Language of document : ECLI:EU:C:2014:2420

ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

4 décembre 2014 (*)

«Renvoi préjudiciel − Aides d’État – Règlement (CE) n° 659/1999 – Article 1er, sous b), v) − Régime d’exonération fiscale en faveur d’entreprises reprenant une entreprise en difficulté – Décision de la Commission déclarant un régime d’aides incompatible avec le marché intérieur − Récupération des aides individuelles octroyées au titre d’un régime d’aides − Appréciation de la validité de la décision de la Commission – Notions d’ʻaide existanteʼ et d’ʻaide nouvelleʼ»

Dans l’affaire C‑202/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour administrative d’appel de Nantes (France), par décision du 13 février 2014, parvenue à la Cour le 23 avril 2014, dans la procédure

Adiamix SAS

contre

Direction départementale des finances publiques de l’Orne,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, président de chambre, M. M. Safjan et Mme A. Prechal (rapporteur), juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. A. Calot Escobar,

considérant les observations présentées:

–        pour Adiamix SAS, par Me M. Karpenschif, avocat,

–        pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues et D. Colas ainsi que par Mme J. Bousin, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. B. Stromsky et T. Maxian Rusche, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur la validité de la décision 2004/343/CE de la Commission, du 16 décembre 2003, concernant le régime d’aide mis à exécution par la France concernant la reprise d’entreprises en difficulté (JO 2004, L 108, p. 38).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Adiamix SAS (ci-après «Adiamix») à la direction départementale des finances publiques de l’Orne au sujet de la récupération d’aides dont a bénéficié cette société.

 Le cadre juridique

3        Le règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO L 83, p. 1), prévoit à son article 1er, intitulé «Définitions»:

«Aux fins du présent règlement, on entend par:

[...]

b)      ‘aide existante’:

      i)      sans préjudice des articles 144 et 172 de l’acte [relatif aux conditions d’adhésion de la République d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 1994, C 241, p. 21, et JO 1995, L 1, p. 1)], toute aide existant avant l’entrée en vigueur du traité dans l’État membre concerné, c’est-à-dire les régimes d’aides et aides individuelles mis à exécution avant, et toujours applicables après, ladite entrée en vigueur;

[...]

      v)      toute aide qui est réputée existante parce qu’il peut être établi qu’elle ne constituait pas une aide au moment de sa mise en vigueur, mais qui est devenue une aide par la suite en raison de l’évolution du marché commun et sans avoir été modifiée par l’État membre. Les mesures qui deviennent une aide suite à la libéralisation d’une activité par le droit communautaire ne sont pas considérées comme une aide existante après la date fixée pour la libéralisation;

c)      ‘aide nouvelle’: toute aide, c’est-à-dire tout régime d’aides ou toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante;

[...]»

4        L’article 14, paragraphe 1, dudit règlement dispose que, en cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission européenne décide que l’État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire.

5        L’article 18 du règlement n° 659/1999 prévoit que, si la Commission parvient à la conclusion qu’un régime d’aides existant n’est pas, ou n’est plus, compatible avec le marché commun, elle adresse à l’État membre concerné une recommandation proposant l’adoption de mesures utiles. Parmi les différents types de mesures utiles énoncées dans cette dernière disposition, ne figure pas la récupération des aides auprès de leurs bénéficiaires.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

6        Les antécédents du litige au principal tels qu’ils ressortent de la décision de renvoi peuvent être résumés comme suit.

7        Adiamix a bénéficié, au titre de l’exercice clos en 2002, de l’exonération d’impôt sur les sociétés prévue à l’article 44 septies du code général des impôts (ci-après le «CGI»), dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 41 de la loi n° 2004-1485, du 30 décembre 2004, de finances rectificative pour 2004 (JORF du 31 décembre 2004, p. 22522).

8        Cette exonération lui a été accordée en raison de la reprise des ateliers «découpe et outillage» exploités par l’entreprise industrielle en difficulté Moulinex à Alençon (France).

9        Aux termes de l’article 1er de la décision 2004/343, «[l]e régime d’aides d’État prévu à l’article 44 septies du [CGI], sous la forme d’un régime d’exonérations fiscales en faveur des entreprises reprenant les actifs d’entreprises en difficulté, mis à exécution par la France en violation de l’article 88, paragraphe 3, [CE], est incompatible avec le marché commun, sans préjudice des articles 2 et 3».

10      Les articles 2 et 3 de ladite décision portent sur les aides octroyées en application dudit régime d’exonérations fiscales, qui sont néanmoins compatibles avec le marché commun dès lors qu’elles remplissent les conditions énoncées par la réglementation de l’Union, en particulier celles en matière d’aides de minimis, de régimes d’aides à finalité régionale ou d’aides en faveur des petites et moyennes entreprises.

11      En vertu des articles 4 et 5 de la même décision, la République française est tenue de supprimer le régime d’aides concerné et de prendre «toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de leurs bénéficiaires les aides octroyées au titre du régime visé à l’article 1er, autres que celles visées aux articles 2 et 3, et illégalement mises à leur disposition» et «[l]a récupération a lieu sans délai, conformément aux procédures du droit national, pour autant qu’elles permettent l’exécution immédiate et effective de la présente décision. Les aides à récupérer incluent des intérêts à partir de la date à laquelle elles ont été mises à la disposition des bénéficiaires, jusqu’à la date de leur récupération».

12      Le 27 novembre 2009, la trésorerie générale de l’Orne a émis, à l’encontre d’Adiamix, un titre de perception portant sur un montant de 1 425 905 euros, correspondant au montant des aides dont elle avait bénéficié, assorti d’intérêts à hauteur de 338 131 euros. Par un nouveau titre émis le 23 juillet 2010, ce titre de perception a été réduit, de sorte qu’il ne porte désormais plus que sur un montant de 832 210 euros.

