Language of document : ECLI:EU:C:2013:226

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

11 avril 2013 (*)

«Renvoi préjudiciel – Règlement (CE) no 726/2004 – Médicaments à usage humain – Procédure d’autorisation – Exigence d’autorisation – Notion de médicaments ‘issus’ de certains procédés biotechnologiques figurant au point 1 de l’annexe de ce règlement – Opération de reconditionnement – Solution injectable distribuée dans des flacons à usage unique contenant un volume de solution thérapeutique plus important que celui effectivement utilisé aux fins du traitement médical – Contenu de tels flacons mis partiellement, sur prescription médicale d’un médecin, dans des seringues préremplies correspondant aux doses prescrites, sans modification du médicament»

Dans l’affaire C‑535/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landgericht Hamburg (Allemagne), par décision du 12 octobre 2011, parvenue à la Cour le 20 octobre 2011, dans la procédure

Novartis Pharma GmbH

contre

Apozyt GmbH,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, faisant fonction de président de la quatrième chambre, M. J.‑C. Bonichot, Mmes C. Toader (rapporteur), A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: Mme A. Impellizzeri, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 septembre 2012,

considérant les observations présentées:

–        pour Novartis Pharma GmbH, par Mes L. Kröner, C. Schoonderbeek et I. Millarg, Rechtsanwälte,

–        pour Apozyt GmbH, par Me W. Prinz, Rechtsanwalt, et par M. C. Künzer,

–        pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme A. Wiedmann, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et D. Hadroušek, en qualité d’agents,

–        pour l’Irlande, par Mme E. Creedon, en qualité d’agent, assistée de M. S. Woulfe, BL,

–        pour le gouvernement hellénique, par M. I. Bakopoulos et Mme O. Souropani, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes et A. Antunes, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme M. Šimerdová et M. B.‑R. Killmann, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 31 janvier 2013,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO L 136, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Novartis Pharma GmbH (ci-après «Novartis») à Apozyt GmbH (ci-après «Apozyt») au sujet de la possibilité pour cette dernière de fabriquer, de distribuer et de promouvoir des seringues prêtes à l’emploi, destinées au traitement de maladies oculaires et contenant des doses des médicaments Lucentis et Avastin.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

3        Les considérants 7 et 13 du règlement nº 726/2004 se lisent comme suit:

«(7)      L’expérience acquise depuis l’adoption de la directive 87/22/CEE du Conseil du 22 décembre 1986 portant rapprochement des mesures nationales relatives à la mise sur le marché des médicaments de haute technologie, notamment ceux issus de la biotechnologie [(JO 1987 L 15, p. 38)] a montré qu’il est nécessaire d’instituer une procédure communautaire centralisée d’autorisation obligatoire pour les médicaments de haute technologie, et en particulier pour ceux issus de la biotechnologie, afin de maintenir le haut niveau d’évaluation scientifique de ces médicaments dans l’Union européenne et de préserver en conséquence la confiance des patients et des professions médicales dans cette évaluation. [...]

[...]

(13)      Il convient, dans l’intérêt de la santé publique, que les décisions d’autorisation prises dans le cadre de la procédure centralisée le soient sur la base des critères scientifiques objectifs de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité du médicament concerné, à l’exclusion de toute considération économique ou autre. [...]»

4        Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement, «[a]ucun médicament figurant à l’annexe ne peut être mis sur le marché dans la Communauté sans qu’une autorisation de mise sur le marché [(ci-après une ‘AMM’)] n’ait été délivrée par la Communauté conformément au présent règlement».

5        L’article 3, paragraphe 2, dudit règlement ajoute:

«Tout médicament ne figurant pas à l’annexe peut faire l’objet d’une [AMM] délivrée par la Communauté conformément au présent règlement, si:

a)      ce médicament contient une nouvelle substance active qui, à la date d’entrée en vigueur du présent règlement, n’était pas autorisée dans la Communauté; ou

b)      le demandeur démontre que ce médicament présente une innovation significative sur le plan thérapeutique, scientifique ou technique ou que la délivrance d’une autorisation conformément au présent règlement présente, pour les patients ou du point de vue de la santé animale, un intérêt au niveau communautaire.

[...]»

