Language of document : ECLI:EU:C:2020:338

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

30 avril 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Libre circulation des personnes – Article 21 TFUE – Principe de non-discrimination en raison de la nationalité – Article 18 TFUE – Convention préventive de la double imposition – Travailleurs du secteur public – Pensionné résidant dans un État membre autre que celui lui versant une pension de retraite et ne possédant pas la nationalité de l’État membre de résidence – Impôt sur le revenu – Prétendue perte d’avantages fiscaux – Prétendue entrave à la liberté de circulation et prétendue discrimination »

Dans les affaires jointes C‑168/19 et C‑169/19,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par la Corte dei conti – Sezione Giurisdizionale per la Regione Puglia (cour des comptes – chambre juridictionnelle pour la Région des Pouilles, Italie), par décisions du 10 juillet 2018, parvenues à la Cour le 25 février 2019, dans les procédures

HB (C‑168/19),

IC (C‑169/19)

contre

Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS),

LA COUR (huitième chambre),

composée de Mme L. S. Rossi, présidente de chambre, MM. J. Malenovský (rapporteur) et N. Wahl, juges,

avocat général : M. G. Hogan,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. E. De Bonis, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement belge, par MM. P. Cottin et J.-C. Halleux, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. R. Kanitz et J. Möller, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hellénique, par Mme E.-M. Mamouna et M. K. Georgiadis, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement français, par Mmes E. de Moustier et A. Alidière ainsi que par M. D. Colas, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. Bulterman et M. Noort, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement suédois, par Mmes A. Falk, C. Meyer-Seitz, H. Shev, J. Lundberg et H. Eklinder, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme N. Gossement et M. B.‑R. Killmann, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 18 et 21 TFUE.

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant respectivement HB et IC à l’Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) (Institut national de la sécurité sociale, Italie) au sujet du refus de cette dernière de verser le montant de leurs pensions de retraite respectives sans prélèvement des impôts italiens.

 Le cadre juridique

3        L’article 18 de la convenzione tra la Repubblica italiana e la Repubblica portoghese per evitare le doppie imposizioni e prevenire l’evasione fiscale in materia di imposte sul reddito (convention entre la République italienne et la République portugaise tendant à éviter la double imposition et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu), signée à Rome le 14 mai 1980, ratifiée par la République italienne par la legge n. 562 (loi no 562), du 10 juillet 1982 (supplément ordinaire à la GURI no 224, du 16 août 1982) (ci-après la « convention italo-portugaise »), stipule :

« Sous réserve des dispositions du paragraphe 2 de l’article 19, les pensions et autres rémunérations similaires, payées à un résident d’un État contractant au titre d’un emploi antérieur, ne sont imposables que dans cet État. »

4        L’article 19, paragraphe 2, de la convention italo-portugaise énonce :

« a)      Les pensions payées par l’un des États contractants, par l’une de ses subdivisions politique ou administrative ou par l’une de ses collectivités locales, soit directement soit par prélèvement sur des fonds qu’ils ont constitués, à une personne physique au titre de services rendus à cet État ou à cette collectivité locale, ne sont imposables que dans ledit État.

b)      Toutefois, ces pensions ne sont imposables que dans l’autre État contractant si la personne physique est un résident de cet État et en possède la nationalité. »

 Les litiges au principal et la question préjudicielle

5        HB et IC, de nationalité italienne, sont d’anciens agents du secteur public italien. Ils sont chacun bénéficiaires d’une pension de retraite versée par l’INPS. Après avoir transféré leur résidence au Portugal, ils ont, au cours de l’année 2015, demandé à l’INPS de recevoir, en application de l’article 18 et de l’article 19, paragraphe 2, de la convention italo-portugaise, le montant brut de leur pension de retraite mensuelle, sans prélèvement d’impôt à la source par la République italienne. L’INPS a rejeté ces demandes, considérant que, en vertu de l’article 19 de la convention italo-portugaise, à la différence des pensionnés italiens du secteur privé, les agents retraités du secteur public italien doivent être imposés en Italie, et uniquement dans cet État contractant. HB et IC ont chacun introduit un recours contre ces décisions devant la juridiction de renvoi, la Corte dei conti – Sezione Giurisdizionale per la Regione Puglia (cour des comptes – chambre juridictionnelle pour la Région des Pouilles, Italie).

6        La juridiction de renvoi considère que la convention italo-portugaise institue une inégalité de traitement manifeste entre les pensionnés italiens du secteur privé et du secteur public résidant au Portugal, dans la mesure où les premiers bénéficient indirectement d’un traitement fiscal plus avantageux que les seconds, ce qui constitue, selon cette juridiction, un obstacle à la liberté de circulation garantie à tout citoyen de l’Union européenne en vertu de l’article 21 TFUE.

