Language of document : ECLI:EU:C:2004:246

Arrêt de la Cour

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
29 avril 2004 (1)


Aides d'État – Exonération partielle de la taxe sur les matières minérales en faveur de la culture en serre ou sur substrat

Dans l'affaire C-159/01,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme J. van Bakel, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. D. Triantafyllou et H. van Vliet, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet l'annulation partielle de la décision 2001/371/CE de la Commission, du 21 décembre 2000, concernant l'exonération prévue par les Pays-Bas de la taxe sur les matières minérales applicable au titre de la loi sur les engrais (JO 2001, L 130, p. 42),



LA COUR (cinquième chambre)



composée de M. P. Jann, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. A. Rosas et S. von Bahr (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Léger,
greffier: Mme M.-F. Contet, administrateur principal,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 29 janvier 2003, au cours de laquelle le royaume des Pays-Bas a été représenté par Mme C. M. Wissels, en qualité d'agent, et la Commission, par M. van Vliet,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 12 juin 2003,

rend le présent



Arrêt



1
Par requête déposée au greffe de la Cour le 11 avril 2001, le royaume des Pays-Bas a, en vertu de l’article 230 CE, demandé l’annulation partielle de la décision 2001/371/CE de la Commission, du 21 décembre 2000, concernant l’exonération prévue par les Pays-Bas de la taxe sur les matières minérales applicable au titre de la loi sur les engrais (JO 2001, L 130, p. 42, ci-après la «décision attaquée»).


Le cadre juridique

La réglementation communautaire

2
L’article 87, paragraphe 1, CE dispose:

«Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.»

3
La communication 98/C 384/03 de la Commission sur l’application des règles relatives aux aides d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises (JO C 384, p. 3, ci-après la «communication relative aux aides d’État dans le domaine de la fiscalité directe») précise, à son point 2, qu’elle se propose d’apporter des clarifications sur la qualification d’aide au titre de l’article 87, paragraphe 1, CE dans le cas des mesures fiscales.

4
Selon le point 16 de la communication relative aux aides d’État dans le domaine de la fiscalité directe, ce qui est «avant tout pertinent pour l’application de l’article [87], paragraphe 1, [CE] à une mesure fiscale, c’est que cette mesure instaure, en faveur de certaines entreprises de l’État membre, une exception à l’application du système fiscal. Il convient donc d’abord de déterminer le régime commun applicable. Il est ensuite nécessaire d’examiner si l’exception ou des différenciations à l’intérieur de ce régime sont justifiées ‘par la nature ou l’économie du système fiscal’, c’est-à-dire, si elles résultent directement des principes fondateurs ou directeurs du système fiscal de l’État membre concerné. Si tel n’est pas le cas, il s’agit d’une aide d’État».

5
Au point 23 de la même communication, il est précisé que «la nature différentielle de certaines mesures ne doit pas nécessairement les faire considérer comme des aides d’État. Tel est le cas de celles dont la rationalité économique les rend ‘nécessaires ou fonctionnelles par rapport à l’efficacité du système fiscal’. Il appartient cependant à l’État membre de fournir une telle justification».

6
Aux termes du point 5.5.1 de ses lignes directrices de la Communauté concernant les aides d’État dans le secteur agricole, du 1er février 2000 (JO C 28, p. 2), telles que rectifiées le 12 août 2000 (JO C 232, p. 17, ci-après les «lignes directrices»), la Commission indique qu'elle:

«[…] ne saurait [en principe] approuver des aides au fonctionnement allégeant pour les entreprises, y compris les exploitations agricoles, les coûts résultant des pollutions ou des nuisances qu’elles provoquent. La Commission ne dérogera à ce principe que lorsque les circonstances le justifient vraiment.»

7
Selon l’annexe III de la directive 91/676/CEE du Conseil, du 12 décembre 1991, concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles (JO L 375, p. 1, ci-après la «directive sur les nitrates»), qui précise les mesures à inclure dans certains programmes d’action:

«[…]

2. Ces mesures assurent que, pour chaque exploitation ou élevage, la quantité d’effluents d’élevage épandue annuellement, y compris par les animaux eux-mêmes, ne dépasse pas une quantité donnée par hectare.