6        Le point 1 de l’annexe du même règlement, relative aux «Médicaments devant être autorisés par la Communauté», se lit comme suit:

«Médicaments issus de l’un des procédés biotechnologiques suivants:

–        technologie de l’acide désoxyribonucléique recombinant,

–        expression contrôlée de gènes codant pour des protéines biologiquement actives dans des procaryotes et des eucaryotes, y compris des cellules transformées de mammifères,

–        méthodes à base d’hybridomes et d’anticorps monoclonaux.»

7        S’agissant du contenu d’une demande d’AMM, l’article 6, paragraphe 1, du règlement nº 726/2004 renvoie aux renseignements visés notamment à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67), telle que modifiée par la directive 2010/84/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 2010 (JO L 348, p. 74, ci-après la «directive 2001/83»).

8        À cet égard, il résulte de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/83 que, parmi les renseignements et les documents devant être joints à une demande d’AMM, figurent notamment le nom du médicament, la composition qualitative et quantitative de tous les composants du médicament, la description du mode de fabrication, la posologie, la forme pharmaceutique ainsi que le mode et la voie d’administration, de même que la durée présumée de stabilité.

9        Selon l’article 16 du règlement no 726/2004, le titulaire d’une AMM est notamment tenu de fournir immédiatement à l’Agence européenne des médicaments (EMA), à la Commission européenne et aux États membres toute nouvelle information susceptible d’entraîner la modification des renseignements ou des documents visés à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/83. Si ce titulaire propose d’apporter une modification à ces renseignements et documents, il soumet une demande en ce sens à l’EMA.

10      L’article 19, paragraphe 1, du règlement nº 726/2004 prévoit que les autorités chargées de la surveillance ont également la responsabilité de vérifier, pour le compte de l’Union, que le titulaire de l’AMM d’un médicament à usage humain satisfait aux exigences fixées notamment au titre IV de la directive 2001/83, contenant les articles 40 à 53 de cette dernière.

11      À cet égard, l’article 40 de la directive 2001/83 prévoit:

«1.      Les États membres prennent toutes les dispositions utiles pour que la fabrication des médicaments sur leur territoire soit soumise à la possession d’une autorisation. [...]

2.      L’autorisation visée au paragraphe 1 est exigée tant pour la fabrication totale ou partielle que pour les opérations de division, de conditionnement ou de présentation.

Toutefois, cette autorisation n’est pas exigée pour les préparations, divisions, changements de conditionnement ou présentation, dans la mesure où ces opérations sont exécutées, uniquement en vue de la délivrance au détail, par des pharmaciens dans une officine ou par d’autres personnes légalement autorisées dans les États membres à effectuer lesdites opérations.

[...]»

12      L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2001/83 dispose:

«La présente directive s’applique aux médicaments à usage humain destinés à être mis sur le marché dans les États membres et préparés industriellement ou fabriqués selon une méthode dans laquelle intervient un processus industriel.»

13      L’article 3 de cette directive prévoit:

«La présente directive ne s’applique pas:

1)      aux médicaments préparés en pharmacie selon une prescription médicale destinée à un malade déterminé (dénommés communément formule magistrale);

2)      aux médicaments préparés en pharmacie selon les indications d’une pharmacopée et destinés à être délivrés directement aux patients approvisionnés par cette pharmacie (dénommés communément formule officinale);

[...]»

14      L’article 5, paragraphe 1, de ladite directive dispose:

«Un État membre peut, conformément à la législation en vigueur et en vue de répondre à des besoins spéciaux, exclure des dispositions de la présente directive les médicaments fournis pour répondre à une commande loyale et non sollicitée, élaborés conformément aux spécifications d’un professionnel de santé agréé et destinés à ses malades particuliers sous sa responsabilité personnelle directe.»

15      L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/83 se lit comme suit:

«Aucun médicament ne peut être mis sur le marché d’un État membre sans qu’une [AMM] n’ait été délivrée par l’autorité compétente de cet État membre, conformément à la présente directive, ou qu’une autorisation n’ait été délivrée conformément aux dispositions du règlement [...] no 726/2004 [...]

