt Commission/Italie, précité, point 35). Ce délai est par conséquent reporté au 19 mai 2004.

 Sur le grief

 Argumentation des parties

35      La Commission fait valoir que, plus de cinq ans après l’adoption de la décision 2002/14, les mesures prises par les autorités françaises n’ont pas conduit à la récupération des aides en cause. Cette décision n’aurait, par conséquent, pas été dûment exécutée.

36      La Commission reconnaît que l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999 autorise l’application des procédures prévues par le droit national, mais souligne que cela ne vaut que pour des procédures qui permettent l’exécution «immédiate et effective» de la décision de la Commission. Or, de l’avis de cette dernière, une procédure nationale qui prévoit l’effet suspensif automatique des recours introduits contre les titres de perception émis pour la récupération d’une aide accordée ne remplirait pas ces critères.

37      Le gouvernement français rétorque que les autorités françaises ont procédé à toutes les diligences nécessaires à l’exécution de la décision 2002/14.

38      En application des procédures nationales, ces autorités auraient adressé au bénéficiaire de l’aide plusieurs titres de perception qui, au terme de la procédure devant la juridiction nationale compétente, deviendraient exécutoires.

39      L’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999 prévoirait, en effet, explicitement un tel recours aux procédures nationales, pour autant que celles-ci permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. Or, les règles de procédure nationales appliquées en l’espèce, y compris celle prévoyant l’effet suspensif des recours introduits contre les titres de perception, ne feraient pas obstacle à une telle exécution.

40      Le gouvernement français souligne que, à son avis, l’exécution «immédiate et effective» de la décision de la Commission ne signifie pas nécessairement un remboursement immédiat de l’aide. En revanche, cette exécution impliquerait que l’État membre entame immédiatement la procédure nationale qui doit aboutir à la récupération de l’aide accordée.

 Appréciation de la Cour

41      Aux termes de l’article 249, quatrième alinéa, CE, les décisions sont obligatoires dans tous leurs éléments pour les destinataires qu’elles désignent.

42      Il ressort de la jurisprudence que l’État membre destinataire d’une décision l’obligeant à récupérer des aides illégales est tenu, en vertu de l’article 249 CE, de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution de ladite décision (voir arrêts du 12 décembre 2002, Commission/Allemagne, C‑209/00, Rec. p. I‑11695, point 31, et du 26 juin 2003, Commission/Espagne, C‑404/00, Rec. p. I-6695, point 21). Il doit parvenir à un recouvrement effectif des sommes dues (voir, en ce sens, arrêts du 12 mai 2005, Commission/Grèce, C‑415/03, Rec. p. I-3875, point 44, ainsi que Commission/Italie, précité, points 36 et 37).

43      L’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999 précise que la récupération de l’aide déclarée incompatible doit s’effectuer «sans délai».

44      En l’espèce, la décision 2002/14 oblige la République française à prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de son bénéficiaire les aides en cause déjà illégalement mises à sa disposition. À cet effet, la Commission lui a accordé un délai de deux mois. Ce délai, remplacé par celui résultant de la lettre du 29 avril 2004, a donc été reporté au 19 mai 2004.

45      Il convient de constater que, au terme de ce dernier délai, soit près de quatre ans après l’adoption de la décision 2002/14, les actions entreprises par les autorités françaises n’avaient pas conduit à une récupération effective des aides en cause, à l’exception d’un paiement de 165 887 euros sur les 13 350 000 euros dus.

46      En effet, ainsi que l’admet le gouvernement français lui-même, en raison de l’effet suspensif automatique attaché aux recours introduits contre les titres de perception, ces derniers ne peuvent produire, avant la décision de la juridiction nationale compétente, aucun effet concret en ce qui concerne le remboursement desdites aides.

47      Par conséquent, le bénéficiaire de l’aide peut, pendant cette période, conserver des fonds provenant des aides déclarées incompatibles et bénéficier de l’avantage concurrentiel indu en résultant.

48      Le gouvernement français fait cependant valoir que ce retard est dû à l’application des procédures prévues par le droit français, application qui est explicitement autorisée par l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999.

49      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999, l’application des procédures nationales est soumise à la condition que celles-ci permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission, condition qui reflète les exigences du principe d’effectivité consacré auparavant par la jurisprudence (voir arrêts du 2 février 1989, Commission/Allemagne, 94/87, Rec. p. 175, point 12; du 20 mars 1997, Alcan Deutschland, C‑24/95, Rec. p. I-1591, point 24, et du 12 décembre 2002, Commission/Allemagne, précité, points 32 à 34).