Cette quantité donnée par hectare correspond à la quantité d’effluents contenant 170 kilogrammes d’azote. Toutefois:

a) pour le premier programme d’action quadriennal, les États membres peuvent autoriser une quantité d’effluents contenant jusqu’à 210 kilogrammes d’azote;

b) pendant le premier programme d’action quadriennal et à l’issue de ce programme, les États membres peuvent fixer des quantités différentes de celles indiquées ci-avant. Ces quantités doivent être déterminées de sorte à ne pas compromettre la réalisation des objectifs visés à l’article 1er et doivent se justifier par des critères objectifs. […]

[…]

Si un État membre autorise une quantité différente en vertu du point b), il en informe la Commission qui examinera sa justification conformément à la procédure prévue à l’article 9.

[…]»

La réglementation nationale

8
Le régime d’utilisation des fertilisants est un système de taxation des minéraux dénommé «Mineralenaangiftesysteem» (régime de la taxe sur les minéraux, ci-après le «régime MINAS»). Les droits et obligations applicables en vertu du régime MINAS sont régis par les articles 14 à 54 de la Wet van 27 november 1986 houdende regelen inzake het verhandelen van meststoffen en de afvoer van mestoverschotten (loi du 27 novembre 1986 réglementant le commerce des fertilisants et l’évacuation des excédents de fertilisants, Stbl. 1986, p. 590), telle que modifiée par la loi du 16 septembre 1999 (Stbl. 1999, p. 406, ci-après la «Meststoffenwet»).

9
Le régime MINAS est un régime de régulation de l’utilisation des fertilisants par l’application de «normes de pertes». Ce régime a pour but de réduire les pertes d’azote et de phosphates dans les exploitations agricoles par infiltration dans l’environnement. Pour atteindre cet objectif, il contraint l’exploitant agricole à ne pas occasionner de pertes d’azote et de phosphates qui soient nocives pour l’environnement.

10
Le régime MINAS est fondé sur l’idée d’une utilisation équilibrée de l’azote et des phosphates par les exploitants. L’apport d’azote et de phosphates en amont de la production ne doit pas être plus important que l’évacuation d’azote et de phosphates en aval de la production, plus une perte tolérée. La «perte tolérée» est déterminée par les normes de pertes d’azote et de phosphates qui sont prévues dans la Meststoffenwet, et qui ont été établies dans un souci de protection de l’environnement. Tout exploitant agricole est tenu d’acquitter une taxe, conformément au chapitre IV de cette loi, lorsque l'apport en amont d'azote et de phosphates dans une exploitation est plus important que l'évacuation de ces minéraux dans une mesure supérieure aux normes de pertes prévues par ladite loi.

11
Les autorités néerlandaises ont instauré une possibilité d’exonération en vertu du regeling van 12 januari 1999 van de Minister van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij (règlement du 12 janvier 1999 du ministre de l’Agriculture, des Ressources naturelles et de la Pêche, Stbl. 1999, n° 9, ci-après le «règlement sur l’exonération»).

12
Conformément à l'article 2 du règlement sur l'exonération, les petites exploitations d’élevage extensif, dites «exploitations hobby» bénéficient d'une exonération totale.

13
En vertu des articles 3 à 9 du règlement sur l'exonération, les exploitations horticoles qui pratiquent la culture en serre ou sur substrat sont exemptées de la taxe à concurrence d'une quantité maximale d'engrais taxable de 460 kg de phosphates et de 800 kg d'azote par hectare de la moyenne de la superficie du support de culture ou du terrain réellement utilisés par l'exploitation pour ces formes de culture pendant l'année civile.

