Language of document : ECLI:EU:C:2017:586

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

26 juillet 2017 (*)

« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) no 604/2013 – Détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers – Arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers souhaitant obtenir une protection internationale – Organisation du franchissement de la frontière par les autorités d’un État membre en vue d’un transit vers un autre État membre – Entrée autorisée par dérogation pour des raisons humanitaires – Article 2, sous m) – Notion de “visa” – Article 12 – Délivrance d’un visa – Article 13 – Franchissement irrégulier d’une frontière extérieure »

Dans l’affaire C‑646/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche), par décision du 14 décembre 2016, parvenue à la Cour le 15 décembre 2016, dans la procédure engagée par

Khadija Jafari,

Zainab Jafari

en présence de :

Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice-président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. L. Bay Larsen (rapporteur), J. L. da Cruz Vilaça, Mmes M. Berger et A. Prechal, présidents de chambre, MM. A. Rosas, A. Arabadjiev, Mme C. Toader, MM. M. Safjan, D. Šváby, E. Jarašiūnas, C. G. Fernlund et S. Rodin, juges,

avocat général : Mme E. Sharpston,

greffier : M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 mars 2017,

considérant les observations présentées :

–        pour Mmes Jafari, par Me R. Frühwirth, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. G. Hesse, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement hellénique, par Mme T. Papadopoulou, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement français, par M. D. Colas ainsi que par Mmes E. Armoët et E. de Moustier, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de MM. L. Cordì et L. D’Ascia, avvocati dello Stato,

–        pour le gouvernement hongrois, par Mme M. Tátrai et M. M. Z. Fehér, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme C. Crane, en qualité d’agent, assistée de M. C. Banner, barrister,

–        pour le gouvernement suisse, par M. E. Bichet, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mme M. Condou-Durande ainsi que par MM. G. Wils et M. Žebre, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 juin 2017,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2, 12 et 13 du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31, ci-après le « règlement Dublin III »), ainsi que de l’article 5 du règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2006, L 105, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 610/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013 (JO 2013, L 182, p. 1) (ci‑après le « code frontières Schengen »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre de l’examen des recours formés par Mmes Khadija Jafari et Zainab Jafari, ressortissantes afghanes, contre les décisions prises par le Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Office fédéral pour le droit des étrangers et le droit d’asile, Autriche) (ci-après l’« office ») déclarant leurs demandes de protection internationale irrecevables, ordonnant leur éloignement et constatant que leur renvoi vers la Croatie est licite.

 Le cadre juridique

 La convention d’application de l’accord de Schengen

3        L’article 18, paragraphe 1, de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990 (JO 2000, L 239, p. 19), telle que modifiée par le règlement no 610/2013 (ci-après la « convention d’application de l’accord de Schengen »), dispose :

« Les visas pour un séjour de plus de 90 jours (ci-après dénommés “visas de long séjour”) sont des visas nationaux délivrés par l’un des États membres selon sa propre législation ou selon la législation de l’Union. Ces visas sont délivrés selon le modèle type de visa instauré par le [règlement (CE) no 1683/95 du Conseil, du 29 mai 1995, établissant un modèle type de visa (JO 1995, L 164, p. 1)], avec spécification du type de visa par inscription de la lettre “D” en en-tête. [...] »

 La directive 2001/55/CE

4        L’article 18 de la directive 2001/55/CE du Conseil, du 20 juillet 2001, relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil (JO 2001, L 212, p. 12), prévoit :

« Les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile s’appliquent. En particulier, l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée par une personne bénéficiant de la protection temporaire conformément à la présente directive est l’État qui a accepté le transfert de ladite personne sur son territoire. »

 Le code frontières Schengen

5        Le code frontières Schengen a été abrogé et remplacé par le règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2016, L 77, p. 1). Le code frontières Schengen était dès lors applicable à la date des faits au principal.

6        Les considérants 6, 27 et 28 du code frontières Schengen étaient libellés comme suit :

« (6)      Le contrôle aux frontières n’existe pas seulement dans l’intérêt de l’État membre aux frontières extérieures duquel il s’exerce, mais dans l’intérêt de l’ensemble des États membres ayant aboli le contrôle aux frontières à leurs frontières intérieures. Le contrôle aux frontières devrait contribuer à la lutte contre l’immigration illégale et la traite des êtres humains, ainsi qu’à la prévention de toute menace sur la sécurité intérieure, l’ordre public, la santé publique et les relations internationales des États membres.

[...]

(27)      Le présent règlement constitue un développement des dispositions de l’acquis de Schengen auxquelles le Royaume-Uni ne participe pas [...] Par conséquent, le Royaume-Uni ne participe pas à son adoption et n’est pas lié par son application ni soumis à celui-ci.

(28)      Le présent règlement constitue un développement des dispositions de l’acquis de Schengen auxquelles l’Irlande ne participe pas [...] Par conséquent, l’Irlande ne participe pas à son adoption et n’est pas liée par son application ni soumise à celui-ci. »

7        L’article 4 de ce code, intitulé « Franchissement des frontières extérieures », disposait :

« 1.      Les frontières extérieures ne peuvent être franchies qu’aux points de passage frontaliers et durant les heures d’ouverture fixées. Les heures d’ouverture sont indiquées clairement aux points de passage frontaliers qui ne sont pas ouverts 24 heures sur 24.

[...]

3.      Sans préjudice [...] de leurs obligations en matière de protection internationale, les États membres instaurent des sanctions, conformément à leur droit national, en cas de franchissement non autorisé des frontières extérieures en dehors des points de passage frontaliers ou des heures d’ouverture fixées. [...] »

8        Sous l’intitulé « Conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers », l’article 5 dudit code prévoyait :

« 1.      Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d’une durée n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, ce qui implique d’examiner la période de 180 jours précédant chaque jour de séjour, les conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes :

a)      être en possession d’un document de voyage en cours de validité autorisant son titulaire à franchir la frontière [...]

[...]

b)      être en possession d’un visa en cours de validité si celui-ci est requis [...], sauf s’ils sont titulaires d’un titre de séjour ou d’un visa de long séjour en cours de validité ;

c)      justifier l’objet et les conditions du séjour envisagé, et disposer des moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel leur admission est garantie, ou être en mesure d’acquérir légalement ces moyens ;

d)      ne pas être signalé aux fins de non-admission dans le [système d’information Schengen (SIS)] ;

e)      ne pas être considéré comme constituant une menace pour l’ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales de l’un des États membres et, en particulier, ne pas avoir fait l’objet d’un signalement aux fins de non-admission dans les bases de données nationales des États membres pour ces mêmes motifs.

