Language of document : ECLI:EU:C:2015:489

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

16 juillet 2015 (*)

«Pourvoi – Accès aux documents des institutions de l’Union européenne – Règlement (CE) nº 1049/2001 – Article 4, paragraphe 1, sous b) – Règlement (CE) nº 45/2001 – Article 8 – Exception au droit d’accès – Protection des données à caractère personnel – Notion de ‘données à caractère personnel’ – Conditions d’un transfert de données à caractère personnel – Nom de l’auteur de chaque observation portant sur un projet d’orientation de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) concernant la documentation scientifique à joindre aux demandes d’autorisation pour la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques – Refus d’accès»

Dans l’affaire C‑615/13 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 27 novembre 2013,

ClientEarth, établie à Londres (Royaume-Uni),

Pesticide Action Network Europe (PAN Europe), établie à Bruxelles (Belgique),

représentées par Me P. Kirch, avocat,

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant:

Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), représentée par M. D. Detken et Mme C. Pintado, en qualité d’agents, assistés de Me R. Van der Hout, advocaat,

partie défenderesse en première instance,

Commission européenne, représentée par M. B. Martenczuk et Mme L. Pignataro-Nolin, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante en première instance,

soutenues par:

Contrôleur européen de la protection des données (CEPD), représenté par Mme A. Buchta et M. Pérez Asinari, en qualité d’agents,

partie intervenante au pourvoi,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, M. K. Lenaerts (rapporteur), vice-président de la Cour, MM. A. Arabadjiev, J. L. da Cruz Vilaça et C. Lycourgos, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 janvier 2015,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 avril 2015,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur pourvoi, ClientEarth et Pesticide Action Network Europe (PAN Europe) (ci-après «PAN Europe») demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne ClientEarth et PAN Europe/EFSA (T‑214/11, EU:T:2013:483, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté leur recours ayant pour objet, initialement, une demande d’annulation de la décision de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) du 10 février 2011 refusant une demande d’accès à certains documents de travail concernant une orientation, préparée par l’EFSA, à l’attention des auteurs de demandes d’autorisation de mise sur le marché d’un produit phytopharmaceutique (ci-après l’«orientation»), puis une demande d’annulation de la décision de l’EFSA du 12 décembre 2011 retirant la décision antérieure et autorisant les requérantes à accéder à toutes les informations demandées, à l’exception de celles relatives au nom des experts externes ayant soumis certaines observations sur le projet relatif à l’orientation (ci-après le «projet d’orientation»).

 Le cadre juridique

2        L’article 2 du règlement (CE) nº 45/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2000, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions et organes communautaires et à la libre circulation de ces données (JO 2001, L 8, p. 1), dispose:

«Aux fins du présent règlement, on entend par:

a)      ‘données à caractère personnel’: toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable (ci-après dénommée ‘personne concernée’); est réputée identifiable une personne qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments spécifiques, propres à son identité physique, physiologique, psychique, économique, culturelle ou sociale;

[...]»

3        L’article 8 de ce règlement, intitulé «Transferts de données à caractère personnel à des destinataires autres que les institutions et organes communautaires et relevant de la directive 95/46/CE», est ainsi libellé:

«Sans préjudice des articles 4, 5, 6 et 10, les données à caractère personnel ne sont transférées à des destinataires relevant de la législation nationale adoptée en application de la directive 95/46/CE que si:

[...]

b)      le destinataire démontre la nécessité de leur transfert et s’il n’existe aucune raison de penser que ce transfert pourrait porter atteinte aux intérêts légitimes de la personne concernée.»

4        Le règlement (CE) nº 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), définit les principes, les conditions et les limites du droit d’accès aux documents de ces institutions.

5        L’article 4 de ce règlement, intitulé «Exceptions», prévoit à son paragraphe 1:

«Les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où la divulgation porterait atteinte à la protection:

[...]

b)      de la vie privée et de l’intégrité de l’individu, notamment en conformité avec la législation communautaire relative à la protection des données à caractère personnel.»