14
Aux termes de l'article 11, sous b), du règlement sur l'exonération, les jardineries qui exercent également une culture en serre ou sur substrat bénéficient de la même exonération partielle, en ce qui concerne les phosphates, que celle qui est prévue à l’article 3 de ce règlement pour les exploitations horticoles mentionnées au point précédent.

15
Selon l’article 13 du règlement sur l’exonération, ces exonérations sont applicables avec effet rétroactif au 1er janvier 1998, ce qui correspond à la date d’entrée en vigueur du régime des taxes instauré par le chapitre IV de la Meststoffenwet.


Les faits à l’origine du litige

16
Par lettre du 7 octobre 1999, enregistrée le 13 octobre suivant, le royaume des Pays-Bas a notifié à la Commission certaines exonérations de taxes sur les matières minérales introduites par la Meststoffenwet. Il lui a également communiqué des informations complémentaires par lettre du 10 janvier 2000.

17
En premier lieu, les exploitations hobby, ont été exonérées des taxes sur les matières minérales. En deuxième lieu, les exploitations horticoles pratiquant la culture en serre ou sur substrat ont bénéficié d’une exonération partielle desdites taxes. En troisième lieu, une exonération a été prévue pour les jardineries.

18
Les autorités néerlandaises ont fait valoir que les exonérations des taxes en cause se justifiaient par «la nature ou l’économie du système» au sens de la communication relative aux aides d’État dans le domaine de la fiscalité directe, et qu’elles ne constituaient donc pas des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

19
En ce qui concerne les exploitations horticoles et les jardineries se livrant à des activités horticoles, les autorités néerlandaises ont soutenu que les exonérations forfaitaires de 460 kg de phosphates et 800 kg d’azote prévues pour les entreprises concernées ont été calculées sur la base des données résultant d’une enquête de la station de recherche sur la floriculture et les légumes de serre concernant l’absorption de phosphates et d'azote par les végétaux cultivés sous verre. Ces données auraient fait apparaître que l’absorption de phosphates et d’azote par les végétaux cultivés sous verre était, en moyenne, de 460 kg de phosphates et de 800 kg d’azote par an et par hectare. Elle serait donc nettement plus élevée qu’en ce qui concerne les végétaux cultivés en plein air. Cela s’expliquait par le fait que la production des cultures sous verre serait huit fois plus élevée que celle des cultures en plein air. C'est la raison pour laquelle ces forfaits seraient plus élevés que ceux qui sont appliqués aux entreprises agricoles et supérieurs aux normes prévues par la directive sur les nitrates.

20
Par lettre du 20 mars 2000, la Commission a notifié au royaume des Pays-Bas sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE à l’égard des exonérations envisagées.

21
En ce qui concerne l’exonération prévue en faveur de l’horticulture, la Commission a constaté qu’il conviendrait, eu égard à «la nature ou l’économie du système» d’assimiler le terrain ou substrat utilisé aux terres agricoles et d’appliquer les mêmes normes en matière d’apport de matières minérales. Dans le cadre d’une application normale du régime d’entrées et de sorties, l’égalité de traitement serait alors garantie et il ne serait pas question d’aide d’État. La Commission a constaté que l’apport possible semblait beaucoup plus élevé (460 kg de phosphates et 800 kg d’azote par hectare). Selon elle, il ne semblait donc pas y avoir de raison inhérente au système d’accorder l’exonération proposée à l’horticulture.

22
En ce qui concerne l’exonération en faveur des jardineries qui exercent elles-mêmes des activités horticoles, la Commission a relevé qu’il ne semblait cependant pas y avoir de raison d’octroyer l’exonération prévue, dans la mesure où la même réglementation s’appliquerait également à l’horticulture liée au sol et à l’horticulture non liée au sol.

23
Enfin, la Commission a indiqué qu’elle avait des doutes quant à la compatibilité de la Meststoffenwet et du règlement sur l’exonération avec la directive sur les nitrates.