[...]

4.      Par dérogation au paragraphe 1,

a)      les ressortissants de pays tiers qui ne remplissent pas toutes les conditions prévues au paragraphe 1, mais qui sont titulaires d’un titre de séjour ou d’un visa de long séjour, sont autorisés à entrer aux fins de transit sur le territoire des autres États membres afin de pouvoir atteindre le territoire de l’État membre qui a délivré le titre de séjour ou le visa de long séjour, sauf s’ils figurent sur la liste nationale de signalements de l’État membre aux frontières extérieures duquel ils se présentent et si ce signalement est assorti d’instructions quant à l’interdiction d’entrée ou de transit ;

b)      les ressortissants de pays tiers qui remplissent les conditions énoncées au paragraphe 1, à l’exception du point b), et qui se présentent à la frontière peuvent être autorisés à entrer sur le territoire des États membres si un visa est délivré à la frontière [...]

[...]

c)      les ressortissants de pays tiers qui ne remplissent pas une ou plusieurs conditions énoncées au paragraphe 1 peuvent être autorisés par un État membre à entrer sur son territoire pour des motifs humanitaires ou d’intérêt national ou en raison d’obligations internationales. Lorsque le ressortissant de pays tiers concerné fait l’objet d’un signalement visé au paragraphe 1, point d), l’État membre qui autorise son entrée sur son territoire en informe les autres États membres. »

9        L’article 10, paragraphe 1, du même code précisait qu’un cachet est systématiquement apposé sur les documents de voyage des ressortissants de pays tiers à l’entrée et à la sortie.

10      L’article 12, paragraphe 1, du code frontières Schengen précisait :

« [...] Une personne qui a franchi illégalement une frontière et qui n’a pas le droit de séjourner sur le territoire de l’État membre concerné est appréhendée et fait l’objet de procédures respectant la directive 2008/115/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98)]. »

 La directive 2008/115

11      L’article 2, paragraphe 2, de la directive 2008/115 (ci-après la « directive retour ») énonce :

« Les États membres peuvent décider de ne pas appliquer la présente directive aux ressortissants de pays tiers :

a)      faisant l’objet d’une décision de refus d’entrée conformément à l’article 13 du code frontières Schengen, ou arrêtés ou interceptés par les autorités compétentes à l’occasion du franchissement irrégulier par voie terrestre, maritime ou aérienne de la frontière extérieure d’un État membre et qui n’ont pas obtenu par la suite l’autorisation ou le droit de séjourner dans ledit État membre ;

[...] »

12      L’article 3 de cette directive, intitulé « Définitions », est libellé comme suit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

2)      “séjour irrégulier” : la présence sur le territoire d’un État membre d’un ressortissant d’un pays tiers qui ne remplit pas, ou ne remplit plus, les conditions d’entrée énoncées à l’article 5 du code frontières Schengen, ou d’autres conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans cet État membre ;

[...] »

 Le règlement (CE) no 810/2009

13      Les considérants 36 et 37 du règlement (CE) no 810/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, établissant un code communautaire des visas (code des visas) (JO 2009, L 243, p. 1), tel que modifié par le règlement no 610/2013 (ci-après le « code des visas »), sont ainsi rédigés :

« (36)      Le présent règlement constitue un développement des dispositions de l’acquis de Schengen auquel le Royaume-Uni ne participe pas [...] Par conséquent, le Royaume-Uni ne participe pas à son adoption et n’est pas lié par son application, ni soumis à celui-ci.

(37)      Le présent règlement constitue un développement des dispositions de l’acquis de Schengen auquel l’Irlande ne participe pas [...] Par conséquent, l’Irlande ne participe pas à son adoption et n’est pas liée par son application, ni soumise à celui-ci. »

14      L’article 1er, paragraphe 1, du code des visas dispose :

« Le présent règlement fixe les procédures et conditions de délivrance des visas pour les transits ou les séjours prévus sur le territoire des États membres d’une durée maximale de 90 jours sur une période de 180 jours. »

15      L’article 25, paragraphe 1, de ce code prévoit :

« Un visa à validité territoriale limitée est délivré à titre exceptionnel dans les cas suivants :

a)      lorsqu’un État membre estime nécessaire, pour des raisons humanitaires, pour des motifs d’intérêt national ou pour honorer des obligations internationales :

i)      de déroger au principe du respect des conditions d’entrée prévues à l’article 5, paragraphe 1, points a), c), d) et e), du code frontières Schengen,

[...] »

16      Les articles 27 à 29 du code des visas définissent les règles relatives à la manière de remplir la vignette-visa, à l’annulation d’une vignette remplie et à l’apposition de la vignette-visa.

17      L’article 35 de ce code, intitulé « Visas demandés aux frontières extérieures », énonce, à son paragraphe 4 :

« Si les conditions énoncées à l’article 5, paragraphe 1, points a), c), d) et e), du code frontières Schengen ne sont pas remplies, les autorités chargées de la délivrance du visa aux frontières peuvent délivrer un visa à validité territoriale limitée valable pour le territoire de l’État membre de délivrance, conformément à l’article 25, paragraphe 1, point a), du présent règlement. »

 Le règlement Dublin III

18      Les considérants 25 et 41 du règlement Dublin III sont ainsi rédigés :

« (25)      La réalisation progressive d’un espace sans frontières intérieures au sein duquel la libre circulation des personnes est garantie conformément au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’établissement de politiques de l’Union concernant les conditions d’entrée et de séjour de ressortissants de pays tiers, y compris des efforts communs de gestion des frontières extérieures, rendent nécessaire l’établissement d’un équilibre entre les critères de responsabilité dans un esprit de solidarité.

[...]

(41)      Conformément à l’article 3 et à l’article 4 bis, paragraphe 1, du protocole no 21 sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande à l’égard de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, annexé au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ces États membres ont notifié leur souhait de participer à l’adoption et à l’application du présent règlement. »

19      L’article 1er de ce règlement dispose :

« Le présent règlement établit les critères et les mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride (ci-après dénommé “État membre responsable”). »

20      L’article 2 dudit règlement prévoit :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

m)      “visa”, l’autorisation ou la décision d’un État membre, exigée en vue du transit ou de l’entrée pour un séjour envisagé dans cet État membre ou dans plusieurs États membres. La nature du visa s’apprécie selon les définitions suivantes :

–        “visa de long séjour”, l’autorisation ou la décision délivrée par un des États membres conformément à son droit national ou au droit de l’Union exigée en vue de l’entrée pour un séjour envisagé dans cet État membre pour une durée supérieure à trois mois ;

–        “visa de court séjour”, l’autorisation ou la décision d’un État membre en vue d’un transit ou d’un séjour envisagé sur le territoire d’un, de plusieurs ou de tous les États membres pour une durée n’excédant pas trois mois sur une période de six mois à compter de la date de la première entrée sur le territoire des États membres ;

–        “visa de transit aéroportuaire”, un visa valide pour le transit dans les zones de transit international d’un ou plusieurs aéroports des États membres ;

[...] »

21      L’article 3, paragraphes 1 et 2, du même règlement énonce :

« 1.      Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l’un quelconque d’entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable.

