Language of document : ECLI:EU:C:2005:275

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

10 mai 2005(*)

«Recours en annulation – Aides d’État – Mesures à l’égard d’entreprises de transport maritime – Contrats de service public – Absence d’aide, aide existante ou aide nouvelle – Ouverture de la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE – Obligation de suspension»

Dans l’affaire C-400/99,

ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 230 CE, introduit le 18 octobre 1999,

République italienne, représentée initialement par M. U. Leanza, puis par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agents, assistés de MM. P. G. Ferri et M. Fiorilli, avvocati dello Stato, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme E. De Persio ainsi que par MM. D. Triantafyllou et V. Di Bucci, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, et A. Rosas, présidents de chambre, MM. J.-P. Puissochet (rapporteur) et R. Schintgen, Mme N. Colneric et MM. S. von Bahr et J. N. Cunha Rodrigues, juges,

avocat général: Mme C. Stix-Hackl,

greffier: R. Grass,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 juin 2004,

rend le présent

Arrêt

1       Par sa requête, la République italienne demande l’annulation de la décision de la Commission des Communautés européennes, notifiée par lettre SG(99) D/6463, du 6 août 1999, d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, concernant l’aide d’État C 64/99 (ex NN 68/99) – Italie – accordée aux entreprises du Gruppo Tirrenia di Navigazione (JO C 306, p. 2, ci‑après la «décision attaquée»), en tant que cette décision statue sur la suspension de l’aide en cause.

 Les faits et la procédure

2       Ayant reçu des plaintes selon lesquelles les autorités italiennes accordaient des aides d’État non autorisées aux services intérieurs de transport par bac exploités par les entreprises du Gruppo Tirrenia di Navigazione (ci‑après le «groupe Tirrenia»), les services de la Commission ont interrogé les autorités italiennes à ce sujet par lettre du 12 mars 1999.

3       Cette demande de renseignements portait en particulier sur les obligations de service public pesant sur les entreprises du groupe Tirrenia et sur les conditions de détermination du surcoût découlant de ces obligations et de compensation de celui‑ci.

4       Après différents échanges avec les autorités italiennes, la Commission a estimé qu’il existait des doutes sérieux sur la compatibilité avec le marché commun de mesures susceptibles de constituer des aides d’État au profit d’entreprises du groupe Tirrenia. Aussi, par la décision attaquée, a‑t‑elle ouvert à l’égard de ces aides présumées la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE. Dans ce cadre, la Commission a traité les mesures en cause comme des aides nouvelles ou des modifications d’aides existantes, au sens de l’article 88, paragraphe 3, CE (ci‑après les «aides nouvelles») et non comme des aides existantes, au sens de l’article 88, paragraphe 1, CE (ci‑après les «aides existantes»). Elle a ensuite notifié cette décision aux autorités italiennes.

5       Dans la partie de ladite décision intitulée «Conclusions», la Commission a indiqué notamment qu’elle se réservait le droit de demander aux autorités italiennes de suspendre le paiement de toute aide dépassant le supplément net des coûts liés à la fourniture des services d’intérêt économique général. Elle a ensuite invité les autorités italiennes à confirmer dans les dix jours ouvrables la suspension de ce paiement, puis a exposé que, si les aides versées en excédent n’étaient pas suspendues et que le montant suspendu n’était pas justifié, elle pourrait adresser aux autorités italiennes une injonction en ce sens. La Commission a précisé que la suspension était nécessaire pour limiter l’impact des distorsions de concurrence, mais qu’elle n’impliquait pas la suspension des services eux‑mêmes, qui pourraient continuer à être assurés selon des modalités conformes au droit communautaire. Elle a notamment attiré l’attention des autorités italiennes sur l’effet suspensif de l’article 88, paragraphe 3, CE, ainsi que sur la lettre envoyée aux États membres le 22 février 1995 dans laquelle elle avait indiqué que toutes les aides accordées illégalement pouvaient être récupérées auprès du bénéficiaire.

6       Le 18 octobre 1999, la République italienne a introduit le présent recours tendant à l’annulation de la décision attaquée «dans la partie où elle statue sur la suspension [des] aides déclarées illégales».

7       Le 19 octobre 1999, Tirrenia di Navigazione SpA, Adriatica di Navigazione SpA, Caremar SpA, Toremar SpA, Siremar SpA et Saremar SpA, sociétés du groupe Tirrenia, ont déposé au greffe du Tribunal de première instance des Communautés européennes une requête, enregistrée sous le numéro T‑246/99, tendant à l’annulation de la décision attaquée dans son ensemble.

8       Par acte séparé déposé au greffe de la Cour le 25 novembre 1999, la Commission a, sur le fondement de l’article 91, paragraphe 1, du règlement de procédure, demandé à la Cour de déclarer le non‑lieu à statuer ou de faire droit à une exception d’irrecevabilité sans engager le débat au fond.

9       Par l’arrêt du 9 octobre 2001, Italie/Commission (C‑400/99, Rec. p. I‑7303, ci‑après l’«arrêt interlocutoire»), la Cour a rejeté cette demande et la procédure s’est poursuivie au fond. En substance, dans cet arrêt, la Cour a jugé le recours recevable au motif que la Commission a qualifié les mesures en cause d’aides nouvelles illégalement mises en œuvre, alors que le gouvernement italien soutient, pour certaines d’entre elles, qu’il s’agit d’aides existantes légalement versées, et pour d’autres, qu’elles ne comportent pas d’éléments d’aide, ce qui impliquerait que ces mesures n’ont pas à être suspendues, contrairement à ce qui résulte de la décision attaquée. Compte tenu de ce contexte, la Cour a estimé que ladite décision avait des effets juridiques autonomes et qu’elle constituait par conséquent un acte attaquable. Pour le détail de l’analyse qui a conduit la Cour à cette conclusion, il est renvoyé à l’arrêt interlocutoire.