 Les antécédents du litige

6        L’article 8, paragraphe 5, du règlement (CE) nº 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil (JO L 309, p. 1), dispose que «[l]’auteur [d’une demande d’autorisation de mise sur le marché d’un produit phytopharmaceutique] joint au dossier la documentation scientifique accessible, telle que déterminée par l’[EFSA], validée par la communauté scientifique [...], concernant les effets secondaires sur la santé, sur l’environnement et sur les espèces non visées de la substance active et de ses métabolites pertinents».

7        Le 25 septembre 2009, l’EFSA a demandé à son unité chargée de la méthodologie d’appréciation d’élaborer l’orientation afin d’indiquer la manière de mettre en œuvre cette disposition. Cette unité a constitué un groupe de travail à cette fin (ci-après le «groupe de travail»).

8        Le groupe de travail a soumis un projet d’orientation à deux organismes de l’EFSA dont certains des membres étaient des experts scientifiques externes, à savoir le groupe scientifique spécialisé dans les produits phytopharmaceutiques et leurs résidus (ci-après le «PPR») et le comité directeur sur les pesticides (ci-après le «PSC»). Ces experts externes ont été invités à présenter des observations individuelles sur ce projet d’orientation.

9        À la suite de ces observations, le groupe de travail a apporté des modifications audit projet d’orientation. Celui-ci a ensuite été soumis à consultation publique entre le 23 juillet et le 15 octobre 2010. Plusieurs personnes et associations, dont PAN Europe, ont présenté des observations sur ce projet.

10      Le 10 novembre 2010, ClientEarth et PAN Europe ont adressé conjointement à l’EFSA une demande d’accès à des documents fondée, notamment, sur le règlement nº 1049/2001. Cette demande portait sur plusieurs documents ou ensembles de documents relatifs à la préparation du projet d’orientation, y compris les observations des experts externes faisant partie du PPR et du PSC.

11      Par lettre du 1er décembre 2010, l’EFSA a autorisé ClientEarth et PAN Europe à accéder à une partie des documents en question. Toutefois, elle a refusé, sur le fondement de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement nº 1049/2001, relative à la protection du processus décisionnel des institutions, la divulgation de deux ensembles de documents, à savoir, d’une part, les versions successives du projet d’orientation et, d’autre part, les observations des experts externes du PPR et du PSC relatives à ce projet.

12      Le 23 décembre 2010, ClientEarth et PAN Europe ont présenté une demande tendant à ce que l’EFSA révise sa position contenue dans sa lettre du 1er décembre 2010.

13      Par décision du 10 février 2011, l’EFSA a confirmé que l’accès aux documents non divulgués devait être refusé en vertu de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement nº 1049/2001.

14      L’orientation a été adoptée le 28 février 2011. Elle a été publiée le même jour dans l’EFSA Journal.

15      Le 12 décembre 2011, l’EFSA a adopté et notifié à ClientEarth et à PAN Europe une nouvelle décision en réponse à la demande que ces dernières avaient introduite le 23 décembre 2010. Elle a indiqué qu’elle avait décidé de «retirer», d’«annuler» et de «remplacer» sa décision du 10 février 2011. En vertu de cette nouvelle décision, elle a autorisé ClientEarth et PAN Europe à accéder, notamment, aux observations individuelles des experts externes du PPR et du PSC sur le projet d’orientation. Elle a, toutefois, indiqué qu’elle avait occulté le nom de ces experts, conformément à l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 1049/2001 ainsi qu’à la législation de l’Union concernant la protection des données à caractère personnel, notamment le règlement nº 45/2001. Elle a fait valoir, à cet égard, que la divulgation du nom de ces experts correspondait à un transfert de données à caractère personnel, au sens de l’article 8 du règlement nº 45/2001, et que les conditions d’un tel transfert énoncées à cet article n’étaient pas réunies en l’espèce.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

16      Le 11 avril 2011, ClientEarth et PAN Europe ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision de l’EFSA du 10 février 2011. Par la suite, le recours a été considéré comme visant dorénavant l’annulation de la décision de l’EFSA du 12 décembre 2011, en ce que, par celle-ci, l’EFSA a refusé de communiquer à ClientEarth et à PAN Europe le nom des experts externes ayant soumis des observations sur le projet d’orientation.