7        La juridiction de renvoi relève également que la différence de traitement fiscal des pensions de retraite des ressortissants italiens qui transfèrent leur résidence au Portugal, selon qu’il s’agit d’anciens agents du secteur public ou d’anciens salariés du secteur privé, constitue une discrimination fondée sur la nationalité interdite par l’article 18 TFUE, dès lors que, pour pouvoir être imposé au Portugal, la condition de résidence suffit pour les seconds, alors que les premiers doivent en plus acquérir la nationalité portugaise.

8        Dans ces conditions, la Corte dei conti – Sezione Giurisdizionale per la Regione Puglia (cour des comptes – chambre juridictionnelle pour la Région des Pouilles) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante, libellée de manière identique dans les deux affaires jointes :

« Les articles 18 et 21 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que la réglementation d’un État membre prévoie d’imposer les revenus d’une personne résidente dans un autre État membre, qui a acquis intégralement son revenu dans le premier État membre mais qui n’a pas la nationalité du second État, en ne lui permettant pas de bénéficier des avantages fiscaux offerts par ce dernier ? »

 Sur la question préjudicielle

9        Par sa question, la juridiction de renvoi demande si les articles 18 et 21 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui prévoit que les revenus d’une personne résidant dans un autre État membre, qui a acquis intégralement ses revenus dans le premier État membre mais qui n’a pas la nationalité du second État membre, sont uniquement imposés dans le premier État membre, cette personne étant de ce fait exclue du bénéfice des avantages fiscaux offerts par le second État membre.

10      À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et celle-ci, instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C‑125/18, EU:C:2020:138, point 27).

11      À cet égard, il convient de relever, en premier lieu, que, bien que la juridiction de renvoi ne précise pas si les requérants au principal ont transféré leur résidence au Portugal après avoir cessé toute activité professionnelle ou non, elle considère que leur situation est régie par l’article 21 TFUE relatif à la liberté de circulation des citoyens de l’Union. En se fondant sur cette disposition du traité FUE, la juridiction de renvoi semble indiquer à la Cour que le transfert de résidence s’est opéré après la cessation de toute activité professionnelle des requérants au principal. C’est, partant, uniquement au regard de cette circonstance que la Cour examinera la question posée.

12      En deuxième lieu, contrairement à ce que soutiennent les gouvernements belge et suédois dans leurs observations écrites, l’article 18 TFUE, qui consacre le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, est applicable à une situation telle que celle en cause dans les affaires au principal.

13      En effet, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que tout citoyen de l’Union peut se prévaloir de l’interdiction de discrimination en raison de la nationalité figurant à l’article 18 TFUE dans une situation où il a exercé la liberté fondamentale de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres conférée par l’article 21 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 13 novembre 2018, Raugevicius, C‑247/17, EU:C:2018:898, points 27 et 44 ainsi que jurisprudence citée, et du 13 juin 2019, TopFit et Biffi, C‑22/18, EU:C:2019:497, point 29).

14      En troisième et dernier lieu, il convient de relever qu’il ressort du dossier soumis à la Cour que l’article 18 et l’article 19, paragraphe 2, de la convention italo-portugaise, rédigés dans les mêmes termes que les dispositions correspondantes du modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune élaboré par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dans sa version de l’année 2014, visent à répartir la compétence fiscale entre la République italienne et la République portugaise en ce qui concerne les pensions et comportent, à cet égard, des facteurs de rattachement différents selon que les contribuables étaient occupés dans le secteur privé ou dans le secteur public. S’agissant de cette dernière catégorie de contribuables, ceux-ci sont, en principe, imposés dans l’État débiteur de la pension de retraite, sauf s’ils possèdent la nationalité de l’autre État contractant dans lequel ils résident.

15      Il ressort de ces considérations liminaires que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 18 et 21 TFUE s’opposent à un régime fiscal résultant d’une convention préventive de la double imposition conclue entre deux États membres, en vertu de laquelle la compétence fiscale de ces États en matière d’imposition sur les pensions de retraite est répartie selon que les bénéficiaires de celles-ci exerçaient un emploi relevant du secteur privé ou du secteur public et, dans ce dernier cas, selon qu’ils ont ou non la nationalité de l’État membre de résidence.