10     Par ordonnance du 25 mars 2003, le Tribunal a, en ce qui le concerne, en application de l’article 54, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice, suspendu la procédure pendante devant lui dans l’affaire T‑246/99 jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour dans la présente affaire.

11     Entre-temps, la Commission a clôturé la procédure ouverte par la décision attaquée à l’égard des mesures accordées à l’une des entreprises du groupe Tirrenia, à savoir la compagnie maritime Tirrenia di Navigazione SpA, dans le cadre du régime découlant d’une convention, conclue avec l’État italien en 1991, relative aux obligations de service public de cette entreprise [décision du 21 juin 2001, concernant les aides d’État versées par l’Italie à la compagnie maritime Tirrenia di Navigazione (JO L 318, p. 9, ci-après la «décision du 21 juin 2001»)]. La Commission a déclaré compatibles avec le marché commun les financements versés dans ce cadre à titre de compensations de service public du 1er janvier 1990 au 31 décembre 2000 et a autorisé sous conditions les mêmes types de financements pour la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2004. Toutefois, par cette décision, la Commission a maintenu la qualification d’aides nouvelles donnée à ces mesures et déjà retenue dans la décision attaquée, et qui est contestée dans le présent recours par la République italienne.

12     Par une seconde décision adoptée après la fin de la procédure écrite dans la présente affaire, la Commission a clôturé la procédure ouverte par la décision attaquée à l’égard des autres entreprises du groupe Tirrenia [décision 2005/163/CE de la Commission, du 16 mars 2004, concernant les aides d’État versées par l’Italie aux compagnies maritimes Adriatica, Caremar, Siremar, Saremar et Toremar (Gruppo Tirrenia) (JO 2005 L 53, p. 29)]. La Commission a déclaré compatible avec le marché commun l’essentiel des financements octroyés à titre de compensations de service public à ces entreprises à partir du 1er janvier 1992 et a soumis à certaines conditions la poursuite de leur versement à partir de 2004. La Commission a toutefois déclaré incompatible avec le marché commun des financements octroyés à l’entreprise Adriatica pour une liaison maritime entre janvier 1992 et juillet 1994 et fait supprimer à compter du 1er septembre 2004 un financement accordé à l’entreprise Caremar pour une liaison rapide de transports de passagers. Dans cette seconde décision de clôture, la Commission a également maintenu la qualification d’aides nouvelles donnée à l’ensemble des mesures évoquées ci-dessus, déjà retenue dans la décision attaquée.

 Les conclusions des parties

13     La République italienne conclut à:

–       l’annulation de la lettre de la Commission du 6 août 1999 «dans la partie où elle statue sur la suspension des aides déclarées illégales»;

–       la condamnation de la Commission aux dépens.

14     La Commission conclut:

–       à ce que la Cour déclare que le recours est devenu sans objet pour la partie de la décision attaquée concernant les aides à Tirrenia di Navigazione;

–       pour le reste, au rejet du recours;

–       à la condamnation de la requérante aux dépens.

 Sur les conclusions à fin de non-lieu à statuer

15     Dans sa duplique, la Commission soutient que le recours est devenu sans objet en tant qu’il concerne les aides à Tirrenia di Navigazione SpA. La décision du 21 juin 2001 n’ayant pas été attaquée à l’expiration des délais de recours, il serait désormais définitivement établi que, bien que compatibles avec le marché commun, les mesures prises au bénéfice de cette compagnie constituaient des aides illégales, à savoir des aides nouvelles mises en œuvre sans l’autorisation préalable requise par l’article 88, paragraphe 3, CE. À leur égard, la décision attaquée aurait perdu tout effet juridique autonome et le gouvernement italien n’aurait plus d’intérêt à en obtenir l’annulation.

16     L’argument de la Commission doit être rejeté.

17     Certes, dans sa décision du 21 juin 2001 clôturant partiellement la procédure ouverte par la décision attaquée, la Commission a confirmé son appréciation préliminaire selon laquelle les subventions versées à Tirrenia di Navigazione SpA au titre de ses obligations de service public constituaient des aides nouvelles, telles que visées à l’article 88, paragraphe 3, CE, et cette décision, qui n’a pas été attaquée dans les délais de recours, est devenue définitive. Toutefois, le recours porté contre la décision attaquée vise en substance à faire juger que les mesures dont la Commission a demandé la suspension dans cette décision n’avaient pas à être suspendues dans l’attente de la ou des décisions clôturant la procédure ouverte par la décision attaquée. Or, une telle question ne relève pas de l’objet d’une décision de clôture de la procédure tel qu’il résulte de l’article 88, paragraphe 2, premier alinéa, CE, ainsi que des articles 7, paragraphes 2 à 5, et 14 du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1, ci-après, le «règlement ‘procédure aides d’État’»).