17      Au soutien de leur recours, ClientEarth et PAN Europe invoquaient trois moyens.

18      Le Tribunal a jugé les trois moyens non fondés et a, par voie de conséquence, rejeté le recours.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

19      ClientEarth et PAN Europe demandent à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué et de condamner l’EFSA aux dépens.

20      L’EFSA et la Commission européenne demandent à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner ClientEarth et PAN Europe aux dépens de la procédure.

21      Par ordonnance du président de la Cour du 18 juin 2014, le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) a été admis à intervenir au soutien des conclusions de l’EFSA et de la Commission.

 Sur le pourvoi

22      ClientEarth et PAN Europe invoquent trois moyens à l’appui de leur pourvoi.

 Sur le premier moyen

 Argumentation des parties

23      Par le premier moyen, pris d’une application erronée de la notion de «données à caractère personnel», au sens de l’article 2, sous a), du règlement nº 45/2001, ClientEarth et PAN Europe critiquent l’appréciation portée par le Tribunal, en particulier au point 46 de l’arrêt attaqué, selon laquelle l’information qui leur aurait permis d’identifier, pour chacune des observations, lequel des experts externes en était l’auteur (ci-après l’«information litigieuse») relève de cette notion.

24      Elles contestent que puisse relever de ladite notion la combinaison de données ayant trait à des avis scientifiques présentés par des experts dans le cadre de leur participation à un comité en charge d’une fonction publique dans l’intérêt des citoyens. Elles ajoutent que le nom des experts concernés, de même que les avis exprimés par ceux-ci sur le projet d’orientation, sont accessibles au public sur le site Internet de l’EFSA et que, partant, l’information litigieuse doit également être considérée comme relevant du domaine public. Elles relèvent que rien n’indique que l’EFSA ait cherché à vérifier si ces experts étaient opposés à la divulgation de cette information.

25      Les requérantes font encore valoir que le fait pour un expert d’émettre, à titre professionnel, un avis scientifique ne relève pas de la notion de vie privée.

26      L’EFSA et la Commission, soutenues par le CEPD, réfutent le bien-fondé de cette argumentation.

 Appréciation de la Cour

27      L’article 2, sous a), du règlement nº 45/2001 définit la notion de «données à caractère personnel», aux fins de ce règlement, comme «toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable».

28      En l’occurrence, ainsi qu’il est rappelé au point 43 de l’arrêt attaqué, ClientEarth et PAN Europe visent, en sollicitant la divulgation de l’information litigieuse, à connaître, pour chacune des observations formulées par les experts externes, lequel d’entre eux en est l’auteur.

29      En ce que cette information permettrait de rattacher à tel ou tel expert déterminé une observation donnée, elle concerne des personnes physiques identifiées et, partant, constitue un ensemble de données à caractère personnel, au sens de l’article 2, sous a), du règlement nº 45/2001.

30      Ainsi que le Tribunal l’a jugé, à bon droit, aux points 44 à 46 de l’arrêt attaqué, la circonstance que ladite information s’inscrit dans le contexte d’une activité professionnelle n’est pas de nature à lui ôter sa qualification d’ensemble de données à caractère personnel (voir, en ce sens, arrêts Österreichischer Rundfunk e.a., C‑465/00, C‑138/01 et C‑139/01, EU:C:2003:294, point 64; Commission/Bavarian Lager, C‑28/08 P, EU:C:2010:378, points 66 à 70, ainsi que Worten, C‑342/12, EU:C:2013:355, points 19 et 22).

31      De même, le fait que tant l’identité des experts concernés que les observations présentées sur le projet d’orientation aient été rendues publiques sur le site Internet de l’EFSA ne signifie pas que l’information litigieuse aurait perdu cette qualification (voir, en ce sens, arrêt Satakunnan Markkinapörssi et Satamedia, C‑73/07, EU:C:2008:727, point 49).

32      Par ailleurs, ainsi que l’ont fait valoir l’EFSA, la Commission et le CEPD, les notions de «données à caractère personnel», au sens de l’article 2, sous a), du règlement nº 45/2001, et de «données relatives à la vie privée» ne se confondent pas. Est, partant, inopérante en l’espèce l’allégation de ClientEarth et de PAN Europe selon laquelle l’information litigieuse ne relève pas de la vie privée des experts concernés.

