Language of document : ECLI:EU:C:2004:448

Arrêt de la Cour

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
15 juillet 2004 (1)

«Aides d'État – Notion d'aide – Campagne publicitaire collective en faveur d'une branche économique – Financement opéré par une contribution spéciale à la charge des entreprises de cette branche – Intervention d'un organisme de droit public»

Dans l'affaire C-345/02,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Pearle BV,

Hans Prijs Optiek Franchise BV,

Rinck Opticiens BV

et

Hoofdbedrijfschap Ambachten,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 92, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 87, paragraphe 1, CE) et 93, paragraphe 3, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 3, CE),



LA COUR (première chambre),



composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. A. Rosas, S. von Bahr, Mme R. Silva de Lapuerta et M. K. Lenaerts (rapporteur), juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,
greffier: M. R. Grass,

considérant les observations écrites présentées:

pour Pearle BV, Hans Prijs Optiek Franchise BV et Rinck Opticiens BV, par Me P. E. Mazel, advocaat,

pour Hoofdbedrijfschap Ambachten, par Me R. A. A. Duk, advocaat,

pour le gouvernement néerlandais, par Mme S. Terstal, en qualité d'agent,

pour la Commission des Communautés européennes, par MM. J. Flett et H. van Vliet, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales du gouvernement néerlandais, représenté par Mme H. G. Sevenster, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par M. H. van Vliet, à l'audience du 29 janvier 2004,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 11 mars 2004,

rend le présent



Arrêt



1
Par arrêt du 27 septembre 2002, parvenu à la Cour le 30 septembre suivant, le Hoge Raad der Nederlanden a posé, en vertu de l’article 234 CE, des questions préjudicielles sur l’interprétation des articles 92, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 87, paragraphe 1, CE) et 93, paragraphe 3, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 3, CE).

2
Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’un litige relatif à la légalité de charges imposées par le Hoofdbedrijfschap Ambachten (ci-après le «HBA») à ses membres, parmi lesquels figurent les parties demanderesses au principal, en vue du financement d’une campagne publicitaire collective en faveur des entreprises du secteur de l’optique.


Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3
L’article 92, paragraphe 1, du traité dispose:

«Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.»

4
L’article 93 du traité prévoit:

«1. La Commission procède avec les États membres à l’examen permanent des régimes d’aides existant dans ces États. Elle propose à ceux-ci les mesures utiles exigées par le développement progressif ou le fonctionnement du marché commun.

2. Si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu’une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d’État n’est pas compatible avec le marché commun aux termes de l’article 92, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l’État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu’elle détermine.

[…]

3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu’un projet n’est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l’article 92, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L’État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale.»

5
Selon le premier alinéa de la communication de la Commission, du 6 mars 1996, relative aux aides de minimis (JO C 68, p. 9, ci-après la «communication de minimis»), «[s]i toute intervention financière de l’État accordée à une entreprise fausse ou risque de fausser, dans une mesure plus ou moins importante, la concurrence entre cette entreprise et ses concurrents qui ne bénéficient pas d’une telle aide, toute aide n’a pas un impact sensible sur les échanges et la concurrence entre États membres. Ceci vaut en particulier pour les aides dont le montant est très peu élevé».

6
Selon le deuxième alinéa de la communication de minimis, l’article 92, paragraphe 1, du traité peut être considéré comme inapplicable aux aides d’un montant maximal de 100 000 écus (désormais 100 000 euros) versées sur une période de trois ans débutant au moment de la première aide de minimis. Ce montant s’applique à toutes les catégories d’aides, quels que soient leur forme et leur objectif, à l’exception des aides à l’exportation qui sont exclues du bénéfice de la mesure.