2.      Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l’examen.

Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable.

[...] »

22      L’article 7, paragraphe 1, du règlement Dublin III est libellé comme suit :

« Les critères de détermination de l’État membre responsable s’appliquent dans l’ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre. »

23      L’article 12 de ce règlement, intitulé « Délivrance de titres de séjour ou de visas », précise, à ses paragraphes 2 à 5 :

« 2.      Si le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, sauf si ce visa a été délivré au nom d’un autre État membre en vertu d’un accord de représentation prévu à l’article 8 du [code des visas]. Dans ce cas, l’État membre représenté est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.

3.      Si le demandeur est titulaire de plusieurs titres de séjour ou visas en cours de validité, délivrés par différents États membres, la responsabilité de l’examen de la demande de protection internationale incombe, dans l’ordre suivant :

[...]

b)      à l’État membre qui a délivré le visa ayant l’échéance la plus lointaine lorsque les visas sont de même nature ;

c)      en cas de visas de nature différente, à l’État membre qui a délivré le visa ayant la plus longue durée de validité ou, en cas de durée de validité identique, à l’État membre qui a délivré le visa dont l’échéance est la plus lointaine.

4.      Si le demandeur est seulement titulaire [...] d’un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un État membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n’a pas quitté le territoire des États membres.

Lorsque le demandeur est titulaire [...] d’un ou plusieurs visas périmés depuis plus de six mois lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un État membre et s’il n’a pas quitté le territoire des États membres, l’État membre dans lequel la demande de protection internationale est introduite est responsable.

5.      La circonstance que le titre de séjour ou le visa a été délivré sur la base d’une identité fictive ou usurpée ou sur présentation de documents falsifiés, contrefaits ou invalides ne fait pas obstacle à l’attribution de la responsabilité à l’État membre qui l’a délivré. Toutefois, l’État membre qui a délivré le titre de séjour ou le visa n’est pas responsable s’il peut établir qu’une fraude est intervenue après la délivrance du document ou du visa. »

24      Sous l’intitulé « Entrée et/ou séjour », l’article 13 du règlement Dublin III dispose, à son paragraphe 1 :

« Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) no 603/2013 [du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relatif à la création d’Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace du règlement no 604/2013 et relatif aux demandes de comparaison avec les données d’Eurodac présentées par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement (UE) no 1077/2011 portant création d’une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (JO 2013, L 180, p. 1)], que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. »

25      L’article 14, paragraphe 1, du règlement Dublin III prévoit :

« Lorsqu’un ressortissant de pays tiers ou un apatride entre sur le territoire d’un État membre dans lequel il est exempté de l’obligation de visa, l’examen de sa demande de protection internationale incombe à cet État membre. »

26      L’article 17, paragraphe 1, de ce règlement énonce :

« Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement.

L’État membre qui décide d’examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l’État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. [...]

[...] »

27      L’article 33 du règlement Dublin III institue un mécanisme d’alerte rapide, de préparation et de gestion de crise visant les situations dans lesquelles l’application de ce règlement peut être compromise en raison d’un risque sérieux de pression particulière exercée sur le régime d’asile d’un État membre et/ou en raison de problèmes de fonctionnement du régime d’asile d’un État membre.

28      L’article 34 de ce règlement prévoit des mécanismes d’échange d’informations entre les États membres.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

29      Mmes Jafari ont quitté l’Afghanistan au mois de décembre 2015, avec leurs enfants, puis ont voyagé à travers l’Iran, la Turquie, la Grèce, l’ancienne République yougoslave de Macédoine et la Serbie. Elles ont franchi la frontière entre ce dernier État et la Croatie en 2016. Les autorités croates ont organisé leur transport, en bus, jusqu’à la frontière slovène.

30      Mmes Jafari et leurs enfants sont ensuite entrés en Slovénie. Les autorités slovènes leur ont remis, le 15 février 2016, des documents de police indiquant que leur destination de voyage était, pour l’une d’entre elles, l’Allemagne et, pour l’autre, l’Autriche. Ce même jour, après être entrées en Autriche, Mmes Jafari ont introduit, pour elles-mêmes et pour leurs enfants, des demandes de protection internationale dans ce dernier État membre.

31      L’office a adressé aux autorités slovènes une demande d’information, au titre de l’article 34 du règlement Dublin III, en faisant état des documents de police remis à Mmes Jafari. Les autorités slovènes ont répondu à cette demande que les ressortissants de pays tiers concernés n’étaient enregistrés en Slovénie à aucun titre pertinent aux fins de l’application de ce règlement et qu’ils avaient traversé la Slovénie en venant de Croatie.

32      Le 16 avril 2016, l’office a demandé aux autorités croates de prendre en charge Mmes Jafari et leurs enfants sur la base de l’article 21 dudit règlement. Les autorités croates n’ont pas répondu à cette requête. Par lettre du 18 juin 2016, l’office a indiqué à ces dernières que, en application de l’article 22, paragraphe 7, du même règlement, la responsabilité de l’examen des demandes de protection internationale introduites par Mmes Jafari et leurs enfants incombait désormais à la République de Croatie.

33      Le 5 septembre 2016, l’office a déclaré les demandes de protection internationale introduites par Mmes Jafari irrecevables, a ordonné l’éloignement de celles-ci ainsi que de leurs enfants et a constaté que leur renvoi vers la Croatie était licite. Ces décisions était fondées sur le fait que les ressortissants de pays tiers concernés seraient entrés irrégulièrement en Grèce et en Croatie et que leur transfert vers la Grèce serait exclu en raison de défaillances systémiques dans la procédure d’asile dans cet État membre.

34      Mmes Jafari ont contesté ces décisions devant le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche). Le 10 octobre 2016, cette juridiction a rejeté leurs recours en relevant, en particulier, que, en l’absence de visa, leur entrée en Croatie devait être considérée comme irrégulière au regard des conditions fixées par le code frontières Schengen et qu’aucun argument ne pouvait être tiré de l’admission des personnes concernées en Croatie en violation de ces conditions.

