Language of document : ECLI:EU:C:2018:739

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

19 septembre 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale – Enlèvement international d’enfants – Règlement (CE) no 2201/2003 – Article 11 – Demande de retour – Convention de La Haye du 25 octobre 1980 – Requête en déclaration de la force exécutoire – Recours – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Droit à un recours effectif – Délai de formation du recours – Ordonnance d’exequatur – Exécution avant sa signification »

Dans les affaires jointes C‑325/18 PPU et C‑375/18 PPU,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par la Court of Appeal (cour d’appel, Irlande), par décisions du 17 mai 2018 (C‑325/18 PPU) et du 7 juin 2018 (C‑375/18 PPU), parvenues à la Cour respectivement le 17 mai 2018 et le 7 juin 2018, dans les procédures

Hampshire County Council

contre

C.E.,

N.E.,

en présence de :

Child and Family Agency,

Attorney General,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. C. G. Fernlund, J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev (rapporteur) et S. Rodin, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu les demandes de la juridiction de renvoi du 17 mai 2018 (C‑325/18 PPU) et du 7 juin 2018 (C‑375/18 PPU), parvenues à la Cour respectivement le 17 mai 2018 et le 7 juin 2018, de soumettre les renvois préjudiciels à la procédure d’urgence, conformément à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour,

vu la décision du 11 juin 2018 de la première chambre de faire droit auxdites demandes,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 juillet 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour le Hampshire County Council, par M. D. Day, barrister, mandaté par Mme V. Pearce, solicitor,

–        pour N.E. et C.E., par Mme N. Jackson, SC, M. B. Shipsey, SC, Mme B. McKeever, BL, ainsi que par M. K. Smyth, solicitor,

–        pour l’Attorney General, par Mmes M. Browne et J. McCann ainsi que par M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de M. A. Finn, BL, et de M. G. Durcan, SC,

–        pour l’Irlande, par Mme J. McCann, en qualité d’agent, assistée de M. G. Durcan, SC, et de M. A. Finn, BL,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mmes R. Fadoju et C. Brodie, en qualité d’agents, assistées de M. E. Devereux, QC,

–        pour le gouvernement tchèque, par M. J. Vláčil, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement polonais, par M. M. Nowak, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 août 2018,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que de l’article 11 et de l’article 33, paragraphe 5, du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 (JO 2003, L 338, p. 1).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre d’un litige opposant le Hampshire County Council (conseil du comté du Hampshire, ci-après le « HCC ») à C.E. et à N.E. (ci-après les « parents concernés »), au sujet du retour au Royaume-Uni de trois enfants mineurs (ci-après les « trois enfants »), déplacés en Irlande par les parents concernés afin d’échapper à une mise sous tutelle de ces enfants, et d’une demande d’injonction interlocutoire introduite par ces parents en Irlande afin de suspendre l’adoption du plus jeune de ces trois enfants et, le cas échéant, des autres enfants au Royaume-Uni.

 Le cadre juridique

 Le droit international

3        La convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, conclue à La Haye le 25 octobre 1980 (ci-après la « convention de La Haye de 1980 ») a pour objectifs, ainsi qu’il ressort de son préambule, notamment, de protéger l’enfant, sur le plan international, contre les effets nuisibles d’un déplacement ou d’un non-retour illicites et d’établir des procédures en vue de garantir le retour immédiat de l’enfant dans l’État de sa résidence habituelle. Cette convention est entrée en vigueur le 1er décembre 1983 et tous les États membres de l’Union européenne sont parties contractantes à celle-ci.

4        L’article 1er de la convention de La Haye de 1980 stipule :

« La présente Convention a pour objet :

a)      d’assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout État contractant ;

b)      de faire respecter effectivement dans les autres États contractants les droits de garde et de visite existant dans un État contractant. »

5        Aux termes de l’article 3 de cette convention :

« Le déplacement ou le non-retour d’un enfant est considéré comme illicite :

a)      lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour ; et

b)      que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus.

Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative, ou d’un accord en vigueur selon le droit de cet État. »

6        L’article 12 de ladite convention prévoit :

« Lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l’article 3 et qu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’État contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat.

[...] »

7        L’article 13 de la convention de La Haye de 1980 prévoit :

« Nonobstant les dispositions de l’article précédent, l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant, lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit :

[...]

b)      qu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable.

[...] »

 Le droit de l’Union

8        Les considérants 12, 17, 21 et 33 du règlement no 2201/2003 sont libellés comme suit :

« (12)      Les règles de compétence établies par le présent règlement en matière de responsabilité parentale sont conçues en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et en particulier du critère de proximité [...]

[...]

(17)      En cas de déplacement ou de non-retour illicite d’un enfant, son retour devrait être obtenu sans délai et à ces fins la convention de La Haye [de 1980] devrait continuer à s’appliquer telle que complétée par les dispositions de ce règlement et en particulier de l’article 11. Les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a été déplacé ou retenu illicitement devraient être en mesure de s’opposer à son retour dans des cas précis, dûment justifiés. Toutefois, une telle décision devrait pouvoir être remplacée par une décision ultérieure de la juridiction de l’État membre de la résidence habituelle de l’enfant avant son déplacement ou non-retour illicites. Si cette décision implique le retour de l’enfant, le retour devrait être effectué sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure pour la reconnaissance et l’exécution de ladite décision dans l’État membre où se trouve l’enfant enlevé. 

[...]

(21)      La reconnaissance et l’exécution des décisions rendues dans un État membre devraient reposer sur le principe de la confiance mutuelle et les motifs de non-reconnaissance devraient être réduits au minimum nécessaire.

[...]