La réglementation nationale

La loi néerlandaise sur l’organisation professionnelle

7
La Wet op de bedrijfsorganisatie (loi néerlandaise sur l’organisation professionnelle, ci-après la «WBO»), du 27 janvier 1950, dans sa version modifiée en vigueur au moment des faits ayant donné lieu au litige au principal, organise la mission, la composition, les méthodes de travail, les aspects financiers et la surveillance des organismes professionnels auxquels est confiée une responsabilité propre dans l’aménagement et le développement de leur secteur d’activités. Selon l’article 71 de la WBO, ces organismes doivent tenir compte de l’intérêt des entreprises du secteur concerné et de leur personnel, ainsi que de l’intérêt public général.

8
Aux termes de l’article 73 de la WBO, les directions des organismes professionnels sont composées paritairement de représentants d’organisations représentatives d’employeurs et de salariés.

9
Le législateur néerlandais a conféré à ces organismes les compétences nécessaires pour réaliser leur mission. L’article 93 de la WBO dispose, notamment, que leur direction peut, sauf exceptions, édicter les règlements qu’elle estime nécessaires à la mise en œuvre des objectifs visés à l’article 71 de la même loi, tant dans l’intérêt de l’activité des entreprises du secteur économique concerné que des conditions d’emploi des membres du personnel de celles-ci. Ces règlements doivent être approuvés par le Sociaal-Economische Raad (conseil socio-économique) et, selon le cinquième alinéa de l’article 93 de la WBO, ils ne peuvent entraver le jeu de la concurrence.

10
Conformément à l’article 126 de la WBO, les organismes professionnels peuvent, pour faire face à leurs charges, adopter des règlements instituant des prélèvements sur les entreprises relevant du secteur d’activités concerné. Les prélèvements généraux concernent le fonctionnement de l’organisme professionnel en tant que tel. Les «charges affectées obligatoires» visent des objectifs spécifiques.

La loi néerlandaise sur les recours administratifs concernant l’organisation professionnelle

11
La Wet houdende administratieve rechtspraak bedrijfsorganisatie (loi néerlandaise sur les recours administratifs concernant l’organisation professionnelle), du 16 septembre 1954, dans sa version modifiée en vigueur au moment des faits ayant donné lieu au litige au principal, fixe les modalités des recours administratifs ouverts en matière d’organisation professionnelle.

12
Conformément aux articles 4 et 5 de cette loi, les personnes physiques ou morales touchées directement dans leurs intérêts par une décision d’un organisme professionnel peuvent former un recours devant le College van Beroep voor het bedrijfsleven (tribunal administratif économique de droit néerlandais) si elles considèrent que la décision est contraire à une réglementation d’application générale. L’article 33, paragraphe 1, de la même loi dispose que le recours doit être formé dans un délai de 30 jours à compter du jour de la communication ou de la remise de la décision ou de l’exécution de l’acte.

13
En vertu de la règle jurisprudentielle néerlandaise de la force juridique formelle, lorsque le juge civil est saisi d’une action en paiement indu, il doit partir du principe que la décision sur la base de laquelle le paiement a eu lieu est conforme au droit, tant en ce qui concerne son mode d’adoption que son contenu, lorsque l’intéressé n’a pas utilisé une voie de recours administrative qui lui était ouverte.


Le litige au principal et les questions préjudicielles

14
Pearle BV, Hans Prijs Optiek franchise BV, Rinck Opticiens BV (ci-après les «demanderesses au principal») sont des sociétés établies aux Pays-Bas qui se consacrent au commerce de matériel d’optique. En cette qualité, elles sont affiliées, en vertu de la WBO, au HBA, un organisme professionnel de droit public.

15
À la demande d’une association privée d’opticiens, la Nederlandse Unie van Opticiens (ci-après la «NUVO»), dont les demanderesses au principal faisaient alors partie, le HBA a, pour la première fois en 1988, imposé à ses membres, en vertu d’un règlement fondé sur l’article 126 de la WBO, «une charge affectée obligatoire» destinée à financer une campagne publicitaire collective en faveur des entreprises du secteur de l’optique. Par la suite, une charge similaire a été imposée chaque année jusqu’en 1993 au moins.