33      Enfin, l’opposition de la personne concernée à la divulgation de l’information en cause n’étant pas un élément constitutif de la notion de «données à caractère personnel», au sens de l’article 2, sous a), du règlement nº 45/2001, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 58 de l’arrêt attaqué, que la qualification d’une information relative à une personne comme étant une donnée à caractère personnel ne dépend pas de l’existence d’une telle opposition.

34      Eu égard à l’analyse qui précède, c’est à bon droit que, au point 60 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que l’EFSA était fondée à considérer que l’information litigieuse constituait un ensemble de données à caractère personnel.

35      Le premier moyen doit, par conséquent, être rejeté.

36      Il convient à présent d’examiner conjointement les deuxième et troisième moyens.

 Sur les deuxième et troisième moyens

 Argumentation des parties

37      Dans le cadre de leur deuxième moyen, pris d’une application erronée de l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 1049/2001 et de l’article 8, sous b), du règlement nº 45/2001, ClientEarth et PAN Europe font valoir que ni le Tribunal ni l’EFSA n’ont procédé à une mise en balance de l’ensemble des intérêts protégés par ces deux dispositions, ces intérêts étant, d’un côté, le «droit à la transparence», de l’autre côté, le droit à la protection de la vie privée et des données à caractère personnel.

38      Elles critiquent, en particulier, le fait que le Tribunal s’est contenté d’examiner si elles avaient démontré le caractère nécessaire de la divulgation de l’information litigieuse, sans procéder à une quelconque mise en balance des intérêts en jeu.

39      Dans le cadre de leur troisième moyen, pris d’une violation de l’article 5 TUE, ClientEarth et PAN Europe soutiennent que le rejet par le Tribunal des différents arguments invoqués par elles pour établir la nécessité de la divulgation de l’information litigieuse a méconnu le principe de proportionnalité.

40      L’EFSA et la Commission, soutenues par le CEPD, réfutent le bien-fondé de l’argumentation développée par ClientEarth et PAN Europe dans leur deuxième moyen.

41      S’agissant du troisième moyen, l’EFSA s’interroge, tout d’abord, sur la recevabilité de ce moyen. En effet, celui-ci ne préciserait pas suffisamment les éléments critiqués de l’arrêt attaqué. En outre, il se limiterait à reproduire des arguments déjà présentés devant le Tribunal contre la décision de l’EFSA du 12 décembre 2011 et tendrait ainsi à obtenir un réexamen de la requête de première instance, lequel échapperait à la compétence de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.

42      Ensuite, l’EFSA fait valoir, à l’instar de la Commission, que le troisième moyen est manifestement dénué de fondement, étant donné que le Tribunal a simplement exigé, conformément au règlement nº 45/2001 et à la jurisprudence de la Cour, que les requérantes démontrent leur intérêt légitime à accéder à l’information litigieuse. Une telle exigence ne serait pas disproportionnée et garantirait pleinement l’équilibre requis entre les intérêts en présence.

 Appréciation de la Cour

–       Sur la recevabilité

43      Contrairement à ce que suggère l’EFSA, les passages de la requête en pourvoi consacrés au troisième moyen permettent d’identifier la partie de l’arrêt attaqué qui est visée par ce moyen. Par ailleurs, dans le cadre de celui-ci, ClientEarth et PAN Europe ne se bornent pas à répéter les arguments qu’elles avaient antérieurement présentés devant le Tribunal à l’encontre de la décision de l’EFSA du 12 décembre 2011, mais elles dénoncent l’erreur de droit qu’aurait commise en l’espèce le Tribunal dans l’application de l’article 8, sous b), du règlement nº 45/2001. Ledit moyen est, par conséquent, recevable.

–       Sur le fond

44      Lorsqu’une demande vise à obtenir l’accès à des données à caractère personnel, au sens de l’article 2, sous a), du règlement nº 45/2001, les dispositions de ce règlement, notamment l’article 8, sous b), de celui-ci, deviennent intégralement applicables (voir arrêts Commission/Bavarian Lager, C‑28/08 P, EU:C:2010:378, point 63, et Strack/Commission, C‑127/13 P, EU:C:2014:2250, point 101).