(33)      Le présent règlement reconnaît les droits fondamentaux et observe les principes consacrés par la [Charte]. Il veille notamment à assurer le respect des droits fondamentaux de l’enfant tels qu’énoncés à l’article 24 de la [Charte]. »

9        L’article 1er du règlement no 2201/2003, intitulé « Champ d’application » dispose, à ses paragraphes 1 à 3 :

« 1.      Le présent règlement s’applique, quelle que soit la nature de la juridiction, aux matières civiles relatives :

[...]

b)      à l’attribution, à l’exercice, à la délégation, au retrait total ou partiel de la responsabilité parentale.

2.      Les matières visées au paragraphe 1, point b), concernent notamment :

a)      le droit de garde et le droit de visite ;

[...]

3.      Le présent règlement ne s’applique pas :

[...]

b)      à la décision sur l’adoption et les mesures qui la préparent, ainsi que l’annulation et la révocation de l’adoption ;

[...] »

10      Aux termes de l’article 2 du règlement no 2201/2003 :

« Aux fins du présent règlement on entend par :

1)      “juridiction” toutes les autorités compétentes des États membres dans les matières relevant du champ d’application du présent règlement en vertu de l’article 1er ;

[...]

7)      “responsabilité parentale” l’ensemble des droits et obligations conférés à une personne physique ou une personne morale sur la base d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur, à l’égard de la personne ou des biens d’un enfant. Il comprend notamment le droit de garde et le droit de visite ;

8)      “titulaire de la responsabilité parentale” toute personne exerçant la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant ;

9)      “droit de garde” les droits et obligations portant sur les soins de la personne d’un enfant, et en particulier le droit de décider de son lieu de résidence ;

[...]

11)      “déplacement ou non-retour illicites d’un enfant” le déplacement ou le non-retour d’un enfant lorsque :

a)      il a eu lieu en violation d’un droit de garde résultant d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur en vertu du droit de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour

et

b)      sous réserve que le droit de garde était exercé effectivement, seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus. La garde est considérée comme étant exercée conjointement lorsque l’un des titulaires de la responsabilité parentale ne peut, conformément à une décision ou par attribution de plein droit, décider du lieu de résidence de l’enfant sans le consentement d’un autre titulaire de la responsabilité parentale. »

11      L’article 11 du règlement no 2201/2003, intitulé « Retour de l’enfant », dispose :

« 1.      Lorsqu’une personne, institution ou tout autre organisme ayant le droit de garde demande aux autorités compétentes d’un État membre de rendre une décision sur la base de la [convention de La Haye de 1980] en vue d’obtenir le retour d’un enfant qui a été déplacé ou retenu illicitement dans un État membre autre que l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites, les paragraphes 2 à 8 sont d’application.

[...]

3.      Une juridiction saisie d’une demande de retour d’un enfant visée au paragraphe 1 agit rapidement dans le cadre de la procédure relative à la demande, en utilisant les procédures les plus rapides prévues par le droit national.

Sans préjudice du premier alinéa, la juridiction rend sa décision, sauf si cela s’avère impossible en raison de circonstances exceptionnelles, six semaines au plus tard après sa saisine.

[...]

6.      Si une juridiction a rendu une décision de non-retour en vertu de l’article 13 de la convention de La Haye de 1980, cette juridiction doit immédiatement, soit directement soit par l’intermédiaire de son autorité centrale, transmettre une copie de la décision judiciaire de non-retour et des documents pertinents, en particulier un compte rendu des audiences, à la juridiction compétente ou à l’autorité centrale de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites, conformément à ce que prévoit le droit national. La juridiction doit recevoir tous les documents mentionnés dans un délai d’un mois à compter de la date de la décision de non-retour.

7.      À moins que les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites aient déjà été saisies par l’une des parties, la juridiction ou l’autorité centrale qui reçoit l’information visée au paragraphe 6 doit la notifier aux parties et les inviter à présenter des observations à la juridiction, conformément aux dispositions du droit national, dans un délai de trois mois à compter de la date de la notification, afin que la juridiction examine la question de la garde de l’enfant.

Sans préjudice des règles en matière de compétence prévues dans le présent règlement, la juridiction clôt l’affaire si elle n’a reçu dans le délai prévu aucune observation.

8.      Nonobstant une décision de non-retour rendue en application de l’article 13 de la convention de La Haye de 1980, toute décision ultérieure ordonnant le retour de l’enfant rendue par une juridiction compétente en vertu du présent règlement est exécutoire [...] en vue d’assurer le retour de l’enfant. »

12      L’article 19 du règlement no 2201/2003, relatif à la litispendance, prévoit, à ses paragraphes 2 et 3 :

« 2.      Lorsque des actions relatives à la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant, ayant le même objet et la même cause, sont introduites auprès de juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie.

3.      Lorsque la compétence de la juridiction première saisie est établie, la juridiction saisie en second lieu se dessaisit en faveur de celle-ci.

Dans ce cas, la partie ayant introduit l’action auprès de la juridiction saisie en second lieu peut porter cette action devant la juridiction première saisie. »

13      Aux termes de l’article 20 du règlement 2201/2003 :

« 1. En cas d’urgence, les dispositions du présent règlement n’empêchent pas les juridictions d’un État membre de prendre des mesures provisoires ou conservatoires relatives aux personnes ou aux biens présents dans cet État, prévues par la loi de cet État membre même si, en vertu du présent règlement, une juridiction d’un autre État membre est compétente pour connaître du fond.

2.       Les mesures prises en exécution du paragraphe 1 cessent d’avoir effet lorsque la juridiction de l’État membre compétente en vertu du présent règlement pour connaître du fond a pris les mesures qu’elle estime appropriées. »

14      L’article 23 de ce règlement, intitulé « Motifs de non-reconnaissance des décisions en matière de responsabilité parentale », énumère les circonstances dans lesquelles une décision rendue en matière de responsabilité parentale n’est pas reconnue.