13      Le tribunal administratif de Caen ayant, par jugement du 8 novembre 2011, rejeté la demande d’Adiamix tendant à l’annulation dudit titre de perception, celle-ci a fait appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Nantes.

14      Selon la juridiction de renvoi, il existait, avant l’adoption par la Commission de sa communication sur l’application des règles relatives aux aides d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises (JO 1998, C 384, p. 3, ci-après la «communication de la Commission du 10 décembre 1998»), un doute sérieux quant à la qualification d’aide d’un régime tel que le régime d’exonération fiscale prévu à l’article 44 septies du CGI dont Adiamix a bénéficié.

15      La juridiction de renvoi indique que ce régime d’exonération fiscale a été introduit au cours de l’année 1988 et que, s’il a été modifié à cinq reprises, aucune de ces modifications n’est de nature, du fait de leur antériorité par rapport à la date d’adoption de la décision 2004/343, soit le 16 décembre 2003, et de leur caractère mineur, à avoir modifié de manière substantielle la portée dudit régime.

16      Ladite juridiction estime qu’il s’ensuit qu’il existe, en l’état du dossier soumis à la Cour, un doute suffisamment sérieux sur le point de savoir si le régime d’exonération fiscale en cause présentait les caractéristiques d’un régime d’aide existant au sens de l’article 1er, sous b), v), du règlement n° 659/1999.

17      Or, si cette qualification d’aide existante devait être retenue, il en découlerait que, conformément à l’article 18 dudit règlement, la récupération de l’aide serait exclue. Partant, cette question, dont dépend la solution du litige, mettrait en cause la légalité de la décision 2004/343.

18      Dans ces conditions, la cour administrative d’appel de Nantes a décidé «de [surseoir] à statuer sur les conclusions de la requête d’Adiamix tendant à l’annulation du titre exécutoire pris à son encontre jusqu’à ce que la Cour se soit prononcée sur la validité, au regard de la qualification de régime d’aide existant, de la décision [2004/343]».

 Sur la question préjudicielle

19      En vertu de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

20      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre du présent renvoi préjudiciel.

21      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la décision 2004/343 doit être considérée comme invalide au motif que, par cette décision, la Commission a ordonné la récupération des aides mises à disposition en vertu du régime d’exonération fiscale en cause au principal, alors que ce régime devrait être qualifié de régime d’aide existant, ce qui exclurait une telle récupération.

22      En premier lieu, il est constant que le régime d’exonération fiscale en cause au principal ne saurait être considéré comme étant un régime d’aide existant au sens de l’article 1er, sous b), i), du règlement n° 659/1999, dès lors que ce régime a été mis à exécution au cours de l’année 1988, donc bien après l’entrée en vigueur du traité dans la République française le 1er janvier 1958.

23      En second lieu, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 1er, sous b), v), du règlement n° 659/1999, est réputée existante une aide qui ne constituait pas une aide au moment de sa mise en vigueur, mais qui est devenue une aide par la suite en raison de l’évolution du marché commun et sans avoir été modifiée par l’État membre.

24      La juridiction de renvoi considère que la communication de la Commission du 10 décembre 1998 constitue une telle évolution du marché commun.

25      Ce point de vue ne saurait être retenu.

26      En effet, la notion d’évolution du marché commun peut être comprise comme une modification du contexte économique et juridique dans le secteur concerné par la mesure en cause, et ne vise pas, par exemple, l’hypothèse dans laquelle la Commission change son appréciation sur le fondement d’une application plus rigoureuse des règles en matière d’aides d’État (arrêt Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P, EU:C:2009:742, point 71).

27      Plus généralement, la notion d’aide d’État, existante ou nouvelle, dès lors qu’elle répond à une situation objective, ne saurait dépendre du comportement ou des déclarations des institutions (arrêt Commission/Irlande e.a., EU:C:2009:742, point 72).

28      Eu égard à cette jurisprudence, la communication de la Commission du 10 décembre 1998 ne constitue manifestement pas une «évolution du marché commun» qui aurait eu pour résultat que le régime d’exonération fiscale en cause au principal serait devenu une aide, alors qu’il n’aurait pas constitué une aide au moment de sa mise en vigueur au cours de l’année 1988.

29      En effet, si la décision 2004/343 a été adoptée dans le cadre de cette communication, il n’en demeure pas moins que les règles sur le fondement desquelles la Commission a retenu la qualification d’aide dans cette décision n’ont subi aucune modification après la mise en vigueur du régime d’exonération fiscale en cause au principal, dès lors que cette qualification a été opérée en appliquant les critères prévus à l’article 87, paragraphe 1, CE.

30      Or, l’objectif de la communication de la Commission du 10 décembre 1998 se limite à clarifier et à renforcer l’application de ces règles en matière d’aides d’État dans le secteur des mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises.

31      Dans ces conditions, un régime d’aide tel que celui en cause au principal ne saurait être qualifié de régime d’aide existant, de sorte que la décision 2004/343 ne saurait être considérée comme invalide, en ce que, par celle-ci, la Commission a ordonné la récupération des aides mises à disposition.

32      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’examen de la question posée n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la décision 2004/343.

 Sur les dépens

33      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit:

L’examen de la question posée n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la décision 2004/343/CE de la Commission, du 16 décembre 2003, concernant le régime d’aide mis à exécution par la France concernant la reprise d’entreprises en difficulté.

Signatures


* Langue de procédure: le français.