Lorsqu’un médicament a obtenu une première [AMM] conformément au premier alinéa, tout dosage, forme pharmaceutique, voie d’administration et présentation supplémentaires, ainsi que toute modification et extension, doivent également obtenir une autorisation conformément au premier alinéa ou être inclus dans l’[AMM] initiale. […]»

 Le droit allemand

16      L’article 4 de la loi sur la commercialisation des médicaments (Gesetz über den Verkehr mit Arzneimitteln’) dispose:

«1.      Les médicaments finis sont des médicaments préparés et commercialisés sous un conditionnement déterminé pour la vente au consommateur ou d’autres médicaments destinés aux consommateurs dans la préparation desquels un procédé industriel est utilisé d’une autre manière ou qui, à l’exception des pharmacies, sont fabriqués de manière industrielle. Les médicaments finis ne sont pas des produits intermédiaires destinés à une transformation par un fabricant.

[...]

14.      Sont considérés comme relevant de la fabrication: la production, la préparation, la fabrication, la transformation ou l’ouvraison, le transvasement y compris la mise en bouteille, le conditionnement, le marquage et la vente [...]»

17      L’article 21 de la loi sur la commercialisation des médicaments, relatif à l’obligation d’autorisation, prévoit:

«1)      Les médicaments finis [...] ne peuvent être commercialisés, dans le domaine d’application de la présente loi, que s’ils ont été agréés par les autorités fédérales compétentes ou si la Commission des Communautés Européennes ou le Conseil de l’Union européenne a délivré une autorisation pour leur mise sur le marché conformément à l’application combinée de l’article 3, paragraphe 1 ou 2, du règlement no 726/2004 et du règlement (CE) no 1901/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relatif aux médicaments à usage pédiatrique, modifiant le règlement (CEE) no 1768/92, les directives 2001/20/CE et 2001/83 ainsi que le règlement (CE) no 726/2004 (JO L 378, p. 1) [...]

2)      Une autorisation n’est pas nécessaire pour les médicaments

[...]

1 b.      autres que les médicaments cités au point 1 a et pour ceux autorisés en dehors du champ d’application de la présente loi pour les pharmacies qui disposent d’une ordonnance pour un patient.

[...]

c)      mis dans un contenant sans être modifiés [...]»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

18      Novartis est titulaire d’une AMM pour le Lucentis. Cette AMM a été délivrée par la Commission par décision du 22 janvier 2007 [C(2007) 237], adoptée en vertu de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 726/2004.

19      Parmi les indications thérapeutiques mentionnées dans l’AMM de ce médicament figure explicitement le traitement de la forme exsudative (humide) de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (ci-après la «DMLA»). La forme humide de la DMLA se traduit par une croissance pathologique de vaisseaux sanguins dans la rétine, accompagnée d’hémorragies et d’exsudations entraînant une dégradation des tissus rétiniens. Cette pathologie conduit à une diminution importante de l’acuité visuelle.

20      Le Lucentis est distribué sous la forme de flacons perforables de 0,23 ml vendus au prix unitaire d’environ 1 200 euros et livrés chacun avec une seringue autorisée pour cet usage, une canule pourvue d’un filtre et une canule d’injection. Selon les informations destinées aux professionnels de santé, il convient de prélever le produit concerné du flacon au moyen de la seringue de 1 ml de contenance et de la canule à filtre livrées avec celui-ci. La canule à filtre placée sur la seringue doit ensuite être remplacée par une canule d’injection, puis le contenu de la seringue doit être éjecté jusqu’à ce que celle-ci ne contienne plus que 0,05 ml de produit, volume correspondant au dosage conseillé. L’injection dans l’œil peut alors être effectuée. Le contenu d’un flacon est prévu pour l’administration d’une dose unique, même si, du volume de liquide médicamenteux de 0,23 ml, seul un volume de 0,05 ml est en définitive utilisé.

21      Roche Pharma AG, qui n’est pas partie au litige au principal, est titulaire d’une AMM pour l’Avastin. Cette AMM a été délivrée par la Commission par décision du 12 janvier 2005 [C(2005) 97], adoptée en vertu de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 726/2004.