16
La charge ainsi imposée aux demanderesses au principal s’élevait à 850 NLG par établissement. Les demanderesses au principal n’ont pas introduit de recours administratif contre les décisions de prélèvement qui leur ont été adressées par le HBA.

17
Le 29 mars 1995, les demanderesses au principal ont assigné le HBA devant le Rechtbank de ´s-Gravenhage pour obtenir l’annulation des règlements ayant institué les charges affectées obligatoires en cause et la condamnation du HBA au remboursement des sommes indûment payées sur la base de ces règlements.

18
Elles ont soutenu que les services rendus au titre de la campagne publicitaire constituaient des mesures d’aide, au sens de l’article 92, paragraphe 1, du traité, et que les règlements du HBA instituant les charges destinées au financement de ces aides étaient illégaux dès lors qu’ils n’ont pas été notifiés à la Commission en application de l’article 93, paragraphe 3, du traité.

19
Par jugement interlocutoire, la juridiction de première instance a fait droit partiellement aux arguments des demanderesses au principal. Ce jugement ayant été annulé en appel, elles se sont pourvues en cassation devant le Hoge Raad der Nederlanden.

20
Dans ces circonstances, le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1.
Le système en cause ici, imposant le prélèvement de charges en vue du financement de campagnes publicitaires collectives, doit-il être considéré comme (une partie d’)une mesure d’aide au sens de l’article 92, paragraphe 1, [du traité], et faut-il notifier à la Commission l’intention de le mettre en œuvre, sur la base de l’article 93, paragraphe 3, [du traité]? Cela vaut-il uniquement pour l’organisation et l’offre des campagnes publicitaires collectives ou également pour ses modalités de financement, comme un règlement prélevant des charges et/ou les modalités de prélèvement prises en exécution de ce dernier? Y a-t-il une différence si les campagnes publicitaires collectives sont offertes à (des entreprises de) la même branche économique que celle à qui les dispositions de prélèvement en cause sont imposées? Dans l’affirmative, quelle est cette différence? Est-il important de déterminer si les frais exposés par l’organisme public sont entièrement compensés par les charges affectées obligatoires prélevées à [la] charge des entreprises qui profitent du service rendu, de manière telle que le bénéfice accordé ne coûte rien à l’État? Est-il important de savoir si le bénéfice des campagnes publicitaires collectives se répartit de manière plus ou moins uniforme sur tout le secteur et si chaque établissement du secteur est censé retirer un bénéfice ou profit plus ou moins identique de ces campagnes?

2.
L’obligation de notifier visée à l’article 93, paragraphe 3, [du traité] s’applique-t-elle à toute mesure d’aide ou seulement à la mesure d’aide qui correspond à la description de l’article 92, paragraphe 1, [du traité]? Pour échapper à son obligation de notifier, un État membre a-t-il la liberté d’apprécier si une mesure d’aide remplit les conditions de l’article 92, paragraphe 1, [du traité]? Si oui, laquelle? Et dans quelle mesure cette liberté d’appréciation modifie-t-elle l’obligation de notifier prévue à l’article 93, paragraphe 3, [du traité]? Ou faut-il conclure que l’obligation de notification ne s’applique pas uniquement si l’on peut raisonnablement considérer que la mesure n’est pas une aide?

3.
Si le juge national [...] arrive à la conclusion qu’il s’agit d’une mesure d’aide au sens de l’article 92, paragraphe 1, [du traité], doit-il tenir compte de la règle de minimis telle que formulée par la Commission dans [...] [la communication de minimis] lorsqu’il examine le point de savoir s’il faut qualifier la mesure de mesure d’aide qui aurait dû être notifiée conformément à l’article 93, paragraphe 3, [du traité]? Si oui, cette règle de minimis doit-elle s’appliquer également avec effet rétroactif à des mesures d’aide qui ont été exécutées avant la publication de la communication et de quelle manière faut-il appliquer cette règle de minimis à des mesures d’aide comme des campagnes publicitaires collectives annuelles qui profitent à tout un secteur?