35      Mmes Jafari ont introduit des pourvois contre ce jugement devant la juridiction de renvoi, en faisant notamment valoir avoir été admises en Croatie, en Slovénie et en Autriche en application de l’article 5, paragraphe 4, sous c), de ce code.

36      Dans ces conditions, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 2, sous m), l’article 12 et l’article 13 du règlement [Dublin III] doivent-ils se lire en tenant compte d’autres instruments juridiques que recoupe le règlement Dublin III ou convient-il de donner une signification autonome à ces dispositions ?

2)      Dans l’hypothèse où les dispositions du règlement Dublin III doivent être interprétées indépendamment d’autres instruments juridiques :

a)      Dans les circonstances des affaires au principal, caractérisées par le fait qu’elles se sont produites à un moment où les autorités nationales des États principalement impliqués faisaient face à un nombre exceptionnellement élevé de personnes sollicitant le transit par leur territoire, faut-il assimiler à un “visa”, au sens de l’article 2, sous m), et de l’article 12 du règlement Dublin III, l’entrée sur le territoire, tolérée en fait par un État membre, aux seules fins de traverser cet État membre et de présenter une demande de protection internationale dans un autre État membre ?

Si la deuxième question, sous a), appelle une réponse affirmative :

b)      Si l’entrée sur le territoire aux fins de transit est tolérée en fait, convient-il de considérer que la sortie du territoire de l’État membre en cause rend le “visa” caduc ?

c)      Si l’entrée sur le territoire aux fins de transit est tolérée en fait, convient-il de considérer que le “visa” reste valable lorsque la sortie du territoire de l’État membre en cause n’est pas encore intervenue ou le “visa” devient-il caduc, indépendamment de l’absence de sortie du territoire, au moment où le demandeur abandonne définitivement le projet de se rendre dans un autre État membre ?

d)      L’abandon par le demandeur du projet de se rendre dans l’État membre initialement choisi comme destination conduit-il à devoir parler de fraude après la délivrance du “visa”, au sens de l’article 12, paragraphe 5, du règlement Dublin III, de telle sorte que l’État membre qui a délivré le “visa” n’est pas responsable ?

Si la deuxième question, sous a), appelle une réponse négative :

e)      L’expression “a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers”, contenue à l’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III, doit-elle se comprendre en ce sens que, dans les circonstances spéciales décrites des affaires au principal, il convient de considérer qu’il n’y a pas eu de franchissement irrégulier de la frontière extérieure ?

3)      Dans l’hypothèse où les dispositions du règlement Dublin III doivent être interprétées en tenant compte d’autres instruments juridiques :

a)      Pour apprécier s’il y a eu “franchissement irrégulier” de la frontière au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III, faut-il considérer en particulier si l’entrée sur le territoire répond aux conditions du code frontières Schengen et en particulier de l’article 5 [de celui-ci], disposition applicable aux affaires au principal en raison de la date d’entrée sur le territoire ?

Si la troisième question, sous a), appelle une réponse négative :

b)      Quelles dispositions du droit de l’Union convient-il de prendre particulièrement en compte pour apprécier s’il y a “franchissement irrégulier” de la frontière au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III ?

Si la troisième question, sous a), appelle une réponse affirmative :

c)      Dans les circonstances des affaires au principal, caractérisées par le fait qu’elles se sont produites à un moment où les autorités nationales des États principalement impliqués faisaient face à un nombre exceptionnellement élevé de personnes sollicitant le transit par leur territoire, faut-il assimiler à une autorisation d’entrée sur le territoire au sens de l’article 5, paragraphe 4, sous c), du code frontières Schengen, l’entrée sur le territoire, tolérée en fait, sans examen des circonstances individuelles, par un État membre, aux seules fins de traverser cet État membre et de présenter une demande de protection internationale dans un autre État membre ?

Si la troisième question, sous a) et c), appelle une réponse affirmative :

d)      L’autorisation d’entrer sur le territoire au titre de l’article 5, paragraphe 4, sous c), du code frontières Schengen conduit-elle à devoir considérer qu’il existe une autorisation équivalant à un visa au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous b), du code frontières Schengen et, partant, un “visa” répondant à l’article 2, sous m), du règlement Dublin III, de telle sorte qu’il convient d’appliquer les dispositions relatives à la détermination de l’État membre responsable au titre du règlement Dublin III en prenant également en compte son article 12 ?

Si la troisième question, sous a), c), et d), appelle une réponse affirmative :

e)      Si l’entrée sur le territoire aux fins de transit est tolérée en fait, convient-il de considérer que la sortie du territoire de l’État membre en cause rend caduc le “visa” ?

f)      Si l’entrée sur le territoire aux fins de transit est tolérée en fait, convient-il de considérer que le “visa” reste valable lorsque la sortie du territoire de l’État membre en cause n’est pas encore intervenue ou le visa devient-il caduc, indépendamment de l’absence de sortie du territoire, au moment où le demandeur abandonne définitivement le projet de se rendre dans un autre État membre ?

g)      L’abandon par le demandeur du projet de se rendre dans l’État membre initialement choisi comme destination conduit-il à devoir parler de fraude après la délivrance du “visa”, au sens de l’article 12, paragraphe 5, du règlement Dublin III, de telle sorte que l’État membre qui a délivré le “visa” n’est pas responsable ?

Si la troisième question, sous a), et c), appelle une réponse affirmative, mais que la troisième question, sous d), appelle une réponse négative :

h)      L’expression “a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers”, contenue à l’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III, doit-elle se comprendre en ce sens que, dans les circonstances spéciales décrites des affaires au principal, il convient de considérer que le franchissement de la frontière, qui sera qualifié d’autorisation d’entrer sur le territoire au sens de l’article 5, paragraphe 4, sous c), du code frontières Schengen, ne doit pas s’analyser en un franchissement irrégulier de la frontière extérieure ? »

 La procédure devant la Cour

37      Dans sa décision de renvoi préjudiciel, la juridiction de renvoi a présenté une demande d’application de la procédure accélérée prévue à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour.

38      Par ordonnance du président de la Cour du 15 février 2017, Jafari (C‑646/16, non publiée, EU:C:2017:138), ce dernier a fait droit à cette demande.

 Sur les questions préjudicielles

39      À titre liminaire, il y a lieu de relever que, dans la mesure où l’article 2, sous m), et les articles 12 et 13 du règlement Dublin III portent sur des aspects des politiques relatives aux contrôles aux frontières et à l’immigration qui sont régis par des actes de l’Union distincts, il convient, en vue de répondre à la première question, d’apprécier de manière séparée la pertinence de ces actes pour l’interprétation de l’article 2, sous m), et de l’article 12 de ce règlement, d’une part, et pour celle de l’article 13 dudit règlement, d’autre part.