22      Cette AMM couvre essentiellement les indications thérapeutiques liées au traitement de cancers métastasiques, en l’occurrence du côlon, du sein et du rein. En Allemagne, ce médicament est utilisé, sur prescription d’un médecin, dans le cadre du traitement de la DMLA, étant donné qu’il était déjà utilisé à cet effet avant l’octroi d’une AMM au Lucentis et qu’il n’existait pas, à cette époque, de médicament spécifique pour le traitement de la DMLA. Comme dans d’autres États membres, l’Avastin continue d’être utilisé en ophtalmologie en raison de son coût substantiellement inférieur à celui du Lucentis. La juridiction de renvoi indique que, en Allemagne, cette utilisation, relevant de la liberté du médecin en matière thérapeutique, est licite sous réserve de l’accord du patient. L’Avastin est distribué dans des flacons de 4 ml ou de 16 ml. Toutefois, le concentré contenu dans ces derniers doit être utilisé non pas pur, mais dilué dans une solution saline et administré par transfusion.

23      Apozyt élabore, au moyen du contenu des médicaments Lucentis et Avastin, des seringues contenant uniquement la dose nécessaire à une injection telle que cette dose a été arrêtée par l’ordonnance du médecin prescripteur. Le remplissage des seringues ainsi préparées est effectué en milieu stérile, dans une unité de production dotée d’une cage d’isolement. Les seringues préremplies sont expédiées et livrées à la pharmacie en ayant passé commande. Selon Apozyt, les pharmacies ne passent leurs commandes qu’en lien avec des ordonnances médicales présentées à cet effet par les patients. L’opération de transvasement ainsi effectuée permet d’utiliser le contenu des flacons de Lucentis et d’Avastin pour réaliser plusieurs injections, de sorte que le prix final d’une injection est substantiellement inférieur à celui qui serait payé pour une injection faite uniquement à partir des médicaments tels qu’ils sont commercialisés.

24      Novartis a introduit, devant la juridiction de renvoi, une action tendant à ce qu’il soit imposé à Apozyt de cesser ce type d’activités commerciales, lesquelles, selon Novartis, constituent des actes de concurrence déloyale. À l’appui de son recours, Novartis fait valoir que l’activité consistant à remplir des seringues prêtes à l’emploi avec des doses du médicament non modifié requiert également la délivrance d’une AMM, étant donné notamment que les substances actives contenues dans le Lucentis et l’Avastin sont, au sens du point 1, premier et troisième tirets, de l’annexe du règlement no 726/2004, issues de la technologie de l’acide désoxyribonucléique recombinant et sont, en outre, obtenues à l’aide de méthodes à base d’hybridomes et d’anticorps monoclonaux.

25      Par ailleurs, selon Novartis, le fait que les flacons prévus pour une utilisation unique contiennent une dose supérieure à celle nécessaire sur le plan thérapeutique résulte des procédures de production. Cet excédent de contenu tendrait en outre à garantir la sécurité de l’utilisation du Lucentis. Or, il existerait, selon elle, un danger d’immixtions de bactéries lors des opérations de transvasement du produit original de même qu’un problème de conservation du produit dans des seringues prêtes à l’emploi telles que celles produites par la défenderesse au principal.

26      Apozyt considère que les opérations qu’elle effectue ne nécessitent pas la délivrance d’une AMM, puisque le processus de fabrication du médicament concerné est déjà achevé au moment où elle reconditionne celui-ci, puis le distribue sous forme de seringues prêtes à l’emploi contenant des doses de produit inférieures à celles contenues dans les médicaments de base bénéficiant d’une AMM. Ainsi, l’élaboration de seringues prêtes à l’emploi, telles que celles en cause au principal, ne saurait être considérée comme la «fabrication» d’un médicament «issu» de l’un des procédés énoncés à l’annexe du règlement no 726/2004. En outre, selon Apozyt, l’élaboration de seringues prêtes à l’emploi dans des conditions stériles, telles que celles qui sont garanties dans ses unités de remplissage, serait le gage d’une plus grande sécurité sanitaire, étant donné que les médecins procédant eux-mêmes au transvasement préalable à l’injection n’opéreraient pas dans des conditions stériles. Les seringues utilisées seraient les mêmes que celles fournies par le fabricant d’origine, de sorte qu’aucune modification du processus d’utilisation des médicaments en cause ne saurait lui être reprochée.