18     Il résulte de ce qui précède que le recours conserve entièrement son objet.

 Sur le fond

19     Le gouvernement italien avance en substance quatre moyens d’annulation. Il soutient en premier lieu que la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation. En deuxième lieu, la Commission n’aurait pas mis les autorités italiennes en mesure de présenter des observations préalablement à l’adoption de la décision attaquée. En troisième lieu, elle aurait commis un détournement de pouvoir. En dernier lieu, la décision attaquée méconnaîtrait les articles 87, paragraphe 1, CE et 88, paragraphes 1 et 3, CE, pour différents motifs.

 Sur la motivation

 Argumentation des parties

20     Le gouvernement italien reproche à la Commission d’avoir omis de se référer, dans l’acte attaqué, au règlement «procédure aides d’État» alors que ce dernier était déjà entré en vigueur.

21     La Commission rétorque que la base juridique d’une décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, telle que la décision attaquée, figure directement dans le traité CE et que le règlement «procédure aides d’État» n’avait donc pas à être visé.

 Appréciation de la Cour

22     L’article 253 CE stipule, notamment, que les décisions adoptées par la Commission sont motivées. L’obligation de motiver une décision faisant grief a pour but de permettre à la Cour d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est entachée d’un vice permettant d’en contester la légalité (voir, notamment, arrêt du 26 novembre 1981, Michel/Parlement, 195/80, Rec. p. 2861, point 22).

23     En l’espèce, l’absence de mention dans la décision attaquée du règlement «procédure aides d’État» ou de certaines de ses dispositions ne pourrait le cas échéant constituer un défaut de motivation que si la Commission avait fait application de dispositions de ce règlement ne découlant pas directement du traité. Il y a lieu d’observer à cet égard que ce règlement est dans une assez large mesure une codification détaillée de l’interprétation des dispositions procédurales du traité relatives aux aides d’État donnée par le juge communautaire antérieurement à l’adoption de ce règlement.

24     En l’occurrence, la décision attaquée ne met en œuvre aucune disposition de procédure relative au contrôle des aides d’État qui ne découle directement du traité. Par cette décision, la Commission a mis en demeure les autorités italiennes de présenter leurs observations sur les mesures qui y sont visées, en application de l’article 88, paragraphe 2, CE, et a formulé cette mise en demeure en qualifiant provisoirement ces dernières d’aides nouvelles, impliquant ainsi leur suspension dans la mesure précisée dans ladite décision (voir arrêts du 30 juin 1992, Espagne/Commission, C‑312/90, Rec. p. I‑4117, point 17, et Italie/Commission, C‑47/91, Rec. p. I‑4145, point 25, ainsi que arrêt interlocutoire, point 56). Aucune procédure ni aucun effet juridique découlant de cette décision ne sont fondés sur une disposition novatrice du règlement «procédure aides d’État».

25     Le moyen tiré d’un défaut de motivation de la décision attaquée doit donc être écarté.

 Sur le moyen tiré de ce que le gouvernement italien n’a pas été mis en mesure de présenter des observations

 Argumentation des parties

26     Le gouvernement italien soutient que la Commission aurait dû le mettre en mesure de présenter ses observations avant de prendre la décision attaquée, laquelle implique la suspension de certains versements. Il estime que l’absence d’une telle démarche est particulièrement grave, s’agissant de deux types de mesures concernées par la décision attaquée, à savoir des mesures d’accompagnement du projet industriel du groupe Tirrenia pour la période 1999-2002 et des mesures fiscales relatives à l’approvisionnement en carburant et en huile de graissage qui n’auraient jamais été évoquées avec les autorités italiennes avant d’être visées par la décision attaquée.

27     La Commission rappelle que cette décision ne comporte pas d’injonction de suspendre les mesures en cause. Les dispositions de l’article 11, paragraphe 1, du règlement «procédure aides d’État», invoquées par le gouvernement italien dans sa requête et qui imposent de recueillir les observations de l’État membre concerné avant d’arrêter une telle injonction, n’avaient donc, selon elle, pas à s’appliquer. En revanche, la décision attaquée comporterait précisément une invitation à formuler des observations sur une éventuelle injonction de suspension ultérieure.

28     La Commission ajoute que dans le cas d’aides nouvelles non notifiées et mises à exécution (aides «illégales» visées au chapitre III du règlement «procédure aides d’État»), la décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, ne doit pas être précédée d’une correspondance avec l’État membre concerné. En effet, l’article 10, paragraphe 2, de ce règlement permettrait certes à la Commission de demander préalablement des renseignements audit État, mais ne l’y obligerait pas. L’article 13, paragraphe 1, dudit règlement autoriserait l’ouverture de ladite procédure sans imposer la moindre obligation préalable.

 Appréciation de la Cour

29     Compte tenu des conséquences juridiques d’une décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, en qualifiant provisoirement les mesures visées d’aides nouvelles alors que l’État membre concerné est susceptible de ne pas souscrire à cette qualification (voir arrêt interlocutoire, points 59 et 60), la Commission doit aborder au préalable les mesures en cause avec l’État membre concerné, afin que celui‑ci ait l’occasion d’indiquer, le cas échéant, à celle-ci que, selon lui, lesdites mesures ne constituent pas des aides ou qu’elles constituent des aides existantes.