 Sur la première question, la deuxième question, sous a), et la troisième question, sous d)

40      Par sa première question, sa deuxième question, sous a), et sa troisième question, sous d), qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12 du règlement Dublin III, lu en combinaison avec l’article 2, sous m), de ce règlement et, le cas échéant, avec les dispositions du code des visas, doit être interprété en ce sens que le fait, pour les autorités d’un premier État membre confrontées à l’arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers souhaitant transiter par cet État membre pour introduire une demande de protection internationale dans un autre État membre, de tolérer l’entrée sur le territoire de tels ressortissants, qui ne satisfont pas aux conditions d’entrée en principe exigées dans ce premier État membre, doit être qualifié de « visa », au sens de cet article 12.

41      Il découle, notamment, de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement Dublin III que l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale est, en principe, celui que désignent les critères énoncés au chapitre III de ce règlement (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2016, Ghezelbash, C‑63/15, EU:C:2016:409, point 42).

42      L’article 12 dudit règlement, qui figure dans le chapitre III de celui-ci, prévoit que, lorsqu’un demandeur de protection internationale est titulaire d’un visa en cours de validité ou périmé, l’État membre qui a délivré ce visa est, sous certaines conditions, responsable de l’examen de la demande de protection internationale.

43      L’article 2, sous m), du même règlement énonce une définition générale du terme « visa » et précise que la nature du visa s’apprécie selon des définitions plus spécifiques se rapportant, respectivement, au visa de long séjour, au visa de court séjour et au visa de transit aéroportuaire.

44      Il découle de cette disposition que la notion de « visa », au sens du règlement Dublin III, couvre non seulement les visas de court séjour et de transit aéroportuaire, dont les procédures et les conditions de délivrance sont harmonisées par le code des visas, mais aussi les visas de long séjour qui ne relèvent pas du champ d’application de ce code et peuvent, en l’absence actuelle de mesures générales adoptées par le législateur de l’Union sur le fondement de l’article 79, paragraphe 2, sous a), TFUE, être délivrés en application des législations nationales (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2017, X et X, C‑638/16 PPU, EU:C:2017:173, points 41 et 44).

45      En outre, il y a lieu de relever que, comme le soulignent les considérants 36 et 37 du code des visas et le considérant 41 du règlement Dublin III, certains des États membres qui ne sont pas liés par ce code sont en revanche liés par ce règlement. Il s’ensuit que des visas de court séjour ou de transit délivrés par ces États membres sans suivre les règles énoncées par ledit code doivent néanmoins être considérés comme des « visas », au sens de l’article 2, sous m), et de l’article 12 du règlement Dublin III.

46      Par ailleurs, il importe de relever que le législateur de l’Union a défini le terme « visa », à l’article 2, sous m), de ce dernier règlement, sans mentionner le code des visas ou d’autres actes de l’Union régissant spécifiquement le domaine des visas, alors même qu’il s’est directement référé à divers actes de l’Union dans les définitions énoncées par l’article 2, sous a), b), d), e) ou f), du règlement Dublin III.

47      Dans ces conditions, si les actes adoptés par l’Union dans le domaine des visas constituent des éléments de contexte dont il y a lieu de tenir compte lors de l’interprétation de l’article 2, sous m), et de l’article 12 du règlement Dublin III, il n’en demeure pas moins que la notion de « visa », au sens de ce règlement, ne saurait être directement déduite de ces actes et doit être comprise en se basant sur la définition spécifique figurant à l’article 2, sous m), dudit règlement ainsi que sur l’économie générale de celui-ci.

48      À cet égard, il y a lieu de constater que cette définition précise qu’un visa est une « autorisation ou une décision d’un État membre » qui est « exigée en vue du transit ou de l’entrée » sur le territoire de cet État membre ou de plusieurs États membres. Il découle donc des termes mêmes employés par le législateur de l’Union que, d’une part, la notion de visa renvoie à un acte adopté formellement par une administration nationale, et non à une simple tolérance, et que, d’autre part, le visa ne se confond pas avec l’admission sur le territoire d’un État membre, puisque le visa est justement exigé en vue de permettre cette admission.

49      Cette constatation est corroborée par la distinction opérée à l’article 2, sous m), du règlement Dublin III entre les différentes catégories de visas. En effet, ces catégories, identifiées en général grâce aux mentions apposées sur les vignettes‑visas, se distinguent en tant que les visas qui en relèvent sont exigés en vue de permettre une entrée sur le territoire dans la perspective de différents types de séjour ou de transit.

50      Le contexte dans lequel s’insère l’article 12 de ce règlement corrobore cette analyse. Ainsi, la délivrance d’un visa, sur laquelle porte cet article concomitamment avec la délivrance d’un titre de séjour, est distinguée de l’entrée et du séjour proprement dits, qui font l’objet de l’article 13 dudit règlement. En outre, le critère énoncé à l’article 14 du même règlement, à savoir l’entrée sous exemption de visa, illustre le fait que le législateur de l’Union a distingué l’entrée du visa lui-même.

51      Cette distinction est d’ailleurs cohérente avec l’architecture générale de la législation de l’Union dans les domaines concernés. En effet, alors que les règles régissant l’admission sur le territoire des États membres étaient prévues, à l’époque des faits en cause au principal, par le code frontières Schengen, les conditions de délivrance des visas sont définies dans des actes distincts tels que, s’agissant des visas de court séjour, le code des visas.

52      Il importe de surcroît de relever que, dans le cadre défini par cette législation, les États membres qui y participent sont tenus de délivrer les visas sous la forme d’un modèle type, matérialisé par une vignette adhésive, s’agissant aussi bien des visas de court séjour, en application des articles 27 à 29 du code des visas, que des visas de long séjour, en vertu de l’article 18, paragraphe 1, de la convention d’application de l’accord de Schengen. La délivrance d’un visa au sens de ladite législation revêt donc une forme différente de celle de l’adoption d’une autorisation d’entrée, laquelle se matérialise, conformément à l’article 10, paragraphe 1, du code frontières Schengen, par un cachet apposé sur un document de voyage.

53      Au vu de l’ensemble de ces éléments, il convient de considérer qu’une admission sur le territoire d’un État membre, le cas échéant simplement tolérée par les autorités de l’État membre concerné, ne constitue pas un « visa », au sens de l’article 12 du règlement Dublin III, lu en combinaison avec l’article 2, sous m), de ce règlement.

54      La circonstance que l’admission sur le territoire de l’État membre considéré intervienne dans une situation caractérisée par l’arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers souhaitant obtenir une protection internationale n’est pas de nature à modifier cette conclusion.