15      Conformément à l’article 26 dudit règlement, une décision en matière de responsabilité parentale ne peut en aucun cas faire l’objet d’une révision au fond.

16      Sous le chapitre III, section 2, du règlement 2201/2003, l’article 28 de celui-ci, intitulé « Décisions exécutoires », dispose :

« 1.      Les décisions rendues dans un État membre sur l’exercice de la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant, qui y sont exécutoires et qui ont été signifiées ou notifiées, sont mises en exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée.

[...] »

17      Aux termes de l’article 31 du règlement 2201/2003 :

« 1.      La juridiction saisie de la requête [en déclaration de la force exécutoire] statue à bref délai, sans que ni la personne contre laquelle l’exécution est demandée ni l’enfant ne puissent, à ce stade de la procédure, présenter d’observations.

2.      La requête ne peut être rejetée que pour l’un des motifs prévus aux articles 22, 23 et 24.

3.      En aucun cas, la décision ne peut faire l’objet d’une révision au fond. »

18      L’article 33 du règlement no 2201/2003, intitulé « Recours », dispose :

« 1. L’une ou l’autre partie peut former un recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire.

[...]

3. Le recours est examiné selon les règles de la procédure contradictoire.

[...]

5. Le recours contre la déclaration constatant la force exécutoire doit être formé dans un délai d’un mois à compter de sa signification. Si la partie contre laquelle l’exécution est demandée a sa résidence habituelle dans un État membre autre que celui dans lequel la déclaration constatant la force exécutoire a été délivrée, le délai est de deux mois et court à compter du jour où la signification a été faite à personne ou à domicile. Ce délai ne comporte pas de prorogation à raison de la distance. »

19      Aux termes de l’article 60 du règlement no 2201/2003 :

« Dans les relations entre les États membres, le présent règlement prévaut sur les conventions suivantes dans la mesure où elles concernent des matières réglées par le présent règlement :

[...]

e)       convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. »

 Le droit irlandais

20      Ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑325/18, l’ordonnance 42A du règlement de procédure des juridictions supérieures, insérée par le Statutory Instrument no 9 de 2016 [règlement de procédure des juridictions supérieures (compétence, reconnaissance et exécution des décisions de 2016)] prévoyait, dans sa version initiale de 1989, le sursis automatique à l’exécution de la décision de mise en exécution dans l’attente de l’issue du recours. Toutefois, la règle du sursis automatique n’a pas été jugée appropriée dans les affaires relevant du champ d’application du règlement no 2201/2003. Ladite ordonnance 42A, règle 10, paragraphe 2, sous ii), prévoit désormais que « l’exécution du jugement ou de la décision peut avoir lieu avant l’expiration » du délai de recours en question.

21      Conformément à l’ordonnance 42A, règle 10, paragraphe 2, sous iii), du règlement de procédure des juridictions supérieures, la décision constatant la force exécutoire doit contenir une indication précisant que « l’exécution du jugement ou de la décision peut être suspendue sur demande en justice lorsqu’un recours ordinaire a été formé dans l’État membre d’origine ».

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

22      Les parents concernés, de nationalité britannique, mariés et ayant vécu ensemble au Royaume-Uni, sont arrivés en Irlande le 5 septembre 2017 par ferry avec les trois enfants, dont l’un né deux jours auparavant. Mme E. est la mère des trois enfants et M. E. n’est le père que du plus jeune des trois enfants.

23      Les deux enfants aînés avaient fait l’objet de décisions de placement provisoire prises au Royaume–Uni au mois de juin 2017. Le HCC avait en effet déjà exprimé son inquiétude concernant cette famille, notamment au regard du niveau d’hygiène au sein du foyer, de la capacité des parents à gérer le comportement de leurs enfants, de la violence domestique au cours d’unions antérieures et de problèmes de toxicomanie. Il s’est également avéré qu’un enfant avait été blessé de manière non accidentelle et il ne pouvait être exclu que M. E. soit l’agresseur.

24      Le 8 septembre 2017, en raison des préoccupations des autorités publiques britanniques concernant la sécurité des enfants, la High Court of Justice (England and Wales) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), Royaume-Uni] a émis une ordonnance de mise sous tutelle judiciaire des trois enfants, attribuant les droits de garde au HCC (ci-après l’« ordonnance de mise sous tutelle ») et comprenant un ordre de retour des trois enfants (ci-après l’« ordre de retour »).

25      Le même jour, le HCC avait contacté son homologue irlandais, la Child and Family Agency (Agence pour l’enfance et la famille, Irlande, ci‑après l’« Agence »), lui indiquant son intention de demander à la High Court (England and Wales) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles) une décision de retour des trois enfants. L’Agence a répondu qu’une telle décision devrait être exécutée conformément au règlement no 2201/2003. Plus tard, dans la même journée, le HCC a informé l’Agence que la décision de retour avait été prise le jour même par cette juridiction.

26      Plusieurs visites ont été effectuées au domicile de la famille E., en Irlande, mais l’Agence n’a rien relevé de préoccupant concernant les enfants. Les parents concernés ont indiqué à l’Agence qu’on leur avait recommandé de se rendre en Irlande afin d’échapper aux services sociaux et au placement des trois enfants.

27      L’Agence a informé ces parents qu’elle allait demander une décision de placement provisoire des trois enfants fondée sur les informations transmises par le HCC. Elle les a également informés que le HCC pourrait demander à la High Court (Haute Cour, Irlande) de procéder à la reconnaissance de l’ordre de retour des trois enfants et que si cette demande était accueillie, ces enfants devraient alors retourner au Royaume-Uni.