30     Les articles 10 et 13 du règlement «procédure aides d’État» invoqués par la Commission sont compatibles avec cette exigence. Ainsi, à l’article 10, qui vise la situation où la Commission possède des informations concernant une aide prétendue illégale, quelle qu’en soit la source, les termes «le cas échéant», utilisés au paragraphe 2, qui introduisent la phrase «[le cas échéant la Commission] demande à l’État membre concerné de lui fournir des renseignements», réservent les cas où la Commission a déjà abordé de manière adéquate la mesure en cause avec ledit État membre, par exemple si c’est lui-même qui a informé la Commission de l’existence de cette mesure. Ils ne signifient pas que la Commission peut se dispenser d’aborder une mesure avec l’État membre en cause avant d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, à son égard. De même, l’article 13, qui indique que l’examen d’une éventuelle aide illégale peut déboucher sur une décision d’ouvrir ladite procédure, ne dispense pas la Commission d’aborder la mesure en cause avec l’État membre concerné préalablement à l’adoption d’une telle décision.

31     En l’espèce, la Commission n’a pas abordé avec les autorités italiennes le régime fiscal dont le groupe Tirrenia aurait bénéficié pour l’approvisionnement en carburant et en huile de graissage de ses navires avant d’adopter la décision attaquée, laquelle a supposé la suspension au moins partielle de ce régime. Si la Commission l’avait fait, les autorités italiennes auraient pu d’emblée faire valoir des éléments visant à démontrer qu’il ne devait pas être suspendu en tant qu’aide illégale. Il y a lieu de relever à cet égard, que dans la décision de clôture partielle de la procédure du 21 juin 2001 concernant Tirrenia di Navigazione, la Commission a donné acte aux autorités italiennes qu’elles avaient étendu le régime à tous les navires immobilisés dans un port pour des opérations de maintenance à compter d’une décision du 2 mars 1996, donc antérieurement à la décision attaquée.

32     S’agissant en revanche du plan industriel du groupe Tirrenia pour la période 1999-2002, il ressort du dossier que, dans sa demande de renseignements formulée par lettre du 12 mars 1999, la Commission a abordé le mécanisme des plans économiques pluriannuels que le groupe Tirrenia doit présenter aux autorités italiennes. Dès lors, si un nouveau plan, ou des mesures venant en complément d’un plan précédent, étaient en voie de préparation, puis étaient présentées par le groupe pendant la phase préliminaire d’examen des mesures visées par ladite lettre, les autorités italiennes pouvaient s’attendre à ce que ce nouveau plan ou ces compléments soient inclus dans le champ d’une éventuelle décision d’ouverture de la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE. Elles auraient pu d’elles-mêmes en informer la Commission en faisant le cas échéant valoir des éléments propres à éviter leur inclusion dans une telle décision en tant qu’aides nouvelles présumées.

33     S’agissant des subventions versées au groupe Tirrenia au titre de ses obligations de service public, il ressort du dossier que ces mesures ont été abordées tant par les services de la Commission que par les autorités italiennes, dans la demande de renseignements de la Commission du 12 mars 1999, dans la réponse qu’y ont apporté les autorités italiennes, et au cours d’une réunion bilatérale, toutes antérieures à l’adoption de la décision attaquée. À leur égard, le gouvernement italien ne peut donc pas non plus faire valoir qu’il n’a pas été mis en mesure de présenter d’éléments pertinents avant l’adoption de la décision attaquée.

34     La décision attaquée doit ainsi être annulée en tant qu’elle a impliqué la suspension du régime fiscal appliqué au groupe Tirrenia pour l’approvisionnement en carburant et en huile de graissage de ses navires.

35     À ce stade du présent arrêt, l’analyse qui suit ne porte donc plus que sur les subventions versées aux entreprises du groupe Tirrenia au titre de leurs obligations de service public, dont le gouvernement italien soutient que, si ces subventions comportent des éléments d’aide, elles constituent en tout état de cause des aides existantes, ainsi que sur le plan industriel du groupe Tirrenia pour la période 1999-2002.

 Sur le détournement de pouvoir

 Argumentation des parties

36     Le gouvernement italien estime que la décision attaquée, qualifiant les mesures en cause d’aides illégales et impliquant leur suspension, ne comporte pas une motivation justifiant cette qualification. La seule motivation relative à la suspension serait liée au préjudice que la poursuite de la mise en œuvre desdites mesures causerait aux entreprises concurrentes de Tirrenia, mais négligerait de démontrer qu’il s’agit d’aides, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, et d’aides nouvelles. La Commission aurait ainsi uniquement pris une décision de suspension par précaution, pour le cas où les mesures visées seraient effectivement des aides nouvelles illégales, mais cette décision ne serait nullement fondée sur un examen suffisant permettant d’arriver à cette conclusion.

37     La Commission souligne à cet égard que la décision attaquée ne contient pas d’injonction de suspension qui aurait nécessité une démonstration de l’existence d’aides illégales. Elle n’exprimerait que des doutes sur l’existence d’aides, sur leur caractère illégal et sur leur compatibilité avec le marché commun. Les considérations relatives aux éventuels préjudices que les mesures en cause pourraient entraîner pour des concurrents du groupe Tirrenia seraient seulement liées à l’éventualité d’une injonction de suspension ultérieure, sur laquelle les autorités italiennes étaient invitées à se prononcer.

 Appréciation de la Cour

38     La notion de détournement de pouvoir se réfère au fait, pour une autorité administrative, d’avoir usé de ses pouvoirs dans un but autre que celui en vue duquel ils lui ont été conférés (voir, notamment, arrêt du 4 février 1982, Buyl e.a./Commission, 817/79, Rec. p. 245, point 28). Une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise à une telle fin (voir notamment arrêt du 5 mai 1966, Gutmann, 18/65 et 35/65, Rec. p. 149, 170).