27      Le Landgericht Hamburg expose que, selon les articles 3 et 4 de la loi relative à la répression de la concurrence déloyale (Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb), toute personne qui, par son comportement, méconnaît une exigence d’agrément ou d’autorisation agit de manière déloyale. En outre, un tel comportement serait susceptible d’être attaqué par tout concurrent qui pourrait exiger son interdiction. Ainsi, si les activités de conditionnement de seringues prêtes à l’emploi menées par Apozyt relevaient de l’obligation d’autorisation prévue à l’article 3 du règlement no 726/2004, celles-ci seraient déloyales au sens de ces articles 3 et 4 de cette loi. À cet égard, le Landgericht Hamburg mentionne que le Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg a, dans un jugement antérieur, considéré que le terme «issus», utilisé dans la phrase introductive du point 1 de l’annexe du règlement nº 726/2004, couvrait également le remplissage de seringues, de sorte que cette opération requerrait aussi la délivrance d’une AMM. La juridiction de renvoi tend à partager cette position, mais relève que cette question présente une certaine importance pour le domaine pharmaceutique, dès lors notamment qu’un tel remplissage, dans des conditions stériles, en fonction de la dose recommandée, pourrait permettre la réalisation d’économies substantielles.

28      C’est dans ces conditions que le Landgericht Hamburg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Le terme ‘issus’, figurant dans la phrase introductive du point 1 de l’annexe du règlement [no 726/2004,] s’applique-t-il également aux procédés par lesquels des quantités d’un médicament mis au point et produit selon les procédures citées sont conditionnées dans un autre récipient, sur ordonnance d’un médecin, si la composition du médicament ne s’en trouve pas modifiée, et notamment à la fabrication de seringues prêtes à l’emploi remplies d’un médicament autorisé en vertu du[dit] règlement?»

 Sur la demande de réouverture de la procédure orale

29      Par lettre du 25 février 2013, Apozyt a demandé à la Cour d’ordonner la réouverture de la procédure orale, en vertu de l’article 83 de son règlement de procédure, au motif que les conclusions de l’avocat général seraient fondées sur des considérations de faits et de droit incorrectes, notamment en ce qui concerne, d’une part, la conclusion selon laquelle les activités de cette société consisteraient en une mise sur le marché d’un nouveau médicament ainsi que, d’autre part, les conditions d’application de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/83.

30      À cet égard, il importe de rappeler, d’une part, que la Cour peut, d’office ou sur proposition de l’avocat général, ou encore à la demande des parties, ordonner la réouverture de la procédure orale, conformément à l’article 83 du règlement de procédure, si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou que l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties (voir ordonnance du 4 février 2000, Emesa Sugar, C‑17/98, Rec. p. I‑665, point 18; arrêts du 14 décembre 2004, Swedish Match, C‑210/03, Rec. p. I‑11893, point 25, et du 14 septembre 2006, Stichting Zuid-Hollandse Milieufederatie, C‑138/05, Rec. p. I‑8339, point 23).

31      D’autre part, en vertu de l’article 252, deuxième alinéa, TFUE, l’avocat général a pour rôle de présenter publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l’Union européenne, requièrent son intervention. Dans l’exercice de cette mission, il lui est loisible, le cas échéant, d’analyser une demande de décision préjudicielle en la replaçant dans un contexte plus large que celui strictement défini par la juridiction de renvoi ou par les parties au principal. Étant donné que la Cour n’est liée ni par les conclusions de l’avocat général ni par la motivation au terme de laquelle il y parvient, il n’est pas indispensable de rouvrir la procédure orale, conformément à l’article 83 du règlement de procédure, chaque fois que l’avocat général soulève un point de droit qui n’a pas fait l’objet d’un échange entre les parties (arrêt du 22 mai 2008, Feinchemie Schwebda et Bayer CropScience, C‑361/06, Rec. p. I‑3865, point 34).

32      En l’occurrence, la Cour s’estimant suffisamment éclairée pour statuer et l’affaire ne nécessitant pas d’être tranchée sur la base d’arguments qui n’auraient pas été débattus entre les parties, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de réouverture de la procédure orale.

 Sur la question préjudicielle

33      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si des activités telles que celles en cause au principal nécessitent l’obtention d’une AMM, en application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 726/2004, et, dans la négative, si elles demeurent régies par la directive 2001/83.

34      Novartis ainsi que les gouvernements tchèque et hellénique considèrent que des activités telles que celles en cause au principal constituent un reconditionnement et ne sont pas couvertes par l’AMM délivrée pour les médicaments originaux, de sorte qu’elles sont illicites. Novartis considère ainsi que, aux fins de reconditionner les médicaments en cause dans une seringue préremplie, Apozyt devrait présenter une demande d’AMM en ce sens à l’EMA.