55      En effet, d’une part, aucun élément du règlement Dublin III n’indique que la notion de « visa » devrait faire l’objet d’une interprétation différente en présence d’une telle situation.

56      D’autre part, il convient de constater que, si le législateur de l’Union a envisagé que des actes relatifs à l’admission sur le territoire et à la délivrance de visas puissent reposer sur des motifs humanitaires, il a maintenu, dans ce cadre, une nette distinction entre ces deux types d’actes.

57      Ainsi, il a expressément distingué la faculté d’autoriser l’entrée sur le territoire pour des raisons humanitaires, prévue à l’article 5, paragraphe 4, sous c), du code frontières Schengen, de celle de délivrer, pour les mêmes raisons, un visa à validité territoriale limitée, prévue à l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas. Si l’article 35, paragraphe 4, de ce code permet certes, sous certaines conditions, de délivrer un tel visa à la frontière, l’entrée sur le territoire doit alors, dans certains cas, être autorisée sur le fondement de l’article 5, paragraphe 4, sous b), du code frontières Schengen et non sur celui de l’article 5, paragraphe 4, sous c), de ce code. Or, en l’espèce, il n’est pas contesté que l’article 5, paragraphe 4, sous b), dudit code n’a pas vocation à s’appliquer.

58      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de répondre à la première question, à la deuxième question, sous a), et à la troisième question, sous d), que l’article 12 du règlement Dublin III, lu en combinaison avec l’article 2, sous m), de ce règlement, doit être interprété en ce sens que le fait, pour les autorités d’un premier État membre confrontées à l’arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers souhaitant transiter par cet État membre pour introduire une demande de protection internationale dans un autre État membre, de tolérer l’entrée sur le territoire de tels ressortissants, qui ne satisfont pas aux conditions d’entrée en principe exigées dans ce premier État membre, ne doit pas être qualifié de « visa », au sens de cet article 12.

 Sur la première question, la deuxième question, sous e), et la troisième question, sous a) à c) et h)

59      Par sa première question, sa deuxième question, sous e), et sa troisième question, sous a) à c) et h), qu’il convient de traiter conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III, lu, le cas échéant, en combinaison avec les dispositions du code frontières Schengen et de la directive retour, doit être interprété en ce sens qu’un ressortissant d’un pays tiers dont l’entrée a été tolérée, par les autorités d’un premier État membre confrontées à l’arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers souhaitant transiter par cet État membre pour introduire une demande de protection internationale dans un autre État membre, sans satisfaire aux conditions d’entrée en principe exigées dans ce premier État membre, doit être considéré comme ayant « franchi irrégulièrement » la frontière dudit premier État membre au sens de cette disposition.

60      L’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III, qui figure dans le chapitre III de celui-ci, intitulé « Critères de détermination de l’État membre responsable », prévoit notamment que, lorsqu’un demandeur de protection internationale a franchi irrégulièrement la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un pays tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.

61      La notion de « franchissement irrégulier » de la frontière d’un État membre n’est pas définie par ce règlement.

62      Une telle définition ne figure pas non plus dans les autres actes de l’Union, en vigueur à la date des faits en cause au principal, relatifs au contrôle aux frontières ou à l’immigration.

63      S’agissant, plus spécifiquement, des actes mentionnés par la juridiction de renvoi, il y a lieu de relever, en premier lieu, que la directive retour définit uniquement, à son article 3, point 2, la notion de « séjour irrégulier », laquelle ne se confond pas avec celle d’« entrée irrégulière » (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2016, Affum, C‑47/15, EU:C:2016:408, point 60).

64      De même, la notion de « franchissement irrégulier » de la frontière d’un État membre ne saurait être assimilée à celle de « séjour irrégulier ».

65      Par ailleurs, si l’article 2, paragraphe 2, de la directive retour mentionne les ressortissants de pays tiers arrêtés ou interceptés à l’occasion du « franchissement irrégulier » de la frontière extérieure d’un État membre, celle-ci ne fournit aucune indication quant à la portée précise de cette notion.

66      En second lieu, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 127 de ses conclusions, le code frontières Schengen ne définit pas non plus la notion de « franchissement irrégulier » de la frontière d’un État membre.

67      S’il prévoit certes, à son article 4, paragraphe 3, l’instauration de sanctions en cas de franchissement non autorisé des frontières extérieures en dehors des points de passage frontaliers ou des heures d’ouvertures fixées, il vise ici une hypothèse très particulière qui ne saurait couvrir tous les cas de franchissements irréguliers d’une frontière.

68      De même, si la deuxième phrase de l’article 12, paragraphe 1, du code frontières Schengen énonce une règle applicable à « une personne qui a franchi illégalement une frontière », il n’apporte aucune précision quant à la définition de la notion de « franchissement illégal » et ne précise pas, en particulier, si celui-ci intervient lorsque sont violées les règles relatives au franchissement des frontières extérieures, prévues à l’article 4 de ce code, celles définissant les conditions d’entrée, prévues à l’article 5 de celui-ci, ou encore celles portant sur le contrôle aux frontières extérieures, qui font l’objet du chapitre II du titre II dudit code.

69      En outre, la notion de « franchissement irrégulier » de la frontière est utilisée, à l’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III, en relation avec l’objet spécifique de ce règlement, à savoir déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale. Or, un tel objet est dénué de tout lien avec la deuxième phrase de l’article 12, paragraphe 1, du code frontières Schengen, puisque celle-ci vise à préciser la relation entre la surveillance des frontières et la mise en œuvre des procédures de retour prévues par la directive retour.

70      Par ailleurs, il importe de relever que, comme le spécifient les considérants 27 et 28 du code frontières Schengen et le considérant 41 du règlement Dublin III, certains des États membres qui n’étaient pas liés par ce code sont en revanche liés par ce règlement. Il s’ensuit que le franchissement des frontières de ces États membres doit, le cas échéant, être qualifié de « régulier » ou d’« irrégulier », au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III, alors même que l’admission sur le territoire desdits États membres n’est pas régie par les règles relatives au franchissement des frontières et à l’entrée établies par le code frontières Schengen.

71      Enfin, il convient de constater que le législateur de l’Union a fait le choix de ne pas mentionner, à l’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III, la directive retour ou le code frontières Schengen, tout en se référant expressément au règlement no 603/2013.

72      Dans ces conditions, si les actes adoptés par l’Union dans les domaines du contrôle aux frontières et de l’immigration constituent des éléments de contexte dont il y a lieu de tenir compte lors de l’interprétation de l’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III, il n’en demeure pas moins que la portée de la notion de « franchissement irrégulier » de la frontière d’un État membre au sens de ce règlement ne saurait, en principe, être directement déduite de ces actes.