39     Tel n’est pas le cas en l’espèce. Ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt interlocutoire, la suspension de mesures en cours d’exécution que la Commission qualifie d’aides nouvelles dans une décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, découle directement de cette qualification, en liaison avec les dispositions de l’article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE. Dès lors, le détournement de pouvoir n’aurait pu être établi que s’il avait été démontré que la Commission avait délibérément qualifié d’aides nouvelles des mesures dont elle ne pouvait douter qu’il s’agissait d’aides existantes, soumises au régime de contrôle prévu à l’article 88, paragraphe 1, CE, ou de mesures n’entrant même pas dans le champ d’application des articles 87 CE et 88 CE, c’est‑à‑dire s’il avait été démontré que la Commission avait voulu délibérément obtenir à bref délai la suspension de mesures dont elle ne pouvait douter qu’elles pouvaient encore être légalement exécutées, tout au moins jusqu’à la clôture de la procédure.

40     Or, à la date d’adoption de la décision attaquée et compte tenu des informations dont disposait alors la Commission, il n’apparaissait pas indubitablement que des subventions versées au groupe Tirrenia dépassant le supplément net des coûts liés à la fourniture des services d’intérêt économique général, objet de la suspension découlant de ladite décision, constituaient soit des aides existantes, au sens précité, soit des mesures ne comportant pas d’éléments d’aides.

41     Le moyen tiré d’un détournement de pouvoir n’est par conséquent pas fondé.

 Sur la violation des articles 87, paragraphe 1, CE et 88, paragraphes 1 et 3, CE

 Argumentation des parties

42     Le gouvernement italien souligne que, dans la décision attaquée, la Commission indique qu’il n’est pas possible, à ce stade, de se prononcer sur l’existence d’éléments d’aide. Un tel degré d’incertitude ne permettrait pas d’ouvrir une procédure impliquant la suspension des mesures en cause. À cet égard, le gouvernement italien se réfère à l’arrêt de la Cour du 5 octobre 1994, Italie/Commission (C‑47/91, Rec. p. I‑4635) dans lequel, s’agissant de la question de la conformité d’aides individuelles à une décision d’approbation d’un régime d’aides, la Cour a dit pour droit:

«33      […] [l’article 88, paragraphe 3, CE] n’habilitant la Commission à ordonner que la suspension du versement d’aides nouvelles, il ne suffit pas qu’elle ait de simples doutes sur la conformité d’aides individuelles avec sa décision d’approbation [d’un] régime d’aides.

34      Si la Commission a des doutes sur la conformité d’aides individuelles avec sa décision d’approbation [d’un] régime d’aides, il lui incombe d’enjoindre à l’État membre concerné de lui fournir, dans le délai qu’elle fixe, tous les documents, informations et données nécessaires pour se prononcer sur la conformité de l’aide litigieuse avec sa décision d’approbation du régime d’aides.»

43     En outre, selon le gouvernement italien, la Commission aurait admis, dans la décision attaquée, que les aides nécessaires pour couvrir les surcoûts de service public, versées au titre de contrats de service public existant avant l’entrée en vigueur du règlement (CEE) n° 3577/92 du Conseil, du 7 décembre 1992, concernant l’application du principe de libre circulation des services aux transports maritimes à l’intérieur des États membres (cabotage maritime) (JO L 364, p. 7), sont autorisées au titre de l’article 4, paragraphe 3, de ce règlement, lequel dispose que «les contrats de service public existants peuvent rester en vigueur jusqu’à leur date d’expiration».

44     À cet égard, le gouvernement italien indique que tout ce qui est versé aux entreprises du groupe Tirrenia en contrepartie de leurs missions de service public est prévu par les contrats de service public conclus le 30 juillet 1991 entre le ministère des Transports et lesdites entreprises, que la Commission a reçu communication de ces contrats dès 1991 et qu’un certain nombre d’éléments sur le sujet lui ont été transmis entre 1991 et 1997. Il souligne dans sa réplique que les éventuelles aides ont ainsi été mises en œuvre avant la libéralisation instaurée par le règlement n° 3577/92, les éléments essentiels des obligations de service public et des compensations s’y rapportant étant même antérieurs au traité de Rome, et que, en tout état de cause, la Commission, ayant reçu communication desdits contrats, aurait explicitement ou implicitement autorisé lesdites aides. Par conséquent, si des versements effectués au profit d’entreprises du groupe Tirrenia devaient être qualifiés d’aides d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, ils constitueraient en toute hypothèse des aides existantes.

45     Or, selon le gouvernement italien, la Commission a ignoré les éléments qui lui ont été communiqués entre 1991 et 1997 pour déterminer si elle était en présence d’aides existantes ou d’aides nouvelles. La Commission aurait d’emblée choisi, sans justification, de se placer dans la seconde hypothèse.

46     La Commission expose que le fait d’exprimer des incertitudes sur l’existence d’éléments d’aide dans les mesures examinées est habituel dans le cadre d’une décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE. Elle indique que, dans la décision attaquée, elle n’a en revanche émis aucun doute quant au caractère nouveau des mesures en cause, car dans leur correspondance antérieure à l’adoption de cette décision, les autorités italiennes n’auraient nullement soutenu qu’il s’agissait d’aides existantes. Par conséquent, la situation ne serait pas comparable à celle ayant donné lieu à l’arrêt Italie/Commission, précité.