35      Apozyt ainsi que le gouvernement allemand, l’Irlande et le gouvernement portugais défendent la thèse inverse, en estimant que de telles activités ne nécessitent pas la délivrance d’AMM en sus de celles déjà octroyées.

36      La Commission estime que la question posée pourrait être dénuée de pertinence pour la solution du litige au principal, puisque, selon cette institution, le terme «hergestellt» utilisé dans la phrase introductive de la version en langue allemande du point 1 de l’annexe du règlement no 726/2004 ne saurait être compris comme permettant de déterminer si l’obligation de disposer d’une AMM s’applique également à des procédés par lesquels des quantités d’un médicament mis au point et produit selon les procédures autorisées sont par la suite conditionnées dans un autre récipient, sur prescription d’un médecin. Elle fait valoir, par ailleurs, que, aux fins de trancher le litige au principal, la juridiction de renvoi doit en réalité apprécier si des opérations de remplissage de seringues prêtes à l’emploi avec un médicament déjà autorisé contenu dans des flacons perforables, telles que celles en cause au principal, doivent être considérées comme des opérations de division, de changement de conditionnement ou de présentation, au sens de l’article 40, paragraphe 2, de la directive 2001/83. Dans l’affirmative, Apozyt n’aurait pas besoin de disposer d’une AMM pour effectuer de telles opérations. En revanche, si de telles opérations ne pouvaient pas être considérées comme relevant dudit article 40, cela tendrait fortement à indiquer qu’une AMM serait nécessaire pour ce faire.

37      À cet égard, il convient de relever que l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 726/2004 instaure une obligation de présenter une demande d’AMM dans le cadre de la procédure centralisée dans laquelle l’EMA a une compétence obligatoire en ce qui concerne leur délivrance. Cette obligation concerne les médicaments de haute technologie figurant à l’annexe de ce règlement, notamment les médicaments «issus» de l’un des trois procédés biotechnologiques énumérés au point 1 de celle-ci.

38      Il résulte d’une lecture combinée des articles 3 du règlement no 726/2004 ainsi que 2 et 6 de la directive 2001/83 que les médicaments à usage humain produits industriellement et destinés à être mis sur le marché dans les États membres, autres que ceux figurant à l’annexe de ce règlement, doivent en principe disposer d’une AMM délivrée par les autorités de ces États membres en vertu de cette directive. De manière facultative, en l’occurrence dans les conditions énoncées à l’article 3, paragraphe 2, dudit règlement, les médicaments ne figurant pas à cette annexe peuvent toutefois faire l’objet d’une AMM dans le cadre de la procédure centralisée, évitant en cela l’obligation de présenter des demandes multiples d’AMM dans le cadre de la procédure d’autorisation mise en place par la directive 2001/83.

39      Il s’ensuit que, en adoptant l’article 3 du règlement no 726/2004, le législateur de l’Union a instauré un critère permettant de déterminer si un médicament donné doit, aux fins de sa mise sur le marché dans l’Union, être autorisé dans le cadre de la procédure d’autorisation centralisée mise en place par ce règlement ou dans celui des procédures nationales adoptées aux fins de la mise en œuvre de la directive 2001/83.

40      Dans l’affaire au principal, il est constant que les médicaments Lucentis et Avastin ont été mis sur le marché dans l’Union et disposent à cet égard d’une AMM délivrée par la Communauté, conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 726/2004, en tant que médicaments «issus» de l’un des procédés biotechnologiques mentionnés au point 1 de l’annexe de ce règlement.

41      En préparant des seringues prêtes à l’emploi, en vue de répondre à des commandes passées par des pharmacies auxquelles ont été présentées des ordonnances médicales en ce sens par des patients, une société telle qu’Apozyt n’utilise aucun des procédés biotechnologiques énumérés audit point 1 de ladite annexe et, par ailleurs, elle ne fournit aucunement à l’avance ces pharmacies, que ce soit directement ou indirectement par l’intermédiaire de grossistes. En outre, il ressort de la décision de renvoi, et notamment du libellé de la question posée, d’une part, que le Landgericht Hamburg part du postulat selon lequel la composition du médicament n’est pas modifiée. D’autre part, l’administration au patient du contenu des seringues ainsi préremplies est faite par le médecin prescripteur qui a, ainsi, lui-même décidé de traiter son patient au moyen de telles seringues.