45      Aux termes de l’article 8, sous b), du règlement nº 45/2001, des données à caractère personnel ne peuvent, en principe, être transférées que si le destinataire démontre la nécessité de leur transfert et s’il n’existe aucune raison de penser que ce transfert pourrait porter atteinte aux intérêts légitimes de la personne concernée.

46      Il ressort des termes mêmes de cette disposition que, ainsi que le Tribunal l’a jugé à bon droit au point 83 de l’arrêt attaqué, celle-ci subordonne le transfert de données à caractère personnel à la réunion de deux conditions cumulatives.

47      Dans ce contexte, il incombe d’abord à celui qui sollicite un tel transfert de démontrer la nécessité de celui-ci. Si cette démonstration est apportée, il appartient alors à l’institution concernée de vérifier s’il n’existe aucune raison de penser que le transfert en cause pourrait porter atteinte aux intérêts légitimes de la personne concernée. En l’absence de raison de cette nature, il y a lieu de procéder au transfert sollicité, tandis que, dans le cas contraire, l’institution concernée doit mettre en balance les différents intérêts en présence aux fins de se prononcer sur la demande d’accès (voir, en ce sens, arrêts Commission/Bavarian Lager, C‑28/08 P, EU:C:2010:378, points 77 et 78, ainsi que Strack/Commission, C‑127/13 P, EU:C:2014:2250, points 107 et 108 ; voir également, dans le même sens, arrêt Volker und Markus Schecke et Eifert, C‑92/09 et C‑93/09, EU:C:2010:662, point 85).

48      Il s’ensuit que, contrairement à ce qu’allèguent ClientEarth et PAN Europe dans le cadre de leur deuxième moyen, c’est à bon droit que le Tribunal a commencé par examiner si les arguments mis en avant par ces dernières démontraient la nécessité du transfert de l’information litigieuse, au sens de l’article 8, sous b), du règlement nº 45/2001.

49      Il convient néanmoins de vérifier si, comme le soutiennent ClientEarth et PAN Europe dans le cadre de leur troisième moyen, le Tribunal a, en procédant à cet examen, appliqué de manière erronée la condition tenant à une telle nécessité.

50      Le premier argument soulevé par les requérantes devant le Tribunal et reproduit au point 75 de l’arrêt attaqué était fondé sur l’existence d’une exigence générale de transparence, découlant des articles 1er TUE, 11, paragraphe 2, TUE et 15 TFUE.

51      À cet égard, la Cour a toutefois jugé qu’aucune prééminence automatique ne saurait être reconnue, d’une manière générale, à l’objectif de transparence sur le droit à la protection des données à caractère personnel (arrêt Volker und Markus Schecke et Eifert, C‑92/09 et C‑93/09, EU:C:2010:662, point 85).

52      C’est, dès lors, à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 78 de l’arrêt attaqué, que les requérantes n’avaient pas démontré, par ce premier argument, la nécessité de divulguer l’information litigieuse.

53      Le second argument, reproduit au point 79 de l’arrêt attaqué, était fondé sur l’existence d’un climat de méfiance envers l’EFSA, souvent accusée de partialité en raison du recours par celle-ci à des experts ayant des intérêts personnels dictés par leurs liens avec les milieux industriels, ainsi que sur la nécessité d’assurer la transparence du processus décisionnel de cette autorité.

54      À cet égard, il importe, d’une part, de relever que l’information litigieuse concerne des personnes ayant participé, en qualité d’experts rémunérés, au processus d’élaboration par l’EFSA d’un document d’orientation destiné à des opérateurs désireux d’introduire une demande d’autorisation de mise sur le marché d’un produit phytopharmaceutique.

55      Ainsi que le font valoir ClientEarth et PAN Europe, la divulgation de cette information était, dans un tel contexte, nécessaire pour garantir la transparence du processus d’adoption d’un acte appelé à avoir des répercussions sur les activités d’opérateurs économiques, en particulier, pour apprécier la manière dont chacun des experts intervenus dans ce processus avait pu, par son propre avis scientifique, influer sur le contenu dudit acte.