4.
La décision dans l’affaire C‑39/94 (arrêt du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C‑39/94, Rec. p. I‑3547) portant sur l’effet utile de l’article 93, paragraphe 3, [du traité] signifie-t-elle que le juge national doit annuler tant les règlements que les décisions de prélèvement prises sur la base de ces règlements et qu’il doit condamner l’organisme public à rembourser les droits, même si la règle jurisprudentielle néerlandaise de la force juridique formelle [...] y fait obstacle? Est-il important en la matière que le fait de rembourser les charges n’annule pas le bénéfice que le secteur économique et les entreprises individuelles ont retiré des campagnes publicitaires collectives? Le droit communautaire permet-il de ne pas rembourser la totalité ou une partie des charges affectées obligatoires si le juge national estime que le secteur économique ou les entreprises prises individuellement obtiendraient un bénéfice déraisonnable compte tenu du fait que l’avantage retiré des campagnes publicitaires ne peut pas être restitué en nature?

5.
Si une mesure d’aide n’est pas notifiée sur la base de l’article 93, paragraphe 3, [du traité], un organisme public peut-il invoquer la règle précitée de la force juridique formelle de la décision de prélèvement pour échapper à son obligation de restitution, si celui à qui est adressée cette décision n’était pas informé que la mesure d’aide – dont fait partie la décision de prélèvement – n’avait pas été notifiée, ni au moment de son adoption ni pendant le délai ouvert pour introduire un recours administratif? Un justiciable est-il en droit de supposer que l’État a respecté son obligation de notifier découlant de l’article 93, paragraphe 3, [du traité]?»


Sur les questions préjudicielles

Observations liminaires

21
Par ses trois premières questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction nationale demande en substance si le financement de campagnes publicitaires par le HBA en faveur des entreprises du secteur de l’optique peut être considéré comme une aide d’État au sens de l’article 92, paragraphe 1, du traité et si, le cas échéant en tenant compte de la règle de minimis, les règlements du HBA prélevant des charges auprès de ses affiliés en vue du financement de ces campagnes auraient dû – en tant qu’éléments du régime d’aide – être notifiés à la Commission, conformément à l’article 93, paragraphe 3, du traité. Elle vise ainsi à obtenir des éclaircissements sur le point de savoir si les charges affectées obligatoires imposées aux demanderesses au principal sont, du fait de leur lien direct avec d’éventuelles aides non notifiées, également frappées d’illégalité de sorte qu’elles devraient en principe faire l’objet d’un remboursement.

22
Les quatrième et cinquième questions portent sur le point de savoir si l’effet utile de l’article 93, paragraphe 3, du traité s’oppose à l’application, dans un cas comme celui de l’espèce, de la règle jurisprudentielle néerlandaise de la force juridique formelle.

Sur les première, deuxième et troisième questions

Observations soumises à la Cour

23
Les demanderesses au principal et la Commission soutiennent que le financement par le HBA d’une campagne publicitaire en faveur des entreprises du secteur de l’optique constitue une aide d’État, au sens de l’article 92, paragraphe 1, du traité, qui aurait dû être notifiée à la Commission conformément à l’article 93, paragraphe 3, du traité. Elles expliquent que la notion d’aide visée à l’article 92, paragraphe 1, du traité inclut les avantages qui sont accordés directement par l’État ainsi que ceux qui le sont par l’intermédiaire d’un organisme public ou privé, tel que le HBA, désigné ou institué par cet État (arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra, C‑379/98, Rec. p. I‑2099).

24
Une mesure prise par une autorité publique et favorisant certaines entreprises ou certains produits ne perdrait pas son caractère d’aide par le fait qu’elle serait partiellement ou totalement financée par des contributions imposées par l’autorité publique et prélevées sur les entreprises concernées (arrêts du 22 mars 1977, Steinike & Weinlig, 78/76, Rec. p. 595, et du 11 novembre 1987, France/Commission, 259/85, Rec. p. 4393, point 23). Ainsi, une mesure pourrait relever du champ d’application de l’article 92, paragraphe 1, du traité, même si elle était financée entièrement au moyen de contributions de ce type.