42      Dans de telles circonstances et pour autant que la juridiction de renvoi constate effectivement que les opérations en question ne conduisent pas à une modification du produit médicamenteux et que celles-ci sont effectuées uniquement sur la base d’ordonnances individuelles prescrivant de telles opérations, il ne saurait être considéré que l’activité ainsi exercée puisse être assimilée à une nouvelle mise sur le marché d’un médicament figurant au point 1 de l’annexe du règlement no 726/2004, de sorte que, à cet égard, la société concernée n’est pas soumise à l’obligation de disposer d’une AMM délivrée par la Communauté en application de l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement.

43      En effet, dans l’arrêt du 19 septembre 2002, Aventis (C‑433/00, Rec. p. I‑7761), la Cour a certes jugé que, lorsqu’un médicament avait fait l’objet de deux AMM centralisées distinctes pour, respectivement, la boîte de cinq unités et la boîte de dix unités, la réglementation de l’Union s’opposait à ce que ce médicament soit commercialisé dans un emballage constitué de deux boîtes de cinq unités assemblées et réétiquetées, communément appelé «bottelage». Cependant, les circonstances de la présente affaire se distinguent de celles en cause dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, laquelle concernait des activités de reconditionnement aux fins d’un commerce parallèle, et il convient notamment de relever, à l’instar du gouvernement portugais, que l’activité exercée par une société telle qu’Apozyt se situe en aval de la mise sur le marché des médicaments en cause au principal. En particulier, les opérations de prélèvement des substances médicamenteuses liquides contenues dans les fioles originales et de transvasement de ces prélèvements, sans modification de ces substances, dans des seringues prêtes à l’emploi correspondent en réalité aux actes qui, sans l’intervention de cette société, pourraient être ou auraient pu être autrement effectués, sous leur responsabilité, par les médecins prescripteurs, voire par les pharmacies elles-mêmes dans leurs officines ou encore dans les établissements hospitaliers.

44      Néanmoins, il y a lieu de relever que, même si la prestation fournie par une société telle qu’Apozyt à des pharmacies clientes ne constitue pas, en elle-même, une mise sur le marché qui nécessite la délivrance d’une AMM, cela ne signifie pas pour autant que cette activité est licite, puisqu’elle demeure en tout état de cause régie par les dispositions de la directive 2001/83, notamment celles imposant une exigence d’autorisation pour la fabrication de médicaments.

45      Le gouvernement allemand fait valoir qu’il a fait usage de la dérogation prévue à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/83 en ce qu’il a exclu du champ d’application de cette directive, en vue de répondre à des besoins spéciaux, les médicaments fournis pour répondre à une commande loyale et non sollicitée, élaborés conformément aux spécifications d’un professionnel de santé agréé et destinés à ses malades particuliers, sous sa responsabilité personnelle directe. Or, selon ce gouvernement, une activité telle que celle en cause au principal relève du champ d’application de cette dérogation, de sorte qu’elle ne nécessite pas l’obtention d’une autorisation particulière ni, a fortiori, d’une AMM.

46      Il convient de rappeler à cet égard que l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive constitue une disposition dérogatoire spécifique, d’interprétation stricte, applicable dans des cas exceptionnels, dans lesquels il y a lieu de répondre à des besoins spéciaux de nature médicale, en l’occurrence dans des circonstances où un médecin, à l’issue d’un examen effectif de ses patients et en se fondant sur des considérations purement thérapeutiques, prescrit un médicament ne disposant pas d’une AMM valable dans l’Union et dont il n’existe pas d’équivalent autorisé sur le marché national ou se trouvant indisponible sur ce marché (voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2012, Commission/Pologne, C‑185/10, points 35, 36 et 48). La Cour a en particulier souligné, au point 37 de cet arrêt, que ledit article 5, paragraphe 1, ne saurait être invoqué lorsque des médicaments ayant les mêmes substances actives, le même dosage et la même forme que ceux que le médecin traitant estime devoir prescrire pour ses patients sont déjà autorisés et disponibles sur le marché national.