24
La Commission a notamment indiqué que la quantité d’azote autorisée pour ce qui est des jardineries et de l’horticulture est nettement plus élevée que les normes de la directive sur les nitrates (170 kg d’azote par hectare – pour une période de quatre ans, une quantité maximale de 210 kg étant autorisée à titre exceptionnel). La Commission a relevé que, en l’absence de données concernant le rejet de nitrates dans l’eau et compte tenu du fait que la quantité d’azote admissible est de loin supérieure aux normes de ladite directive, elle avait des doutes quant aux conséquences que les exonérations prévues pourraient avoir sur l’environnement.

25
Dès lors, la Commission a ouvert la procédure visée à l’article 88, paragraphe 2, CE. Elle a invité les intéressés à présenter leurs observations sur la mesure d’aide envisagée.

26
Par lettre adressée à la Commission le 17 mai 2000, le royaume des Pays-Bas a présenté ses observations en réponse à l’ouverture de la procédure. Selon lui, eu égard au contenu et à l’objectif de la mesure en cause, celle-ci ne saurait être considérée comme une mesure fiscale dont l’exonération constituerait une aide d’État au sens de l’article 87 CE. Les autorités néerlandaises ont également indiqué que les objections de la Commission au titre de la directive sur les nitrates ne devraient pas être traitées dans le contexte d’une procédure relative aux aides d’État.


La décision attaquée

27
Au point 34 des motifs de la décision attaquée, la Commission constate que, en l’absence de toute autre donnée, ses doutes à l’encontre des exonérations envisagées par le royaume des Pays-Bas persistent.

28
La Commission indique, au point 36 des motifs de cette décision, que, en l’espèce, un État membre accorde une aide à certaines entreprises, puisque celles-ci sont exonérées de taxes déterminées.

29
Au point 38 des motifs de la même décision, la Commission relève que les autorités néerlandaises n’ont pas avancé d'argument nouveau concernant les jardineries et les exploitations horticoles.

30
La Commission maintient dès lors, au point 39 des motifs de la décision attaquée, les objections qu’elle a soulevées à l’encontre de l’exonération partielle des exploitations horticoles et des jardineries se livrant à des activités horticoles. En ce qui concerne l’exonération en faveur de l’horticulture, il serait normal, eu égard à la nature et à l’objectif général du système, d’assimiler le sol ou substrat utilisé aux terres agricoles et d’appliquer les normes applicables à ces terres agricoles. En l’espèce, les quantités autorisées seraient toutefois nettement supérieures (460 kg de phosphates et 800 kg d’azote par hectare). La taxe ne serait due que dès que ces quantités sont dépassées. Dès lors, il n’y aurait pas de raison inhérente au système d’accorder l’exonération prévue à l’horticulture et les autorités néerlandaises n’auraient d’ailleurs avancé aucune raison de ce type.

31
Selon la Commission, au point 40 des motifs de la décision attaquée, les exonérations remplissaient toutes les conditions en question aux points 9 et 10 de la communication relative aux aides d’État dans le domaine de la fiscalité directe, laquelle communication serait applicable par analogie. La mesure en cause offrirait au bénéficiaire un avantage réduisant les charges qu’il doit normalement supporter; cet avantage serait accordé par l’État (perte de revenus); ladite mesure pourrait avoir une incidence défavorable sur les échanges commerciaux entre États membres, ce qui serait le cas lorsque le bénéficiaire exerce une activité économique faisant l’objet de tels échanges et, enfin, elle revêtirait un caractère spécifique ou sélectif.

32
Au point 41 des motifs de la même décision, la Commission indique que ce type d’aide doit être considéré comme une subvention d’exploitation. Cette aide, qui revient exclusivement à diminuer les coûts normaux d’exploitation de l’opérateur, n’offre au bénéficiaire qu’un avantage économique limité dans le temps, qui cesse d’exister dès que cessent les paiements et qui peut notamment fausser la concurrence.

33
La Commission relève, au point 42 des motifs de la décision attaquée, en se référant au point 5.5.1 des lignes directrices que, normalement, les subventions d’exploitation ne sont pas autorisées. De telles aides ne pourraient être octroyées que si elles sont temporaires et dégressives, ce qui ne serait pas le cas de l’aide en cause.