 Appréciation de la Cour

47     Ainsi que la Cour l’a jugé d’une façon constante, quand la Commission examine des mesures d’aides au regard de l’article 87 CE pour déterminer si elles sont compatibles avec le marché commun, elle est tenue d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, lorsque, après la phase d’examen préliminaire, elle n’a pu écarter toutes les difficultés empêchant de conclure à la compatibilité de ces mesures avec le marché commun (arrêt du 20 mars 1984, Allemagne/Commission, 84/82, Rec. p. 1451, point 13). Les mêmes principes doivent naturellement s’appliquer lorsque la Commission conserve aussi des doutes sur la qualification même d’aide, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, de la mesure examinée. On ne saurait donc reprocher à la Commission d’ouvrir ladite procédure même lorsqu’elle exprime dans la décision prise à cet effet des doutes sur le caractère d’aides, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, des mesures en faisant l’objet.

48     Cependant, compte tenu des conséquences juridiques de l’ouverture de la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, en ce qui concerne des mesures traitées en tant qu’aides nouvelles, lorsque l’État membre concerné allègue que ces mesures ne constituent pas des aides, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, la Commission doit procéder à un examen suffisant de la question sur la base des informations qui lui ont été communiquées à ce stade par ledit État, même si cet examen débouche sur une appréciation non définitive. Dans le cadre du principe de coopération loyale entre États membres et institutions tel qu’il découle de l’article 10 CE, et afin de ne pas retarder la procédure, il appartient de son côté à l’État membre qui estime que les mesures en cause ne constituent pas des aides, de fournir au plus tôt à la Commission, à partir du moment où elle le saisit de ces mesures, les éléments motivant cette position. Si ces éléments permettent de dissiper les doutes dans le sens d’une absence d’éléments d’aide dans les mesures examinées, la Commission ne peut pas ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE. En revanche, si ces éléments ne permettent pas d’écarter les doutes sur l’existence d’éléments d’aide et s’il existe également des doutes sur leur compatibilité avec le marché commun, la Commission doit alors ouvrir ladite procédure.

49     En l’espèce, il ressort du dossier que, en réponse à la première demande de renseignements de la Commission, les autorités italiennes ont soutenu que les subventions découlant des contrats de service public conclus avec les entreprises du groupe Tirrenia en 1991 ne constituaient pas des aides d’État. Toutefois, en l’absence de possibilité de vérification, à ce stade, de l’adéquation des subventions aux surcoûts résultant des obligations de service public, il était légitime pour la Commission de conserver des doutes sur l’existence d’éléments d’aide dans ces subventions. Au demeurant, la Commission n’a évoqué la suspension de ces subventions que pour autant qu’elles dépasseraient le supplément net des coûts liés à la fourniture des services d’intérêt économique général. Dans le cadre du présent recours, le gouvernement italien a d’ailleurs indiqué qu’il n’estimait pas nécessaire de prendre position sur l’applicabilité de l’article 87 CE à ses rapports avec le groupe Tirrenia en tant que ce dernier était titulaire de contrats de service public. Quant au plan industriel du groupe Tirrenia pour la période 1999-2002, les autorités italiennes n’ont pas apporté à la Commission avant l’adoption de la décision attaquée d’éléments le concernant susceptibles, le cas échéant, d’écarter l’existence d’aides d’État parmi les mesures qu’il prévoyait. Dans ces conditions, ce gouvernement ne peut reprocher à la Commission d’avoir ouvert la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, en ayant des doutes sur l’existence d’éléments d’aide dans les mesures examinées.

50     S’agissant ensuite du grief selon lequel la Commission aurait indûment qualifié les mesures en cause d’aides nouvelles, alors qu’elle aurait eu connaissance des éléments lui permettant de les considérer comme des aides existantes, il ne porte que sur les financements découlant des contrats de service public conclus avec les entreprises du groupe Tirrenia en 1991. À ce stade du présent arrêt, l’analyse ne porte donc plus sur le plan industriel pour la période 1999-2002. Ceci étant précisé, l’argument invoqué en défense par la Commission, selon lequel les autorités italiennes n’auraient pas fait valoir les éléments précités avant l’ouverture de la procédure, doit être partiellement écarté en fait.

51     Il ressort en effet du dossier que, dès leur réponse à la première demande de renseignements de la Commission, les autorités italiennes ont avancé que les contrats de service public conclus avec les entreprises du groupe Tirrenia étaient couverts par l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92, ce qui revenait en substance à soutenir que les financements découlant de ces contrats étaient légaux et qu’ils ne constituaient donc pas des aides nouvelles, mais des aides existantes. En revanche, la simple référence, dans cette réponse, à divers échanges avec la Commission de 1991 à 1997, sans qu’aucun lien ait été établi entre les éléments fournis à l’occasion de ces échanges et l’éventuelle qualification d’aides existantes des mesures en cause, est insuffisante pour que le gouvernement italien puisse reprocher à la Commission de ne pas avoir tenu compte de ces éléments pour apprécier le caractère nouveau ou existant des mesures en cause, préalablement à l’ouverture de la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE.

52     Le moyen invoqué par le gouvernement italien n’est donc examiné ci‑après que pour autant qu’il s’appuie sur le fait que la Commission aurait négligé de tenir compte des dispositions de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92, pour effectuer le choix d’un traitement des mesures en cause en tant qu’aides nouvelles et non comme aides existantes.