50      Le treizième considérant de ce règlement précise que, en cas d’aide illégale incompatible avec le marché commun, une concurrence effective doit être rétablie et que, à cette fin, il importe que l’aide soit récupérée sans délai. L’application des procédures nationales ne doit donc pas faire obstacle au rétablissement d’une concurrence effective en empêchant l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. Afin d’atteindre cet objectif, les États membres doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’effet utile de cette décision.

51      Or, en prévoyant l’effet suspensif des recours introduits contre les titres de perception émis pour la récupération d’une aide accordée, la procédure prévue par le droit français et appliquée en l’espèce ne peut pas être considéré comme permettant l’exécution «immédiate et effective» de la décision 2002/14. Au contraire, en accordant un tel effet suspensif, elle peut considérablement retarder la récupération des aides.

52      Ainsi, en méconnaissant les objectifs poursuivis par les règles communautaires en matière d’aides d’État, cette procédure nationale a empêché le rétablissement immédiat de la situation antérieure et prolongé l’avantage concurrentiel indu résultant des aides en cause.

53      Il s’ensuit que la procédure prévue par le droit national en l’espèce ne remplit pas les conditions prévues à l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999. La règle française prévoyant l’effet suspensif des recours introduits contre les titres de perception aurait donc dû être laissée inappliquée.

54      Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si, dans des cas spécifiques, le juge national peut ordonner la suspension de l’exécution de titres de perception à la suite de recours introduits ne comportant pas de griefs émis à l’encontre de la décision de la Commission.

55      Il y a lieu d’ajouter, dans ce contexte, que l’effet suspensif des recours introduits devant les juridictions nationales ne saurait être considéré comme indispensable pour garantir une protection juridictionnelle effective au regard du droit communautaire.

56      En effet, une telle protection est déjà pleinement garantie par les moyens offerts par le traité CE, en l’occurrence, notamment, le recours en annulation prévu par l’article 230 CE.

57      Il convient de rappeler que, la Communauté européenne étant une communauté de droit dans laquelle ses institutions sont soumises au contrôle de la conformité de leurs actes avec le traité et les principes généraux du droit, le traité a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à assurer le contrôle de la légalité des actes des institutions, en le confiant au juge communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I-6677, points 38 et 40).

58      Il ressort de la jurisprudence que le bénéficiaire d’une aide déclarée incompatible est en droit de former un recours en annulation en vertu de l’article 230, deuxième alinéa, CE, même si la décision est adressée à un État membre (voir, en ce sens, arrêts du 17 septembre 1980, Philip Morris/Commission, 730/79, Rec. p. 2671, et du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf, C‑188/92, Rec. p. I-833, point 14).

59      En revanche, le bénéficiaire d’une aide déclarée incompatible, qui aurait pu attaquer la décision de la Commission, ne peut pas la remettre en cause devant les juridictions nationales à l’occasion d’un recours dirigé contre les mesures d’exécution de cette décision, prises par les autorités nationales. En effet, admettre que, dans de telles circonstances, l’intéressé puisse s’opposer, devant la juridiction nationale, à l’exécution de la décision communautaire en se fondant sur l’illégalité de celle-ci reviendrait à lui reconnaître la faculté de contourner le caractère définitif que revêt à son égard la décision après l’expiration du délai de recours prévu à l’article 230, cinquième alinéa, CE (voir, en ce sens, arrêts TWD Textilwerke Deggendorf, précité, points 17 et 18, ainsi que du 15 février 2001, Nachi Europe, C‑239/99, Rec. p. I-1197, point 37).

60      Il s’ensuit qu’il est exclu que soit mise en cause, devant une juridiction nationale, la décision de la Commission concernant la récupération des sommes dues. Cette question est réservée au Tribunal de première instance des Communautés européennes, qui la tranchera dans le cadre d’un recours en annulation introduit devant lui. Or, il ressort de l’article 242 CE que, à défaut d’une décision du Tribunal de première instance allant dans le sens contraire, un tel recours n’a pas d’effet suspensif.

61      Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que, en n’ayant pas pris, dans le délai imparti, toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de son bénéficiaire les aides visées par la décision 2002/14, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 249, quatrième alinéa, CE ainsi que des articles 2 et 3 de cette décision.

 Sur les dépens

62      En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il convient de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      En n’ayant pas pris, dans le délai imparti, toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de son bénéficiaire les aides visées par la décision 2002/14/CE de la Commission, du 12 juillet 2000, concernant l'aide d’État mise à exécution par la France en faveur de Scott Paper SA/Kimberly-Clark, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 249, quatrième alinéa, CE ainsi que des articles 2 et 3 de cette décision.

2)      La République française est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.