34
Au point 43 des motifs de la même décision, la Commission constate que l’examen prévu aux articles 87 CE à 89 CE porte, entre autres, sur la compatibilité avec d’autres textes législatifs communautaires. Selon elle, une procédure relative aux aides d’État ne doit jamais aboutir à un résultat contraire aux dispositions spécifiques du traité CE, en l’espèce l’article 174 CE, ni à la réglementation communautaire prise sur le fondement de ces dispositions. En tout cas, la Commission estime que, quelle que puisse être la compatibilité de la réglementation néerlandaise avec la directive sur les nitrates, l’avantage en question doit être considéré comme une simple subvention d’exploitation.

35
À la lumière de ces considérations, la Commission conclut, au point 44 des motifs de la décision attaquée, que les exonérations fiscales envisagées en faveur des exploitations hobby, des exploitations horticoles et des jardineries se livrant à des activités horticoles ne sauraient être considérées comme servant l’intérêt communautaire et qu’elles ne relèvent donc pas des exceptions prévues à l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE.

36
Les articles 1er à 3 de la décision attaquée sont libellés de la manière suivante:

«Article premier

Les exonérations fiscales prévues dans le cadre du régime Minas que les Pays-Bas envisagent d’octroyer aux petites entreprises (exploitations hobby), aux exploitations horticoles et aux jardineries se livrant à des activités horticoles ne sont pas compatibles avec le marché commun. Le régime d’aide ne doit donc pas être appliqué.

Article 2

Les Pays-Bas communiquent à la Commission, dans les deux mois suivant la communication de la présente décision, les mesures qu’ils auront prises pour s’y conformer.

Article 3

Le Royaume des Pays-Bas est destinataire de la présente décision.»


Le recours devant la Cour

37
Le royaume des Pays-Bas demande à la Cour d'annuler la décision attaquée, dans la mesure où elle concerne l’exonération en faveur des exploitations horticoles et les jardineries pratiquant la culture en serre ou sur substrat.

38
À l'appui de son recours, il fait valoir que la Commission a violé les articles 87 CE et 253 CE en constatant que ladite exonération constitue une aide d'État incompatible avec le marché commun. Le royaume des Pays-Bas soutient notamment que l'exonération pour la culture en serre ou sur substrat ne constitue pas une aide d'État interdite dès lors qu'elle est justifiée par l'économie et la nature du régime MINAS.

39
La Commission demande à la Cour de rejeter le recours et de condamner le royaume des Pays-Bas aux dépens.


Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE

Sur la première branche relative à l’existence d’un avantage allégeant les charges des exploitations pratiquant la culture en serre ou sur substrat

40
Le gouvernement néerlandais soutient que l’exonération partielle de la taxe sur les matières minérales ne confère aucun avantage aux exploitations pratiquant la culture en serre ou sur substrat mais vise à tenir compte de la nature du régime MINAS. Il indique que, conformément à la nature de ce régime, les exploitations n'ont pas à payer de taxes pour les quantités d’azote et de phosphates qui sont absorbées par les végétaux cultivés, ces quantités étant évacuées de l’exploitation lorsque les végétaux sont enlevés de celle-ci. Selon ce gouvernement, l’absorption d’azote et de phosphates par les végétaux cultivés en serre ou sur substrat est huit fois plus importante que celle par les végétaux cultivés en pleine terre. Il fait valoir que cela résulte, d’une part, du fait que la culture en serre ou sur substrat est beaucoup plus intensive que l’agriculture en pleine terre et, d’autre part, de la circonstance que la culture en serre ou sur substrat est indépendante des saisons. Dans ces circonstances, il serait justifié de permettre aux exploitations horticoles en serre ou sur substrat de déverser sur le sol, sans devoir payer des taxes, des quantités annuelles de 460 kg de phosphates et de 800 kg d’azote par hectare, quantités bien plus importantes que celles qui sont autorisées pour l’agriculture en pleine terre. Le gouvernement néerlandais fait valoir qu’il a présenté ces arguments à la Commission tout au long de la procédure administrative. Or, la Commission n’aurait jamais clairement expliqué ses griefs précis à l’encontre de l’exonération en faveur de la culture en serre ou sur substrat.