28      Le 14 septembre 2017, le District Court (tribunal de district, Irlande) a accordé la garde provisoire des trois enfants à l’Agence, qui les a placés en famille d’accueil. Les parents concernés ont consenti à ce placement provisoire sans toutefois en reconnaître le bien-fondé. Une réunion concernant un plan de prise en charge a été organisée par l’Agence avec ces parents. Ils ont été expressément informés que le HCC entendait demander l’exécution de la décision de retour, qui venait d’être prise par la High Court (England and Wales) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles)], au moyen d’une requête non contradictoire introduite devant la High Court (Haute Cour, Irlande) afin que les enfants retournent au Royaume-Uni.

29      Le 21 septembre 2017, la High Court (Haute Cour, Irlande) a adopté une ordonnance conformément au chapitre III du règlement no 2201/2003 reconnaissant l’ordonnance de mise sous tutelle et ordonnant que cette décision « soit exécutée sur ce territoire » (ci-après l’ « ordonnance ex parte »). Le jour même, les trois enfants ont été remis à des travailleurs sociaux du HCC et sont retournés au Royaume-Uni.

30      Les services sociaux du HCC avaient expressément demandé à leurs homologues irlandais de ne pas contacter les parents concernés, estimant qu’il existait un risque de fuite. Ces derniers n’ont donc été prévenus par téléphone qu’ultérieurement, à savoir le jour même du retour des trois enfants et l’ordonnance ex parte ne leur a été formellement signifiée que le lendemain.

31      Ces parents ont tenté de former un recours contre l’ordonnance de mise sous tutelle, mais l’autorisation d’appel leur a été refusée le 9 octobre 2017 par la Court of Appeal (England and Wales) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles)].

32      Le 24 novembre 2017, ils ont introduit, auprès de la High Court (Haute Cour, Irlande), un recours contre l’ordonnance ex parte. Le 18 janvier 2018, ce recours, qui avait été déposé deux jours après l’expiration du délai prévu à l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003, a été rejeté comme étant tardif, au motif que le délai prévu à cette disposition était d’ordre public et que la juridiction saisie n’était pas compétente pour le prolonger. Ils ont introduit un recours contre cette décision devant la juridiction de renvoi.

33      Dans ces conditions, la Court of Appeal (Cour d’appel, Irlande), dans l’affaire C‑325/18, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Lorsqu’il est allégué que des enfants ont été illégalement déplacés, par leurs parents ou par d’autres membres de la famille, du pays de leur résidence habituelle à un autre pays, en violation d’une décision de justice obtenue par une administration publique de cet État, cette administration publique peut-elle demander en justice qu’une décision ordonnant le retour de ces enfants sur ce territoire soit exécutée par les tribunaux d’un autre État membre conformément aux dispositions du chapitre III du règlement [no 2201/2003] ou cette exécution constitue-t-elle un contournement illicite de l’article 11 de ce règlement et de la [convention de La Haye de 1980] ou constitue-t-elle un abus de droit de la part de l’administration concernée ?

2)      Dans une affaire concernant les dispositions en matière d’exécution du règlement no 2201/2003, la juridiction saisie est-elle compétente pour proroger le délai de recours prévu à l’article 33, paragraphe 5, compte tenu du fait que le retard est minime et qu’une prorogation aurait pu, par ailleurs, être octroyée en vertu du droit national ?

3)      Sans préjudice de la deuxième question, lorsqu’une administration publique étrangère soustrait des enfants, comme c’est le cas dans le litige au principal, du territoire d’un État membre sur le fondement d’une décision de mise en exécution prise de façon non contradictoire conformément à l’article 31 du règlement no 2201/2003, mais exécutée avant d’être signifiée aux parents, privant ainsi ces derniers de leur droit de demander un sursis à exécution dans l’attente d’un recours, un tel comportement porte-t-il atteinte au contenu essentiel du droit que les parents tirent de l’article 6 de la [convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950] et de l’article 47 de la Charte de telle sorte qu’une prorogation du délai de recours (prévu à l’article 33, paragraphe 5, de ce règlement) devrait être accordée ? »

34      Les parents concernés ont ensuite introduit une demande en référé devant la juridiction de renvoi afin de suspendre une procédure d’adoption des trois enfants.

35      Le HCC a communiqué son intention de ne procéder qu’à l’adoption du plus jeune enfant, dès lors que les deux autres enfants résident actuellement au Royaume-Uni avec le père de l’un d’entre eux.

36      Le HCC a été désigné comme étant « partie » à l’affaire au principal mais n’a pas participé à cette procédure devant la juridiction de renvoi et n’a pas exercé ses droits d’être entendu devant elle.

37      Dans ces conditions, la Court of Appeal (Cour d’appel, Irlande), dans l’affaire C‑375/18, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le droit de l’Union, notamment les dispositions du [règlement no 2201/2003], s’oppose-t-il à ce qu’une juridiction d’un État membre prononce par une ordonnance de référé (prévoyant des mesures conservatoires) une injonction in personam à l’encontre d’un organisme public d’un autre État membre interdisant à cet organisme d’entamer une procédure pour l’adoption d’enfants devant les tribunaux de cet autre État membre lorsque l’injonction in personam s’avère nécessaire pour protéger les droits des parties à une procédure portant sur l’exécution d’une décision au titre du chapitre III de ce règlement ? »

38      Par décision du président de la Cour du 11 juin 2018, les affaires C‑325/18 et C‑375/18 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

 Sur la procédure préjudicielle d’urgence

39      La juridiction de renvoi a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

40      À l’appui de sa demande, elle souligne le caractère urgent dans l’affaire C‑325/18 eu égard à la procédure d’adoption des enfants qui serait mise en œuvre par le HCC et à laquelle s’oppose la mère des trois enfants. S’agissant du plus jeune enfant, le père de cet enfant s’y oppose également.