47      Ainsi, dans les circonstances de l’affaire au principal, cette disposition n’a pas vocation à être invoquée s’agissant de l’utilisation d’un médicament tel que le Lucentis, puisqu’il n’est pas question de la prescription d’un médicament différent de celui disposant déjà d’une AMM, ni d’une utilisation dans des volumes d’injection différents de ceux prévus dans l’AMM, ni encore d’une utilisation pour une indication thérapeutique hors AMM.

48      En revanche, il ne saurait être exclu que l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/83 puisse être invoqué par la République fédérale d’Allemagne s’agissant de la mise à disposition d’un médicament autorisé, tel que l’Avastin, pour des indications thérapeutiques hors AMM, lorsqu’une telle élaboration est faite conformément aux spécifications d’un praticien agréé et est destinée à ses malades particuliers, sous sa responsabilité personnelle directe. En effet, à cet égard, les principes actifs de l’Avastin et du Lucentis étant différents, un médecin peut, face à une pathologie donnée et en se fondant uniquement sur des considérations thérapeutiques propres à ses patients, y compris au regard des modalités d’administration du médicament, estimer qu’un traitement hors AMM, selon la forme galénique et la posologie qu’il estime appropriées et au moyen de l’Avastin disposant d’une AMM communautaire, est préférable à un traitement au moyen du Lucentis.

49      Sur ce dernier aspect, il convient cependant de rappeler qu’un médecin prescripteur est tenu, d’un point de vue déontologique, de ne pas prescrire un médicament donné si celui-ci ne convient pas au traitement thérapeutique de son patient, y compris au regard de sa modalité d’administration (voir arrêt du 22 avril 2010, Association of the British Pharmaceutical Industry, C‑62/09, Rec. p. I‑3603, point 40).

50      Cela étant, de telles considérations ne tranchent pas la question de savoir si l’activité d’une société telle qu’Apozyt, à tout le moins en ce qui concerne le Lucentis, requiert une autorisation spécifique au regard de la réglementation de l’Union.

51      S’agissant des exigences s’imposant à une activité telle que celle exercée par Apozyt, la juridiction de renvoi mentionne l’article 40 de la directive 2001/83. À cet égard, il y a effectivement lieu d’indiquer que, en tout état de cause, en application de l’article 40, paragraphe 2, premier alinéa, de cette directive, ladite activité, en tant qu’elle concerne le reconditionnement de médicaments disposant d’une AMM, est soumise à la possession d’une autorisation, au sens de cette disposition.

52      Toutefois, ainsi que le font valoir l’Irlande et la Commission, conformément au second alinéa de l’article 40, paragraphe 2, de ladite directive, une telle autorisation n’est pas nécessaire, notamment, pour les divisions et les changements de conditionnement, lorsque ces opérations sont exécutées, uniquement en vue de la délivrance au détail, par des pharmaciens dans une officine ou par d’autres personnes légalement autorisées dans les États membres à effectuer lesdites opérations.

53      Il appartient ainsi à la juridiction de renvoi de vérifier, notamment, d’une part, si Apozyt est «légalement autorisée», en Allemagne, à effectuer de telles opérations et, d’autre part, si ces activités relèvent effectivement d’une logique de délivrance de médicaments au détail par les pharmacies. Sur ce dernier aspect, celle-ci devra notamment vérifier que les opérations en cause ne sont effectuées que sur la base d’ordonnances individuelles prescrivant de telles opérations.

54      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que des activités telles que celles en cause au principal, pour autant qu’elles ne conduisent pas à une modification du produit médicamenteux concerné et sont effectuées uniquement sur la base d’ordonnances individuelles prescrivant de telles opérations, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, ne nécessitent pas l’obtention d’une AMM en application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 726/2004, mais demeurent régies, en tout état de cause, par les dispositions de la directive 2001/83.

 Sur les dépens

55      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

Des activités telles que celles en cause au principal, pour autant qu’elles ne conduisent pas à une modification du produit médicamenteux concerné et sont effectuées uniquement sur la base d’ordonnances individuelles prescrivant de telles opérations, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, ne nécessitent pas l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché en application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments, mais demeurent régies, en tout état de cause, par les dispositions de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, telle que modifiée par la directive 2010/84/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 2010.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.