41
La Commission conteste cette dernière affirmation. Elle fait valoir qu’elle a demandé d’emblée au royaume des Pays-Bas de justifier le fait que les normes étaient beaucoup plus souples pour les exploitations horticoles que pour les agriculteurs traditionnels. Elle aurait réitéré ses doutes au sujet de cette justification dans sa décision d’ouvrir la procédure. Dans cette dernière décision, elle aurait également demandé au royaume des Pays-Bas qu’il lui communique toutes les informations pouvant être utiles pour apprécier ladite exonération. Or, celui-ci n’aurait pas démontré que l’exonération accordée aux horticulteurs se justifie effectivement par des taux plus élevés d’absorption d’azote et de phosphates par les végétaux produits dans les exploitations horticoles. Selon la Commission, les quantités annuelles de 460 kg de phosphates et de 800 kg d’azote sont fondées sur un accord conclu entre les autorités néerlandaises et les exploitants, ce qui n’implique pas nécessairement des normes établies selon un point de vue purement scientifique.

42
À cet égard, il y a lieu d’indiquer que la notion d’aide a certes été interprétée par la Cour comme ne visant pas des mesures introduisant une différenciation entre entreprises en matière de charges lorsque cette différenciation résulte de la nature et de l’économie du système de charges en cause (voir, en ce sens, arrêts du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, Rec. p. 709, point 33; du 17 mars 1993, Sloman Neptun, C-72/91 et C-73/91, Rec. p. I-887, point 21; du 20 septembre 2001, Banks, C-390/98, Rec. p. I-6117, point 3, et du 26 septembre 2002, Espagne/Commission, C-351/98, Rec. p. I-8031, point 43).

43
Il incombe à l’État membre qui a introduit une telle différenciation entre entreprises en matière de charges de démontrer qu’elle est effectivement justifiée par la nature et l’économie du système en cause.

44
En l’occurrence, il convient de constater, ainsi que l’indique M. l’avocat général aux points 68 et 69 de ses conclusions, que, s’il paraît plausible que, sur une surface de production comparable, la culture en serre ou sur substrat permette, sur une année, une absorption de phosphates et d’azote par les végétaux plus importante que l’agriculture en pleine terre, il ne résulte pas des arguments invoqués par le gouvernement néerlandais que cette absorption serait huit fois supérieure à celle des plantes cultivées en pleine terre et qu’elle correspondrait aux quantités annuelles moyennes de 460 kg de phosphates et de 800 kg d’azote par hectare.

45
Il ressort des pièces du dossier que la Commission a fait savoir au gouvernement néerlandais, tout au long de la procédure administrative, qu’elle n’était pas convaincue par la justification de l’exonération litigieuse fondée sur l’absorption bien plus importante d’azote et de phosphates par les végétaux cultivés en serre ou sur substrat mentionnée au point précédent.

46
Dans ces circonstances, les autorités néerlandaises auraient dû, afin de démontrer que l’exonération litigieuse était justifiée par la nature et l’économie du système en cause, apporter des preuves scientifiques à cet égard. Elles n’ont cependant apporté aucune preuve en ce sens.

47
Force est dès lors de constater que la Commission a pu conclure, à bon droit, aux points 39 et 40 des motifs de la décision attaquée, que l’exonération litigieuse n’était pas justifiée par la nature et l’économie du régime MINAS mais offrait au bénéficiaire un avantage réduisant les charges qu’il devait normalement supporter.