41      D’autre part, elle fait valoir que la demande de décision préjudicielle d’urgence, dans l’affaire C‑375/18, résulte d’une procédure en référé qui, à défaut d’enclenchement de la procédure préjudicielle d’urgence par la Cour, serait privée de son effet utile.

42      À cet égard, il y a lieu de relever, en premier lieu, que le présent renvoi préjudiciel porte sur l’interprétation du règlement no 2201/2003 qui a été adopté sur le fondement, notamment, de l’article 61, sous c), CE, devenu article 67 TFUE, lequel figure sous le titre V de la troisième partie du traité FUE, relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Il est, par conséquent, susceptible d’être soumis à la procédure préjudicielle d’urgence.

43      En second lieu, il convient de relever que les affaires en cause au principal concernent trois enfants de moins de six ans, séparés de leur mère depuis près d’un an, et que le HCC a entrepris des démarches au Royaume-Uni en vue de l’adoption du plus jeune enfant.

44      Dans ces conditions, la première chambre de la Cour a décidé, le 11 juin 2018, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi tendant à soumettre le présent renvoi préjudiciel à la procédure préjudicielle d’urgence.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question dans l’affaire C325/18

45      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions générales du chapitre III du règlement no 2201/2003 doivent être interprétées en ce sens que, lorsqu’il est allégué que des enfants ont été déplacés de manière illicite, la décision d’une juridiction de l’État membre dans lequel les enfants avaient leur résidence habituelle, ordonnant le retour de ces enfants, peut être déclarée exécutoire dans l’État membre d’accueil conformément à ces dispositions générales.

46      Cette juridiction demande, en particulier, si le HCC aurait dû épuiser les voies de recours disponibles au titre de la convention de La Haye de 1980 dans l’État membre d’accueil avant de tenter, comme il l’a fait, de faire reconnaître et d’exécuter l’ordonnance de mise sous tutelle, au titre du chapitre III du règlement no 2201/2003.

47      En premier lieu, il convient de constater que, si ce règlement vise, ainsi qu’il ressort de son préambule, à créer un espace judiciaire fondé sur le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires par l’établissement de règles régissant la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de responsabilité parentale alors que la convention a, selon son article 1er, sous a), pour objet d’assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout État contractant, il existe un lien étroit entre ces deux instruments qui ont, en substance, pour objectif commun de dissuader les enlèvements d’enfants entre États et, en cas d’enlèvement, d’obtenir le retour immédiat de l’enfant dans l’État de sa résidence habituelle (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2008, Rinau, C‑195/08 PPU, EU:C:2008:406, points 48 et 52).

48      Il y a lieu de relever que le considérant 17 du règlement no 2201/2003 met en exergue la nature complémentaire de ce règlement en indiquant que celui-ci complète les dispositions de la convention de La Haye de 1980 qui demeure, néanmoins, applicable.

49      L’article 34 de cette convention prévoit en outre qu’elle « n’empêche pas qu’un autre instrument international liant l’État d’origine et l’État requis ni que le droit non conventionnel de l’État requis ne soient invoqués pour obtenir le retour d’un enfant qui a été déplacé ou retenu illicitement ou pour organiser le droit de visite ».

50      L’articulation des deux instruments en question est précisée à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, selon lequel les juridictions d’un État membre doivent appliquer les paragraphes 2 à 8 de cet article à la procédure de retour prévue par la convention de La Haye de 1980.

51      Il y a lieu de constater que ces dispositions n’exigent pas qu’une personne, un organisme ou une autorité, dans le cas où un enlèvement international d’enfant est allégué, s’appuie sur la convention de La Haye de 1980 pour demander le retour immédiat de cet enfant dans l’État de sa résidence habituelle.

52      Cette interprétation est corroborée par l’article 60 du règlement no 2201/2003, dont il ressort que ce règlement prévaut sur la convention de La Haye de 1980 (arrêt du 11 juillet 2008, Rinau, C‑195/08 PPU, EU:C:2008:406, point 54).

53      Ainsi, un titulaire de la responsabilité parentale peut demander la reconnaissance et l’exécution, conformément aux dispositions du chapitre III du règlement no 2201/2003, d’une décision relative à l’autorité parentale et au retour d’enfants, adoptée par une juridiction compétente aux termes du chapitre II, section 2, du règlement no 2201/2003, même s’il n’a pas présenté de demande de retour fondée sur la convention de La Haye de 1980.

54      En deuxième lieu, il convient d’examiner si l’ordre de retour relève du champ d’application matériel de ce règlement, ce que conteste C.E.

55      Il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), du règlement no 2201/2003 que celui-ci s’applique, quelle que soit la nature de la juridiction, aux matières civiles relatives, notamment, à l’attribution, à l’exercice, à la délégation et au retrait total ou partiel de la responsabilité parentale. Dans ce cadre, la notion de « matières civiles » doit être conçue non pas de manière restrictive, mais comme une notion autonome de droit de l’Union couvrant, en particulier, toutes les demandes, les mesures ou les décisions en matière de « responsabilité parentale », au sens dudit règlement, conformément à l’objectif rappelé au considérant 5 de celui-ci (arrêt du 21 octobre 2015, Gogova, C‑215/15, EU:C:2015:710, point 26).

56      L’article 1er, paragraphe 2, sous a) à d), du règlement no 2201/2003 précise que les matières relatives à la responsabilité parentale concernent notamment le droit de garde, la tutelle, la désignation et les fonctions de toute personne ou de tout organisme chargés de s’occuper de la personne ou des biens de l’enfant, de le représenter ou de l’assister ainsi que le placement de l’enfant dans une famille d’accueil ou dans un établissement.

