Language of document : ECLI:EU:C:2008:410

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

17 juillet 2008 (*)

«Manquement d’État – Directive 92/50/CEE – Articles 11 et 15, paragraphe 2 – Marchés publics de services – Attribution des services informatiques de la commune de Mantoue (Italie) – Attribution directe sans publication préalable d’un avis de marché»

Dans l’affaire C‑371/05,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 5 octobre 2005,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. X. Lewis, C. Zadra, L. Visaggio et Mme C. Cattabriga, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République italienne, représentée par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. G. Fiengo, avvocato dello Stato, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. K. Schiemann, J. Makarczyk (rapporteur), J.‑C. Bonichot et Mme C. Toader, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 avril 2008,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, la commune de Mantoue (Italie) ayant attribué, directement et sans publication d’un avis de marché spécifique au Journal officiel des Communautés européennes, la gestion, la maintenance et le développement de ses services informatiques à ASI Spa (ci-après «ASI»), la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1), telle que modifiée par la directive 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993 (JO L 199, p. 1, ci-après la «directive 92/50»), notamment des articles 11 et 15, paragraphe 2, de la directive 92/50.

 Le cadre juridique

2        Aux termes de l’article 1er, sous a) à f), de la directive 92/50:

«Aux fins de la présente directive:

a)      les ‘marchés publics de services’ sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur, […];

b)      sont considérés comme ‘pouvoirs adjudicateurs’, l’État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public, les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public.

Par ‘organisme de droit public’, on entend tout organisme:

–        créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial

et

–        ayant la personnalité juridique

et

–        dont, soit l’activité est financée majoritairement par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public.

[…]

c)      le ‘prestataire de services’ est toute personne physique ou morale, y inclus un organisme public, qui offre des services. Le prestataire de services qui a présenté une offre est désigné par le mot ‘soumissionnaire’; celui qui a sollicité une invitation à participer à une procédure restreinte ou négociée est désigné par le mot ‘candidat’;

d)      les ‘procédures ouvertes’ sont les procédures nationales dans lesquelles tout prestataire de services intéressé peut présenter une offre;

e)      les ‘procédures restreintes’ sont les procédures nationales dans lesquelles seuls les prestataires de services invités par le pouvoir adjudicateur peuvent présenter une offre;

f)      les ‘procédures négociées’ sont les procédures nationales dans lesquelles les pouvoirs adjudicateurs consultent les prestataires de services de leur choix et négocient les conditions du marché avec un ou plusieurs d’entre eux».

3        Selon l’article 7, paragraphe 1, de cette directive, celle-ci s’applique aux marchés publics de services dont le montant estimé hors taxe sur la valeur ajoutée égale ou dépasse 200 000 euros.

4        L’article 8 de ladite directive prévoit:

«Les marchés qui ont pour objet des services figurant à l’annexe I A sont passés conformément aux dispositions des titres III à VI.»

5        L’article 11, paragraphe 1, de la directive 92/50, qui figure sous le titre III de celle-ci intitulé «Choix des procédures de passation et règles applicables aux concours», dispose que, pour passer leurs marchés publics de services, les pouvoirs adjudicateurs appliquent les procédures définies à l’article 1er, sous d) à f), de ladite directive. Les paragraphes 2 et 3 de cet article 11 détaillent les cas dans lesquels les pouvoirs adjudicateurs recourent à la procédure négociée respectivement après avoir publié un avis de marché et sans publication préalable d’un tel avis. Le paragraphe 4 dudit article 11 précise que, dans tous les autres cas, les pouvoirs adjudicateurs passent leurs marchés de services en recourant à la procédure ouverte ou à la procédure restreinte.

6        Aux termes de l’article 15, paragraphe 2, de la directive 92/50, qui figure sous le titre V de cette directive relatif aux règles communes de publicité:

«Les pouvoirs adjudicateurs désireux de passer un marché public de services en recourant à une procédure ouverte, restreinte ou, dans les conditions prévues à l’article 11, à une procédure négociée font connaître leur intention au moyen d’un avis.»

7        L’annexe I A de cette directive vise, sous la catégorie 7, les «[s]ervices informatiques et services connexes».

 La procédure précontentieuse

8        Par une convention conclue le 2 décembre 1997, la commune de Mantoue a confié à ASI la gestion, la maintenance et le développement des services informatiques municipaux jusqu’au 31 décembre 2012 (ci-après la «convention»), sans que cette attribution fasse l’objet d’un appel à la concurrence.

9        À la suite d’une plainte, la Commission a adressé, le 20 juin 2001, une lettre demandant à la République italienne des éclaircissements concernant la convention et rappelant les conditions pour qu’un marché public puisse être soustrait à l’application des directives communautaires relatives à la passation de tels marchés. Par une lettre du 26 juin 2001, cet État membre a répondu que les dispositions de la directive 92/50 étaient, en l’espèce, inapplicables.

10      Le 24 octobre 2001, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure à la République italienne, à laquelle cette dernière a répondu le 11 février 2002.

11      Après examen des observations présentées par la République italienne, la Commission a, le 27 juin 2002, émis un avis motivé invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.