53     L’obligation d’ouvrir dans certaines circonstances la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, rappelée au point 47 du présent arrêt, ne préjuge pas du cadre procédural dans lequel cette décision doit s’inscrire, c’est‑à‑dire soit celui de l’examen permanent des régimes d’aide existants, tel qu’il résulte de la combinaison des dispositions des paragraphes 1 et 2 de l’article 88 CE, soit celui du contrôle des aides nouvelles, tel qu’il résulte de la combinaison des dispositions des paragraphes 3 et 2 de ce même article.

54     Compte tenu des conséquences juridiques de ce choix procédural lorsque sont en cause des mesures déjà mises en œuvre (voir arrêt interlocutoire, points 56 à 63), la Commission ne peut pas choisir par défaut le second cadre procédural lorsque l’État membre concerné allègue que c’est le premier qui devrait s’appliquer. Dans un tel cas, la Commission doit procéder à un examen suffisant de la question sur la base des informations qui lui ont été communiquées à ce stade par l’État membre, même si cet examen débouche sur une qualification non définitive des mesures examinées.

55     À l’instar de ce qui doit être fait lorsque se pose la question de l’existence même d’éléments d’aide, dans le cadre du principe de coopération loyale entre États membres et institutions tel qu’il découle de l’article 10 CE et afin de ne pas retarder la procédure, il appartient de son côté à l’État membre qui considère qu’est en cause une aide existante, de fournir au plus tôt à la Commission les éléments motivant cette position, à partir du moment où elle le saisit de la mesure concernée. Si ces éléments permettent, dans le cadre d’une évaluation provisoire, de penser qu’il est probable que les mesures en cause constituent effectivement des aides existantes, la Commission doit alors les traiter dans le cadre procédural prévu aux paragraphes 1 et 2 de l’article 88 CE. En revanche, si les éléments fournis par l’État membre ne permettent pas d’arriver à cette conclusion provisoire ou si l’État membre ne fournit aucun élément à cet égard, la Commission doit traiter ces mesures dans le cadre procédural prévu aux paragraphes 3 et 2 de ce même article.

56     C’est au regard de ces principes qu’il convient d’examiner le cas présent.

57     La situation n’est pas pleinement comparable à celle ayant donné lieu à l’arrêt Italie/Commission, précité, invoqué par le gouvernement italien. Dans cet arrêt, la Cour a estimé que, lorsque la Commission a autorisé un régime d’aides, il serait contraire aux principes de confiance légitime et de sécurité juridique qu’elle examine à nouveau, en tant qu’aides nouvelles, des mesures d’application de ce régime. C’est pourquoi la Cour a jugé que, lorsque l’État membre concerné soutient que des mesures sont octroyées en application d’un régime préalablement autorisé, la Commission ne peut d’emblée ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, en ce qui concerne ces mesures en les considérant comme des aides nouvelles, ce qui impliquerait leur suspension, mais qu’elle doit préalablement déterminer si ces mesures sont ou non couvertes par le régime en cause et, dans l’affirmative, si elles satisfont aux conditions fixées dans la décision d’approbation de celui‑ci. Ce n’est qu’en cas de conclusion négative à l’issue de cet examen que la Commission peut alors ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, en considérant les mesures en cause comme des aides nouvelles. En revanche, en cas de conclusion positive, la Commission doit traiter ces mesures en tant qu’aides existantes selon la procédure prévue à l’article 88, paragraphes 1 et 2, CE.

58     Cependant, en l’espèce, la qualification éventuelle des mesures en cause d’aides existantes ne découlerait pas d’une décision que les parties s’accordent à reconnaître comme emportant l’approbation d’un régime d’aide. En effet, le gouvernement italien soutient que l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 vaut approbation des régimes d’aides prévus par les contrats de services publics qui y sont visés, mais la Commission soutient le contraire. Dès lors, il n’est pas possible de soutenir que la Commission aurait dû immédiatement examiner la conformité desdites mesures au regard de ce règlement, dont elle conteste qu’il vaille décision d’approbation de régimes d’aides.

59     En l’occurrence, la première question à laquelle il convenait de répondre pour effectuer le choix procédural d’un traitement des mesures en cause en tant qu’aides existantes ou en tant qu’aides nouvelles était précisément de savoir si l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 emporte approbation de l’ensemble des aides prévues par les contrats de service public qui y sont visés.

60     La Commission a procédé à l’examen de cette question. Ainsi la décision attaquée comporte le passage qui suit: «l’article 4, paragraphe 3, autorise les contrats de service public existants à rester en vigueur jusqu’à leur date d’expiration. Ces ‘clauses d’ancienneté’ doivent être interprétées de façon restrictive, puisqu’elles constituent une exception à la règle générale selon laquelle les contrats [de service public] doivent être ouverts à tous les opérateurs concernés de l’Union européenne. En conséquence, seules les aides nécessaires pour assurer l’offre de service public peuvent relever de ces clauses. Une aide qui dépasse ou risque de dépasser ces limites doit être examinée par la Commission sur la base des dispositions sur les aides d’État selon les procédures normales». Il ressort de cet extrait que la Commission n’a qualifié d’aides nouvelles que les financements dépassant les coûts induits par les obligations de service public. Cette analyse est d’ailleurs pleinement cohérente avec l’invitation, formulée dans la décision attaquée, à ne suspendre que les financements dépassant le supplément net des coûts liés à la fourniture des services d’intérêt général, mais non l’ensemble des financements des contrats de service public conclus avec les entreprises du groupe Tirrenia.