57      La notion de « responsabilité parentale » fait l’objet, à l’article 2, paragraphe 7, du règlement no 2201/2003, d’une définition large, en ce sens qu’elle comprend l’ensemble des droits et des obligations conférés à une personne physique ou à une personne morale sur la base d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur, à l’égard de la personne ou des biens d’un enfant (arrêts du 27 novembre 2007, C, C‑435/06, EU:C:2007:714, point 49, et du 26 avril 2012, Health Service Executive, C‑92/12 PPU, EU:C:2012:255, point 59).

58      Il y a lieu de constater que l’exercice par une juridiction de sa compétence de mise sous tutelle implique l’exercice de droits liés au bien-être et à l’éducation des enfants qui seraient normalement exercés par les parents, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), du règlement no 2201/2003, voire des aspects liés à la tutelle et à la curatelle, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de ce règlement. Ainsi que l’a relevé la juridiction de renvoi, le transfert du droit de garde à une autorité administrative relève également du champ d’application dudit règlement.

59      À cet égard, il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’ordonnance ex parte, adoptée par la High Court (Haute Cour, Irlande) conformément au chapitre III du règlement no 2201/2003, a reconnu l’ordonnance de mise sous tutelle et l’a déclarée exécutoire en Irlande.

60      Il est constant que la demande de retour des trois enfants n’a pas été fondée sur la convention de La Haye de 1980 et que le dispositif de l’ordonnance de mise sous tutelle est composé de plusieurs éléments, dont le placement de ces enfants sous le régime de la tutelle judiciaire et l’ordre de retour. Il apparaît ainsi que ce dernier est consécutif à la décision concernant la responsabilité parentale et indissociable de cette dernière.

61      Il en résulte qu’une décision de mise sous tutelle d’enfants et de retour de ces enfants, telle que celle en cause au principal, dont l’exequatur a été demandé auprès de la High Court (Haute Cour, Irlande), est relative à l’attribution et/ou à l’exercice et/ou à la restriction de la responsabilité parentale, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003 et qu’elle traite des « droits de garde » et/ou de « tutelle », au sens du paragraphe 2 de cet article. Partant, une telle décision relève du champ d’application matériel de ce règlement.

62      Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que les dispositions générales du chapitre III du règlement no 2201/2003 doivent être interprétées en ce sens que, lorsqu’il est allégué que des enfants ont été déplacés de manière illicite, la décision d’une juridiction de l’État membre dans lequel ces enfants avaient leur résidence habituelle, ordonnant le retour desdits enfants et consécutive à une décision concernant la responsabilité parentale, peut être déclarée exécutoire dans l’État membre d’accueil conformément à ces dispositions générales.

 Sur les deuxième et troisième questions dans l’affaire C325/18

63      Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens que, dans une situation telle que celle en cause au principal, il s’oppose à l’exécution d’une décision d’une juridiction d’un État membre qui ordonne la mise sous tutelle et le retour d’enfants et qui est déclarée exécutoire dans l’État membre requis avant qu’il ne soit procédé à la signification de la déclaration constatant la force exécutoire de cette décision aux parents concernés, et si le délai de recours prévu au paragraphe 5 de cet article 33 doit être opposé à la personne à l’encontre de laquelle l’exécution de ladite décision a été demandée.

64      Ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, l’ordonnance 42A, règle 10, paragraphe 2, sous ii), du règlement de procédure des juridictions supérieures prévoit que « l’exécution du jugement ou de la décision peut avoir lieu avant l’expiration » du délai de recours.

65      La Cour a en effet jugé que, afin d’éviter que l’effet suspensif d’un recours formé à l’encontre d’une décision relative à la déclaration de la force exécutoire puisse remettre en cause le bref délai visé à l’article 31 du règlement no 2201/2003, une décision de placement devient exécutoire à partir du moment où la juridiction de l’État membre requis a déclaré, conformément audit article 31, la force exécutoire de cette décision (arrêt du 26 avril 2012, Health Service Executive, C‑92/12 PPU, EU:C:2012:255, point 125). La Cour a dès lors jugé que, afin de ne pas priver le règlement no 2201/2003 de son effet utile, la décision de la juridiction de l’État membre requis relative à la requête en déclaration de la force exécutoire doit être prise avec une célérité particulière sans que les recours portés contre une telle décision de la juridiction de l’État membre requis puissent avoir un effet suspensif (arrêt du 26 avril 2012, Health Service Executive, C‑92/12 PPU, EU:C:2012:255, point 129).

66      Cette affirmation ne préjuge toutefois pas de la question, distincte, de savoir si une décision déclarée exécutoire au stade de la procédure ex parte peut être exécutée avant d’être signifiée.

67      À cet égard, il y a lieu de constater que le libellé de l’article 33 du règlement no 2201/2003 ne permet pas, à lui seul, de répondre aux questions posées.

68      En effet, si cette disposition prévoit que le délai pour introduire un recours contre une décision d’exécution commence à courir à compter de la signification de cette décision, elle ne précise pas si l’exécution peut avoir lieu avant cette signification.

69      Il y a lieu de rappeler à cet égard que l’exigence de signification de la décision d’exequatur a pour fonction, d’une part, de protéger les droits de la partie contre laquelle l’exécution d’une décision est demandée et, d’autre part, de permettre, sur le plan probatoire, une computation exacte du délai de recours rigoureux et impératif prévu à l’article 33 du règlement no 2201/2003 (voir, par analogie, arrêt du 16 février 2006, Verdoliva, C‑3/05, EU:C:2006:113, point 34).

70      Cette exigence de signification, ainsi que la transmission conjointe d’informations relatives au recours, permet d’assurer que la partie contre laquelle l’exécution est demandée bénéficie d’un droit au recours effectif. Ainsi, pour considérer que la partie concernée a été en mesure, au sens de l’article 33 du règlement no 2201/2003, d’exercer un recours contre une décision d’exequatur, elle doit avoir eu connaissance du contenu de cette décision, ce qui suppose que celle-ci lui ait été signifiée ou notifiée (voir, par analogie, arrêt du 14 décembre 2006, ASML, C‑283/05, EU:C:2006:787, point 40).