25
Selon les demanderesses au principal et la Commission, le gouvernement néerlandais aurait dû notifier à la Commission tous les renseignements nécessaires sur le système mis en place. Ces renseignements auraient dû porter tant sur l’organisation de la campagne publicitaire que sur ses modalités de financement (arrêt du 25 juin 1970, France/Commission, 47/69, Rec. p. 487).

26
Le HBA fait valoir que la campagne publicitaire collective qu’il a soutenue ne constitue pas une aide d’État au sens du traité. En effet, lorsque les autorités mettent en œuvre une telle campagne au profit d’une forme déterminée de commerce, d’artisanat ou d’industrie et qu’elles financent cette action grâce à une charge affectée obligatoire à laquelle les intéressés participent à concurrence de l’avantage retiré, l’élément de financement par des ressources d’État serait matériellement absent.

27
Selon le gouvernement néerlandais, un règlement adopté par un organisme de droit public et qui, à la demande d’une association privée, instaure des charges destinées à financer une campagne publicitaire collective ne constitue pas une aide d’État au sens de l’article 92, paragraphe 1, du traité. Il rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour (arrêts du 16 mai 2000, France/Ladbroke Racing et Commission, C‑83/98 P, Rec. p. I‑3271, et PreussenElektra, précité), seuls les avantages financés directement ou indirectement par des ressources d’État doivent être considérés comme des aides au sens de la disposition précitée. Le gouvernement néerlandais souligne que, en l’espèce, si, grâce à ses compétences légales, le HBA a servi d’instrument pour la perception et l’affectation des ressources générées en faveur d’un objectif fixé préalablement par le milieu professionnel, cet organisme n’avait pas la libre disposition de ces ressources.

Réponse de la Cour

28
Il ressort de l’article 93, paragraphe 3, du traité que la Commission doit être informée des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu’un tel projet n’est pas compatible avec le marché commun, elle ouvre sans délai la procédure de l’article 93, paragraphe 2, du traité, sans que l’État membre intéressé puisse mettre à exécution les mesures projetées avant que cette procédure ait abouti à une décision finale.

29
Il résulte de la jurisprudence de la Cour que, lorsque le mode de financement d’une aide, au moyen notamment de cotisations obligatoires, fait partie intégrante de la mesure d’aide, l’examen de cette dernière par la Commission doit nécessairement prendre en considération ce mode de financement (arrêts du 21 octobre 2003, Van Calster e.a., C‑261/01 et C-262/01, non encore publié au Recueil, point 49, et du 27 novembre 2003, Enirisorse, C‑34/01 à C‑38/01, non encore publié au Recueil, point 44).

30
Dans un tel cas, la notification de la mesure d’aide, prévue à l’article 93, paragraphe 3, du traité, doit également porter sur le mode de financement de celle-ci afin que la Commission puisse procéder à son examen sur la base d’une information complète. À défaut, il ne saurait être exclu que soit déclarée compatible une mesure d’aide qui, si la Commission avait eu connaissance de son mode de financement, n’aurait pas pu l’être (arrêt Van Calster e.a., précité, point 50).

31
Il appartient aux juridictions nationales de sauvegarder les droits des justiciables face à une éventuelle méconnaissance, de la part des autorités nationales, des obligations qui découlent pour les États membres de l’article 93, paragraphe 3, du traité (voir, en ce sens, arrêts du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon, C‑354/90, Rec. p. I‑5505, point 12, et du 16 décembre 1992, Lornoy e.a., C‑17/91, Rec. p. I‑6523, point 30). Afin d’être à même de déterminer si une mesure étatique a été instaurée en méconnaissance de cette disposition, une juridiction nationale peut être amenée à interpréter la notion d’aide, visée à l’article 92, paragraphe 1, du traité (voir arrêts Steinike & Weinlig, précité, point 14; du 30 novembre 1993, Kirsammer-Hack, C‑189/91, Rec. p. I‑6185, point 14, et SFEI e.a., précité, point 49). L’obligation de notification et l’interdiction de mise à exécution prévues à l’article 93, paragraphe 3, du traité portent en effet sur les projets tendant à instituer ou à modifier des aides au sens de l’article 92, paragraphe 1, du traité.