16      À cet égard, il convient de rappeler que, saisie de demandes de décision préjudicielle portant sur la question de savoir si les conventions préventives de la double imposition conclues entre les États membres de l’Union doivent être compatibles avec le principe d’égalité de traitement et, d’une manière générale, avec les libertés de circulation garanties par le droit primaire de l’Union, la Cour a déjà jugé que les États membres sont libres, dans le cadre de conventions bilatérales tendant à éviter les doubles impositions, de fixer les facteurs de rattachement aux fins de la répartition entre eux de la compétence fiscale (arrêt du 19 novembre 2015, Bukovansky, C‑241/14, EU:C:2015:766, point 37 et jurisprudence citée).

17      Par ailleurs, il importe de relever qu’une convention bilatérale préventive de la double imposition, telle que la convention italo-portugaise, a pour objet d’éviter que le même revenu soit imposé dans chacune des deux parties à cette convention et non pas de garantir que l’imposition à laquelle est assujetti le contribuable dans une partie contractante ne soit pas supérieure à celle à laquelle il serait assujetti dans l’autre partie contractante (voir, par analogie, arrêt du 19 novembre 2015, Bukovansky, C‑241/14, EU:C:2015:766, point 44 et jurisprudence citée).

18      À cette fin, il n’est pas déraisonnable pour les États membres d’utiliser les critères suivis dans la pratique fiscale internationale et, en particulier, comme l’ont fait la République italienne et la République portugaise en l’occurrence ainsi qu’il ressort du point 14 du présent arrêt, le modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune élaboré par l’OCDE, dont l’article 19, paragraphe 2, dans sa version de l’année 2014, prévoit des facteurs de rattachement tels que l’État payeur et la nationalité (voir, en ce sens, arrêts du 12 mai 1998, Gilly, C‑336/96, EU:C:1998:221, point 31, et du 24 octobre 2018, Sauvage et Lejeune, C‑602/17, EU:C:2018:856, point 23).

19      Par conséquent, lorsque, dans une convention préventive de la double imposition conclue entre des États membres, le critère de la nationalité apparaît dans une disposition qui a pour objet de répartir la compétence fiscale, il n’est pas justifié de considérer cette différenciation fondée sur la nationalité comme étant constitutive d’une discrimination interdite (arrêt du 19 novembre 2015, Bukovansky, C‑241/14, EU:C:2015:766, point 38 et jurisprudence citée).

20      De même, la désignation de l’État débiteur de la pension de retraite (« État payeur ») comme étant compétent pour imposer les pensions perçues du secteur public ne saurait, en soi, avoir de répercussions négatives pour les contribuables concernés, dans la mesure où le caractère favorable ou défavorable du traitement fiscal réservé à ces contribuables ne découle pas à proprement parler du choix du facteur de rattachement, mais du niveau d’imposition de l’État compétent, en l’absence d’harmonisation, au niveau de l’Union, des barèmes d’impôts directs (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 1998, Gilly, C‑336/96, EU:C:1998:221, point 34).

21      Il résulte d’une application aux circonstances des affaires au principal des principes dégagés par la jurisprudence de la Cour rappelée aux points 16 à 20 du présent arrêt que la différence de traitement que les requérants au principal allèguent avoir subie découle de la répartition du pouvoir d’imposition entre les parties à la convention italo-portugaise et des disparités existant entre les régimes fiscaux respectifs de ces parties contractantes. Or, le choix desdites parties, en vue de répartir entre elles la compétence d’imposition, de différents facteurs de rattachement, tels que, en l’occurrence, l’État débiteur de la pension de retraite et la nationalité, ne doit pas être considéré, en tant que tel, comme étant constitutif d’une discrimination interdite par les articles 18 et 21 TFUE (voir, par analogie, arrêt du 19 novembre 2015, Bukovansky, C‑241/14, EU:C:2015:766, point 45).

22      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que les articles 18 et 21 TFUE ne s’opposent pas à un régime fiscal résultant d’une convention préventive de la double imposition conclue entre deux États membres, en vertu de laquelle la compétence fiscale de ces États en matière d’imposition sur les pensions de retraite est répartie selon que les bénéficiaires de celles-ci exerçaient un emploi relevant du secteur privé ou du secteur public et, dans ce dernier cas, selon qu’ils ont ou non la nationalité de l’État membre de résidence.

 Sur les dépens

23      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

Les articles 18 et 21 TFUE ne s’opposent pas à un régime fiscal résultant d’une convention préventive de la double imposition conclue entre deux États membres, en vertu de laquelle la compétence fiscale de ces États en matière d’imposition sur les pensions de retraite est répartie selon que les bénéficiaires de celles-ci exerçaient un emploi relevant du secteur privé ou du secteur public et, dans ce dernier cas, selon qu’ils ont ou non la nationalité de l’État membre de résidence.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.