71      Il ressort à cet égard de la demande de décision préjudicielle que, conformément à l’ordonnance 42A, règle 10, paragraphe 2, sous iii), du règlement de procédure des juridictions supérieures, la décision constatant la force exécutoire doit contenir une indication précisant que « l’exécution du jugement ou de la décision peut être suspendue sur demande en justice lorsqu’un recours ordinaire a été formé dans l’État membre d’origine ».

72      En effet, la possibilité de demander, conformément au droit national, un sursis à l’exécution d’une telle décision constitue une garantie essentielle du droit fondamental à un recours effectif et, de manière plus générale, des droits de la défense, qui peut être octroyée, notamment, si l’exécution d’une décision risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives.

73      Dans ces circonstances, alors que, comme l’a relevé Mme l’avocat général au point 119 de ses conclusions, la personne contre laquelle l’exécution est demandée doit avoir la possibilité de former un recours afin de pouvoir soulever, notamment, l’un des motifs de non-reconnaissance prévus à l’article 23 du règlement, il y a lieu de constater que l’exécution de l’ordre de retour, avant même que l’ordonnance ait été signifiée aux parents concernés, a empêché ces derniers de contester en temps utile la « déclaration constatant la force exécutoire », au sens de l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003, et, en tout état de cause, d’en demander le sursis à exécution.

74      En outre, il y a lieu de relever que, lors de l’audience devant la Cour, le HCC a fait valoir que l’exécution immédiate de la décision était rendue nécessaire par un « risque de fuite en général ». Il convient toutefois de constater que les enfants avaient, dès le 14 septembre 2017, fait l’objet d’un placement en foyer d’accueil en Irlande. Par conséquent, l’exécution de la décision ordonnant leur retour au Royaume-Uni n’apparaît pas avoir été caractérisée par une urgence particulière.

75      Dans ces conditions, il y a lieu de constater que l’exécution d’une décision d’une juridiction d’un État membre, qui ordonne la mise sous tutelle et le retour d’enfants et qui est déclarée exécutoire dans l’État membre requis, avant qu’il ne soit procédé à la signification de la déclaration constatant la force exécutoire de cette décision aux parents concernés est contraire à l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte.

76      La juridiction de renvoi demande également si, dans de telles circonstances, l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003 doit être interprété en ce sens que le délai de recours prévu à cette disposition doit être opposé aux parents concernés.

77      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les délais de prescription remplissent, de façon générale, la fonction d’assurer la sécurité juridique (arrêt du 7 juillet 2016, Lebek, C‑70/15, EU:C:2016:524, point 55 et jurisprudence citée). En outre, il est également conforme à l’intérêt supérieur d’un enfant que les décisions le concernant ne peuvent être contestées qu’au cours d’une période limitée.

78      Dans l’affaire au principal, il n’est pas contesté que la décision d’exéquatur a été effectivement signifiée aux parents concernés.

79      Certes, dès lors que la signification a été effectuée après l’exécution de cette décision, les parents ont été privés de leur droit de demander un sursis à exécution de l’ordre de retour. Toutefois, cette violation de leurs droits de la défense est sans incidence sur le délai de recours ouvert par la signification de cette décision.

80      Dans de telles conditions, le délai de recours prévu à l’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003 ne saurait donc faire l’objet d’une prorogation accordée par la juridiction saisie.

81      Compte tenu des considérations qui figurent au point 74 du présent arrêt, il incombe à la juridiction de renvoi d’examiner si le droit national lui permet de procéder au retrait de la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire, précédemment adoptée.

82      Il convient, dès lors, de répondre aux deuxième et troisième questions que l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens que, dans une situation telle que celle en cause au principal, il s’oppose à l’exécution d’une décision d’une juridiction d’un État membre qui ordonne la mise sous tutelle et le retour d’enfants et qui est déclarée exécutoire dans l’État membre requis, avant qu’il ne soit procédé à la signification de la déclaration constatant la force exécutoire de cette décision aux parents concernés. L’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003 doit être interprété en ce sens que le délai de recours prévu à cette disposition ne peut pas être prorogé par la juridiction saisie.

 Sur la question dans l’affaire C375/18

83      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le règlement no 2201/2003 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, dans une situation telle que celle en cause au principal, à ce qu’une juridiction d’un État membre adopte des mesures conservatoires sous la forme d’une injonction à l’encontre d’un organisme public d’un autre État membre interdisant à cet organisme d’entamer ou de poursuivre, devant les juridictions de cet autre État membre, une procédure d’adoption d’enfants qui y séjournent.

84      Il y a lieu de rappeler que l’article 20 du règlement no 2201/2003 permet aux juridictions qui y sont visées d’octroyer des mesures provisoires ou conservatoires, à condition que ces juridictions ne fondent pas leur compétence, s’agissant de la responsabilité parentale, sur l’un des articles figurant au chapitre II, section 2, de ce règlement (arrêt du 15 juillet 2010, Purrucker, C‑256/09, EU:C:2010:437, point 63).

85      Ces juridictions ne sont autorisées à octroyer des mesures provisoires ou conservatoires qu’à la condition de respecter trois conditions cumulatives, à savoir :

–        les mesures concernées doivent être urgentes ;

–        elles doivent être prises relativement aux personnes ou aux biens présents dans l’État membre où siègent ces juridictions, et

–        elles doivent être de nature provisoire (arrêt du 15 juillet 2010, Purrucker, C‑256/09, EU:C:2010:437, point 77 et jurisprudence citée).