73      Par conséquent, en l’absence de définition de cette notion dans ledit règlement, il y a lieu, selon une jurisprudence constante de la Cour, de déterminer la signification et la portée de celle-ci conformément au sens habituel des termes employés, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2014, Diakité, C‑285/12, EU:C:2014:39, point 27 et jurisprudence citée).

74      Eu égard au sens habituel de la notion de « franchissement irrégulier » d’une frontière, il convient de considérer que le franchissement d’une frontière sans respecter les conditions exigées par la réglementation applicable dans l’État membre concerné doit nécessairement être considéré comme « irrégulier », au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III.

75      Il s’ensuit que, dans le cas où la frontière franchie est celle d’un État membre lié par le code frontières Schengen, le caractère irrégulier du franchissement de celle-ci doit être apprécié en tenant compte, notamment, des règles établies par ce code.

76      Tel est le cas, dans l’affaire en cause au principal, puisque hormis l’article 1er, première phrase, l’article 5, paragraphe 4, sous a), le titre III du code frontières Schengen et les dispositions du titre II de ce code et de ses annexes faisant référence au système d’information Schengen, les dispositions dudit code s’appliquent à la République de Croatie, en vertu de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Croatie et aux adaptations du traité sur l’Union européenne, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2012, L 112, p. 21), lu en combinaison avec l’annexe II, point 8, de celui-ci.

77      Cela étant, la constatation opérée au point 74 du présent arrêt ne saurait suffire à définir complètement la notion de « franchissement irrégulier », au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III.

78      Il convient, ainsi, de tenir compte du fait que les réglementations relatives au franchissement des frontières extérieures peuvent octroyer aux autorités nationales compétentes la faculté de déroger, en invoquant des motifs humanitaires, aux conditions d’entrée en principe imposées aux ressortissants de pays tiers en vue de s’assurer de la régularité de leur futur séjour dans les États membres.

79      Une faculté de cet ordre est notamment prévue à l’article 5, paragraphe 4, sous c), du code frontières Schengen, qui permet aux États membres participant à ce code d’autoriser, de manière dérogatoire, les ressortissants de pays tiers qui ne remplissent pas une ou plusieurs des conditions d’entrée en principe imposées à ces ressortissants à entrer sur leur territoire pour des motifs humanitaires ou d’intérêt national ou en raison d’obligations internationales.

80      Cela étant, il convient de relever, tout d’abord, que l’article 5, paragraphe 4, sous c), du code frontières Schengen précise, à la différence de l’article 5, paragraphe 4, sous b), de ce code, qu’une telle autorisation n’est valable que pour le territoire de l’État membre concerné, et non pour le territoire « des États membres » dans leur ensemble. Partant, cette première disposition ne saurait conduire à rendre régulier le franchissement de la frontière par un ressortissant d’un pays tiers, admis par les autorités d’un État membre aux seules fins de permettre le transit de ce ressortissant vers un autre État membre pour y introduire une demande de protection internationale.

81      Ensuite, et en tout état de cause, au vu de la réponse apportée à la première question, à la deuxième question, sous a), et à la troisième question, sous d), l’usage d’une faculté telle que celle prévue à l’article 5, paragraphe 4, sous c), du code frontières Schengen ne saurait être assimilé à la délivrance d’un visa, au sens de l’article 12 du règlement Dublin III.

82      De même, cet usage étant sans incidence sur l’existence éventuelle d’une obligation de possession d’un visa pour le ressortissant d’un pays tiers concerné, une entrée autorisée dans ce cadre ne saurait être considérée comme une entrée sur le territoire d’un État membre dans lequel la personne concernée est exemptée de l’obligation de visa, au sens de l’article 14 de ce règlement.

83      Partant, admettre que l’entrée d’un ressortissant d’un pays tiers autorisée, en invoquant des motifs humanitaires, par un État membre en dérogation aux conditions d’entrée en principe imposées aux ressortissants de pays tiers ne constitue pas un franchissement irrégulier de la frontière de cet État membre au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III impliquerait que ledit État membre, lorsqu’il fait usage d’une telle faculté, n’est pas responsable de l’examen de la demande de protection internationale introduite par ce ressortissant dans un autre État membre.

84      Or, une telle conclusion serait incompatible avec l’économie générale et avec les objectifs de ce règlement.

85      Ainsi, le considérant 25 du règlement Dublin III fait notamment état du lien direct entre les critères de responsabilité établis dans un esprit de solidarité et les efforts communs de gestion des frontières extérieures qui sont réalisés, comme le rappelle le considérant 6 du code frontières Schengen, non seulement dans l’intérêt de l’État membre aux frontières extérieures duquel le contrôle aux frontières s’exerce, mais aussi dans l’intérêt de l’ensemble des États membres ayant aboli le contrôle aux frontières à leurs frontières intérieures.

86      Dans ce contexte, il ressort de l’articulation des articles 12 et 14 du règlement Dublin III que ces articles couvrent, en principe, toutes les hypothèses d’entrée régulière sur le territoire des États membres, puisque l’entrée régulière d’un ressortissant d’un pays tiers sur ce territoire est normalement soit fondée sur un visa ou un titre de séjour, soit fondée sur une exemption de l’obligation de visa.

87      L’application des différents critères énoncés à ces articles, ainsi qu’à l’article 13 de ce règlement, doit, en règle générale, permettre d’attribuer à l’État membre qui est à l’origine de l’entrée ou du séjour d’un ressortissant d’un pays tiers sur le territoire des États membres la responsabilité d’examiner la demande de protection internationale éventuellement introduite par ce ressortissant.

88      À cet égard, il peut être relevé que cette idée est expressément énoncée dans l’exposé des motifs de la proposition de la Commission, du 3 décembre 2008 [COM(2008) 820 final], ayant conduit à l’adoption du règlement Dublin III, qui reprend, sur ce point, ce qui était déjà exprimé dans l’exposé des motifs de la proposition de la Commission [COM(2001) 447 final] ayant conduit à l’adoption du règlement (CE) no 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (JO 2003, L 50, p. 1). Ce dernier exposé des motifs précisait également que les critères institués par ce règlement, parmi lesquels figurait le franchissement irrégulier de la frontière d’un État membre, reposaient notamment sur l’idée selon laquelle chaque État membre est responsable, vis-à-vis de tous les autres États membres, de son action en matière d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers et doit en assumer les conséquences dans un esprit de solidarité et de loyale coopération.