56      La transparence du processus suivi par une autorité publique pour l’adoption d’un acte de cette nature contribue, en effet, à conférer à cette autorité une plus grande légitimité aux yeux des destinataires de cet acte et à augmenter la confiance de ceux-ci à l’égard de ladite autorité (voir, en ce sens, arrêts Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 59, ainsi que Suède/MyTravel et Commission, C‑506/08 P, EU:C:2011:496, point 113), de même qu’à accroître la responsabilité de cette dernière à l’égard des citoyens dans un système démocratique (voir, en ce sens, arrêts Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 45; Conseil/Access Info Europe, C‑280/11 P, EU:C:2013:671, point 32, et Conseil/in ’t Veld, C‑350/12 P, EU:C:2014:2039, points 53, 106 et 107).

57      D’autre part, il convient de souligner que l’argument mentionné au point 53 du présent arrêt, loin de se limiter à des considérations générales et abstraites, était étayé, ainsi qu’il est indiqué au point 79 de l’arrêt attaqué, par une étude faisant état des liens entretenus par la majorité des experts membres d’un groupe de travail de l’EFSA avec des groupes de pression industriels.

58      Or, si ClientEarth et PAN Europe ont, certes, reçu communication, selon les indications figurant au point 80 de l’arrêt attaqué, du nom, de la biographie et des déclarations d’intérêts des experts ayant formulé des observations sur le projet d’orientation, il n’en demeure pas moins que l’obtention de l’information litigieuse s’avérait nécessaire pour permettre de vérifier concrètement l’impartialité de chacun de ces experts dans l’accomplissement de sa mission scientifique au service de l’EFSA.

59      Il s’ensuit que c’est à tort que, au point 80 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que l’argument de ClientEarth et de PAN Europe, reproduit au point 79 de cet arrêt, ne suffisait pas à démontrer la nécessité du transfert de l’information litigieuse.

60      Objecter, comme l’a fait le Tribunal à ce même point 80 de l’arrêt attaqué, que ClientEarth et PAN Europe n’ont mis en cause l’indépendance d’aucun des experts concernés revient à faire une application erronée de la condition de nécessité du transfert, énoncée à l’article 8, sous b), du règlement nº 45/2001. D’ailleurs, une telle mise en cause présuppose, en grande partie, que ClientEarth et PAN Europe connaissent au préalable, pour chaque observation émise, l’identité de l’expert qui en est l’auteur.

61      Par conséquent, le troisième moyen est fondé et il y a lieu d’annuler l’arrêt attaqué.

 Sur le recours devant le Tribunal

62      Conformément à l’article 61, premier alinéa, seconde phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, celle-ci peut, en cas d’annulation de l’arrêt attaqué, statuer définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

63      En l’espèce, la Cour considère que le recours de ClientEarth et de PAN Europe tendant à l’annulation de la décision de l’EFSA du 12 décembre 2011 est en état d’être jugé et qu’il convient, dès lors, de statuer définitivement sur celui-ci.

64      Dans le cadre de ce recours, le deuxième moyen invoqué par ClientEarth et PAN Europe est tiré de ce qu’un intérêt public justifiait la divulgation de l’information litigieuse, conformément à l’article 8, sous a) et b), du règlement nº 45/2001.

65      À cet égard, s’agissant de l’article 8, sous b), du règlement nº 45/2001, il ressort de l’analyse exposée aux points 53 à 61 du présent arrêt que les allégations circonstanciées de ClientEarth et de PAN Europe relatives aux accusations de partialité dirigées contre l’EFSA en ce qui concerne le choix de ses experts, ainsi qu’à la nécessité d’assurer la transparence du processus décisionnel de cette autorité publique, démontrent à suffisance de droit que le transfert de l’information litigieuse était nécessaire, au sens de cette disposition.

66      Eu égard au caractère cumulatif des deux conditions énoncées par ladite disposition, encore convient-il, aux fins d’apprécier la légalité de la décision de l’EFSA du 12 décembre 2011, d’examiner s’il existait, ou non, une raison de penser que ce transfert aurait pu porter atteinte aux intérêts légitimes des personnes concernées.