48
Il s’ensuit que la première branche du premier moyen doit être rejetée.

Sur la deuxième branche relative à l’existence d’une aide accordée par l’État ou au moyen de ressources d’État

49
Le gouvernement néerlandais fait valoir que la Commission méconnaît le caractère du régime MINAS dans la décision attaquée. Le régime d’exonération pour la culture en serre ou sur substrat ne serait pas, de par sa nature, un avantage accordé par l’État ou au moyen de ressources d’État. Ledit régime ne viserait pas non plus à générer des revenus fiscaux pour l’État, mais à régler le comportement des agriculteurs et plus précisément à leur faire prendre des mesures pour réduire leur consommation d’engrais et la charge pour l’environnement à un niveau acceptable. Le régime MINAS devrait être considéré comme un instrument de conservation du patrimoine naturel comparable à des amendes administratives et pénales. Le gouvernement néerlandais soutient que, dans la mesure où l’État renonce à des revenus provenant des taxes du fait de cette exonération, il s’agit de taxes qui ne sont pas en rapport avec la pollution effective du sol.

50
Tout d'abord, la Cour a déjà constaté au point 47 du présent arrêt que la Commission a pu conclure à bon droit que l’exonération litigieuse en faveur de la culture en serre et sur substrat constitue un avantage allégeant les charges des exploitants pratiquant ce type de culture.

51
Il y a lieu de relever ensuite que l’argument du gouvernement néerlandais selon lequel le régime MINAS ne vise pas à générer des revenus fiscaux ne suffit pas à faire échapper d’emblée l’exonération litigieuse à la qualification d’aide au sens de l’article 87 CE. En effet, le paragraphe 1 dudit article ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets (arrêts du 29 février 1996, Belgique/Commission, C-56/93, Rec. p. I‑723, point 79; du 26 septembre 1996, France/Commission, C‑241/94, Rec. p. I‑4551, point 20, et du 17 juin 1999, Belgique/Commission, C‑75/97, Rec. p. I‑3671, point 25).

52
En l’occurrence, le gouvernement néerlandais ne conteste pas que l’exonération litigieuse conduit à une perte de ressources qui auraient dû être versées au budget de l’État. Il se contente de soutenir que cette exonération ne permet pas au bénéficiaire de celle-ci de polluer le sol d’une manière plus importante que l’agriculteur traditionnel qui est soumis intégralement à la taxe sur les minéraux.

53
Or, l’argumentation selon laquelle l’exonération en faveur de la culture en serre ou sur substrat ne permet pas une pollution du sol plus importante que par l’agriculture traditionnelle en raison de l’absorption de phosphates et d’azote bien plus importante par les végétaux cultivés en serre ou sur substrat que celle par les végétaux cultivés en pleine terre, a été rejeté par la Cour dans le cadre de la première branche de ce premier moyen.

54
Il s’ensuit que la deuxième branche du premier moyen doit être rejetée.

Sur la troisième branche relative à l’affectation des échanges commerciaux entre les États membres

55
Le gouvernement néerlandais fait valoir que les échanges commerciaux ne seraient affectés ou la concurrence ne serait faussée que si les exploitations pratiquant un tel type de culture aux Pays-Bas se voyaient accorder le droit de déverser plus d’engrais sur le sol que les autres agriculteurs. Tel ne serait pas le cas en l’espèce puisque l’exonération litigieuse viserait la quantité de minéraux dans les engrais apportés qui quitteraient ensuite l’exploitation par l’évacuation des produits végétaux et ne pollueraient donc pas le sol.

56
Il y a lieu tout d’abord d’indiquer, ainsi que le relève M. l’avocat général au point 88 de ses conclusions, que l’argumentation du gouvernement néerlandais est fondée sur la prémisse selon laquelle l’exonération litigieuse serait justifiée par la nature et l’économie du régime MINAS en ce qu’elle correspondrait aux quantités de minéraux absorbées par les végétaux cultivés qui sont évacués de l’exploitation, sans polluer le sol. Or, la Cour a déjà rejeté cette argumentation dans le cadre de l’appréciation de la première branche de ce moyen.