89      Au vu de ces éléments, les critères énoncés aux articles 12 à 14 du règlement Dublin III ne sauraient, sans remettre en cause l’économie de ce règlement, être interprétés de telle sorte que soit exonéré de sa responsabilité l’État membre qui a décidé d’autoriser, en invoquant des motifs humanitaires, l’entrée sur son territoire d’un ressortissant d’un pays tiers dépourvu de visa et ne bénéficiant pas d’une exemption de visa.

90      Par ailleurs, le fait que, comme en l’occurrence, le ressortissant d’un pays tiers concerné est entré sur le territoire des États membres sous la surveillance des autorités compétentes sans se soustraire aucunement au contrôle aux frontières ne saurait être déterminant pour l’application de l’article 13, paragraphe 1, dudit règlement.

91      En effet, les critères de responsabilité énoncés aux articles 12 à 14 du règlement Dublin III ont pour objet non pas de sanctionner un comportement illicite du ressortissant concerné d’un pays tiers, mais de déterminer quel est l’État membre responsable en tenant compte du rôle joué par cet État membre dans la présence de ce ressortissant sur le territoire des États membres.

92      Il s’ensuit qu’un ressortissant d’un pays tiers admis sur le territoire d’un premier État membre, sans satisfaire aux conditions d’entrée en principe exigées dans cet État membre, en vue d’un transit vers un autre État membre pour y introduire une demande de protection internationale doit être considéré comme ayant « franchi irrégulièrement » la frontière de ce premier État membre au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III, que ce franchissement ait été toléré ou autorisé en violation des règles applicables ou qu’il ait été autorisé en invoquant des motifs humanitaires et en dérogeant aux conditions d’entrée en principe imposées aux ressortissants de pays tiers.

93      La circonstance que le franchissement de la frontière ait lieu dans une situation caractérisée par l’arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers souhaitant obtenir une protection internationale n’est pas de nature à avoir une incidence sur l’interprétation ou l’application de l’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III.

94      En effet, il y a lieu de relever, en premier lieu, que le législateur de l’Union a tenu compte du risque de survenance d’une telle situation et a, en conséquence, mis à la disposition des États membres des instruments destinés à pouvoir y répondre de manière adéquate, sans pour autant prévoir l’application, dans cette hypothèse, d’un régime spécifique de détermination de l’État membre responsable.

95      Ainsi, l’article 33 du règlement Dublin III instaure un mécanisme d’alerte rapide, de préparation et de gestion de crise destiné à mettre en œuvre des actions préventives visant, notamment, à éviter que l’application de ce règlement soit compromise en raison d’un risque sérieux de pression particulière exercée sur le régime d’asile d’un État membre.

96      Parallèlement, l’article 3, paragraphe 1, dudit règlement prévoit l’application de la procédure définie par le même règlement à toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant d’un pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l’un quelconque des États membres, sans exclure les demandes qui seraient présentées dans une situation caractérisée par l’arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers souhaitant obtenir une protection internationale.

97      En deuxième lieu, ce type de situations est spécifiquement régi par la directive 2001/55, dont l’article 18 énonce que, en cas d’afflux massif de personnes déplacées, les critères et les mécanismes de détermination de l’État membre responsable s’appliquent.

98      En troisième lieu, l’article 78, paragraphe 3, TFUE permet au Conseil de l’Union européenne, sur proposition de la Commission européenne et après consultation du Parlement européen, d’adopter des mesures provisoires au profit d’un ou de plusieurs États membres se trouvant dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers.

99      Ainsi, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, les décisions (UE) 2015/1523, du 14 septembre 2015, instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce (JO 2015, L 239, p. 146), et (UE) 2015/1601, du 22 septembre 2015, instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce (JO 2015, L 248, p. 80).

100    En quatrième lieu, indépendamment de l’adoption de telles mesures, la prise en charge, dans un État membre, d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers souhaitant obtenir une protection internationale peut aussi être facilitée par l’exercice par d’autres États membres, de manière unilatérale ou d’une façon concertée avec l’État membre concerné dans l’esprit de solidarité qui, conformément à l’article 80 TFUE, sous-tend le règlement Dublin III, de la faculté, prévue à l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement, de décider d’examiner des demandes de protection internationale qui leur sont présentées, même si cet examen ne leur incombe pas en vertu des critères fixés par ce règlement.

101    En tout état de cause, il convient de rappeler que, en application de l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du même règlement et de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le transfert d’un demandeur de protection internationale vers l’État membre responsable ne doit pas être exécuté lorsque ce transfert entraîne un risque réel que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants au sens de cet article 4 (voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2017, C. K. e.a., C‑578/16 PPU, EU:C:2017:127, point 65). Un transfert ne pourrait donc pas être exécuté si, à la suite de l’arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers souhaitant obtenir une protection internationale, un tel risque était présent dans l’État membre responsable.

102    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de répondre à la première question, à la deuxième question, sous e), et à la troisième question, sous a) à c) et h), que l’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’un ressortissant d’un pays tiers dont l’entrée a été tolérée, par les autorités d’un premier État membre confrontées à l’arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers souhaitant transiter par cet État membre pour introduire une demande de protection internationale dans un autre État membre, sans satisfaire aux conditions d’entrée en principe exigées dans ce premier État membre, doit être considéré comme ayant « franchi irrégulièrement » la frontière dudit premier État membre au sens de cette disposition.

 Sur la deuxième question, sous b) à d), ainsi que la troisième question, sous e) à g)

103    Au regard de la réponse apportée aux autres questions, il n’y a lieu de répondre ni à la deuxième question, sous b) à d), ni à la troisième question, sous e) à g).

 Sur les dépens

104    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

1)      L’article 12 du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, lu en combinaison avec l’article 2, sous m), de ce règlement, doit être interprété en ce sens que le fait, pour les autorités d’un premier État membre confrontées à l’arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers souhaitant transiter par cet État membre pour introduire une demande de protection internationale dans un autre État membre, de tolérer l’entrée sur le territoire de tels ressortissants, qui ne satisfont pas aux conditions d’entrée en principe exigées dans ce premier État membre, ne doit pas être qualifié de « visa », au sens de cet article 12.

2)      L’article 13, paragraphe 1, du règlement no 604/2013 doit être interprété en ce sens qu’un ressortissant d’un pays tiers dont l’entrée a été tolérée, par les autorités d’un premier État membre confrontées à l’arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers souhaitant transiter par cet État membre pour introduire une demande de protection internationale dans un autre État membre, sans satisfaire aux conditions d’entrée en principe exigées dans ce premier État membre, doit être considéré comme ayant « franchi irrégulièrement » la frontière dudit premier État membre au sens de cette disposition.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.