67      À cet égard, ainsi qu’il ressort de la réponse apportée par l’EFSA à des questions écrites du Tribunal, cette autorité a allégué l’existence d’une telle raison, en soulignant que la divulgation de l’information litigieuse, si elle avait eu lieu, aurait pu être utilisée d’une manière préjudiciable à l’intégrité et à la vie privée des experts concernés. Elle s’est prévalue, à cette fin, d’exemples d’attaques individuelles auxquelles ont été exposés des experts dont elle avait sollicité l’assistance.

68      Il convient toutefois de relever que lesdits exemples sont tirés de documents que ClientEarth et PAN Europe ont elles-mêmes produits pour étayer leurs allégations relatives aux liens entretenus par un certain nombre d’experts choisis par l’EFSA avec les milieux industriels, liens qui sont précisément à l’origine des accusations de partialité portées contre cette autorité et ses experts. Ces exemples ne prouvent, en revanche, aucunement que la divulgation de l’information litigieuse aurait été de nature à engendrer un risque d’atteinte à la vie privée ou à l’intégrité des experts concernés.

69      Il en résulte que, alors que l’autorité concernée se doit d’apprécier si la divulgation sollicitée est susceptible de porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé (voir, en ce sens, arrêt Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 49), l’allégation de l’EFSA selon laquelle la divulgation de l’information litigieuse aurait risqué de porter atteinte à la vie privée et à l’intégrité desdits experts relève d’une considération générale non autrement étayée par un quelconque élément propre à l’espèce. Au contraire, une telle divulgation aurait permis, par elle-même, de dissiper les soupçons de partialité en cause ou aurait offert aux experts éventuellement concernés l’occasion de contester, le cas échéant par les voies de recours disponibles, le bien-fondé de ces allégations de partialité.

70      Pareille allégation de l’EFSA, dépourvue de preuves, si elle était admise, pourrait s’appliquer, d’une manière générale, à toute situation dans laquelle une autorité de l’Union européenne recueille l’avis d’experts préalablement à l’adoption d’un acte ayant des conséquences sur les activités d’opérateurs économiques exerçant dans le secteur concerné par un tel acte, quel que soit ce secteur. Une telle solution serait contraire à l’exigence d’interprétation stricte des exceptions au droit d’accès aux documents détenus par les institutions, exigence qui impose que soit constatée l’existence du risque d’une atteinte concrète et effective à l’intérêt protégé.

71      Il ressort des considérations qui précèdent que, contrairement à ce qu’a considéré l’EFSA dans sa décision du 12 décembre 2011, les conditions requises par l’article 8, sous b), du règlement nº 45/2001 pour autoriser le transfert de l’information litigieuse étaient réunies en l’espèce.

72      Partant, le deuxième moyen doit être accueilli.

73      Il convient donc de faire droit au recours et d’annuler la décision de l’EFSA du 12 décembre 2011.

 Sur les dépens

74      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’article 140 dudit règlement prévoit, à son paragraphe 1, que les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs propres dépens et, à son paragraphe 3, que la Cour peut décider qu’une partie intervenante autre que celles mentionnées aux paragraphes précédents supportera ses propres dépens.

75      Le pourvoi de ClientEarth et de PAN Europe, ainsi que le recours qu’elles ont introduit devant le Tribunal, ayant été accueillis, il y a lieu de dire que l’EFSA supportera ses propres dépens et de la condamner à supporter les dépens exposés par ClientEarth et PAN Europe dans le cadre de la procédure de pourvoi et de la procédure de première instance, conformément aux conclusions de ces dernières. La Commission supportera ses propres dépens exposés dans le cadre de ces deux procédures. Le CEPD supportera ses propres dépens exposés dans le cadre de la procédure de pourvoi.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne ClientEarth et PAN Europe/EFSA (T‑214/11, EU:T:2013:483) est annulé.

2)      La décision de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) du 12 décembre 2011 est annulée.

3)      L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) supporte ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par ClientEarth et par Pesticide Action Network Europe (PAN Europe) dans le cadre de la procédure de pourvoi et de la procédure de première instance.

4)      La Commission européenne supporte ses propres dépens afférents à la procédure de pourvoi et à la procédure de première instance.

5)      Le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) supporte ses propres dépens afférents à la procédure de pourvoi.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.