32
Il y a lieu de rappeler également que, selon une jurisprudence constante, la qualification d’aide requiert que toutes les conditions visées à l’article 92, paragraphe 1, du traité soient remplies (voir arrêts du 21 mars 1990, Belgique/Commission, dit «Tubemeuse», C‑142/87, Rec. p. I‑959, point 25; du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C‑278/92 à C‑280/92, Rec. p. I‑4103, point 20; du 16 mai 2002, France/Commission, C‑482/99, Rec. p. I‑4397, point 68, et du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, Rec. p. I‑7747, point 74).

33
L’article 92, paragraphe 1, du traité énonce quatre conditions. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, précité, point 75).

34
Quant à la première condition, il résulte d’une jurisprudence constante qu’il n’y a pas lieu de distinguer entre les cas dans lesquels l’aide est accordée directement par l’État et ceux où elle est accordée par l’intermédiaire d’un organisme public ou privé, désigné ou institué par cet État (arrêts du 7 juin 1988, Grèce/Commission, 57/86, Rec. p. 2855, point 12; PreussenElektra, précité, point 58, et du 20 novembre 2003, GEMO, C‑126/01, non encore publié au Recueil, point 23).

35
Toutefois, pour que des avantages puissent être qualifiés d’aides au sens de l’article 92, paragraphe 1, du traité, ils doivent, d’une part, être accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État, et, d’autre part, être imputables à l’État (arrêts du 21 mars 1991, Italie/Commission, C‑303/88, Rec. p. I‑1433, point 11; du 16 mai 2002, France/Commission, précité, point 24, et GEMO, précité, point 24).

36
Même si le HBA constitue un organisme public, il n’apparaît pas, en l’espèce, que la campagne publicitaire a été financée par des moyens laissés à la disposition des autorités nationales. Au contraire, il ressort de l’arrêt de renvoi que les fonds qui ont été utilisés par le HBA aux fins du financement de la campagne publicitaire concernée ont été collectés auprès de ses affiliés bénéficiaires de la campagne, au moyen de contributions affectées obligatoirement à l’organisation de cette campagne publicitaire. Les frais exposés par l’organisme public aux fins de ladite campagne étant entièrement compensés par les charges prélevées sur les entreprises qui en ont profité, l’intervention du HBA ne tendait pas à créer un avantage qui constituerait une charge supplémentaire pour l’État ou pour cet organisme (voir, en ce sens, arrêt du 17 mars 1993, Sloman Neptun, C‑72/91 et C‑73/91, Rec. p. I‑887, point 21).

37
En outre, il ressort du dossier que l’initiative pour l’organisation et la poursuite de la campagne publicitaire concernée émane de la NUVO, une association privée d’opticiens, et non du HBA. Comme le souligne M. l’avocat général au point 76 de ses conclusions, le HBA a servi uniquement d’instrument pour la perception et l’affectation de ressources générées en faveur d’un objectif purement commercial fixé préalablement par le milieu professionnel concerné et qui ne s’inscrivait nullement dans le cadre d’une politique définie par les autorités néerlandaises.

38
La présente affaire se distingue ainsi de celle ayant conduit à l’arrêt Steinike & Weinlig, précité. En effet, d’une part, le Fonds dont il était question dans cette dernière affaire était financé à la fois par des subventions directes de l’État et des contributions des entreprises affiliées dont le taux et la base de perception étaient fixés par la loi instituant le Fonds. D’autre part, le Fonds concerné servait d’instrument pour la mise en œuvre d’une politique fixée par l’État, à savoir la promotion de l’agriculture, de la sylviculture et de l’industrie alimentaire nationales. De même, dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt du 11 novembre 1987, France/Commission, précité, le comité DEFI, auquel était transféré le produit des taxes parafiscales qui étaient prélevées en vertu d’un décret du gouvernement français sur les livraisons des produits textiles en France, mettait en œuvre les actions décidées par ce gouvernement au soutien du secteur textile/habillement en France.