86      Il s’ensuit que toute décision dont il ne ressort pas qu’elle a été adoptée par une juridiction compétente ou prétendument compétente au fond ne relève pas nécessairement de l’article 20 du règlement no 2201/2003, mais relève de cette disposition uniquement lorsqu’elle remplit les conditions prévues par celle-ci (arrêt du 15 juillet 2010, Purrucker, C‑256/09, EU:C:2010:437, point 78). 

87      Or, il y a lieu de constater que la demande d’injonction en cause au principal ne concerne pas des personnes présentes dans l’État membre où siège la juridiction de renvoi et ne remplit donc pas la condition visée au point 84 du présent arrêt.

88      Il s’ensuit qu’une mesure conservatoire telle que l’injonction en cause au principal, demandée à la juridiction d’un État membre à l’encontre d’un organisme public d’un autre État membre interdisant à cet organisme d’entamer ou de poursuivre, devant les juridictions de cet autre État membre, une procédure d’adoption d’enfants qui y séjournent, ne relève pas du champ d’application de l’article 20 du règlement no 2201/2003.

89      Par ailleurs, la juridiction de renvoi cherche à savoir si une telle injonction reviendrait à interdire au HCC de saisir les juridictions anglaises compétentes et s’apparenterait donc à une forme d’anti-suit injunction prohibée par les arrêts du 27 avril 2004, Turner (C‑159/02, EU:C:2004:228), ainsi que du 10 février 2009, Allianz et Generali Assicurazioni Generali (C‑185/07, EU:C:2009:69).

90      La Cour a jugé dans ces arrêts qu’une anti-suit injunction, à savoir une injonction visant à interdire à une personne d’engager ou de poursuivre une procédure devant les juridictions d’un autre État membre, était incompatible avec la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), ainsi qu’avec le règlement no 44/2001, puisqu’une telle injonction ne respecte pas le principe selon lequel chaque juridiction saisie détermine elle-même, en vertu des règles applicables, si elle est compétente pour trancher le litige qui lui est soumis. Une telle ingérence dans la compétence d’une juridiction d’un autre État membre est, par ailleurs, incompatible avec le principe de la confiance mutuelle qui est le fondement de la mise en place d’un système obligatoire de compétence que toutes les juridictions relevant du champ d’application de ces instruments juridiques sont tenues de respecter (arrêts du 27 avril 2004, Turner, C‑159/02, EU:C:2004:228, points 24 et 25 ; du 10 février 2009, Allianz et Generali Assicurazioni Generali, C‑185/07, EU:C:2009:69, points 29 et 30, ainsi que du 13 mai 2015, Gazprom, C‑536/13, EU:C:2015:316, points 33 et 34).

91      En l’occurrence, il y a lieu de considérer, conformément à cette jurisprudence, que le règlement no 2201/2003, en particulier son article 26, ne saurait permettre l’octroi d’une injonction visant à interdire au HCC d’entamer une procédure judiciaire au Royaume-Uni concernant l’adoption des enfants ou à remettre en cause la compétence des juridictions anglaises à cet égard.

92      Toutefois, il convient de constater qu’une injonction telle que demandée par les parents concernés n’aurait, selon les indications fournies par la juridiction de renvoi et ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général aux points 153 et 154 de ses conclusions, pas pour objet ni pour effet d’empêcher le HCC de saisir une juridiction anglaise au regard du même objet que celui du litige pendant devant la juridiction de renvoi, puisqu’une procédure judiciaire d’adoption, entamée ou poursuivie au Royaume-Uni, a un objet et des effets distincts de ceux de la procédure fondée sur le règlement no 2201/2003 concernant le retour des enfants et visant à préserver le droit au recours des parents concernés.

93      De surcroît, selon le libellé-même de l’article 1er, paragraphe 3, sous b), du règlement no 2201/2003, la décision sur cette adoption et les mesures qui la préparent ne relèvent pas du champ d’application du règlement.

94      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la quatrième question que le règlement no 2201/2003 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, dans une situation telle que celle en cause au principal, à ce qu’une juridiction d’un État membre adopte des mesures conservatoires sous la forme d’une injonction à l’encontre d’un organisme public d’un autre État membre interdisant à cet organisme d’entamer ou de poursuivre, devant les juridictions de cet autre État membre, une procédure d’adoption d’enfants qui y séjournent.

 Sur les dépens

95      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1)      Les dispositions générales du chapitre III du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000, doivent être interprétées en ce sens que, lorsqu’il est allégué que des enfants ont été déplacés de manière illicite, la décision d’une juridiction de l’État membre dans lequel ces enfants avaient leur résidence habituelle, ordonnant le retour desdits enfants et consécutive à une décision concernant la responsabilité parentale, peut être déclarée exécutoire dans l’État membre d’accueil conformément à ces dispositions générales.

2)      L’article 33, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, lu à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens que, dans une situation telle que celle en cause au principal, il s’oppose à l’exécution d’une décision d’une juridiction d’un État membre qui ordonne la mise sous tutelle et le retour d’enfants et qui est déclarée exécutoire dans l’État membre requis, avant qu’il ne soit procédé à la signification de la déclaration constatant la force exécutoire de cette décision aux parents concernés. L’article 33, paragraphe 5, du règlement no 2201/2003 doit être interprété en ce sens que le délai de recours prévu à cette disposition ne peut pas être prorogé par la juridiction saisie.

3)      Le règlement no 2201/2003 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, dans une situation telle que celle en cause au principal, à ce qu’une juridiction d’un État membre adopte des mesures conservatoires sous la forme d’une injonction à l’encontre d’un organisme public d’un autre État membre interdisant à cet organisme d’entamer ou de poursuivre, devant les juridictions de cet autre État membre, une procédure d’adoption d’enfants qui y séjournent.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.