12      La République italienne n’ayant pas répondu audit avis motivé, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

13      Par ordonnance du président de la Cour du 4 mai 2006, la République de Finlande a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la République italienne. Par lettre déposée au greffe de la Cour le 5 septembre 2006, la République de Finlande a informé la Cour qu’elle se désistait de son intervention dans la présente affaire. Par ordonnance du président de la Cour du 2 octobre 2006, la République de Finlande a été radiée comme partie intervenant au litige.

 Argumentation des parties

14      À l’appui de son recours, la Commission invoque un seul grief tiré du fait que la convention n’a pas été conclue conformément aux articles 11 et 15, paragraphe 2, de la directive 92/50.

15      À cet égard, la Commission fait valoir que la convention entre dans le champ d’application de la directive 92/50 et que, partant, elle aurait dû être passée conformément, notamment, auxdits articles.

16      Rappelant l’arrêt de la Cour du 18 novembre 1999, Teckal (C‑107/98, Rec. p. I‑8121), elle exclut que la relation entre la commune de Mantoue et ASI puisse recevoir la qualification de gestion «interne» au sens de cet arrêt. En effet, le contrôle exercé par cette commune sur ASI, en application des articles 8 et 11 de la convention, s’apparenterait à celui d’un simple actionnaire majoritaire d’une société par actions et serait limité par la nécessité de prendre en considération les intérêts des autres actionnaires de cette société. Par ailleurs, la Commission fait remarquer que la commune de Mantoue est sortie du capital d’ASI sans qu’il soit, pour autant, mis fin à la convention.

17      Au contraire, la République italienne fait valoir que, au moment de la conclusion de la convention et conformément à la réglementation nationale applicable, le capital d’ASI était entièrement détenu par la commune de Mantoue et d’autres communes limitrophes. Dès lors, la commune de Mantoue aurait eu sur cette société un contrôle structurel et fonctionnel analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services.

18      La République italienne souligne que la commune de Mantoue nommait les membres des organes de direction de ladite société. En outre, il ne saurait être contesté que le seul intérêt protégé par la convention est celui de cette commune. Au surplus, les frais d’ASI seraient fixés à intervalles périodiques par des délibérations communales. La commune de Mantoue se serait encore réservé la possibilité de procéder à certaines vérifications des objectifs prévus par la convention. À cet égard, la désignation d’un fonctionnaire, en vertu de l’article 8 de la convention, serait l’expression du pouvoir de supervision que ladite commune doit maintenir afin de satisfaire à la condition du contrôle analogue à celui exercé sur ses propres services fixée par l’arrêt Teckal, précité.

19      En tout état de cause, la République italienne précise que, conformément aux décisions prises lors de l’assemblée générale des actionnaires d’ASI qui s’est tenue le 23 décembre 2004, la commune de Mantoue est définitivement sortie du capital d’ASI et que cette dernière a cessé d’accomplir les activités couvertes par la convention au 31 décembre 2006.

 Appréciation de la Cour

20      D’emblée, il convient de relever qu’il est constant entre les parties que la convention concerne la fourniture de services visés à l’annexe I A de la directive 92/50 et que le montant de ces services dépasse le seuil, fixé à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive, susceptible de faire entrer la convention dans le champ d’application de celle-ci.

21      Cependant, la République italienne fait valoir que la convention n’avait pas à être soumise aux règles régissant les marchés publics étant donné que les critères de gestion «interne» étaient remplis.

22      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, l’appel à la concurrence, conformément aux directives relatives à la passation des marchés publics, n’est pas obligatoire, même si le cocontractant est une entité juridiquement distincte du pouvoir adjudicateur, lorsque deux conditions sont remplies. D’une part, l’autorité publique, qui est un pouvoir adjudicateur, doit exercer sur l’entité distincte en question un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services et, d’autre part, cette entité doit réaliser l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités publiques qui la détiennent (voir, notamment, arrêts Teckal, précité, point 50, ainsi que du 8 avril 2008, Commission/Italie, C‑337/05, non encore publié au Recueil, point 36 et jurisprudence citée).

23      Dès lors, il convient d’examiner si les deux conditions exigées par la jurisprudence mentionnée au point précédent sont remplies à l’égard d’ASI.

24      S’agissant de la première condition, relative au contrôle de l’autorité publique, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il convient de tenir compte non seulement de l’ensemble des dispositions législatives, mais également des circonstances pertinentes du cas d’espèce. Il doit résulter de cet examen que la société adjudicataire est soumise à un contrôle permettant au pouvoir adjudicateur d’influencer les décisions de cette société. Il doit s’agir d’une possibilité d’influence déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes de ladite société (voir arrêts du 13 octobre 2005, Parking Brixen, C‑458/03, Rec. p. I‑8585, point 65, ainsi que du 11 mai 2006, Carbotermo et Consorzio Alisei, C‑340/04, Rec. p. I‑4137, point 36).