57
Le gouvernement néerlandais ne cherche pas à remettre en cause, pour d’autres motifs, le bien fondé des constatations de la Commission, énoncées aux points 40 et 41 des motifs de la décision attaquée, selon lesquelles l’exonération litigieuse pourrait avoir une incidence défavorable sur les échanges commerciaux des produits horticoles, qui font l’objet d’un commerce international considérable, et que l’exonération litigieuse, qui diminue les coûts normaux d’exploitation du bénéficiaire, peut fausser la concurrence.

58
Il convient dès lors de rejeter la troisième branche du premier moyen.


Sur le deuxième moyen, tiré de la compatibilité de l’exonération litigieuse avec la directive sur les nitrates

59
Le gouvernement néerlandais fait valoir que la Commission a fondé la décision attaquée sur une violation de la directive sur les nitrates. Or, cette institution ne pourrait pas fonder une décision en matière d’aide d’État sur une violation de ladite directive.

60
À cet égard, il convient d’indiquer que la Commission s'est fondée sur l’existence d’une aide d’État incompatible avec le marché commun en vertu de l’article 87, paragraphe 1, CE. Dans le cadre de son appréciation, la Commission a constaté, aux points 41 et 42 des motifs de la décision attaquée, que l’exonération litigieuse devait être considérée comme une subvention d’exploitation, visant à diminuer les coûts normaux des exploitants en cause, qui ne remplissait pas les conditions requises pour bénéficier d’une dérogation en vertu de l’article 87, paragraphe 3, CE ou en vertu des lignes directrices.

61
S’il est vrai que la Commission a, par la suite, au point 43 des motifs de la décision attaquée, rappelé la jurisprudence selon laquelle une procédure relative aux aides d’État ne doit jamais aboutir à un résultat contraire aux dispositions spécifiques du traité (arrêt du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225/91, Rec. p. I-3203, point 41), elle a conclu que, quelle que puisse être la compatibilité de la réglementation nationale avec la directive sur les nitrates, l’avantage devrait être considéré comme une simple subvention d’exploitation.

62
Dans ces conditions, la Commission n’a pas fondé la décision attaquée sur une violation de la directive sur les nitrates.

63
Il convient dès lors de rejeter le deuxième moyen comme non fondé.


Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

64
Le gouvernement néerlandais reproche à la Commission de ne pas avoir donné les raisons pour lesquelles elle estime que les exonérations annuelles de 460 kg de phosphates et de 800 kg d’azote par hectare en faveur de la culture en serre ou sur substrat étaient trop élevées.

65
À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir, notamment, arrêts du 13 mars 1985, Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission, 296/82 et 318/82, Rec. p. 809, point 19; du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C‑350/88, Rec. p. I‑395, point 15; du 29 février 1996, Belgique/Commission, C‑56/93, Rec. p. I-723, point 86, et du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C-367/95 P, Rec. p. I-1719, point 63).

66
En l’occurrence, la Commission a notamment précisé, aux points 34, 38 et 39 des motifs de la décision attaquée, que, en l’absence de toute autre donnée et de nouveaux arguments des autorités néerlandaises, il était normal eu égard à la nature et à l’objectif général du système, d’assimiler le sol ou substrat utilisé aux terres agricoles et d’appliquer les normes applicables à ces terres agricoles.

67
Il convient de relever que cette motivation est adaptée à la nature de l’acte en cause et fait apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de la Commission de manière à permettre au royaume de Pays-Bas de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d’exercer son contrôle.

68
Dans ces conditions, il y a lieu également de rejeter le troisième moyen.

69
Aucun des moyens invoqués par le gouvernement néerlandais n’étant fondé, il convient, en conséquence, de rejeter le présent recours.


Sur les dépens

70
Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu en ce sens et le royaume des Pays-Bas ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner ce dernier aux dépens.


Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)
Le recours est rejeté.

2)
Le royaume des Pays-Bas est condamné aux dépens.

Jann

Rosas

von Bahr

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 avril 2004.

Le greffier

Le président

R. Grass

V. Skouris


1
Langue de procédure: le néerlandais.