39
Il s’ensuit que la première condition visée à l’article 92, paragraphe 1, du traité pour qu’une mesure puisse être qualifiée d’aide d’État fait défaut dans des circonstances telles que celles du litige au principal.

40
Par voie de conséquence, les modalités de financement de la campagne publicitaire ne faisant pas partie intégrante d’une mesure d’aide au sens de l’article 92, paragraphe 1, du traité, celles-ci n’avaient pas à être notifiées à la Commission dans les conditions fixées à l’article 93, paragraphe 3, du traité. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de répondre spécifiquement à la question du Hoge Raad der Nederlanden relative à l’incidence de la communication de minimis sur l’appréciation du respect de cette obligation de notification.

41
Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux trois premières questions que les articles 92, paragraphe 1, et 93, paragraphe 3, du traité doivent être interprétés en ce sens que des règlements adoptés par un organisme professionnel de droit public aux fins du financement d’une campagne publicitaire organisée en faveur de ses membres et décidée par eux, au moyen de ressources prélevées auprès desdits membres et affectées obligatoirement au financement de ladite campagne, ne constituent pas une partie intégrante d’une mesure d’aide au sens de ces dispositions et n’avaient pas à être notifiés préalablement à la Commission dès lors qu’il est établi que ce financement a été réalisé au moyen de ressources dont cet organisme professionnel de droit public n’a eu, à aucun moment, le pouvoir de disposer librement.

Sur les quatrième et cinquième questions

42
Par ces questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, le droit communautaire s’oppose à l’application par les juridictions compétentes de la règle jurisprudentielle néerlandaise de la force juridique formelle en vertu de laquelle celles-ci seraient empêchées de pouvoir encore examiner la légalité des décisions du HBA imposant des charges aux demanderesses au principal, dans l’hypothèse où les règlements sur lesquels ces décisions ont été prises auraient été mis en œuvre en violation de l’article 93, paragraphe 3, du traité.

43
Toutefois, dès lors qu’il ressort de la réponse aux première à troisième questions que les règlements du HBA ayant institué les charges aux fins du financement de la campagne publicitaire en cause ne constituent pas une partie intégrante d’une mesure d’aide au sens de l’article 92, paragraphe 1, du traité et n’avaient pas à être notifiés préalablement à la Commission, il doit être constaté que l’hypothèse sur laquelle ces questions sont fondées n’est pas remplie en l’espèce. Il n’y a dès lors plus lieu de répondre à ces questions.


Sur les dépens

44
Les frais exposés par le gouvernement néerlandais et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.


Par ces motifs,

LA COUR (première chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Hoge Raad der Nederlanden, par arrêt du 27 septembre 2002, dit pour droit:

Les articles 92, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 87, paragraphe 1, CE) et 93, paragraphe 3, du traité CE (devenu articles 88, paragraphe 3, CE) doivent être interprétés en ce sens que des règlements adoptés par un organisme professionnel de droit public aux fins du financement d’une campagne publicitaire organisée en faveur de ses membres et décidée par eux, au moyen de ressources prélevées auprès desdits membres et affectées obligatoirement au financement de ladite campagne, ne constituent pas une partie intégrante d’une mesure d’aide au sens de ces dispositions et n’avaient pas à être notifiés préalablement à la Commission dès lors qu’il est établi que ce financement a été réalisé au moyen de ressources dont cet organisme professionnel de droit public n’a eu, à aucun moment, le pouvoir de disposer librement.

Jann

Rosas

von Bahr

Silva de Lapuerta

Lenaerts

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 juillet 2004.

Le greffier

Le président de la première chambre

R. Grass

P. Jann


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Langue de procédure: le néerlandais.