61     Le gouvernement italien ne peut donc pas reprocher à la Commission d’avoir d’emblée considéré les mesures dont la décision attaquée implique la suspension comme des aides nouvelles, au sens de l’article 88, paragraphe 3, CE, sans avoir préalablement examiné les éléments avancés par les autorités italiennes au soutien de leur position selon laquelle les mesures en cause devaient être traitées comme des aides existantes.

62     Sur le fond, il est donc nécessaire d’aborder la question de savoir si, contrairement à la position de la Commission, l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 devait conduire la Commission à retenir, pour les mesures en cause, la qualification d’aides existantes au stade de la procédure où il convient de choisir entre un traitement en tant qu’aides existantes ou un traitement en tant qu’aides nouvelles.

63     La Commission conteste que l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 puisse autoriser des aides d’État et en faire des aides existantes au seul motif qu’elles seraient prévues dans un contrat de service public existant lui‑même au moment de l’entrée en vigueur de ce règlement. Ce dernier, adopté sur la base de l’article 84 du traité CE (devenu, après modification, article 80 CE) concernerait la libre prestation des services en matière de transports maritimes et seul un acte ayant pour base juridique l’article 94 du traité CE (devenu article 89 CE) aurait pu autoriser des aides d’État. L’article 4 dudit règlement aurait ainsi eu pour seul objet de permettre le maintien temporaire de certaines entraves à la libre prestation des services justifiées par la nécessité de préserver certains services de transport d’intérêt général. La Commission souligne que, en tout état de cause, les liaisons internationales assurées par certaines sociétés du groupe Tirrenia, n’entrent pas dans le champ d’application du règlement n° 3577/92, qui ne concerne que le cabotage maritime.

64     L’argumentation de la Commission n’est que partiellement exacte. L’article 4 du règlement n° 3577/92, qui, s’agissant de la question ici traitée, concerne les contrats de service public avec des compagnies de navigation participant à des services réguliers à destination ou en provenance d’îles ainsi qu’entre îles, dispose à son paragraphe 3 que les contrats de service public existants au 1er janvier 1993 peuvent rester en vigueur jusqu’à leur date d’expiration. Or, les contrats de ce type contiennent par nature des dispositions financières nécessaires pour assurer les obligations de service public qui y sont prévues. Dans la mesure où le libellé de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 vise le maintien des contrats en cause, sans limiter la portée de cette disposition à certains aspects desdits contrats, les stipulations financières nécessaires pour assurer les obligations de service public y figurant sont couvertes par ledit article 4, paragraphe 3. C’est donc à tort que la Commission soutient que celui‑ci se borne à autoriser le maintien d’éventuels droits exclusifs ou spéciaux issus de tels contrats. Au demeurant, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas retenu une position aussi restrictive puisqu’elle y a reconnu que, dans la limite du financement du surcoût des obligations de service public, les mécanismes de financement des contrats en cause étaient couverts par l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92.

65     Cependant, contrairement à ce que soutient en substance le gouvernement italien, d’éventuelles aides dépassant ce qui est nécessaire pour assurer les obligations de service public, objet des contrats en cause, ne sauraient entrer dans le champ d’application de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92, précisément parce qu’elles ne sont pas nécessaires à l’équilibre, et donc au maintien, de tels contrats. Elles ne sauraient donc, sur le fondement de cette disposition, être considérées comme des aides existantes.

66     Or, en l’espèce ne sont visées par le recours du gouvernement italien que les mesures dont la Commission a évoqué la suspension dans la décision attaquée, à savoir uniquement «toute aide dépassant le supplément net de coûts lié à la fourniture des services d’intérêt économique général, conformément [aux obligations de service public] fixées par les autorités italiennes en fonction de l’intérêt économique général». Il s’agit d’éventuelles aides non nécessaires pour assurer lesdites obligations et qui ne peuvent donc pas être considérées comme des aides existantes sur le fondement de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92. La Commission a donc pu à bon droit traiter ces éventuelles aides comme des aides nouvelles, contrairement à ce que soutient le gouvernement italien.

67     Le moyen tiré de la violation des articles 87, paragraphe 1, CE et 88, paragraphes 1 et 3, CE n’est par conséquent pas fondé.

68     Il résulte de tout ce qui précède que la décision attaquée doit être annulée en tant qu’elle impliquait, jusqu’à la notification aux autorités italiennes de la décision de clôture de la procédure relative à l’entreprise concernée, la suspension du régime fiscal appliqué pour l’approvisionnement en carburant et en huile de graissage des navires du groupe Tirrenia et que le recours doit être rejeté pour le surplus.

 Sur les dépens

69     En vertu de l’article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels. En l’espèce, il y a lieu que chaque partie supporte ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      La décision de la Commission, notifiée aux autorités italiennes par lettre SG (99) D/6463, du 6 août 1999, d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, concernant l’aide d’État C 64/99 (ex NN 68/99) est annulée en tant qu’elle impliquait, jusqu’à la notification aux autorités italiennes de la décision de clôture de la procédure relative à l’entreprise concernée [décision de la Commission C(2001) 1684, du 21 juin 2001, ou décision de la Commission C(2004) 470 fin, du 16 mars 2004], la suspension du régime fiscal appliqué pour l’approvisionnement en carburant et en huile de graissage des navires du Gruppo Tirrenia di Navigazione.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Chaque partie supporte ses propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.