25      La République italienne a fait valoir, sans être contredite sur ce point par la Commission, que la commune de Mantoue avait la faculté, en raison de son statut d’actionnaire majoritaire d’ASI, de nommer les membres des organes de direction et d’orienter l’activité de cette société. Elle a également indiqué que, en application de la convention, le conseil municipal de ladite commune fixait, par des délibérations, les frais de fonctionnement de ladite société et que la commune de Mantoue s’était réservée la possibilité de procéder à certaines vérifications, d’une part, par la désignation d’un fonctionnaire communal chargé de collaborer à l’action d’ASI, de stimuler et de contrôler cette action et, d’autre part, par le contrôle de la comptabilité de ladite société afin de s’assurer de l’application des règles d’exactitude comptable et des normes de garantie prévues par ladite convention.

26      Il en résulte que ladite commune avait la faculté d’influencer de manière déterminante tant les objectifs stratégiques que les décisions importantes d’ASI par la désignation des membres des organes de direction de cette société et d’un fonctionnaire communal chargé d’orienter et de contrôler l’action de celle-ci. Ladite faculté suffit à caractériser l’existence d’un pouvoir de contrôle structurel et fonctionnel de la commune de Mantoue sur ladite société analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services, de sorte que la première condition posée par la Cour au point 50 de l’arrêt Teckal, précité, est remplie.

27      La Commission fait cependant valoir que ladite condition ne pouvait être remplie dès lors que, premièrement, au moment de la conclusion de la convention, deux organismes de droit privé, à savoir TEA Spa et APAM Spa, détenaient des participations dans le capital d’ASI et que, deuxièmement, à supposer même que cette dernière soit une société à capital entièrement public, la participation d’associés privés était explicitement prévue dès sa constitution.

28      Or, s’agissant du premier argument soulevé par la Commission, il suffit de constater que celle-ci n’a pas contesté les informations fournies par la République italienne dans le mémoire en duplique, selon lesquelles les deux sociétés en question étaient elles aussi des entreprises communales.

29      En ce qui concerne le second argument soulevé par la Commission, il y a lieu de relever que la possibilité pour des personnes privées de participer au capital de la société adjudicataire, eu égard notamment à la forme sociale de ladite société, ne suffit pas, en l’absence d’une participation effective de leur part au moment de la conclusion d’une convention telle que celle en cause dans la présente affaire, pour conclure que la première condition, relative au contrôle de l’autorité publique, n’est pas remplie. En effet, pour des raisons de sécurité juridique, l’éventuelle obligation pour le pouvoir adjudicateur de procéder à un appel d’offres public doit être examinée, en principe, au vu des conditions prévalant à la date de l’attribution du marché public en cause (voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 2005, Commission/Autriche, C‑29/04, Rec. p. I‑9705, point 38).

30      Certes, des circonstances particulières, notamment lorsqu’il apparaît que l’ouverture du capital de l’entité concernée à des associés privés était envisagée dès l’attribution dudit marché public, peuvent requérir la prise en compte d’une participation effective desdits associés intervenue ultérieurement à ladite attribution (voir, en ce sens, arrêt Commission/Autriche, précité, points 38). Toutefois, en l’espèce, force est de constater que la Commission n’est pas parvenue à rapporter la preuve de l’existence de telles circonstances particulières.

31      S’agissant de la seconde condition, relative à l’activité de l’entité concernée, il convient de rappeler qu’une entreprise réalise l’essentiel de son activité avec la collectivité qui la détient, au sens de l’arrêt Teckal, précité, si l’activité de cette entreprise est consacrée principalement à cette collectivité, toute autre activité ne revêtant qu’un caractère marginal (voir arrêt Carbotermo et Consorzio Alisei, précité, point 63).

32      En outre, dans le cas où plusieurs collectivités détiennent une entreprise, la condition relative à l’activité peut être satisfaite si cette entreprise effectue l’essentiel de son activité non nécessairement avec telle ou telle de ces collectivités, mais avec ces collectivités prises dans leur ensemble. Par conséquent, l’activité à prendre en compte dans le cas d’une entreprise détenue par plusieurs collectivités est celle que cette entreprise réalise avec l’ensemble de ces collectivités (voir arrêt Carbotermo et Consorzio Alisei, précité, points 70 et 71).

33      À cet égard, il ressort des pièces présentées par la République italienne que, s’il est tenu compte des activités réalisées par ASI non pas uniquement en faveur de la commune de Mantoue mais pour toutes les collectivités qui la détiennent, ces activités peuvent être considérées comme étant consacrées essentiellement auxdites collectivités.

34      Partant, la seconde condition posée par la Cour au point 50 de l’arrêt Teckal, précité, est remplie.

35      Dans ces conditions, il convient de considérer que la République italienne a démontré à suffisance de droit que les conditions exigées par la jurisprudence mentionnée au point 22 du présent arrêt sont réunies et que, dès lors, la commune de Mantoue n’était pas tenue de faire appel à la concurrence avant de conclure la convention.

36      En conséquence, le recours de la Commission doit être rejeté comme non fondé.

 Sur les dépens

37      En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La République italienne ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)      Le recours est rejeté.

2)      La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.